J’ai, répondit l’Italien, les mêmes plaintes à me faire à moi-même au sujet de la poésie française ; je crois savoir assez bien votre langue ; j’ai beaucoup lu vos poètes ; cependant les vers de Chapelain, de Brébeuf, de Racine, de Rousseau, de Voltaire, tout cela est égal à mon oreille, elle n’y sent que de la prose rimée. […] C’est comme si on disait : un étranger très médiocrement versé dans la langue française, s’apercevra aisément que le style de nos vieux et mauvais poètes n’est pas celui de Racine ; donc cet étranger sera en état de bien écrire en français. […] Or je voudrais que ce Protée, si habile à imiter tous les styles en latin, se fût avisé d’écrire en français, et d’imiter la manière de Racine, de Despréaux, de La Fontaine, de Corneille, de M. de Voltaire, en un mot de quelqu’un de nos bons auteurs.
Le pauvre homme ne pouvait pas en rendre de bien utiles ; mais son sentiment suffisait à l’acquitter. « Ne montrez ces vers à personne, écrivait-il à Racine, car Mme de La Sablière ne les a pas encore vus. » Il lui gardait ainsi la seule chose qu’il pût donner, des prémices. […] Racine.
Mais il importe de distinguer, dans ce qu’excitent en moi Montesquieu ou Pascal, Racine ou Victor Hugo, ce qui est en moi, de ce qui est en eux. […] Il ne s’agit pas seulement de reconnaître ce qui a été vraiment pensé, senti, exprimé par Montaigne et Pascal, par Racine et Victor Hugo ; mais dans ce qui va au-delà de ce qu’on peut raisonnablement appeler leur sens, au-delà des plus fines suggestions qu’on a droit de rapporter encore à leur volonté plus ou moins consciente, dans ce qui n’est plus vraiment que moi, lecteur, réagissant à une lecture comme je réagis à la vie, il ne faut tout de même pas confondre ce qui est le prolongement, l’effet direct, normal, et comme attendu de la vertu du livre, avec ce qui ne saurait s’y rattacher par aucun rapport et ne sert à en comprendre, à en éclairer aucun caractère.
On a loué madame Racine de n’avoir jamais lu les tragédies de son époux. […] M. Racine le fils*.
Mais si on avait, comme je le suppose, un désir sincère de les convertir en les effrayant, on pouvait, ce me semble, faire agir un intérêt plus puissant et plus sûr, celui de leur vanité et de leur amour-propre ; les représenter courant sans cesse après des chimères ou des chagrins ; leur montrer d’une part le néant des connaissances humaines, la futilité de quelques-unes, l’incertitude de presque toutes ; de l’autre, la haine et l’envie poursuivant jusqu’au tombeau les écrivains célèbres, honorés après leur mort comme les premiers des hommes, et traités comme les derniers pendant leur vie ; Homère et Milton, pauvres et malheureux ; Aristote et Descartes, fuyant la persécution ; le Tasse, mourant sans avoir joui de sa gloire ; Corneille, dégoûté du théâtre, et n’y rentrant que pour s’y traîner avec de nouveaux dégoûts ; Racine, désespéré par ses critiques ; Quinault, victime de la satire ; tous enfin se reprochant d’avoir perdu leur repos pour courir après la renommée. […] Tant pis pour vous cependant, si Corneille et Bossuet ne vous ont pas élevé l’âme, si Racine ne vous a pas arraché des larmes, si Molière ne vous a pas paru le plus grand peintre du cœur humain, si vous ne savez pas.
Si cet esprit est une forme littéraire et gouverne un âge entier, l’écrivain est un Racine.