/ 2432
572. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Baudelaire  »

A une époque aussi dépravée par les livres que l’est la nôtre, Les Fleurs du mal n’en feront pas beaucoup, nous osons l’affirmer. […] Il y a du Dante, en effet, dans l’auteur des Fleurs du mal ; mais c’est du Dante d’une époque déchue, c’est du Dante athée et moderne, du Dante venu après Voltaire, dans un temps qui n’aura point de saint Thomas. […] Il appartient à une époque troublée, sceptique, railleuse, nerveuse, qui se tortille dans les ridicules espérances des transformations et des métempsycoses il n’a pas la foi du grand poète catholique, qui lui donnait le calme auguste de la sécurité dans toutes les douleurs de la vie. […] Ces singuliers caméléon s, qui renvoient des couleurs plus brillantes au prisme de leur temps que celles qu’ils en reçoivent, se teignent le plus souvent de quelque passion de leur époque, qu’ils n’auraient certainement pas eue s’ils étaient venus plus tôt ou plus tard… Milton, le chantre de la Révolte, est d’un temps où les mœurs étaient régicides.

573. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

Comment ce qui semblait manquer aux beaux jours de la république, à l’époque où elle avait produit de si grands hommes, lui fut-il donné sous le joug d’un maître habile mais sans grandeur, indigne par ses premiers crimes des éloges qu’à mérités la modération prudente de ses dernières années ? […] Évidemment, son premier progrès de politesse avait anticipé, de longue date, sur l’époque nommée le siècle d’Auguste. Par la vérité, la raison fine, la justesse élégante et parfois la délicatesse morale, Térence avait devancé les écrivains de cette époque. […] Gardons-nous, soit d’exagérer, soit de méconnaître le principe dominant de cette époque mémorable.

574. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

En parcourant d’un œil attentif toutes ces belles cartes réunies par un lien historique, dans cet atlas si admirablement groupé pour mettre l’univers en relief sous vos mains comme dans une exposition plastique du monde à toutes ses grandes époques, où tout ce qui est essentiellement mobile dans la configuration des empires parut un moment définitif, on sait tout de l’homme et tout de la terre politique ; on marche à travers les lieux et les temps avec un interprète qui sait lui-même toutes les langues et tous les chemins. […] Je tapisserais ensuite les murailles blanches de ma pauvre école avec les cartes de l’atlas Le Chevalier ; je mènerais par la main mes petits astronomes et mes petits géographes d’abord devant le globe, puis devant ces cartes où ce globe se décompose en surfaces planes sur lesquelles sont gravées, époque par époque, les superficies terrestres qui furent, ou qui sont, ou qui seront des empires humains.

575. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre I : La science politique au xixe  siècle »

Chapitre I : La science politique au xixe  siècle2 A toutes les grandes époques de liberté intellectuelle, on a vu la philosophie s’unir à la politique, lui prêter ou en recevoir des lumières. […] Il nous apprend « que toutes choses ne sont pas dans le monde comme elles devraient l’être. » Il nous assure que lorsque le peuple aura le suffrage universel, « les enfants ne demanderont plus à leurs pères le pain qui leur manque et que le vieillard rassasié de jours se réjouira dans le pressentiment intime et mystérieux d’un nouveau printemps et d’une nature nouvelle. » Les seules idées qui aient un peu de corps dans ces écrits sont celles qu’il emprunte à l’école socialiste, école plus riche en penseurs que l’école démocratique, et qui précisément à cette époque commençait à s’allier à elle. […] A cette époque, le tout absorbe les parties, l’État l’individu, l’humanité les peuples et les républiques.

576. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VI. M. Roselly de Lorgues. Histoire de Christophe Colomb » pp. 140-156

Et la seconde fut l’idée du Moyen Âge tout entier, de l’époque chrétienne par excellence, la délivrance du Saint-Sépulcre, cette idée qui n’habitait plus alors qu’au fond de quelques grandes âmes isolées. […] Sans la rédemption, le Saint-Sépulcre, le prosélytisme de la foi et de l’amour qui brûlait dans ce vieux pilote, ayant passé déjà quarante ans de vie à la mer, et qui n’en portait pas moins le cordon de saint François autour des reins et vivait, à bord, de la contemplation séraphique autant que de la contemplation de la nature, sans le catholicisme enfin et sa grâce divine, Christophe Colomb n’aurait été qu’un rêveur de plus, parmi les marins qui rêvaient, car à son époque le vent des découvertes soufflait sur tous les fronts et agitait tous les esprits. […] Ce qui se dit à une époque ne doit-il pas également se dire à toutes, et catholique ne signifie-t-il pas universel ?

577. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Gaston Boissier » pp. 33-50

Gaston Boissier n’est pas encore de l’époque des tabourets… Il a du talent, — un talent agréable, — agreabilis, comme disait M. de Jouy, une des gloires latines de l’Académie française. […] J’ai parlé plus haut de Sénèque comme d’un chrétien anticipé, et que saint Paul, pour qu’il le fût, n’avait pas besoin de convertir ; — de Sénèque, qui, par parenthèse, fut à son époque un éclectique et un sceptique comme M.  […] Les femmes, qui expriment mieux que les hommes l’imagination religieuse d’une race, les femmes, « très pieuses à leurs dieux » dans cette époque de dévotion universelle, allaient à Isis et à Cybèle sans cesser d’aller à Junon et à Diane, comme, plus tard, elles devaient aller à Jésus… Seulement, il ne faut pas oublier de marquer ce que l’auteur de La Religion romaine oublie : c’est qu’une fois à Jésus, elles ne revenaient pas à Junon et à Diane, et que Junon et Diane ne leur avaient jamais fait faire ce que le Christianisme, qu’on veut diminuer en l’expliquant, leur fit faire, en raison de deux choses que ne connaissaient pas ces misérables religions anciennes : l’absolu de son dogme et le péremptoire de sa loi.

/ 2432