Ce fut probablement, nous dit-on, la petite ville de Saint-Paul qui lui donna naissance ; depuis nombre d’années, la famille des Parny a été connue à Bourbon pour habiter ce quartier, et il est à présumer que c’est de ce centre que, par la suite, elle a rayonné sur les divers autres quartiers de l’île, tels que Saint-Denis, Sainte-Marie, où se trouvent maintenant des personnes du même nom et de la même origine. « Dans un voyage que je fis à Saint-Paul, nous écrit un élégant et fidèle narrateur, j’allai visiter l’ancienne habitation du marquis de Parny, père du poëte ; elle appartient aujourd’hui à M. […] Et ce n’est pas seulement Ginguené, c’est-à-dire un ancien camarade de collége qui s’exprime ainsi, notez-le bien, c’est plus ou moins tout le monde, c’est l’Année littéraire 172, c’est Palissot, c’est Fontanes, c’est Garat, et Garat bien avant le discours académique par lequel il reçut Parny, mais dans ses jugements tout à fait libres et des plus sincères. […] Son père, bien que descendant d’une ancienne famille de l’île, n’avait point à faire valoir de titres de noblesse. […] Cette dame vint s’établir à Saint-Denis ; elle eut pour sa fille adoptive des soins vraiment maternels, et se conduisit toujours de manière à passer aux yeux de tous pour la véritable mère. « J’ai particulièrement connu, nous écrivait un de nos amis créoles, la personne qu’on dit être la fille de Parny : déjà d’un certain âge quand je la vis, elle a dû être fort jolie, sinon belle ; de taille moyenne, blonde avec des yeux bleus, elle passe pour avoir eu quelque ressemblance avec Éléonore, dans la mémoire, peut-être complaisante, de quelques anciens du pays. […] On a remarqué que certaines natures poétiques, voluptueuses et sensibles, se flétrissent vite ; la première fleur passée, elles ne donnent qu’un fruit peu abondant, après quoi ce n’est plus qu’une écorce mince et sèche, à laquelle, s’il se peut, s’attache un reste de l’ancien parfum.
Depuis cinquante ans que la philosophie du Dix-Huitième Siècle a porté dans toutes les âmes le doute sur toutes les questions de la religion, de la morale et de la politique, et a ainsi donné naissance à la poésie mélancolique de notre siècle, deux ou trois génies poétiques tout à fait hors de ligne apparaissent dans chacune des deux grandes régions qui composent l’Europe, c’est-à-dire l’Angleterre et l’Allemagne, qui représentent tout le nord, et la France qui représente toute la partie sud-occidentale, le domaine particulier de l’ancienne civilisation romaine. […] C’est d’abord que leur pensée est devenue plus forte avec l’âge ; c’est ensuite que tout a chancelé autour d’eux ; c’est qu’ils ont vu cette société qu’ils croyaient rentrée dans la voie de la tradition s’en écarter de nouveau ; c’est que cette tentative si bien nommée restauration, qui prétendait rendre à la France son ancien ordre social et religieux, a déçu toutes leurs espérances, partagés qu’ils étaient entre les sentiments de gloire et de liberté de notre âge, et cette gloire du passé qui avait bien de quoi les séduire. […] Ainsi, suivant ton caprice, tantôt tu vois les âmes sortir des corps avec des ailes d’or comme les séraphins ; tantôt, comme les mânes des anciens, ce sont de tristes fantômes, des ombres du corps attachées comme lui à la terre ; et, devant l’ombre silencieuse de ton Napoléon, passent et repassent sans cesse les ombres silencieuses de ses capitaines. […] Seulement l’une, la poésie que nous appelons Byronienne, sort des entrailles mêmes de la société actuelle, si je puis m’exprimer ainsi ; elle découle naturellement de la Philosophie du Dix-Huitième Siècle et de la Révolution Française ; elle est le produit le plus vivant d’une ère de crise et de renouvellement, où tout a dû être mis en doute, parce que, sur les ruines du passé, l’Humanité va commencer l’édification d’un monde nouveau ; tandis que l’autre, bien que progressive en ce qu’elle révèle le même besoin par son retour au Christianisme, est pour ainsi dire l’inspiration du passé voulant vivre dans le présent, le résultat d’une reprise momentanée de l’ancien ordre social et religieux dont l’Humanité, inquiète et reculant d’effroi devant l’enfantement de ses destinées nouvelles, s’est donné à elle-même une représentation avant de le délaisser à jamais : ainsi les Juifs dans le désert, marchant vers la terre promise, recommencèrent un jour à adorer les dieux d’Égypte. […] Quant à la poésie du style, en particulier, nous l’avons déjà fait autrefois dans un article inséré dans l’ancien Globe. — Voy. l’Appendice a la suite de ces Discours [De la poésie de style].
Pierre Jeannin, l’une des gloires de la Bourgogne, né à Autun, en 1540, d’un père tanneur qualifié citoyen et échevin de la ville, et qui, bien que sans lettres, était réputé homme de très grande vertu et de très grand sens, offre par son exemple une preuve de plus qu’avec du mérite, et tout en étant du tiers état, on s’élevait et on parvenait très haut dans l’ancienne monarchie ; même avant la Ligue, il était dans une belle voie d’honneur et de considération dans sa province. […] On lit même dans l’historien littéraire de la Bourgogne, Papillon, une anecdote presque gaillarde que je donne pour ce qu’elle vaut, mais qui concorde pour le fond avec le témoignage de Saumaise : Jeannin (selon un recueil manuscrit cité par Papillon) étant revenu à Bourges pour la seconde fois et étant allé avec ses anciens camarades voir le sieur Cujas incognito, Cujas ne laissa pas de le reconnaître, quelque soin qu’il prît de se déguiser, et, s’étant jeté à son cou, il commença à lui dire : « Est-ce toi, Romorantin ? […] [NdA] Dans ce travail sur le président Jeannin, je suis guidé, indépendamment des secours que je dois aux auteurs anciens, par deux modernes de la même province, M.
Les uns ont pris parti contre l’or et les vices qu’il soudoie, d’accord en cela avec tous les anciens moralistes et satiriques, avec Juvénal et Boileau. […] Je signalerai seulement deux pièces dignes de mention parmi celles qui ont succombé : l’une, un dialogue extrêmement spirituel, et parfois poétique aussi, entre deux anciens camarades de collège, un poète et un banquier ; le sujet du concours y est traité un peu trop sans gêne toutefois. […] Une autre pièce, qui a longtemps attiré rattention de la sous-commission et du jury, est un conte dont la scène se passe en Normandie, et qui sent tout à fait sa littérature familière du xviiie siècle, poésie courante, négligée, gracieuse toutefois et spirituelle, dernier souvenir d’un genre ancien et qui s’efface.
L’abbé Le Dieu, ancien secrétaire de Bossuet, étant allé visiter Fénelon à Cambrai en septembre 1704, fut invité à dîner et à souper avec le prélat, et il nous a laissé un détail minutieux de tout ce dont il fut témoin en ce palais où régnait la politesse : « M. l’archevêque, dit-il, prit la peine de me servir de sa main de tout ce qu’il y avait de plus délicat sur sa table ; je le remerciai chaque fois en grand respect, le chapeau à la main, et chaque fois aussi il ne manqua jamais de m’ôter son chapeau, et il me fit l’honneur de boire à ma santé. » Du temps de M. de Luynes, il paraît que l’usage ordinaire de dîner le chapeau sur la tête subsistait encore, puisqu’il remarque qu’on se découvre quand on dîne avec le roi. […] Chauvelin, il disait : « Il s’ennuyait de ce que je vivais trop longtemps ; c’est un défaut dont je n’ai pas envie de me corriger si tôt. » Rencontrant dans un de ses salons, au milieu de trente personnes, M. de Bissy, dont on lui avait apparemment rapporté quelque propos, il va droit à lui, et le regardant en face : « Monsieur, vous voyez que je me porte bien ; cependant je ne mets point de rouge pour me donner un bon visage. » M. de Puységur, qui avait quatre-vingt-quatre ans77, demandait depuis longtemps d’être chevalier de l’Ordre, et il pressait là-dessus le cardinal, qui lui répondit tout naturellement : « Monsieur, il faut un peu attendre. » L’archevêque de Paris, M. de Vintimille, fort âgé, mais un peu moins que le cardinal, sollicitait un régiment pour son neveu, et faisait remarquer au cardinal qu’il importait de l’obtenir promptement, d’autant plus que, quand lui, oncle, ne serait plus là, ce serait pour le jeune homme un grand appui de moins : « Soyez tranquille, répondait le cardinal, je m’engage à lui servir de père et de protecteur. » Sur quoi M. de Vintimille, malgré toute sa politesse, ne put s’empêcher d’éclater : « Pour moi, monseigneur, je sens bien que je suis mortel, mais je me recommande à Votre Immortalité. » Jamais on n’a mieux compris qu’en lisant les présents mémoires cette lente et coriace ténacité, ce doux et câlin acharnement au pouvoir qui caractérise l’ancien précepteur de Louis XV. […] Un jour qu’il est allé masqué au bal de l’Opéra en compagnie du comte de Noailles, il en parle au cardinal et lui dit que c’est M. de Noailles qui, pour dépister les curieux, a fait le rôle du roi et a fort bien joué tout le temps son personnage. « Oui, sire, reprend le cardinal ; mais j’ai ouï dire qu’il avait fait Votre Majesté un peu trop galante. » Le roi piqué fut un moment sans répondre, et il dit ensuite d’un ton sec : « J’en suis content, il n’a fait que ce que je lui ai ordonné. » Et il tourna le dos à son ancien précepteur qui croyait l’être toujours.
Avec les Anciens, on n’a pas les moyens suffisants d’observation. Revenir à l’homme, l’œuvre à la main, est impossible dans la plupart des cas avec les véritables Anciens, avec ceux dont nous n’avons la statue qu’à demi brisée. […] comment s’y prendre, si l’on veut ne rien omettre d’important et d’essentiel à son sujet, si l’on veut sortir des jugements de l’ancienne rhétorique, être le moins dupe possible des phrases, des mots ; des beaux sentiments convenus, et atteindre au vrai comme dans une étude naturelle ?