Mais elle perdit sa peine. […] Et puis, une fois sa fille séduite et perdue, il tendre un piège au roi pour la venger, c’est sa fille qui y tombera. […] L’un perdra l’autre.
Dargaud, dans sa Marie Stuart, a cette intensité ; qu’il ne la perde pas ! […] Dargaud, il ne faut pas perdre de vue qu’elle est l’expression et le témoignage d’une philosophie qui trouve aujourd’hui le protestantisme du xvie siècle une superstition tout autant que le catholicisme romain. […] Dargaud, les proportions colossales et absolues d’un type, et perdu complètement celles d’un homme et de l’homme qu’il était !
C’est la femme comme il faut, ce n’est pas la femelle moderne et ornementée de littérature orgueilleuse qui a pu écrire cette noble phrase, qui est un aperçu : « Quand, par la mort ou un changement dans les rôles qui échoient à chacun ici-bas, la femme devient chef de famille, elle perd de ses qualités sans acquérir celles qui lui seraient indispensables. […] Et voilà du reste son roman, son roman véritable, qui n’est pas l’Orpheline, mais l’adultère interrompu, mais la brebis perdue qui d’elle-même, et avec une énergie et une volonté que n’ont pas d’ordinaire ces brebis de femmes, rentre courageusement au bercail ! […] Il est impossible d’être plus perdue sans l’être tout-à-fait !
Vous-même, mon cher monsieur, vous oubliez votre sieste ordinaire après dîner, et vous vous trouvez tout d’un coup (quoique vous perdiez invariablement) très-amoureux du whist. […] Le tiers du volume, employé en avertissements, est perdu pour l’art. […] Thackeray a dû remonter au sens primitif des mots, retrouver des tours oubliés, recomposer un état d’intelligence effacé et une espèce d’idées perdue, pour rapprocher si fort la copie de l’original. […] Esmond, qui l’attend, voit la couronne perdue et sa maison déshonorée. […] « L’esprit et le génie perdent vingt-cinq pour cent de leur valeur en abordant en Angleterre. » (Stendhal.)
Mais elle manque l’instant propice ; le démon redevient plus démon que jamais, et c’est elle-même qui tombe, qui est entraînée par le ravisseur au fond de l’abîme, non repentante malgré tout, je le crains, et heureuse jusque dans sa faute de se perdre à jamais avec lui. […] aurais-je pu répondre tout le premier à M. de Vigny ; poète à mes débuts, je l’ai trop éprouvé : j’y ai perdu de bonne heure non mon feu, mais mes ailes. […] On ne les guérit qu’en les portant. » Si on le portait en effet, c’est-à-dire si on l’écoutait, si on consentait à ne rien perdre de ses paroles, si l’on perçait par-delà cette couche première et comme ce premier enduit d’un amour-propre à la fois satisfait et souffrant, on retrouvait l’amabilité, la distinction poétique infinie, les images, les comparaisons ingénieuses et méditées. […] Mais si sa carrière de défenseur et d’athlète d’Israël est perdue, si ses yeux sont à jamais éteints, les cheveux ont repoussé à Samson et avec eux ses forces : il renverse un jour le temple de Dagon, écrase d’un seul coup ses trois mille ennemis, et il est vengé, Ce Samson va rejoindre, dans l’œuvre de M. de Vigny, son Moïse, et si j’avais aujourd’hui à nommer ses trois plus beaux et plus parfaits poèmes, je dirais : Êloa, Moïse et la Colère de Samson. […] J’aurais été désolée de la perdre, car elle contient des choses ravissantes pour vous.
Elle ne se perd jamais dans l’avenir et a encore moins besoin du passé. […] Enfin, de Londres, où il venait de traduire en dix-huit mois le Paradis perdu, il laissa échapper une seconde édition, très-augmentée, du poëme des Jardins, et l’Homme des Champs (1800), dont l’impression était retardée depuis trois ans. […] Bientôt la Décade cessant, le parti philosophique perdit son organe habituel en littérature et son droit public de contradiction : le champ libre resta aux éloges. […] Il en prit à l’abbé Du Resnel de fort beaux pour l’Homme des Champs46, à Racine fils pour le Paradis perdu. […] La poésie était morte en esprit, perdue dans le délayage et les fadeurs : nous l’avons sentie, nous l’avons relevée, les uns beaucoup, les autres moins, et si peu que ce soit dans nos œuvres, mais haut dans nos cœurs ; et l’Art véritable, le grand Art, du moins en image et en culte, a été ressaisi et continué !
Mais nous n’avons perdu cette année que Boylesve et Richepin. […] Ils sont perdus de crimes, et même de dettes, comme les conspirateurs flétris par l’empereur Auguste. […] Ses lectrices n’en reviendront pas, qui, souvent, perdent pied dans les subtils enchaînements que lui fournit sans relâche sa faculté d’invention dialectique. […] Ne nous perdons pas dans les nuées. […] Paul J’ai eu les confidences d’un de mes amis intimes, qui, tout enfant, perdit aussi son père.
L’histoire, qui perd tant de choses sur la route des siècles, a complétement perdu les traces de cette filiation de la race allemande avec les Indes ; mais la langue est un témoin qu’on ne peut récuser. […] Que nous reste-t-il si nous perdons le respect au moins de notre misère ? […] Je venais ici pour précipiter par la violence le moment de la possession, et je me perds en songes de respectueux amour. […] Non, je suis de cœur et d’esprit auprès d’elle ; je ne puis jamais l’oublier, jamais la perdre. […] Faust, qui se sent dominé et entraîné à perdre ce qu’il aime, s’invective lui-même et pleure sur sa victime.
L’Italie perdit en sécurité, à cette époque, tout ce que les papes perdirent en respect sur l’Angleterre, l’Allemagne, la Prusse, le nord de l’Europe. […] Ils la perdent de nouveau sous les successeurs de ce prince. […] Vaincue d’un revers de nos armes, la maison de Savoie perd pièce à pièce ses États, comme elle les a reçus. […] Ce rôle du prince de Carignan avait assez d’ambiguïté pour perdre deux hommes en un ! […] Dans la guerre de coalition successive de l’Espagne contre la France, la maison de Savoie trahit Louis XIV en 1703 et lui fait perdre l’Italie ; le duc de Savoie reçoit en récompense la Sardaigne.
« Presque tout ce qu’on fait pour la créature est perdu, à moins que la charité ne s’y mêle. […] Mais les jours vides, inutiles, perdus pour le ciel, voilà ce qui fait regretter et retourner l’œil sur la vie. […] Son visage ne perdit jamais sa sérénité, et jusque dans son agonie elle semblait penser à une fête. […] Nous avons perdu ma grand’mère. […] Ainsi, chaque jour, perdons-nous quelque jouissance.
« Cette belle chance perdue explique la sévérité dont on usa envers lui et la rancune qu’il conserva contre le notariat, rancune qui perce dans quelques-unes de ses œuvres. […] « On allait faire perdre à mon frère un temps précieux ; l’état de littérateur pouvait-il, en aucun cas, mener à la fortune ? […] Il échoue et perd les deux fortunes. […] « Ne me crois aucun tort, chère sœur ; si tu me donnais cette idée, j’en perdrais la cervelle. […] Ne pouvant compromettre ma réputation, il faudrait trouver des prête-noms ; c’est du temps à perdre, et le fâcheux, c’est que je n’ai pas le moyen d’en perdre !
Quand le plus grand homme de l’Allemagne moderne eut vieilli sans perdre une seule des facultés de son âme et sans perdre un seul des cheveux blanchis de sa large tête, le ciel lui envoya Eckermann, comme le soir envoie au voyageur son ombre prolongée qui le suit dans sa route afin de lui certifier son image. […] Il les perdit. […] Je m’occuperai d’un logement pour vous dans mon voisinage, car il ne faut pas perdre cet hiver un seul instant. […] Il n’avait pas perdu une des heures pendant lesquelles il pouvait être près d’elle, il avait eu là des jours de bonheur, la séparation avait été très pénible, et dans sa passion il avait écrit une poésie extrêmement belle, mais qu’il regardait comme une relique et qu’il tenait cachée. […] Vers trente ans, l’âme, trop souvent froissée, a perdu sa fleur première.
Les chênes des montagnes tombent : les montagnes elles-mêmes sont détruites par les années ; l’Océan s’élève et s’abaisse tour à tour : la lune se perd dans les cieux : toi seul es toujours le même. […] Mais le sanglier sauvage est venu dans sa rage impitoyable ; il a arraché l’une d’entre elles, l’autre courbe sur sa compagne sa tête languissante, et toutes deux ont perdu leur beauté, flétrie comme l’herbe que le soleil a desséchée. […] Carmor, tu n’as point perdu ton fils, tu n’as point perdu ta fille. […] Rappelle à mon âme cette nuit cruelle où j’ai perdu mes enfants, où le brave Arindal, mon fils, est tombé ; où la belle Daura, ma fille, s’est éteinte… Ô ma fille ! […] Tu as perdu le fils qui faisait ta force dans les combats ; tu as perdu la fille qui faisait ton orgueil au milieu de ses compagnes… Depuis cette nuit affreuse, toutes les fois que la tempête descend de la montagne, toutes les fois que le vent du nord soulève les flots, je vais m’asseoir sur le rivage, et mes regards s’attachent sur le rocher fatal.
Il avait une heure à perdre à Nemours. […] Il lui demande s’il n’en a pas d’autre. « C’est bien dommage que vous ne soyez pas venu la semaine dernière, lui dit le revendeur, le grenier en était plein, mais un tanneur a tout pris pour recouvrir ses cuves. » Or, ce qui couvre les cuves d’une tannerie est perdu, brûlé. […] Il avait alors perdu sa mère, une mère qui l’adorait, et dont il me montre, à son doigt, une bague qui ne l’a jamais quitté. […] Un de ses coreligionnaires me racontait, qu’il avait inventé d’emprunter à ses amis, de l’argent à 5 p. 100, qu’il plaçait à fonds perdu. À sa mort ses amis ont tout perdu.
Napoléon à son entrée à Moscou et s’ensanglantant l’esprit de ce dessein, qui perd toute cette barbarie assumée après quelques mots d’un insignifiant entretien avec un Français par qui il ne peut s’empêcher de se sentir ressaisi de tous les liens sociaux. […] Ces romans forcent impérieusement à aller aux personnages, à participer aux événements, à ce qu’on se sente touchant à toutes ces existences, et sans cesse comme aux côtés des héros, adjoint, perdu dans la foule qui les entoure, en témoin invisible de leur solitude et de leurs pensées. […] Dans ce vaste drame, la vie même est jouée ; les spectateurs sont de la pièce ; ils ne sortent pas d’eux-mêmes, mais, pris à la magie de cet art, s’abandonnent à la belle et facile occasion de poursuivre leur existence quotidienne dans le fictif, dans un lieu sans peines, sans dégradants soucis de soi-même, mais baigné d’une atmosphère de rêve et de brume immense, complexe, obscur, fragmentaire, vaste, noire, et si immédiatement connu d’une vue si proche, que le lecteur s’y perd et s’y trouve comme un passant dans le large miroir des eaux profondes ou stagnent le ciel, le site et lui-même qui reconnaît son ombre dans la leur. […] Mêlée de vues bornées chez Lévine et sa femme, de morgue chez Wronsky, d’exaltée amertume chez Anna, de sèche étroitesse chez Karénine, cette bonté élémentaire et comme animale éclate pure cependant et puissante chez ce groupe d’êtres de haut rang, et dans le grave tableau de la mort de Nicolas Lévine, où son frère et la femme de celui-ci viennent simplement et cordialement s’asseoir au chevet de ce pauvre agonisant à côté de la prostituée dont il a fait sa compagne et, plus haute encore et plus belle, quand Anna adultère au su de son mari, et croyant mourir des couches de la fille de son amant joint la main de l’homme pour qui elle s’est perdue à celle de l’homme qu’elle a trahi et induit Karénine à pardonner avec tant de noblesse à son ennemi que le comte Wronski reste troublé de devoir s’incliner devant celui qu’il méprisait. […] Son œuvre donne au monde une large représentation et saisit par ce vaste déploiement, par un art qui tend à égaler la grandeur, l’illogisme, l’existence autonome du réel, mis face à face avec lui en une contemplation si proche qu’elle paraît neuve et personnelle, le lecteur, pris d’impérieux attraits, pénètre dans les romans de Tolstoï comme en un monde dont il est, s’émeut de la bonté dont ses personnages sont pleins, s’affole des angoisses dont les attristent les problèmes de la mort et du sens de la vie, et plonge dans l’atmosphère grise de ces livres comme on se perd hors de soi dans un rêve.
Forbes, dans le curieux fascicule feuilleté par Warburton et perdu par Garrick, affirme que Shakespeare se livrait à des pratiques de magie, que la magle était dans sa famille, et que le peu qu’il y a de bon dans ses pièces lui était dicté par « un Alleur », un Esprit. […] Son poëme, dont le texte arabe est perdu, était écrit en vers ; cela du moins est certain à partir du verset 3 du chapitre ni jusqu’à la fin. […] Son livre de Caligula s’est perdu. […] Les religions y perdent et la science y gagne. […] Quant au Romancero, qui crée le Cid après Achille et le chevaleresque après l’héroïque, il est l’Iliade de plusieurs Homères perdus.
Un instant on croit la régence possible, Victor Hugo s’empresse de la demander, place des Vosges ; on proclame la république, Victor Hugo, sans perdre une minute, se métamorphose en républicain. […] … Le christianisme n’a été réellement puissant que lorsque les prêtres en ont perdu la direction. » (Numéro du 1er août). […] Il n’avait pas perdu au change. […] La peur de perdre leur cher argent, que les Pereire et les Mirès de la finance impériale, devaient confisquer si allègrement, avait enragé les petits bourgeois de 1848. […] La célébration du centenaire de Victor Hugo, qui donne de l’actualité à cette étude, nous a suggéré l’idée de la republier : écrite le lendemain de sa mort, elle n’a pas encore perdu son originalité, le côté de la vie publique qu’elle expose n’ayant été ni discuté, ni analysé.
Ces regrets mêmes de l’action perdue sont une preuve pour moi que j’étais né bien plutôt pour l’action que pour la poésie. […] Cette ferveur ascétique était le caractère dominant de son visage ; ses yeux bleus et vifs étant presque toujours perdus dans des regards qui ne voyaient de l’horizon que le ciel ; quelquefois ils étaient si visiblement retournés en sens inverse de la vision ordinaire qu’ils semblaient regarder en dedans plus qu’en dehors. […] Mais le rossignol dédaigne de perdre sa voix au milieu de cette symphonie : il attend l’heure du recueillement et du repos, et se charge de cette partie de la fête qui se doit célébrer dans les ombres. » Ici nouveau silence de nos haleines à peine entendues ; puis vint la page du rossignol, aussi mélodieuse que l’oiseau. […] L’oiseau qui a perdu ses petits chante encore ; c’est encore l’air du temps du bonheur qu’il redit, car il n’en sait qu’un ; mais, par un coup de son art, le musicien n’a fait que changer la clef, et la cantate du plaisir est devenue la complainte de la douleur. […] Cet Homère des oiseaux gagne sa vie à chanter, et compose ses plus beaux airs après avoir perdu la vue.
Avec les grands sujets, ils ont perdu le grand style. […] Est-il besoin d’ajouter que, dans ce bilan littéraire, nous ne tenons compte que du résultat global, négligeant les gains partiels qui sont entrés pour toujours et qui se sont comme perdus dans la richesse publique. […] Luttons énergiquement contre la diffusion du pédantisme esthétique, sous peine de ne plus savoir quelles sont les formes d’art qui conviennent à notre race et de perdre même la vigueur nécessaire pour les animer. […] Nous accusera-t-on d’injustice si nous affirmons que, depuis l’auteur de la Tentation de saint Antoine, le secret de la composition semble perdu ? […] On dirait qu’avec notre endurance nous avons perdu jusqu’au minimum de forces combatives nécessaires pour nous défendre.
Ces accès sont les symptômes extrêmes de la grande maladie mentale qui fit et perdit la révolution d’Angleterre. […] Involontairement vous perdez la gravité et vous éprouvez l’émotion. […] Xénophon, qui arrivait avec l’arrière-garde, les exhorta par toutes les raisons à ne pas perdre courage. […] Qui ne serait touché des anxiétés du pauvre petit voyageur, perdu dans les tempêtes de neige ? […] Strabon trouva que Bithyniens, les Mysiens, les Phrygiens, les Lydiens, avaient perdu leur langue.
Presque toujours, les originaux sont perdus ; nous n’avons que des copies. […] Deuxième cas. — L’original est perdu ; on n’en connaît qu’une copie. […] Il ne faut l’employer qu’en s’entourant de précautions pour ne jamais perdre de vue le danger. […] Si les documents se sont perdus, on ne peut rien conclure. […] Or il dépend d’accidents fortuits que les documents se soient conservés ou se soient perdus.
Si elle fait des chefs-d’œuvre, ce sera dans ses moments perdus. […] Il se console en se disant que de cette façon son argent et son savoir-faire ne seront pas perdus. […] On n’eût rien perdu pour attendre, et cela eût été plus régulier. […] Seulement, un beau jour, on s’aperçut qu’il avait complétement perdu l’usage de ses mains. […] On ne perd pas de vue un seul instant le théoricien socialiste ; c’est lui qui raconte, c’est lui qui décrit, c’est lui qui parle par la bouche de son évêque, de son forçat, de sa fille perdue.
Si M. de Meilhan avait eu chance réellement de devenir contrôleur général, cela eût suffi pour le perdre du coup. […] Cette brochure de M. de Meilhan est aujourd’hui pour nous plus intéressante à lire qu’elle ne le parut de son temps, où elle se perdit au milieu du bruit et de l’inflammation des passions publiques. […] Je laisse perdre le temps, et ensuite je veux tout forcer : voilà la clef de ma conduite… Mon amour-propre est extrême ; mais dans les petits objets, dans la société, il n’est que sur la défensive, il ne demande qu’à n’être pas blessé, sans désir d’être flatté ; dans les grands, il ne me porterait qu’à la gloire la plus éclatante ; mais le dégoût suivrait de près, et le mépris de mon siècle ne me permettrait pas de mettre longtemps du prix à son approbation… Mon amour-propre s’irrite quelquefois dans le tourbillon du monde : il se tait dans la solitude… Je n’aime point à me montrer à mes amis sous un côté défavorable ; je souffre de les voir malheureux de mon malheur, et je suis convaincu que les sentiments diminuent par la perte des avantages… Il faut donc cacher ses plaies, dissimuler les grandes impuissances de la vie : la pauvreté, les infirmités, les malheurs, les mauvais succès… Il ne faut confier que les malheurs éclatants, qui flattent l’amour-propre de ceux qui les partagent et s’y associent. […] [NdA] Comme pendant et contrepartie de cette idée qu’on doit faire peu de confidences à l’âge où l’on vieillit et où l’on perd, M. de Meilhan avait dit, une autre fois, avec beaucoup de justesse : « L’homme a besoin, quand il est jeune, de se répandre ; il se plaît à faire des confidences ; il ne se connaît pas et se croit un être curieux et rare ; il n’a pas enfin la force de garder son secret, et la présomption le porte à croire qu’il inspire un intérêt sincère qui le fera écouter avec plaisir. »
. — Je le voyais un autre jour par un beau temps, à côté de moi, dans sa voiture, en par-dessus brun, en casquette bleue, son manteau gris clair étendu sur les genoux : son teint brun est frais comme le temps, ses paroles jaillissent spirituelles et se perdent dans l’air, mêlées au roulement de la voiture qu’elles dominent. — Ou bien, je me voyais encore le soir, dans son cabinet d’étude éclairé par la tranquille lumière de la bougie : il était assis à la table en face de moi, en robe de chambre de flanelle blanche ; la douce émotion que l’on ressent au soir d’une journée bien employée respirait sur ses traits ; notre conversation roulait sur de grands et nobles sujets ; je voyais alors se montrer tout ce que sa nature renfermait de plus élevé, et mon âme s’enflammait à la sienne. […] Si l’on s’est trompé dans le dessein de l’ensemble, te travail entier est perdu ; si dans un vaste sujet on ne se trouve pas toujours pleinement maître des idées que l’on vient à traiter, alors de place en place se voit une tache, et l’on reçoit des blâmes. […] Au contraire, si le poëte porte chaque jour sa pensée sur le présent, s’il traite immédiatement, et quand l’impression est toute fraîche, le sujet qui est venu s’offrir à lui, alors ce qu’il fera sera toujours bon, et si par hasard il n’a pas réussi, il n’y a rien de perdu. » Et Gœthe se mit à citer des exemples de poëtes allemands contemporains qui se sont attelés à un grand ouvrage et qui, sauf quelques beaux endroits, ont manqué d’haleine et de force pour l’ensemble. […] Ne déracinez pas les pensées sous prétexte de les montrer plus nettes et plus dégagées ; elles y perdent de leur sève et de leur fraîcheur. — Je reviens à la poésie d’après Gœthe, et à ce qui la fait naître et l’alimente : « Que l’on ne dise pas, ajoutait-il, que l’intérêt poétique manque à la vie réelle, car justement on prouve que l’on est poëte lorsque l’on a l’esprit de découvrir un aspect intéressant dans un objet vulgaire.
Dès que vint l’âge des grammairiens, des rhéteurs, des critiques, et, après la grande moisson faite, on dut songer en Grèce à rassembler un tel choix de jolies poésies, d’épigrammes ou inscriptions en vers, de petites pièces qui couraient risque de se perdre si on ne les rattachait par un fil. […] Combien il a tenu à peu de chose que tel ou tel de ces trésors d’autrefois fût perdu ou conservé ! […] je sais bien que cela même a pu donner quelques regrets à de doctes et fins esprits qui craignent de voir profaner ce qu’ils aiment, de voir pratiquer une grande route à travers un bois sacré. « Pour moi, j’aimais à m’y perdre, m’écrit à ce sujet un de ces fins dilettanti de l’Antiquité, et si je ne savais pas bien en reconnaître les fleurs, je sentais au moins quelque chose de leur parfum. […] De ses deux sandales, il en a perdu une, comme un homme ivre qu’il est : l’autre tient encore à son pied ridé.
Michel Nicolas ne me suffit pas, et je voudrais voir rassemblées les pièces mêmes qui sont éparses, et dont quelques-unes peuvent se perdre. […] Son état a empiré aujourd’hui ; hier au soir il avait perdu les esprits, et dans ce moment il n’est point encore revenu à lui. […] La maladie de ce digne magistrat affecte on ne peut pas plus péniblement tous ses administrés, qui le chérissent comme un père et oublient un moment leurs propres malheurs dans la crainte de perdre un préfet qui s’est tout entier consacré au bonheur du département… » Jean-Bon Saint-André rendit le dernier soupir le 10 décembre 1813. […] « Les armes de la République triomphèrent sur mer et sur terre. — Je dégageai mes vaisseaux. — L’ennemi, en désordre, fut écrasé et obligé de tenir les vents que j’avais perdus pour aller couvrir l’Indomptable et le Tyrannicide. — Ce combat, commencé à dix heures du matin, finit à sept heures du soir.
Catinat, en apprenant la perte soudaine de l’homme qui l’avait toujours apprécié, poussé, protégé et aimé jusque dans les rudesses et brusqueries qu’il ne ménageait à personne, écrivait à Barbezieux, son fils et son successeur (20 juillet) : « Je suis dans une situation où je me fais de grandes violences pour ne me point laisser aller à la vive douleur que je ressens de la grande perte que vient de faire le roi, l’État, et moi de mon protecteur, dont l’affection m’a toujours cent fois plus touché que tous les biens qu’il pouvait me faire. » Louvois de moins, tout changeait ; Catinat perdait un point d’appui solide et puissant ; il dut être porté à en devenir plus circonspect encore. […] Vauban était un peu chagrin à cette heure ; il avait perdu Louvois, son grand appui ; il avait dit plus d’une fois à Catinat en l’entretenant à Pignerol quand il était allé visiter les positions de cette frontière : « Vous serez maréchal de France ; je vois bien que je ne le serai point et que l’on pense autrement sur moi. ». […] Tessé ayant reproché à M. de Saint-Thomas la ruse du duc et le panneau dans lequel il avait voulu faire tomber Catinat à propos du bombardement de Pignerol, comme si un mouvement en avant du général français eût suffi pour l’en détourner, Saint-Thomas l’interrompit et lui dit : « Moi, je vais vous conter l’histoire de la bataille que nous avons perdue, et je vous jure par tout ce qu’il y a de plus saint et de plus sacré que je vous parlerai vrai. […] L’ennemi perdit 8000 hommes tués sur place, et au-delà ; nous en eûmes 2000 au plus hors de combat ; on prit 30 pièces de canon, 99 drapeaux et 4 étendards.
Malgré ces heureux ravitaillements, il est bien clair qu’auprès de la plupart, en cette société moderne, l’école du style, soit académique, soit non académique, perd en crédit, en importance, qu’on l’apprécie moins et qu’on s’en passe ; qu’à voir tant de gens se jeter à l’eau d’abord et apprendre ensuite d’eux-mêmes à nager, on en estime moins les préceptes de la natation, et qu’un moment viendra où (je le répète), sans être pourtant insensible à un certain tour et à un certain éclat d’expression, on ira surtout aux faits, aux idées, aux notions que portera le bien dire ou le style. […] Un article inséré par lui dans la Liberté de penser compromit et perdit du coup sa situation universitaire. […] Il a peut-être, dans ses citations, sacrifié un peu à l’agrément et à la variété ; et je dirais que la précision y perd, si l’on était dans un livre de science pure. […] Épicurisme du goût, à jamais perdu, je le crains, interdit désormais du moins à tout critique, religion dernière de ceux même qui n’avaient plus que celle-là, dernier honneur et dernière vertu des Hamilton et des Pétrone, comme je te comprends, comme je te regrette, même en te combattant, même en t’abjurant16 !
Berthier, dans ses hautes fonctions et dans son aptitude limitée, flaira de bonne heure en Jomini un talent supérieur, un rival possible auprès de Napoléon ; les missions de confiance que Jomini va remplir au quartier général impérial dans les campagnes de 1806-1807 éveilleront surtout la jalousie du major général, qui ne perdra aucune occasion dès lors de rabaisser, de retarder, s’il était possible, et finalement de décourager, d’ulcérer et d’outrer, jusqu’à le jeter hors des gonds, un étranger de mérite, et de l’ordre de mérite le plus fait pour lui porter ombrage. […] Tout était perdu ce jour-là sans la bonne contenance que fit Napoléon pendant trois heures à ce cimetière d’Eylau à la tête de sa Garde, de sa cavalerie et de son artillerie qu’il dirigeait lui-même. […] Napoléon avait un principe rigoureux, mais qui ne s’observait pas toujours : « Un officier en mission peut perdre sa culotte, mais il ne doit perdre ni son sabre ni ses dépêches. » 39.
Helbig, de Liège, comme on signale aux recherches un naufragé dont toute trace s’est perdue (1860) ; le même M. […] Il accorde que la négligence de nos ancêtres, ayant plus à cœur le bien faire que le bien dire, a laissé le français rude et sec, si pauvre et si nu, qu’il a présentement besoin « des ornements et, s’il faut ainsi parler, des plumes d’autrui. » Il ignore notre langue romane française du xiiie siècle, de laquelle Rivarol, par un instinct remarquable, disait : « Il faut qu’une langue s’agite jusqu’à ce qu’elle se repose dans son propre génie, et ce principe explique un fait assez extraordinaire, c’est qu’aux xiiie et xive siècles la langue française était plus près d’une certaine perfection qu’elle ne le fut au xvie . » Combien cette langue du xiiie siècle, et presque européenne alors, avait perdu de terrain au commencement du xvie , on le voit par les termes mêmes de la tentative de Du Bellay ; il importe, pour apprécier équitablement cette tentative, qui fut celle de tous les jeunes esprits doctes et généreux d’alors, de se mettre au point de vue de cette génération même qui entra sur la scène vers 1550 et de ne pas lui demander plus ni autre chose que ce qu’elle pouvait raisonnablement. […] C’est une grosse erreur ; car, d’un côté, le Roman de la Rose est un symptôme, un résultat au lieu d’être une cause, et de l’autre il est venu à la fin d’une période qui avait été grande et qui reste plus importante que ce qui l’a suivi ; il a apporté un élément nouveau sans doute, mais regrettable, et, par son succès, il a jeté la poésie française dans une voie déplorable, où elle pouvait rester éternellement embourbée ; en somme, il lui a fait perdre près de deux siècles et peut-être vingt poètes. […] En conscience, on ne saurait demander aux hommes d’avoir des horizons historiques tout à fait hors de leur temps, de savoir ce que nul alors ne savait, de deviner ce qui était caché et ce qui s’était perdu ou altéré au point d’être méconnaissable ; je reviendrai, à l’occasion d’un chapitre de Du Bellay, sur cet article des romans de chevalerie sons lesquels on aurait voulu qu’il retrouvât les chansons de geste.
Avec les années, il deviendra peut-être plus calme, plus reposé, plus mûr ; mais aussi il perdra en naïveté d’expression, et se fera un voile qu’on devra percer pour arriver à lui : la fraîcheur du sentiment intime se sera effacée de son front ; l’âme prendra garde de s’y trahir : une contenance plus étudiée ou du moins plus machinale aura remplacé la première attitude si libre et si vive. […] Mais toutes ces réputations à peine naissantes, qui faisaient l’entretien précieux des ruelles à la mode, cette foule de beaux esprits de second et de troisième ordre, qui fourmillaient autour de Malherbe, au-dessous de Maynard et de Racan, étaient perdus pour le jeune Corneille, qui vivait à Rouen, et de là n’entendait que les grands éclats de la rumeur publique. […] Même après que leur front chauve a livré ses feuilles au vent d’automne, leur nature vivace jette encore par endroits des rameaux perdus et de vertes poussées. […] Une autre fois, il disait à Chevreau : « J’ai pris congé du théâtre, et ma poésie s’en est allée avec mes dents. » Corneille avait perdu deux de ses enfants, deux fils, et sa pauvreté avait peine à produire les autres.
D’autres fois, la vue d’un danger, les caprices d’un cheval fougueux que son mari se plaisait à monter ; lui causaient de si vives terreurs qu’elle en perdait connaissance… » Toutes ces recherches et ces inventions de sensibilité étaient peine perdue. […] en le lisant, j’ai senti la Mme de Krüdner que j’aimais perdre quelque chose de son attrait et de son mystère. […] Quand on a été une fois excellente comédienne, cela ne se perd jamais.
Et lorsqu’ils ont à peine perdu de vue les créneaux de leur donjon ou le clocher de leur ville, pour peu qu’ils aient exterminé les provisions de quelques bonnes gens qui parfois en font la grimace, ils s’en reviennent comme s’ils avaient fait grand exploit et sauvé la chrétienté, criant outrée de tous leurs poumons ! […] Mais ils ne s’en veulent pas : ils jouent un jeu, où l’un perd et l’autre gagne, et celui qui perd, honteux ou furieux, songe à prendre sa revanche plutôt qu’à venger la morale. […] Car, en passant des bords du Gange aux rives de la Marne ou de la Somme, ils perdaient leur sens religieux, leur haute et ascétique moralité ; les peintures vengeresses et salutaires des tours malicieux de l’éternelle ennemie, de la femme, piège attrayant de perdition, devinrent dans la bouche de nos très positifs bourgeois une licencieuse dérision de leurs joyeuses commères et de la vie conjugale.
Messieurs, que les prix que vous décernez prêtent à de si fortes objections et que la vertu y perde quelque chose de son mérite. […] Le vieillard, en perdant ses illusions, ne perd-il pas ses meilleures raisons d’être vertueux ? […] Elle a élevé et soigné neuf enfants ; la famille à laquelle elle est attachée ayant perdu toute sa fortune, elle refuse de la quitter ; elle sert gratuitement avec un courage que de pénibles circonstances mettent à de rudes épreuves (médaille de mille francs). […] Un jour (il y a de cela quelques années), Emmeline revenait de porter la farine de ses clients ; elle était assise sur sa mule, tricotant comme elle le fait d’ordinaire dans ses courses, pour ne pas perdre le temps.
Toute espérance d’ailleurs est perdue pour elle ; Raymond n’aimait que sa fortune. […] Le jeune homme, qui ne comprend rien à ces dures paroles, les reçoit comme une leçon donnée à la pauvreté qui s’expose, et jure de perdre son nom si on l’y reprend. […] Sandeau : un Héritage ; un de ces contes d’Allemagne tels que sait les écrire le poète de Marianna et de Mademoiselle de la Seiglière, tendres et plaintives histoires doucement filées, lentement dévidées, semées de mille nuances exquises et légères, et qu’on dirait destinées à ces blondes jeunes filles des pays du Rhin qui, tout en lisant, filent le rouet ou tricotent les bas de Marguerite et veulent se perdre doucement dans les rêves du coeur, sans laisser échapper une maille. […] Imaginez que, d’un acte à l’autre, et sans crier gare, ce Frantz Wagner, qui n’était guère, jusqu’à présent, que le soupirant élégiaque de la Fortune — quelque chose comme une Perrette de ballade rêvant aux veaux d’or qu’elle mènera paître aux sons de sa lyre — imaginez, dis-je, que le voilà pris d’une attaque de vanité foudroyante, et qu’il perd subitement son cœur, sa tête, son bon sens, la mémoire de son passé, de ses affections, des bienfaits reçus, de son amour même.
Le public n’aime pas à être brusquement dépaysé au milieu d’une pièce ; son attention se fatigue dès qu’il perd de vue le clocher du lieu où l’action se passe. […] Il joue une partie perdue d’avance, a vec des cartes dont on voit le dessous pipé. […] L’homme noir ne veut pas d’un duel qui ferait un éclat nuisible, et il attend d’Estrigaud pour comploter avec lui un plus sur moyen de perdre Champlion. […] Au cinquième acte, la comédie perd la tête et cherche son dénouement sans y voir, en se heurtant à toute sorte d’incidents choquants et de péripéties impossibles.
Cette fois, l’erreur est trop préméditée et trop éclatante pour n’être pas hautement signalée ; il faut avertir ce grand talent qui se perd, ce ferme esprit qui s’égare, M. […] Mais la dame, loin de s’amender, s’est jetée, à corps perdu, dans la vie galante. […] Elle lui chante une invitation à je ne sais quelle valse infernale ; elle lui dit quelle l’a perdu, qu’il est son damné, que la passion, le vice et le crime sont les trois étapes de la voie qu’ils vont parcourir ensemble, à bride abattue. […] Raymonde, elle, n’a jamais caché à l’enfant qu’elle était sa mère ; toutes les semaines, au moins ; au risque de se perdre, elle va l’embrasser.
Turgot ne s’en tient pas, en fait de morale, à une pure impression mobile de sensibilité physique, il a des principes plus fixes : « Je suis en morale, dit-il d’une manière charmante, grand ennemi de l’indifférence et grand ami de l’indulgence, dont j’ai souvent autant besoin qu’un autre. » Condorcet, dans son besoin d’activité et de propagation extérieure, paraît croire qu’on ne peut éviter certains vices peu dangereux sans risquer de perdre de plus grandes vertus : « En général, les gens scrupuleux, pense-t-il, ne sont pas propres aux grandes choses. » Turgot ici l’arrête tout court ; il semble deviner l’homme de parti et de propagande qui perce déjà, et il lui dit : « La morale roule encore plus sur les devoirs que sur les vertus actives… Tous les devoirs sont d’accord entre eux. […] L’esprit général de sa rédaction, tel qu’il l’avouait, était tout dirigé contre le pouvoir exécutif qu’on minait de toutes parts : « dévoiler la conduite des agents du pouvoir exécutif… ; défendre le pouvoir législatif contre une nuée de surveillants payés pour lui faire perdre la confiance du peuple… », tels étaient les premiers points de son programme. […] Il est utile autant que juste que les citoyens ne perdent pas l’habitude de témoigner, en présence de l’Assemblée, l’impression de joie ou d’inquiétude qu’ils reçoivent de ses lois ; et le peuple pourra dire qu’il a perdu sa liberté quand il ne jouira plus de cet avantage.
On perd le sentiment du vrai, du vrai réel comme du vrai idéal. […] Un grand sage, Confucius, disait, et je suis tout à fait de son avis quand je lis nos écrivains à belles phrases quand j’entends nos orateurs à beaux discours, ou quand je lis nos poètes à beaux vers : « Je déteste, disait-il, ce qui n’a que l’apparence sans la réalité ; je déteste l’ivraie, de peur qu’elle ne perde les récoltes ; je déteste les hommes habiles, de peur qu’ils ne confondent l’équité ; je déteste une bouche diserte, de peur qu’elle ne confonde la vérité… » Et j’ajoute, en continuant sa pensée : Je déteste la soi-disant belle poésie qui n’a que forme et son, de peur qu’on ne la prenne pour la vraie et qu’elle n’en usurpe la place, de peur qu’elle ne simule et ne ruine dans les esprits cette réalité divine, quelquefois éclatante, d’autres fois modeste et humble, toujours élevée, toujours profonde, et qui ne se révèle qu’à ses heures. […] Napoline déclare qu’elle ne veut pas de tous ces petits bonheurs secondaires, qu’elle pourrait grouper ensemble pour se composer un bonheur total et compenser celui qu’elle a perdu. […] C’est ce qu’on se prend à dire plus que jamais depuis qu’on l’a perdue.
Ayant perdu sa mère (duchesse de Montpensier) en bas âge, elle fut élevée par une gouvernante estimable et pieuse, mais avec tout le respect qu’inspirait une petite-fille d’Henri IV. […] Elle nous peint en traits expressifs le moment où elle retrouve M. le Prince dans un des intervalles de l’action : Il était dans un état pitoyable, il avait deux doigts de poussière sur le visage, ses cheveux tout mêlés ; son collet et sa chemise étaient pleins de sang, quoiqu’il n’eût pas été blessé ; sa cuirasse était pleine de coups, et il tenait son épée nue à la main, ayant perdu le fourreau ; il la donna à mon écuyer. Il me dit : « Vous voyez un homme au désespoir, j’ai perdu tous mes amis ; MM. de Nemours, de La Rochefoucauld et Clinchamp, sont blessés à mort. » Je l’assurai qu’ils étaient en meilleur état qu’il ne les croyait… Cela le réjouit un peu, il était tout à fait affligé ; lorsqu’il entra, il se jeta sur un siège, il pleurait et me disait : « Pardonnez à la douleur où je suis. » Après cela, que l’on dise qu’il n’aime rien ; pour moi, je l’ai toujours connu tendre pour ses amis et pour ce qu’il aimait. […] Les personnes de bon sens qui les lisent, et qui jouissent, comme d’une singularité perdue, de tant d’incroyables aveux et d’une façon de voir si princière en toutes choses, peuvent y mettre sans effort les réflexions et la moralité qu’elle n’y met pas53.
De ces neuf mois de Hollande, en y resongeant, il n’aurait voulu retrancher que huit jours perdus à Rotterdam loin de son amie, huit jours donnés à je ne sais quel congrès scientifique, à des savants du pays. Dans le donjon de Vincennes, il écrivait pour lui seul, dans son cahier de notes et d’extraits, divers passages de Plaute, qu’il lisait beaucoup alors, et il en faisait l’application à sa félicité perdue ; tout ce joli passage du Pseudolus, par exemple, qui fait partie de la lettre d’une maîtresse à son ami : Nunc nostri amores, mores… « Voilà que nos plaisirs, nos désirs, nos entretiens, avec les ris, les jeux, la causerie, le suave baiser… tout est détruit ; plus de voluptés ; on nous sépare, on nous arrache l’un à l’autre, si nous ne trouvons, toi en moi, moi en toi, un appui salutaire. » Mais j’aime mieux cet autre passage, également emprunté de Plaute, où le sentiment domine : « Lorsque j’étais en Hollande , écrit Mirabeau, je pouvais dire : Sibi sua habeant regna reges, etc. », et tout ce qui suit, « Rois, gardez vos royaumes, et vous, riches, vos trésors ; gardez vos honneurs, votre puissance, vos combats, vos exploits. […] La nature l’avait-elle donc fait pour perdre des jours inutiles dans un gouffre tel que celui-ci ? […] » Évidemment ce Voyez ne s’adresse pas à Sophie, qu’il tutoie d’habitude : c’est l’écrivain, c’est l’orateur, et non plus l’amant, qui s’adresse ici à cet auditoire absent et idéal que son imagination ne perd jamais de vue.
Ayant perdu jeune ses parents, Mlle de Scudéry avait été recueillie à la campagne par un oncle instruit et honnête homme, qui soigna fort son éducation et beaucoup plus qu’on n’était accoutumé de faire aux jeunes filles d’alors. […] Après avoir parlé de la longue suite d’aïeux que pouvait compter son héroïne : Sapho, ajoutait-elle, a encore eu l’avantage que son père et sa mère avaient tous deux beaucoup d’esprit et beaucoup de vertu ; mais elle eut le malheur de les perdre de si bonne heure, qu’elle ne put recevoir d’eux que les premières inclinations au bien, car elle n’avait que six ans lorsqu’ils moururent. […] Ayant perdu son oncle, elle hésitait entre Rouen et Paris ; mais son frère, qui prenait rang alors parmi les auteurs dramatiques et dont les pièces réussissaient à l’hôtel de Bourgogne, la décida à venir s’établir dans la capitale. […] Cependant ces mêmes dames, qui font si hardiment des fautes si grossières en écrivant, et qui perdent tout leur esprit dès qu’elles commencent d’écrire, se moqueront des journées entières d’un pauvre étranger qui aura dit un mot pour un autre.
La Céline Montaland joue très bien son rôle de grue, mais un incident : elle a perdu les faux cils, que seule sa mère sait lui poser. […] * * * — L’amer, que Vallès a en lui, il le soigne, il le caresse, il le dorlote, il le chauffe, il le porte en ville, pour le tenir toujours en haleine, comprenant fort bien, que s’il venait à le perdre, il serait un ténor dépossédé de son ut. […] Un modèle qu’il fait poser, lui a confié qu’à treize ans, elle avait perdu sa grand-mère, qu’on l’avait fait monter dans l’unique voiture de deuil, avec un vieux parent, et que ce vieux parent l’avait dévirginisée, dans le trajet au cimetière. […] Et quand il disait cela, de la porte derrière laquelle elle écoutait, apparaissait la vieille servante, la figure cachée dans ses mains, et qui lui jetait : « Mais, mon cher maître, vous avez perdu la tête, comment pouvez-vous dire des choses comme cela ?
Voltaire a perdu de sa gloire le faux, et gardé le vrai. Perdre du faux, c’est gagner. […] Il n’y a pas longues années qu’un économiste anglais, homme d’autorité, faisant, à côté des questions sociales, une excursion littéraire, affirmait dans une digression hautaine et sans perdre un instant l’aplomb, ceci : — Shakespeare ne peut vivre parce qu’il a surtout traité des sujets étrangers ou anciens, Hamlet, Othello, Roméo et Juliette, Macbeth, Lear, Jules César, Coriolan, Timon d’Athènes, etc., etc. ; or il n’y a de viable en littérature que les choses d’observation immédiate et les ouvrages faits sur des sujets contemporains. — Que dites-vous de la théorie ? […] Le jade et l’albâtre ont beau faire, le jaspe, la serpentine, le basalte, le porphyre rouge comme aux Invalides, le granit, Paros et Carrare, perdent leur peine ; le génie est le génie sans eux.
Ce seroit perdre son tems, & risquer de s’ennuyer beaucoup, que d’entreprendre une lecture suivie de tous nos grammairiens. […] Restaut n’a pas perdu de vue cette division dans l’édition qu’il nous a donnée de l’excellent Traité de l’orthographe françoise en forme de Dictionnaire, enrichi de notes critiques, & de remarques sur l’étymologie & le genre des mots, la conjugaison des verbes irréguliers, & les variations des auteurs, par Charles le Roi. […] On a retranché, dit Fénélon, plus de mots qu’on n’en a introduit ; je voudrois n’en perdre aucun, & en acquérir de nouveaux. […] “On ne peut assez admirer, dit l’Abbé Goujet, la complaisance que l’auteur a eu de s’humaniser avec le plus bas peuple, pour s’enrichir de ses façons de parler & de penser ; & d’employer ses veilles à puiser tout ce qu’il y a de plus libre dans les ouvrages qui sont réprouvés de quiconque n’a pas encore perdu toute pudeur.
Il y a là des joies et des désespoirs violents ; de jeunes joueurs fougueux et brûlant la chance ; des joueurs froids, sérieux et tenaces ; des vieillards qui ont perdu leurs rares cheveux au vent furieux des anciens équinoxes. […] Son profil est perdu, mais c’est bien lui ! […] Le Dernier Bain, caricature sérieuse et lamentable. — Sur le parapet d’un quai, debout et déjà penché, faisant un angle aigu avec la base d’où il se détache comme une statue qui perd son équilibre, un homme se laisse tomber roide dans la rivière. […] Daumier s’est abattu brutalement sur l’antiquité, sur la fausse antiquité, — car nul ne sent mieux que lui les grandeurs anciennes, — il a craché dessus ; et le bouillant Achille, et le prudent Ulysse, et la sage Pénélope, et Télémaque, ce grand dadais, et la belle Hélène qui perdit Troie, et tous enfin nous apparaissent dans une laideur bouffonne qui rappelle ces vieilles carcasses d’acteurs tragiques prenant une prise de tabac dans les coulisses.
Le solitaire découvreur des terres vierges du songe ne permet pas aux grossiers produits d’humanité d’embarrasser la route qu’il suit, perdu qu’il est dans son rêve d’épuration toujours plus artistique et plus parfaite. […] Ce qui peut convenir à la foule des humains perd par cela même toute valeur à leurs yeux. […] … J’entends en moi naître et s’élever la mélodie des élus du silence… Et le solitaire, abîmé sans la contemplation de sa beauté, dont la simple clarté du jour ruinerait l’infinie délicatesse incomprise, se perd de plus en plus dans les abîmes de jouissance qu’il découvre en lui-même, en sculptant sa propre image, d’une main que l’art rend toujours plus mystérieusement habile. […] Celui qui s’adonne à la femme perd secrètement, sans s’en douter, la faculté de penser métaphysiquement et d’avoir conscience de son moi supérieur.
La rentrée dans l’ordre Lorsqu’une plante, dont une lourde pierre foulait la tige, se trouve délivrée de son fardeau, nous assistons au plus touchant des spectacles : peu à peu l’humble tige, qui semblait pour toujours perdue, se redresse, reprend de la vigueur et de la couleur, s’élève peu à peu, grâce à l’air libre, jusqu’à la vie normale. […] Un jour le désir le prend de connaître la vérité sur Lourdes, et il part, non sans quelque vague et lâche espoir d’y retrouver sa foi perdue, « la foi du petit enfant qui aime et ne discute pas. » Les spectacles auxquels il assiste, la mise en scène organisée par les « Pères de la grotte » en industriels soucieux d’une fructueuse exploitation de leur entreprise, lui font, dès le premier jour, perdre cette naïve espérance. […] Cependant il n’a pas perdu l’espoir de persuader Léon XIII et d’empêcher la condamnation de son livre.
La nation ingénieuse, jadis si forte, qui depuis tant de siècles a perdu son indépendance, n’avait pu sentir si près d’elle un exemple de nouveauté et d’audace comme celui de la France, sans être tentée de reprendre toutes les ambitions de la vie publique. […] On sait, et l’histoire même ne l’oubliera pas, ce que fut Béranger, le trouvère artistement familier, le tacticien politique de la prétendue chanson des Bonnes gens, le poëte élégant et passionné de plus d’un noble souvenir, le panégyriste de l’orgueil national, ingénieux à charmer ou plutôt à aigrir par ses chants la plaie toujours vivante de tant de gloire inutile et de tant de triomphés perdus par la faute d’un homme. […] Perdre la domination au dehors, le droit national au dedans, l’indépendance dans la justice, la libre pensée dans la vie privée, plier sous la défaite, le despotisme et l’inquisition, c’était trop à la fois pour un peuple. […] Très jeune, elle perdit son père.
Un sot a tout perdu ; mais l’Etat n’y perd rien. […] … Je me perds ! […] Perdez-vous la raison ? […] A un certain degré d’outrance grotesque, le comique perd son venin, comme à un certain degré d’hyperbole, le tragique généreux perd ou perdrait tout son pouvoir d’excitation à l’enthousiasme. […] … Force-t-on vos filles à perdre leur temps en niaiseries ?
Les médecins ont déclaré le garçon perdu, il ne reste plus qu’à recourir au Reboutou, au sorcier. […] Des ouvriers parvenus aux plus extrêmes limites de la détresse ; ayant tout engagé, tout vendu, tout perdu ! […] Puis un vomissement l’a prise et elle a perdu connaissance. […] Pour lui, la guerre étrangère avait toutes les horreurs de la guerre civile : il perdait deux patries. […] Je veux qu’il gagne une ou deux batailles, il perdra la troisième, et alors notre rôle à nous commencera.
Il lui arriva un peu ce qui arrive à de certaines jeunes filles qui épousent des vieillards : en très-peu de temps leur fraîcheur se perd on ne sait pourquoi, et le voisinage attiédissant leur nuit plus que ne feraient les libres orages d’une existence passionnée : Je crois que la vieillesse arrive par les yeux, Et qu’on vieillit plus vite à voir toujours les vieux, a dit Victor Hugo. Ainsi pour le jeune talent de Victorin Fabre : il épousa sans retour une littérature vieillissante, et sa fidélité même le perdit.
Il était impossible qu’aucun écrivain de l’antiquité pût avoir le moindre rapport avec Montesquieu ; et rien ne doit lui être comparé, si les siècles n’ont pas été perdus, si les générations ne se sont pas succédé en vain, si l’espèce humaine a recueilli quelque fruit de la longue durée du monde. […] Un certain degré d’émotion peut animer le talent ; mais la peine longue et pesante étouffe le génie de l’expression ; et quand la souffrance est devenue l’état habituel de l’âme, l’imagination perd jusqu’au besoin de peindre ce qu’elle éprouve.
Quelques-uns de ses droits devaient être exercés sans être reconnus, d’autres reconnus sans être exercés ; et les considérations morales étaient saisies par l’opinion avec une telle finesse, qu’une faute de tact était généralement sentie, et pouvait perdre un ministre, quelque appui que le gouvernement essayât de lui prêter. […] Les hommes de la première classe de la société, en France, aspiraient souvent au pouvoir ; mais ils ne couraient dans cette carrière aucun hasard dangereux ; ils jouaient sans jamais risquer de beaucoup perdre ; l’incertitude ne roulait que sur la mesure du gain ; l’espoir seul animait donc les efforts : de grands périls ajoutent à l’énergie de l’âme et de la pensée, la sécurité donne à l’esprit tout le charme de l’aisance et de la facilité.
Mais l’homme qui gagna la cause des vers, et fit perdre la partie à La Motte, ce fut Voltaire. […] Je ne parle pas de l’ennuyeux Racine ou de l’innocent Delille : les Discours sur l’homme de Voltaire, en s’enveloppant de la dignité du vers, ont perdu ce trait, ce mordant, ce jaillissement d’idées, d’ironie et d’esprit, toutes les qualités les plus constantes enfin et les plus séduisantes de l’humeur voltairienne.
Les amoureux : Valère, Lélie, Horace, Léandre, ne perdirent que la terminaison italienne de leurs noms ; il en fut de même des amoureuses, surtout de celles qui n’avaient point de physionomie très caractérisée : Célie, Isabelle, Angélique, Lucinde, Zerbinette. […] Toute cette tradition comique, qui semblait ne rien produire que d’éphémère, ne fut ainsi ni inutile ni perdue ; et Molière, en la faisant contribuer à son œuvre, fit rejaillir sur elle un peu de l’éclatante lumière dont celle-ci est éclairée.
Même quand vous en semblerez le plus éloignés, vous ne perdrez jamais de vue le grand but : venger la France par la fraternité des peuples, défaire les empires, faire l’Europe. […] On commence à perdre le respect.
Jean Goujon, Germain Pilon, Jean Cousin semblent n’avoir tiré que des bénéfices de la vue des modèles qui leur furent proposés et n’avoir perdu à cette, contemplation aucune des qualités qui leur étaient propres. […] Bientôt le style jésuite va montrer dans toute leur difformité les œuvres d’une sensibilité qui a perdu conscience de ses propres manières d’être et se conçoit à l’imitation de modèles dont elle est impuissante à s’approprier l’âme secrète.
Plusieurs gens de goût blâment La Fontaine d’avoir mis la morale, ou à la fin, ou au commencement de chaque fable ; chaque fable, disent-ils, contient sa morale dans elle-même : sévérité qui nous aurait fait perdre bien des vers charmans. […] C’est le charme et le secret de La Fontaine ; il nous montre ainsi qu’en parlant des animaux, il ne nous perd pas de vue un seul instant.