Elle publia, avant la fin de cette même année 1714, son livre intitulé Des causes de la corruption du goût, une des productions solides de l’ancienne critique française, et où il y a plus d’esprit qu’on ne pense : La douleur, dit-elle en commençant, de voir ce poète si indignement traité, m’a fait résoudre à le défendre, quoique cette sorte d’ouvrage soit très opposée à mon humeur, car je suis très paresseuse et très pacifique, et le seul nom de guerre me fait peur ; mais le moyen de voir dans un si pitoyable état ce qu’on aime et de ne pas courir à son secours ! […] Elle la regarde apparemment comme un tribunal tyrannique qui ne laisse pas la liberté des jugements en matière d’ouvrages d’esprit ; elle croit que l’admiration religieuse des anciens en est une loi fondamentale, et qu’en y entrant on lui prête serment de fidélité à cet égard. […] Il accordait à l’Académie française la gloire un peu exagérée d’avoir la première institué la discussion littéraire dans ces termes philosophiques, et d’avoir conclu de l’admiration mal fondée que l’on avait eue pour les vieux philosophes, qu’il fallait examiner de plus près celle que l’on avait encore pour les anciens poètes : « L’ouverture de cette dispute, disait-il un peu magnifiquement, a achevé de rendre à l’esprit humain toute sa dignité, en l’affranchissant aussi sur les belles-lettres du joug ridicule de la prévention. » C’était par là que Terrasson croyait qu’il nous appartenait de devenir littérairement supérieurs aux Latins, lesquels, supérieurs de fait aux Grecs, n’avaient jamais osé en secouer le joug. Il nous exhortait donc, avec une sorte d’effronterie naïve dont il donnait l’exemple, à avoir le courage de nous préférer nous-mêmes à nos anciens et à nos devanciers, à proclamer notre siècle (c’est-à-dire le sien) le premier et le plus éclairé des siècles, le seul qui fût en possession d’une certaine justesse de raisonnement, jusque-là inconnue. […] Mme de Staal de Launay, dans ses ingénieux Mémoires, a immortalisé cette petite scène de raccommodement qui eut lieu à souper, le 5 avril, dimanche d’avant Pâques de 1716 : ce jour des Rameaux n’était pas choisi sans dessein pour le pardon chrétien des injures : Avant que je fusse à la Bastille, écrit Mlle de Launay, M. de Valincour m’avait fait faire connaissance avec M. et Mme Dacier ; il m’avait même admis à un repas qu’il donna pour réunir les anciens avec les modernes.
Je m’explique : quoique venant à une date déjà avancée du siècle, et de manière à avoir vingt ans lorsque Racine et Boileau faisaient leur glorieux début, il n’en reçut point l’influence directe, précise et comme soudaine ; il ne rompit point avec le goût antérieur, il ne s’aperçut point qu’un goût nouveau, ou plutôt qu’une réforme neuve et en accord avec le vrai goût ancien, s’inaugurait, et qu’on entrait décidément dans une grande et florissante époque qui tranchait par bien des caractères avec la précédente. […] Chez les anciens, ce genre, si menu d’apparence, avait de la simplicité, de la grâce, quelquefois même de la grandeur. […] Le poète pense à un autre poète de ses amis, à un hôte lointain dont il vient d’apprendre à l’improviste la mort déjà ancienne, et qui avait fait lui-même des élégies mélodieuses : Quelqu’un, ô Héraclite, m’a dit ton trépas et m’a plongé dans les larmes, et je me suis ressouvenu combien de fois tous les deux nous avions, au milieu de nos doux entretiens, enseveli le soleil : mais toi, cher hôte d’Halicarnasse, dès longtemps, je ne sais où, tu n’es que cendre. […] Dans les langues modernes, où le tour est moins marqué, où la langue en elle-même n’a pas à peu de frais, comme chez les anciens, sa grâce, sa cadence, et où les mots ont moins d’énergie et de jeu, il faut, en terminant, ce qu’on appelle le trait et la pointe. […] Sénecé vécut assez pour voir paraître bien des mémoires sur le xviie siècle et sur l’ancienne Cour.
Mais, dans les intervalles d’indépendance, ils essayaient de se faire une certitude qui fût plus l’œuvre de l’homme ; et ils la demandaient aux traditions de la philosophie ancienne, à ce qui restait de Platon et d’Aristote. […] Ceux qui se sont laissé tenter naïvement par la gloire des anciens historiens, s’embarrassent et se débattent dans ce vain travail d’imitation. […] Nos anciens poètes ont bien mérité de la nation comme peintres de mœurs et comme écrivains satiriques. […] Elle est ravagée par deux siècles de guerres effroyables, tantôt avec l’Angleterre, qui lui arrache un moment sa nationalité et lui donne pour roi un régent anglais ; tantôt avec son ancienne organisation féodale : elle ne produit point d’homme de génie dans les lettres. […] Le jour où l’esprit ancien et l’esprit français, mis en contact par les livres, se seront reconnus, ce jour-là commencera l’histoire de la littérature française ; et, malgré la lenteur des progrès, il sera glorieux pour l’esprit français de s’être trouvé prêt pour cette reconnaissance, et d’avoir eu le regard assez ferme pour n’être pas ébloui de tant de lumières.
Il s’agit, en effet, pour elle, de recevoir un ancien amant qui l’a abandonnée brusquement. […] Resté seul avec Lebonnard, Cygneroi pousse le soupir essoufflé qui suit les corvées faites à contre-cœur, et déclare que sa femme ne reverra jamais plus son ancienne maîtresse. […] Il ne sied pas à un galant homme d’insulter une ancienne maîtresse. […] Honnête comme on nous l’assure, elle ne peut songer à débaucher son ancien amant du berceau de son enfant, des bras de sa femme. […] Ce voyage à Rouen n’était que le dénouement d’une ancienne liaison, la vieille histoire des lettres à rendre et du dernier rendez-vous.
Je mets à part un « type disparu », ou à peu près, mais qu’il faut mentionner pourtant, puisqu’il n’a pas complètement cessé d’exister, je veux parler du lecteur des livres anciens, du lecteur d’Homère, de Virgile, d’Horace et de quelques autres. […] Quoi qu’il en soit, le lecteur d’Horace est un homme sur qui ses premières études, grâce à telle circonstance ou à telle autre, grâce à l’abstention de ses professeurs à l’égard de la littérature antique, ou grâce, au contraire, à un professeur exceptionnel qui savait faire goûter les auteurs anciens, ont eu une influence très forte et très prolongée. […] Ce n’est pas que le lecteur des anciens se soit fait, précisément, une âme grecque ou une âme romaine ; Il s’est fait une âme de tous les temps, excepté du temps où il est. En effet, ce par quoi les anciens ont survécu, c’est ce qu’ils avaient d’éternel, de très général exprimé dans une forme définitive. […] Le lecteur des anciens est donc étranger à son temps sans y être hostile, si étranger à son temps qu’il ne lui est pas même hostile et est en quelque façon de tous les âges.
Ce que les anciens appelaient d’un mot charmant umbratilis vita n’existe plus guère. […] Il l’est plus que celui de lire un livre très ancien. Le livre très ancien est franchement d’un autre temps, il a tout son caractère archaïque ; il peut plaire pleinement ainsi ; il peut n’en plaire que davantage. […] Même dans le langage de l’ancienne tragédie, il y avait pour lui beaucoup de choses choquantes, tout au moins inexplicables… . […] Le mot de l’ancienne langue française, « donner », dans le sens de marcher impétueusement en avant, est admirable.