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1069. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Jean-Jacques Ampère »

Les critiques allemands, dans des occasions semblables, aiment à partir de la philosophie ; leur examen et leur discussion de l’œuvre poétique sont tels que leur commentaire explicatif n’est intelligible qu’aux philosophes de l’école à laquelle ils appartiennent : quant aux autres lecteurs, l’explication est pour eux beaucoup plus obscure que l’ouvrage qu’elle veut éclaircir. […] Ils appartenaient chacun à un ordre et à un mouvement d’idées antérieur. […] Mais ici, avec Goethe, les rapports étaient tout différents : Goethe était déjà un ancien ; Werther appartenait à un autre siècle. […] Dès qu’il commençait une leçon, je ne sais quel scrupule le prenait à la gorge : il était tout occupé d’atteindre une mesure, une exactitude qui appartient plutôt à l’écrivain qu’à l’homme de l’enseignement oral, et il n’avait plus rien de son charmant abandon ni de ses saillies, ou si les saillies venaient, c’était à l’état froid, à l’état de notes préparées.

1070. (1921) Esquisses critiques. Première série

Ils se servent, chacun dans son art, d’un dessin sobre et solide, de cette touche infailliblement posée qui n’appartient qu’au talent supérieur. […] Nous ne les rappellerons pas, car ces romans, célèbres pour la plupart, sont dans la mémoire de tous leurs lecteurs — et quant aux scandales bruyants qui s’y trouvent rapportés, puisqu’il n’a pas convenu à l’auteur de les indiquer nommément, il ne nous appartient pas de les reconnaître en public. […] Abel Hermant tient à une race de romanciers — à laquelle appartenaient aussi les naturalistes — qui se souciaient de la technique de leur art et ne négligeaient ni d’échafauder un plan ni de combiner une intrigue. […] On ne peut s’inspirer constamment des bons modèles sans prendre de leurs qualités et tels mots qui appartiennent en propre à ces messieurs sonnent aussi bien qu’un véritable mot de Jules Renard65 ou de Dumas fils66. […] Quelque position que l’on adopte en ce grave débat, on se trouve obligé d’agir comme si l’on appartenait à la deuxième de ces écoles, le jour où l’on entreprend d’étudier un écrivain dont on connaît la vie.

1071. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Le mot appartient à Schiller ; la doctrine s’est formée parce qu’on a reconnu, par la comparaison des talents, que les écrivains qui avaient peint sincèrement leur époque étaient supérieurs aux autres comme artistes, comme exécutants, avaient une intelligence et un sentiment plus profonds. […] Il est peut-être bon aussi de faire remarquer à ces prétendus voyants qu’il y a chez l’écrivain des facultés obligatoires qui le déterminent à se faire écrivain, de préférence à toutes les autres voies, et que ces facultés obligatoires n’appartiennent pas à tout le monde. […] Nous sommes les modernes, l’époque nous appartient, nous avons le droit d’apporter nos idées et de vouloir être nouveaux. […] Pas plus les idéalistes que les autres ne peuvent imposer un sujet à l’écrivain ; il prend pour héros le type qu’il a vu, qu’il comprend, et, à quelque classe qu’appartienne ce type, il est bon s’il est bien rendu. […] J’aimerais mieux être le propriétaire de la plus humble maisonnette des champs que d’habiter un palais qui ne m’appartiendrait pas. » « Deux routes peuvent conduire à la renommée ; la première est l’art d’imitation, la seconde est l’art qui ne relève que de lui-même, l’art original.

1072. (1894) La bataille littéraire. Septième série (1893) pp. -307

Comme vous n’appartenez à aucune école, vous n’avez, pas le moindre parti pris et vous vous laissez aller, comme le premier venu, à toutes vos sensations, seulement ce premier venu a ici l’amour et l’habitude des choses de l’esprit, une vue claire, une remarquable faculté de synthèse et de concision, tout ce que doit avoir enfin celui qui a été nourri comme vous de la bonne moelle du dix-septième et du dix-huitième siècle. […] Heureusement que le service militaire est là pour tempérer ce culte, cette idolâtrie, et que la discipline a bientôt fait de rappeler à ces garçons, dont le dévouement à leur propre personne dépasse toutes les bornes, que l’homme, s’il s’appartient à lui-même, appartient aussi un peu à la société. […] William Ritter, en écrivant : Âmes blanches, a fait une œuvre qui appartient à cette nouvelle école aussi musicale que littéraire, vivant du souffle de Wagner, ramenant toute l’humanité à l’œuvre du grand musicien, et ne la voyant que perdue dans des rêveries infinies et revenue à des temps de mysticisme et d’extases religieuses. […] L’heure ne m’appartient pas et si elle tarde à sonner, je suis bien capable de bavarder encore un de ces jours, quitte à rabâcher. […] Il n’appartenait de nous renseigner sur ce point qu’à un homme absolument informé, à un homme ayant eu en main, pour le salut de la France peut-être, les fils de la diplomatie européenne, et qui, sans trahir les secrets de l’État, nous montrât la réalité là où des intéressés voulaient qu’il n’y eût qu’un désir et qu’un rêve.

1073. (1857) Réalisme, numéros 3-6 pp. 33-88

Et c’est un livre dont il ne revendiquait pas la gloire, parce que, disait-il, ce n’était que de l’histoire, sans ornements, sans rien qui appartînt en propre à l’auteur ! […] La prose est à nous, sa marche est libre ; il n’appartient qu’à nous de lui imprimer un caractère plus vivant. […] Ces idées rentrent mieux dans la nature d’Hugo ; elles ne lui appartiennent pas, c’est le fonds commun des déclamations, il n’a qu’à développer, à déployer son amour pour les choses étrangement farouches, lugubres, sombres. […] appartiennent-ils seulement à Balzac ? […] « Celui qui appartient à la première classe peut se dire réaliste, et celui qui appartient à l’autre, idéaliste ; dénomination, il est vrai, à laquelle il ne faut attacher ni en bien ni en mal le sens qu’on y attache en métaphysique1.

1074. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

Ceci se rattache à la remarque la plus essentielle dans une appréciation littéraire de Fléchier : il appartient, par le goût et par la manière à la société de l’hôtel de Rambouillet, et aux gens de lettres de la première Académie dont il était en quelque sorte l’élève ; c’est là, c’est dans ce double cercle qu’il prit son pli à l’heure où son talent se forma, et il le garda toujours, même en se développant par la suite et en s’élevant ; mais il ne se renouvela point. […] Un manuscrit de la Bibliothèque impériale (Suppl. fr., n° 1016 in-fol.), qui a appartenu à M. de Boze, porte en marge à la première page : Juvenilia Flecheriana 80 ; et en tête : Divertissements, jeux d’esprit ou passe-temps de la jeunesse d’une des premières plumes de ce siècle, et au-dessous : Amusements de la jeunesse d’un homme illustre.

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