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180. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre quatrième. L’idée du temps, sa genèse et son action »

Les images du passé qui restent dans la mémoire présente n’apparaissent pas comme affectées de repos et d’immobilité ; chacune est le résidu d’une série de pulsations et de changements ; et ce résidu conserve lui-même quelque chose de l’agitation première, de l’évolution dynamique qui a constitué la première perception125. […] Faire attention, c’est attendre quelque chose qui va apparaître, c’est tendre à une représentation qui va venir. […] Nous avons vu que les psychologues, dans leurs analyses abstraites, disent : Tout état de conscience, même l’image du passé ou de l’avenir, étant effectivement actuel, doit apparaître comme actuel ; comment donc arrivons-nous à distinguer de l’actuel quelque autre chose sous les noms de passé ou d’avenir ? […] Cette théorie revient à dire qu’il y a simultanément, dans la conscience, des représentations intenses et des représentations évanouissantes ; mais pourquoi le rapport de ces représentations simultanées, au lieu d’être un rapport de coexistence entre des représentations faibles et des représentations intenses, apparaît-il comme un rapport de succession entre des représentations passées et des représentations présentes ? […] La propriété constante de notre expérience ne peut pas ne pas nous apparaître comme une nécessité de l’expérience même, constamment confirmée par son harmonie avec la réelle existence hors de nous dc mouvements dans le temps.

181. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

Parce que nous constatons un enrichissement graduel de la morale, nous voulons qu’il n’y ait pas de morale primitive, irréductible, apparue avec l’homme. […] Nous devrons aller à la recherche de ce fond de sociabilité, et aussi d’insociabilité, qui apparaîtrait à notre conscience si la société constituée n’avait mis en nous les habitudes et dispositions qui nous adaptent à elle. […] Et ici apparaît un trait caractéristique de l’« animal politique » qu’est l’homme. […] L’instinct guerrier est si fort qu’il est le premier à apparaître quand on gratte la civilisation pour retrouver la nature. […] La vérité est que c’est le plus souvent par amour du luxe qu’on désire le bien-être, parce que le bien-être qu’on n’a pas apparaît comme un luxe, et qu’on veut imiter, égaler, ceux qui sont en état de l’avoir.

182. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

— il ne fut pas plus grand que Delacroix ; même, entre les poètes qui l’ont suivi, précédé, tels apparaissent, qui eurent des visions plus cohérentes, une forme plus précise, plus impeccable… C’est que Victor Hugo fut le combattant, et fut le théoricien ; c’est qu’il eut, éminemment, les procédés extérieurs de l’école ; c’est qu’il soumit à son génie tout, poésie, drame, roman, satire, épopée, histoire. […] Cette trace cherchée se manifeste plus clairement dans le final joyeux et éclatant de la Symphonie en Ut mineur, où le motif de marche, très simple, établi presque uniquement sur la tonique et la dominante, dans l’échelle naturelle des cors et des trompettes, nous émeut d’autant plus, par sa grande naïveté, que toute la symphonie qui précède apparaît seulement comme une préparation et une tension à cette marche. Ainsi la nuée, secouée tantôt par l’orage, tantôt par le souffle dur des vents, et hors de laquelle maintenant le soleil apparaît, dans la splendeur de ses rayons puissants. […] Et nous voyons encore le Maître, avec la Volonté ordonnatrice déjà indiquée, trouver cette mélodie sans sortir de la musique, comme de l’Idée du monde ; car, en vérité, ce n’est point le sens des paroles qui nous émeut lorsqu’apparaissent les voix humaines, mais seulement le caractère même de ces voix humaines. […] b — Devant le noir Soleil de la Mélancolie, Lénore apparaît.

183. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre premier. La sensation, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. La sensation »

Par quelle magie auront lieu ces soudaines créations de sensations dont chacune apparaît comme un monde tiré du néant ? […] On peut bien dire que ce qui apparaît différent est nécessairement différent d’apparence, parce qu’alors il s’agit toujours de qualité ; mais, quand il est question de simplicité et d’unité, on introduit une considération de quantité et de nombre ; or, rien ne prouve que notre conscience aperçoive les sensations comme elles sont au point de vue du nombre et de la quantité, et non pas seulement comme elles apparaissent à ce même point de vue. […] » — Nous nions que la conscience même, dans la sensation du blanc, n’aperçoive qu’une sensation ; elle a au contraire, si elle réfléchit assez sur soi-même, la sensation d’une pluralité. 1° Elle sent une pluralité de degrés dans une sensation vive de lumière blanche ; elle apprécie que cette sensation est une somme de sensations semblables ; 2° elle saisit aussi une pluralité d’éléments qualitatifs, les uns communs à toutes les sensations de lumière, les autres propres ; nous reconnaissons très bien dans le blanc, non pas la sensation du bleu et du rouge, mais la sensation de lumière, qui se retrouve dans les autres couleurs ; cette sensation de lumière nous apparaît seulement ici comme spécifiée, compliquée, particularisée. […] Une-autre preuve de la complexité des sensations spécifiques, c’est la variation de qualité qui accompagne les variations d’intensité, d’extensité et de durée. 1° A l’exception du rouge spectral, par exemple, toutes les couleurs donnent place, tôt ou tard, à un simple gris sans couleur, lorsque l’intensité de la lumière diminue ; et toutes, d’autre part, deviennent indistinctement blanches après une certaine augmentation intensité 15. 2° Une durée plus longue est aussi, en beaucoup de cas, nécessaire pour produire une sensation de telle couleur que pour produire une sensation simple de lumière ou de brillant ; le spectre solaire vu instantanément, n’apparaît pas de sept couleurs, mais seulement de deux, faiblement rouge du côté gauche et bleu du côté droit16. […] 3° De très petits objets, comme des taches colorées sur un fond blanc, quoique vus encore distinctement, apparaissent comme sans couleur au-dessous d’une certaine dimension ; et la relation entre l’intensité et l’extension est telle que, dans de certaines limites, plus les taches sont brillantes, plus elles peuvent être petites sans perdre leur couleur ; ou, plus elles sont grandes, plus elles peuvent être faiblement éclairées sans perdre leur couleur17.

184. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre deuxième. L’idée de l’espace. Son origine et son action »

L’objet, à l’origine, n’apparaît nettement au sujet appétitif que comme obstacle, conséquemment comme terme d’effort, conséquemment encore comme occasion d’une intensité d’action interne d’abord diminuée, puis, par réaction, augmentée en vue de surmonter la résistance. […] En ce qui concerne les qualités, nous ne pouvons que dire dans quelles conditions de temps, d’espace et de mouvement elles se produisent et nous apparaissent. […] Deux étincelles électriques apparaissent en succession rapide, l’une à côté de l’autre, et l’observateur doit noter si c’est l’étincelle du côté droit ou celle du côté gauche qui est apparue la première. […] Deux impressions sur deux parties différentes de notre corps ont une nuance locale indépendamment même de tout mouvement, comme quand on vous touche les deux mains à la fois ; mais cette différence n’apparaîtrait pas comme proprement spatiale, comme une différence de position, si le mouvement de la main gauche venant toucher la main droite ne se joignait pas aux signes locaux. […] Malgré cela, tant que la main est immobile, le tout est encore très vague ; mais, si elle se meut le long d’une ligne ou d’une surface, le souvenir juxtapose les sensations et en fait apparaître l’ordre sériel.

185. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Les traits caractéristiques de sa philosophie, qui correspondent aux instincts les plus déterminés de son tempérament, apparaissent déjà épars dans la riche variété de son œuvre littéraire : elle est déjà, avant tout, et hors de toute doctrine positive, une terrible école d’irrespect et d’incroyance. […] Dans cet excès de division apparaît une des impuissances capitales du xviiie  siècle et de Voltaire : une analyse impitoyable sépare tous les éléments de la réalité ; et même un esprit comme celui de Voltaire échoue à rassembler ces fragments, à reconstruire le tissu, l’organisation des choses naturelles, à en remonter le jeu. […] La première édition du livre a paru à Berlin en 1751 : la première pensée en apparaît dans une lettre de 1732. […] De ce point de vue, le Siècle de Louis XIV apparaissait comme un grand siècle incomplet : Louis XIV avait un confesseur, il ne pouvait être « philosophe ».

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