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728. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

« Plus haut que l’amour du prochain se trouve l’amour du lointain et de ce qui est à venir ; plus haut que l’amour de l’homme je place l’amour des choses et des fantômes. […] C’est le manteau de la laideur… Que votre amour de la vie soit l’amour de vos plus hautes espérances ; et que votre plus haute espérance soit la plus haute pensée de la vie. […] Ce troisième degré est le plus haut. […] Écartons de même la plus haute sagesse. […] Dieu, la plus haute puissance, Cela suffit.

729. (1881) Le roman expérimental

Il n’y a pas de but plus noble, plus haut, plus grand. […] Désormais, il est libre, il dira tout haut ce qu’il pense. […] Comprenez maintenant l’impuissance radicale des romanciers dont j’ai parlé plus haut. […] Il n’en a pas moins eu l’expression personnelle à un très haut degré. […] Mais notre mépris est encore plus haut que leur hypocrisie.

730. (1855) Louis David, son école et son temps. Souvenirs pp. -447

Une circonstance fort simple en elle-même devint un événement de la plus haute importance pour lui. […] Enfin, dans une autre charrette, Étienne remarqua aussi un vieillard de haute stature portant noblement sa tête jusqu’au moment suprême. […] La seule plaisanterie fort innocente que l’on se permit à son sujet consistait à proclamer bien haut le quantième du mois, lorsqu’il entrait à l’atelier. […] Sa tête était belle, et il la portait haut. […] Cependant la haute destinée de Bonaparte allait s’accomplir.

731. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

Penser, cela sonne haut ; un penseur ! […] Nous tombons de haut. […] C’est cette « haute curiosité » dont aimait à parler Renan. […] C’est, je crois, pour les raisons que j’ai données plus haut, la mesure juste en cette affaire. […] Là est le secret de sa haute fortune littéraire.

732. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

Ce nombre les adapte à notre poitrine de façon que nous pourrions les réciter tout haut presque sans fatigue. […] Victor Hugo aura été ce personnage représentatif au plus haut chef, un héros littéraire incomparable. […] Mais cet amour de la haute vie et des élégances ambiantes n’est-il pas commun à tous les poètes ? […] Aucun homme n’a représenté à un degré supérieur les hautes vertus du grand artiste littéraire. […] Quelle chute du haut de leur chimère !

733. (1908) Promenades philosophiques. Deuxième série

Ils ne proportionnent pas leurs architectures à leur taille, ils font grand et ils aspirent à faire haut. […] Comment cette énorme stèle de vingt mètres de haut avait-elle pu être érigée et d’abord remuée ? […] Qu’il invente ou qu’il choisisse, c’est le même sens Critique porté au plus haut point. […] Plus haut, c’est la fièvre ; au-dessous, ce sont des maux encore pires. […] Voyez plus haut, § III.

734. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

L’arbre dont la végétation est vigoureuse ne s’élève pas moins haut, pour avoir subi quelque contrainte. […] Ils n’atteignent pas jusqu’à ces hautes gloires qui brillent à travers les siècles. […] Mais l’autre partie du discours est loin de donner une aussi haute idée de d’Alembert. […] La haute philosophie chercha à suppléer au vide d’une religion imparfaite. […] Il rapprocha ainsi le roman du caractère de la haute poésie dramatique.

735. (1889) Ægri somnia : pensées et caractères

Ce n’est pas qu’il ne s’en défende bien haut. […] Ce sont là les hautes œuvres de la passion politique, certainement inconnue dans l’antique Égypte. […] Dans la chaire du haut enseignement, vous avez paru plus près de l’éloquence. […] On les voyait si haut, si loin, qu’on n’osait pas écrire de peur d’écrire quelque chose qui ne fût pas digne d’eux. […] Quant aux cathédrales, on n’en aperçoit que le haut des tours qui fuient à l’horizon.

736. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

Les plus hautes têtes s’abaissèrent sous cette jeune main, dans laquelle un fouet de chasse fit un moment l’office du sceptre. […] Témoigner tout haut quelque intérêt, soit aux choses, soit aux personnes qui y touchaient, c’était courir au devant d’une disgrâce. […] C’est d’ailleurs le sort de telles paroles, que le prince qui a le cœur assez haut pour ne pas s’en fâcher a toujours l’esprit assez délicat pour en goûter les grâces. […] Libre comme au seizième siècle, la prédication ne fut plus le privilège de dire sans courage des personnalités impunies ; ce fut l’enseignement moral le plus haut et le plus général. […] Louis XIV, en élevant la chaire de Bossuet, lui donna le moyen de parler de plus haut.

737. (1845) Simples lettres sur l’art dramatique pp. 3-132

Attaquons les choses de haut : disons ce que les autres n’osent dire ; interrogeons la majesté royale, inviolable en matière politique, mais responsable en matière d’art. […] Buloz du haut de Consuelo, ce chef-d’œuvre dont le seul malheur est de n’avoir pas été imprimé dans la Revue des Deux Mondes, M.  […] Pardon si je tombe de si haut ; mais faites attention que je porte M.  […] Buloz n’est pas non plus commissaire royal, parce qu’il perçoit comme haute paye des demi-appointements incompatibles avec ces fonctions. […] … (Haut.

738. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre II. La parole intérieure comparée à la parole interieure »

Lemoine, De la physionomie et de la parole, p. 167-168. — Cf. de Bonald : [voir plus haut, ch.  […] Par exemple, Prévost (de Genève) [voir plus haut, ch.  […] V, 1 ; VII, 64, et les passages cités plus haut, [§ 4]. […] Cette explication suffit pour On dirait que… : ici, dire = penser, parce que la pensée = ce qui se dit ou peut se dire [cf. plus haut, § 6]. […] Inutile de multiplier les exemples. — La langue grecque distingue lire tout haut : […] ou […], et lire tout bas : […] (mot à mot : prendre connaissance) ; mais ce dernier terme, tout abstrait, ne renferme aucune allusion à la parole intérieure, et, en latin, la distinction s’affaiblit : recitare signifie lire tout haut, legère a les deux sens ; en français, elle a totalement disparu : nous n’avons qu’un mot, lire, pour les deux opérations, et ce mot ne signale à l’esprit ni la présence de la parole extérieure dans le premier cas, ni celle de la parole intérieure dans le second.

739. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

A cette époque il se maria, et désespérant de voir une guerre, n’ayant pu même assister à l’expédition d’Espagne que du haut des Pyrénées qu’il ne franchit pas, capitaine d’infanterie, comme Vauvenargues, et aussi étranger que lui à toute faveur, il se retira du service actif ; un an après, il donnait définitivement sa démission. […] La nouvelle carrière de M. de Vigny était donc toute tracée et par lui seul ; il s’y voua sans partage, avec toute la fierté d’une haute indépendance, enveloppée sous les formes parfaites de l’élégance et de l’urbanité. […] J’irai vous en prier chez vous encore comme je fais ici, en vous assurant de ma haute estime. […] J’ai besoin de le répéter, parce que je viens de le relire : vous avez vraiment créé une critique haute qui vous appartient en propre, et votre manière de passer de l’homme à l’œuvre et de chercher dans ses entrailles le germe de ses productions est une source intarissable d’aperçus nouveaux et de vues profondes. […] Alfred de Vigny, en ceci et ce jour-là supérieur par le cœur (je me plais à le reconnaître), m’écrivait : « Je rentre ce soir : j’étais sorti après avoir lu et relu votre poëme tout haut… Je viens de lire votre préface : elle m’a profondément affligé pour vous.

740. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

A ce moment décisif et d’entrain universel, M. de La Rochefoucauld, qui aimait peu les hauts discours, et qui ne croyait que causer, dit son mot : un grand silence s’était fait ; il se trouva avoir parlé pour tout le monde, et chaque parole demeura. […] L’homme est tellement réhabilité de nos jours, qu’on n’oserait lui dire tout haut ni presque écrire ce qui passait pour des vérités au dix-septième siècle. […] Une mère qui allaite, une aïeule qu’on vénère, un noble père attendri, des cœurs dévoués et droits, non alambiqués par l’analyse, les fronts hauts des jeunes hommes, les fronts candides et rougissants des jeunes filles, ces rappels directs à une nature franche, généreuse et saine, recomposent une heure vivifiante, et toute subtilité de raisonnement a disparu. […] Si l’on se mettait à se dire tout haut les vérités, la société ne tiendrait pas un instant ; elle croulerait de fond en comble avec un épouvantable fracas, comme ces galeries souterraines des mines ou ces passages périlleux des montagnes, dans lesquels il ne faut pas, dit-on, élever la voix. […] En appréciant La Rochefoucauld, on ne doit pas oublier ceci : Tous ceux qui ont mal usé de leur jeunesse ont intérêt à ce que ce soit une duperie que les hautes pensées de la jeunesse.

741. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

L’exemple, l’enseignement, l’éducation ne sont que des canaux qui dirigent ; la source est plus haut. […] Cette langue s’est nuancée de plus en plus et traduit aujourd’hui tous les hauts, tous les bas, tous les degrés des idées et des émotions qui s’élèvent en lui. […] Il désigne donc par ce mot le semblant visible d’une figure humaine. — Une pareille distinction est véritablement surprenante ; à cet âge, avec si peu de mots généraux et des notions si restreintes, distinguer l’apparence de la réalité, l’imitation visible de l’imitation tactile, la forme pure de la substance corporelle, cela est inattendu et donne la plus haute idée de la délicatesse et de la précocité de l’intelligence humaine. […] « Après ces développements, on comprendra comment les racines ou types phonétiques sont en réalité les derniers faits auxquels remonte l’analyse du langage, et comment, à un point de vue plus haut et philosophique, elles comportent néanmoins une explication parfaitement intelligible. […] De même, le petit garçon de vingt mois cité plus haut dit téterre (pomme de terre) pour désigner les pommes de terre, la viande, les haricots, presque tout ce qui est bon à manger, sauf le lait, pour lequel il dit lolo.

742. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

« Je dis aux superbes : N’élevez pas si haut votre front ; car ce n’est ni de l’orient, ni de l’occident, ni du septentrion, ni du désert que vient la fortune. […] Voilà la poésie sanctifiée à sa plus haute expression ! […] Jamais la fibre humaine n’a résonné d’accords si intimes, si pénétrants et si graves ; jamais la pensée du poète ne s’est adressée si haut et n’a crié si juste ; jamais l’âme de l’homme ne s’est répandue devant l’homme et devant Dieu en expressions et en sentiments si tendres, si sympathiques et si déchirants. […] Jérusalem est à gauche, avec le temple et ses édifices, sur lesquels le regard du roi ou du poète pouvait plonger du haut de sa terrasse. […] C’était un gardeur de chèvres et d’ânesses, comme Saül et comme David, qui rappelait, du haut des rochers et du fond des précipices, ses chevreaux, à la mélodie pastorale de son roseau percé de trois notes.

743. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

Cette lacune universelle, dans la littérature de tous les pays et de tous les âges, est au moins une présomption contre l’aptitude des femmes à la haute poésie exprimée en vers. […] Le poëme et le discours sont œuvres viriles, parce que l’un est le trépied, l’autre la tribune ; l’un monte trop haut dans le ciel, l’autre descend trop bas dans le tumulte humain. […] M. et madame Necker, qui tendaient à la supériorité sociale par toutes les voies avaient trop senti les froissements de leur vanité à la cour pour ne pas apprécier à leur prix de hautes alliances ; en anoblissant leur fille en Suède, ils anoblissaient en France leur propre sang ; ils s’apatriaient dans toutes les noblesses de l’Europe. […] Elle était en effet à cette époque la plus haute supériorité intellectuelle et sociale de Paris, elle régnait sur les salons, elle maniait les esprits, elle tenait les fils des factions les plus diverses, elle donnait le ton aux opinions, elle pouvait populariser ou dépopulariser d’un mot le nouveau gouvernement. […] Ces sentiments m’ont été transmis comme un héritage, et je les ai adoptés dès que j’ai pu réfléchir sur les hautes pensées dont ils dérivent et sur belles actions qu’ils inspirent.

744. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

Que cette invention discrète, la juste brièveté et l’originalité constatées plus haut, dérivent d’une propriété générale plus haute encore et dernière de l’esthétique de Poe, l’artificiosité, de nombreux indices le démontrent. […] Dans la plénitude de ses hautes facultés d’analyste, Poe médite son effet final, combine ses péripéties, détermine ses personnages et leur milieu, se décide pour la sorte de style voulu, précis, songeur, mystique, plaintif ou pompeux, adopte certains artifices éprouvés, fixe la nature du dénouement brutal ou fuyant, vérifie par le rebours la contexture de sa trame, rédige et termine, aussi sûr de frapper certaines touches cérébrales, qu’un chimiste de l’effet d’un réactif ou un balisticien, sur le point de projeter un boulet, de son choc terminal. […] Poe se marie ; et les circonstances lui ayant ainsi permis d’augmenter le rayon de ses souffrances, voici les désastres qui reviennent et se suivent, que chassé de ville en ville et de rédaction en rédaction, restant besoigneux, lent à travailler, querelleur, aigri, affolé par le spectacle de la maladie qui minait sa femme, semblait l’abandonner et la ressaisissait, il se jeta dans le vice qui consomma sa ruine, se mit à boire les redoutables liqueurs que l’on débite en Amérique, ces délabrants mélanges d’alcool, d’aromates et de glace ; et toujours luttant contre sa tentation et toujours succombant, reportant l’amour enfantin qui purifiait sa pauvre âme, de sa femme morte à sa belle-mère, quêtant un peu de sympathie auprès de toutes les femmes qu’il trouvait sur un chemin et ne recevant qu’une sorte de pitié timide, ayant tenté de se suicider pour une déconvenue de cette espèce, atteint enfin de la peur de la bête pourchassée, du délire des persécutions, multipliant ses dernières ivresses qui le menaient de chute en chute à la mort, — il en vint, l’homme en qui se résumaient la beauté, la pensée, la force masculine, à avoir cette face de vieille femme hagarde et blanche que nous montre un dernier portrait, cette face creusée, tuméfiée, striée de toutes les rides de la douleur et de la raison chancelante, où sur des yeux caves, meurtris, tristes et lointains, trône, seul trait indéformé, le front magnifique, haut et dur, derrière lequel son âme s’éteignait. […] Il semble que le pouvoir même de se détacher de soi dans l’exercice de ses hautes facultés, les ait retranchés de sa vie entière. […] Niais de même que ses hautes facultés ne régirent pas sa vie, elles n’en furent pas atteintes.

745. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre IV. Shakespeare l’ancien »

Et puis, la flûte chante trop haut, et le tétracorde chante trop bas, et qu’a-t-on fait de la vieille division sacrée des tragédies en monodies, stasimes et exodes ? […] On ne sait quelle raillerie haute et sinistre se met à faire des éclairs dans l’ombre humaine. […] Eschyle, eupatride et éginétique, semblait aux grecs plus grec qu’eux-mêmes ; dans ces temps de code et de dogme mêlés, être sacerdotal, c’était une haute façon d’être national. […] Eschyle avait introduit le peuple dans ses œuvres les plus hautes ; il l’avait mis dans Penthée par la tragédie des Cardeuses de laine, dans Niobé par la tragédie des Nourrices, dans Athamas par la tragédie des Tireurs de filets, dans Iphigénie par la tragédie des Faiseuses de lit. […] Le haut prix du papyrus était tel, que Firmius le Cyclope, fabricant de papyrus, en 270, gagna à cette industrie assez d’argent pour lever des armées, faire la guerre à Aurélien et se déclarer empereur.

746. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

Ces trois ou quatre points, sur lesquels il veut attirer son attention d’homme à jeun, sont précisément les divers degrés d’impression et de sensation, puis de jugement et de raisonnement, de réflexions générales ; la conception que nous avons du passé, du présent et de l’avenir ; la faculté de retour et de considération interne sur nous-mêmes ; l’invention et la découverte des hautes vérités ; tant de sublimes imaginations des beaux génies, « une infinité de pensées enfin, si grandes et si vastes, et si éloignées de la matière qu’on ne sait presque par quelle porte elles sont entrées dans notre esprit », toutes choses qui restent à jamais inexplicables pour une philosophie atomistique et tout épicurienne. […] Or, Bernier, homme de sens, qui a beaucoup vu, et qui, en vertu même d’un sage scepticisme, est devenu plus ouvert à des doctrines supérieures, croit devoir avertir son ami et camarade, qui, en passant par le cabaret, est resté plus qu’il ne croit dans l’école ; le voyant prêt à vouloir s’enfoncer dans une philosophie abstruse et prétendre à expliquer physiquement la nature des choses et celle même de l’âme, il lui rappelle que c’est là une présomption et une vanité d’esprit fort ; mais si cette explication directe est impossible, et si connaître en cette manière son propre principe n’est pas accordé à l’homme dans cet état mortel, néanmoins, ajoute-t-il en terminant, nous devons prendre une plus haute idée de nous-mêmes et ne faire pas notre âme de si basse étoffe que ces grands philosophes, trop corporels en ce point ; nous devons croire pour certain que nous sommes infiniment plus nobles et plus parfaits qu’ils ne veulent, et soutenir hardiment que, si bien nous ne pouvons pas savoir au vrai ce que nous sommes, du moins savons-nous très bien et très assurément ce que nous ne sommes pas ; que nous ne sommes pas ainsi entièrement de la boue et de la fange, comme ils prétendent. — Adieu. […] Elles étaient si élevées que du gaillard d’arrière elles nous paraissaient plus hautes que les hunes. […] Joubert ou d’un Doudan, d’un de ces « esprits délicats nés sublimes », nés du moins pour tout concevoir, et à qui la force seule et la patience d’exécution ont manqué, tandis que Chapelle n’est qu’un paresseux trop souvent ivre, un homme de beaucoup d’esprit naturel, mais sans élévation et sans idéal ; et c’est précisément cet idéal trop haut placé qui décourage les autres, les suprêmes délicats.

747. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « De la poésie de la nature. De la poésie du foyer et de la famille » pp. 121-138

Après avoir relevé la fadeur et le vague des tons, quelques beaux vers perdus dans une foule de vers communs, la vie champêtre vue de trop loin, regardée de trop haut, sans étude et sans connaissance assez précise, il se demande comment M. de Saint-Lambert, qui passe une partie de sa vie à la campagne, n’a pas mieux vu, n’a pas mieux saisi et rendu tant de scènes réelles, de circonstances familières et frappantes : Pourquoi M. de Saint-Lambert n’a-t-il pas trouvé tout cela avant moi ? […] Quant aux hautes sources de poésie ou à celles qui naissent secrètement du cœur, sentiments délicats ou croyances supérieures, il ne les a jamais blasphémées ; loin de là, il les a honorées et célébrées à la rencontre, et elles lui ont quelquefois inspiré en retour quelques accents qu’on a retenus : et malgré tout, on sent chez lui un vide à ces endroits essentiels, quelque chose de léger qui voltige de pensée en pensée comme de site en site ; il n’y habite pas. […] Cette originalité, jointe aux vertus et aux qualités morales les plus fines qui sont l’âme de cette poésie, se rencontre au plus haut degré en un poète anglais bien connu de nom, mais trop peu lu en France, et dont je voudrais présenter une idée précise et vive, par opposition aux divers noms que je viens de passer en revue. […] Traînant une chaîne qu’il ne peut vouloir rompre, son seul bonheur est de souffrir pour celle qu’il aime ; lui qui pourrait aspirer à la gloire et y atteindre, il n’a plus d’autre but que son sourire : ambitions plus hautes, adieu !

748. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — II » pp. 18-34

Nous étions témoins de ces luttes étranges, du haut d’une falaise où nous avions peine à tenir contre les furies du vent. […] Heureux qui regarde, du haut de la montagne, le lion bondir et rugir dans la plaine, sans qu’il vienne à passer un voyageur ou une gazelle ! […] On dirait, tant elles sont étrangement posées et inclinées vers la chute, qu’un géant s’est amusé un jour à les faire rouler du haut de la côte, et qu’elles se sont arrêtées là où elles ont rencontré un obstacle, les unes à quelques pas du point de départ, les autres à mi-côte ; mais ces obstacles semblent les avoir plutôt suspendues qu’arrêtées dans leur course, car elles paraissent toujours prêtes à rouler. […] Il supposa le dernier des centaures interrogé au haut d’un mont, au bord de son antre, et racontant dans sa mélancolique vieillesse les plaisirs de ses jeunes ans à un mortel curieux, à ce diminutif de centaure qu’on appelle homme ; car l’homme, à le prendre dans cette perspective fabuleuse, grandiose, ne serait qu’un centaure dégradé et mis à pied.

749. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Il ne l’effleure pas d’un œil d’artiste ; il la caresse à pleins bras, comme l’amoureux du Cantique des cantiques : Veni, et inebriemur uberibus… « Quel plaisir autrefois de me rouler dans les hautes herbes, que j’aurais voulu brouter, comme mes vaches ; de courir pieds nus sur les sentiers unis, le long des haies ; d’enfoncer mes jambes, en rehaussant (rebinant) les verts turquies, dans la terre profonde et fraîche ! […] Elle se plut de bonne heure aux entretiens de ce frère poëte d’imagination et de nature : « Il m’était si doux de t’entendre, de jouir de cette parole haute et profonde, ou de ce langage fin, délicat et charmant que je n’entendais que de toi ! […] Âme innocente, élevée, pure, non pas inexpérimentée, mais droite et simple, elle y cause avec elle-même, avec ses plus hautes et ses plus secrètes pensées, avec Dieu, priant, pleurant, se chantant parfois des vers, se disant « La solitude fait écrire parce qu’elle fait penser. […] Elle a non seulement ses croyances fermes où elle se fonde, mais aussi ses superstitions flottantes qu’elle admet un peu à volonté : « Ils ne savent pas être heureux, dit-elle, ceux qui veulent tout comprendre. » N’allez pas vous figurer, en pensant à elle, ni une femme poëte, sentimentale et toujours dans l’attitude de la rêverie, ni une catholique raisonneuse et théologienne, ni une demoiselle châtelaine un peu haute ; si elle lit Platon, c’est bien souvent au coin du feu de la cuisine, et les jours de carnaval elle n’est pas chiche de retrousser ses manches pour faire des croustades.

750. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Les quatre moments religieux au XIXe siècle, (suite et fin.) »

De même que ceux qui voulaient la délivrance et la liberté en 89, eurent un moment d’ineffable joie et d’espérance trop tôt déçue, trop tôt souillée par des excès, et qu’ils virent le plus cher de leurs vœux se tourner en mécompte, de même bien des esprits sages, modérés, tolérants ou même religieux de sentiment et d’intention, ouverts à la haute pensée de la civilisation renaissante, qui se réjouirent de la réconciliation de la religion et de la société en 1801, et qui y poussèrent ou y applaudirent, eurent bientôt à revenir de cette satisfaction première, et quelques-uns, s’ils vécurent assez, purent douter s’ils n’avaient pas erré. […] Que ceux qui en furent témoins disent si j’exagère : dans l’Université, la suppression des hautes écoles, le silence des hautes chaires, l’expulsion complète, méthodique, non-seulement de tous les maîtres jeunes, ardents, enthousiastes, mais même des modérés et des prudents, s’ils refusaient de donner des gages au parti dirigeant ; et ces gages étaient des actes indignes d’hommes sincères qui se respectent ; c’étaient des affectations publiques de sentiments et de convictions qu’on n’avait pas, c’était un patelinage de monarchisme et de dévotion : tous ceux qui résistaient aux insinuations qui leur étaient faites furent éliminés. […] D’autres, simples assistants et hommes de désir, se plaisaient à voir le catholicisme s’essayer à des interprétations compatibles peut-être avec les progrès de la science et avec ceux de l’humanité ; ils prenaient goût à de hauts entretiens qui rappelaient ceux des philosophes ou des chrétiens alexandrins.

751. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet »

Je ne comprends pas ces générations qui se prévalent de quelque indifférence acquise pour faire les supérieures et se donner de grands airs superbes à l’égard de leurs aînées et devancières, pour les traiter du haut de leur grandeur et comme des enfants qui faisaient assez bien pour leur âge : générations hautaines et gourmées, je ne sais comment on vous traitera vous-mêmes un jour, mais vous êtes bien peu agréables en attendant, et bien peu équitables aussi. […] La salle de Constantine à Versailles témoigne de ce plus haut degré de son talent8. […] Et cependant, s’il y ressongeait quelquefois, retrouva-t-il jamais, même dans les triomphes que lui ménageait l’avenir, même dans les années de son ambassade académique à Rome, même dans ses vaillantes campagnes à l’armée d’Afrique, même dans sa haute faveur à la Cour de Russie, retrouva-t-il jamais ce premier entrain, cette fraîcheur et cet enchantement des dix premières années de sa carrière, lorsqu’il semblait que l’âme de la jeune armée expirante en 1814 et 1815 eût passé en lui et sur ses toiles, lorsque tout était jeune autour de lui, que ces brillants officiers des derniers jours de notre gloire n’étaient pas encore devenus de vieux beaux ou des invalides plus ou moins illustres, lorsque l’Art lui-même s’avançait personnifié dans un jeune groupe à physionomies distinctes, mais avec tout l’incertain et l’infini des destinées : Delacroix, Delaroche, Schnetz, Léopold Robert, Sigalon, Schefler, tous figurant au Salon de 1824, et Horace Vernet comme un frère d’armes au milieu d’eux ! […] Schnetz, du moins, sans jamais s’élever plus haut ni chercher à se surpasser, est resté égal ou semblable à lui-même.

752. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’Audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. »

Malherbe et Balzac étaient venus et avaient donné des exemples de haut style, l’un du style lyrique le plus. […] elle avait fait, depuis Malherbe, ses preuves d’une poésie bien autrement éclatante et sublime avec le Ciel (1636), elle avait fait acte de haute et neuve philosophie avec Descartes par le Discours de la Méthode (1637), lorsqu’elle eut le courage de se remettre à la grammaire avec Vaugelas, — à une grammaire non pédantesque, humaine, mondaine, toute d’usage et de Cour ; non pas du tout à une grammaire élémentaire, mais à une grammaire perfectionnée, du dernier goût et pour les délicats. […] Tandis que Corneille redouble et produit sur la scène cette série de chefs-d’œuvre grandioses et trop inégaux, l’éducation des esprits se poursuit concurremment et se continue de moins haut par les romans des Gomberville, des Scudéry, par les traductions de d’Ablancourt, par les lettres des successeurs et des émules de Balzac et de Voiture, par les écrits théologiques d’Arnauld et de Messieurs de Port-Royal : — autant d’instituteurs du goût public, chacun dans sa ligne et à son moment. […] Ces mots qui sont de l’usage ancien et moderne tout ensemble sont beaucoup plus nobles et plus graves que ceux de la nouvelle marque. » La Cour, au sens où l’entendait Vaugelas, n’était donc nullement un simple lieu de cérémonie et d’étiquette, une glacière polie, mais une école vivante, animée, la haute et libre société du temps.

753. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Jaloux de la faveur et du crédit, porté en naissant au sein de la fortune, il ne négligea aucun moyen de se pousser et de monter aussi haut qu’il le pourrait : il avait de quoi justifier cette ambition par son mérite et par divers genres de talents. […] À la mort de Louis XIV, le Régent le mit de fait à la tête du Conseil des finances : il eut d’abord la haute main, recourut tant bien que mal à des expédients ou à des palliatifs, eut le mérite de repousser l’idée de banqueroute, mais ne voulut point des États généraux dans le principe et n’en voulut ensuite que lorsqu’il était trop tard, visa sans cesse à être premier ministre, vit tourner la roue et se retira devant la faveur de Law, à la veille des entreprises aventureuses. […] C’est ainsi qu’il nous le montre dans les dernières années au Conseil, sourd, avec son menton d’argent (à cause d’un mal qui lui rongeait le bas du visage), parlant haut, criant sans en être mieux écouté, opinant pour qu’on reçoive les remontrances du Parlement et jouant le citoyen, hoc solo imitatus civem : « Le maréchal de Noailles opina bravement pour qu’on reçut les Remontrances, disant que le roi doit toujours écouter ses sujets, sur quelque plainte que ce soit qu’ils aient à lui porter, sauf à punir ceux qui les portent avec injustice et irrévérence. […] Je n’ai pas besoin de dire que cela est léger et injuste ; j’ai rappelé plus haut le mérite de membres éminents de la famille de Noailles dans le xvie  siècle.

754. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

Mais ce n’est pas impunément qu’on place ses plus hauts horizons d’antiquité à un siècle si rapproché de nous : il en résulte un dégagement d’arriéré, une légèreté de mouvement et d’allure, une hardiesse et, par moments, une irrévérence de jugement qui tient au manque de religion littéraire première. […] La religion de l’histoire, le numen historiæ de Pline le Jeune et de Tacite, ils n’en ont pas une bien haute idée, ils ne l’admettent pas : « L’histoire, disent-ils, est un roman qui a été ; le roman est de l’histoire qui aurait pu être. » — La tragédie, ils n’en pensent pas mieux que de l’histoire, mais ils la redoutent davantage, et ils lui en veulent comme au fantôme ennemi qu’on évoque de temps en temps et qu’on fait semblant de ressusciter contre les genres vivants et modernes ; ils disent : « Il est permis en France de scandaliser en histoire : on peut écrire que Néron était un philanthrope, ou que Dubois était un saint homme ; mais en art et en littérature les opinions consacrées sont sacrées : et peut-être, au xixe  siècle, est-il moins dangereux, pour un homme de marcher sur un crucifix que sur les beautés de la tragédie. » Artistes jusqu’à la moelle, ils voient le monde par ce côté unique de l’art ; c’est par là qu’ils sont offensés, c’est par là qu’ils jouissent ; c’est à être un artiste indépendant, sincère, absolu et sans concession, qu’ils mettent le courage civil : « Il faut plus que du goût, il faut un caractère pour apprécier une chose d’art. […] Voici une page que je trouve parfaite en son genre : lisez haut, lisez bien, accentuez et scandez chaque mot, chaque membre de phrase, comme Jean-Jacques le voulait pour son monologue de Pygmalion, et vous sentirez quelle est, en ce genre du pittoresque écrit, l’habileté de MM. de Goncourt : « Sept heures du soir. Le ciel est bleu pâle, d’un bleu presque vert, comme si une émeraude y était fondue ; là-dessus marchent doucement, d’une marche harmonieuse et lente, des masses de petits nuages balayés, ouateux et déchirés, d’un violet aussi tendre que des fumées dans un soleil qui se couche ; quelques-unes de leurs cimes sont roses, comme des hauts de glacier, d’un rose de lumière.

755. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

Il parle de chaumière, et on le prendrait pour un pasteur quand il dit en beaux vers à son initiateur chéri : C’est toi qui fus pour moi cet ange de lumière Qui se laisse tomber du haut du firmament, Et qui, sur le palais comme sur la chaumière, Se repose indifféremment. […] Le troisième nous transporte au haut d’une maison dont la façade est peinte en couleur bleu de ciel ; dans sa petite chambre, sous la tuile, Jasmin, qui n’est qu’apprenti encore, à la lueur d’une lampe dont le reflet se joue aux feuilles du tilleul voisin (toujours de gaies images), Jasmin passe une partie de ses nuits à lire, à rêver, à versifier déjà. […] La poésie franche y embaume à l’ouverture du premier chant : « Du pied de cette haute montagne, où se dresse Castel-Cuillé, dans la saison où le pommier, le prunier et l’amandier blanchissaient dans la campagne, voici le chant qu’on entendit, un mercredi matin, veille de Saint-Joseph : Les chemins devraient fleurir, Tant belle épousée va sortir ; Devraient fleurir, devraient grener, Tant belle épousée va passer ! […] non, fille qui est en faute ne porte pas le front si haut.

756. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIIe entretien. Tacite (1re partie) » pp. 57-103

L’histoire ne monte pas plus haut : elle est alors le grand poème épique de la vérité. […] Galba, pour prévenir le seul reproche qu’on fait à son règne, celui de manquer d’un successeur, se hâte d’adopter un jeune Romain de haute noblesse et de grande espérance, Pison. […] « Tu as un frère, ton égal en noblesse, ton supérieur par l’âge, digne en tout de la haute fortune où je t’appelle, si tu n’en étais plus digne encore toi-même. […] C’est le résumé d’une longue vie publique dans une haute intelligence touchant aux limites de la vie, et jugeant le passé, le présent, l’avenir, avec le calme du soir et le sublime désintéressement du lendemain.

757. (1892) Boileau « Chapitre VI. La critique de Boileau (Fin). La querelle des anciens et des modernes » pp. 156-181

Toute cette exquise partie de la Lettre à l’Académie, où Fénelon traite de la poésie, aboutit là : les anciens respectent plus la nature et se font une plus haute idée de l’art que les modernes. […] Sur ce xviie  siècle essentiellement précieux et galant, très noble et très raffiné, très ingénieux et plus sensible à l’extraordinaire qu’au simple beau, capable de donner Scarron et Quinault, Voiture et Benserade, et tout au plus peut-être la moitié de Corneille, sur ce xviie  siècle qui laissé à lui-même eût produit sans intervalle et sans arrêt Fontenelle après Balzac, l’étude de l’antiquité, retardant l’éclosion de l’art mièvre tout prêt à succéder à l’art pompeux, fit fleurir des poètes capables de la perfection qui n’étonne pas, de cette perfection qui, semblant d’abord de plain-pied avec nos esprits, se révèle plus haute et inaccessible à mesure qu’elle nous devient plus familière, et nous donne des jouissances infinies que nous n’arrivons pas à épuiser : des artistes enfin tels que Racine et La Fontaine. […] Si c’était donc aux anciens que Boileau devait les parties les plus originales et les plus hautes de sa théorie, et si à une sincère admiration pour leurs ouvrages s’ajoutait le sentiment qu’en eux, et en eux seuls, sa doctrine trouvait une confirmation éclatante et complète, on concevra sans peine l’indignation qu’il ressentit quand il vit contester l’autorité et le mérite de la grande antiquité. […] S’élevant cette fois au-dessus des petites chicanes, et renonçant aux dénégations absolues, il prenait le sujet de haut et l’embrassait d’une vue large et pénétrante.

758. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. L’Histoire »

La haute conception qui jadis avait permis à Bossuet d’étudier si librement les sociétés païennes de l’antiquité, et de rechercher les causes physiques ou morales des événements, la croyance au gouvernement de la Providence, a mis Tocqueville à l’aise : assuré que la France allait où Dieu la menait, il a regardé sans haine et sans désespoir la civilisation issue de la Révolution. […] Quand il abordait l’histoire de France, il voyait dans l’affranchissement des communes « une véritable révolution sociale, prélude de toutes celles qui ont élevé graduellement la condition du Tiers État » : remontant plus haut, il crut trouver dans l’invasion franque « la racine de quelques-uns des maux de la société moderne : il lui sembla que, malgré la distance des temps, quelque chose de la conquête des barbares pesait encore sur notre pays, et que des souffrances du présent on pouvait remonter, de degré en degré, jusqu’à l’intrusion d’une race étrangère au sein de la Gaule, et à sa domination violente sur la race indigène ». […] Il ne se contenta point de regarder de haut les grandes divisions territoriales : dans l’admirable morceau où, dès le début, il assied son histoire sur la géographie, il saisit comme autant de personnes distinctes toutes les unités provinciales dont la France est la somme ; il marque puissamment la physionomie de chaque région, au physique et au moral. […] Michelet est un des écrivains de notre siècle qui me semblent destinés à grandir dans l’avenir, quand dans son œuvre trop riche on aura fait une part à l’oubli, à la mort : le reste, et un reste considérable, une fois allégé, n’en montera que plus haut.

759. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mme du Châtelet. Suite de Voltaire à Cirey. » pp. 266-285

Mme du Châtelet n’était pas une personne vulgaire ; elle occupe dans la haute littérature et dans la philosophie un rang dont il était plus aisé aux femmes de son temps de sourire que de le lui disputer. […] Mme du Châtelet échappait du moins à ces misères du dehors, et ses nobles études, ses hautes distractions mêmes, la mettaient à l’abri des petites vues où se consumaient autour d’elle des esprits si distingués. […] Ce petit traité, qui renferme des réflexions fermes et hautes, des remarques fines, et rendues dans un style net et vif, avec un vrai talent d’expression, a un défaut : il est sec et positif ; il a ce cachet de crudité qui déplaît tant au milieu des meilleures pages du xviiie  siècle, et qui fait que la sagesse qu’on y prêche n’est pas la véritable sagesse. […] Et, se rabattant alors à une liaison moins égale et moins haute, elle estime que l’amour peut encore nous rendre heureux à moins de frais ; « qu’une âme sensible et tendre est heureuse par le seul plaisir qu’elle trouve à aimer ».

760. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

J’ai essayé précédemment de dégager le Frédéric roi et politique dans sa forme la plus haute et la plus vraie, le Frédéric historique et non anecdotique. […] Jamais on n’a mieux senti que ce jeune prince ce que les lettres pourraient être dans leur plus haute inspiration, ce qu’elles ont en elles d’élevé et d’utile, ce que leur gloire a de durable et d’immortel. […] On aime à rencontrer, au milieu des fadeurs et des exagérations parfois ridicules de ce début de correspondance, plus d’un de ces endroits où perce déjà le roi futur, l’homme supérieur qui, bien qu’il ait la fureur de rimer et de produire ses premiers ouvrages, saura en triompher par une passion plus haute, et qui ne sera jamais un rhéteur sur le trône. […] Un haut et tendre épicuréisme y respire, celui d’un Lucrèce parlant à son ami : Je compatis au malheur qui vous est arrivé de perdre une personne à laquelle vous vous étiez attaché.

761. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — II. (Suite et fin.) » pp. 421-440

Mais, dans ces querelles où celle-ci était si attentive et si initiée, comme on sent chez l’autre une personne qui prend naturellement le dessus, et qui mène le tout, haut la main ! […] Cette paix, dont la timide et raisonnable Mme de Maintenon parle sans cesse, va devenir dans les années suivantes la pierre d’achoppement avec Mme des Ursins, qui en est beaucoup moins pressée, et qui ne la veut qu’à des conditions plus hautes. […] Elle fait l’Agnès : « Je suis un peu comme Agnès ; je crois ce qu’on me dit et ne creuse point davantage. » Elle fait aussi la régente : « Je n’oserais montrer votre lettre ; on n’aime pas ici que les dames parlent d’affaires. » À toutes ces ironies fines et serrées, son adversaire répond par des ironies plus hautes, et aussi avec des éclats de colère qui déclarent une nature plus franche du collier : Tant mieux, répond-elle, si on n’aime pas en France que les femmes parlent d’affaires ! […] Et cependant, en quittant ces deux personnages de haute représentation, Mme des Ursins et Mme de Maintenon, ces deux sujets habiles et du premier ordre, me sera-t-il permis de rappeler au fond, en arrière et au-dessous d’elles, d’une époque un peu plus ancienne, une simple spectatrice de cette belle comédie de la Cour, une personne qui n’a eu en rien le génie de l’intrigue et de l’action, mais d’un bon sens égal, doux et fin, d’un jugement calme et sûr, la sage, la sincère et l’honnête femme véritablement en ce lieu-là, Mme de Motteville ?

762. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Saint François de Sales. Son portrait littéraire au tome Ier de l’Histoire de la littérature française à l’étranger par M. Sayous. 1853. » pp. 266-286

Une pensée plus haute le préoccupait : il amena ses parents, et son père en particulier qui résistait, à permettre qu’il embrassât l’état ecclésiastique, et qu’il devînt le bras droit et le prévôt de l’évêque de Genève, alors résidant à Annecy. […] Henri IV disait hautement qu’il ne connaissait aucun homme, « plus capable d’apporter quelques remèdes à la nouveauté des opinions qui troublaient son royaume que l’évêque de Genève, d’autant que c’était un esprit solide, clair, résolutif, point violent, point impétueux, et lequel ne voulait emporter les choses de haute lutte ou de volée ». […] Cette haute estime que l’on avait alors en France pour saint François de Sales comme négociateur, ce n’était pas Louis XIII encore enfant qui pouvait en être juge, c’était Richelieu qui se plaisait ainsi à l’exprimer. […] Bossuet, qui sentait si bien Rancé gravissant âprement vers les hautes cimes et les mornes sommets de l’antique pénitence, suivait également saint François de Sales dans ses riches et riantes vallées ; et, s’étendant de l’un à l’autre en esprit, il tenait en quelque sorte le milieu du royaume chrétien.

763. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre III. L’art et la science »

Jamais les facultés de l’âme humaine, fouillée et enrichie par le creusement mystérieux des révolutions, n’ont été plus profondes et plus hautes. […] Or, le besoin de lire étant une traînée de poudre, une fois allumé il ne s’arrêtera plus, et, ceci combiné avec la simplification du travail matériel par les machines et l’augmentation du loisir de l’homme, le corps moins fatigué laissant l’intelligence plus libre, de vastes appétits de pensée s’éveilleront dans tous les cerveaux ; l’insatiable soif de connaître et de méditer deviendra de plus en plus la préoccupation humaine ; les lieux bas seront désertés pour les lieux hauts, ascension naturelle de toute intelligence grandissante ; on quittera Faublas et on lira l’Orestie ; là on goûtera au grand, et, une fois qu’on y aura goûté, on ne s’en rassasiera plus ; on dévorera le beau, parce que la délicatesse des esprits augmente en proportion de leur force ; et un jour viendra où, le plein de la civilisation se faisant, ces sommets presque déserts pendant des siècles, et hantés seulement par l’élite, Lucrèce, Dante, Shakespeare, seront couverts d’âmes venant chercher leur nourriture sur les cimes. […] Vous monterez après lui, aussi haut, pas plus haut.

764. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Poésies complètes de Théodore de Banville » pp. 69-85

Les uns donnaient à l’âme humaine, à ses aspirations les plus hautes, à ses regrets, à ses vagues désirs, à ses tristesses et à ses ennuis d’ici-bas, à ces autres ennuis plus beaux qui se traduisent en soif de l’infini, des expressions harmonieuses et suaves qui semblaient la transporter dans un meilleur monde, et qui, pareilles à la musique même, ouvraient les sphères supérieures. D’autres fouillaient les antiques souvenirs, les ruines, les arceaux et les créneaux, et du haut de la colline, assis sur les débris du château gothique, ils voyaient la ville moderne s’étendre à leurs pieds comme une image encore propre à ces vieux temps, Comme le fer d’un preux dans la plaine oublié ! […] Cette admiration fidèle pour les bonnes et hautes parties du chef de chœur de la Pléiade lui a porté bonheur.

765. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « M. Viguier »

Il appartint comme élève à la première génération de l’École normale en 1811 ; il fit partie de ce qu’on pourrait appeler sans exagération l’avant-garde intellectuelle du jeune siècle : toutes les idées et les vues nouvelles qui flottaient depuis quelques années dans l’air et qui émanaient du mnonde de Mme de Staël, — qu’elle-même devait au commerce de l’Allemagne, — devinrent pour la première fois chez nous, dans cette haute École, des études précises et bien françaises. […] Quelque jeune ami, — et il en avait de cet âge, et un particulièrement bien digne de lui134, — devrait se donner pour tâche pieuse de recueillir dans ses divers écrits, et aussi dans les lettres pleines d’effusion et nourries de détails qu’il adressait à ses amis de France durant ses voyages d’Allemagne et d’Italie, des extraits, des pensées, des jugements, de quoi rappeler et fixer dans la mémoire quelques traits au moins de la physionomie de cet homme excellent dont les qualités morales et la candeur égalaient la haute intelligence. […] Villemain par exemple, ce grand et bel esprit, si libéral dans ses livres, ce haut et puissant seigneur qui régnait à l’Académie comme à l’Université et à qui chacun rendait sans qu’il se crût obligé à rien en retour, — à son sujet, M. 

766. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

Les nombreux passages traduits d’Homère qui ornent le Génie du Christianisme, et plus tard la docte reproduction poétique qu’on admira dans les Martyrs, relevèrent publiquement les images du Beau et indiquèrent à tous ceux qui en étaient dignes les chemins des hautes sources. Depuis ce jour les critiques ingénieux et fins, ou même éloquents, n’ont pas manqué qui, par leurs écrits ou du haut des chaires, ont maintenu en honneur et divulgué de plus en plus l’esprit véritable de l’antiquité. […] semble avoir faibli, ou du moins il se tait volontiers pour céder le pas aux recherches de l’érudition, aux particularités de l’histoire : de sorte que l’instruction classique de nos hautes écoles et la littérature universitaire devenant de plus en plus solides n’ont pas tout leur brillant, et perdent en grande partie leur effet sur la littérature courante, laquelle devient de plus en plus légère.

767. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Lettres de Rancé abbé et réformateur de la Trappe recueillies et publiées par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont-Ferrand. »

Enfin on a fait jouer les grosses batteries, et on a crié bien haut à l’immoralité et à l’irréligion. […] Passe encore quand l’abbé archéologue soumet au saint homme l’ explication d’un ancien tombeau et des symboles ou inscriptions qui le recouvrent ; cela donne sujet du moins à son austère ami de moraliser en ces hautes paroles : « Les hommes, lui écrit Rancé à cette occasion, sont à plaindre en bien des choses, mais particulièrement dans la vanité de leurs tombeaux. […] Quelle plus haute pensée, par exemple, que celle-ci, qui pourrait servir comme d’épigraphe et de devise à la vie du grand réformateur : « Il faut faire de ces œuvres et de ces actions qui subsistent indépendamment des passions différentes des hommes ! 

768. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Ce qui est bon à rappeler, c’est qu’on n’en sort jamais, après tout, qu’avec le fond d’enjeu qu’on y a apporté, je veux dire avec le talent propre et personnel : le reste était déclamation, appareil d’école, attirail facile, à prendre, et que le dernier venu, eût-il moins de talent, portera plus haut en renchérissant sur tous les autres. […] Les amours de Juliette et de Simiane ont du charme, de la vérité, et je n’y vois guère à reprendre que ces visites un peu trop gothiques, et qui sentent l’année 1828, au haut des tours de Notre-Dame. […] « Les hautes montagnes, a-t-on dit, consternent aisément celui qui habite au pied, ou du moins elles le modèrent et le calment ; elles mettent l’homme à la raison. » Simiane reste dans la raison, ainsi que dans le bonheur ; lorsque Rousseau, déjà célèbre, les visite encore, il emporte de leur dernier embrassement une de ces fraîches et à la fois solennelles images, qui, en présence de Thérèse et de tant d’illusions flétries, sauvaient l’idéal dans son cœur.

769. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

Les écrivains ne portent au plus haut degré la conviction et l’enthousiasme, que lorsqu’ils savent toucher à la fois ces trois cordes, dont l’accord n’est autre chose que l’harmonie de la création. […] Quand une fois la puissance de la parole est admise dans les intérêts politiques, elle devient de la plus haute importance. […] Mais ce n’est là qu’une partie encore de la puissance du langage ; et les bornes de la carrière que nous parcourons vont reculer au loin devant nous ; nous allons voir cette puissance s’élever à un bien plus haut degré, si nous la considérons lorsqu’elle défend la liberté, lorsqu’elle protège l’innocence, lorsqu’elle lutte contre l’oppression ; si nous l’examinons, en un mot, sous le rapport de l’éloquence.

770. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre I. L’esprit gaulois »

Ce plaisir ne ressemble en rien à la joie physique, qui est méprisable parce qu’elle est grossière ; au contraire, il aiguise l’intelligence et fait découvrir mainte idée fine ou scabreuse ; les fabliaux sont remplis de vérités sur l’homme et encore plus sur la femme, sur les basses conditions et encore plus sur les hautes ; c’est une manière de philosopher à la dérobée et hardiment, en dépit des conventions et contre les puissances. Ce goût n’a rien non plus de commun avec la franche satire, qui est laide, parce qu’elle est cruelle ; au contraire, il provoque la bonne humeur ; on voit vite que le railleur n’est point méchant, qu’il ne veut point blesser ; s’il pique, c’est comme une abeille sans venin : un instant après, il n’y pense plus ; au besoin il se prendra lui-même pour objet de plaisanterie ; tout son désir est d’entretenir en lui-même et en vous un pétillement d’idées agréables. — Telle est cette race, la plus attique des modernes, moins poétique que l’ancienne, mais aussi fine, d’un esprit exquis plutôt que grand, douée plutôt de goût que de génie, sensuelle, mais sans grossièreté ni fougue, point morale, mais sociable et douce, point réfléchie, mais capable d’atteindre les idées, toutes les idées, et les plus hautes, à travers le badinage et la gaieté. […] voulez-vous jà monter Là haut à mont à dam le Dieu ?

771. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre IV. Le théâtre des Gelosi » pp. 59-79

Le théâtre des Gelosi C’est sur le théâtre des Gelosi que la commedia dell’arte a atteint son plus haut point de perfection ; ils représentent en quelque sorte son âge classique. […] Un faux marchand vient remercier tout haut le faux mendiant du service que celui-ci lui a rendu en lui donnant le secret d’avoir un héritier. […] Les bizarres équipées attribuées sur le théâtre aux Isabelle, aux Célia, aux Aurélia ne les empêchaient nullement, à ce qu’il paraît, d’être tenues en haute estime, quand elles savaient conserver dans la vie privée une dignité convenable.

772. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre IV. L’antinomie dans l’activité volontaire » pp. 89-108

. — Sous toutes ces formes et dans tous ces usages, elle apparaît comme une puissance régulatrice et organisatrice des instincts, des sentiments et des idées, comme le principe directeur de la vie, le guide de la conduite, comme la manifestation la plus haute de la personnalité. […] Ce que nous avons dit plus haut du rôle réduit de l’autorité est surtout vrai en démocratie. […] Il est à craindre que ceux qui croient l’âme des foules capable de comprendre un haut idéal ne se fassent illusion.

773. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VIII. La crise actuelle de la Physique mathématique. »

J’ai déjà montré plus haut que les nouvelles théories faisaient bon marché de ce principe. […] Eh bien, ainsi que nous l’avons vu plus haut, pour rendre compte de ces résultats, Lorentz a été obligé de supposer que toutes les forces, quelle que soit leur origine, étaient réduites dans la même proportion dans un milieu animé d’une translation uniforme ; ce n’est pas assez, il ne suffit pas que cela ait lieu pour les forces réelles, il faut encore qu’il en soit de même pour les forces d’inertie ; il faut donc, dit-il, que les masses de toutes les particules soient influencées par une translation au même degré que les masses électro-magnétiques des électrons. […] C’est pourquoi j’ai dit plus haut que les expériences sur les rayons cathodiques avaient paru justifier les doutes de Lorentz au sujet du principe de Newton.

774. (1890) L’avenir de la science « Préface »

Réciproquement, on pourrait concevoir un état d’instruction primaire très perfectionné, sans que la haute science fit de bien grandes acquisitions. […] La vieille économie politique, dont les prétentions étaient si hautes en 1848, a fait naufrage. […] La science restera toujours la satisfaction du plus haut désir de notre nature, la curiosité ; elle fournira à l’homme le seul moyen qu’il ait pour améliorer son sort.

775. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IV. La littérature et le milieu psycho-physiologique » pp. 126-137

C’est celui de l’abbé d’Aubignac, qui s’allonge démesurément au milieu d’une tête carrée par le bas et pointue par le haut. […] Théophile Gautier l’a décrit avec amour48 : « Ce nez invraisemblable se prélasse dans une figure de trois quarts, dont il couvre entièrement le petit côté ; il forme sur le milieu une montagne qui me paraît devoir être, après l’Himalaya, la plus haute montagne du monde ; puis il se précipite vers la bouche qu’il obombre largement, comme une trompe de tapir, ou un rostre d’oiseau de proie ; tout à fait à l’extrémité, il est séparé en deux portions… Cela fait comme deux nez distincts, dans une même face, ce qui est trop pour la coutume… » Les gens de lettres sont alors riches en particularités comiques du même genre. […] Au temps de Louis XIV, la France, à ne considérer que les hautes classes, est de sang riche ; la saignée est le grand remède des médecins ; il y a foison, à commencer par le roi, de grands mangeurs, de corps solides, de tempéraments robustes.

776. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

Ce qu’il faut de plus en plus à la France, appelée indistinctement à la vie de tribune et jetée tout entière sur la place publique, c’est une école de bonne langue, de belle et haute littérature, un organe permanent et pur de tradition. […] Les salons proprement dits, les cercles du haut monde ont disparu, ou, s’il s’en rouvrait encore, ils ne feraient que retentir, tout le soir, de la politique du matin. […] Ce qui se passerait dans un bureau du ministère de l’Intérieur serait de nature si nette et si franche qu’à toute heure, à la première interpellation, il en pourrait être rendu bon compte au public du haut de la tribune, aux applaudissements des honnêtes gens.

777. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Montalembert orateur. » pp. 79-91

Mais la mort du père de M. de Montalembert, survenant sur ces entrefaites, investit tout à coup le jeune homme des prérogatives de la pairie, et le procès fut évoqué devant la Haute Cour. […] Le passage du discours où le sacerdoce de la magistrature est pris et interprété au pied de la lettre, et où l’orateur le rapproche, socialement parlant, du sacerdoce du prêtre ; ce double temple qu’il importe de maintenir debout ; ce torrent des révolutions qui doit, en roulant, trouver au moins deux rives inébranlables, et se contenir entre le temple de la loi et le temple de Dieu, tout cela est à la fois de la haute éloquence et de l’éternelle politique. […] Fils d’une mère anglaise, on croirait sentir dans sa voix, à travers la douceur apparente, une certaine accentuation montante qui ne messied pas, qui fait tomber certaines paroles de plus haut et les fait porter plus loin.

778. (1901) La poésie et l’empirisme (L’Ermitage) pp. 245-260

L’individualisation, la spécialisation ont eu pour résultat premier, le divorce complet qui semble à l’heure actuelle officiellement proclamé, non seulement entre des esprits de haute valeur littéraire, mais entre les genres littéraires eux-mêmes, ceux-là qu’on voyait aux grandes époques se développer de concert. […] Il représente l’art dans sa conception la plus haute, la plus pure, la plus affranchie de toutes conditions temporelles. […] Si hautes que semblent ses idées, si purs ses sentiments, si jeune sa vision et si nouveaux ses rêves, ils ne compteront pour rien s’il n’en a fait de la beauté : c’est-à-dire quelque chose qu’il appelle poème et qui est un monde en ce monde, un corps entre les corps et parmi les êtres un être.

779. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Évolution de la critique »

D’une part il veut juger l’auteur et faire cette sorte de critique proprement dite dont nous avons défini plus haut la nature. […] Taine a porté dans la critique un esprit autrement clair et fort ; muni de solides études scientifiques, aussi apte aux hautes généralisations qu’à la patiente recherche des détails, animé de l’audace des novateurs, il a fait faire à la critique des progrès considérables et l’a constituée sous forme de science. […] Envisageant l’histoire comme un problème de psychologie et émettant cette vue profonde que de tous les documents historiques, le plus significatif est le livre, et de tous les livres le plus significatif encore, celui qui a la plus haute valeur littéraire, M. 

780. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre V. Les âmes »

Quelqu’un qui est très haut l’arrange ainsi. […] Ces hautes âmes, momentanément propres à la terre, n’ont-elles pas vu autre chose ? […] Cela n’empêche pas les bons pédants et les capables de se rengorger, et de dire, en montrant du doigt sur le haut de la civilisation le groupe sidéral des génies : Vous n’aurez plus de ces hommes-là.

781. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre V. Les esprits et les masses »

Pourtant on peut mettre son ambition plus haut. […] Un fauteuil rente de dix mille sesterces est une place gracieuse et commode, les gros émoluments font les teints frais et les bonnes santés, on vit vieux dans les douces sinécures bien appointées, la haute finance abondante en profits est un lieu agréable à habiter, être bien en cour cela assoit une famille et fait une fortune ; quant à moi, je préfère à toutes ces solidités le vieux vaisseau faisant eau où s’embarque en souriant l’évêque Quodvultdeus. […] Nous ne connaissons rien de trop haut pour le peuple.

782. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre I : La science politique au xixe  siècle »

Cet éminent penseur n’était pas sans doute un philosophe, et il avoue lui-même qu’il avait peu de goût pour la métaphysique ; mais il possédait au plus haut degré et pratiquait merveilleusement la méthode philosophique : il avait cet esprit de réflexion et de généralisation qui, partout dans les faits particuliers, cherche et découvre les lois générales. […] Mais elle faisait la part de la royauté beaucoup moindre, elle était contraire à l’hérédité de la chambre haute, et demandait l’extension du droit électoral. […] En même temps, elle emprunte à la Constitution de l’an VIII l’idée d’un corps conservateur, qui ne serait pas une chambre haute, mais une sorte de cour de cassation politique : idée dont l’invention première appartient, comme on sait, à Sieyès, et qui était destinée à de curieux retours de fortune.

783. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VII. Les hommes partagés en deux classes, d’après la manière dont ils conçoivent que s’opère en eux le phénomène de la pensée » pp. 160-178

Cette idée, que j’ai énoncée plus haut, recevra, par la suite, son entière explication, telle que je la conçois. […] D’autres sont placés sur les limites des deux mondes, leur vue les embrasse tous les deux ; ils prêtent tour à tour l’appui d’une haute métaphysique aux idées anciennes et aux idées nouvelles. […] De là l’espèce de violence qu’ils mettent dans leurs attaques, et le dédain qu’ils ont pour les archéophiles, dédain souverainement injuste ; car les partisans des idées anciennes sont loin de manquer de lumières et de talents, et surtout ils sont loin de manquer de sincérité : leur conscience, pour la plupart, est placée si haut qu’il est impossible de l’atteindre.

784. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

… Mais, s’il perd encore la partie, il faut au moins que la Critique, qui aime le talent partout où il est et qui doit le montrer aux autres, sous peine de n’être qu’une grande sotte à vue basse, il faut que la Critique dise bien haut que la carte était belle et qu’il n’y avait ni obstination, ni infatuation, ni même présomption à la jouer. […] D’Arpentigny, qui ne répète point les observations des autres s’il en répète les procédés, a pris la main comme l’expression résumante de l’homme tout entier ; mais avec les ressources variées de son esprit, avec le sentiment des analogies, qui est en lui à une haute puissance, il aurait pu tout aussi bien prendre le pied, et pas de doute qu’il ne nous eût dit, à propos du pied comme à propos de la main, une foule de choses vraies et charmantes. […] À notre avis, le capitaine d’Arpentigny a fourvoyé, dans un livre paradoxal de donnée et scientifique de développement, des facultés qu’il pouvait appliquer d’une manière plus utile pour sa renommée à des sujets plus positifs et plus hauts ; mais, tout fourvoyé qu’il puisse être, il n’en est pas moins dans son livre un esprit piquant et même un penseur, — chez qui le détail vaut mieux que l’ensemble, il est vrai, — un penseur tout en étincelles !

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