En France nul n’a mieux conçu et pratiqué cette magie des syllabes, cet assemblage et cet accord des mots heureux et beaux par eux-mêmes, que M. de Chateaubriand ; et quoiqu’il l’ait fait avec préméditation, avec artifice, il y a tout lieu de l’en remercier comme du plus grand service rendu au goût, après l’excès de métaphysique et la débauche d’abstraction qui avait précédé.
Je ne ferai que citer à la file nombre de ces tentatives moins ambitieuses de réhabilitation, ou plutôt de ces exhumations toutes provinciales de poètes du xvie siècle : Alexandre, surnommé le Sylvain de Flandre, et dont le vrai nom était Van den Bussche, qui vint en France à la Cour des Valois, se polir, se galantiser, rimer dans le goût, du temps et mériter ce nouveau nom travesti de Sylvain ; qui fut mis en prison pourtant l’année même de la Saint-Barthélemy, et peut-être pour n’en avoir pas approuvé les horreurs54 ; — et Blaise Hory, un poète Suisse de Neufchâtel, pasteur d’un petit village bernois55, — et Loys Papon, chanoine de Mont-brison, cher aux Forésiens et aux bibliophiles plus à bon droit qu’aux poètes56 ; — et Julien Riqueur de Séez, l’ami de Bertaut57 ; — et Guy de Tours58 ; — et André de Rivaudeau, le poitevin59, etc., etc. : — et Nicolas Ellain, poète parisien, aussi enterré qu’un poète de province60. — Enfin, nous attendons de jour en jour Pierre de Brach, le poète bordelais, l’ami de Montaigne, que le jeune érudit, M.
Tel était, vu de près et selon des témoins venus d’Allemagne, d’Italie et de France, le héros de roman et de drame poétisé et platonisé à distance par Schiller, celui dont il a voulu faire, en plein XVIe siècle, le Cid et le Rodrigue des idées libérales du XVIIIe.
Ce dédain en France a dès longtemps cessé.
c’est qu’en France la poésie toute seule, dans sa simplicité et son charme nu, ne nous touche que médiocrement ; c’est que le vœu tout pastoral de l’ancien berger fait moins d’effet que si on le met dans la bouche d’une bergère, d’une Estelle, d’une Nina quelconque, d’une infortunée.
En France, depuis l’ouverture de notre grand siècle littéraire, nous avons toujours eu de l’imitation et des réminiscences jusque dans l’originalité : c’est ce qu’on appelle être classique.