/ 3652
928. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Mémoires du duc de Luynes sur la Cour de Louis XV, publiés par MM. L. Dussieux et E. Soulié. » pp. 369-384

Il se mit donc à enregistrer et noter tout ce qui se passait sous ses yeux, s’abstenant de toute réflexion, et ne s’appliquant qu’à relever les faits avec toute l’exactitude possible. […] Je voudrais donner idée, par quelques extraits, de l’intérêt qu’offrent ces mémoires pour ceux même qui, sans être historiens, se contentent de les feuilleter et savent bien y discerner du coin de l’œil les pages qu’on peut passer et celles qu’il faut lire. Sur le cérémonial de Louis XV, sur les questions de révérences, de tabourets, de pliants, de carreaux, qui reviennent à tous moments, — sur le droit que prétendent avoir les ducs d’avoir à l’église des carreaux, non pas devant le roi, mais derrière ; — sur tout cela, je passe. […] Plusieurs jours se passèrent sans que M. de Nangis osât faire usage de cette permission ; enfin, dans le même voyage, s’étant trouvé auprès de Bontemps (le valet de chambre) dans le salon de Marly, Bontemps lui dit qu’il savait quelqu’un qui irait bientôt à la chasse à tirer avec le roi. […] On me contait aujourd’hui ce qui se passa dans le temps du grand carrousel que Louis XIV donna en 1662.

929. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

De nos jours les choses vont vite : on passe immédiatement à l’état de type. […] L’avantage qu’il y a à passer à l’état de type, c’est que quand vous n’avez pas tout ce qu’il faut pour remplir la condition, on vous le prête ; on vous donne le coup de pouce en beau et l’on vous achève. […] Tout à coup l’astre émerge ; son bord passe lentement derrière un des grands monts ; il monte, boulet pourpre, sans rayons. […] On retrouve en elle la fille d’une race et d’une société plus antique, plus vieillie, plus usée : elle se sert d’une langue toute faite ; c’est une riche et fine étoffe un peu passée, qu’elle rajeunit avec grâce en la mettant, mais dont chaque pli ne crie pas sous ses doigts. […] Le monde, rien dans le monde ne vaut ce qui se passe sous ce drap des morts couvert de fleurs.

930. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite et fin.) »

Il y a, pour moi, une mesure qui ne trompe guère pour apprécier ces divers mondes du passé, et quand je dis moi, je parle pour tout esprit curieux qui s’intéresse aux choses anciennes et qui, sans y apporter de parti pris ni de prévention systématique, est en quête de tout ce qui a eu son coin d’originalité et de distinction, son agrément particulier digne de souvenir ; il est une question bien simple à se faire : Voudrions-nous y avoir vécu ? […] En revenant à Paris, après y avoir passé toute une semaine à m’évertuer en si haute compagnie, j’aurais dit peut-être ouf ! […] Vingt-quatre heures qu’on y aurait passées devaient être suffisantes pour en guérir. […] « En même temps, ajoute Frédéric, on régla avec lui les contributions ; et il n’est pas douteux que les sommes qui passèrent entre les mains du maréchal ne ralentirent dans la suite considérablement son ardeur militaire43. » Le mot est terrible. […] C’est alors sans doute que, pour apaiser ses scrupules et pour épurer le passé, il contracta un mariage de conscience avec Mlle Leduc.

931. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

Je ne sais si, comme le prétendent certains, l’homme est né sujet et réclame un maître, mais, à voir ce qui se passe, on serait tenté de croire que l’homme, né religieux, n’arrivera jamais à se passer d’idoles. […] Mais, tandis que la majorité voit luire l’âge d’or dans les brouillards de l’avenir, quelques-uns n’espèrent le salut que du retour au passé. […] Ils sentent, aussi, disent-ils, passer sur eux le souffle de l’infini, mais ils ne veulent plus du Dieu local des Juifs, du Dieu limité de l’Évangile chrétien. […] L’auteur des Déracinés nous a raconté ces heures de foi et d’enthousiasme qu’il passait chez son ami, dans la campagne lorraine. […]  » Guaita n’interrompt ses méditations dans le Paris d’hiver que pour les reprendre dans son domaine isolé d’Alteville où il va passer la belle saison, « au lieu le plus solitaire de la Lorraine allemande, parmi les vastes paysages de l’étang de Lindre ».

932. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Madame Récamier. » pp. 121-137

Au mois de mai dernier a disparu une figure unique entre les femmes qui ont régné par leur beauté et par leur grâce ; un salon s’est fermé, qui avait réuni longtemps, sous une influence charmante, les personnages les plus illustres et les plus divers, où les plus obscurs même, un jour ou l’autre, avaient eu chance de passer. […] Elle se sent, elle passe, elle apparaît. […] Je pourrais ici raconter de souvenir bien des choses, si ma plume savait être assez légère pour passer sur ces fleurs sans les faner. […] « C’est une manière, disait-elle, de mettre du passé devant l’amitié. » Sa liaison avec Mme de Staël, avec Mme de Moreau, avec les blessés et les vaincus, la jeta de bonne heure dans l’opposition à l’Empire, mais il y eut un moment où elle n’avait pas pris encore de couleur. […] Elle écoutait avec séduction, ne laissant rien passer de ce qui était bien dans vos paroles sans témoigner qu’elle le sentît.

933. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Despréaux, avec le plus grand nombre des écrivains de son temps. » pp. 307-333

Le comte avoit été mis à la Bastille en 1665 : il n’en sortit, quelques mois après, que pour aller passer dix-sept ans en exil dans une de ses terres. […] Il croyoit pouvoir mettre, dans la bouche d’un acteur, ce que Despréaux faisoit passer souvent dans celle de tout le monde. […] Elle s’étoit passée chez madame de Nemours, pour qui Cotin avoit fait le sonnet de la princesse Uranie, que Molière rapporte. […] Ces réflexions, qui n’étoient rien moins qu’à la gloire de celui qui pouvoir passer pour être l’honneur du Parnasse françois, le blessèrent vivement. […] Il passa les dernieres années de sa vie à Auteuil, s’y occupant de dieu, de l’étude & de ses amis.

934. (1899) Psychologie des titres (article de la Revue des Revues) pp. 595-606

Citons cependant ce fait assez peu connu que la pièce de Tolstoï, la Puissance des Ténèbres doit être complétée comme il suit : ou si l’oiseau s’est une fois englué le bout de la griffe, toute la bête y passera. […] Successivement, dans les deux ou trois ans passés, nous avons vu paraître : l’Illusoire Aventure d’A. Boissière ; Aventures d’Édouard Ducoté ; Départ à l’Aventure, par Achille Segard ; l’Aventure, roman ironique de Jean Veber ; la Divine Aventure, par Pierre d’Espagnat ; et j’en passe. […] On pourrait trouver encore, soit dans notre littérature contemporaine, soit dans la littérature étrangère ou celle des temps passés, bien des originalités dans le choix des titres. […] De tous ces livres aux appellations saugrenues et bizarres, il ne reste pourtant plus guère que le titre lorsque les modes sont passées.

935. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

Elle hantait l’imagination des Barbares, par la haine d’abord et par la cupidité, puis, dès qu’ils y touchaient, par la beauté, par le passé et par ce charme indicible qui fait « un homme nouveau », selon Gœthe, de quiconque pénètre dans ses murs. […] Le passé pesait sur le présent comme une fatalité. […] L’évêque de Rome s’élève peu à peu, par sa diplomatie sans doute, mais aussi sans le vouloir, par le passé de la Ville ; le sang des martyrs lui est une gloire. […] Tous les hommes passent, qu’ils portent la tiare ou la couronne ; l’idée est éternelle, dans un enfantement toujours renouvelé de plus grande liberté. […] Elle n’effacera que peu à peu les traces d’une fatalité séculaire ; pour juger avec équité certains phénomènes sociaux et politiques de l’Italie contemporaine, il faut connaître son malheur passé.

936. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

Cela fait durer le passé, en apparence il est vrai, mais l’apparence même en est mauvaise encore. […] Passé cette limite, il retombe tout simplement sur lui-même. […] Mais, selon les temps, la majorité passe de l’une de ces deux tendances à l’autre. […] Il y avait beaucoup de passé et beaucoup d’avenir dans son esprit. […] De changement, point ; On l’a bien vu, Forage passé.

937. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — Notice sur M. G. Duplessis. » pp. 516-517

Entré dans l’Université vers 1811, il professa dans divers collèges, et passa bientôt à des fonctions administratives élevées. […] Comme les hommes d’antique science, de goûts studieux et innocents, il se passait quelquefois sa belle humeur en tenant la plumes. […] [1re éd.] il se passait quelquefois sa belle humeur plume en main.

938. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Jouffroy.] » pp. 532-533

Je passais là une partie de la journée avec son neveu et le jeune Béchet, mort, il y a quelques années, conseiller à la cour de Besançon : il était dans la même classe que Jouffroy, qui n’a pas nui à son avancement. […] Ceci se passait en 1811 ; l’année suivante, Jouffroy nous quitta pour entrer au lycée de Dijon, où il fit sa rhétorique et apprit assez de grec et de philosophie pour se faire admettre en 1813 à l’École normale. […] C’était, je crois, dans les vacances de Pâques de 1814, et je les passais chez un grand-oncle, grand ami de l’abbé Jouffroy, prêtre insermenté comme lui et curé d’une paroisse de la montagne à quelques lieues de Lons-le-Saulnier.

939. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre IV. De l’analogie. — Comparaisons et contrastes. — Allégories »

C’était une cavale indomptable et rebelle,            Sans frein d’acier ni rênes d’or ; Une jument sauvage à la croupe rustique,            Fumante encor du sang des rois ; Mais fière, et d’un pied fort heurtant le sol antique,            Libre pour la première fois ; Jamais aucune main n’avait passé sur elle            Pour la flétrir et l’outrager ; Jamais ses larges flancs n’avaient porté la selle            Et le harnais de l’étranger ; Tout son poil était vierge ; et, belle vagabonde,            L’œil haut, la croupe en mouvement, Sur ses jarrets dressée, elle effrayait le monde            Du bruit de son hennissement. […] Quinze ans son dur sabot, dans sa course rapide,            Broya les générations ; Quinze ans, elle passa, fumante, à toute bride,            Sur le ventre des nations. […] On n’en tirera une véritable utilité que si l’on se condamne au labeur pénible de convertir il chaque moment l’image en idée, le symbole en abstraction, de passer de la métaphore au mot propre, enfin si l’on refait en sens inverse le chemin déjà parcouru.

940. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 28, de la vrai-semblance en poësie » pp. 237-242

La fiction ne passe pour mensonge que dans les ouvrages qu’on donne pour contenir exactement la verité des faits. […] Ainsi le poëte qui feint une avanture honorable à son heros pour le rendre plus grand, n’est pas un imposteur, quoique l’historien qui feroit la même chose passât pour tel. […] C’est le nom de ce fils qui passe pour Tiberinus.

941. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une conspiration sous Abdul-Théo. Vaudeville turc en trois journées, mêlé d’orientales — Première journée (1865). Les soucis du pouvoir » pp. 215-224

C’est Méry-Achmet, qui passe en caïque. […] Ce n’est pas moi, seigneur… Cette voix vient du Bosphore ; c’est Champfleury-Pacha qui passe en caïque. […] Villemot-Pacha qui passe en caïque.

942. (1911) Études pp. 9-261

Parole qui peut-être eût passé sans que je la reconnaisse. […] Je les reconnais toutes. — Sur toutes passe la modération de l’ironie, comme une lumière. […] Toute la plainte du monde passe en son cœur. […] Il n’a même pas la pudeur de dépouiller franchement son passé à mesure qu’il l’use. […] Point d’autre entente que celle inspirée par l’unité de l’âme où tout se passe.

943. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — II. (Suite.) » pp. 155-174

Mais tout s’est passé en légères escarmouches et à essayer de loger chacun à son avantage. […] Un homme du parti royaliste passa alors menant en main un cheval, un petit courtaud qu’il avait pris ; Rosny offrit à cet homme cinquante écus qu’il avait dans sa pochette : « car vous aviez cette coutume de porter toujours de l’or sur vous lorsque vous alliez aux combats ». […] Rosny enfin fait si bien qu’il arrive au château d’Anet, s’y maintient avec cornette et prisonniers, et y passe la nuit après y avoir reçu les premiers soins pour ses blessures. […] Au siège de Laon, on voit Henri, qui passait les jours et les nuits à visiter les batteries et les tranchées, faire un soir la partie d’aller le lendemain à Saint-Lambert, dans la forêt, vers une métairie de son domaine, « où, étant jeune, il était allé souvent manger des fruits, du fromage et de la crème, se délectant grandement de revoir ces lieux-là où il avait été en son bas-âge ». […] Bon nombre de ces conversations secrètes de Rosny, en ces années, se passèrent dans cette posture de respectueuse confidence.

944. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le marquis de la Fare, ou un paresseux. » pp. 389-408

… Et il regrettait les jours plutôt perdus que passés loin d’elle. […] D’abord ils ne se quittaient pas, ils passaient douze heures ensemble ; puis, après quelques mois, ce ne fut que sept ou huit heures ; puis il fut évident que l’amour du jeu se glissait comme une distraction à la traverse. […] Il passait sa vie à Saint-Maur chez M. le Duc, à Anet ou au Temple chez les Vendôme, à l’hôtel de Bouillon chez la nièce de Mazarin. […] Mais comme on ne va point d’une extrémité à l’autre sans passer par un milieu, il commença seulement par ne leur donner plus de part au gouvernement ni à sa confiance, et choisit des gens qu’il crut fidèles et de peu d’élévation. […] C’est une rude gageure que de se dire : « Je passerai une grande partie de ma vie dans une époque sans en être, sans la servir comme elle veut être servie, et j’attendrai que l’heure propice et plus d’accord avec mon humeur soit revenue. » La Fare fît peut-être à certain moment cette gageure, mais il la perdit.

945. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

quand je devrais être réputé bête partout ailleurs, cher monsieur Griflith, laissez-moi passer pour un génie à Olney. […] Il n’en passe pas moins pour un jockey portant des poids à la ceinture, car on voit pendu de chaque côté un goulot de bouteille. […] Le retour n’est pas plus heureux que l’allée ; de nouveaux accidents burlesques amènent une course nouvelle en sens opposé, et Gilpin, toujours à cheval et toujours emporté, gai pourtant et sans trop de choc, revient à Londres, mais sans dîner, comme il était parti : ainsi s’est passé l’anniversaire de son jour de noces. […] Il n’est question du sopha que dans le premier livre et pendant les cent premiers vers environ, après quoi l’auteur passe à ses thèmes de prédilection, la campagne, la nature, la religion et la morale. […] Je passe rapidement sur ces gentillesses, sur les progrès de la chaise que le jonc de l’Inde a rendue plus flexible, à laquelle on ajoute des bras, et à ces bras encore on ne donne pas d’emblée la parfaite et commode courbure : rien, dans les arts de la vie, ne se trouve du premier coup.

946. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Une Réception Académique en 1694, d’après Dangeau (tome V) » pp. 333-350

J’ai promis une anecdote littéraire, ou plutôt c’est toute une scène à laquelle Dangeau et Saint-Simon nous permettent d’assister, et j’en vais donner un compte rendu fidèle comme si elle s’était passée de nos jours, sans rien inventer, sans rien ajouter. […] Les figures les plus hardies et les plus marquées, celles que les plus grands orateurs n’emploient qu’en tremblant, vous les répandez avec profusion, vous les faites passer dans des pays qui jusques ici leur étaient inconnus ; et ces ordonnances véritablement apostoliques, destinées au seul gouvernement des âmes, au lieu d’une simplicité négligée qu’elles avaient avant vous, sont devenues chez vous des chefs-d’œuvre de l’esprit humain. […] La mesure avait été passée, la convenance violée, ce que ce roi ne pardonnait jamais. […] Je n’ai garde de songer à ce qui a pu se passer de nos jours, et qui n’offrirait, je veux le croire, que de lointaines ressemblances ; mais une scène presque pareille à celle qu’on vient de voir a été la réception de La Harpe par Marmontel, le 20 juin 1776. […] Molé, qui s’est passée sous nos yeux, a offert un parfait pendant à la réception de M. de Noyon, mais avec moins de gaieté et plus d’amertume.

947. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — I » pp. 395-413

Se croyant dégagée de sa promesse par la mort du roi son père, elle passa outre à cette condition et fit épouser à Mlle  de Marwitz un officier du régiment impérial dont le margrave était propriétaire. […] Votre générosité vous a fait oublier mes fautes passées, mais ne m’empêche pas d’y penser à toutes les heures du jour. […] Ces gens n’ont d’esprit que dans la société ; ils sont sévères sur leurs ouvrages pour ne point être critiqués par d’autres, et indulgents sur leur conduite, qui d’ordinaire est ridicule, et qu’ils croient ne point passer à la postérité. […] Il m’a promis de venir, l’année qui vient, passer trois mois chez moi, et alors nous capitulerons peut-être pour plus longtemps. […] Elle veut m’emmener en Languedoc, où elle va passer l’hiver pour sa santé… Croiriez-vous que cette sœur du roi de Prusse a voulu absolument voir ma nièce ?

948. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Les quatre moments religieux au XIXe siècle, (suite et fin.) »

Je ne voulais que décrire une réaction fatale avec les contre-coups inévitables et les représailles qu’elle souleva ; passons à un autre moment meilleur. […] Tous ont changé depuis et ont dû changer : l’un irrité et emporté, dans sa fièvre d’impatience, a passé d’un bond à la démocratie extrême ; l’autre, tout vertueux, sans ambition et sans colère, est arrivé par une douce pente aux honneurs mérités de l’épiscopat, vérifiant ainsi en sa personne le mot du Maître : « Heureux les doux parce qu’ils posséderont la terre !  […] D’autres, voyageurs libres, sont restés sur la lisière : je les vois, encore les mêmes, qui vont et viennent, passent et repassent comme autrefois. […] Bénédictins de Solesmes, nouveaux Oratoriens, Jésuites fidèles à leur passé s’évertuèrent avec émulation. […] elle se montre depuis quelque temps bien épineuse, bien querelleuse : elle a passé de la défense à l’attaque.

949. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Œuvres complètes de Molière »

Soulié nous a exposé brièvement, dans son Introduction, comment il parvint à trouver cette première pièce quelconque (un titre de propriété), laquelle le renvoya à d’autres, à des actes passés à Paris, et comment, de contrat en contrat, de testament en testament, de fil en aiguille, il en vint à reconquérir péniblement, mais avec une joie indicible, quelques faits précis et certains sur l’état de maison, la famille, les obligations de théâtre, les dettes, et les mœurs domestiques du grand poète chef de troupe. […]  » Et voilà notre homme enfermé, dévorant tout ce grimoire sans en rien passer, car il s’agit d’un seul nom propre qui peut vous mettre sur la voie ; et si, après une journée tout entière employée à cette chasse d’un nouveau genre, l’érudit sort tout poudreux, plus couvert de toiles d’araignée que Gabriel Naudé à Rome au sortir de chez les bouquinistes, mais tenant en main l’acte qu’il désirait, qu’il avait flairé et dénoncé à l’avance, quelle joie, quel triomphe ! […] Soulié a retrouvé des pièces qui permettent de reconstituer avec plus de précision que par le passé l’histoire de l’Illustre Théâtre. […] Il s’est fait une règle fort sage, de ne jamais critiquer ni discuter les opinions des commentateurs qui l’ont précédé ; cela irait trop loin : « Lorsqu’ils commettent des erreurs, dit-il, il suffît de les passer sous silence : lorsqu’ils ont bien exprimé une réflexion juste, nous nous en emparons. […] Ce n’est pas l’effet d’un calcul ni d’une préméditation de l’auteur sans doute, c’est un résultat de la situation même ; il est plus comique que le spectateur ne voie rien et que tout se passe en récit, puisque c’est l’amoureux en personne qui vient faire ce récit en confidence au jaloux qu’il ne sait pas être son rival et à qui il se dénonce.

950. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. (suite) »

Il avait secoué la tête comme fait un dormeur quand on lui passe doucement une plume sous le nez. […] L’analyse, ce n’est pas Michel qui l’apporterait d’abord, il s’en passerait bien ; c’est la dame, la noble dame, désignée simplement sous le nom de Marie, qui va l’introduire à toute force et obliger Michel à cet exercice imprévu, à cette escrime où il se trouvera maître. […] Il est question d’un voyage à deux, de l’accompagner en chemin à quelque campagne où elle doit passer quelques heures, et de la reprendre au retour. […] Que s’est-il passé ? […] Les sots s’aiment mieux que les autres… J’ai souvent pensé que des gens qui ne parleraient pas la même langue, un Russe et une Espagnole, je suppose, pourraient passer ensemble de bien douces soirées, sous les bosquets d’un jardin, — pourvu qu’il fasse un peu de lune.

951. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

A la faveur d’un cadre mythologique déjà bien vieux, l’auteur est amené à dire son avis sur la poésie et à passer en revue les différents poëtes du jour, les bons et les mauvais. […] Après tout, même dans ses malheurs et ses guignons récents, s’il se reportait en esprit à ses anciennes infortunes et à cette horrible captivité en Alger, Cervantes avait la ressource de se dire comme Ulysse : « Courage, mon cœur, tu en as vu de pires, le jour où l’infâme Cyclope te dévorait tous tes braves compagnons, et où, la prudence et l’audace aidant, tu l’échappas belle… » J’ai connu des cœurs philosophes auxquels le souvenir des maux et des périls passés ne laissait pas d’être une consolation dans les ennuis du présent. […] Vous êtes venu bien mal à propos pour faire ma connaissance, car il ne me reste guère de temps pour vous remercier de l’intérêt que vous me portez. » — Nous en étions là quand nous arrivâmes au pont de Tolède ; je le passai et lui entra par celui de Ségovie. […] Ce spirituel vieillard à qui l’on fit remarquer un matin, tandis qu’on l’habillait, une tache de gangrène sénile à l’une de ses jambes, cacha à ses gens le pronostic qu’il en tirait, n’avertit qu’un ou deux amis intimes à l’oreille, en invita un plus grand nombre, dix ou douze, à venir passer chez lui la soirée pour chacun des jours suivants, vers cinq heures ; il leur promettait des tables de jeu, des échiquiers, des trictracs, de quoi faire passer agréablement le temps. […] Boileau, pendant un séjour aux eaux de Bourbon, où il cherchait à se guérir d’une extinction de voix, écrivait à Racine (9 août 1687) : « Je m’efforce de traîner ici ma misérable vie du mieux que je puis, avec un abbé très-honnête homme qui est trésorier d’une sainte chapelle, mon médecin et mon apothicaire : je passe le temps avec eux à peu près comme Don Quichotte le passait en un lugar de la Mancha, avec son curé, son barbier et le bachelier Samson Carrasco ; j’ai aussi une servante : il me manque une nièce ; mais de tous ces gens-là, celui qui joue le mieux son personnage, c’est moi qui suis presque aussi fou que lui… » Les poëtes français du grand siècle, en s’écrivant avec une bonhomie qui a certes bien son prix, n’ont aucune vue critique, aucun de ces aperçus littéraires qu’on serait tenté de leur demander.

952. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite.) »

Dix années, et plus de dix années, se passèrent en effet sans qu’elle se mêlât directement et essentiellement de politique ; elle contribua à faire M. de Castries ministre de la marine (1780), et, peu après, elle fit remplacer M. de Montbarey à la Guerre par M. de Ségur : son monde intérieur la détermina à intervenir activement dans ces deux cas. […] Calonne, en assemblant les Notables et en se flattant de tirer d’eux l’abolition des privilèges, la proscription des abus et la règle dans les finances de l’État, procédait comme s’il ne s’était agi, en vérité, que de passer le rouleau sur un gazon ; il y fallait la sape et la charrue. […] Le temps des illusions est passé, et nous faisons des expériences bien cruelles… » Elle revenait sur le même sujet deux jours après, et en citant des noms à l’appui : « La répugnance que vous me savez de tout temps de me mêler d’affaires est aujourd’hui fortement à l’épreuve, et vous seriez fatiguée comme moi de tout ce qui se passe. Je vous ai déjà parlé de notre Chambre haute et basse et de toutes les ridiculités qui s’y passent et qui s’y disent. […] Je tremble, passez-moi cette faiblesse, de ce que c’est moi qui le fais revenir.

953. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La comédie de J. de La Bruyère : par M. Édouard Fournier. »

Le mieux serait assurément de tout concilier, de garder du passé les vues justes, les pensées ingénieuses et sensées, nées d’un premier et d’un second coup d’œil, impressions de goût qu’on ne remplacera pas, et d’y joindre les aperçus que suggèrent les faits nouveaux, d’accroître ainsi le trésor des jugements, sans en détruire une partie à mesure qu’on en construit une autre ; mais cette sagesse est rare ; la mesure n’est la qualité et le don que de quelques-uns. […] Remercions l’aimable historiographe de la marine qui est savant sans nul doute, — pas si savant peut-être qu’on le voudrait faire, — et passons outre. […] Il le faisait en écrivant ; il le montrait aussi dans sa personne ; il avait des saillies, des fougues et comme des poussées d’agrément qui passaient la limite126. […] Et il a ce singulier bonheur encore que, quand le xviiie  siècle est passé et qu’on en parle comme d’une ancienne mode, quand le xviie  siècle lui-même est exposé de toutes parts aux attaques, aux irrévérences et aux incrédulités des écoles nouvelles, lui, La Bruyère, comme par miracle, y est seul respecté ; seul, tout entier debout, on l’épargne, que dis-je ? […] Voici le portrait que trace de M. de Valincour Saint-Simon qui, d’ordinaire, ne flatte guère son monde : « C’était un homme d’infiniment d’esprit, et qui savait extraordinairement ; d’ailleurs, un répertoire d’anecdotes de Cour où il avait passé sa vie dans l’intrinsèque, et parmi la compagnie la plus illustre et la plus choisie ; solidement vertueux et modeste, toujours dans sa place, et jamais gâté par les confiances les plus importantes et les plus flatteuses : d’ailleurs très-difficile à se montrer, hors avec ses amis particuliers, et peu à peu, très-longtemps, devenu grand homme de bien.

954. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

Jacques Jasmin (Jaquou Jansemin) est né en 97 ou 98 ; l’autre siècle, vieux et cassé, n’avait plus, dit-il, qu’une couple d’années à passer sur la terre, quand, au coin d’une vieille rue, dans une masure peuplée de plus d’un rat, le jeudi gras, à l’heure où l’on fait sauter les crêpes, d’un père bossu, d’une mère boiteuse, naquit un enfant, un petit drôle, et ce drôle, c’était lui. […] Il voit passer un vieillard en fauteuil, qu’on porte ; il le reconnaît : c’est son grand-père que la famille environne. […] Le troisième nous transporte au haut d’une maison dont la façade est peinte en couleur bleu de ciel ; dans sa petite chambre, sous la tuile, Jasmin, qui n’est qu’apprenti encore, à la lueur d’une lampe dont le reflet se joue aux feuilles du tilleul voisin (toujours de gaies images), Jasmin passe une partie de ses nuits à lire, à rêver, à versifier déjà. […] Le poëte passe tour à tour d’Angèle, la jolie et la légère, qui ne voit que sa croix d’or et sa couronne, à la pauvre Marguerite, qui, à tâtons, va chercher au fond d’un tiroir quelque chose qu’elle cache en frémissant dans son sein. […] Et le soir, un cercueil avec des fleurs passait au même chemin ; le De Profundis avait remplacé les chansons, et, dans la double rangée de jeunes filles en blanc, chacune maintenant semblait dire : Les chemins devraient gémir, Tant belle morte va sortir ; Devraient gémir, devraient pleurer, Tant belle morte va passer !

955. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SÉVIGNÉ » pp. 2-21

C’était une blonde rieuse, nullement sensuelle, fort enjouée et badine ; les éclairs de son esprit passaient et reluisaient dans ses prunelles changeantes, et, comme elle le dit elle-même, dans ses paupières bigarrées. […] La qualification de précieuse a passé de mode ; on se souvient encore, en souriant, de l’avoir été, mais on ne l’est plus. […] Les journées pour nous se passent en études, les soirées en discussions sérieuses ; de conversations à l’amiable, de causeries peu ou point. […] Mais, ce qui me fâche, c’est qu’en ne faisant rien les jours se passent, et notre pauvre vie est composée de ces jours, et l’on vieillit, et l’on meurt. […] Quand une fois le siècle d’analyse a passé sur la langue et l’a travaillée, découpée à son usage, le charme indéfinissable est perdu ; c’est à vouloir alors y revenir qu’il y a réellement de l’artifice.

956. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SOUZA » pp. 42-61

En attendant, l’on sent ce qui manque, et parfois l’on en souffre ; on se reprend, dans certaines heures d’ennui, à quelques parfums du passé, d’un passé d’hier encore, mais qui ne se retrouvera plus ; et voilà comment je me suis remis l’autre matinée à relire Eugène de Rothelin, Adèle de Sénange, et pourquoi j’en parle aujourd’hui. […] Adèle de Sénange se passa ainsi d’auditeurs ; on sait que Paul et Virginie avait eu grand’peine à en trouver. […] il a su tirer d’un passé récent un type non encore réalisé ou prévu, un type qui en achève et en décore le souvenir. — L’apparition d’Eugène fut saluée d’un quatrain de Mme d’Houdetot. […] Comme on était mariée au sortir du couvent, par pure convenance, il arrivait que bientôt le besoin du cœur se faisait sentir ; on formait alors avec lenteur un lien de choix, un lien unique et durable ; cela se passait ainsi du moins là où la convenance régnait, et dans cet idéal de dix-huitième siècle, qui n’était pas, il faut le dire, universellement adopté. […] Il y a un bien admirable sentiment entrevu, lorsque étant allée dans le parc respirer l’air frais d’une matinée d’automne, tenant entre ses bras le petit Victor, l’enfant de sa sœur, qui, attaché à son cou, s’approche de son visage pour éviter le froid, elle sent de vagues tendresses de mère passer dans son cœur : et le comte Ladislas la rencontre au même moment.

957. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IV. Des figures : métaphores, métonymies, périphrases »

Quand les lettres de commerce font courir le mois et l’année, quand les règlements administratifs font courir les appointements des fonctionnaires, soyez sûres que les rédacteurs ne croient pas faire une figure, et que nulle forme légère et mobile ne passe devant leurs yeux : ils ne voient pas d’autres mots pour ce qu’ils veulent dire. […] Que de métaphores hardies passeraient pour forcées, si l’auteur ne les avait pas éclairées précisément comme il fallait. […] — Je me trouve un peu incommodé de la veine poétique, pour la quantité des saignées que j’y ai faites ces jours passés. […] Et je pense qu’ici je ne ferais pas mal De joindre à l’épigramme ou bien au madrigal Le ragoût d’un sonnet, qui chez une princesse A passé pour avoir quelque délicatesse. […] Ainsi comme nous en voyons passer d’autres devant nous, d’autres nous verront passer, qui doivent à leurs successeurs le même spectacle.

958. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « La Mare au diable, La Petite Fadette, François le Champi, par George Sand. (1846-1850.) » pp. 351-370

Combien de fois n’a-t-elle pas fait passer leurs ennuyeux paradoxes à l’état de magnifiques lieux communs ! […] Donc tout n’était pas mal dans le passé. […] puisque cela est, ô poète, convient-il donc, sur la foi de certains systèmes non éprouvés et que rien ne garantit, de pousser si fort et si violemment ces restes d’un passé déjà si ébranlé ? […] Le moment où, des deux jumeaux, celui qui passe pour le cadet, Landry, se détache, prend le dessus, et se met décidément à devenir l’aîné, à voler de ses propres ailes et à se faire homme, est admirablement saisi. […] La petite Fadette, ou petite fée, n’est autre qu’une petite fille de l’endroit dont la famille a une réputation assez équivoque, et qui passe pour un peu sorcière.

959. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

Après une enfance honnêtement passée dans le cercle du foyer domestique, il est mis en apprentissage et y subit des duretés qui lui gâtent le ton et lui dépravent la délicatesse. […] Mais c’est là un défaut qu’on lui passe, tant il est parvenu à en triompher en des pages heureuses, tant, à force de travail et d’émotion, il a assoupli son organe et a su donner à ce style savant et difficile la mollesse et le semblant d’un premier jet ! L’autre espèce d’altération et de corruption qu’on peut noter en lui est plus grave, en ce qu’elle tient au sens moral : il ne semble pas se douter qu’il existe certaines choses qu’il est interdit d’exprimer, qu’il est certaines expressions ignobles, dégoûtantes, cyniques, dont l’honnête homme se passe et qu’il ignore. […] Rousseau n’est pas seulement un ouvrier de la langue, apprenti avant d’être maître, et qui laisse voir par endroits la trace des soudures : c’est au moral un homme qui, jeune, a passé par les conditions les plus mêlées, et à qui certaines choses laides et vilaines ne font pas mal au cœur quand il les nomme. […] Lorsque, quittant sa patrie, à la fin du premier livre des Confessions, il se représente le tableau simple et touchant de l’obscur bonheur qu’il aurait pu y goûter ; quand il nous dit : J’aurais passé dans le sein de ma religion, de ma patrie, de ma famille et de mes amis, une vie paisible et douce, telle qu’il la fallait à mon caractère, dans l’uniformité d’un travail de mon goût et d’une société selon mon cœur ; j’aurais été bon chrétien, bon citoyen, bon père de famille, bon ami, bon ouvrier, bon homme en toute chose ; j’aurais aimé mon état, je l’aurais honoré peut-être, et, après avoir passé une vie obscure et simple., mais égale et douce, je serais mort paisiblement dans le sein des miens ; bientôt oublié sans doute, j’aurais été regretté du moins aussi longtemps qu’on se serait souvenu de moi.

960. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand. (Berlin, 1846-1850.) » pp. 144-164

On s’est moqué de quelques mauvais vers de ce prince métromane, lesquels ne sont pas plus mauvais après tout que bien des vers du même temps, qui passaient pour charmants alors et qui ne peuvent aujourd’hui se relire ; et l’on n’a pas fait assez d’attention aux œuvres sérieuses du grand homme, qui ne ressemblerait pas aux autres grands hommes s’il n’avait mis bien réellement son cachet aux nombreuses pages de politique et d’histoire qu’il a écrites, et qui composent un vaste ensemble. […] Écrivain en prose, Frédéric est un disciple de nos bons auteurs, et, en histoire, c’est un élève, et certes un élève original et unique, et par endroits passé maître, de l’historien du Siècle de Louis XIV. […] « Un homme qui ne se croit pas tombé du ciel, dit-il, qui ne date pas l’époque du monde du jour de sa naissance, doit être curieux d’apprendre ce qui s’est passé dans tous les temps et dans tous les pays. » Tout homme doit au moins se soucier de ce qui s’est passé avant lui dans le pays qu’il habite. […] C’était l’âme d’un usurier qui passait tantôt dans le corps d’un militaire, tantôt dans celui d’un négociateur. » Et remarquez que tout cela n’est pas à l’état de portrait comme dans les histoires plus ou moins littéraires, où l’historien se pose devant son modèle : c’est dit en courant, comme par un homme du métier qui pense tout haut et qui cause. […] Si cette grande entreprise avait manqué, le roi aurait passé pour un prince inconsidéré, qui avait entrepris au-delà de ses forces : le succès le fit regarder comme habile autant qu’heureux.

961. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Simple ouvrier dans une œuvre si générale, je continuerai donc, comme par le passé, cette espèce de cours public de littérature que j’ai entrepris depuis plus de trois ans. […] Le récit que Barthélemy a donné de ses premières années de jeunesse, passées en Provence à diverses études, à apprendre l’hébreu, l’arabe, les médailles, les mathématiques et l’astronomie, est piquant, et il a essayé de le rendre tel, moyennant quelques anecdotes bien contées. […] Enfin sa moisson augmente, son lot s’accroît ; il sent que son voyage n’aura pas été tout à fait en pure perte : c’était sa crainte en commençant ; cent fois il s’était repenti d’avoir occasionné une dépense inutile : Cette idée, ajoute-t-il naïvement, empoisonnait des moments que j’aurais pu passer avec plus de plaisir. […] En soixante années de pratique, il lui avait passé plus de quatre cent mille médailles entre les mains. […] [NdA] Ayant quitté le journal Le Constitutionnel, dont la propriété venait de passer en d’autres mains et dont l’administration n’était plus la même, j’ai inséré les articles suivants dans Le Moniteur.

962. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

Sa mise est simple : sa cotte ou robe monte assez haut, à plat, sans rien de galant, et s’accompagne de fourrures ; sa cornette, basse sur sa tête, encadre le front et le haut du visage, et laisse à peine passer quelques cheveux. […] Ces rigueurs des âges suivants, ainsi adoucies et tempérées comme elles le sont par les mœurs générales, eussent été les bienfaits des siècles passés : il y a des points gagnés au civil qui ne se perdent plus. […] Ainsi s’écoule le temps sans que personne croie avoir passé la mesure de la gaieté permise ni avoir fait un péché. […] Dans la seconde moitié du xviie  siècle, il n’y avait plus que Mme Cornuel à qui l’on passât les grosses paroles à cause de l’esprit et du sel qu’elle y mettait. […] C’est à ce point précis de la société, et pour ce monde devenu plus chatouilleux, que La Fontaine a donné le précepte encore plus sûrement que l’exemple, en d’agréables vers souvent cités : Qui pense finement et s’exprime avec grâce        Fait tout passer, car tout passe ;        Je l’ai cent fois éprouvé :        Quand le mot est bien trouvé, Le sexe, en sa faveur, à la chose pardonne : Ce n’est plus elle alors, c’est elle encor pourtant.

963. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1880 » pp. 100-128

Il nous confesse, qu’à la publication de son roman dans Le Voltaire, l’écriture de la chose lui a paru détestable, et que pris d’un accès de purisme, il s’est mis à le récrire complètement, en sorte, qu’après avoir travaillé, toute la matinée, à la composition de ce qui n’était pas fait, il passait toute la soirée, à reprendre et à retravailler son feuilleton. […] Cette immense Seine, sur laquelle les mâts des bateaux, qu’on ne voit pas, passent comme dans un fond de théâtre ; ces grands arbres aux formes tourmentées par les vents de la mer ; ce parc en espalier ; cette longue allée-terrasse en plein midi, cette allée péripatéticienne, en font un vrai logis d’homme de lettres — le logis de Flaubert, après avoir été au xviiie  siècle, la maison conventuelle d’une société de Bénédictins. […] On boit beaucoup de vins de toutes sortes, et la soirée se passe à conter de grasses histoires, qui font éclater Flaubert, en ces rires qui ont le pouffant des rires de l’enfance. […] Puis il se passe en moi des choses singulières, il me semble que les nerfs qui font mouvoir mon individu, ont de la nuque aux talons, des relâchements, des distensions, qui me donnent à craindre de, tout à coup, m’affaisser et tomber à plat, comme un pantin, dont les ficelles seraient coupées. […] Et, de l’anecdote concernant Mme du Barry, il passe à l’histoire de ses papiers de famille, qu’on lui a volés, pendant la Commune, et qu’on vient de lui offrir à vendre.

964. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Jean Richepin »

Tout un monde de gueux a passé dans son œuvre… Mais, qu’on me passe le mot ! […] Richepin aux outrances d’attitude et d’expression dont son livre et son talent pouvaient se passer. […] Des docteurs en sincérité se sont établis carrément dans la conscience du poète Richepin pour mieux savoir que lui ce qui s’y passe, et ils ont déclaré que son impiété n’était qu’une comédie. […] Richepin, quels que soient son passé et son caractère, qu’on n’a pas à juger ici, il est poète dans ses vers, il y a la sincérité du poète, et c’est à l’évidence de l’accent qu’on le reconnaît, et que, sans cette méprisable envie, le cancer de la littérature, on l’aurait, à la première vue, universellement reconnu. […] Le Trissotin était monté jusqu’au Satan, et l’ensorcellement de son talent si formidable, que, quand on lit ses vers, sa rage et ses rugissements contre Dieu et sa création et l’ordre du monde n’apparaissent plus comme la plus insensée des folies, et qu’on sent avec épouvante passer en soi comme le frisson partagé des colères du Sacrilège !

965. (1900) La province dans le roman pp. 113-140

Au fond, leurs émigrations consistent en petits voyages à Chaville, à Suresnes, à Meudon, dans le cercle de la grande banlieue, dans l’atmosphère qui est encore parisienne, dans les sites rapprochés où passe le mouvement de Paris, et le voyage, si court qu’il soit, est encore traversé de regrets. […] On pourrait croire qu’ils rêvent de se fixer là où ils passent, et qu’ils le feraient s’ils le pouvaient. […] marquise, quel dommage que vous ayez employé l’épithète qui ne veut rien dire : « beauté surprenante », ou plutôt l’épithète qui montre jusqu’à l’évidence que c’était là un amour de littérature, qui reste dans l’esprit et ne passe pas dans le cœur ! […] Je prétends simplement que la pénétration réciproque était bien faible aux siècles passés entre Parisiens et provinciaux, qu’ils avaient de sérieuses raisons de s’ignorer, et, quand ils se rencontraient, de se trouver dissemblables. […] Certaines gens naissent et grandissent avec une cervelle si pauvre, qu’ils ne peuvent vivre sans tapage et bavardage, sans poussière à respirer, sans un théâtre ou un salon pour passer la soirée.

966. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

Je passe sous silence les réimpressions moins étudiées. […] Pascal les passe en revue. […] « Qu’ils ont vite passé… » disent du prosateur et du poète leurs adversaires triomphants, et même leurs fidèles répètent avec mélancolie : « Ils ont passé ! […] Montez sur un tramway et regardez les gens qui passent dans la rue. […] Il passera en revue la force armée, garde nationale et gendarmerie.

967. (1925) La fin de l’art

Passons. […] Mais cela se passait en 1833. […] Les momies étaient ensuite transportées en Italie, de là passaient en France. […] Cependant, dès cette époque, son heure littéraire était passée : elle s’écoula sous le second Empire. […] Je n’ai mangé de vrai pain que dans les pays qui passaient pour arriérés, la Hague, la Bretagne.

968. (1864) Le roman contemporain

Ces exemples du passé sont un avertissement pour le roman contemporain. […] Cela importe non seulement au point de vue du passé, mais au point de vue du présent et de l’avenir. […] Quand on interroge les échos du passé, ils répondent. […] Passe encore si, au lieu d’un évêque, il s’agissait d’un brahmine ! […] Passons.

969. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Il les voit une fois, il les aime et il passe. […] Le temps des idoles est passé. […] Meissner aurait pu aisément se passer. […] En ce genre, les Allemands sont passés maires. […] Je l’ai admirée dans l’éclat tranquille de sa vie passée.

970. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VI. De la littérature latine sous le règne d’Auguste » pp. 164-175

Mais on se les représente voyant passer la vie, comme ils regardent couler le ruisseau qui rafraîchit leur climat brûlant, et l’on finit presque par leur pardonner d’oublier la morale et la liberté, comme ils laissent échapper le temps et l’existence. […] Les Grecs vivaient dans l’avenir, et les Romains aimaient déjà, comme nous, à porter leurs regards sur le passé. […] Comment les anciens auraient-ils pu la posséder, en effet, à l’égal de ceux que des siècles et des générations multipliés ont instruits par de nouveaux exemples, et qui peuvent contempler dans la longue histoire du passé, tant de crimes, tant de revers, tant de souffrances de plus ! […] Comme nous ayons passé ensemble des années toujours d’accord, nous demandons que la même heure termine notre carrière, que je ne voie jamais le tombeau de mon épouse, et que je ne sois point enseveli par elle.

971. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Grosclaude. »

C’est comme une convention allégeante et salutaire que l’écrivain nous demande d’admettre un instant. « Il n’y a rien… absolument rien… La douleur même est un pur néant quand elle est passée… L’univers n’existe que pour nous permettre de le railler par des assemblages singuliers de mots et d’images… » Voilà ce que nous admettons implicitement lorsque nous lisons une page de Grosclaude ; et de là cette impression de déliement, de détachement heureux, que nous font souvent éprouver ses facéties les plus macabres. […] Ayons le courage de l’imprimer : si, malgré des interventions si puissantes, le Panthéon n’est pas encore décoré, c’est vraisemblablement qu’il a dans son passé quelque ténébreuse histoire qui lui interdit l’accès de toute distinction honorifique… Quel est donc ce cadavre ? […] Ce n’est point ma faute si des phrases comme celles-ci me délectent profondément : « Ce n’est pas sans une respectueuse émotion que nous avons été admis en présence de ce vieux lutteur… La glorieuse locomotive habite un modeste appartement de garçon, au cinquième sur la cour… Nous sommes immédiatement introduits dans le cabinet de toilette de la respectable machine à vapeur, qui est en train de se passer un bâton de cosmétique sur le tuyau, innocente coquetterie de vieillard. » La conversation s’engage. […] Grévy, et nous montre M. de Freycinet s’apprêtant à découper le gâteau : « M. de Freycinet, dit-il, avec cette gravité qu’il apporte même aux choses sérieuses… » Cette simple phrase, remarquez-le, est un puits de profondeur, puisqu’on y suppose couramment admise une pensée qui passe elle-même pour surprenante et profonde, à savoir que c’est aux choses futiles que nous apportons le plus de gravité… N’ai-je pas raison de conclure que le délire de Grosclaude est le délire d’un sage ?

972. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXV » pp. 402-412

« L’infortunée Jo est au Pousset (au Bouchet), cez madame de Clerampo (chez madame de Clérambault) ; elle a passé une nuit tans les sans (dans les champs) comme une autre Ariane. […] Le 15 octobre, madame de Sévigné écrivait à sa fille « qu’on nommait la comtesse de Grammont pour une des mouches qui passaient devant les yeux ». […] Consentons à passer sur l’année 1678 comme sur un temps vide d’événements remarquables. […] Les documents fournis jusqu’ici par sa correspondance sur ses progrès dans l’estime et l’affection du roi, manquent tout à fait, et, par une fatalité très fâcheuse, madame de Grignan étant venue passer 22 mois avec sa mère à Paris, depuis la fin d’octobre 1677 jusqu’en septembre 1679, nous nous trouvons aussi privés des informations que madame de Sévigné était à portée de recueillir et qu’elle aurait continué à transmettre à sa fille.

973. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Balzac, et le père Goulu, général des feuillans. » pp. 184-196

Celui de Balzac le portoit au grand, au sublime ; mais, à force d’y vouloir atteindre, même dans les plus petites choses, il passa le but, & ne donna que dans l’emphase & le gigantesque. […] Ses défauts doivent toujours le rendre ennuyeux & ridicule ; &, s’il arrive qu’on les lui passe jamais, ce ne sera qu’au retour du mauvais goût & de la barbarie. […] Le titre étoit, Conformité de l’éloquence de M. de Balzac avec celle des plus grands personnages du temps passé & du présent. […] Ils ont passé le Rhin, le Danube & l’Océan ; ils ont volé au-delà des Alpes & des Pyrénées.

974. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre III. Suite des Époux. — Adam et Ève. »

Ainsi passe, en se tenant par la main, le plus superbe couple qui s’unit jamais dans les embrassements de l’amour : Adam, le meilleur de tous les hommes qui furent sa postérité ; Ève, la plus belle de toutes les femmes entre celles qui naquirent ses filles. […] Pénélope et Ulysse rappellent un malheur passé ; Ève et Adam annoncent des maux près d’éclore. […] Si vous remontez de la douleur au plaisir, comme dans la scène d’Homère, vous serez plus touchant, plus mélancolique, parce que l’âme ne fait que rêver au passé et se repose dans le présent ; si vous descendez au contraire de la prospérité aux larmes, comme dans la peinture de Milton, vous serez plus triste, plus poignant, parce que le cœur s’arrête à peine dans le présent, et anticipe les maux qui le menacent. […] Book iv, v. 288, 314 un vers de passé.

975. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Michel Van Loo » pp. 66-70

Passons, passons ; mais n’oublions pas que l’artiste qui traite ces sortes de sujets s’en tient à l’imitation de nature ou se jette dans l’emblème, et que ce dernier parti lui impose la nécessité de trouver une expression de génie, une physionomie unique, originale et d’état, l’image énergique et forte d’une qualité individuelle. […] Il a le bras droit passé sur le dos d’une chaise de paille. […] Outre l’imitation et l’habitude, il y a encore autre chose d’antérieur, de machinal qui se passe en nous, et qu’il faudrait savoir expliquer.

976. (1762) Réflexions sur l’ode

Nos poètes d’ailleurs s’y trouvent plus à leur aise ; on passe des vers faibles dans une épître, on n’en passe point dans une ode. […] Ce n’est pas qu’il n’y ait autant et peut-être plus de mérite dans ces dernières, plus de feu, plus de variété, plus d’harmonie, plus de difficulté vaincue ; mais le mérite des épîtres est plus à notre portée, et plus à notre usage ; il est moins attaché à la langue, il passe plus aisément dans la nôtre. […] Le temps des hérésies théologiques, si orageux et si humiliant tout à la fois pour l’espèce humaine, est heureusement passé ; celui des hérésies littéraires, moins dangereux et plus paisible, est peut-être venu : peut-être même, dans ces matières frivoles abandonnées à nos disputes, ce qui serait aujourd’hui hérésie scandaleuse sera-t-il un jour vérité respectable.

977. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Philippe II »

Il a fait avec moi peut-être comme Dante, à qui Virgile dit : « Regarde et passe !  […] Il m’a regardé et il a passé… Il a suivi imperturbablement la voie de son esprit, qui est robuste et logique. […] Il est plus à l’aise avec Henri IV, qu’il comprend intégralement, lui, et, qu’on me passe le mot ! […] Elle a cru, celle-là, pouvoir se passer du principe religieux de l’autre, et, pour sa peine, les Démocraties déchaînées sont, à cette heure, en train de l’emporter !

978. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Napoléon »

Elle oubliait qu’au sortir de la Révolution française Napoléon ne s’était pas contenté de relever l’autorité, sans laquelle nul gouvernement n’est possible, mais que ce grand passager du pouvoir et de la gloire avait créé tout un ensemble d’institutions, et que c’est par là, justement, qu’il ne passerait pas, et qu’au contraire il confondrait sa destinée avec l’avenir de la France ! […] Il y démontre jusqu’à l’évidence, et par l’esprit même de ces institutions, qu’elles ne furent point la fantaisie d’un homme phénoménal, qui ne se croyait que la vaine durée d’un phénomène, mais qu’elles étaient plutôt l’expression des besoins d’un peuple et la modification nécessaire de son passé. Conserver, en le modifiant, tout ce qui peut être sauvé du passé d’un peuple, c’est peut-être la seule ressource laissée pour manifester leur génie aux grands politiques des vieilles civilisations. […] Cette fausse conception de la réalité ne pouvait-elle pas passer de l’opinion dans l’Histoire, et la critique, qui en garde les avenues, ne devait-elle pas signaler un ouvrage qui rend maintenant impossible à une telle erreur d’y pénétrer ?

979. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

En revenant de l’extrême avant-poste vers la mer à Djemma-Ghazaouet, et arrivé un jour plus tôt qu’on ne l’y attendait, Horace évita un grand embarras, celui d’une réception mirobolante qu’on lui préparait : « L’arc de triomphe sous lequel je devais passer n’était encore qu’en planche, et la garnison n’était pas sous les armes. […] Enfin grâce à des juifs et à un bon pourboire, il y en a eu un qui nous permit de passer la tête par-dessus la terrasse pour regarder, au risque de recevoir pour sa complaisance une centaine de coups de bâton. […] La scène se passe sur une guillotine et sur le corps d’un guillotiné ; le squelette de la Mort qui domine tient en main et lit le journal le Peuple ; un peu au-dessous, un jeune Asiatique joue de la flûte sur un os perforé : dans le fond, ce ne sont qu’incendies et ruines. […] La peinture est une maîtresse qui passe de main en main sans jamais vieillir ; avec un peu de jugement on doit s’en éloigner avant quelle ne vous joue de mauvais tours ; du reste, c’est le secret de la vie tout entière. […] Mais, je le crains, le moment de faire un Horatiana est déjà passé.

980. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

J’ai pensé que la meilleure façon de vous remercier de vos avis, c’était d’en profiter, et partout où j’ai pu, j’ai passé votre lumière, j’ai rectifié une partie des fautes signalées. […] Le vainqueur siffle et passe. […] Ondine l’a été gravement : elle est si frêle que je passe une vie d’anxiété avec cette chère créature, à qui il faudrait le repos le plus absolu. […] Je passe dans un jour de l’espoir à l’effroi, et du sourire aux larmes. […] L’avenue de l’impératrice a depuis passé par là.

981. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DES MÉMOIRES DE MIRABEAU ET DE L’ÉTUDE DE M. VICTOR HUGO a ce sujet. » pp. 273-306

L’éclat, la force, l’ordre et la grandeur matérielle substituèrent leur ascendant à celui des idées morales qui semblaient à bout, ayant passé par toutes les phases de fanatisme et de sophisme. […] Napoléon disparu et ce qui résultait immédiatement de son action politique étant à peu près apaisé, son exemple a passé dans le domaine de l’imagination, de la poésie, et y a fait école et contre-coup. […] Tout ce qui a paru fort et puissant dans le passé a été absous, justifié et déifié, indépendamment du bien et du mal moral. […] Au combat de Cassano, en effet, sous M. de Vendôme, il avait été blessé à la défense d’un pont ; et l’armée ennemie lui avait passé sur le corps ; sa tête n’échappa que grâce à une marmite de fer que son vieux sergent Laprairie, en fuyant, lui avait jetée à tout hasard pour le protéger. […] Il ne se maria qu’après cet accident, à quarante ans passés, et c’est d’un homme si mutilé que sortit encore cette génération de fer, le marquis et le bailli.

982. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXIXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (2e partie) » pp. 5-63

Le passé fut oublié, et M. de Chateaubriand passa pour le fidèle des fidèles. […] Les hommes supérieurs n’ont pas de peine à se faire pardonner le passé ! […] C’est le parfum de l’amour, indélébile comme ce qui est divin ; on sent jusqu’à la dernière vieillesse qu’il a passé dans les cœurs, et qu’il a amélioré la nature. […] Mais passons ! […] De là, le mécompte de tous ces rêves pour refaire le passé sans éléments, au lieu d’améliorer le présent avec ses éléments propres.

983. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

Elles se remuent et elles s’agitent, il est vrai, mais tout ce qui agonise, tout ce qui va passer, se remue et s’agite ainsi. […] Non seulement elle passe de bien haut dans l’histoire par-dessus la tête vautrée de Henri VIII et de son Établissement, mais elle traite, avec une voix dont nous connaissons l’accent, nous, catholiques et romains, toute intervention de l’État dans l’Église, d’usurpation et de violation de droit. […] Newman publia ses instructions sur le Romanisme et l’ultra-protestantisme, et passa à la rédaction du British Magazine. […] Ce qui se passait dans le sein de l’Université anglicane devait avoir son contrecoup dans la nation tout entière, et plusieurs années dépensées dans une guerre de plume fort active l’avait merveilleusement disposée à le ressentir. […] Du reste, ce n’est pas seulement l’Angleterre qui attire et captive l’attention des hommes vigilants aux yeux desquels l’état du catholicisme, en Europe, est la question de l’avenir comme il fut la question du passé.

984. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DAUNOU (Cours d’Études historiques.) » pp. 273-362

Daunou passa dans les divers colléges de l’Ordre et monta par les divers degrés de l’enseignement. […] Daunou ne saurait passer aucunement pour avoir été malheureux dans l’Oratoire. […] Observez bien ce qui se passe dans les premières leçons de lecture que vous donnez à un enfant. […] J’essayais un jour de le convaincre sur Lamartine, et je lui récitais la strophe : Ainsi tout change, ainsi tout passe, Ainsi nous-mêmes nous passons. etc.  […] C’est cette disposition de son tempérament qui rend précisément si méritoires ses actes de courage moral dans le passé.

/ 3652