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1887. (1927) André Gide pp. 8-126

Il se dit : « Je cherche à travers l’Evangile, je cherche en vain commandement, menace, défense… Tout cela n’est que de saint Paul. » Mais a-t-il bien cherché ? […] Au fond, c’est une dérision de l’action et des gens qui la prêchent à tort et à travers.

1888. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

C’est à peine si, par le regard divinateur du génie, il pouvait entrevoir une bien faible partie du développement ou plutôt du déclin futur de la poésie en Grèce, sans qu’il pût aucunement prétendre à lui imposer à l’avance des lois ; quant à la marche de l’art à travers les âges, elle était tout à fait hors de ses conjectures, comme de sa juridiction. […] Il a moins vu que deviné, ou plutôt, sans aucune faculté surnaturelle, la simple profondeur de son observation a pénétré jusqu’à ce qui devait arriver plus tard, à travers ce qui se passait alors.

1889. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Chaque pas du procès reportait à l’esprit, soit en arrière, à travers tant de siècles troublés, jusqu’aux jours où les fondements de notre constitution furent posés ; soit bien loin dans l’espace, par-dessus des mers et des déserts sans bornes, jusque parmi des nations bronzées, qui habitent sous des étoiles inconnues, qui adorent des dieux inconnus, et qui écrivent en caractères étranges de droite à gauche. […] Là-dessus, Macaulay insère une dissertation de quatre pages, fort bien faite, pleine d’intérêt et de science, dont la diversité nous repose, qui nous fait voyager à travers toutes sortes d’exemples historiques, et toutes sortes de leçons morales.

1890. (1904) Zangwill pp. 7-90

« Ainsi, tantôt crayonnant une feuille blanche, devant lui, sur le buvard, et tantôt se frottant les mains l’une dans l’autre avec vivacité, ou roulant dans les doigts, et tordant, et meurtrissant je ne sais quel méchant bristol, le regard riant à travers le double verre du lorgnon bien posé sur le nez fort, le front large, la barbe cascadante grisonnante au menton, et les pieds chaudement fourrés dans les pantoufles, M.  […] Une raie de peupliers solitaires au bout d’un champ grisâtre, un bouleau frêle qui tremble dans une clairière de genêts, l’éclair passager d’un ruisseau à travers les lentilles d’eau qui l’obstruent, la teinte délicate dont l’éloignement revêt quelque bois écarté, voilà les beautés de notre paysage ; il paraît plat aux yeux qui se sont reposés sur la noble architecture des montagnes méridionales, ou qui se sont nourris de la verdure surabondante et de la végétation héroïque du nord ; les grandes lignes, les fortes couleurs y manquent ; mais les contours sinueux, les nuances légères, toutes les grâces fuyantes y viennent amuser l’agile esprit qui les contemple, le toucher parfois, sans l’exalter ni l’accabler. — Si vous entrez plus avant dans la vraie Champagne, ces sources de poésie s’appauvrissent et s’affinent encore.

1891. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1863 » pp. 77-169

Elle avait une de ces figures minables, ainsi qu’il semble qu’il y en ait eu au moyen âge, après les grandes famines, et des yeux, dont le dévouement jaillissait, comme à travers ceux d’un chien battu. […] Le goût plus raffiné, une corruption plus suprême ; c’est ce goût de l’exotique à travers les temps : par exemple, Flaubert serait ambitieux de forniquer à Carthage, vous voudriez la Parabère ; moi, rien ne m’exciterait comme une momie !

1892. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Il aimait sa patrie à travers la révolution. […] Ils furent, pour nous, comme deux protestations vivantes contre l’oppression de l’âme et du cœur, contre le desséchement et l’avilissement du siècle ; ils furent l’aliment de nos toits solitaires, le pain caché de nos âmes refoulées, et il est peu d’entre nous qui ne leur doive ce qu’il est, ce qu’il fut ou ce qu’il sera. » Telle avait été la vie de M. de Lamartine jusqu’à la restauration : vie de voyage à Rome, à Naples, qui agrandissait la sphère de ses idées ; vie de méditations à Milly, le manoir paternel, où les heures s’écoulaient dans des courses poétiques et solitaires à travers la campagne, et dans la contemplation des magnificences de la nature, ou dans la lecture des auteurs qui l’ont le mieux peinte, parce qu’ils l’ont le plus aimée ; vie d’irritation et d’indignation concentrée pendant les courts séjours qu’il fit à Paris, où son âme, profondément poétique, fut blessée du triomphe du sabre sur toute liberté, du chiffre sur l’idée. […] Madame de Staël, que les Allemands reconnaissants appellent la bonne dame (die gute Frau), peut-être un peu dans le même sens que les contemporains de Jeanne d’Arc donnaient le même nom à ces fées bienfaisantes de Domremy, qui, suivant les superstitions locales, hantaient et protégeaient leurs fontaines, avait vu le pays, dont elle retraçait l’image, à travers le prisme d’une imagination puissante et les dispositions favorables d’un cœur bienveillant.

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