Il suffira de quelques conseils bien simples, bien évidents pour former le style ; quand l’esprit saisit bien, quand le cœur sent bien, quand on a échappé à la tyrannie paresseuse de la mémoire, on n’écrit jamais mal et l’on est tout près de bien écrire.
Tandis qu’on recommence un nouvel article, le précédent nous échappe ; nous cessons de voir les liaisons que les faits ont entre eux ; nous retombons dans la confusion à force de méthode, et la multitude des conclusions particulières nous empêche d’arriver à la conclusion générale.
Personne, en l’approchant, n’échappait au désir de lui plaire ; son agrément irrésistible s’étendait jusque sur les femmes161. […] Enfin les sentiments de M. de La Rochefoucauld cessent positivement d’être la boussole de Mme de Longueville : elle semble accueillir sans défaveur les hommages de M. de Nemours ; elle les perd peu après par l’intrigue de Mme de Châtillon, qui les ressaisit comme son bien, et qui en même temps trouve moyen d’obtenir ceux du prince de Condé, lequel échappe de nouveau à la confiance de sa sœur. […] mais la princesse oubliait, continue M. de Chateaubriand, qu’elle-même avait été aimée de Henri IV, qu’emmenée à Bruxelles par son mari, elle avait voulu rejoindre le Béarnais, s’échapper la nuit par une fenêtre et faire ensuite trente ou quarante lieues à cheval ; elle était alors une pauvre misérable de dix-sept ans. » 168. […] Par exemple dans ce passage, qui échappe presque à force de ténuité, à force de dédoublement et de reploiement du cheveu de la pensée.
Caché sous le faux nom de l’abbé de Chaulieu, Voltaire échappa à la vengeance de l’Église et du gouvernement. […] De temps en temps, il s’échappait de sa retraite pour aller à Paris apporter un nouveau chef-d’œuvre au théâtre. […] Averti à temps d’un danger de persécution, soit du côté de Paris, soit du côté de Genève, soit du côté de l’aristocratie de Berne, il pouvait échapper en une heure à toutes les embûches ou à toutes les oppressions. […] Cette lutte, dans laquelle il échappait par l’anonyme, par le désaveu de ses ouvrages les plus notoires, et par les démonstrations extérieures de religion les plus sacriléges à la persécution toujours suspendue sur sa tête, fut une lutte de ruse autant que d’audace.
Cet objet, qui échappe toujours quand on croit le tenir, roule alors à travers la pièce en ramassant sur sa route des incidents de plus en plus graves, de plus en plus inattendus. […] Un mari persécuté croit échapper à sa femme et à sa belle-mère par le divorce. […] Nous sentons en lui quelque chose qui vit de notre vie ; et si cette vie du langage était complète et parfaite, s’il n’y avait rien en elle de figé, si le langage enfin était un organisme tout à fait unifié, incapable de se scinder en organismes indépendants, il échapperait au comique, comme y échapperait d’ailleurs aussi une âme à la vie harmonieusement fondue, unie, semblable à une nappe d’eau bien tranquille.
Il a le parler haut et libre ; « il lui échappe d’abondance de cœur des raisonnements et des blâmes. » Très pointilleux et récalcitrant, « c’est chose étrange, dit le roi, que M. de Saint-Simon ne songe qu’à étudier les rangs et à faire des procès à tout le monde. » Il a pris de son père la vénération de son titre, la foi parfaite au droit divin des nobles, la persuasion enracinée que les charges et le gouvernement leur appartiennent de naissance comme au roi et sous le roi, la ferme croyance que les ducs et pairs sont médiateurs entre le prince et la nation, et par-dessus tout l’âpre volonté de se maintenir debout et entier dans « ce long règne de vile bourgeoisie. » Il hait les ministres, petites gens que le roi préfère, chez qui les seigneurs font antichambre, dont les femmes ont l’insolence de monter dans les carrosses du roi. […] Il s’échappait ; au fort de l’action, l’ouragan intérieur l’emportait ; on avait peur de lui ; personne ne se souciait de manier une tempête. […] Saint-Simon est un poète épique ; le pour, le contre, les partis mitoyens, l’inextricable entrelacement et les prolongations infinies des conséquences, il a tout embrassé, mesuré, sondé, prévu, discuté ; le plan exact du labyrinthe est tout entier dans sa tête, sans que le moindre petit sentier réel ou imaginaire ait échappé à sa vision. […] Vous diriez des vices et des vertus échappés de l’Éthique d’Aristote, habillés d’une robe grecque ou romaine, et occupés à s’analyser et à se réfuter.