Ils ont le même goût pour les exercices des membres, la même indifférence aux intempéries de l’air, la même grossièreté de langage, la même sensualité avouée. […] Les grands seigneurs, les dames parées ont le langage des halles. […] Même il faudra que le drame, pour imiter et contenter la fécondité de leur nature, prenne tous les langages, le vers pompeux, surchargé, florissant d’images, et, tout à côté, la prose populacière ; bien plus, il faudra qu’il violente son style naturel et son cadre naturel ; qu’il mette des chants, des éclats de poésie dans les conversations des courtisans et dans les harangues des hommes-d’État ; qu’il amène sur la scène des féeries d’opéra15, « des gnomes, des nymphes de la terre et de la mer, avec leurs bosquets et leurs prairies ; qu’il force les dieux à descendre sur le théâtre, et l’enfer lui-même à livrer ses féeries. » Nul théâtre n’est si complexe ; c’est que jamais l’homme ne fut plus complet. […] L’évêque Jewell26 déclare devant la reine que, « dans ces dernières années, les sorcières et sorciers se sont merveilleusement multipliés. » Tels ministres affirment « qu’ils ont eu à la fois dans leur paroisse dix-sept ou dix-huit sorcières, entendant par là celles qui pourraient opérer des miracles surnaturels. » Elles jettent des sorts qui « pâlissent les joues, dessèchent la chair, barrent le langage, bouchent les sens, consument l’homme jusqu’à la mort. » Instruites par le diable, elles font, « avec les entrailles et les membres des enfants, des onguents pour chevaucher dans l’air. » Quand un enfant n’est pas baptisé ou préservé par le signe de la croix, « elles vont le prendre la nuit dans son berceau ou aux côtés de sa mère…, le tuent…, puis, l’ayant enseveli, le dérobent du tombeau pour le faire bouillir en un chaudron jusqu’à ce que la chair soit devenue potable. […] Ce n’est point le discours ou le récit qui peut manifester leur état intérieur, c’est la mise en scène ; ainsi que les inventeurs du langage, ils jouent et miment leurs idées ; l’imitation théâtrale, la représentation figurée est leur vrai langage ; toute autre expression, le chant lyrique d’Eschyle, le symbole réfléchi de Gœthe, le développement oratoire de Racine, leur serait impraticable.
Dès 1800 et vers les premières années de cette renaissance, quelques hommes de talent et de goût revinrent également au grand règne, mais par un sentiment prompt et vif d’admiration pour les chefs-d’œuvre, par l’adoption reconnue salutaire des doctrines, par l’attrait du beau langage et de l’éloquence ; les Fontanes, les Joubert, les Bausset obéirent à cet esprit et s’en firent les organes. […] Pourtant l’âge venait ; Louis XIV se tempérait à son tour, et une femme sortie du plus pur milieu de la société de Mme de Rambouillet et qui en était moralement l’héritière, une femme accomplie par le ton, la raison ornée, la justesse du langage et le sentiment des convenances, Mme de Maintenon, s’y prenait si bien qu’elle faisait asseoir sur le trône, dans un demi-jour modeste, tous les genres d’esprit et de mérite qui composent la perfection de la société française dans son meilleur temps.
L’homme n’a qu’une mesure de sensibilité, et son langage qu’un degré d’énergie ; son cœur est-il oppressé par le poids accablant d’un sentiment profond, son imagination ravagée par des spectacles d’horreur multipliés, il désespère d’y proportionner son langage ; et un geste, un regard, un morne silence lui tiennent lieu alors de paroles et sont plus expressifs.
Toutefois, quand vous auriez ainsi simplifié le langage, vous n’auriez pas pour cela simplifié les opérations des êtres. […] Quand on la contemple dans ses détails, on voit que, quoiqu’elle frappe à la fois sur tous les ordres de la France, il est bien clair qu’elle frappe encore plus fortement sur le clergé… Plein de respect pour l’idée de sacerdoce, qui est à ses yeux peut-être la plus haute de toutes, Saint-Martin trouve tout simple que les individus de cet ordre aient été les premiers atteints et châtiés, de même que cette « révolution du genre humain » a commencé par les « lys » de France : « Comme aînés, dit-il, ils devaient être les premiers corrigés. » Je ne fais qu’indiquer ces manières de voir qui nous sont devenues depuis lors familières par le langage si net et si éclatant de M. de Maistre ; mais Saint-Martin y mêle des idées et des sentiments qui lui sont propres et qui ont beaucoup moins de netteté.
Ami de la propriété des termes, de l’ordre logique et direct dans le langage, il se disait que l’esprit n’a ses coudées franches et son juste instrument que dans la prose ; « qu’elle seule a droit sur tous genres d’ouvrages indistinctement ; qu'elle a seule l’usage libre de toutes les richesses de l’esprit ; que, n’étant asservie à aucun joug, elle ne trouve jamais d’obstacles à exprimer ce que le génie lui présente ; qu’elle n’est jamais forcée de rejeter les expressions propres et les tours uniques que demandent les idées successives et les sentiments variés que ses sujets embrassent. » Mais, avec les vers, il faut toujours faire quelque concession, quelque sacrifice, tantôt pour la clarté, tantôt pour l’élégance, ces deux qualités dont la prose est toujours comptable : « Quand une pensée se trouve, à quelque chose près, aussi bien exprimée en vers qu’elle pourrait l’être en prose, on applaudit au succès du poète, on lui voue son indulgence, on lui permet de grimacer de temps à autre ; les expressions impropres sont chez lui de légères fautes ; les constructions inusitées deviennent ses privilèges. » Et il en citait des exemples jusque dans Boileau. […] André Chénier a eu raison de célébrer Ce langage sonore aux douceurs souveraines, Le plus beau qui soit né sur les lèvres humaines.
Horace Vernet n’avait qu’un langage et qu’une manière, et il n’était guère libre d’en changer. […] Horace pense à sa famille, à ses petits-fils, à celui qu’en son langage de grand-père il appelle Rabadabla : il écrit jour par jour à Mme Vernet : « Encore un jour passé, écrit-il le 10 novembre, et nous n’avons remonté qu’un échelon de l’échelle que nous avons descendue si rapidement.
Tout ce que la parole invente de tendresse, Ce que disent les yeux et leur vive caresse, La voix, le sourire et les pleurs, De ce divin langage et des mots qu’il t’adresse N’égaleraient pas les douceurs. […] que par des mots, ce langage si tendre Et cet hymne consolateur !
L’esprit français se retrouve sous son léger accent de Savoie et s’en pénètre agréablement : « L’accent du pays où l’on est né, a dit La Rochefoucauld, demeure dans l’esprit et dans le cœur, comme dans le langage. » La pensée semble parfois plus savoureuse sous cet accent, comme le pain des montagnes sous son goût de sel ou de noix. […] S’il appartient à la France par le langage, on peut dire qu’il tient déjà à l’Italie par la manière de conter.
Là, se rendaient les garçons et les filles ; ils couronnaient de fleurs les images des Nymphes, non plus par religion, mais par une sorte d’instinct machinal ; la douce mythologie, inséparable de toutes les impressions du plaisir, était encore le langage de l’amour ; les cœurs demeurèrent longtemps sous la protection de cet enfant jeune et beau, qui a des ailes, et pour cette cause prend plaisir à hauter les beautés ;… qui domine sur les éléments, les étoiles et sur ceux qui sont dieux comme lui. […] La passion n’y est pas toujours délicate dans son langage, ni naturelle dans son objet.
Un jeune homme nous lisait les plus beaux morceaux du Génie du Christianisme ; nous écoutions, ravis comme par un langage inconnu, ce merveilleux style. […] Sa démarche est légère, son abord ouvert et serein, il parle beaucoup et avec volubilité ; son langage est harmonieux et facile.
Il n’a même pas beaucoup de couleur, sinon dans les sujets où l’imagination espagnole jette encore ses feux à travers le langage raisonnable de l’auteur français. […] Son génie et son langage sont éminemment intellectuels ; il ne regarde et n’enregistre que les mouvements psychologiques.
Les deux troupes qui occupaient la même scène ne différaient notablement que par le langage. […] Les Italiens avaient, paraît-il, effleuré ce sujet : « Molière, dit l’auteur des Nouvelles nouvelles, eut recours aux Italiens ses bons amis, et accommoda au théâtre français les Précieuses qui avaient été jouées sur le leur et qui leur avaient été données par un abbé des plus galants (l’abbé de Pure). » Malgré cette affirmation, il nous paraît fort peu vraisemblable que les Italiens eussent pu faire la satire du ridicule que la pièce nouvelle attaquait et qui git principalement dans le langage.
C’est l’ère de la littérature française, parce que c’est l’époque où un grand nombre de vérités générales sont exprimées dans un langage définitif. […] Le langage de l’amour dans Marot sera plus délicat, sauf aux rares endroits où Marot sent le Villon.
S’ils ne tiennent pas à donner à la pensée toute la force qu’elle pourrait avoir, ils apprennent à la parer, à la vêtir de beau langage. […] Au lendemain de la Saint-Barthélemy ou de la Révocation de l’Édit de Nantes, les idées et le langage des auteurs protestants prennent naturellement une virulence, une exaltation qui s’apaisent en des situations moins troublées.
. — Son langage et ses images. […] Tout, en effet, est démesuré dans Eschyle : la scène, les figures, les passions, les catastrophes, le langage.
Notre théâtre est devenu non seulement le témoignage éclatant de tout le dévergondage et de toute la démence auxquels l’esprit humain peut se livrer quand il est abandonné sans aucun frein, mais il est devenu encore une école de débauche, une école de crimes, et une école qui fait des disciples que l’on revoit ensuite sur les bancs des cours d’assises attester par leur langage, après l’avoir prouvé par leurs actions, et la profonde dégradation de leur intelligence et la profonde dépravation de leurs âmes. […] M. de Broglie reçut cette communication qui lui fut faite par les ambassadeurs des trois cours, et par chacun sur un ton un peu différent ; il y répondit en des termes parfaitement assortis : De même, disait-il dans sa circulaire destinée à informer nos agents du dehors, de même que j’avais parlé à M. de Hügel (chargé d’affaires d’Autriche) un langage roide et haut, je me suis montré bienveillant et amical à l’égard de la Prusse, un peu dédaigneux envers le cabinet de Saint-Pétersbourg.
Après un long et habile exposé de sa conduite et des circonstances qui peuvent atténuer ses torts : Voilà, mon père, dit-il en concluant, voilà l’ébauche de ce que je pouvais dire : ce n’est pas le langage d’un courtisan, sans doute ; mais vous n’avez point mis dans mes veines le sang d’un esclave. […] Non, Rivarol, l’homme qui sentait ainsi, et qui marchait dans ce sens élevé et en grandissant toujours, n’était point un barbare en fait de langage.
Hennin, qui vient d’aider Bernardin de sa bourse, a le droit de lui donner ces bons conseils ; il lui parle le langage d’un esprit juste qui suppose à son correspondant le désir réel de fixer sa fortune et sa destinée. Il parle un langage ; mais Bernardin en parle un autre ; au même moment, il écoute involontairement au-dedans de lui la voix de ce génie qui l’a jusque-là déçu de promesses et qui longtemps le décevra encore, et qui pourtant ne lui ment pas en lui disant : « Ce n’est pas là qu’est pour toi la gloire. » M.
Et cette antithèse, d’où sort l’antiphrase, se retrouve dans toutes les habitudes de l’homme ; elle est dans la fable, elle est dans l’histoire, elle est dans la philosophie, elle est dans le langage. […] En licence et audace de langage, Shakespeare égale Rabelais, qu’un cygne dernièrement a traité de porc.
Saint Aignan, l’évêque d’Orléans, qui fit encore plus pour sa ville que Léon pour Rome, il en explique la miraculeuse puissance sur les Romains et sur les Barbares « par le ton solennel et mystique que la lecture habituelle des livres saints imprimait au langage des prêtres de ce temps ». […] Amédée Thierry dans le sentiment et dans le langage.
Dans un langage fin et serré, grave à la fois et intérieurement ému, l’âme morale ouvrait ses trésors.
Au tourment du langage et à l’impuissance d’expression, on aurait dit des prêtres sur le trépied ; et, à ce sujet, l’on se rappelle peut-être encore avec quelle loyauté, assurément bien méritoire, l’auteur du Clocher de Saint-Marc a porté sentence contre lui-même dans le Mercure.
Le poète doit savoir bien mieux que nous sans doute quel est le langage qui leur va le plus au cœur.
Montaigne loue en lui « la naïveté et pureté du langage, en quoi il surpasse tous autres ».
On use de termes convenus, et d’un langage qui paraît noble, parce qu’il n’est pas celui de la vie courante.
Elles sont du Pere Bougeant, connu par son ingénieux Amusement sur le langage des bêtes : jeu d’esprit qu’il n’auroit pas dû se permettre, mais que des ennemis ardens traiterent avec trop de rigueur.
Mais, en réalité, on n’a pu lui faire tenir le langage qu’on lui a prêté qu’en faussant les principes sur lesquels il repose. jamais, je crois, Taine, n’eût accepté de regarder la morale comme la simple conclusion d’un syllogisme dont telle ou telle théorie psychologique ou philosophique aurait fourni les prémisses.
Poupardot parle le langage de la raison.
En principe, bonne ou mauvaise, on combat l’imitation, et l’on nous accuse même d’avoir « confondu l’imitation du sujet et l’imitation du langage ».
Et le devoir, ce n’est pas assez, il y faut encore ajouter quelque chose de délicat et de fier, cette distinction hautaine, ce luxe du bien qu’on appelle l’honneur. » Magnifique langage !
Autrement, l’auteur aurait beau s’écrier : J’étais là, telle chose m’advint, ce langage de pigeon voyageur pourrait intéresser la femelle restée au logis et faire un succès de famille, mais ne passionnerait pas — si pigeons fussent-ils — les autres pigeons qui sont le public.
Il en avait toujours senti les beautés, les poésies, les langages, mais en artiste, en poète, en raffiné, en âme qui s’était parfumée, comme celle de Rousseau, dans des rêveries de promeneur solitaire, et trempée, trempée dans la rosée où Jean Lapin s’en va faire sa cour à l’Aurore.
Les grands poètes ne sont pas que dans les mots et les attitudes et les finesses d’un langage.
Les solides eux-mêmes, ils les réduisaient aux chairs, viscera [vesci voulait dire se nourrir, parce que les aliments que l’on assimile font de la chair] ; aux os et articulations, artus [observons que artus vient du mot ars, qui chez les anciens Latins signifiait la force du corps ; d’où artitus, robuste ; ensuite on donna ce nom d’ars à tout système de préceptes propres à former quelques facultés de l’âme] ; aux nerfs, qu’ils prirent pour les forces, lorsque, usant encore du langage muet, ils parlaient avec des signes matériels [ce n’est pas sans raison qu’ils prirent nerfs dans ce sens, puisque les nerfs tendent les muscles, dont la tension fait la force de l’homme] ; enfin à la moelle, c’est dans la moelle qu’ils placèrent non moins sagement l’essence de la vie [l’amant appelait sa maîtresse medulla, et medullitùs voulait dire de tout cœur ; lorsque l’on veut désigner l’excès de l’amour, on dit qu’il brûle la moelle des os, urit medullas].
De là souvent une licence de langage qu’excitait la corruption même du culte ; mais, souvent aussi, une noble poésie, dans l’expression même de ce que la vertu devait condamner.
On peut certes avoir une distance critique face au flot d’attaques qui recourent en permanence à des images violentes n’hésitant devant aucun excès de langage. […] En effet, il est difficile de ne pas se laisser emporter par ce torrent de mots, de métaphores, il est difficile de ne pas rester coi devant la puissance, la créativité, la liberté du langage de Crevel. […] Et déjà, à cause de tous ces mots, qui sont à la fois des programmes électoraux, des étalons de valeurs morales, des monnaies d’échange, il nous faut noter que, dans l’histoire de l’homme, de l’humain, dirons-nous (assez beaux joueurs pour accorder cette ultime concession, la dernière cigarette à ces Messieurs de la démagogie en soutane ou complet-veston parlementaire) l’histoire du langage fait figure non d’un chapitre à d’autres tangent mais d’une glose ramifiée, entremêlée au texte. […] D’ailleurs, ceux qui se penchent sur les squelettes du langage, pour la plupart pauvres impuissants qui vont chercher dans leurs paléontologies l’oubli de leurs manques, en face du présent et de ses créatures, deviennent amoureux de leurs grimoires, tels, de leurs momies, les archéologues. […] A propos d’une chanson de geste Mais puisque langage et histoire de langage il y a, comment ne pas évoquer ce vieux pantin, qui, pour l’ouverture des cours de la Faculté des Lettres de Paris, la veille même de l’armistice, éprouva d’un râpeux bégaiement, ma bonne volonté toute neuve.
Tantôt il envisage la création immense sous ses aspects effrayants, abîmant sa pensée dans le vertige de l’infini matériel, et mettant tout son effort à traduire dans le langage humain les épouvantes et les visions de son âme éperdue. […] Il fallait un homme qui parlât au peuple le langage qu’il entend et qu’il aime, et qui se créât des imitateurs pour varier et multiplier les versions du même texte. […] On l’a dit, il y a parfois du Delille chez André Chénier, non sans doute dans le sentiment, mais dans certaines formes du langage, dont il n’a pu complètement s’affranchir. […] Mais aussitôt et dans la suite du même morceau, voici le langage mythologique qui recommence, précisément pour exprimer le vœu que la mythologie soit chassée de la poésie. […] Ce sont, pour leur donner leur vrai nom, des études d’un phénomène rare, la passion dans la vie mondaine, du caractère et des formes qu’elle y revêt, du langage qu’elle y parle, des effets imprévus qu’elle y produit.
Les origines — l’enfance Chaque génération chante pour elle-même et dans son langage. […] Ce chœur emprunté à la tragédie grecque, qui venait exprimer des idées fort peu antiques dans un langage très moderne, troublait et déroutait le lecteur. […] On n’avait jamais prêté langage plus exquis à l’amour jeune et ingénu. […] » Elle lui rappelle le mal qu’il lui a déjà fait à Venise, les choses offensantes ou navrantes qu’il lui a dites, et, pour l’a première fois, son langage est amer. […] Le langage qu’elle tenait à Musset était nouveau pour lui.
« Faites tout ce qu’il y a de bon, d’aimable, ce qui ne brise pas le cœur, ce qui ne laisse jamais aucun regret ; mais, au nom de Dieu, au nom de l’amitié, renoncez à ce qui est indigne de vous, à ce qui, quoi que vous fassiez, ne vous rendrait pas heureuse. » XI Ce langage d’un directeur spirituel touchait la jeune femme du monde, parce qu’elle était assez clairvoyante pour lire entre les lignes ce que l’ami se cachait à lui-même ; mais elle jouait avec le feu de l’autel, elle ne s’en laissait pas consumer. […] Le jeune prince lui-même, tout pénétré qu’il fût du sentiment des malheurs publics, n’en était point distrait de sa passion pour Juliette ; une correspondance suivie, fréquente, venait rappeler à la belle Française ses serments, et lui peignait dans un langage touchant par sa parfaite sincérité un amour ardent que les obstacles ne faisaient qu’irriter. […] Ballanche n’avait rien reçu de la nature pour séduire ni pour attacher : d’une naissance honorable, mais modeste, d’extérieur disgracieux, d’un visage difforme, d’un langage embarrassé, d’une timidité enfantine, d’une simplicité d’esprit qui allait jusqu’à la naïveté, Ballanche ne se faisait aucune illusion sur cette absence de tous les dons naturels ; mais il sentait en lui le don des dons : celui d’admirer et d’aimer les supériorités physiques ou morales de la création.
Ou l’homme exprimera directement, mais très imparfaitement, par le langage abstrait, le résultat de sa vie intérieure ; Ou il ira puiser dans le monde extérieur, à la source commune des impressions, dans l’océan de vie où tous nous sommes plongés, des images capables de donner par elles-mêmes les sensations, les sentiments, et jusqu’aux jugements qu’il veut exprimer. Le premier mode d’expression est, comme nous venons de le dire, le langage abstrait, qui n’exclut ni l’éloquence, ni même le sublime. […] Quant aux anges, on en parle à tout propos sans y croire ; chacun en crée avec sa fantaisie ; quelques-uns même décrivent leurs amours, et leur composent un langage de toutes les coquetteries du boudoir.
« Vois », dit le prince à son écuyer dans un langage aussi harmonieux que celui de Racine, aussi imagé et aussi naïf que celui d’Homère, « vois comme ce faon nous a fait déjà parcourir un immense espace ; vois avec quelle grâce il incline de temps en temps sa souple encolure pour jeter un regard furtif sur le char rapide qui le poursuit ! […] » leur dit-il en langage vulgaire, « ne perdez pas de temps à mettre en sûreté les faibles animaux qui peuplent votre sainte retraite : tout annonce l’approche du roi Douchmanta (c’est lui-même), qui se livre au plaisir de la chasse. » Puis, reprenant le langage des vers, comme cela a lieu dans le drame toutes les fois que l’expression s’élève avec le sentiment ou avec la description : « Déjà », dit-il, « un tourbillon de poussière soulevé par les pieds des chevaux retombe sur vos vêtements d’écorce, tout humides encore et suspendus aux branches où ils achèvent de se sécher, semblables à ces nuées d’insectes qui, par un beau rayon de soleil, viennent s’abattre en foule sur les arbres de la forêt… « … Tenez-vous en garde surtout, ô pieuses ermites, contre cet éléphant sauvage chassé par la meute, qui répand l’effroi dans le cœur des vieillards, des femmes et des enfants !
Nous disions que les diverses mémoires sont bien localisables dans le cerveau, en ce sens que le cerveau possède pour chaque catégorie de souvenirs un dispositif spécial, destiné à convertir le souvenir pur en perception ou image naissantes : que si l’on va plus loin, si l’on prétend assigner à tout souvenir sa place dans la matière cérébrale, on se borne à traduire des faits psychologiques incontestés dans un langage anatomique contestable, et l’on aboutit à des conséquences démenties par l’observation. […] Écartons cette dialectique naturelle à notre intelligence, commode pour le langage, indispensable peut-être à la pratique, mais non pas suggérée par l’observation intérieure : le souvenir apparaît comme doublant à tout instant la perception, naissant avec elle, se développant en même temps qu’elle, et lui survivant, précisément parce qu’il est d’une autre nature qu’elle. […] Ainsi le veut la réflexion, qui prépare les voies au langage ; elle distingue, écarte et juxtapose ; elle n’est à son aise que dans le défini et aussi dans l’immobile ; elle s’arrête à une conception statique de la réalité.
Il semble qu’ici les Amadis renaissent ; et, si j’osais essayer de parler le langage du temps, on y nage dans l’océan de l’invraisemblance, d’où l’on ne se sauve qu’en s’échouant sur l’écueil du ridicule. […] Voltaire parle mieux, quand il veut qu’on rapporte aux Provinciales l’époque de « la fixation du langage » ; et il a presque raison quand il les appelle « le premier livre de génie qu’on eût vu ». […] On attendra cent cinquante ans maintenant avant de reparler ce cynique langage, et il faudra qu’Helvétius, que Diderot, que le baron d’Holbach aient paru. […] S’ils ne sont pas eux-mêmes ce que l’on appelait dans le langage du temps des « incrédules passionnés » — et encore, ne le sont-ils point ? […] Mais si ce n’est pas le Pour et le Contre, alors, à en juger d’après le langage de Rousseau, c’est quelque pièce encore plus hardie, qui n’a pas été recueillie dans les œuvres de Voltaire.
Elle connaissait, elle pratiquait ces règles innées du discours, le commencement, le milieu, la fin, l’exorde, l’exposition, le raisonnement, le pathétique, la péroraison ; elle savait que l’ordre dans les idées et dans les faits, la clarté et la force dans le langage, la chaleur dans les sentiments, l’agrément même dans la diction, sont les conditions sans lesquelles l’orateur ne peut ni commander l’attention, ni communiquer la conviction aux assemblées publiques. […] C’est pour vous faire sentir que tous les moyens de l’éloquence, que toutes les richesses du style s’épuiseraient en vain, sans pouvoir, je ne dis pas embellir et relever par un magnifique langage, mais seulement énoncer et retracer par un récit fidèle la grandeur et la multitude des bienfaits que vous avez répandus sur moi, sur mon frère et sur nos enfants. […] Le vrai mode de traiter les sujets philosophiques, c’est l’échange mutuel des pensées, des objections et des réponses, c’est la conversation : causons. » XXIV Après avoir élagué toutes les subtilités scolastiques d’Épicure ou des autres prétendus sages, il préconise avec une admirable force de langage et de conscience les deux pivots de la vertu, l’honnête et la raison. […] Je veux de même, sans oublier mon ancien caractère d’orateur, m’attacher aux matières de philosophie : je les trouve infiniment plus grandes, plus abondantes, plus fécondes que celles de la tribune ; mon opinion a toujours été que ces questions élevées, pour ne rien dire de leur intérêt et de leur beauté, doivent être traitées avec étendue et avec toutes les perfections de style qui dépendent du langage.
Il semble que la tradition soit rompue et que toute une classe de jeunes gens de quinze ans ne puisse plus s’intéresser au langage de Cicéron. […] Les deux langages Un malheureux camelot, invité à circuler par un agent, répond : « Ta gueule ! […] Brunot, lequel n’y voit qu’une forme populaire de langage et l’équivalent de cette autre locution : « Ferme ça ! […] Mais comment faire comprendre à des magistrats, hommes de la société polie, hommes mesurés, distingués, qu’il y a en France deux langages, celui qu’emploient les gens qui fréquentent les salons et celui qu’emploient les gens qui ne fréquentent que le trottoir et le zinc.
Rien que par ces lignes on connaît sa physionomie, son costume, son langage, ses gestes. […] Il a donné son langage à tout ce qui n’en avait pas et il a créé un mouvement et une vie qui selon lui manquaient. […] … À remplacer tous les mots par des périphrases ; quel langage alors ! […] Ces raffinés du sport n’ont-ils pas introduit une espèce de patois anglais, un langage de jockey, de domestique ? […] … Il n’y a pas dans le langage des tons clairs ou sombres, il n’y a que des mots.
Pour apprécier la dignité de son langage en ces heures de crise, il n’est que de le mettre en contraste avec celui de Benjamin Constant. […] George Sand, qui n’était pas prude, l’ayant rencontré lors de son voyage en Italie avec Musset, fut révoltée de la crudité de son langage. […] Les mots eux-mêmes contribuent ici à accréditer l’erreur, et le langage sert à la répandre. […] Grelé ; mais ce qui est certain, c’est que ce langage n’est pas celui de Don Juan. […] Ces balbutiements, ces impropriétés de langage, ce jeu d’assonances font le charme imprécis, musical et mystérieux des chansons populaires et des rondes enfantines.
Les types qu’on y rencontre, les questions qu’on y voit soulever, les façons de penser et de sentir, le langage nous y déconcerte. […] Et un beau matin il se surprend travaillé d’une envie folle d’injurier grossièrement la Vierge, de l’invectiver en langage de roulier. […] Telle est la moderne confusion du langage, que le plus souvent on ne s’entend pas, faute de savoir de quoi on parle. […] Il en a reproduit les allures, les tics, le langage. […] Mais auprès des meilleures on éprouve le besoin de dissimuler par tous les artifices du langage la brutalité de l’aveu.
Si la beauté confie à la colombe messagère le secret qu’elle n’oserait révéler à ses austères gardiens, il ajoute : « Prête à voir l’oiseau charmant s’élever dans les airs, en emportant les vœux de sa tendresse, elle voudrait le retenir, comme on retient un aveu qui va s’échapper. » S’il parle des bouquets mystérieux qui racontent et les tendres inquiétudes et les douces espérances d’une jeune captive : « Messager, dit-il, plus discret que notre écriture, maintenant si connue, son parfum est déjà un langage, ses couleurs sont une idée. » L’ouvrage dont nous venons de rendre compte est suivi d’une espèce de nouvelle historique sur la vie du Camoëns.
Mais le sentiment, qui anime les pères et les frères en Saint-Simon d’Eugène Rodrigues, est à la fois plus simple et plus haut, plus calme et plus touchant ; leur langage est plus d’accord avec ce qu’il a dû désirer et espérer lui-même, avec ce qu’il doit continuer de sentir au sein de la vie nouvelle où il est déjà entré.
Il y règne parfois un mysticisme de langage amoureux qui rappelle certaines poésies du commencement duxvii e siècle.
Sans y penser il nous achemine vers une révolution du langage : car il lui faut des mots propres, des mots techniques, les seuls équivalents à ses sensations et significatifs de leurs objets601.
Ysaye, le pianiste, quelques parents lointains dans une voiture avec Mme Jules Laforgue, Paul Bourget, Fénéon, Moréas, Adam et moi ; et la montée lente, lente à travers la rue des Plantes, à travers les quartiers sales, de misère, d’incurie et de nonchalance, où le crime social suait à toutes les fenêtres pavoisées de linge sale, aux devantures sang de bœuf, rues fermées, muettes, obscures, sans intelligence, la ville telle que la rejettent sur ses barrières les quartiers de luxe, sourds et égoïstes ; on avait dépassé si vite ces quartiers de couvents égoïstes et clos où quelques baguettes dépouillées de branches accentuent ces tristesses de dimanche et d’automne qu’il avait dites dans ses Complaintes, et, parmi le demi-silence, nous arrivons à ce cimetière de Bagneux, alors neuf, plus sinistre encore d’être vide, avec des morts comme sous des plates-bandes de croix de bois, concessions provisoires, comme dit bêtement le langage officiel, et, sur la tombe fraîche, avec l’empressement, auprès du convoi, du menuisier à qui on a commandé la croix de bois et qui s’informe si c’est bien son client qui passe, avec trop de mots dits trop haut, on voit, du fiacre, Mme Laforgue riant d’un gloussement déchirant et sans pleurs, et sur cet effondrement de deux vies, personne de nous ne pensait à la rhétorique tumulaire6. » Jules Laforgue représente le type accompli de l’intellectuel en 1880.
Habile à décomposer et à mettre à nu les ressorts secrets du langage, elle est impuissante à reconstruire l’ensemble qu’elle a détruit si elle ne recourt pour cela à l’ancien système et ne puise dans le commerce avec l’antiquité l’esprit d’ensemble et d’organisation savante.
M. le Prince disait de lui : « Si Voiture était de notre condition, on ne le pourrait souffrir. » Je remarque que nous n’avons rien dit encore que de vague et de banal concernant la personne sur qui pèse aujourd’hui le ridicule de la préciosité de mœurs et de langage ; parlons un moment de ses premières années et des premières apparences de son caractère.
Pour signaler la décence de son langage, on prit des précautions si grandes contre l’indécence, et elles désignaient si bien l’écueil, qu’elles étaient l’indécence même.
Nous ne prétendons pas justifier Lafontaine sur quelques défauts de langage : nous pourrions dire que ces défauts tiennent en quelque sorte à la tournure de sa pensée, & contribuent souvent à l’embellir.
Voyons, dans cet écrivain, rival des tragiques Grecs & de Corneille pour l’intelligence des passions, une élégance toujours soutenue, une correction admirable, la vérité la plus frappante, point ou presque point de déclamation ; partout le langage du cœur & du sentiment, l’art de la versification avec l’harmonie & les graces de la poësie porté au plus haut dégré.
Il n’échappa au lieu commun de la mort du temps qu’en s’engageant dans la marine, et l’ironie qui gouverne le monde fit du professeur de beau langage, du doux Ionien de la rhétorique que nous avons connu, un matelot à bord du Brûle-Gueule… Je n’oserai jamais dire un rude matelot !