. — Alors, plus de ces discussions d’école, mais une impression grandiose et austère, une foi contagieuse, une soudaine simplicité de cœur, une absorption spirituelle de la vision poétique, dont l’âme reste bouleversée, et des jeunes filles qui, devant le prêtre du Graal élevant la coupe de vie, fondent en larmes comme au jour de leur première communion » (p. […] Oui… » ou bien, à propos de Tristan : « Peu me soucie que Wagner, philosophe, ait songé à l’anéantissement, à l’effacement de la personnalité dans l’inconscience infinie ; en dépit de tout, et de l’auteur lui-même s’il le faut, le chant final d’Iseult est le chant de l’amour immortel, l’hymne des âmes réunies à jamais. » Il est bien étonnant que ceux-là même qui définissent ainsi l’artiste, aient fait de Wagner leur maître de prédilection, quand ils avaient à portée de leur esprit Berlioz, qui n’avait pas de théories arrêtées, qui produisait suivant son inspiration, tantôt bien, tantôt mal, mais sans savoir pourquoi : celui-là est le véritable artiste selon leur cœur. […] L’intérêt de la pièce repose sur un conflit moral qui se noue et se dénoue dans l’âme d’Elsa. […] Mais son âme se brise de douleur à la pensée d’Elsa… hélas ! […] Elsa, c’est la femme, curieuse, prompte à l’oubli, tendre cependant, aimante, et fragile d’âme et de corps.
En tout cas, voici ce que La Fontaine se dit à lui-même : « Douze lustres et plus ont roulé sur ta vie : De soixante soleils la course entre-suivie Ne t’a pas vu goûter un moment de repos ; Quelque part que tu sois, on voit à tout propos L’inconstance d’une âme en ses plaisirs légère, Inquiète et partout hôtesse passagère. […] Il était l’objet des railleries de ses meilleurs amis. » Ceci est bien dur, nous suffoque un peu, mais il y a là certainement une âme de vérité, comme dit Spencer, car vous voyez que c’est de son père et de ses sœurs surtout que Louis Racine tient ses renseignements. […] Nos noms unis perceront l’ombre noire ; Vous régnerez longtemps dans la mémoire Après avoir régné jusques ici Dans les esprits, dans les cœurs même aussi… Philis, vous seriez la première, Vous auriez eu mon âme tout entière, Si de mes vœux j’eusse pu présumer. […] Il prépare si bien l’amant et la maîtresse, Que leur âme, au seul nom, s’émeut et s’intéresse. […] Faut-il que tant d’objets si doux et si charmants Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ?
Dieu seul sait la distance entre nous, Seul il sait quels degrés de l’échelle de l’être Séparent ton instinct de l’âme de ton maître ; Mais seul il sait aussi, par quel secret rapport. […] Remarquez qu’autour de lui il y avait des gens qui croyaient à l’âme des bêtes, mais ils croyaient à leur âme plus qu’à leur esprit, plus qu’à leur intelligence. […] L’argument consiste à dire que la bête est sensible, a des sentiments, que par conséquent elle est une âme. […] Il sait très bien, et il l’a assez montré et voulu le montrer, que l’animal est une âme, mais il veut, de plus, qu’il soit une intelligence.
Qui ne fut pas alors atteint, qui ne fut pas choqué et ne sentit pas la rougeur s’élever des plus délicates sources de son âme ? […] L’ambition du Christianisme était de faire des âmes et des esprits. […] …) et de grande volonté, et ensemble, soulevés d’une grande alacrité d’âme, mettez-vous simplement à marcher devant le peuple. […] Guenille de chrétien, ne l’est-il pas, par exemple, quand il dit, comme nous, que les nations ne sont divisées que parce qu’elles sont l’image de nos âmes, divisées comme elles, et que l’anarchie de tout un peuple n’est que l’anarchie de chacun de nos cœurs ? […] En folies, vous y trouverez, par exemple, que Rousseau, l’abject Rousseau, est une âme charmante, et le grand Daniel O’Connell, un saltimbanque, et, ce qui surpasse tout en fait de délire, c’est que les haines et les sanguinolences de la Révolution viennent de ceux qui lui ont résisté, et que les victimes étaient les bourreaux !!!
Quoi qu’il en soit, la littérature ne fleurit vraiment que dans un groupe constitué normalement, susceptible d’évolution et fortement conscient ; ailleurs, c’est la vie pratique, calculatrice, au jour le jour, sans foi et sans poésie, parce que sans âme. […] Ce n’est pas la masse, c’est un individu qui crée le Parthénon, la Divine Comédie, et la Marseillaise ; c’est un individu qui trouve la formule d’un monde nouveau, formule absolument vraie pour lui qui l’a tirée de ses entrailles, et suffisamment vraie pour plusieurs générations ; et c’est un autre individu qui brise la formule vieillie, pour délivrer son âme et celle de ses frères de douleur. […] Si notre science contemporaine agit si peu, ou si mal, sur les mœurs, c’est qu’elle se contente trop souvent d’aligner des faits, sans beauté : elle ne va pas à l’âme. […] La théocratie du xiiie siècle, telle que l’a formulée par exemple saint Thomas d’Aquin nous laisse froids, heurte même notre conception du monde ; sous la forme de la Divina Commedia, elle émeut nos âmes aujourd’hui encore, comme un problème éternel ; elle nous ravit, comme au premier jour, dans la lumière de l’absolu : Luce intellettual, piena d’amore ; Amor di vero ben, pien di letizia, Letizia che trascende ogni dolzore. […] Tout s’y fond en une synthèse, fût-ce même à l’insu du créateur : le passé lointain, l’âme d’un peuple, les amours charnelles, les angoisses divines.
Mais là paraissait bien cette vérité tant de fois éprouvée : qu’il faut aux lettres une âme bien plus qu’une protection, et que nul loisir, nulle faveur, ne vaut pour elles l’agitation d’un temps libre et glorieux. […] Jusqu’à cette idée moins haute des bénédictions temporelles à joindre aux biens de l’âme, et accordées par le Dieu tout-puissant lorsqu’on les lui demande en même temps que la vertu, tout semble ici reproduit du charnel et du divin, des ombres et des clartés de la loi mosaïque, telle que la comprenait une grande partie de ses adorateurs, et telle que tous les Juifs de Palestine, de Syrie et d’Égypte, actifs, industrieux, navigateurs, commerçants, guerriers même, devaient la propager par leur exemple et leur succès. […] Par ce mélange de croyances diverses qui étaient alors le trésor commun de l’esprit poétique, ils se sont souvenus de la belle prière du stoïcien Cléanthe, disant à son Jupiter : « Nulle œuvre ne se fait sur la a terre en dehors de toi, ô Dieu, ni dans les vastes conte tours du céleste éther, ni sur la mer, hormis ce que les méchants peuvent enfanter dans leur âme. » Évidemment, sous l’impression de ces nobles élans de l’antique spiritualisme païen, le nouveau réviseur de l’hymne orphique dit précisément ici le contraire des premières paroles, qu’il transcrit et qu’il développe. […] Un tour de génie particulier, quelques accidents heureux d’imitation, quelques mouvements nouveaux de l’âme, peuvent toujours y échapper. […] Les grammairiens, les eunuques, les gens de cour, tout le faste industrieux d’Alexandrie, ont pu rejeter une âme poétique vers les simples pensées de deux pauvres pécheurs, ou les gracieux souvenirs des bergers de Sicile, comme Versailles et les courtisanes du dix-huitième siècle ont pu faire rêver le désert de Paul et Virginie, et comme les cachots de la Terreur ont inspiré les vers divins à la Jeune Captive.