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908. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

« Pourquoi dans nos plaisirs nous suivre comme une ombre ? […] Poëte, j’eus toujours un chant pour les poëtes ; Et jamais le laurier qui pare d’autres têtes         Ne jeta d’ombre sur mon front !

909. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série «  M. Taine.  »

Ils s’enfoncent dans l’ombre D’une antique forêt aux colonnes sans nombre, Dont les fûts couronnés de feuillages épais En portent noblement l’impénétrable dais, etc. […] Ici le grand Apelle, heureux dès avant nous, De sa vision même est devenu l’époux ; L’Aube est d’Angelico la sœur chaste et divine ; Raphaël est baisé par la Grâce à genoux, Léonard la contemple et, pensif, la devine ; Le Corrège ici nage en un matin nacré, Rubens en un midi qui flamboie à son gré ; Ravi, le Titien parle au soleil qui sombre Dans un lit somptueux d’or brûlant et pourpré Que Rembrandt ébloui voit lutter avec l’ombre ; Le Poussin et Ruysdaël se repaissent les yeux De nobles frondaisons, de ciels délicieux, De cascades d’eau vive aux diamants pareilles ; Et tous goûtent le Beau, seulement soucieux, Le possédant fixé, d’en sentir les merveilles.

910. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Werther et Faust, Childe-Harold et don Juan suivent l’ombre d’Hamlet, suivis eux-mêmes d’une foule de fantômes désolés qui me peignent toutes les douleurs, et qui semblent tous avoir lu la terrible devise de l’enfer : Lasciate ogni speranza . […] L’Angleterre a entendu, autour de ses lacs, bourdonner, comme des ombres plaintives, un essaim de poètes abîmés dans une mystique contemplation.

911. (1920) Enquête : Pourquoi aucun des grands poètes de langue française n’est-il du Midi ? (Les Marges)

Le loisir dans le bonheur incite seulement à rêver, c’est-à-dire à sommeiller et à dormir, la tête à l’ombre et les pieds au soleil, à pratiquer ce bel hédonisme que je nommerais volontiers édredonisme. […] Depuis cinquante ans, nous assistons à une sorte de revanche de la bataille de Muret, en ce sens que les seuls princes que puisse s’offrir une république, parlementaires retentissants ou ministres relativement durables, ont été très fréquemment des enfants du Midi… Et des poètes des mêmes régions, plus nombreux parce que démocratiques, se sont tout naturellement développés à leur ombre, comme d’autres jadis dans le rayonnement royal… Mais je m’arrête.

912. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Un sot en peut et un sage homme avoir ; Un ignorant et un de bon savoir, Ainsi qu’il plaist au sort les départir Et je voudrois pour heureux me sentir Qu’il plust à Dieu, d’où les vrais biens procedent, M’en octroyer de ceux que ne possedent Nuls vicieux, ny ne sont dispensés A cœurs malins, ni cerveaux insensés, Et sans lesquels d’hommes n’avons que l’ombre. […] Ne craignez plus ces oies criardes, ce fier Manlie et ce traistre Canaille, qui, sous ombre de bonne foi, vous surprirent tout nuds, comptant la rançon du Capitole.

913. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

L’ombre et la lumière s’entrechoquent. […] Nous n’ignorons pas que, depuis l’époque à laquelle il écrivit le Vaisseau-Fantôme, Richard Wagner a produit des œuvres plus parfaites, plus conformes dans toutes leurs parties à l’idée qui gouverna sa vie artistique ; mais le Hollandais et Senta sont deux conceptions qui n’ont pas été surpassées, et tout le drame se résume dans ces deux types surnaturels, l’un à force d’ombre, l’autre à force de lumière, et cependant si humains.

914. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

Elle est triste à faire pleurer, cette figure si humble et si résignée d’épouse subalterne : une ombre en robe noire, un portrait de famille passé de ton et retourné contre la muraille ! […] Il y a là un doute, une rougeur, une ombre que M. de Roncourt charge René d’éclaircir.

915. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

J’ai jeté la couverture sur le traversin, comme un drap sur l’ombre d’un mort. […] Non, le romancier, qui a le désir de se survivre, continuera à s’efforcer de mettre dans sa prose de la poésie, continuera à vouloir un rythme et une cadence pour ses périodes, continuera à rechercher l’image peinte, continuera à courir après l’épithète rare, continuera, selon la rédaction d’un délicat styliste de ce siècle, à combiner dans une expression le trop et l’assez, continuera à ne pas se refuser un tour pouvant faire de la peine aux ombres de MM. 

916. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

La France, hier si grande d’idées, de cœur et de langue, ne fut plus que l’ombre d’elle-même. […] , on verra combien les souvenirs néfastes de la Convention portent d’ombres sanglantes après soixante ans sur l’imagination de la nation et sur le nom de république ; on verra combien la moindre ressemblance tragique avec la Convention ferait fuir à l’instant cette nation jusque sous le sabre par peur de la hache !

917. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Au point de vue de la vérité, cette femme de trente-cinq ans, qui n’a pas le droit de mener la vie de garçon, et qui la mène, n’a pas dû attendre la première jalousie de son amant en voyant son mari, pour savoir que le bonheur qu’elle s’était fait dans le désordre avait ses ombres, et pour n’avoir pas senti le regret de l’honneur trahi lui passer quelquefois sur le front. […] Il y a souvent l’ombre du même type de femme sous la plume des écrivains qui ne sont pas assez forts pour être impersonnels !

918. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vii »

L’ombre d’un clocher est nécessaire sur les toits du village, celle aussi d’un château. […] » C’est ainsi, Toumay, que je le quittai, sous les arbres d’une large route dont le clair de lune projetait l’ombre dure.

919. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La princesse Mathilde » pp. 389-400

Le caractère est simple ; il est droit : rien dans l’ombre.

920. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

que d’éclipse et d’ombre !

921. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

« Les dernières années de Dübner semblaient devoir le tirer de l’ombre où il avait si longtemps et si volontiers vécu.

922. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — II. Sur la traduction de Lucrèce, par M. de Pongerville »

J’ai habituellement de l’homme de moins grandes idées, et je ne le vois que comme un des innombrables accidents dans les variétés de la vie, un résultat bien fugitif et transitoire, une apparition d’un instant (cet instant fût-il composé de quelques millions d’années), et ce que Pindare a appelé le songe d’une ombre. » (Lettre à M. de Chantelauze, du 18 septembre 1868.)

923. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

Rien ne reste de nous : notre œuvre est un problème ; L’homme, fantôme errant, passe sans laisser même Son ombre sur le mur.

924. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Des soirées littéraires ou les poètes entre eux »

sans doute, s’il vit de nos jours et parmi nous, celui qui nous a engendré à la mélodie, dont les épanchements et les sources murmurantes ont éveillé les nôtres comme le bruit des eaux qui s’appellent, celui à qui nous pouvons dire, de vivant à vivant, et dans un aveu troublé, (con vergognosa fronte), ce que Dante adressait à l’ombre du doux Virgile : Or se’ lu quel Virgilio, e quella fonte Che spande di parlar si largo tiume ? 

925. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. Vitet à l’Académie française. »

Que son Ombre se résigne pourtant, qu’elle nous pardonne du moins si ces quelques vers de sa jeunesse sont restés gravés préférablement dans bien des cœurs.

926. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Et si jamais ton ciel redevenait plus sombre, Si ton vol fatigué fléchissait dans la nuit, Entre le groupe et toi, si quelque jeu de l’ombre Te voilait un moment le signal qui conduit ; Si d’en haut (car parfois le doute nous arrive En ces jours de passage où rien n’est arrêté).

927. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XV. De l’imagination des Anglais dans leurs poésies et leurs romans » pp. 307-323

J’en offre un exemple : lorsque Macbeth, au moment de s’asseoir à la table du festin, voit, à la place qui lui est destinée, l’ombre de Banquo qu’il vient d’assassiner, et s’écrie à plusieurs reprises avec un effroi si terrible : The table is full , tous les spectateurs frémissent.

928. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre II. Définition. — Énumération. — Description »

Voici une description de Buffon : Qu’on se figure un pays sans verdure et sans qu’au, un soleil brûlant, un ciel toujours sec, des plaines sablonneuses, des montagnes encore plus arides, sur lesquelles l’œil s’étend et le regard se perd sans pouvoir s’arrêter sur aucun objet vivant ; une terre morte et, pour ainsi dire, écorchée par les vents, laquelle ne présente que des ossements, des cailloux jonchés, des rochers debout ou renversés, un désert entièrement découvert, où le voyageur n’a jamais inspiré sous l’ombrage, où rien ne l’accompagne, rien ne lui rappelle la nature vivante : solitude absolue, mille fois plus affreuse que celle des forêts ; car les arbres sont encore des êtres pour l’homme qui se voit seul ; plus isolé, plus dénué, plus perdu dans ces lieux vides et sans bornes, il voit partout l’espace comme son tombeau : la lumière du jour, plus triste que l’ombre de la nuit, ne renaît que pour éclairer sa nudité, son impuissance, et pour lui présenter l’horreur de sa situation, en reculant à ses yeux les barrières du vide, en étendant autour de lui l’abîme de l’immensité qui le sépare de la terre habitée : immensité qu’il tenterait en vain de parcourir ; car la faim, la soif et la chaleur brûlante pressent tous les instants qui lui restent entre le désespoir et la mort.

929. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens I) MM. Albert Wolff et Émile Blavet »

Il a le don de saisir avec prestesse les traits fugitifs de la comédie contemporaine, de s’en amuser et d’en amuser les autres : pas l’ombre de prétention, une bienveillance très philosophique, au fond une indifférence absolue.

930. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Baudelaire, Œuvres posthumes et Correspondances inédites, précédées d’une étude biographique, par Eugène Crépet. »

Crépet a bien raison de dire dans sa Préface : « J’ai la conviction que ces documents ne peuvent que servir la mémoire de Baudelaire, en la dégageant, sous certains aspects, des ombres qui la couvraient. » On constatera, en feuilletant le volume, que Baudelaire fut un bon fils.

931. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XII. L’antinomie morale » pp. 253-269

Volonté générale, intérêt général, solidarité, ce sont là autant de fantômes idéologiques qui hantent et dominent l’individu de leur ombre redoutable, semblables au spectre Religion dont parle Lucrèce.

932. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVIII. Institutions de Jésus. »

Il semble parfois que son plan était d’entourer sa personne de quelque mystère, de rejeter les grandes preuves après sa mort, de ne se révéler complètement qu’à ses disciples, confiant à ceux-ci le soin de le démontrer plus tard au monde 824. « Ce que je vous dis dans l’ombre, prêchez-le au grand jour ; ce que je vous dis à l’oreille, proclamez-le sur les toits. » Cela lui épargnait les déclarations trop précises et créait une sorte d’intermédiaire entre l’opinion et lui.

933. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1852 » pp. 13-28

Il avait dans son salon des meubles de la Restauration, des fauteuils en tapisserie au petit point, où était restée comme l’ombre du chapeau de la duchesse d’Angoulême.

934. (1902) L’humanisme. Figaro

Que ce soit le grand soleil ineffable de Dieu ou le grand soleil noir du néant, je saurai le regarder en face, sans être aveuglé par la lumière, sans être ébloui par l’ombre.

935. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface des « Burgraves » (1843) »

Là, seul comme le matin, plus seul encore, car aucun chevrier n’oserait se hasarder dans des lieux pareils à ces heures que toutes les superstitions font redoutables, perdu dans l’obscurité, il se laissait aller à cette tristesse profonde qui vient au cœur quand on se trouve, à la tombée du soir, placé sur quelque sommet désert, entre les étoiles de Dieu qui s’allument splendidement au-dessus de notre tête et les pauvres étoiles de l’homme qui s’allument aussi, elles, derrière la vitre misérable des cabanes, dans l’ombre, sous nos pieds.

936. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre II. Le dix-neuvième siècle »

On supplie, on appelle, on lève les mains vers l’ombre.

937. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre septième. »

Enfin les arbres s’adressèrent au buisson ; le buisson répondit : Je vous offre mon ombre.

938. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VI. Du trouble des esprits au sujet du sentiment religieux » pp. 143-159

Quand nous sommes éloignés de la patrie, nous nous rappelons toujours avec délices les jours où nous vivions sous les arbres qui ombragèrent notre berceau ; nous aimons à retracer à notre mémoire et la prairie et le ruisseau et la forêt qui étaient près du toit paternel : nous visitons mille contrées fameuses ; nous admirons les aspects les plus variés d’une nature tantôt belle, tantôt agreste et sauvage ; mais nulle part il ne sort de la terre que nous foulons sous nos pieds des souvenirs animés ; nulle part nous ne reconnaissons et le vent et la lumière et les ombres.

939. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XV. Mme la Mise de Blocqueville »

Il y en a « d’amples et de traînants, de mousseline, à petites étoiles d’or avec un voile pareil retenu à un cercle d’or par de petits scarabées de turquoises pour les jours où l’on se sent fée. » Il y en a de plusieurs gris et de dentelles blanches pour les jours où l’on n’est plus « qu’une ombre ».

940. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’ancien Régime et la Révolution »

Dans de telles circonstances, pour faire un livre qu’on puisse lire sur l’ancien Régime et la Révolution française, il est nécessaire de sortir des crépuscules par lesquels on s’est glissé dans la renommée, et de ne pas s’effacer, comme une ombre d’homme, devant la rigueur d’une conclusion.

941. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Joubert » pp. 185-199

de ce tronc caché à tous, excepté à deux ou trois abeilles, et dont il a dit : « Je ne suis qu’un tronc retentissant, mais quiconque s’assied à mon ombre et m’entend en devient plus sage. » Est-ce bien sûr, cela ?

942. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Jacques Cœur et Charles VII »

Jacques Cœur, en effet, avait souvent manié l’épée dans cette guerre perpétuelle de France, et combattu, avec Lahire et Xaintrailles, à l’ombre des flèches des archers anglais.

943. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le roi René »

Sa mère, sa femme et sa sœur firent ombre de leurs facultés sur les siennes.

944. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IV. M. Henri Martin. Histoire de France » pp. 97-110

— « subissant des faits de subjectivité, c’est-à-dire, les Révélations du férouer Mazaéen, du bon démon, de l’ange gardien de cet autre moi qui n’est que le moi éternel, en pleine possession de lui-même, planant sur le moi enveloppé dans les ombres de la vie ! 

945. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XI. MM. Mignet et Pichot. Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste. — Charles V, chronique de sa vie intérieure dans le cloître de Yuste » pp. 267-281

Quoique ces documents trop vantés ne répandent guère sur les faits qu’une lumière qui a ses vibrations, ses tremblements et ses ombres, il faut nonobstant en convenir, si beaucoup de découvertes analogues à celles que MM. 

946. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. H. Wallon » pp. 51-66

II Rien de plus beau, en effet, que ce poème religieux de la vie de Saint Louis, et surtout rien de plus sans ombre.

947. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vacquerie » pp. 73-89

— mieux que cela, son reflet et son ombre !

948. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Crétineau-Joly » pp. 247-262

L’amitié est un délicieux sentiment, qui peut embaumer le coin d’un livre, comme le muguet, qui aime l’ombre, embaume le coin d’un mur dans un jardin ; mais on n’en fait pas des palissades, et malheureusement les épanouissements d’un tel pyladisme ressemblent à des espaliers d’amitié !

949. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Lamennais »

Sous le masque de lave de la plus impétueuse pensée auquel la réflexion ait jamais attaché ses rides et ses ombres, sous la fière moulure du lutteur le plus redoutable qui ait jamais terrassé l’ennemi, ce n’est pas tout que d’avoir trouvé une âme à laquelle nous ne pouvions guères nous attendre.

950. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Sabran et le chevalier de Boufflers »

… Ses deux enfants, seuls, passent comme deux ombres de lumière rose sur la contemplation éternelle qui est le fond noir de sa vie.

951. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXX. Saint Anselme de Cantorbéry »

Quand saint Anselme posait l’argument purement métaphysique, le théologien, le moine inspiré lâchait donc la réalité, pour courir après l’ombre.

952. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXI. Sainte Térèse »

On cherche en vain dans cette aristocratique religieuse agenouillée, sous ce visage, à l’ovale si pur, que l’austère et strict bandeau fait paraître plus pur encore, la Mystique dont l’âme, à force d’énergie, détruisit le corps, la paralytique aux os écrasés et aux nerfs tordus, cet amas sublime d’organes dissous sur lesquels flamboyait l’Extase, l’ombre de fille consumée qui vécut, deux trous ouverts au cœur, les deux trous par lesquels le glaive du Séraphin avait passé, et si physiquement et si réellement, qu’après sa mort, sur le cœur même, on put constater la blessure.

953. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Dargaud »

Dargaud, le peintre des premiers rayons et des premières nuées qui passent dans l’outremer du ciel de la vie, a des touches d’une suavité qui rappelle Greuze ; mais c’est Greuze avec un sentiment de plus : la tristesse chrétienne, qui jette à, tout cette ombre étrange et pénétrante, plus faite peut-être pour les yeux de l’homme que la lumière !

954. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Roger de Beauvoir. Colombes et Couleuvres. »

……………………………………………… Ma vie a deux parts, amis, dans mes œuvres : Son printemps, doux nids de fleurs et d’oiseaux, Odorant jardin exempt de couleuvres, Luth caché dans l’ombre au sein des roseaux.

955. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »

Seulement, ne vous y trompez pas, l’objet unique d’un pareil poème n’est pas de nous montrer, comme on pourrait le croire, dans un cadre colossal, les ombres chinoises ou les marionnettes historiques.

956. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Agrippa d’Aubigné »

En ce troisième volume, c’est tout Agrippa d’Aubigné ressuscité et mis debout de pied en cap, c’est l’Agrippa dont la Critique peut prendre exactement la mesure, l’Agrippa hors de ces ombres propices qui allongent les hommes et les statues en des contours tremblants et incertains, et replacé dans la lumière, la stricte lumière qui les raccourcit mais qui les dessine, qui les étreint, comme un collant, de sa clarté.

957. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Madame Ackermann »

L’équipage affolé manœuvre en vain dans l’ombre ; L’Épouvante est à bord, le Désespoir, le Deuil Assise au gouvernail, la Fatalité sombre            Le dirige vers un écueil.

958. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules De La Madenène » pp. 173-187

Si pour bien voir il faut avoir le regard pur, qui l’eut jamais plus essuyé de toute écume, et de toute ombre, colère, mépris, terreur, pessimisme quelconque, que cet observateur, aux yeux clairs, qui traduit toujours son observation avec une expression de la même clarté que son regard ?

959. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVI. Des sophistes grecs ; du genre de leur éloquence et de leurs éloges ; panégyriques depuis Trajan jusqu’à Dioclétien. »

disait-il, je t’invoque ; parmi toutes les divinités, nulle ne parle plus puissamment au cœur de l’homme que toi. » Un autre, qui conseillait de fuir les villes et sentait que la situation des lieux influe sur l’âme : « Habite et parcours les montagnes, disait-il, le soleil les frappe de ses premiers rayons ; les derniers rayons du soleil reposent sur elles ; élève-toi vers les cieux, sors de l’ombre, et respire la lumière et la pureté du jour » ; un autre, après la mort de son épouse, ramasse tous les ornements qui servaient à sa parure, et les suspend dans un temple pour les consacrer à la divinité du lieu.

960. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. De Mascaron et de Bossuet. »

Il y est moins question d’ombre et de nuages, d’astre fortuné, de fleuve fécond, d’océan qui se déborde, d’aigle, d’aiglon, d’apostrophe au grand prince ou à la grande princesse, ou à l’épée flamboyante du Seigneur, et tous ces lieux communs de déclamation et d’ennui, qu’on a pris si longtemps, et chez tant de peuples, pour de la poésie et de l’éloquence.

961. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IV. »

Rendez-vous fort au plus vite, en chassant loin de vous la plainte efféminée. » On le voit, avec la mobilité du génie grec, cet Archiloque, banni de Sparte pour avoir plaisanté du courage, savait l’inspirer par ses vers et s’en armait contre le mépris excité par ses fautes47 : « Ô mon âme, dit-il, battue de maux intolérables, souffre avec fermeté ; et, la poitrine jetée au-devant des ennemis, repousse-les, en restant inflexible sous leurs coups : victorieuse, ne t’enorgueillis pas ; et vaincue, ne demeure pas dans l’ombre à pleurer ; mais, dans le bonheur et dans les revers, triomphe ou afflige-toi modérément ; puis reconnais quel courant fatal entraîne les hommes. » Le poëte capable de ces mâles et sévères accents pouvait redire les hauts faits.

962. (1883) Essais sur la littérature anglaise pp. 1-364

Il peut être cruel, injuste, égoïste, mais dans ses vices il n’entre pas la moindre ombre de déloyauté. […] C’est le chêne qui s’élève au-dessus de tous les autres arbres de la forêt ; mais la forêt est admirable, et elle prodigue à profusion l’ombre, la verdure et les fleurs, à ceux qui ont l’heureuse idée de la visiter et de la parcourir. […] Daniel Defoe, qui écrit dans Robinson Crusoé l’autobiographie psychologique de la race saxonne, ne peut, j’imagine, faire l’ombre d’un doute. […] L’âge de Roméo et de Juliette, parce qu’alors l’amour n’est obscurci par aucune ombre, qu’il rayonne de son propre éclat, qu’il ne redoute la rivalité d’aucune autre passion et qu’il peut user toutes ses forces à ses propres luttes. […] Puis, le secret une fois découvert, les deux amants n’ont pas l’ombre d’une réticence et d’une réserve ; parole prononcée, cœur engagé, amour avoué, existence livrée.

963. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

Nous regardons, sur les stèles de marbre où flotte l’ombre des lauriers-roses, les jeunes femmes, ces jeunes filles qui songent aux fleurs fanées, aux printemps révolus, à la fuite des jours. […] Surtout, nous aimons à nous arrêter aux abris, maintenant déserts, où l’inquiétude des hommes a trouvé des haltes propices et de légers sommeils, des ombres fraîches, des sources vives. […] Chaque Athénien avait deux maisons, l’une petite et modeste, où il dormait et mangeait ; l’autre superbe et rayonnante, l’Acropole, où il se promenait à l’ombre, en songeant aux dieux protecteurs de la ville et en regardant la mer. […] Il fait bon, dans cette ombre fraîche et ces parfums, sous le tiède soleil qui fait pleuvoir, à travers les branches, des flèches d’or. En nous promenant sous bois, à l’aventure, nous rencontrons, à chaque pas, des autels de marbre blanc, sur lesquels tremble l’ombre des feuilles.

964. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

Est-ce que le buisson d’aubépine ne donne pas aux bergers qui surveillent leurs sots moutons une ombre plus douce que le dais aux riches broderies n’en donne aux rois qui craignent la trahison de leurs sujets ? […] Il lui fallait des contrastes vigoureux d’ombre et de lumière, qui lui donnassent l’impression de la saillie morale. […] Ils s’emprisonnent dans l’ombre d’une école. […] L’un était mince et gracile, de taille moyenne et souple, avec un visage légèrement creusé aux joues, des yeux d’un bleu sombre, et sur la lèvre supérieure comme une ombre d’or. […] Une sorte d’impalpable poussière d’atomes colores flotte dans ce que nous prenons pour de l’ombre et teinte cette ombre.

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