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304. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIX. Panégyriques ou éloges composés par l’empereur Julien. »

Plus le prince a de réputation, plus cet intérêt augmente ; on aime à voir un homme admiré dans sa cour et sur les champs de bataille, écrire et penser dans son cabinet, et parler en philosophe aux peuples qu’il sait gouverner en roi. […] Ce poète, que quelques hommes ont trouvé ridicule, et que des milliers d’hommes ont trouvé sublime ; qu’on a déchiré avec excès, parce qu’on l’admirait avec fanatisme ; et qui a fait des partis et des sectes, comme tout ce qui ébranle fortement les hommes, régnait alors sur la poésie et l’éloquence, comme Platon sur la philosophie.

305. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXX. De Fléchier. »

Il faut admirer l’orateur qui, à force d’art, d’esprit, de peinture de mœurs et de philosophie, tantôt délicate et tantôt profonde, vient à bout de suppléer à ce que son sujet lui refuse72, et il ne faudrait pas condamner ceux qui ont eu moins de succès. […] Je passe rapidement sur tous les discours, pour venir à celui qui a, et qui mérite en effet le plus de réputation ; c’est l’éloge funèbre de Turenne, de cet homme si célèbre, si regretté par nos aïeux, et dont nous ne prononçons pas encore le nom sans respect ; qui, dans le siècle le plus fécond en grands hommes, n’eut point de supérieur, et ne compta qu’un rival ; qui fut aussi simple qu’il était grand, aussi estimé pour sa probité que pour ses victoires ; à qui on pardonna ses fautes, parce qu’il n’eut jamais ni l’affectation de ses vertus, ni celle de ses talents ; qui, en servant Louis XIV et la France, eut souvent à combattre le ministre de Louis XIV, et fut haï de Louvois comme admiré de l’Europe ; le seul homme, depuis Henri IV, dont la mort ait été regardée comme une calamité publique par le peuple ; le seul, depuis Du Guesclin, dont la cendre ait été jugée digne d’être mêlée à la cendre des rois, et dont le mausolée attire plus nos regards que celui de beaucoup de souverains dont il est entouré, parce que la renommée suit les vertus et non les rangs, et que l’idée de la gloire est toujours supérieure à celle de la puissance.

306. (1860) Cours familier de littérature. IX « Le entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier (2e partie) » pp. 81-159

X Le duc de Laval parut conserver pendant toute sa vie pour la belle Juliette un sentiment tendre, mais désintéressé, qui ne demandait sa récompense qu’au plaisir même d’admirer et d’aimer. […] Ballanche n’avait rien reçu de la nature pour séduire ni pour attacher : d’une naissance honorable, mais modeste, d’extérieur disgracieux, d’un visage difforme, d’un langage embarrassé, d’une timidité enfantine, d’une simplicité d’esprit qui allait jusqu’à la naïveté, Ballanche ne se faisait aucune illusion sur cette absence de tous les dons naturels ; mais il sentait en lui le don des dons : celui d’admirer et d’aimer les supériorités physiques ou morales de la création. […] On ne peut s’empêcher de s’incliner devant cette faculté si humble et pourtant si noble de s’absorber complétement dans ce qu’on admire et de vivre non pour soi, mais pour ce qu’on croit au-dessus de soi sur cette terre. […] « Je me représente votre petit ménage de Val-de-Loup comme le plus gracieux du monde ; mais, quand on écrira la biographie de Mathieu dans la vie des saints, convenez que ce tête-à-tête avec la plus belle et la plus admirée femme de son temps sera un drôle de chapitre. […] XXVIII M. de Chateaubriand est à Vérone, caressé, admiré, enivré de l’accueil des empereurs, des rois, des ministres ; il a emporté l’intervention française en Espagne, il touche de l’œil au ministère, sans trop de scrupule d’en précipiter son ami Mathieu de Montmorency.

307. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mars 1886. »

Eh bien non, je n’admets pas que le génie de Wagner, pas plus que celui d’un autre, ne puisse se révéler que dans un petit coin de la terre et à quelques douzaines d’initiés : le génie est le génie, la lumière est la lumière, une étoile se voit de partout ; c’est une question de hauteur, Shakespeare, Goethe, Molière, Dante, Corneille, Raphaël, Racine, Homère, Virgile, Weber, Schiller, Beethoven, Mozart, sont beaux sous toutes les latitudes, dans tous les musées, tous les théâtres, toutes les bibliothèques ; inutile de voyager pour les admirer. […] Rions de Wagner et plaignons le quand il écrit des sottises injurieuses en vers ou en prose, mais admirons le toujours et quand même, alors qu’il fait œuvre de génie ; quel insensé s’est jamais soucié de savoir ce que pensait de lui le rossignol qui charmait son oreille ! […] Si elle est réellement belle, je saurai l’admirer et rendre justice au génie de l’auteur, tout en méprisant son caractère, Je n’ai pas besoin, pour arriver à cet éclectisme, que l’on me commente éloquemment la fameuse maxime : « L’art ne connaît point de patrie. » J’ai l’esprit plus terre à terre. […] L’Allemagne victorieuse nous mépriserait si nous applaudissions la strophe de Becker : « Ils ne l’auront pas, le Rhin allemand, jusqu’à ce que les ossements du dernier homme soient ensevelis sous les vagues. »   Si l’on doit jouer à Paris le Lohengrin, que ce soit dans un théâtre libre, subventionné par la colonie allemande, qui a le droit d’admirer Wagner, mais qu’il ne soit point donné officiellement, sur un théâtre français subventionné par l’Etat, alimenté par les contribuables dont les fils, les frères sont morts en 1870. […] Non que je sois antiwagnérien au point de vue musical, au contraire ; j’aime et j’admire l’œuvre du maître de Bayreuth et des larmes d’émotion me viennent aux yeux, lorsque j’entends certains fragments des Nibelungen ; mais mon patriotisme est froissé, à l’idée qu’on jouerait sur un théâtre subventionné l’opéra d’un homme qui, ouvertement, s’est toujours montré hostile à la France.

308. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Où Quinte-Curce et Plutarque ne voient guère qu’une épopée militaire, la science moderne admire une des plus grandes œuvres de la civilisation du monde. […] Ceci n’empêche point nos historiens d’admirer la vertu de Caton et de juger l’ambition de César ; mais il faudrait, après leurs démonstrations, que l’ardeur des sentiments républicains fût bien forte pour se faire illusion sur une réalité que Cicéron et Brutus lui-même ont fini par entrevoir. […] Tant qu’elle s’en tient à la partie expérimentale et analytique de sa tâche, elle est dans le vrai, et la critique n’a qu’à enregistrer et admirer des résultats incontestables. […] Michelet et Quinet, admiraient avec nous l’organe puissant et inspiré des nouvelles idées sur l’histoire et sur la philosophie, tant on était rassasié alors des lieux communs des historiens moralistes. […] On peut admirer le génie triomphant par la force ; heureuse ou malheureuse, la vertu au service de la justice a toujours droit à la même estime.

309. (1896) Écrivains étrangers. Première série

Ceux qui admirent les chemins de fer, aujourd’hui, ne les admirent pas avec cette ardeur de naïf enthousiasme ; et ceux qui sont capables d’admirer comme faisait Whitman, ceux-là ne se sentent plus en état d’admirer les chemins de fer. […] Il admirait la ferveur des jeunes filles, nièces et pupilles de M.  […] Aussi Froude, universellement lu et admiré, n’était-il pas aimé. […] Gladstone qu’il en était venu à admirer Disraeli. […] Ils ne se fatiguent point de le lire et de l’admirer.

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