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145. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

Diaz, auteur de la Coupe du Roi de Thulé, serait fâché de voir représenté à Paris, avant un drame de lui, l’œuvre d’un confrère étranger. […] Je crois bien que les noms des compositeurs de cette école, fort connus chez nous, ne sont plus étrangers au public français ; je pense même que dans les théâtres ou les concerts parisiens vous entendrez bientôt, au moins en partie, les œuvres principales de MM.  […] Mais cette forme étrangère ne pouvait s’acclimater, puisque, pour les appliquer, il fallait forcer la langue outre mesure et se priver d’autres formes poétiques plus belles et plus variées. […] Certainement la langue et la poésie allemandes lui doivent beaucoup ; par lui nous avons compris qu’au point de vue de la parole seulement, la lyrique allemande ne peut dériver d’une origine artistique et populaire en même temps, et surtout que la poésie allemande ne doit pas attendre son salut de l’acclimatation de formes étrangères. Puis Platen a démontré de quelle expression, de quelle grâce, de quelle eurythmie et de quelle sonorité est capable la langue allemande ; ayant toutes ces qualités avec une forme étrangère, que ne pourra-t-elle atteindre à l’avenir lorsqu’elle s’exprimera avec des formes à elle, moulées sur elle !

146. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

Sainte-Beuve, empêché par sa santé, la page suivante, qui est un hommage tout littéraire rendu au savant et à l’ami : « Messieurs, ce ne serait point à moi de venir prononcer quelques paroles en l’honneur du savant homme dont le cher et respecté souvenir nous réunit dans cette commémoration funèbre : ce serait à quelqu’un de ses vrais collègues, de ses pairs (parcs), de ses vrais témoins et juges en matière d’érudition : mais ils sont rares, ils sont absents, dispersés en ce moment ; — mais quelques-uns de ces meilleurs juges de l’érudition de Dübner sont hors de France, à Leyde, à Genève, dans les Universités étrangères ; mais Dübner en France, aussi modeste qu’utile, aussi absorbé qu’infatigable dans ses travaux, n’appartenait à aucune académie, et tandis que son illustre compatriote et devancier parmi nous, M. Hase, mourait surchargé de titres, de places et d’honneurs bien mérités, Dubner, à l’âge de plus de soixante ans comme au premier jour, n’était rien qu’un travailleur isolé, tout entier voué à l’exécution des grandes entreprises philologiques qui roulaient sur lui, dont il était la cheville ouvrière et l’âme, se dérobant, ne s’affichant pas, étranger au monde, n’ayant au dehors que les relations strictement nécessaires, enseveli, comme il le disait, dans sa vie souterraine au fond de sa mine philologique, et tout semblable à l’un de ces mineurs du Erzgebirge auquel lui-même il se comparait ingénieusement. […] Lui étranger, il aurait manqué en cela du plus simple esprit de conduite.

147. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

Ils se réduisent à l’intelligence, comme si l’homme n’était que cela ; ils appellent conscience le sentiment que le principe intelligent a de lui-même, comme si c’était là tout le sentiment dans l’homme ; les phénomènes qui se passent hors de la portée de la conscience ainsi définie sont déclarés extérieurs au moi véritable, étrangers à l’homme réel. […] Il est associé intérieurement à la force vitale qui lui est étrangère ; il tient extérieurement aux organes de relation qui ne lui sont pas moins étrangers ; il vit pourtant ; il vit en lui-même par la pensée, comme si la pensée pouvait dans la réalité se séparer jamais d’un mouvement et d’un sentiment ; il vit quoique frappé de mort dans sa sensibilité intestine et dans son expansion rayonnante ; il vit comme un arbre qu’on aurait séché dans ses racines ; et qu’on mutilerait ensuite dans ses ramures ; il vit dans le château fort de l’âme, comme une garnison assiégée à qui l’assiégeant aurait coupé la source intérieure, le puits profond d’eau vive, et qui, n’osant sortir de la poterne pour descendre au fleuve, n’aurait plus d’espoir qu’en la manne mystique et céleste.

148. (1875) Premiers lundis. Tome III « Nicolas Gogol : Nouvelles russes, traduites par M. Louis Viardot. »

Voilà bien des années que les traductions des écrivains et poëtes étrangers, autrefois si fréquentes et si en vogue, se sont ralenties. Le grand mouvement qui animait les littératures étrangères durant les trente premières années du siècle, et qui se fit si vivement sentir en France sous la Restauration, s’est graduellement calmé, comme tant de choses, et il ne présente plus à l’intérêt qu’une surface immense que sillonnent en tous sens des voiles empressées, mais où ne se signale de loin aucune escadre imposante, aucun pavillon bien glorieux. […] rien que des visages inconnus, étrangers !

149. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Nicolas Gogol »

pour le coup, voici la Russie sans mélange, virginale, la Russie pure, le diamant brut, mais d’autant plus précieux qu’il n’a jamais été rayé par une influence étrangère !  […] Les Russes ne seraient donc russes que par nostalgie, ou par vanité devant l’étranger ? Il dit positivement, dans sa confession d’auteur : « Les Russes ne se parlent qu’à « l’étranger ; en Russie, ils ne s’adresseraient pas une parole ».

150. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Prosper Mérimée. » pp. 323-336

Mérimée s’était teint, avec ou sans dessein, de littérature étrangère. […] Mérimée, avec des reflets de littérature étrangère transportés avec art et surtout avec ménagement, obtint dans la littérature de son pays une originalité relative, et ce succès de nouveauté qui est au succès du talent ce qu’est à un cerf-volant brillant et bien construit le fort coup de vent qui l’emporte. […] Mérimée n’aurait jamais manqué de sources d’inspiration étrangère et de modèles à imiter, comme il les imite, en les réduisant, car le trait caractéristique de l’imitation sans enthousiasme, mais sans entraînement, de M. 

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