Il alla à Rome, et il s’y convertit. […] L’illumination qu’il eut à Rome ne fut que l’achèvement d’un travail secret de plusieurs années. […] Ce fut dans ces dispositions qu’il alla à Rome. […] J’ai dit que Veuillot était peut-être par-dessus tout un homme de sentiment, un poète : la Rome catholique s’empara de lui tout entier, et avec une force inouïe. […] Veuillot a refait, et très bien, la scène de Didon et d’Énée avant la grotte et avec une autre Rome à l’horizon.
La description qu’il donna, à cette époque, du Carnaval à Rome, sortit de cette méthode de travail bien plus que d’une impression sincère. […] Ce fut dans son Voyage de Rome que le sentiment de l’art commença d’entrer dans cette âme septentrionale d’Allemand, glacée et brumeuse. On dirait qu’il a écrit pour lui-même cette phrase : « L’homme le plus ordinaire devient à Rome quelque chose. […] Cependant il ne renaquit pas de manière à comprendre toutes les poésies de cette Rome qui le faisait renaître. […] ce n’était pas possible à cet épicurien prudent, à ce dilettante d’art et de jouissance sans danger, qui regagnait son Allemagne et qui emportait, parmi les plâtres achetés à Rome, son sentiment comme un plâtre de plusAh !
En passant un jour à Paris pour aller de Rome à Londres, j’appris que la duchesse de Devonshire était elle-même à Paris, à l’hôtel Meurice, allant en sens inverse de Londres à Rome. […] Sa vraie mère, Élisa Forster, devenue duchesse douairière de Devonshire, jouissait d’un douaire immense ; sa beauté, dont on voyait les vestiges, se lisait encore dans la délicatesse transparente de ses traits ; son esprit était tourné aux grandes choses, politique, arts, littérature ; sa fortune, toute consacrée aux artistes, lui donnait le rôle d’un Mécène européen à Londres, à Paris, à Rome. Elle habitait Rome ; son palais était une cour de distinction en tout genre : hommes d’État, poètes, écrivains, peintres, sculpteurs, savants de toutes les nations s’y réunissaient à toute heure. Le plus assidu et le plus cher de ses familiers était le cardinal Consalvi, le plus fénelonien des hommes, l’ami plus que le ministre de Pie VII ; elle adorait ce cardinal ; il influençait par elle la cour de Saint-James, elle gouvernait par lui Rome et les beaux-arts, cette royauté de l’étude. […] Les vers étaient beaux, raciniens, bibliques, dignes d’une main qui avait façonné tant de prose en rythmes aussi sonores que les plus beaux vers ; l’originalité seule manquait : c’était un écho de Racine et de David, ce n’était ni David ni Racine : c’était leur ombre, un pastiche d’homme de génie, mais pastiche ; cela ressemblait aux tragédies en monologues du Piémontais Alfieri, ce faux Sénèque d’une fausse Rome.
Coeffeteau, plus bel esprit, plus adonné aux lettres profanes, écrivait une histoire de Rome sous les empereurs, d’un style doux, coulant, précis, non moins nouveau que la modération théologique de Duperron. […] Et plus haut : Rome, qui fut si glorieuse Au temps de sa grande beauté, N’eut jamais tant de majesté Dans sa parole impérieuse7. […] Quelques-unes, écrites de Rome, pourraient être regardées comme les premiers modèles de cette description passionnée où notre siècle a excellé. Elles forment, à l’avantage de Balzac, contraste avec la sécheresse des lettres écrites de Rome et d’Italie par Montaigne, resté froid parmi ces grandeurs passées, qui remplissent l’imagination de Balzac. […] On pourrait reconnaître, dans la Relation à Ménandre, de grands traits de mélancolie, que Pascal semble avoir recueillis et placés en meilleur lieu ; dans la fameuse lettre sur Rome, et dans beaucoup de pensées de religion, la hardiesse et la pompe solide de Bossuet ; dans Aristippe et le Prince, des portraits que La Bruyère n’a fait que retourner.
Le catholicisme n’est pas à Paris ; il est à Rome. C’est Rome qu’il faut convertir. […] Rome a-t-elle fait un pas, je ne dis pas vers la tolérance, mais vers l’intelligence des conditions sur lesquelles repose la société européenne ? […] Or Rome n’a pas jusqu’ici fait un pas dans cette voie d’accommodement raisonnable, et tant qu’elle n’a point parlé, ou plutôt tant qu’elle parle dans le sens contraire, les plus nobles paroles des plus nobles esprits sont absolument non avenues : aucun d’eux n’a mission pour traiter au nom de l’Église. […] La philosophie, à laquelle on reproche les incertitudes de la science, peut demander, au nom de Bossuet et de Rome, si l’église de Luther et de Calvin offre plus de sécurité, de fixité de doctrine.
L’épopée même, que n’avait plus osée le second âge de création de la Grèce, l’âge des Eschyle et des Pindare, fut reprise avec une industrie d’imagination que devait imiter Rome ; et, dans l’arrière-saison de sa langue, Apollonius de Rhodes sut donner à la passion de Médée une verve de poésie et d’amour, dont les couleurs enrichissaient plus tard l’idiome jeune encore et le génie de Virgile. […] N’est-ce pas une autre singularité, que, deux siècles après, quand la prédiction du poëte était en effet accomplie, Horace, qui, n’aimant avec passion qu’Homère, Sophocle, Platon et toute leur famille, n’ignorait cependant aucun de ces poëtes alexandrins imités par Catulle et Virgile, ait construit une belle ode sur cette origine troyenne de Rome et ce devoir de venger Troie, sans la relever cependant ? […] Moi, Théocrite, qui écrivis ces vers, je suis du peuple de Syracuse, fils de Proxagoras et de l’illustre Philine ; et je n’ai jamais détourné vers moi la gloire d’une muse étrangère. » Né sous le règne de Hiéron jeune, au temps du déclin de la Grèce, devant la fortune croissante de Rome, il trouvait dans Syracuse de grands souvenirs des lettres, l’hospitalité donnée à Pindare, à Platon, la comédie d’Épicharme ; et il se sentit de bonne heure sans doute appelé à renouveler, sous une autre forme, cette gloire poétique. […] La puissance des Ptolémées, leurs possessions en Asie et dans la mer Ionienne, tout cet héritage du génie grec, destiné à tomber bientôt sous la main guerrière de Rome, sont noblement décrits. […] Les Grecs, modèles pour Rome et pour nous de l’idylle champêtre, n’étaient cette fois que des imitateurs.