/ 2380
487. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Charles Barbara » pp. 183-188

Trop exigeant et trop véritablement romancier pour se livrer à la douce commodité d’une monographie personnelle, Barbara a délaissé ce moyen psychologique et facile d’exposer par l’analyse ce qu’on ne sait pas montrer autrement : par l’action. […] Il s’est rappelé, pour le mettre en action, le mot profond du moraliste : « Tout ce qu’on ne dit pas n’en existe pas moins, et tout ce qui est se devine. » Clément (l’assassin du Pont-Rouge) vit avec le renard du Lacédémonien qui lui mange le ventre, et toute sa vie se passe à bien boulonner son gilet de piqué blanc par-dessus.

488. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VI. Des éloges des athlètes, et de quelques autres genres d’éloges chez les Grecs. »

Outre ces éloges chantés ou prononcés une fois, les Grecs avaient des espèces d’éloges périodiques ou anniversaires, en l’honneur des citoyens qui avaient fait quelque action extraordinaire, ou rendu de grands services à l’État. […] C’est là encore que l’on voit le génie de ce peuple, qui mêlait à ses plaisirs mêmes des leçons de grandeur ; là, tous les arts étaient asservis à la politique, et la musique même, qui ailleurs n’est destinée qu’à réveiller des idées douces et voluptueuses, ou à irriter une sensibilité vaine, célébrait dans Athènes les grandes actions et les héros.

489. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XII. Des panégyriques ou éloges des princes vivants. »

Chez un ancien peuple, il y avait une loi qui ordonnait de graver sur un monument public, toutes les grandes actions que faisait le prince ; on élevait une colonne dans le temple, on la montrait au prince le premier jour de son règne, et on lui disait : « Voici le marbre où l’on doit graver le bien que tu feras ; voilà le burin dont on doit se servir ; que la postérité vienne lire ici ton bonheur et le nôtre. » D’abord on n’y grava rien que de vrai ; un prince eut le malheur de ne faire aucun bien à ses peuples, il mourut sans qu’un seul caractère fût tracé. […] On commença par rendre des actions de grâce au prince, lorsqu’on était nommé consul.

490. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Nous ne savons pas du tout comment s’effectue l’action humaine. C’est une erreur d’enfants ou de primitifs que de croire savoir comment les actions humaines s’accomplissent. […] Ce serait pourtant la vérité même, si nous savions comment l’action s’accomplit. […] Mais, dans le fait, la conscience réprouve une action parce que cette action a été longtemps réprouvée. […] Dans ce cas l’on accorde que ces jugements sont vraiment les motifs des actions ; mais que ce sont des erreurs, fondements de tous les jugements moraux, qui poussent les hommes à des actions morales.

491. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

Il exerce d’autant plus d’action sur les intelligences que l’instruction est moins forte plus cette distraction est unique, plus elle a d’influence sur le moral. […] Celui-ci n’a que la théorie, celui-là y joint la pratique, l’action, le drame. […] Dans ces conditions, l’action des générateurs directs peut combattre efficacement l’influence atavique vicieuse. […] Pour exprimer les choses et les actions les plus prosaïques, les plus communes, il a recours à des images, toutes contournées, alambiquée. […] Le lecteur alors est en droit de se persuader que l’action qui va se dérouler est en rapport direct avec le milieu si longuement et si minutieusement analysé.

492. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre II. Attardés et égarés »

la pastorale prend pied sur le sol de l’Espagne, et mêle des lieux, des noms connus à son impossible action. […] Ces mots font sourire à propos de l’Astrée : c’était quelque chose pourtant de situer l’action dans un temps, dans un lieu précis, de la lier à des faits vrais comme à un paysage réel. […] C’était plus neuf alors ; et du reste l’important, c’est qu’il ait songé à donner des caractères, à suivre des sentiments, à marquer des nuances, des actions, des progrès. […] N’étant guère actionné que par l’amour, il fit de l’amour l’action de tous les livres qui prétendaient à le représenter. […] Gongora n’eut point d’action.

493. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

Wagner, enfin, étudie les conséquences de cet état de choses : « Les acteurs sont forcés dans un duo, ou de dire au public les paroles qu’ils devaient s’adresser entre eux ou de se tenir de profil, ce qui les dérobe à moitié au spectateur et entrave la clarté de la parole, comme celle de l’action. […] Dans les tableaux fixes, la lumière seule se modifie soit dans l’élévation du Gral au premier et au troisième, soit dans la radieuse intervention de la prairie. — Cette première distinction faite, cherchons les principaux traits qui constituent l’action des décors sur l’œil et pourquoi sont provoquées les impressions toutes premières et inconscientes. […] Pour la dernière fois, nous arrivons dans le temple de Gral, où tout semble dans la mimique rempli de trouble et désorganisé : ce n’est plus une vision que nous avons devant nos yeux, mais une action dramatique violente, qui se passe sur le devant de la scène, tandis qu’au premier acte tout se perdait dans le lointain. […] Ces deux personnages, en effet, montrent dans leur action un progrès continu. […] Georges Eekoud fait de la Valkyrie une analyse succincte et relève les beautés de l’ouvrage tout en suivant pas à pas la marche de l’action.

494. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Victor Hugo »

La composition intégrale de l’Homme qui rit, son intérêt continûment passionné, les caractères qui doivent s’y développer, y grandir et y tomber avec l’action même, le pathétique final, tout, oui ! […] Je n’en pouvais juger que l’accent, le style, la manière… Accent, style, manière connus, antithétiques, défectueux souvent, mais aujourd’hui décadents, dégradés, dépravés, et d’une dépravation systématique et volontaire après laquelle le talent cesserait absolument d’exister… Il reste à examiner la composition de l’Homme qui rit, les caractères, l’action, l’intérêt, les entrailles mêmes du livre, et à conclure que le destin qu’il a est mérité. […] Aussi, de cet égotisme effrayant, s’il ne finissait par être écœurant, il résulte, et il doit nécessairement résulter, que l’action et l’intérêt du livre sont parfaitement nuls. L’action, d’ailleurs, n’est qu’une piètre antithèse. […] S’ils y avaient touché dans leurs créations, ils auraient pénétré dans leurs âmes et mis leurs âmes dans leur action.

495. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre II. Le comique de situation et le comique de mots »

Nous devons le rechercher maintenant dans les actions et dans les situations. […] Les sentiments que nous avons mûris, les passions que nous avons couvées, les actions que nous avons délibérées, arrêtées, exécutées, enfin ce qui vient de nous et ce qui est bien nôtre, voilà ce qui donne à la vie son allure quelquefois dramatique et généralement grave. […] Cela revient à dire que le comique du langage doit correspondre, point par point, au comique des actions et des situations et qu’il n’en est, si l’on peut s’exprimer ainsi, que la projection sur le plan des mots. Revenons donc au comique des actions et des situations. […] Tout mot commence en effet par désigner un objet concret ou une action matérielle ; mais peu à peu le sens du mot a pu se spiritualiser en relation abstraite ou en idée pure.

496. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Luy propose lon quelque chose des actions ou facultez d’un aultre ? […] Essayez, par exemple, de porter un homme à une certaine action par un sentiment d’honneur. […] si elle prétendait exhumer, du fond de ces horreurs, ce germe de justice et d’amour qui doit reposer à la base de toute action morale pour que nous puissions l’appeler morale ! […] Cette action est manifeste, du moins quant aux jugements que l’auteur a portés sur les femmes. […] Des gens qui, dans le détail de la vie, donnaient incessamment raison à La Rochefoucauld, en se défiant de tout homme, en prêtant à chaque action un mauvais motif, déclarèrent néanmoins (J.

497. (1883) Essais sur la littérature anglaise pp. 1-364

Ils ont écrit les livres de chasse de toutes les contrées, ainsi qu’en témoignent les écrits de Hawker, de Scroop, de Murray, de Herbert, de Maxwell, de Cumming et d’une infinité de voyageurs. » Cette fureur d’action, qui survit souvent à l’âge de l’action, se traduit par des luttes d’une variété de formes infinie. […] L’action des grandes influences n’explique donc pas l’homme moral. […] En quoi nos actions peuvent-elles le regarder ? […] Le mariage de Ferdinand et de Miranda, qui est le nœud de cette action peu compliquée, est arrêté dès la fin du premier acte. […] La réalité de l’action vous a étreint violemment à la gorge, vous a glacé ou comprimé le cœur, enfiévré ou hébété le cerveau.

498. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Au fond, ce n’est que justice ; mais la justice n’est pas une vertu assez courante pour qu’on passe sous silence les actions honnêtes qu’elle inspire. […] Zola visite les lieux où son action doit se passer. […] Selon nous, ils ont eu tort : la chute lente de Coupeau, l’action destructive de Lantier, la lutte de Gervaise auraient largement suffi à rendre l’intrigue intéressante. […] C’est ce qu’on ne peut pas lui pardonner : « Montrer les côtés sales de la bête humaine, peindre le vice tel qu’il est, dégoûter le lecteur des actions laides et des mauvais penchants, fi donc ! […] nous nous garderons bien de trouver infâmes des actions qu’on nous peint toutes roses, de trouver sales les crimes poétiques que vous nous représentez !

499. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VI. Recherche des effets produits par une œuvre littéraire » pp. 76-80

Elle exerce sur les lecteurs, spectateurs ou auditeurs, des actions diverses qu’il est intéressant de rechercher. […] Il a noté aussi précisément qu’il l’a pu le genre d’action qu’Alexandre Dumas fils, Renan, Baudelaire et quelques autres ont eu, je ne dis pas sur tous leurs lecteurs, mais sur un groupe choisi de ceux-ci.

500. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Deshays  » pp. 134-138

Il faut voir après cela, les détails ; les têtes de ces satellites ; leurs actions ; le caractère du préteur et de ses assistants ; toute la figure du saint ; tout le mouvement de la scène. […] Chaque peuple a ses signes de vénération ; et il me semble que l’action de joindre les mains n’est ni des idolâtres anciens, ni des juifs, ni même des premiers chrétiens.

501. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 44, que les poëmes dramatiques purgent les passions » pp. 435-443

Les hommes avec qui nous vivons, nous laissent presque toûjours à deviner le véritable motif de leurs actions, et quel est le fond de leur coeur. […] Il est contre les bonnes moeurs de donner l’idée que cette action n’est qu’une faute ordinaire, en la faisant servir de sujet à une piece comique.

502. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre premier. Sujet de ce livre » pp. 101-107

Toutes se réunissent dans la contemplation de la Providence divine ; cette Providence qui conduit la marche de l’humanité, voulut qu’elle partît de la théologie poétique qui réglait les actions des hommes d’après certains signes sensibles, pris pour des avertissements du ciel ; et que la théologie naturelle, qui démontre la Providence par des raisons d’une nature immuable et au-dessus des sens, préparât les hommes à recevoir la théologie révélée, par l’effet d’une foi surnaturelle et supérieure aux sens et à tous les raisonnements. […] Ainsi la Science nouvelle pourra devenir une histoire des idées, coutumes et actions du genre humain.

503. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

Comment peut-il même avoir l’idée de l’action ? […] Un phénomène est le produit d’une action ; ce n’est pas l’action elle-même. Si l’homme n’était qu’un phénomène ou un ensemble de phénomènes, il n’aurait jamais l’idée de l’action ; mais par cela même il n’aurait aucune idée, car penser, c’est agir. […] Ce qu’il faut expliquer, c’est comment tant de causes diverses s’entendent pour arriver à produire cette action commune ; c’est cette coïncidence de tant d’éléments divergents dans un effet unique. […] Il faut admettre que ce quelque chose, soit qu’on le confonde avec le monde, soit qu’on l’en sépare, qu’on lui prête une étendue réelle ou une étendue d’action et de puissance, est immense et sans limites dans l’espace.

504. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Quant à vouloir enchaîner les aventures avec ordre, quant à conduire l’action au dénouement par un fil logique, on ne saurait s’embarrasser que le moins possible de cette gênante préoccupation. […] En outre, l’absence de pensée, de sérieux, de conscience dans l’exécution, ne peuvent avoir qu’une très fâcheuse action sur les esprits, de plus en plus déshabitués de tout effort salutaire. […] Le roman-feuilleton, destiné à paraître chaque matin par tranches menues, doit être avant tout un roman d’action. […] Et je me demande même s’il n’y aurait pas là l’indication d’une action parallèle utile et profitable. […] Le peuple veut des livres d’action et d’héroïsme, ou d’espérance et de pitié.

505. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

  Dans cette variété infinie d’actions et de pensées, de mœurs et de langues que nous présente l’histoire de l’homme, nous retrouvons souvent les mêmes traits, les mêmes caractères. […] Cette sagesse est une sous la double forme des actions et des langues, quelque variées qu’elles puissent être par l’influence des causes locales, et son unité leur imprime un caractère analogue chez les peuples les plus isolés. […] Originairement la langue divine ne pouvant se parler que par actions, presque toute action était consacrée ; la vie n’était pour ainsi dire qu’une suite d’actes muets de religion. […] Mais ces rois absolus de la famille sont eux-mêmes soumis aux puissances divines, dont ils interprètent les ordres à leurs femmes et à leurs enfants ; et comme alors il n’y a point d’action qui ne soit soumise à un Dieu, le gouvernement est en effet théocratique. […] Aux actes religieux qui composaient seuls toute la justice de l’âge divin, et qu’on pourrait appeler formules d’actions, succédèrent des formules parlées.

506. (1882) Essais de critique et d’histoire (4e éd.)

La première étant abaissée et méprisée, on n’ose plus en montrer les actions ni les organes. […] Leur sérénité divine ne descend pas jusqu’à l’action et n’a pas besoin de regard. […] Il était trop passionné pour être homme d’action. […] Dès sa première action, Saint-Simon se montre ardent et emporté. […] Expliquer, raconter, prouver, causer, toutes ces actions aboutissent à un auditoire ; c’est pourquoi toutes ces actions se font aisément et bien dans notre pays.

507. (1902) Le culte des idoles pp. 9-94

Taine est classique, les professeurs la lisent et la commentent, les élèves, non seulement en France, mais en Angleterre, en Italie, en Allemagne, l’étudient ; les mondains même la feuillettent, les jeunes gens l’admirent ; il y a toute une école historique qui suit sa méthode ; Nietzsche ne cache point l’influence que Taine a eue sur lui, et c’est l’un de ses rares contemporains auxquels il fasse grâce ; enfin deux romanciers bien différents, mais dont l’action opposée fut presque aussi forte sur les lecteurs cosmopolites, M.  […] Cette fondation a quelque chose d’aussi bizarre que le Journal, une académie a pour but de maintenir certaines traditions, de conserver, de développer, par une action commune, un art déterminé. […] Mais le système, en somme, importe peu ; la philosophie, si contestable soit-elle, n’empêche pas l’action profonde d’une œuvre. […] Mais, en réalité, et dès le début de leur existence, les grands hommes d’action n’ont point d’incertitudes ni de remords. […] Quand l’homme d’action se repose, il lui faut des actions, plus merveilleuses aussi, plus étonnantes que celles qu’il peut accomplir.

508. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VII. M. Ferrari » pp. 157-193

Or, nous voilà revenant toujours à la difficulté d’une philosophie de l’histoire qui ne peut jamais être, qu’on le sache bien, que l’action du Dieu personnel et de la liberté de l’homme, et dans laquelle difficulté un talent, somptueux par la forme, et un sujet, d’une grandeur immense, viennent tous les deux de se prendre et de s’étrangler. […] Il n’a oublié ni une action ni une réaction de ces temps de crise éternelle. […] Ferrari ; mais ce talent qui n’a pu conserver dans la mémoire des hommes le détail de ces actions et de ces conflits de fourmilières que M.  […] Un homme d’action, je le sais bien, peut l’enseigner à des esprits subalternes, dont il espère faire des esclaves. […] Elle n’est pas, comme le croient les chercheurs politiques ou littéraires de raison d’État, dans l’action de l’homme, de sa volonté et de son génie, sur l’événement, mais dans la prévision de l’événement qui se produira à peu près certaine dans les esprits de l’an 2000, et telle est la conclusion de M. 

509. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7172-17709

c’est de fixer le rapport du tems de son souper au tems de l’entrée de celui à qui il parle, c’est de présenter son action de souper comme passée à l’égard de l’action d’entrer qui est future ; & par conséquent l’inflexion qui l’indique est de la classe des prétérits. […] La langue latine a encore une maniere qui lui est propre, de déterminer un nom appellatif d’action par le rapport de cette action à l’objet ; ce n’est pas en mettant le nom de l’objet au génitif, c’est en le mettant à l’accusatif. Alors le nom déterminé est tiré du supin du verbe qui exprime la même action ; & c’est pour cela qu’on le construit comme son primitif avec l’accusatif. […] Il détermine quelquetois en vertu du rapport d’une action au sujet qui la produit, quelquefois aussi en vertu du rapport de cette action à l’objet ; c’est une source d’obscurités dans les auteurs latins. […] Ces accroissemens d’action instantanés comme la cause qui les produit, c’est ce qu’on appelle explosion.

510. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers »

Un autre élément très-positif de la fatalité, dans ces quatre journées glorieuses et sinistres de juin 1815, ç’a été la lenteur de rédaction et l’ambiguïté de parole du maréchal Soult comme major-général ; — ç’a été la circonspection morale des chefs, toujours braves et plus braves que jamais dans l’action, mais peu confiants désormais en la fortune, et qui, entre deux suppositions possibles, inclinaient toujours pour la plus défavorable, la plus fâcheuse et la plus timide : témoin Ney, Reille, Vandamme, d’Erlon, surtout Grouchy. […] À deux heures et demie, le canon de Fleurus et de Ugny se faisait entendre ; Napoléon engageait sa bataille, et, malgré ses ordres réitérés depuis la veille, rien du côté de Ney ne lui annonçait encore que l’action fût engagée aux Quatre-Bras. […] Il crut qu’on lui demandait un suprême effort aux Quatre-Bras contre les Anglais, pour pouvoir ensuite, apparemment, se porter sur les derrières de l’autre ennemi, les Prussiens, et, au lieu de ralentir son action et de se borner, comme il le fit plus tard à la fin de la journée et après des prodiges de valeur perdue, à une solide défensive, il songea à ramasser ses forces pour porter un rude coup devant lui ; dans cette préoccupation unique et absolue, il envoya dire à d’Erlon, à ce même chef qu’un ordre de l’Empereur remis par Labédoyère dirigeait en ce moment vers le moulin de Bry, à dos de l’armée prussienne, de revenir en toute hâte aux Quatre-Bras : c’était un contresens.

511. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

Jouffroy dit : « À l’exception de la cause que nous sentons penser et agir en nous, toutes les autres causes échappent à notre observation. » Et par le fait d’agir, il n’entend pas l’action réelle, l’activité qui se produit, mais simplement l’intention, le désir d’agir ; ce qui mutile encore et appauvrit la cause. Nous, nous disons : Il n’y a qu’une cause que nous connaissons directement, c’est celle que nous sentons penser et agir, comprendre et pouvoir en nous, sentir, aimer, vivre en un mot ; vivre de la vie complète, profonde et intime, non-seulement de la vie nette et claire de la conscience réfléchie et de l’acte voulu, mais de la vie multiple et convergente qui nous afflue de tous les points de notre être ; que nous sentons parfois de la sensation la plus irrécusable, couler dans notre sang, frissonner dans notre moelle, frémir dans notre chair, se dresser dans nos cheveux, gémir en nos entrailles, sourdre et murmurer au sein des tissus ; de la vie une, insécable, qui dans sa réalité physiologique embrasse en nous depuis le mouvement le plus obscur jusqu’à la volonté la mieux déclarée, qui tient tout l’homme et l’étreint, fonctions et organes, dans le réseau d’une irradiation sympathique ; qui, dans les organes les plus élémentaires et les plus simples, ne peut se concevoir sans esprit, pas plus que, dans les fonctions les plus hautes et les plus perfectionnées, elle ne peut se concevoir sans matière ; de la vie qui ne conçoit et ne connaît qu’elle, mais qui ne se contient pas en elle et qui aspire sans cesse, et par la connaissance et par l’action, par l’amour en un mot ou le désir, à se lier à la vie du non-moi, à la vie de l’humanité et de la nature, et en définitive, à la vie universelle, à Dieu, dont elle se sent faire partie ; car à ce point de vue elle ne conçoit Dieu que comme elle-même élevée aux proportions de l’infini ; elle ne se sent elle-même que comme Dieu fini et localisé en l’homme, et elle tend perpétuellement sous le triple aspect de l’intelligence, de l’activité et de l’amour, à s’éclairer, à produire, à grandir en Dieu par un côté ou par un autre, et à monter du fini à l’infini dans un progrès infatigable et éternel. […] Les chrétiens en effet confisquaient autant qu’ils le pouvaient l’action au profit de la contemplation ; s’ils toléraient l’une parce qu’il le fallait bien, ils conseillaient surtout l’autre.

512. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — La déclamation. » pp. 421-441

Est-il bien vrai ce qu’on dit, que, chez les Romains, l’action théâtrale étoit partagée entre deux acteurs ; de manière que l’un faisoit les gestes dans le temps que l’autre récitoit. […] Ceux qui connoissent le jeu de M. de Voltaire, sçavent quelle ame, quelle force, quel enthousiasme il met dans son action, & quelle chaleur il demande également dans les autres. […] Riccoboni reproche aux prédicateurs de trop imiter les comédiens, de copier leurs tons, leurs gestes & leur action.

513. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VII. Le langage et le cerveau »

On a essayé de diminuer l’étrangeté de ce phénomène en faisant observer que nous n’opérons pas toutes les actions aussi aisément à droite qu’à gauche. […] Ce résultat, sans doute, s’il était établi, serait suffisamment intéressant par lui-même ; mais il ne prouverait pas une localisation naturelle et essentielle : car, en définitive, les deux mains ont les mêmes fonctions, quoique certaines actions soient plus commodes d’un côté que de l’autre. […] Tout le monde sait que la congestion de l’hémisphère gauche produit l’hémiplégie à droite, et réciproquement, en vertu d’une action croisée.

514. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte du Verger de Saint-Thomas »

atteindront-ils un résultat plus heureux et plus durable que les tout-puissants rois de France, avec l’action une et continue d’un pouvoir, sur cette question éternellement désobéie, pendant une succession de siècles ? […] Et il n’y avait pas là que l’instinct militaire de la race dans cette persistance de la coutume du duel, en un pays où la crânerie, en toutes choses, est la poésie de l’action et du caractère. […] Seul de tous les souverains, Louis XIV, dont Richelieu et Mazarin avaient préparé la besogne de roi absolu, fut noblement désintéressé dans son action contre le duel, et seul il se montra, dans toute la prudente et sévère beauté de cette fonction auguste, un véritable législateur !

515. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Les Césars »

Est-ce la faute du moraliste, plus occupé de l’action des sentiments individuels des hommes sur le théâtre de la conscience que des sentiments généraux à l’aide desquels on peut les gouverner ? […] Dans ses premiers volumes du Consulat et l’Empire, personne n’a mieux développé que Thiers les détails et l’action d’ensemble des institutions politiques, administratives et judiciaires du premier Consul ; mais il ne dit pas un mot de la pente forcée de ces institutions vers l’Empire. […] Qu’on ne l’oublie pas, si l’on veut rester ferme dans la réalité humaine, les progrès de l’humanité ne sortent jamais que de l’action et de la réaction réciproque de l’initiative et du commandement de quelques-uns, et du bon sens et de l’obéissance de tous, — en d’autres termes, de l’union sympathique et féconde des gouvernants et des gouvernés.

516. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIII. M. Nicolardot. Ménage et Finances de Voltaire » pp. 297-310

Louis Nicolardot n’a vu que cela, lui, la moralité de Voltaire, dans cette biographie qui ne touche pas à son génie, mais qui veut seulement en infirmer l’action en lui opposant l’indignité et l’abjection du caractère. […] Son génie, qui fut tout action, pose ici admirablement dans son action même, et les soixante volumes qu’on a de lui, et qui ne sont pas ses plus grands chefs-d’œuvre, ne valent pas, pour bien s’attester sa valeur réelle et suprême, cette chronique pied à pied, — cette espèce de livre de loch de sa vie où l’historien et le flibustier apportent l’un son masque, l’autre sa plume et sa plaisanterie taillée en stylet.

517. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

L’orthodoxie, en effet, donne à la pensée une sûreté, une élévation sans vertige et sans trouble, plus nécessaire qu’ailleurs dans l’appréciation de l’esprit de l’Église et de son action, même humaine. […] Dieu l’eût sans doute sauvée pour la justification de ses promesses ; mais la gloire des grands hommes est de se servir de leur liberté et de leur intelligence de manière à économiser l’action directe de Dieu sur la terre et à lui ménager l’effet des grands coups de sa providence. […] Dans l’ordre littéraire et historique, il doit se passer présentement le même phénomène que dans l’ordre de l’action et de la charité, où les Sociétés de Saint-Vincent-de-Paul et de Saint-François-Régis ont fait plus de bien que n’en auraient fait des Œuvres exclusivement ecclésiastiques.

518. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules De La Madenène » pp. 173-187

En vain est-il écrit avec cette furie de coloris qui fit de Balzac, en ses derniers écrits, quelque chose comme un Tintoret, d’une exaspération sublime, ce n’est, après tout, pour qui veut conserver son sang-froid devant cette magie, que la satire en action d’un colossal Archiloque qui avait au ventre une peur égale à celle de Pascal pour l’enfer, devant le « Robespierre aux cent mille têtes » et le communisme futur ; mais ce n’est pas la vérité ! II Or, c’est la vérité que M. de La Madelène a voulu exprimer, la vérité locale, qui n’est jamais que locale en matière de paysan, la vérité des mœurs, des traditions et du langage d’une contrée entre toutes les autres, la vérité étroite, exacte, mais vivante cependant, car M. de La Madelène est un artiste qui a puissance de vie, et l’analyse chez lui double l’action sans l’étouffer. […] Doué de facultés très-dramatiques, sachant s’effacer, cette chose difficile, car l’esprit est égoïste comme le cœur, et ne procédant nullement à la manière des romanciers contemporains, qui entassent les descriptions, les paysages et les portraits, dans une ivresse de plastique qui est une maladie littéraire du temps, M. de La Madelène ne fait guères de portraits qu’en quelques traits, quand il en fait, et chez lui, c’est l’action et le dialogue qui peignent le personnage, le dialogue surtout, que M. de La Madelène a élevé à un rare degré de perfection.

519. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Le dénouement, par la destruction des personnalités engagées dans l’action, fait cesser la discorde allumée entre les puissances morales, et l’unité divine de leur idée sort triomphante d’entre les ruines. […] Quelqu’un reproche à la comédie qu’on vient de voir, de manquer précisément d’action, et de consister toute en des récits que vient faire ou Agnès ou Horace. À cette critique spécieuse, Uranie répond que dans L’École des femmes les récits sont des actions, suivant la constitution du sujet. […] Dans le récit où Agnès explique à son tuteur comment elle a fait la connaissance d’Horace, n’y a-t-il pas autant d’action, plus même que nous n’en pourrions voir, si la chose se passait sur le théâtre ? J’avoue que dans L’École des femmes tout est récit ; mais avouez que tout paraît action, ou plutôt avouez que tout est action, bien que tout semble être en récit307.

520. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

Il est donc naturel que l’union soit plus intime entre ces deux branches de la culture humaine ; et en effet parfois elles exercent l’une sur l’autre une action directe, toujours elles présentent dans leur développement des analogies frappantes. […] C’est du reste la mise en action d’une idée chère à la romancière. […] Il semble pourtant que, somme toute, en ce domaine leur action combinée ait été bienfaisante aux deux collaboratrices et on ne voit pas qu’il se soit élevé entre elles de graves différends. […] Si nous cherchons cependant une action directe de l’architecture sur la littérature, il faut avouer que nous trouvons peu de chose. […] En voilà, je pense, plus qu’il n’en faut pour prouver que les arts dont nous parlons suivent la même marche que la littérature et se transforment avec elle sous l’action des mêmes causes générales.

521. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

Certes, si on connaissait mieux les idées de Wagner, on pourrait considérer comme très acceptables les deux dénominations qu’il a employées pour ses derniers drames : Action, et Jeu scénique ; car ce qui se passe sur la scène est « de la musique mise en action, devenue visible ». […] Et ici le mot Action est tout simplement la traduction littérale du mot grec δράμα. […] Wagner dit (IV, 174) : « Le poète prend de nombreux faits épars, tels que la raison les perçoit, des actions, des sentiments, des passions, et il les fait converger, autant que possible, en un seul point ; c’est ainsi qu’il peut arriver à agir sur l’émotion. […] La souffrance et la délivrance de la douleur : voilà les deux pôles entre lesquels se développe l’action. […] Quel étonnement de voir toujours de nouveau des gens qui, sérieusement, nous demandent plus d’action dans les deux derniers actes de Tristan.

522. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — III » pp. 337-355

L’ère de guerre et de rivalité à main armée, entre les deux communions, avait cessé ; on entrait dans un régime nouveau, qui aurait dû être un régime de police civile, de légalité, de raison ferme, d’action douce et de conquête par la seule parole. […] Moment glorieux et trop fugitif, où le secrétaire d’État de la guerre, des Noyers, mandait à d’Émery, ambassadeur de France en Savoie, « que c’était une chose étrange que M. le duc de Rohan avec une poignée de soldats, sans canon ni munitions, fît tous les jours quelque action signalée, et qu’il portât partout la terreur, pendant que l’armée des confédérés, si florissante, si bien nourrie, si bien payée, demeurait dans l’inaction. » Peu s’en fallait qu’on ne le citât en cet instant comme un modèle de bonheur. […] Richelieu reproche à Rohan d’avoir aidé au mécontentement des Grisons par son mauvais gouvernement et par des concussions, par des profits illicites dont il va jusqu’à nommer les intermédiaires et les porteurs ; et, flétrissant dans les termes les plus durs la capitulation finale en date du 26 mars 1637, qui fut consommée le 5 mai, et par laquelle, cédant aux Grisons révoltés, le duc leur remit la Valteline contrairement aux ordres du roi, Richelieu l’accuse d’avoir été pris d’une terreur panique : Il est certain, dit le cardinal, qu’il avait jusques alors porté à un haut point glorieusement les affaires du roi en la Valteline ; mais sa dernière action, non seulement ruina en un instant tout ce qu’il avait fait de bien les années précédentes, mais apportait plus de déshonneur aux armes de Sa Majesté que tout le passé ne leur avait causé de gloire. […] Combattant vaillamment à l’aile droite (28 février 1638), il reçut dans l’action deux coups de mousquet, l’un au pied, l’autre à l’épaule, et fut un instant prisonnier : mais on le reprit avant la fin de la journée.

523. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — I » pp. 356-374

Je ne vous suis pas comptable de mes actions. […] Le 29 octobre 1762, le prince Henri remportait, sur le prince de Stolberg, la victoire de Freyberg, son grand fait d’armes, et la dernière action mémorable de cette campagne et de toute cette guerre. […] Après l’exposé des faits : Il serait superflu, dit-il, de faire ici le panégyrique de Son Altesse Royale : le plus bel éloge qu’on puisse faire d’elle est de rapporter ses actions. […] Pendant que je la lisais, je me rappelais bien souvent cette autre correspondance récemment publiée, si étonnante, si curieuse, si pleine de lumière historique et de vérité, entre deux autres frères, couronnés tous deux, le roi Joseph et l’empereur Napoléon ; et, sans prétendre instituer de comparaison entre des situations et des caractères trop dissemblables, je me bornais à constater et à ressentir les différences : — différence jusque dans la précision et la netteté même, poussées ici, dans la correspondance impériale, jusqu’à la ligne la plus brève et la plus parfaite simplicité ; différence de ton, de sonoréité et d’éclat, comme si les choses se passaient dans un air plus sec et plus limpide ; un théâtre plus large, une sphère plus ample, des horizons mieux éclairés ; une politique plus à fond, plus à nu, plus austère, et sans le moindre mélange de passe-temps et de digression philosophique ; l’art de combattre, l’art de gouverner, se montrant tout en action et dans le mécanisme de leurs ressorts ; l’irréfragable leçon, la leçon de maître donnée là même où l’on échoue ; une nature humaine aussi, percée à jour de plus haut, plus profondément sondée et secouée ; les plaintes de celui qui se croit injustement accusé et sacrifié, pénétrantes d’accent, et d’une expression noble et persuasive ; les vues du génie, promptes, rapides, coupantes comme l’acier, ailées comme la foudre, et laissant après elles un sillon inextinguible54.

524. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

Ces deux formes si inégales ont éprouvé chez nous des destinées bien différentes : la dernière, une des plus nobles formes de l’art, une des créations choisies de l’esprit humain, a fourni d’immortels chefs-d’œuvre et a mis pour jamais en lumière les noms les plus glorieux de notre littérature et de notre poésie ; l’autre forme, au contraire, n’a promu à la célébrité (au moins chez nous) aucun nom d’auteur et de poëte, et n’a laissé, quoi qu’on s’efforce de faire aujourd’hui pour être juste, que des œuvres sans élévation, sans action durable et féconde. […] Félix Clément, a également insisté sur la grandeur, sur l’effet et la convenance de ces hymnes, de ces proses en action, de ces petits drames tout religieux qui se rapportaient au temps de l’Avent et aux fêtes de Noël, et en a rétabli le caractère. […] Le drame va être ainsi une sorte de Bible historiée, le verset développé, paraphrasé, mis en action et en personnages. […] Le voyage de Satan dans l’espace, hors du chaos, à la découverte, son arrivée aux limites du monde nouvellement créé, son déguisement, son entrée furtive dans le Paradis, le spectacle de bonheur et de délices conjugales dont il est témoin et qui le navre d’envie, ce premier tableau divin et unique du bonheur dans le mariage, tout cela prépare, inquiète, intéresse, ouvre des horizons immenses, crée un fond, une perspective antérieure, donne à la scène tout son sens et toute sa portée, fait de la place à l’action qui va suivre.

525. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

Les liens de l’estime et de la confraternité ne peuvent plus exister entre nous et ceux qui professent des principes contraires, et si l’honneur pouvait être solidaire entre des hommes qui exercent la même profession à des distances Considérables, je me hâterais de protester contre un pareil abus, et je vous dirais hautement : L’avocat qui « chargé volontairement. de défendre un guerrier traître et rebelle à son roi, s’oublie jusqu’à justifier l’action en elle-même, qui cite comme un titre de gloire pour l’accusé le nom d’une bataille (celle de Waterloo) où il acheva de se rendre criminel en combattant contre son maître ; qui invoque à son secours le témoignage d’autres rebelles et les excite à rappeler les moyens qu’ils avaient pour forcer leur roi à la clémence ; l’avocat qui, s’entourant de honteux détours, de méprisables subterfuges, d’ignobles entraves, enlève ainsi au prévenu, autant qu’il est en lui, son dernier honneur, celui du courage, cet avocat a perdu son titre à nos yeux : je me sépare à jamais de lui. » On a beau dire que tout moyen est bon à un avocat pour sauver son client, M. de Martignac passait ici toute mesure, et il est difficile d’admettre qu’il n’obéissait pas lui-même, en s’exprimant de la sorte, à un accès de la fièvre politique qui sévissait partout autour de lui. […] Dès qu’on sort de son immobilité individuelle et qu’on prétend à une action publique en ces heures d’orage, force est bien d’en agir ainsi. […] Ce pays-ci en effet, dans sa vie publique, va tellement par sauts et par bonds, les vainqueurs du jour y sont tellement vainqueurs, et les vaincus y sont tellement vaincus et battus, qu’au lendemain de la seconde rentrée il n’y avait eu d’action, d’influence et de zèle que de la part de l’opinion triomphante ; elle avait eu partout le champ libre, et personne ne lui avait disputé le haut ni le bas du pavé ; les opposants étaient comme rentrés sous terre et avaient disparu. […] On voyait en première ligne, en tête de ces partisans des rigueurs salutaires, un Bonald, à l’air respectable et doux, métaphysicien inflexible et qui prenait volontiers son point d’appui, non pas dans l’ancienne monarchie trop voisine encore à son gré, mais par-delà jusque dans la politique sacrée et dans la législation de Moïse : oracle du parti, tout ce qu’il proférait était chose sacro-sainte, et quiconque l’avait une fois contredit était rejeté à l’instant, répudié à jamais par les purs ; — un La Bourdonnaie, l’homme d’action et d’exécution, caractère absolu, dominateur, un peu le rival de Bonald en influence, mais non moins dur, et qui avec du talent, un tour d’indépendance, avec le goût et jusqu’à un certain point la pratique des principes parlementaires, a eu le malheur d’attacher à son nom l’inséparable souvenir de mesures acerbes et de classifications cruelles ; — un Salaberry, non moins ardent, et plus encore, s’il se pouvait ; pamphlétaire de plume comme de parole, d’un blanc écarlate ; — un Duplessis-Grenedan, celui même qui se faisait le champion de la potence et de la pendaison, atroce de langage dans ses motions de député, équitable ailleurs, par une de ces contradictions qui ne sont pas rares, et même assez éclairé, dit-on, comme magistrat sur son siège de justice ; — M. de Bouville, qui eut cela de particulier, entre tous, de se montrer le plus inconsolable de l’évasion de M. de Lavalette ; qui alla de sa personne en vérifier toutes les circonstances sur les lieux mêmes, et qui, au retour, dans sa fièvre de soupçon, cherchait de l’œil des complices en face de lui jusque sur le banc des ministres ; — et pour changer de gamme, tout à côté des précédents, cet onctueux et larmoyant Marcellus, toujours en deuil du trône et de l’autel, d’un ridicule ineffable, dont quelque chose a rejailli jusqu’à  la fin sur son estimable fils ; — et un Piet, avocat pitoyable, qui, proposant anodinement la peine de mort pour remplacer celle de la déportation, disait, dans sa naïveté, qu’entre les deux la différence, après tout, se réduisait à bien peu de chose ; ce qui mettait l’Assemblée en belle humeur et n’empêchait pas le triste sire de devenir bientôt, par son salon commode, le centre et l’hôte avoué de tous les bien pensants ; — et un Laborie que j’ai bien connu, toujours en quête, en chuchotage, en petits billets illisibles, courtier de tout le monde, trottant de Talleyrand ou de Beugnot à Daunou, mêlé et tripotant dans les journaux, pas méchant, serviable même, mais trop l’agent d’un parti pour ne pas être inquiétant et parfois nuisible.

526. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. (Suite et fin.) »

Assujettir le corps aux exercices qui fortifient aussi l’âme, ne point le dépouiller de ses vêtements en présence des astres du jour ou de la nuit, n’y jamais introduire d’aliments impurs, le tenir toujours exempt de toute souillure, surtout ne pécher « ni par pensée, ni par parole, ni par action » ; pratiquer le repentir après la chute ; élever ses enfants ; ressembler, en un mot, à son bon Génie ou Fervers, type et représentation idéale de chacun, telle est la prière que le Persan adresse à Ormuz, « qui est toute pureté et toute lumière, esprit universel et source de toute vie. » Toujours, chez M.  […] Écoutons l’historien sévère qui, en ce qu’il va dire, n’accorde pas un mot à la phrase, à l’imagination, à la pointe ; c’est une méthode neuve parmi nous que cette application juste de la science à l’action et au jeu de l’histoire. […] De là l’action exercée en sens inverse par les deux grandes races qui ont fait la civilisation de l’ancien monde : celle de la Grèce sur l’Asie et l’Orient, celle de l’Italie sur l’Occident et l’Europe. […] Zeller hésite un peu sur ce point ; mais il n’hésite pas quand il attribue à César l’idée de fonder, sous un nom ou sous un autre, une monarchie populaire, universelle et, en quelque sorte, humaine : « Étendre le droit de cité à tous les hommes libres de l’Empire, régner sur le monde pour le monde entier, non pour l’oligarchie ou la démocratie quiritaires ; abaisser les barrières entre les classes comme entre les nations, entre la liberté même et la servitude, en favorisant les affranchissements et en mettant le travail en honneur ; avoir à Rome une représentation non du patriciat romain, mais du patriciat du monde civilisé ; fondre les lois de la cité exclusive dans celles du droit des gens ; créer, répandre un peuple de citoyens qui vivent de leur industrie et qu’on ne soit pas obligé de nourrir et d’amuser : voilà ce qu’on peut encore entrevoir des vastes projets de celui qu’on n’a pas appelé trop ambitieusement l’homme du monde, de l’humanité ; voilà ce dont témoignent déjà les Gaulois, les Espagnols introduits dans Rome, Corinthe et Carthage relevées, et ce qu’indiquent les témoignages de Dion Cassius, de Plutarque, de Suétone, bien qu’ils aient pu prêter peut-être à César quelques-unes des idées de leur temps. » César (s’il est permis d’en parler de la sorte à la veille d’une publication par avance illustre), César, au milieu de tous ses vices impudents ou aimables, de son épicurisme fondamental, de ce mélange de mépris, d’indulgence et d’audace, de son besoin dévorant d’action, et de cet autre besoin inhérent à sa nature d’être partout le premier, César, à travers ses coups de dés réitérés d’ambitieux sans scrupule et de joueur téméraire, avait donc une grande vue, une vue civilisatrice : il n’échoue pas, puisque son idée lui survit et triomphera, mais il périt à la peine, parce qu’il avait devancé l’esprit du temps, tout en le devinant et le servant, parce qu’il vivait au milieu de passions flagrantes et non encore domptées et refoulées.

527. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

Je ne suis point surpris qu’après cette prise de possession de l’existence par une succession de sensations délicieuses, le premier homme s’endorme voluptueusement sans rendre d’actions de grâces à personne. […] La terre n’est pas seulement un fond de mer ; il y voit la double action de l’eau et du feu ; il y voit, c’est le mot ; à la façon dont Buffon peint ce que d’autres ont découvert, il a l’air de le découvrir. […] Quand il remarque que, faute d’avoir assez réfléchi sur son sujet, un homme d’esprit se trouve embarrassé et ne sait par où commencer à écrire, le conseil n’est-il pas aussi bon pour les actions que pour les écrits ? Substituez au mot écrire le mot agir, et voilà l’explication de bien des conduites embarrassées, d’actions qui finissent mal pour avoir été commencées sans décision.

528. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Ce n’est qu’en pénétrant en nous, en s’assimilant à nous, en nous assimilant à eux, en devenant réellement nous-mêmes, que les autres peuvent nous influencer et nous déterminer à l’action. […] § 7 L’action individuelle des autres hommes et l’action sociale qui résulte de leur combinaison ont construit dans l’âme humaine, avec la complicité de certains penchants égoïstes qui y trouvaient leur profit, un édifice de sentiments et d’idées qui viennent fortifier et seconder la partie sociale, altruiste, désintéressée de l’âme humaine et nous fondre de plus en plus, les uns et les autres, en un seul être. […] Et c’est aussi la combinaison qui résulte de tous ces « nous » installés dans tous les « moi » de leurs actions et de leurs réactions continues, de leur synthèse, qui constitue une sorte d’âme sociale, exprimant la société comme l’âme de chacun exprime l’individu.

529. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Des lectures publiques du soir, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pourraient être. » pp. 275-293

Une lecture bien faite d’un beau morceau d’éloquence ou d’une pièce de théâtre est une sorte de représentation au petit pied, une réduction, à la portée de tous, de l’action oratoire ou de la déclamation dramatique, et qui, tout en les rapprochant du ton habituel, en laisse encore subsister l’effet. […] C’est ainsi que, par le simple choix des morceaux et avec deux mots d’indication à peine jetés dans l’intervalle, on ferait un cours de littérature pratique et en action. […] C’est sur ce public, dont les huit neuvièmes se composaient d’ouvriers, que le lecteur a eu à exercer son action insensible, morale, affectueuse, et il y a complètement réussi. […] Comme moyen d’action, rien de plus souverain que l’exemple.

530. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Les Faux Démétrius. Épisode de l’histoire de Russie, par M. Mérimée » pp. 371-388

Dans le premier sujet, plein d’actions coupées et de guerres, il a trouvé des caractères comme il les aime, il a exhumé et peint quelques-uns des défenseurs énergiques des nationalités italiennes : dans le second sujet, où il fallait entrer dans le Sénat et descendre dans le Forum, il a rencontré, en première ligne, le personnage de Cicéron, et c’est ici que, repoussé par le dégoût des lieux communs, il n’a pas rendu assez de justice à cet homme dont on a dit magnifiquement qu’il était le « seul génie que le peuple romain ait eu d’égal à son empire ». […] Il va au fait, il met tout en action ; la parole serre de près chaque situation, chaque caractère. […] Les dialogues même de ses personnages n’ont pas une parole inutile, et dans l’action il a marqué d’avance les points où chacun d’eux doit passer. […] Ne leur demandez point d’ailleurs cette continuité dans les caractères, cette suite dans l’action et dans l’expression qui fait la force intérieure de ceux de M. 

531. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Villiers de L'Isle-Adam, Auguste de (1838-1889) »

C’est la perpétuelle revanche des grands idéalistes, ignorés de la foule — et de plus d’un de leurs amis — qu’en réalité ils habitent un autre monde, un monde créé par eux-mêmes, simplement évoqué par de simples paroles, car « tout verbe, dans le cercle de son action, crée ce qu’il exprime ». […] Et sa pensée toujours obéit à cette double action.

532. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre premier. Impossibilité de s’en tenir à l’étude de quelques grandes œuvres » pp. 108-111

Pour répondre à cette question, il faut se rappeler qu’un individu n’a d’action sur la masse d’un peuple que si on lui reconnaît une certaine supériorité. […] Quelle que soit d’ailleurs sa destinée, son action sur ses contemporains est très faible et souvent à peu près nulle.

533. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 20, de quelques circonstances qu’il faut observer en traitant des sujets tragiques » pp. 147-156

Un historien met ses talens en évidence, il peut même faire parade de sa probité en racontant les actions d’un grand scelerat ; mais il se dégrade lui-même, et il devient un écrivain insipide, s’il fait de ses acteurs des hommes trop ordinaires. […] Comme elle n’inflige pas d’autre peine aux personnages vicieux que le ridicule, elle n’est pas faite pour répresenter les actions qui meritent des châtimens plus graves.

534. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — II. (Fin.) » pp. 98-121

Ce dernier, messire Jacques, noble figure, se détache entre tous par son vœu chevaleresque, par la manière héroïque dont il le tient, par son touchant retour (navré et blessé qu’il est) à la fin de l’action, par sa noblesse de désintéressement après la victoire. […] L’art du narrateur a été, dans ce vaste récit, tout en ne sacrifiant rien de l’action principale, de maintenir la part singulière de ces figures héroïques et de les détacher, de les ramener à temps ; il y a là un grand talent de composition sans qu’il y paraisse. […] Il vient, avant que l’action commence, prier le prince de Galles, au nom de ses bons et loyaux services passés, de lui octroyer cette grâce d’être le premier à assaillir et à combattre. La noble permission est accordée, et messire Jacques d’Audelée, joyeux, va se mettre au premier front de toute la ligne, accompagné seulement de quatre vaillants et fidèles écuyers, et, durant toute l’action, il ne songe qu’à combattre, à frapper, à aller toujours en avant sans vouloir faire aucun prisonnier (ce qui le retarderait et le forcerait de quitter le premier rang). […] [NdA] On s’explique peu cette conduite et cette inutilité du duc d’Orléans avec son corps d’armée durant l’action ; ce qui a fait dire à quelqu’un : « C’est le Grouchy de l’affaire. » 28.

535. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

On serait presque tenté de croire que ce qui suit est un petit apologue de son invention, qu’il débite à l’usage du ministre : Vous ne serez pas fâché, écrivait-il de Vienne à Chamillart, de connaître quelque chose du caractère de messieurs les princes de Bade et de Savoie, et vous en jugerez sur ce que je leur ai ouï dire de celui des autres généraux : — Les uns, disent-ils, parvenus aux dignités à force d’années et de patience, se trouvant un commandement inespéré, et qu’ils doivent plutôt à leur bonne constitution qu’à leur génie ou à leurs actions, sont plus que contents de ne rien faire de mal. — D’autres, plus heureux par des succès qu’ils doivent uniquement à la valeur des troupes, aux fautes de leurs ennemis, enfin à leur seule fortune, ne veulent plus la commettre, quelque avantage qu’on leur fasse voir dans des mouvements qui pourraient détruire un ennemi déjà en désordre, sans les trop engager. — Mais une troisième espèce d’hommes, assez rare à la vérité, compte de n’avoir rien fait tant qu’il reste quelque chose à faire, profitant de la terreur qui aveugle presque toujours le vaincu, à tel point que les plus grosses rivières, les meilleurs bastions ne lui paraissent plus un rempart. […] Ils sont à Vienne, et les miens sont à Versailles. » C’est ainsi que plus tard, quittant Louis XIV pour aller à l’armée, il dira : « Sire, je vais combattre les ennemis de Votre Majesté, et je la laisse au milieu des miens. » De retour en France, Villars fut bien reçu du roi, mais se plaignit de ce qu’on ne faisait rien pour lui : au bout de chaque action, il voulait son salaire. […] Villars paraît, et l’on n’a plus affaire aux mêmes scrupules ni à la même réserve ; c’est ici un guerrier d’une autre famille que Catinat, mais, en tant que guerrier, d’une famille meilleure et plus faite pour l’action. […] Je leur garde deux grenadiers qui l’ont bien mérité, pour leur donner leur grâce en faveur de la première bonne action que leurs camarades feront : enfin, j’y fais tout de mon mieux. […] Car nul cœur n’a senti plus au vif que Villars l’aiguillon de la louange, et nul aussi n’est plus affecté d’un reproche : Vous eûtes la bonté, écrit-il, de me mander que je m’étais fait maréchal de France la campagne précédente par de très grands services et de belles actions ; qu’il fallait songer à me faire connétable.

536. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

Le ranz des vaches de cette contrée, le ranz des Colombettes, celui, entre les divers ranz, auquel l’air célèbre est attaché, a de plu une petite action dramatique, vive de couleur et de poésie1. […] Le mouvement romantique y a eu son action, et on s’en dégage maintenant après s’en être fortifié. […] Vinet) qui fit l’oraison funèbre du défunt ; cette action ne laissa pas d’étonner un peu les mœurs extrêmement timides du pays et, on peut le dire, celles de l’orateur lui-même. […] Mais avant ces divers travaux de littérature ou de religion qui tendent toujours sans bruit à être des actions utiles, M. […] Vinet en faveur de la liberté de tous les cultes, un peu antérieur, mais animé par une action si prochaine, ait été pour lui autre chose qu’une thèse philosophique où sa raison se complaisait : c’était une sainte et vivante cause ; et, à travers la surcharge des preuves et la chaîne un peu longue de la démonstration, à travers le style encore un peu roide et non assoupli, cette chaleur de foi communique à bien des parties de cet écrit, et surtout à la prière de la fin, une pénétrante éloquence.

537. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Il ne me semble pas beaucoup plus nécessaire de prouver que la littérature réagit à son tour sur les mœurs : on sait assez que les personnages créés par les poètes ou les romanciers servent fréquemment de modèles aux jeunes gens ; que les sentiments ou les idées exprimés dans des ouvrages qui réussissent peuvent devenir ainsi des motifs d’action. […] Ce sont elles qui produisent les grandes actions, qui poussent l’homme à la recherche de la vérité, qui le font croire à un bonheur qu’il poursuit toujours sans l’atteindre jamais. […] Elle sera passionnée et passionnante ; elle s’adressera, non plus aux raffinés, mais à la foule ; elle deviendra militante, capable ainsi de soulever des enthousiasmes et des colères ; elle pourra exercer une action sur l’évolution d’un peuple, sur la marche d’une société. […] § 5. — Il devrait encore étudier à fond l’action de la littérature sur les mœurs, étude à la fois longue et délicate, dans laquelle on ne saurait trop se mettre en garde contre les affirmations erronées ou hasardées. […] Pour les œuvres qui s’attachent à peindre la réalité sans essayer de la transformer, qui mettent leur point d’honneur à ne pas trahir les préférences de l’auteur, qui s’efforcent de reproduire impartialement le spectacle du monde environnant, pour les œuvres réalistes, en un mot, il semble d’abord qu’elles soient, pour ainsi parler, amorales et, par conséquent, incapables d’exercer un genre d’action qu’elle ne recherchent pas, qu’elles font même profession de s’interdire.

538. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIV, l’Orestie. — Agamemnon. »

Et lui-même, méditant des actions perverses, il invita Agamemnon à le suivre avec ses chevaux et ses chars, et il mena ainsi à la mort le roi imprudent. […] Avec l’instinct, et la sagacité du génie, Eschyle remania en tous sens le récit épique pour l’adapter à l’action tragique. […] Chaque cime semble un bras de géant allongeant sa main flamboyante à travers l’espace, pour allumer la torche que lui tend le sommet voisin, La reine proclame pompeusement la victoire, mais de sourdes réticences démentent la joie qu’elle fait éclater. — « S’ils ont respecté les dieux et les temples de la ville conquise, les vainqueurs ne seront point vaincus au retour… Puisse la cupidité ne point les entraîner aux actions impies ! […] Le cantique d’action de grâces s’arrête court et tourne à la plainte, l’acclamation expire en lamentation. […] Certes, s’il faut expier notre action, c’est assez que nous subissions la colère des dieux. » — Égisthe cède, le Chœur obéit, mais il proteste encore en se retirant ; et ses anathèmes, où le nom d’Oreste retentit avec un son fatidique, poursuivent, comme un sourd tonnerre, les meurtriers rentrant au palais.

539. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Le choix est nécessairement déterminé par le nombre et la qualité des éléments que l’on vient de dire, l’action de ces éléments, facteurs de l’acte, combinée elle-même avec l’inclination dominante, intéressée, passionnelle, intellectuelle ou morale, de l’être qui choisit. […] Mais la physiologie intervient ici pour différencier, selon mille proportions et mille nuances, ce mobile unique des actions humaines. […] D’ailleurs, si le sujet est très sensible, si ses différents instincts d’action et de réaction sont en équilibre très instable, ce peut être une cause beaucoup plus ténue encore, invisible, innommable qui décide avec nécessité de la tournure de l’acte. […] On en peut dire autant de toutes les merveilleuses substances qui mettent fin à nos souffrances et à nos maladies passagères, dont on ne connaît que l’action immédiate et que l’on ingère pourtant sans hésitation sur l’avis des thérapeutes. Ainsi la médecine, en tant qu’elle guérit, c’est-à-dire qu’elle ralentit l’action destructive des forces naturelles, a pour effet de changer des maladies actuelles et connues en d’autres maladies lointaines et inconnues.

540. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

L’importance de ces deux faisceaux de volonté et d’action, si différents de forme et si profondément unis dans l’âme, me frappe singulièrement. […] Action et rêve se combinent ; il combat pour l’amour et rêve de liberté plus entière, il lutte pour la liberté et rêve d’amour plus chaleureux, avec les mêmes paroles ardentes et bouillonnantes où s’enfle et tourbillonne un plein souffle de nature. […] Aussi, en disant que Walt Whitman a le premier reconnu pleinement le caractère sacré de toute réalité, qu’il a contemplé d’un œil radicalement nouveau la plus infime partie d’univers, qu’il a enrichi d’un sens divin les plus coutumières actions de nos vies, qu’il a créé le sentiment de pleine confiance et de liberté envers nous-mêmes et envers les autres, qu’il a enfin (et c’est le point capital pour nous) positivement découvert un nouveau de la vie, je n’aurais fait que tracer la pâle esquisse d’une scène géante.‌ […] Nous sentons clairement que le Dieu des chrétiens n’était comme tous les autres qu’un fantôme d’erreur ; et cependant la totalité de notre vie journalière, les moindres actions du monde, tous les faits qui nous environnent, la famille, les affaires, les institutions, le langage, ne sont-ils pas encore pétris de cette conception ruinée, que nous savons mensongère et néfaste, mais que la vie commune retient encore dans son inextricable complexité ? […] Qu’ils prennent de plus en plus conscience de leur action formidable !

541. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

Cette invention appartient cependant au judicieux Racine, qui, uniquement occupé de l’action principale de sa tragédie, aura sans doute négligé ces accessoires. […] N’était-il pas bien difficile, pour ne pas dire impossible, de ne prêter à ce tyran si lâche, si bassement cruel, que des actions nobles et grandes ? […] Il semble que l’action ait dû réellement se passer telle qu’on la représente. […] L’action de la pièce est le massacre du duc de Guise aux états de Blois. […] Les apologues sont déplacés au théâtre ; la morale y doit être dans l’action générale de la pièce, et non dans des fables particulières dont il ne résulte aucun intérêt.

542. (1886) Le roman russe pp. -351

L’action de ce héros correspondait à un groupe d’idées religieuses, monarchiques, sociales et morales, fondement sur lequel reposait la famille humaine depuis ses plus anciens essais d’organisation. […] Mais cette action constante de l’Évangile, qu’on accorde à la rigueur dans le passé, on la nie dans le présent. […] En entrant dans leurs œuvres, nous sommes désorientés par l’absence de composition et d’action apparente, lassés par l’effort d’attention et de mémoire qu’ils nous demandent. […] N’y cherchez pas la piété chrétienne des épopées occidentales, la dévotion à la Vierge et aux saints, le ciel intimement mêlé à l’action. […] Cette guerre forme le nœud de l’action dramatique : le vieux Tarass y incarne, dans la rudesse héroïque de ses traits et de son âme, le type légendaire des aventuriers de la steppe.

543. (1892) Impressions de théâtre. Sixième série

L’action est presque toute de rue et de place publique. […] Et maintenant l’action va commencer. […] Il reproche à la tragédie de manquer d’action et de naturel. […] — bien plus qu’elle n’est mise en action. […] Leurs propos se bornent toujours à ce que leur suggère l’action présente ; rien n’y est mis exprès pour nous élucider ou nous commenter cette action.

544. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

3° Bérénice est-elle, non une élégie dialoguée, comme on l’a toujours dit, mais un drame plein d’action et le plus racinien, même au point de vue de l’action, de tous les drames ? […] Bérénice est une grande tragédie et c’est la tragédie racinienne par excellence ; et elle est pleine d’action à l’entendre comme Racine l’entendait, c’est-à-dire d’action psychologique, de conflits et de mouvements des passions. […] On n’a pas trouvé d’action dans Bérénice, dit M.  […]  » Et voilà un drame plein d’action et de péripéties. […] Quant à l’autre point : Bérénice est-elle sans action ou, au contraire, est-elle pleine d’action ?

/ 2380