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735. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poème des champs, par M. Calemard de Lafayette (suite et fin) »

L’entrée du mal est aisée d’abord et facile, mais à la longue on n’arrive à rien. […] je traverse avec lui la basse-cour où j’admire la couveuse que j’effraye en passant, et le jeune poulet déjà coq qui se rengorge au soleil ; je longe la mare où flotte l’escadre criarde des canards, et j’arrive sans honte ni vergogne à l’étable aux pourceaux. […] Et d’abord il dit porc et non cochon : Ailleurs, un bon gros porc anglais, face gourmande, Blanc et rose, et charmant pour l’école flamande, De son petit groin, noyé dans son gros cou, Flaire si la pâtée arrive vers son trou ; Tandis que dame truie, amorçant de caresse Ses petits yeux chinois clignotant dans leur graisse, Des plus doux grognements qu’amour ait inventés Rappelle ses gorets épars de tous côtés. […] S’ils avaient bien observé et avec une entière bonne foi, ils seraient nécessairement, forcément arrivés à bien dire et à peindre, en dépit de toutes les rhétoriques ou plutôt en vertu de la seule et vraie rhétorique : Scribendi recte sapere est et principium et fons.

736. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les Saints Évangiles, traduction par Le Maistre de Saci. Paris, Imprimerie Impériale, 1862 »

On se mit donc à l’œuvre avec émulation et zèle ; l’honneur de l’Imprimerie Impériale était en jeu ; chacun le sentait ; chacun, dans cette sphère laborieuse où le ressort est intact comme dans une armée, fit son devoir à l’envi, depuis le chef des travaux typographiques jusqu’au dernier pressier, et l’on arriva à temps sans que l’œuvre produite accusât en rien la précipitation et sans qu’elle éveillât chez les connaisseurs en telle matière d’autre sentiment que celui d’une approbation sans réserve pour une exécution si parfaite. […] Repousser tout examen, toute comparaison entre ces témoins ou ces narrateurs, reconnus sincères et authentiques, n’a jamais été la voie la plus sûre pour arriver au respect et à la vénération la mieux conçue en ce qui regarde la mission et les paroles du maître. […] Autre chose, d’ailleurs, sont les doctrines auxquelles on n’arrive et l’on n’atteint à grand effort et à grand’peine que par quelques intelligences d’élite, et celles d’où l’on part et où l’on plonge habituellement par le milieu même et le fond d’une société tout entière. […] Ce qui caractérise le Discours de la montagne et les autres paroles et paraboles de Jésus, ce n’est pas cette charité qui se rapporte uniquement à l’équité et à la stricte justice et à laquelle on arrive avec un cœur sain et un esprit droit, c’est quelque chose d’inconnu à la chair et au sang et à la seule raison, c’est une sorte d’ivresse innocente et pure, échappant à la règle et supérieure à la loi, saintement imprévoyante, étrangère à tout calcul, à toute prévision positive, confiante sans réserve en Celui qui voit et qui sait tout, et comptant, pour récompense dernière, sur l’avènement de ce royaume de Dieu dont les promesses ne sauraient manquer : « Et moi je vous dis de ne point résister au mal que l’on veut vous faire : mais si quelqu’un vous a frappé sur la joue droite, présentez-lui encore l’autre.

737. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

Or, il est arrivé ce qui s’est vu en bien des cas : c’est que ce qu’on avait tant réclamé, du moment qu’on l’obtenait, est devenu moins agréable à quelques-uns ; au lieu de remercier, ou du moins d’attendre et d’écouter, on s’est remis à discuter de plus belle. […] Après une année de séjour, nous étions arrivé, comme tant d’autres avant nous, à vénérer les plus humbles pierres de la grande cité, à les considérer avec amour, à trouver à toute chose un parfum d’art, une poésie enfin que nulle autre ville ne possède… » Nuremberg, en effet, ne saurait tenir, ne fût-ce qu’un instant, devant Rome. […] Et je remarquerai d’abord qu’il arrivait au moment le plus favorable pour tout préciser et coordonner. […] On ne saurait trop y insister ; car de loin on est porté à confondre les deux influences, et en littérature comme en architecture, ce n’est que depuis quelque temps qu’on est arrivé à les bien distinguer.

738. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Il lui arriva ce qui arrive à la plupart des natures ardentes qu’on veut soumettre à une règle étroite : il n’eut rien de plus pressé, quand il se crut assez fort, que de résister et de réagir ; il s’insurgea. […] Lorsque j’étais parvenu dans une de ces profondes solitudes, où je croyais arriver seul, je m’y retrouvais avec toutes mes secrètes angoisses, avec mes passions à demi brisées, mes soifs ardentes de l’inconnu, mes dégoûts infinis et mes prodigieuses lassitudes. […] Sa réputation, qui s’est faite lentement, mais qui s’est faite enfin dans son pays, mérite de sortir de ses vallées et d’arriver ou de revenir jusqu’à nous.

739. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Gisors (1732-1758) : Étude historique, par M. Camille Rousset. »

Frédéric, dans une lettre à l’abbé de Prades, avait dit peu de jours après son arrivée à Berlin : « Écrivez en lettres d’or qu’il est arrivé ici un jeune seigneur français, rempli d’esprit, de bon sens et de politesse. » À son départ pour la Suède, c’était le prince Henri qui écrivait à M. de Gisors en manière d’adieu : « Unir à la jeunesse le caractère et les talents, c’est être né avec des qualités rares ; les perfectionner, les embellir et les rendre utiles, mérite l’admiration de tout le monde. […] Quand on se décida à envoyer le comte de Clermont pour remplacer Richelieu, en février 1758, cette Altesse arrivait avec des intentions honorables sur l’article de la probité, mais avec une parfaite incapacité en tant que chef militaire. […] Il était arrivé à la perfection ; il semble qu’il n’avait plus qu’à mourir… Songeons pourtant que, s’il lui avait été donné de vivre Page de son père, soixante-dix-sept ans, il serait mort seulement en 1809. […] Il le leur promit… » Elles ne s’en tinrent pas là, et quand elles surent que le neveu de Voltaire, l’abbé Mignot, faisait transporter le corps de son oncle pour être enterré dans son abbaye de Scellières, vite les deux grandes dames, ces deux bonnes Âmes acharnées au bien, relancèrent le cadavre ; elles écrivirent à l’évêque de Troyes pour l’engager à s’opposer à l’inhumation en qualité d’évêque diocésain ; « mais heureusement pour l’honneur de l’évêque, ces lettres arrivèrent trop tard, et Voltaire fut enterré. » (Vie de Voltaire, par Condorcet.) — C’est ainsi que.Mme de Gisors, cette sainte veuve, crut devoir justifier son renom de mère de l’Église.

740. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Que les faciles et soudains mouvements de cette âme se ralentissent et se perdent ; que ce jeu de physionomie devienne calculé et de pure convenance ; qu’on sourie, qu’on éclate, qu’on grimace, qu’on fasse la folle à tout propos, et voilà la Muse devenue une femme à la mode, sotte, minaudière, insupportable ; c’est à peu près ce qui arriva de l’art au xviiie  siècle. […] Patience, nous y arrivons. — Les odes sont, ou sacrées, ou politiques, ou personnelles. […] S’il rime avec soin, c’est presque toujours aux dépens du sens et de la précision ; la rime ne lui donne jamais l’image, comme il arrive aux vrais poëtes ; mais elle l’induit en dépense d’épithètes et de périphrases. […] Si, en juin 1829, un jeune homme de vingt ans, inconnu, nous arrivait un matin d’Auxerre ou de Rouen avec un manuscrit contenant le Cantique d’Ézéchias, l’Ode au comte du Luc et la Cantate de Circé, ou l’équivalent, après avoir jeté un coup d’œil sur les trois chefs-d’œuvre, on lui dirait, ce me semble, ou du moins on penserait à part soi : « Ce jeune homme n’est pas dénué d’habitude pour les vers ; il a déjà dû en brûler beaucoup ; il sent assez bien l’harmonie de détail, mais sa strophe est pesante et son vers symétrique.

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