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741. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Chamfort »

Dieu lui avait départi les plus beaux de ses dons : la force, la beauté, un esprit qui pouvait monter jusqu’au génie sans la fange qu’il se mit lui-même sur les ailes. […] Pascal s’appelait avorton vis-à-vis de Dieu, et cette humilité grandit son génie. […] Il avait un redoutable esprit ; mais, génie noué par la bâtardise, il n’existe déjà plus, quoiqu’on le réimprime, que pour les esprits sans famille, comme l’était le sien, lesquels confondent le moraliste, cet éclaireur du cœur humain, avec l’aveugle d’orgueil et de ressentiment qui tire sur le cœur à balles forcées. […] XI Le christianisme voit la faute et en suit la trace dans l’instinct, dans l’âme, dans tout, dans le génie, mais jamais il ne vous la montre que pour vous dire de l’effacer.

742. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XX. M. de Montalembert »

devant Dieu par la foi, par l’abnégation, par l’œuvre collective, ils ont comme l’identité de la même vertu, de la même sagesse, de la même sainteté, et on pourrait tous les prendre les uns pour les autres, si Dieu n’avait pas donné à quelques-uns d’entre eux la différence qui compte devant l’Histoire, la différence ou d’un de ces caractères ou d’un de ces génies qui, en attendant l’égalité du Ciel, font la gloire et l’originalité parmi nous ! […] Après M. de Chateaubriand, ce n’est pas le Génie du christianisme, mais c’est le christianisme sans génie. […] Il s’est couché sur les Prophètes morts, comme Samuel sur la femme qu’il rappela à la vie, et ces grands morts ressuscitèrent dans son génie.

743. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Matter. Swedenborg » pp. 265-280

Et voilà le problème, insoluble peut-être : — à laquelle de ces deux puissances qui se partagent les échos de la célébrité, — la Moquerie ou la Gloire, — appartiendra définitivement Swedenborg, ce jour et nuit dans l’ordre des idées, ce génie imposant ou ce fou grotesque ? […] Ce qui reste d’eux là-dedans est la partie, plus forte que tout, la partie irréductible de leur génie. […] Balzac, qui était tellement créateur que son génie de créateur a fait souvent tort à ses hautes aptitudes d’historien et de critique quand il toucha à la Critique ou à l’Histoire, Balzac nous avait inventé un Swedenborg comme il nous inventa plus tard un Stendhal, — non pas un Stendhal du Rouge et Noir, qui s’était fait tout seul et très bien, mais un Stendhal de la Chartreuse de Parme, auquel beaucoup de nous ont été pris. […] L’an des savants les plus illustres de la Suède et même de l’Europe, il avait créé en métallurgie ; et s’il n’avait pas fait des découvertes égales en physiologie, en anatomie et dans les autres sciences naturelles, il avait vulgarisé avec génie les Winslow, les Malpighi, les Morgagny, les Boërhaave, les Swammerdam, les Levenhoek.

744. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Athanase Renard. Les Philosophes et la Philosophie » pp. 431-446

moins de génie que Saint-Bonnet, auquel on ne peut, en ce moment, comparer personne, — mais, comme lui, il s’efforce, dans la mesure d’un talent inférieur et différent, de ramener la Philosophie égarée à la Métaphysique chrétienne. […] Un jour, elle a passé, cette terrible idée, dans l’esprit d’un homme de génie, et Dieu sait le trouble qu’elle y jeta ! […] Et cela ne fit pas se cabrer et se rejeter en arrière le génie si longtemps chrétien de Lamennais ! […] Quoique sans génie, sans talent, sans esprit, sans homme d’intelligence première, elles s’emparent de l’esprit moderne avec un effroyable ascendant, et elles rencontrent précisément dans le « sens commun » d’un temps matérialisé de mœurs par une corruption de deux siècles, le plus redoutable auxiliaire.

745. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIV. Des panégyriques depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’en 1748 ; d’un éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741. »

Il y en eut, quoiqu’en petit nombre, où le génie seconda le zèle. […] Les grands hommes même obéissent jusqu’à un certain point à leur siècle ; mais en lui cédant, ils le dirigent ; et mêlant leur génie au goût dominant, ils le réforment. […] et comment la simplicité d’un enfant timide couvrait-elle cette profondeur et cette force de génie ? […] Toute la fin respire le charme de l’amitié, et porte l’impression de cette mélancolie douce et tendre, qui quelquefois accompagne le génie, et qu’on retrouve en soi-même avec plaisir, soit dans ces moments, qui ne sont que trop communs, où l’on a à se plaindre de l’injustice des hommes ; soit lorsque blessée dans l’intérêt le plus cher, celui de l’amitié ou de l’amour, l’âme fuit dans la solitude pour aller vivre et converser avec elle-même ; soit quand la maladie et la langueur attaquant des organes faibles et délicats, mettent une espèce de voile entre nous et la nature ; ou lorsqu’après avoir perdu des personnes que l’on aimait, plein de la tendre émotion de sa douleur, on jette un regard languissant sur le monde, qui nous paraît alors désert, parce que, pour l’âme sensible, il n’y a d’êtres vivants que ceux qui lui répondent.

746. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

Tout est de circonstance dans son génie ; il ne s’est jamais placé dans la chaire de l’homme de lettres ou sur le trépied du poète pour dire : Écoutez-moi, je vais raisonner ou je vais chanter. […] Quand nous disons du poète romain, nous nous trompons : Horace n’était Romain que par le séjour qu’il faisait à Rome : d’origine et de génie comme de caractère il était Grec. […] Nous ne donnons pas cela comme une qualité, mais comme une infériorité du génie poétique d’Horace. Ce génie même, quand il a abordé les grands sujets religieux, philosophiques, patriotiques, est quelquefois élevé, mais jamais complétement sérieux. […] Une haine endormie, mais immortelle, subsiste entre le vulgaire et l’homme de génie.

747. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Contes de Perrault »

Mais il ne faut jamais dire cela au génie de l’homme, ni le mettre au défi ; car voici une édition nouvelle qui laisse bien loin en arrière toutes les autres ; elle est unique, elle est monumentale ; ce sont des étrennes de roi. […] C’est beaucoup ; c’est peu pourtant, si l’on considère la diversité des génies et l’infinité des formes que peut revêtir la nature des talents. […] Le savant médecin, Claude Perrault, frère du nôtre, se réveilla un matin architecte de génie, faisant naturellement des plans de colonnades, d’arcs-de-triomphe ou d’observatoires, qui se trouvaient les plus beaux, les plus majestueux et les plus appropriés, et qui se faisaient accepter à première vue des connaisseurs. […] Enfin cet homme avait du génie, et, comme l’a dit son frère dans une Épître à Fontenelle, en parlant de celui qui a reçu du Ciel ce don indéfinissable ; Éclairé par lui-même, et, sans étude, habile, Il trouve à tous les arts une route facile ; Le savoir le prévient et semble lui venir. […] Charles Perrault, un peu moindre que son frère, avait le génie (c’est aussi le mot) tourné également du côté des beaux-arts, mais de plus et tout particulièrement du côté des belles-lettres.

748. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

Il est orateur : en attendant que le génie oratoire l’envahisse tout entier et lui façonne sa métaphysique, il se contente d’être le plus grand et le plus admirable des professeurs. […] De tous les philosophes, il n’en est aucun qui soit monté à des hauteurs pareilles, ou dont le génie approche de cette prodigieuse immensité32. […] Est-ce un si extrême malheur que d’avoir accepté une doctrine grandiose enseignée par de grands génies ? […] Je prends pour doctrine « cette philosophie qui commence avec Socrate et Platon, que l’Évangile a répandue dans le monde, que Descartes a mise sous les formes sévères du génie moderne, qui a été au dix-septième siècle une des gloires et des forces de la patrie, qui a péri avec la grandeur nationale, et qu’au commencement de celui-ci M.  […] Tout s’y tient, tout s’accorde pour définir le génie de l’auteur ; tout indique la domination définitive de la faculté maîtresse que nous avons reconnue dans les beautés et dans les défauts de son style, dans ses goûts et dans son impuissance d’historien et de peintre, et que nous reconnaissons dans le but, comme dans toutes les parties de sa philosophie, dans sa théorie de la certitude, de la raison, de la Divinité, de la justice et de l’art.

749. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 256-257

Il devoit beaucoup à la Nature, & il en avoit reçu les germes du génie. Il auroit donc été plus loin, sans contredit, si l’indigence n’eût pas été pour lui, comme pour beaucoup d’autres, le poison mortel du génie.

750. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 437-438

Palaprat n’avoit que de l’esprit : l’Auteur du Grondeur avoit du génie. […] Quant à ses petites Poésies, elles annoncent, comme ses Comédies, l’Homme d’esprit, né sur les bords de la Garonne, mais jamais l’Homme de génie, élevé sur les bords de l’Hipocrene.

751. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

Remarquez cependant que l’on n’hésite guère à louer Molière d’être un génie tout national. […] Celle de l’artiste de génie obligé d’improviser pour vivre. Certes, cette improvisation n’empêche pas son génie, mais l’aide-t-elle ? […] Fortifions notre génie français, en nous tenant au courant de tout ce qui se passe outre-Rhin. […] Ces peintres de génie créaient leur œuvre personnelle en acceptant cette servitude.

752. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

Arouet lui dit : « Monseigneur, vous ne croyiez pas avoir tant de crédit. » — Cet Arouet est un jeune homme qui fait bien les vers et avec beaucoup de génie. […] Ce qui surprend, c’est que tout y est sage, réglé, plein de mœurs ; on n’y voit ni vivacité ni brillants, et ce n’est partout qu’élégance, correction, tours ingénieux et déclamations simples et grandes, qui sentent le génie d’un homme consommé et nullement le jeune homme. […] Sénèques et Lucains du temps, apprenez à écrire et à penser dans ce poëme merveilleux qui fait la gloire de notre nation et votre honte. » Mais il se refuse bientôt à suivre le poète dans cette universalité de talents et d’emplois qu’il affecte ; « Il veut être à la fois poète épique, tragique, comique, satirique et, par-dessus cela, historien, et c’est trop. » Marais a cette idée mesquine et fausse, que j’ai vue à bien des esprits, d’ailleurs sensés et fins, en présence des poètes : «  Il va, dit-il, épuiser son génie, et bientôt il n’y aura plus rien dans son sac » ; comme si le génie ou le talent naissant était un sac, et comme s’il n’était pas bien plutôt une source féconde qui s’entretient et qui se renouvelle sans cesse en se versant. On peut dire de tout vrai génie ce qu’on a dit de l’amour : que c’est un grand recommenceur. […] … » Montesquieu n’avait rien désavoué ; il était rentré par la grande porte du mérite, et du droit du génie, déjà visible à tous et manifeste dans sa personne.

753. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Michel-Ange enfant y eut le berceau de son génie. […] Politien le devina et l’aima par analogie de génie. « Donnez-lui une bonne chambre dans le palais de Laurent », écrit-il à ceux qui en disposent sous ses ordres. […] Michel-Ange répandit son génie sur la Toscane et sur Rome, il égala l’antiquité sans l’imiter. […] Luther insurgea l’Allemagne ; l’unité se rompit sous le poids de l’or mal acquis ; mais le génie de Léon X régnait toujours. Rome, comme capitale des lettres et des arts, régit l’Italie avec le génie de Laurent de Médicis.

754. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

Avant tout, il demande à celui qui veut faire des vers d’être né poète, d’avoir le génie. […] Mais alors, imagination, génie, don du ciel, de quelque nom qu’on veuille appeler cette source première de poésie, d’où vient que Boileau n’en parle jamais ? […] Peut-être n’a-t-il quitté si souvent la voie où l’engageait son vrai génie, pour se faire moraliste et manieur d’idées, que par le désir de mettre dans ses vers des vérités d’un ordre plus universellement intelligible. […] En art, en poésie, comme en science, la création n’est qu’observation et intuition ; en sorte que l’invention ne consiste pas à tirer de son esprit ce qui n’a d’existence nulle part ailleurs, mais bien à extraire de la nature ce qui y est, et ce qu’on s’étonnera de n’y pas avoir vu, dès qu’un homme de génie l’aura montré. […] Il était fatal que Boileau, n’ayant point étudié, et ne pouvant avoir étudié en son temps la littérature dans son rapport avec le génie original et le développement historique des peuples, se trompât souvent dans un sens ou dans l’autre.

755. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

     — Les poètes sont les guides du génie humain  Les sommets sont dangereux ; on y a le vertige  Les grands hommes sont malheureux, parce qu’ils sont les enclumes sur lesquelles Dieu forge une âme nouvelle à l’humanité. […] Et cela ne prouve pas précisément que les bons lettrés qui se livrent à ces exercices aient le génie de Victor Hugo. […] Un homme pour qui Robespierre, Saint-Just et même Hébert et Marat sont des géants, pour qui Bossuet et de Maistre sont des monstres odieux, et pour qui Nisard et Mérimée sont des imbéciles…. ; cet homme-là peut avoir du génie : soyez sûrs qu’il n’a que ça. […] C’est une cloche retentissante dont les plus grandes, ou, pour mieux dire, les plus grosses idées de la première moitié de ce siècle sont venues tour à tour tirer la corde… Si donc on veut définir le génie de Hugo par ce qui lui est essentiel, je crois qu’il convient d’écarter ses idées et sa philosophie. […] Enfin, la personne même de Victor Hugo avait-elle une séduction, et sa vie a-t-elle eu une noblesse et une grandeur à quoi rien ne résiste et qui, s’ajoutant à son génie, lui assurent sans conteste la place la plus élevée dans l’admiration de ses contemporains ?

756. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

Craints et gâtés par leurs contemporains, l’Anglais et le Russe, tour à tour méfiants et téméraires, ont imposé leur génie et régné comme des despotes pleins de mépris pour leurs sujets. […] Joukovski a traduit le roman d’Ondine en hexamètres antiques ; d’autres ont employé le vers iambique ou notre alexandrin ; mais le vers qui paraît le plus naturel au génie slave est l’iambique de huit syllabes. […] Il me semble qu’aujourd’hui on méprise un peu trop le travail et qu’on n’estime que les génies primesautiers. […] À mon avis, les Bohémiens offrent comme le résumé le plus fidèle de la manière et du génie de Pouchkine. […] Quelque imparfaite que soit ma traduction, elle permettra pourtant d’apprécier les traits saillants du génie de Pouchkine mieux que je ne pourrais le faire comprendre par une longue dissertation.

757. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Beaux côtés du génie de Calvin. — § VI. […] Beaux côtés du génie de Calvin. […] Luther, quoique moins docte, ne l’avait pas ignorée mais il se fiait plus à cette méthode d’instinct, qui est le don des hommes de génie, et sa fougue le rendait incapable d’ordre et de proportion. […] Outre la gloire d’être la langue du culte chrétien, la langue dans laquelle toute l’Europe du moyen âge avait prié et pensé, le latin, expression de la loi civile, des actes publics, et en général de tout ce qui règle, discipline et lie, s’adaptait mieux au génie de notre pays. […] Je m’étonne donc peu qu’une grande partie de la France ait été d’abord calviniste, et que le reste ait eu la tentation de le devenir tant ce génie sérieux, logique, cet esprit de discipline, cette gravité sont conformes à l’esprit de notre pays !

758. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Les mêmes hommes de génie qui ont relevé l’esprit français d’un commencement de décadence, le soutiennent à la hauteur où ils l’ont porté d’abord, ou le portent plus haut. […] Vue de génie et témoignage de candeur chrétienne, d’autant plus méritoire que le paganisme était encore debout, que ses apologistes lui rapportaient les gloires de l’ancienne Rome et que le dessein du livre de saint Augustin est d’élever la cité de Dieu sur les ruines de la plus grande des cités terrestres ! […] Montesquieu s’y plaît, et comme il arrive aux hommes de génie, dans leur sujet de prédilection, il y excelle. […] Son génie n’est pas d’ailleurs de ceux qui s’imposent une méthode, ni qui se privent d’une pensée, parce qu’elle se présente hors de son lieu. […] C’est encore un trait qui lui est commun avec Montaigne d’avoir été si heureux, ou d’avoir si bien conduit sa vie, qu’il ne lui est venu aucun mal, même de ce qu’il n’aimait pas, et que son génie semble n’avoir eue que la plus grande de ses aises.

759. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 401-402

A travers des longueurs & des incorrections, on trouve dans ses Ouvrages une verve vigoureuse & la touche du génie. […] Les progrès rapides de sa Muse font juger combien il eût pu ajouter à sa réputation, si des jours plus longs & plus heureux lui eussent permis de cultiver son génie poétique.

760. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre V. Sculpture. »

La statue de Moïse, par Michel-Ange, à Rome ; Adam et Ève, par Baccio, à Florence ; le groupe du vœu de Louis XIII, par Coustou, à Paris ; le saint Denis, du même ; le tombeau du cardinal de Richelieu, ouvrage du double génie de Lebrun et de Girardon ; le monument de Colbert, exécuté d’après le dessin de Lebrun, par Coyzevox et Tuby ; le Christ, la Mère de Pitié, les huit Apôtres de Bouchardon, et plusieurs autres statues du genre pieux, montrent que le christianisme ne saurait pas moins animer le marbre que la toile. Cependant, il est à désirer que les sculpteurs bannissent à l’avenir de leurs compositions funèbres ces squelettes qu’ils ont placés au monument ; ce n’est point là le génie du christianisme, qui peint le trépas si beau pour le juste.

761. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Elle se mettait en flagrante contravention avec le génie de l’humanité. […] Son génie n’est qu’à l’état embryonnaire : mais pourtant il existe. […] Devant la splendeur de cette force et de ce génie, qu’importe le reste du monde ? […] Grave lacune dans son génie, si l’on en croit M.  […] Il se souvient d’avoir été prince, roi, génie, prophète, dieu.

762. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Il est rare que le génie soit isolé dans une famille ; il y montre presque toujours des germes avant d’y faire éclore un fruit consommé. […] Il y découvrit le tombeau d’Archimède, un des plus grands génies que la mécanique ait jamais donnés aux hommes, et il fit restaurer à ses frais le monument de cet homme presque divin. […] La pensée s’y précipite sans haleine en paroles courtes, comme si l’impatience et l’indignation essoufflaient le génie. […] Les hommes de génie sont jugés par les esprits médiocres : c’est le secret des accusations de la postérité contre la vertu civique de Cicéron. […] Éprise du génie et de la renommée de son second père, cette jeune Romaine l’aima et en fut aimée avec une passion qui effaça la distance des années.

763. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

La nature de son génie l’appelait-elle à l’accomplissement de cette tâche difficile ? […] Cette empreinte est à mes yeux le signe éclatant, le signe irrécusable du génie. […] Est-ce pour ménager nos yeux qu’ils nous expliquent l’origine de leur génie ? […] S’agit-il de rendre hommage au génie de M. de Lamartine ? […] Le lecteur sent à chaque ligne qu’il se trouve en présence d’un génie original.

764. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gide, André (1869-1951) »

André Gide, qui est un délicieux génie. […] Gide est devenu, après maintes œuvres spirituelles, l’un des plus lumineux lévites de l’église, avec autour du front et dans les yeux toutes visibles les flammes de l’intelligence et de la grâce, les temps sont proches où d’audacieux révélateurs inventeront son génie… Il mérite la gloire, si aucun la mérita (la gloire est toujours injuste), puisqu’à l’originalité du talent le maître des esprits a voulu qu’en cet être singulier se joignit l’originalité de l’âme.

765. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 388-389

Le caractere du Grondeur est d’une vérité, d’un comique, les nuances en sont développées avec une finesse & un génie qui placent cette Comédie immédiatement après les meilleures que Moliere ait faites ; elle pourroit même prétendre à l’égalité, si le dénouement répondoit au reste. […] Les Ouvrages des hommes de génie, & l’on peut appeler de ce nom l’Auteur du Grondeur, devroient être sacrés pour ceux qui n’en sont que les organes, & qui n’ont de mérite qu’à proportion qu’ils savent en rendre les beautés dans toute leur valeur.

766. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

Le génie ne s’enseigne pas. […] Toutefois, s’il est moins réglé et moins sage, son génie n’en éclate qu’avec plus de puissance. […] Les génies ailés de la Perse sont les chérubins de la Judée. […] Ce qui donnait à ce génie la grâce, c’est qu’il y joignait la modestie. […] Son style est peut-être le côté le plus original de son génie.

767. (1905) Promenades philosophiques. Première série

N’avoir point d’orgueil, quand on a du génie, ce serait manquer de jugement, c’est-à-dire n’avoir pas de génie, ce qui est impossible. […] Sans ce procédé, son génie eût-il été mal à l’aise ? […] Voilà, dit-il, les marques du génie : le pâté et la rature. […] Mais les heures de génie sont presque aussi rares que les hommes de génie, et les grands écrivains sont, comme les moindres, soumis à la loi de l’effort. […] Par génie, on entend l’aptitude naturelle à une fonction.

768. (1833) De la littérature dramatique. Lettre à M. Victor Hugo pp. 5-47

De jeunes écoliers, sous le prétexte de briser les entraves qui enchaînaient leur génie, ont rompu tous les liens qui, en resserrant l’action d’un drame, donnaient à toutes ses parties plus de mouvement, plus d’intérêt et plus de vraisemblance. […] De là des écrits nombreux, des diatribes amères contre Racine, Voltaire et Boileau ; et si, dans votre guerre à nos immortels génies, vous avez épargné Corneille et Molière, les plus classiques de tous nos auteurs, c’est que, par pitié pour la France, vous n’avez pas voulu lui enlever toutes ses gloires. […] La mienne, j’en conviens, mal servie par les trompettes de la renommée, s’est toujours bornée à suivre dans la carrière ces hommes de génie que nos pères avaient la faiblesse d’appeler grands. […] quel génie ! Et les comédiens de s’écrier à leur tour : Quel génie !

769. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

La poésie : Bertaut ; Vauquelin de laFresnaye ; Régnier, son caractère et son génie. — 2. […] Charron n’est coupable que d’avoir manqué de génie. […] Le « sage » Bertaut252 se dit et se croit disciple de Ronsard et de Desportes : il n’a ni l’art et le génie de l’un, ni la sécheresse brillante de l’autre. […] Mais l’originalité du génie de Régnier est dans la peinture des mœurs. […] Régnier eut le don du style : peut-être est-ce là le principal de son génie.

770. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

Notre légèreté est ainsi faite : la plus frivole des brochures politiques était lue par tout le monde, et bien des esprits distingués et sérieux ne s’inquiétaient pas même de savoir s’il y avait lieu de lire ces écrits attribués aux plus grands noms, et où se vérifie à chaque page la marque de leur génie ou de leur bon sens. […] L’idée de gloire, qui est inséparable de Louis XIV, s’y mêle, et, comme l’avenir aura un jour à s’occuper de ses actions, comme la passion et le génie des divers écrivains devront s’y exercer, il veut que son fils trouve là de quoi redresser l’histoire si elle vient à se méprendre. […] La condition des rois héréditaires allait devenir de plus en plus pareille à celle des fondateurs d’empires : il fallait presque, pour conserver désormais, le même génie et le même courage que pour créer et pour acquérir. […] Le style de Louis XIV n’a pas cette brièveté vive et brusque qui caractérise les pages originales de Napoléon, ce que Tacite appelle « imperatoria brevitas » : ce caractère incisif du conquérant et du despote, ce rythme court, pressé, saccadé, sous lequel on sent palpiter le génie de l’action et le démon des batailles, diffère complètement du style plus tranquille, plus plein et, en quelque sorte, héréditaire de Louis XIVo. […] [1re éd.] ce caractère incisif du conquérant, ce rythme court et pressé sous lequel on sent palpiter le génie de l’action, diffère complètement du style plus tranquille, plus plein et, en quelque sorte, héréditaire de Louis XIV.

771. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Il n’a point de repli du cœur à cacher ; tous ceux qui l’ont approché ont loué sa bonté, sa bonhomie autant que son génie même. […] Il avait le génie essentiellement tourné à ce genre de considérations. […] Les Lettres persanes, avec tous leurs défauts, sont un des livres de génie qu’a produits notre littérature. […] Très bon dans le particulier, naturel et simple, il mérita d’être aimé de tout ce qui l’entourait autant qu’un génie peut l’être ; mais, même dans ses parties les plus humaines, on retrouverait ce côté ferme, indifférent, une équité bienveillante et supérieure plutôt que la tendresse de l’âme. […] Et n’est-ce pas lui qui, dans le secret du cabinet, a dit : « Les histoires sont des faits faux composés sur des faits vrais, ou bien à l’occasion des vrais. » Et n’est-ce pas lui qui a dit encore : « On trouve dans les histoires les hommes peints en beau, et on ne les trouve pas tels qu’on les voit. » Qu’est-ce donc quand on ne s’attache qu’au génie de l’histoire ?

772. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

Necker, on le voit, est un des précurseurs les plus honorables du grand mouvement qui éclata au commencement du xixe  siècle, et son recueil de discours ne précéda que de deux années le Génie du christianisme. […] Necker, dans la teneur morale de sa vie, doit sembler plus d’accord avec ses doctrines religieuses que ne le fut avec les siennes le brillant et fragile auteur de tant d’écrits passionnés : mais l’idée du Génie du christianisme (je le prouverai un jour par une pièce décisive que j’ai été assez heureux pour rencontrer) fut sincère à l’origine et réellement conçue dans les larmes d’une pénitence ardente, bien que trop tôt distraite et dissipée. Cette première inspiration fut suffisante à l’artiste pour le soutenir de loin ensuite dans l’exécution de son œuvre ; le reste lui vint de son génie littéraire et de son pinceau, de ce don divin de l’imagination qui avait été refusé à ses devanciers. […] Une seule réflexion se présentera, comme une conséquence presque littéraire : il serait singulier que l’homme qui a vu bien des choses d’une manière distinguée, mais si peu conforme au génie français, eût vu juste précisément sur le point le plus difficile de tous, sur la forme de gouvernement la mieux appropriée au génie de la France41. […] Mais comme le génie d’une nation, à la longue, l’emporte toujours, il s’est trouvé que, peu à peu, le simple usage a ramené la netteté et a rétabli le courant.

773. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

Contemporain et ami de Boileau et de Racine, le bonhomme, au premier abord, n’a presque rien de commun avec eux que d’avoir aussi du génie ; et ce serait plutôt à Molière qu’il ressemblerait, si l’on voulait qu’il ressemblât à quelqu’un parmi les grands poëtes de son âge. […] Son génie avait-il jusque-là sommeillé dans l’oubli de la gloire et l’ignorance de lui-même ? […] Il avait alors vingt-deux ans, dit-on, et son génie prit feu aussitôt comme celui de Malebranche à la lecture du livre de l’Homme. […] Molière et Racine avaient de bonne heure cessé de se voir ; Chapelle, adonné à des goûts crapuleux, était perdu pour ses amis, et La Fontaine aussi les affligeait par de longs désordres qui souillèrent à la fois son génie et sa vieillesse.

774. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

Dans toutes les langues, la littérature peut avoir des succès pendant quelque temps, sans recourir à la philosophie ; mais quand la fleur des expressions, des images, des tournures poétiques n’est plus nouvelle ; quand toutes les beautés antiques sont adaptées au génie moderne, on sent le besoin de cette raison progressive qui fait atteindre chaque jour un but utile, et qui présente un terme indéfini. […] Encourager les hommes de lettres, c’est les placer au-dessous du pouvoir quelconque qui les récompense ; c’est considérer le génie littéraire à part du monde social et des intérêts politiques ; c’est le traiter comme le talent de la musique et de la peinture, d’un art enfin qui ne serait pas la pensée même, c’est-à-dire, le tout de l’homme. […] Ce n’est que dans les états libres qu’on peut réunir le génie de l’action à celui de la pensée. […] Il ne craint plus de consumer en lui-même le flambeau de la raison, sans pouvoir jamais porter sa lumière sur la route de la vie active ; il n’éprouve plus cette espèce de honte que ressentait le génie condamné à des occupations spéculatives devant l’homme le plus médiocre, si cet homme, revêtu d’un pouvoir quelconque, pouvait sécher des larmes, rendre un service utile, faire du bien au moins à quelqu’un sur la terre.

775. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre I. Vue générale du seizième siècle »

Ni génie d’un homme, ni commun sentiment n’avaient la force de rejeter le poids encombrant des choses mortes. […] Le xive et le xve  siècle auraient fait la Renaissance, si l’antiquité seule avait suffi pour donner au génie français l’impulsion efficace et définitive. […] Mais il est curieux de voir comment dans ce contact d’une civilisation supérieure, qui la domina si puissamment, la France préserva, développa même son originalité littéraire : chaque élément de la Renaissance italienne fut adapté, transformé ou éliminé par ce génie français dont elle a tout à coup éveillé la force. Moins artiste que le génie italien, il a des tendances pratiques et positives, qui l’orienteront vers la recherche de la vérité scientifique ou morale : il trouvera de ce côté un appui dans les races septentrionales, en Angleterre, en Flandre, en Allemagne surtout, où la Renaissance prend la forme de l’érudition philologique et de la réforme religieuse.

776. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens I) MM. Albert Wolff et Émile Blavet »

Je suis même étonné qu’Ignotus, qui n’est souvent qu’un Jocrisse à Patmos, mais qui a quelquefois, parmi tout son galimatias, des visions saisissantes et comme des lueurs de génie, soit resté si longtemps dans la maison. […]  » Lisez à la fin : « Le génie de Molière a moins d’influence sur l’éclat d’une fête nationale que les bombes et les fusées de Ruggieri. » Et, croyez-moi, ces deux phrases, prises au hasard, sont encore parmi les plus passables du moraliste du Figaro. […] Et je conçois aisément quelque chose au-dessus du génie littéraire, à plus forte raison au-dessus du talent d’écrire congrûment. Si le choix m’en avait été laissé, j’aurais choisi d’abord d’être un grand saint, puis une femme très belle, puis un grand conquérant ou un grand politique, enfin un écrivain ou un artiste de génie.

777. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Œuvres littéraires de M. Villemain (« Collection Didier », 10 vol.), Œuvres littéraires de M. Cousin (3 vol.) » pp. 108-120

Villemain excelle à ces traductions qui rendent si bien le génie d’une langue, sans offenser jamais celui d’une autre. […] Le beau génie de la Grèce, dit-il, semble s’obscurcir ; un nuage a voilé sa lumière ; mais c’est un des progrès moraux que le christianisme apportait au monde, un progrès de douleur sur soi et de charité pour les autres. […] Lorsque, la première fois, le brillant écrivain abordait ces portions d’étude si compliquées et parfois si sombres, il n’avait connu que les grâces de la vie, et il n’en avait recueilli que les applaudissements faciles : « Lecteur profane, disait-il, je cherchais dans ces bibliothèques théologiques les mœurs et le génie des peuples… » Pour bien apprécier le génie des Ambroise et des Augustin durant ces âges extrêmes de la calamité et de l’agonie humaine, il fallait avoir fait un pas de plus, et y revenir avec la conscience qu’on n’a été soi-même étranger à rien de l’homme.

778. (1760) Réflexions sur la poésie

Ceci ne regarde pas nos grands poètes vivants ; leur génie, leur succès, la voix publique les exceptent et les distinguent : mais pour la foule qui se traîne à leur suite, la carrière est devenue d’autant plus dangereuse, que la plupart des genres de poésie semblent successivement passer de mode. […] En poésie même, les auteurs de génie n’en font plus aucun usage ; ils n’osent toutefois le condamner ouvertement dans les vers, à cause de la possession immémoriale où il est d’y régner ; mais en prose le même droit de prescription ne les arrête pas, et ils en font justice sous un autre nom. […] Ce n’est pas que l’académie n’ait remarqué du talent, et même des étincelles de génie, dans quelques-unes des pièces qu’elle a reçues ; mais ce n’est point à quelques vers détachés, et flottant pour ainsi dire au hasard, c’est à l’ensemble d’un ouvrage qu’elle accorde le prix. […] Il n’y a que les vers sans génie qui perdent à ce refroidissement, et ce n’est pas là un grand malheur.

779. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le colonel Ardant du Picq »

… L’expérience, le passé, les réalités qui en sortent, ces choses éternelles contre lesquelles l’homme, eût-il du génie, n’est pas le plus fort et ne le sera jamais, maintiennent et affermissent davantage dans son équilibre ce ferme esprit, — disons-le à sa gloire !  […] Cette discipline transformatrice de l’homme, qui solidifie la nature humaine devant le danger et la destruction, et met une âme et une volonté à la place des frémissements et des tressaillements de la chair, tous les génies militaires qui ont paru dans le monde et y ont laissé une trace de leur passage, depuis Xénophon jusqu’à César et depuis César jusqu’à Napoléon, ont voulu la réaliser, l’exalter, la pousser jusqu’au plus haut point de perfection, — quelquefois par des moyens atroces. Et l’auteur des Études sur le Combat, en faisant comme eux aujourd’hui, n’invente pas, mais reste dans la tradition inexpugnable de tous ces génies. […] cette tradition de tous les génies militaires sur la nécessité de la discipline, retrouvée aujourd’hui dans sa beauté sévère sous la plume du colonel Ardant du Picq, sera considérée, qui sait ?

780. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Louis Vian » pp. 373-387

L’avocat même a parfois gâté jusqu’au génie du grand Corneille. […] À toutes les époques, du reste, les portraits sont intéressants, et il en est dans lesquels on a déployé autant de génie que dans les tableaux les plus grandioses. […] Les facultés naïves, abondantes, plantureuses, abandonnées, confiantes, d’une grâce diffuse ou onduleuse, qui sont l’étoffe à pleine main et foisonnante du génie, firent toujours défaut à Montesquieu. […] Louis Vian, qui croit à Montesquieu plus de génie que moi, a vu l’acuité ; mais a-t-il vu, comme moi, la sécheresse, qui l’explique autant que l’acuité ?

781. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « L’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II »

Sans être marquée de ce cosmopolitisme du génie qui rend les grandes œuvres justiciables de la critique de tous les pays et en fait une acquisition pour le monde, cette histoire, que Macaulay s’est engagé à continuer jusqu’à nos jours, est, dans la pensée du célèbre écrivain, le monument de sa gloire future, ce point central sur lequel, quand on a quelque renommée, on veut en ramener les rayons. […] Nous ajoutons qu’un historien impartial aurait dit que c’était sa gloire, et que, dans cette position suprême, le Roi, aurait-il même eu du génie, — si le génie n’avait pas ébloui la conscience, ce qui lui arrive quelquefois, ou si une ambition vulgaire ne l’avait pas éteinte, — le Roi, repoussé par celle de tout un peuple, n’avait d’autre ressource que de tomber dans la pureté immaculée de la sienne. […] Il n’y a pas longtemps encore que l’effroyable et froide hypocrisie de Cromwell était passée en force de chose jugée historique, et Thomas Carlyle, qui n’a pas eu besoin de son génie pour cela, a démontré, preuves en main, que s’il fut jamais un homme convaincu de ses idées religieuses, un homme vrai, sincère et croyant, c’était ce vieux diable d’Olivier Cromwell !

782. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Jacques Cœur et Charles VII »

Mais il n’en était pas de même pour Jacques Cœur, Ce grand honnête homme de génie était aussi une haute et robuste vertu, et tranchait bien, par l’ordre de sa vie et la beauté de ses instincts, sur le sombre et sanglant repoussoir des vices et des crimes de son siècle. […] Mêlé aux grandes affaires et les dominant, comme homme d’État et financier, Jacques Cœur rappelle deux autres destinées de notre histoire, celles d’Enguerrand de Marigny et de Fouquet, mais il les fait pâlir toutes deux par le génie et par l’innocence. […] l’histoire générale, qui est le majorat des hommes de génie, — et un majorat qu’aucune législation ne garde contre l’ambition des esprits inférieurs, — l’histoire générale gagnerait beaucoup à ce que chacun se renfermât dans ses quelques pieds carrés de sol historique, et les défrichât, et les retournât pour leur faire donner toute la moisson de renseignements et de vérités qu’ils contiennent. […] — du génie individuel d’un homme qu’elle n’est autre chose.

783. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Michelet » pp. 259-274

L’homme, puissant d’un talent qui touchait au génie, faisait un si grand mal alors que la Critique n’avait pas à s’attendrir sur son compte et ne pouvait songer à autre chose qu’à frapper implacablement sur les erreurs ou les songes de ce corrupteur de l’Histoire ; car le mensonge fut souvent le caractère de ses erreurs. […] C’est bien moins de leur génie militaire et de leurs hauts faits de bataille dont il se préoccupe que de ces vertus, qu’il croit humaines et qui sont chrétiennes ; car l’Antiquité, qui ne fut qu’humaine, n’a rien produit de comparable à de tels héros ! […] c’est la plus chrétienne de ces vertus, en ces hommes sublimes, que Michelet a le mieux sentie et qui a le mieux inspiré le génie chrétien qui était en lui d’origine, et qu’il a si horriblement profané. […] Lui, ne fut qu’un grenadier engagé à cinquante-sept ans, après avoir déjà, comme officier, servi la France ; un simple grenadier, qui, sans Carnot, — lequel eut, ce jour-là, une lueur de génie, et qui le nomma officiellement : « le premier grenadier de France », — fût resté irrécompensable ; car il faut bien créer un mot pour exprimer une chose avant lui inconnue.

784. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « II. Jean Reynaud »

Jean Reynaud a un mérite que les philosophes doivent singulièrement apprécier, et qui ne tient ni à ses idées ni à la force de son génie. […] Spinosa, Voltaire, Hegel, tous ces insectes humains, enivrés de la goutte de génie que Dieu leur versa dans la télé et qu’ils ont rejetée contre Dieu, jouent leur rôlet de Titans-Myrmidons jusqu’au bout et visière levée. […] Mais — disons-le à son éloge — le dix-huitième siècle, dont il procède, n’a pu lui donner ce mépris de brute pour les problèmes surnaturels qui distingue ses plus beaux génies. […] En effet, c’est l’opposition et la caricature de ces Soirées de Saint-Pétersbourg, dans lesquelles l’auteur esquive aussi la difficulté d’une exposition méthodique par cette forme trop aisée du dialogue, mais, du moins, en sait racheter l’infériorité par l’éclat de la discussion, le montant de la répartie, la beauté de la thèse et de l’antithèse et une charmante variété de tons, depuis la bonhomie accablante du théologien jusqu’à la sveltesse militaire ; depuis l’aplomb du grand seigneur qui badine avec la science comme il badinerait avec le ruban de son crachat, jusqu’au génie de la plaisanterie, comme l’avait Voltaire !

785. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXX. Saint Anselme de Cantorbéry »

Seulement, pour tous ceux qui ont touché à ces questions dévorantes, on sera suffisamment fondé à affirmer que Ce n’est pas la métaphysique, qu’elle s’appelle des plus beaux noms que le génie ait eus dans l’histoire, qui peut combler l’abîme existant entre l’homme et Dieu, et tracer pour l’homme un chemin, au-dessus de ce gouffre. […] Il entrait dans le domaine des discussions humaines, fatalement entrecoupées de ténèbres et de lueurs flottantes, et il y apportait son génie. […] Franchement, quand on a lu attentivement son travail, peut-on dire que le métaphysicien, avec les grêles propositions de son analyse habituelle, ait vu réellement et jugé profondément ce mâle onzième siècle qui demanderait tant de vigueur de génie et de largeur d’appréciation ? […] Une individualité aussi élevée que celle de saint Anselme devait se rattacher à ces faits, et elle s’y rattachait non pas en vertu de son génie qui l’antidatait de plusieurs siècles, mais en vertu de ses vertus.

786. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Lacordaire. Conférences de Notre-Dame de Paris » pp. 313-328

Nourri de la moelle du lion théologique saint Thomas d’Aquin, il a appliqué aux besoins du siècle présent la doctrine de ce génie incomparable. […] Quand il a un certain génie, cet homme-là s’appelle Shakespeare ou Molière ; quand il en a un certain autre, La Rochefoucauld, La Bruyère, Vauvenargues ; mais, quand il est prêtre et qu’il a quelque intelligence, il en sait plus sur la nature humaine que les hommes d’un génie supérieur au sien. […] La simplicité du saint vaut mieux que la sagacité du génie.

787. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Arsène Houssaye » pp. 271-286

Or, quand on est un de ces génies assez puissants pour changer une poétique qui régnait jusque-là, que ce soit celle du roman ou de la guerre, il se passe des générations d’hommes qui appliquent cette poétique nouvelle et en vivent, spirituellement, jusqu’au jour clairsemé, et qui se fait longtemps attendre, où arrive encore un homme de génie, avec une autre poétique, qui bouleverse tout et renouvelle tout à son tour. […] Regardez-y avec attention : Messaline, malgré le génie grossissant de son tortionnaire Juvénal, n’est pas, en somme, plus profonde que cela. […] son livre y gagnerait et son idée aussi) ; sa Messaline blonde n’est une Messaline que pour le monde, le monde sot qui l’appelle ainsi avec son génie d’observation ordinaire ; mais, en réalité, elle ne l’est pas.

788. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Le Sage » pp. 305-321

Moraliste tout rond, dont on ignore les principes et que les rhétoriques, plaisantes cautions de son génie, appellent un grand moraliste et un grand écrivain, et ne craignent pas de mettre entre La Bruyère et Beaumarchais, il ne doit rien pourtant aux violentes passions de son époque, si bonne pour lui. […] Mais preuve aussi que ce ne fut point la Vocation, ce Destin du génie, qui le poussa, de ses mains inspiratrices, dans la littérature. […] Je ne reproche point à Henri Monnier d’avoir fait Le Roman chez la portière, le meilleur coup que la Critique ait jamais porté à Alexandre Dumas, étant, moi, de ceux-là qui se défient des génies capables d’enthousiasmer les laquais ! […] Balzac, ce colossal, a été obligé de se courber sous cette fourche caudine, et le feuilleton a quelquefois eu l’insolence de ne pas trouver amusants (c’est le mot dont on se sert) les chefs-d’œuvre que Balzac, l’Antonio de ce nouveau Shylock, donnait à couper dans la chair vive de son génie.

789. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVI » pp. 100-108

On se rappelle à Paris la malencontreuse journée où il essaya de répondre à Lamartine au moment de la grande défection de celui-ci : c’était, nous assuraient les témoins, un singulier et triste spectacle que, dans une situation où pourtant il y avait, rien qu’avec du bon sens, tant et de si bonnes choses à dire, de voir un orateur aussi habile, une langue aussi dorée et aussi fine que l’est Villemain, balbutier, chercher ses mots et ses raisons ; on aurait cru qu’il n’osait frapper par un reste de respect pour le génie littéraire ; que l’ombre de ce génie, un je ne sais quoi, le fantôme d’Elvire debout aux côtés du poëte et invisible pour d’autres que pour l’adversaire, fascinait son œil et enchaînait son bras. […] Et de plus encore, si l’on ôte le vernis et le prestige du génie moderne, Cousin pourrait sembler proprement un sophiste, le plus éloquent des sophistes dans le sens antique et favorable du mot, comme Villemain serait le plus éloquent rhéteur dans le sens antique et favorable aussi.

790. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat. (suite et fin) »

C’est trop de soin vraiment : je crois qu’aucun de ces deux génies, pour trouver sa pensée, ou son expression, n’avait besoin de l’autre, et j’aime mieux m’en remettre à l’adage vulgaire : les beaux génies se rencontrent. […] Mais ce génie impétueux, ne trouvant d’abord que bienveillance et admiration, se soumit comme de lui-même à cette raison qu’amènent les années.

791. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre VI. Conclusions » pp. 232-240

Oter aux jeunes gens la permission de s’inspirer, c’est refuser au génie la plus belle feuille de sa couronne, l’enthousiasme ; c’est ôter à la chanson du pâtre des montagnes le plus doux charme de son refrain, l’écho de la vallée… « Il m’a toujours semblé qu’il y avait autant de noblesse à encourager un jeune homme, qu’il y a quelquefois de lâcheté et de bassesse à étouffer l’herbe qui pousse, surtout quand les attaques partent de gens à qui la conscience de leur talent devrait, du moins, inspirer quelque dignité et le mépris de la jalousie. » Nous avons tenu à donner ces fragments dont la finesse et la vérité sont aujourd’hui trop oubliés des critiques et des auteurs. […] Ajoutez au lyrisme de Rousseau, tout le génie de Châteaubriand qui, lui, a fait le xixe  siècle littéraire. […] Malheureusement pour le génie français, la victoire est trop souvent restée au Genevois.

792. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre II. Des Orateurs. — Les Pères de l’Église. »

Toutefois, au milieu de ces inspirations, leur génie conserve le calme et la majesté. […] Ces progrès du génie philosophique sont évidemment le fruit de notre religion. […] Il réussit surtout à peindre les mœurs, et il avait reçu quelque chose du génie de Théophraste et de La Bruyère.

793. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Léon Bloy »

Dans une époque où le génie de la concession qui gouverne le monde va jusqu’à lâcher tout, un esprit de cet absolu et de cette rigueur a épouvanté ceux-là même qu’il aurait le mieux servis. […] Et c’est la toute-puissance inattendue, qui vient de plus profond que de l’âme ou du génie de l’homme, et qui plane au-dessus de toute littérature. […] Cette partie dogmatique du livre de Léon Bloy est réellement de l’histoire sacrée, comme aurait pu la concevoir et l’écrire le génie même de Pascal, s’il avait pensé à regarder dans la vie de Christophe Colomb et à expliquer la prodigieuse intervention, dans les choses humaines, de ce Révélateur du Globe, qu’on pourrait appeler, après le Rédempteur Divin, le second rédempteur de l’humanité !

794. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

C’était en quelque sorte le génie gothique de cette ville gothique. […] — et ils invitaient les jeunes poètes à ne pas imiter cette licence du génie. […] Cette tête nerveuse, expressive, mobile, pétillait d’esprit, de génie et de passion. […] Il en avait le génie inquiet, tumultueux, lyrique, désordonné, paroxyste. […] En 1812, la conscription le prit et il servit quelque temps dans la brigade du génie topographique.

795. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Paul Chalon »

Vous avez dû le remarquer : ceux de nos compagnons de jeunesse qui nous ont été enlevés dans leur printemps, ce sont presque toujours les meilleurs et les mieux doués, ceux dont nous attendions le plus, ceux à qui nous croyions du génie. […] Un Dieu moissonne les adolescents de génie et les belles jeunes filles, afin que ses élus soient un jour réjouis par leur beauté et par leurs chants ; et le printemps éternel sera fait de ces printemps humains brusquement interrompus… Je livre cette idée consolante et déraisonnable à quelque poète spiritualiste.

796. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Désaugiers, Marc-Antoine-Madeleine (1772-1827) »

Charles Nodier Le ciel, qui lui avait donné le génie d’Anacréon, lui en devait peut-être aussi les cheveux blancs… Désaugiers, si heureusement inspiré par le plaisir, avait aussi des chants pour la sagesse. […] Il a le génie de la chanson quand Béranger n’en a que le talent.

797. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 235-237

Buffier, Restaut, la Touche, Wailli, & quelques autres, ont composé des Grammaires qui se réduisent à l’exposition des regles du discours : celui-ci, moins occupé du mécanisme des Langues, que de leur génie particulier, en a fait, pour ainsi dire, l’anatomie ; & c’est en les décomposant, qu’il en a expliqué les premiers principes. […] La Méthode raisonnée pour apprendre la Langue Latine, pour n’être pas aussi estimable que ce Traité, ne fait pas moins d’honneur au génie analytique de M.

798. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Aussi ne s’agit-il pas ici de Génie, mais d’un de ces talents précis et restreints dont, mieux que tout, les origines vont nous justifier la valeur autant que les limites ! […] D’avoir retrouvé dans ce bref récit : Esclave, si ramassé dans sa forme, toutes les vertus de notre génie français, ce fut pour nous la plus vive satisfaction. […] Non moins vainement pourraient-ils objecter à ces talents certains les précédents du génie, car elles auraient toujours la faculté de leur répondre : « Où sont donc vos Balzac ? […] … De quel droit le talent vient-il à talent égal opposer l’exemple du génie ?  […] Point de génie, avons-nous dit, mais un groupe de délicieux talents… Quoi d’étonnant si, de valeur presque égale, quelques-unes sont venues réclamer leur place dans la lumière que projette la Renommée ?

799. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre II, grandeur et décadence de Bacchus. »

Il romprait les liens dont l’Aristée de Virgile enchaîna Protée : tour à tour, comme le vieux Génie maritime, tigre et dragon, tourbillon de flamme ou fleuve ruisselant. […] L’entrée du dieu nouveau dans l’Hellade fut celle d’un, bon Génie campagnard. […] Rien n’est curieux comme de voir, dans l’épopée de Nonnos, l’Inde aux prises avec le génie hellénique qu’elle absorbe en le combattant. […] Adonis entra de bonne heure dans l’Hellade ; le génie du lieu orna et embellit sa légende. […] Les Satyres à pieds de chèvre et à queue de singe jettent bas leurs masques de Génies agrestes, et deviennent des diables fétides.

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