La résistance à l’oppression est la conséquence des autres droits de l’homme et du citoyen : il y a oppression contre le corps social quand un seul de ses membres est opprimé. […] Le corps social ne pouvait que s’agiter ou languir. […] Ils n’avaient su ni les prévenir par un déploiement de forces, ni couvrir les victimes de leurs corps, ni punir ce crime sur les assassins. […] Sans doute les villes où siègent les gouvernements ne sont que des membres du corps national ; mais ce membre, c’est la tête ! […] Aucune faiblesse féminine, aucune défaillance de cœur, aucun frisson du corps, aucune pâleur des traits.
La chèvre laitière était tombée morte du coup, sur le corps d’un des deux chevreaux blancs qu’elle allaitait ; l’autre, blessé d’une chevrotine au cou, tout près des oreilles, perdait tout son sang et était venu se réfugier, par instinct, entre les pieds nus de Fior d’Aliza ; le petit chien, une jambe de devant à demi coupée par une balle, hurlait, en traînant sa jambe, derrière elle ; la pauvre petite, atteinte elle-même de quelques gros grains de plomb qui avaient ricoché, aux deux bras, jetait des cris déchirants, non sur ses blessures qu’elle ne sentait pas, mais sur le carnage de sa chèvre, de ses chers chevreaux et du pauvre Zampogna ; elle courait vers nous en emportant le chevreau expirant sur son sein, suivie de Zampogna qui marchait sur trois pattes et qui arrosait l’herbe de son sang. […] CXXXI Sans délibérer seulement une minute, j’arrache de mon corps les habits de femme, j’ôte mes bras de mes manches, mes pieds de mes sandales, je prends au clou de la cheminée les grands ciseaux avec lesquels nous tondions la laine de nos moutons au printemps, quand nous avions encore notre petit troupeau à l’étable. […] tu me passeras donc sur le corps ! […] À la vue de mon pauvre père aveugle étendu ainsi sur le seuil et qu’il me fallait franchir pour voler sur les pas de mon frère, les forces me manquèrent ; je crus voir un sacrilège, et je tombai à mon tour à genoux et les bras étendus autour de son cou ; ma tante, de son côté, se précipita tout échevelée sur nos deux corps palpitants, en sorte que nous ne formions plus, à nous trois, qu’une seule masse vivante ou plutôt mourante, d’où ne sortaient que des sanglots et des soupirs, étouffés par des reproches et par des baisers. […] Il dit enfin que, caché en silence derrière la porte, la main sur le loquet, il avait tout entendu de ma résolution de chercher les traces d’Hyeronimo, comme l’ombre celles du corps, et des résistances de mon père et de ma tante.
Que l’homme volontairement déchu est la proie du mal, et que toutes les sources de son être ont été corrompues, le corps par la sensualité, l’âme par la curiosité indiscrète et l’orgueil. […] Mais quand il s’agit de déchirer l’âme humaine à travers la sienne, il est aussi résolu et aussi impassible que celui qui ne déchira que son corps, après une lecture de Platon. […] donnez-moi la force et le courage De contempler mon cœur et mon corps sans dégoût ! […] Désormais divorcée d’avec l’enseignement historique, philosophique et scientifique, la poésie se trouve ramenée à sa fonction naturelle et directe, qui est de réaliser pour nous la vie complémentaire du rêve, du souvenir, de l’espérance, du désir ; de donner un corps à ce qu’il y a d’insaisissable dans nos pensées et de secret dans le mouvement de nos âmes ; de nous consoler ou de nous châtier par l’expression de l’idéal ou par le spectacle de nos vices. […] — Et tout aussitôt la chambre mystérieuse, avec son atmosphère malsaine, l’alcôve coquette où ruisselle un corps mutilé au milieu des meubles dorés, des divans soyeux, des bouquets qui se fanent dans les vases, apparaissent avec la puissance d’une peinture sinistre et dont la mémoire gardera la terreur.
A ce moment précis l’invention a pris corps : la représentation schématique est devenue une représentation imagée. […] Elle débute par un fragment qui sert d’amorce et se complète peu à peu… Képler a consacré une partie de sa vie à essayer des hypothèses bizarres jusqu’au jour où, ayant découvert l’orbite elliptique de Mars, tout son travail antérieur prit corps et s’organisa en système 79. » En d’autres termes, au lieu d’un schéma unique, aux formes immobiles et raides, dont on se donne tout de suite la conception distincte, il peut y avoir un schéma élastique ou mouvant, dont l’esprit se refuse à arrêter les contours, parce qu’il attend sa décision des images mêmes que le schéma doit attirer pour se donner un corps. […] Plus particulièrement, s’il s’agit d’un exercice du corps, nous ne pouvons l’apprendre qu’en utilisant ou en modifiant certains mouvements auxquels nous sommes déjà accoutumés. […] Maintenant, nous ne commencerons à savoir danser que le jour où ce schéma, supposé complet, aura obtenu de notre corps les mouvements successifs dont il propose le modèle. […] On conçoit que cette indécision de l’intelligence se continue en une inquiétude du corps.
On tournait contre Catinat ses mérites mêmes, ses qualités d’ordre, de régularité ; on ne lui trouvait peut-être pas le ton assez soldat, ni sans doute assez de facilité et de souplesse pour ce régiment des gardes, un corps privilégié et si délicat à manier. […] Le duc de Mantoue désirait, en cédant la citadelle de Casal, non la ville ni le château, que l’on crût qu’il avait la main forcée, et à cette fin, pour lui servir d’excuse envers ses voisins, Espagnols ou Italiens, il était nécessaire qu’on fît montre de rassembler en Dauphiné un corps de troupes fort supérieur à celui qu’on réunissait effectivement. […] Catinat, averti aussitôt par M. de Boufflers du succès de l’entreprise, se hâta de le rejoindre ; il conduisait lui-même un corps de troupes, et en traversant les terres de Madame de Savoie, il s’attacha, selon son habitude, à réparer les désordres inévitables qu’on avait causés en pays ami, mais qui cette fois étaient bien légers. […] Le texte même ou le corps du récit est fort mauvais.
Ils évoquent des cavaliers beaux, spirituels, habiles à tous les exercices du corps, aisés, victorieux, sûrs de plaire, qui jouissent de tout leur être et dont l’occupation est de cueillir toutes les fleurs des plaisirs les plus réels. […] Etudiez l’espèce de plaisir que vous avez pu prendre quelquefois à ces réunions ; rappelez-vous les bras, les épaules nues, les jeux de l’éventail, les corsages plaqués, la toilette qui exagère toutes les parties expressives du corps féminin : vous reconnaîtrez que ce n’est guère par les grâces de la conversation, volontiers insignifiante, que vous avez été séduit, mais que l’attrait du sexe était pour beaucoup dans votre plaisir. Est-ce par hasard pour vous donner des joies intellectuelles que les femmes découvrent leur nuque jusqu’aux reins et qu’elles s’imprègnent de parfums qui flottent autour de leur corps et qui leur font une atmosphère, si bien qu’en s’approchant on se croit tout enveloppé d’elles ? […] C’était le triomphe de cette stratégie de l’impudeur savante, qui fait parler les lignes et les contours autant et plus clairement que la voix, que les yeux mêmes ; qui met dans une courbe, dans un balancement du buste, dans une saillie du corsage, dans un développement du bras, dans une retraite de la jambe, toutes les forces concentrées de la chair, tout l’appât d’un corps lascif qui se promet… IV Mais cette sensualité que développe la vie du monde est plus fine qu’impétueuse ; les grandes passions ne se rencontrent guère dans ce milieu artificiel.
* * * Herder et Schiller voulurent se faire chirurgiens dans leur jeunesse, mais le Destin le leur défendit : « Il existe, leur dit-il, des blessures plus profondes que celles du corps ; guérissez-les ! […] Il faut qu’on nous accorde que toute poésie vit de métaphore, et que le poète est un artiste qui saisit des rapports de tout genre par toutes les puissances de son âme, et qui leur substitue des rapports identiques sous forme d’images, de même que le géomètre substitue au contraire des termes purement abstraits, des lettres qui ne représentent rien de déterminé, aux nombres, aux lignes, aux surfaces, aux solides, à tous les corps de la nature, et à tous les phénomènes7. […] L’étude solitaire et passionnée de la nature dans un philosophe moral devait en effet produire presque nécessairement une association d’idées qui menait tout droit au style symbolique : car quand ce philosophe veut exprimer une pensée morale, voilà qu’une image physique s’offre en même temps à son esprit, donne un corps à son idée abstraite, en devient la formule et l’emblème. […] Newton se comparant dans ses Mémoires à un enfant qui ramasse des coquillages au bord du grand océan de la vérité n’est pas différent de Newton écrivant dans une formule algébrique les mouvements des corps célestes ou les lois de la lumière.
Et, par exemple, je ne vois pas, dans les histoires qu’il a écrites, un mot qu’il n’ait justifié dans sa conduite et dans sa vie : Un prince, disait-il et pensait-il, est le premier serviteur et le premier magistrat de l’État ; il lui doit compte de l’usage qu’il fait des impôts ; il les lève, afin de pouvoir défendre l’État par le moyen des troupes qu’il entretient ; afin de soutenir la dignité dont il est revêtu, de récompenser les services et le mérite, d’établir en quelque sorte un équilibre entre les riches et les obérés, de soulager les malheureux en tout genre et de toute espèce ; afin de mettre de la magnificence en tout ce qui intéresse le corps de l’État en général. […] Ce premier roi de Prusse, par toute sa vie de vaine pompe et d’apparat, disait, sans le savoir, à sa postérité : « J’ai acquis le titre, et j’en suis fier ; c’est à vous de vous en rendre dignes. » Le père de Frédéric, dont son fils, si maltraité par lui, a si admirablement parlé, et dans un sentiment non pas filial, mais vraiment royal et magnanime, ce père grossier, économe, avare, bourreau des siens et idolâtre de la discipline, cet homme de mérite pourtant, qui « avait une âme laborieuse dans un corps robuste », avait rendu à l’État prussien la solidité que l’enflure et la vanité du premier roi lui avaient fait perdre. […] car si l’espèce humaine est si sotte et si digne de mépris, et s’il n’y a rien ni personne en-dessus d’elle, pourquoi s’aller dévouer corps et âme à l’idée de gloire, qui n’est autre que le désir et l’attente de la plus haute estime parmi les hommes ? […] C’était l’âme d’un usurier qui passait tantôt dans le corps d’un militaire, tantôt dans celui d’un négociateur. » Et remarquez que tout cela n’est pas à l’état de portrait comme dans les histoires plus ou moins littéraires, où l’historien se pose devant son modèle : c’est dit en courant, comme par un homme du métier qui pense tout haut et qui cause.
Le chef et le héros de cette haute magistrature au xvie siècle, le premier président Achille de Harlay, dira au duc de Guise qui le venait visiter au lendemain des Barricades, et qui le trouvait se promenant tranquillement dans son jardin : « C’est grand pitié quand le valet chasse le maître ; au reste, mon âme est à Dieu, mon cœur est à mon roi, et mon corps est entre les mains des méchants : qu’on en fasse ce qu’on voudra ! […] Certes, si quelque chose était capable en France de contrebalancer l’impétuosité et l’impatience particulière à la nation, à la noblesse comme au peuple même, de créer à temps ce respect de la loi qui est comme un sens public qui nous manque et qui est aboli en nous, c’était ce corps intègre, tenant un milieu magistral, ce corps de politiques encore croyants, bons chrétiens et catholiques sans être ultramontains, royalistes loyaux et fervents sans être courtisans ni serviles. […] Ainsi me dorlotant de corps et d’esprit…, etc. » Et il continue cette description aimable et souriante dans un style égayé qui tient à la fois de l’Amyot et du Montaigne.
Et il n’en est pas seulement ainsi, selon de Hartmann, des plaisirs et des douleurs qui se rapportent au corps ; ceux de l’esprit offrent le même caractère. […] « L’affaire du cœur, dit avec raison Grant Allen, est simplement de battre, et il est enfermé dans le corps, à l’abri de tout dommage. Tant qu’il bat, il fait bien son œuvre ; mais, quand il commence à être malade ou désintégré, l’animal ne peut, par aucun mouvement volontaire, rien faire pour le réparer. » Le cœur et les portions automatiques du corps, considérées en général, requièrent donc un système presque exclusivement moteur ; les muscles et les organes des sens, au contraire, ont encore besoin d’un système sensitif plus ou moins centralisé, de manière à produire le plaisir et la peine. […] Bien plus, les nerfs cérébro-spinaux et sensibles sont distribués aux principaux organes du corps exactement en proportion de la valeur des avertissements que le plaisir et la peine peuvent, dans chaque cas, donner au cerveau.
Il y a donc dans la science de l’âme un objet et un instrument comme dans la science des corps. […] La science de l’âme, comme la science des corps, est donc capable de progrès. Comme la science des corps, elle est capable de lois. […] Étant donnés l’ascension des ballons, l’élévation de la colonne barométrique, le glissement de l’eau sur les plans inclinés, le physicien ne les explique point par une force d’ascension, par une horreur du vide, par une force d’inclinaison, mais par un fait observable, la chute des corps pesants.
Il a raconté ainsi cet assaut qui manqua, mais qui amena la reddition le lendemain : Rien de plus terrible que l’assaut où j’ai été blessé en passant par un créneau : mes carabiniers me soutenaient en l’air ; d’une main j’embrassais le mur, je parais les pierres avec mon sabre, et tout mon corps était le point de mire de deux retranchements dominant à dix pas. […] Les héros de Lodi, de Millesimo, de Castiglione et de Bassano, sont morts pour leur patrie ou sont à l’hôpital ; il ne reste plus aux corps que leur réputation et leur orgueil. […] On aura peut-être fait courir le bruit que j’y ai succombé avec toutes mes troupes, parce que j’ai interrompu de suite toutes mes communications avec Trente, et que laissant un corps ennemi derrière moi, je me suis jeté au milieu des gorges, à travers une multitude de paysans armés, pour forcer les passages et faire ma jonction avec le général Bonaparte qui est aux portes de Vienne.
La vie sédentaire de l’homme d’étude ; la méditation, exercice le plus contraire à la nature, sont en même temps des sources de maladies particulières ; la stagnation des humeurs en amène l’altération, et le corps se corrompt tandis que l’âme s’épure ; cela est triste. […] L’éducation de nos ancêtres ne précédait guère l’âge de quinze ans ; avant que de s’occuper de la culture de l’esprit ils songeaient à la force du corps. […] La facilité d’entrer dans les écoles publiques, l’ambition des parents, leur avarice qui leur fait préférer à tout apprentissage celui qui ne coûte rien, tire une multitude d’enfants de la profession de leurs pères, de grandes maisons de commerce s’éteignent, d’importantes manufactures tombent ou dégénèrent, des corps de métiers s’appauvrissent, et pourquoi cela ?
L’auteur, homme du monde et d’action, cela se devinait dans son livre, écrit d’une plume fringante comme une cravache, — la cravache qu’il portait aux Gardes du corps dont il eut l’honneur de faire partie, — l’auteur vit son malheur avec le sang-froid d’un homme de talent qui n’ignore pas que le succès ne prouve rien de plus que le succès, — un hasard dans la vie ! […] Voyez ce passage sur Murat : « Murat, à la bataille de Smolensk, commandait un corps de grosse cavalerie. […] Ils excellèrent dans les exercices de corps et dans le maniement des armes, dans la construction des aqueducs, des ponts, des grands chemins, des camps, des machines, des forteresses.
… » comme l’Empereur expirant disait : « Tête de pont, corps d’armée ! […] C’était un esprit et une âme d’un charme robuste, dans un corps qui, bien loin d’être rachitique et malingre, avait le défaut opposé, — l’embonpoint un peu trop développé des Bourbons de ces derniers âges… Dans un portrait où elle s’est sabrée plus qu’elle ne s’y est peinte, elle s’est comparée « à une boule », avec l’insouciance de la force qui fait bon marché de la beauté, et ce feu de gaieté gauloise — car c’est une gauloise, Madame Louise ! […] Sous la soie rose de ces mœurs pompon et pompadour qui s’y étalaient, elle avait, à l’insu des plus fins, glissé la serge de la carmélite, sans que rien en parût moins rose sur son corps et sur son esprit.
Ce fut dans cette attaque que le frère d’Eschyle, Cynégire, eut les bras coupés en étreignant la galère ennemie qu’il mordit ensuite : abordage épique d’un homme et d’un vaisseau se déchirant corps à corps.
Or ce qui fait la difference des esprits, tant que l’ame demeure unie avec le corps, n’est pas moins réel que ce qui fait la difference des voix et des visages. […] Ces organes ne s’alterent que comme les autres parties de notre corps viennent à s’alterer.
Grand, fort, ample, sur un corps déjà alourdi se dressait une tête énergique, aux yeux noirs et vifs, à la drue chevelure blanchie. […] Une robe noire engainait strictement le corps svelte. […] Il se tenait, le corps penché en avant, les jambes bizarrement croisées, tout recroquevillé sur lui-même, la tête baissée et qu’il relevait brusquement. […] Il est de stature moyenne et de corps épais. […] Son pas lourd faisait grincer le gravier et la marche faisait osciller son grand corps paresseux.
THOMAS WHARTON fit avec beaucoup de soin l’anatomie de toutes les glandes du corps. […] Ce sentiment est bien l’expression du besoin général causé par la diminution de quantité des liquides du corps. […] On a ainsi obtenu : (A) une dissolution éthérée du corps gras ; (B) un liquide aqueux débarrassé de corps gras, mais pouvant renfermer de la glycérine. […] Ce corps avait donc été presque entièrement décomposé par l’action du suc pancréatique. […] La salive n’a pas émulsionné la monobutyrine, corps cependant émulsionnable dans l’eau pure.
Que pouvait-il y avoir de commun entre un jeune soldat qui venait d’étouffer la dernière étincelle de liberté représentative dans son pays, et qui méditait déjà la suppression du Tribunat, comme il avait accompli l’asservissement par l’épée du Corps législatif, et le tribun aristocratique et quelquefois démagogique de l’Angleterre, qui avait inoculé par tous ses discours les doctrines et même les anarchies de la Révolution française à son pays ? […] Enfin, après mille manœuvres de ses confidents contrariés par ce qui restait de décorum républicain dans les différents corps représentatifs, la douce violence est opérée, et, après avoir deux fois repoussé la couronne comme César au Cirque, le général Bonaparte passe du titre de premier Consul au titre de Consul à vie, et du titre de consul à vie à la prochaine proclamation de l’empire héréditaire. […] Thiers peint les évolutions des différents corps constitués pour se prêter aux desseins secrets du maître, pour le devancer ou pour revenir sur leurs pas au signe souvent énigmatique de sa physionomie, n’est que l’histoire des bassesses des peuples, égales, hélas ! […] Les divers corps de l’armée française étaient en mouvement, et descendaient de la position qu’ils avaient occupée pendant la nuit, pour traverser le ruisseau qui les séparait des Russes. Mais ils s’arrêtaient dans les fonds, où ils étaient cachés par la brume et retenus par les ordres de l’Empereur jusqu’au moment opportun pour l’attaque. » Le choc des quatre-vingt-deux escadrons russes et autrichiens et les manœuvres de notre propre cavalerie s’ouvrant devant cette masse et se refermant pour la charger en détail ; les combats corps à corps de chacun de nos bataillons contre les bataillons ennemis ; la détonation de notre artillerie entrouvrant de ses boulets la glace des étangs sur lesquels l’infanterie russe s’est accumulée pour mourir de deux morts ; les deux souverains de Russie et d’Autriche fuyant à la fin du jour du champ de bataille, aux cris de Vive l’Empereur !
Qui nous dit que les âmes ne s’engendrent pas intellectuellement comme les corps, et que la dernière goutte d’eau ne participe pas à la corruption de la source ? […] XXVIII « Je lisais dans mon lit, le coude appuyé sur l’oreiller, dans cette voluptueuse nonchalance de corps et d’esprit d’un homme indifférent aux bruits d’une maison étrangère, qu’aucun souci n’attend au réveil, et qui peut user les heures de la matinée sans les compter sous le marteau de l’horloge lointaine qui les sonne aux laboureurs. […] L’âme qui habite ces corps sur lesquels tu pleures est incorruptible, impérissable, incompréhensible comme son auteur. […] Le fer ne peut la diviser, ni le feu la brûler, ni l’eau la corrompre, ni l’air l’altérer… Mais, soit que tu penses qu’elle meurt avec le corps, soit que tu la croies, comme moi, éternelle, ne t’afflige pas : toutes les choses qui ont un commencement ont une fin, et les choses sujettes à la mort doivent avoir un régénérateur. […] « Ceux qui, par les yeux de la sagesse, aperçoivent que le corps et l’esprit sont distincts, et qu’il y a pour l’homme une séparation finale qui l’émancipe de la nature animale, ceux-là entrent par l’intelligence dans l’état des êtres. » Vous voyez que cette sublime philosophie, comme la philosophie du christianisme, ne place pas la perfectibilité indéfinie dans ce monde des sens et de la mort, mais dans le monde supérieur de l’âme et de l’immortalité !
Les lois du mouvement et de la chute des corps, perpendiculaire ou oblique, sont des connaissances préliminaires de la mécanique, science de première utilité. […] (Les lois du mouvement, de la chute des corps et les forces.) […] Le chimiste Becker a dit que les physiciens n’étaient que des animaux stupides qui léchaient la surface des corps, et ce dédain n’est pas tout à fait mal fondé. […] Le professeur en anatomie et physiologie serait obligé de finir son cours par quelques leçons sur l’art de fortifier le corps et de conserver sa santé, et de ne pas oublier la longue liste de souffrances que l’homme intempérant se prépare. […] Traité du mouvement des eaux et autres corps fluides ; Paris, 1686 et 1700.
et n’a pas éprouvé soudain un allégement de l’âme et du corps ? […] On ne peut ainsi les transposer, car en elles rien n’est corps : elles sont un idéal qui sort de l’aine et parle aux âmes ; elles ne sauraient servir à exprimer un autre enthousiasme que celui qui les a fait naître. […] t’élançant par de saints cantiques, assoupis les agitations du corps et fortifie les mouvements de l’être intelligent. […] Sois propice à l’offrande de ces hymnes, en accordant le calme de la vie au chantre qui te les consacre ; suspens pour lui les orages de l’Euripe, et, séchant les flots pernicieux de la matière, détourne les maladies de l’âme et du corps ; assoupis le trouble funeste des passions ; écarte de moi les inconvénients de la richesse et ceux de la pauvreté. […] Fais briller à mon âme une lumière échappée de la source spirituelle ; donne à ma jeunesse la vigueur d’un corps sain et robuste, et la gloire de bien faire.
Et il conte, comme un vrai croyant qu’il est, qu’un de ces missionnaires étant mort à bord d’un petit bâtiment chinois, et son corps ne se décomposant pas, les matelots avaient dit à son compagnon : « Mais il était donc vierge ! […] Le vieux banquier est accompagné de sa fille, une assez jolie fille, à l’air légèrement cocote, et qui est couchée de côté sur la poitrine de son père, dont la large main l’enveloppe et lui caresse le corps, auquel le mouvement de lacet du chemin de fer donne le mouvement d’un corps de femme qui fait l’amour. […] Du reste cette danseuse, une danseuse tout à fait extraordinaire, et qui lorsqu’on l’applaudissait, dans la parfaite immobilité de son corps, avait l’air de vous faire de petits saluts avec son nombril. […] Un débutant du nom de Burguet, remarquable par un jeu tout de nature, fait de gaucherie de corps et de simplicité de la parole. […] Mais alors bientôt sur un roman qui prendra à partie la corporation des huissiers, l’auteur sera poursuivi sur la demande du ministre de la Justice ; sur un roman qui prendra à partie les attachés d’ambassade, l’auteur sera poursuivi à la demande du ministère des Affaires Étrangères ; sur un roman qui prendra à partie les maîtres d’école, l’auteur sera poursuivi à la demande du ministre de l’Instruction publique, etc., et ce sera ainsi pour tout roman, mettant à nu les canailleries d’un corps, car tous les corps de l’État appartiennent à un ministère.
* * * — Tous ces jours-ci, mélancolie vague, découragement, paresse, atonie du corps et de l’esprit. […] Dans ces temps, il y aura des endroits où des philtres vous épanouiront la rate, où avec je ne sais quoi, avec un gaz exhilarant, on vous remplira de gaieté pour quarante centimes, et où des garçons vous verseront par tout le corps une sorte de paix et de joie : une demi-tasse de paradis. […] * * * — Rue Bonaparte, en achetant notre bacchanale enfantine d’Angelo Rossi, on nous montra une terre cuite de Clodion, un bas-relief, haut comme les deux mains, représentant une femme sortant du bain, des parties de corps saillantes en ronde bosse dans le relief d’une médaille. […] Dans ce corps en retraite, tout fuit et s’efface et s’estompe, sauf une jambe qui avance, un genou qui se détache et sort du fond de la terre rose. […] Un corps de fillette étudié d’un bout à l’autre dans la beauté de la jeune fille plus en bouton qu’en fleur, à l’heure des promesses physiques qui éclosent, à l’heure où la forme de la femme dans son accomplissement, garde encore un peu des élancements et des maigreurs adorables de la jeune fille.
Ainsi l’idée de petit corps se retrouve dans presque tous les mots qui signifient aujourd’hui corset 195, comme Brachet l’a constaté ingénieusement, mais sans analyser le phénomène. […] Considérée en son ensemble, vide et dressée comme une armure, la robe se compose de la jupe et du buste ou corps de la jupe : ensuite toutes les femmes ayant la prétention d’être minces, le corps de la jupe196 est devenu par courtoisie un petit corps ou corset et il deviendra sans doute un corselet. […] Corps, pour corset, est resté en usage dans beaucoup de provinces, notamment dans le centre (Glossaire de Jaubert).
Le jour où les poètes ne se considéreront plus que comme des ciseleurs de petites coupes en or faux, où on ne trouvera même pas à boire une seule pensée, la poésie n’aura plus d’elle-même que la forme et l’ombre, le corps sans l’âme : elle sera morte. […] Rendant aux éléments le corps qu’ils ont formé, Selon que son travaille corrompt ou l’épure, Remonte ou redescend du poids de sa nature ! […] Dieu lui dit : « Pourquoi as-tu détruit ton corps ? […] … Marchant à la mort, il meurt à chaque pas Il meurt dans ses amis, dans son fils, dans son père ; Il meurt dans ce qu’il pleure et dans ce qu’il espère ; Et, sans parler du corps qu’il faut ensevelir, Qu’est-ce donc qu’oublier, si ce n’est pas mourir ? […] Eh bien, prions ensemble… Maintenant que vos corps sont réduits en poussière J’irai m’agenouiller pour vous, sur vos tombeaux.
Le traité de Westphalie donna à l’empire germanique une constitution très-compliquée ; mais cette constitution, en divisant ce corps immense en une foule de petites souverainetés particulières, valut à la nation allemande, à quelques exceptions près, un siècle et demi de liberté civile et d’administration douce et modérée. […] Au commencement et jusqu’au milieu du xviie siècle, au contraire, on a vu des hommes, sans autre mission que le sentiment de leurs talents et de leur courage, tenir à leur solde des corps de troupes, réunir autour de leurs étendards particuliers des guerriers qu’ils dominaient par le seul ascendant de leur génie personnel, et tantôt se vendre avec leur petite armée aux souverains qui les achetaient, tantôt essayer, le fer en main, de devenir souverains eux-mêmes. […] Il serait impossible de transporter sur notre théâtre cette singulière production du génie, de l’exactitude, et je dirai même de l’érudition allemande ; car il a fallu de l’érudition pour rassembler en un corps tous les traits qui distinguaient les armées du xviie siècle, et qui ne conviennent plus à aucune armée moderne. […] Néanmoins ces maximes générales exprimées par le peuple, et qui prenaient plus de vérité et plus de chaleur, parce qu’elles lui paraissaient suggérées par la conduite de ses chefs et par les malheurs qui rejaillissaient sur lui-même ; cette opinion publique, personnifiée en quelque sorte, et qui allait chercher au fond de mon cœur mes propres pensées, pour me les présenter avec plus de précision, d’élégance et de force ; cette pénétration de poëte, qui devinait ce que je devais sentir, et donnait un corps à ce qui n’était en moi qu’une rêverie vague et indéterminée, me firent éprouver un genre de satisfaction dont je n’avais pas encore eu l’idée. […] C’est pour cette raison que je lui ai donné une teinte religieuse, et que j’ai voulu qu’elle cherchât un asile aux pieds de son Dieu, au lieu de se tuer sur le corps de son amant ou de son père, ce qui ne m’aurait pas coûté un grand effort d’invention ; mais la violence du suicide m’aurait semblé déranger l’harmonie qui doit être dans son caractère.
En un mot, nous demandons aux écrivains la comédie totale, corps et âmes. […] Évolution heureuse, et qui nous rappelle cette vérité, parfois méconnue, que les hommes ne sont pas seulement des esprits songeurs et des âmes repliées, mais des âmes pensantes dans des corps agissants, enveloppés les uns et les autres par l’humanité vivante et par la nature. […] Le dehors, comme il vit et qu’il figure encore, on sait comme il est fait pour le corps : des pieds, des mains, une corpulence de paysan et la pesanteur de sa marche, promettaient la taille où il est parvenu. […] Un tel corps n’est pas la prison de l’âme, il en est le simulacre fidèle. […] « Ni gesticulations, ni cris, ni horreurs, ni trop de larmes… Le Christ est une des plus élégantes figures que Rubens ait imaginées pour peindre un Dieu… Vous n’avez pas oublié l’effet de ce grand corps un peu déhanché, dont la petite tête, maigre et fine, est tombée de côté, si livide et si parfaitement limpide en sa pâleur, ni crispé, ni grimaçant, d’où toute douleur a disparu, et qui descend avec tant de béatitude, pour s’y reposer un moment, dans les étranges beautés de la mort des justes.
En d’autres termes, il n’y a pas de corps, mais seulement des faisceaux d’événements psychologiques, présents ou futurs. […] Acceptons-les comme la rançon nécessaire de cette fantaisie, de ces saillies, de ces éclairs, de ce diable au corps. […] Les corps, — la science nous l’apprend, — se revêtent à nos yeux de couleurs apparentes, purs phénomènes subjectifs. […] Et c’est autrement poignant, et ce corps à corps, dont on suit les alternatives, avec un ennemi concret, individuel, si j’ose dire, émeut d’autre façon que les plus puissantes généralités. […] L’intendant et le corps des officiers des dragons de Piémont y assistent, mais non leurs femmes.
Qui ne ressentira un divin plaisir en ce corps mortel, lorsque nous contemplerons ce monde des nations, si varié de caractères, de temps et de lieux, dans l’uniformité des idées divines ? […] Ils firent de toute la nature un vaste corps animé, passionné comme eux. […] Aussi ne vous y trompez pas ; vous voyez une foule de corps, mais si vous cherchez des âmes humaines, la solitude est profonde ; ce ne sont plus que des bêtes sauvages. […] La confrérie de Sainte-Sophie, à laquelle tenait Vico, devait porter le corps. […] « Le destin s’est armé contre un misérable, a réuni sur lui seul tous les maux qu’il partage entre les autres hommes, et a abreuvé son corps et ses sens des plus cruels poisons.
Et comme il savait que pour l’amuser il fallait des contes un peu bouffons ou des nouvelles littéraires, il ne manqua pas de l’entretenir de la petite assemblée ; il lui en donna si bonne idée que Richelieu conçut à l’instant le dessein de l’adopter, de la constituer en corps et de s’en servir pour la décoration littéraire du règne. […] L’histoire de l’Académie, telle que je la conçois aujourd’hui, en tant qu’histoire du corps, est assez difficile à faire, faute de documents particuliers suffisants ; je ne la crois pourtant pas impossible. […] Par cela seul que l’ancienne et première école des Chapelain, des Des Maretz, vécut son cours de nature et se prolongea dans ses choix, Boileau ne fut jamais complètement chez lui à l’Académie ; il ne fut jamais content d’elle ; il n’avait guère que des épigrammes quand il en parlait ; il était presque de l’avis de Mme de Maintenon, à qui l’on reprochait de ne pas la regarder « comme un corps sérieux43 ». […] Car en France, notez-le bien, on ne veut pas surtout s’amuser et se plaire à un ouvrage d’art ou d’esprit, ou en être touché, on veut savoir si l’on a eu droit de s’amuser et d’applaudir, et d’être ému ; on a peur de s’être compromis, d’avoir fait une chose ridicule ; on se retourne, on interroge son voisin ; on aime à rencontrer une autorité, à avoir quelqu’un à qui l’on puisse s’adresser dans son doute, un homme ou un corps.
Il a des mots écrasants pour les financiers, dont le corps, fait-il dire à son Persan, se recrute parmi celui des laquais. […] Le climat ne peut influer sur les âmes que s’il influe d’abord sur les corps, et si les corps transmettent toutes les influences aux âmes : donc la théorie des climats suppose une liaison nécessaire des faits physiques et des faits moraux, et conduit à mettre la pure psychologie des penseurs classiques sous la dépendance de la physiologie. […] Elle ne passera dans l’Esprit des Lois que mutilée, rétrécie, presque faussée : car Montesquieu, supprimant à peu près les intermédiaires réels et vivants, l’homme, son âme, son corps, relie les lois humaines aux causes naturelles par un rapport direct et en quelque sorte artificiel ; il ne s’attache qu’à présenter abstraitement le tableau des dépendances réciproques et des variations simultanées qu’il a constatées entre les climats et les institutions.
Les dieux détruiront leur corps, et la terre des Pélasges les recouvrira. […] N’approchez pas de trop près ces personnages qui semblent avoir corps et figure ; leur apparence humaine, déjà si fragile, ne résisterait pas au premier contact. […] Comme tous les mythes naturels, celui-ci prit corps. […] Des robes lacérées et des flancs meurtris, des têtes tirées à la renverse par leurs chevelures, des corps convulsifs qui retombent, pliés en deux sur des échines de bourreau, c’est le spectacle qu’on entrevoit à travers les cris des victimes que notent des onomatopées déchirantes — ’Ο, ο, ο, Α, α, α !
Mais les Mémoires de Saint-Simon sont venus, et ils ont offert des mérites d’ampleur, d’étendue, de liaison, des qualités d’expression et de couleur, qui en font le plus grand et le plus précieux corps de mémoires jusqu’ici existant. […] Le grand moraliste La Rochefoucauld a défini la gravité de certaines gens, « un mystère du corps inventé pour cacher les défauts de l’esprit ». […] D’autres affectent la gravité et l’immobilité, pour dissimuler leur peu de douleur ; ils ont peur de se trahir par leurs mouvements trop vifs et trop dégagés : Mais leurs yeux suppléaient au peu d’agitation de leur corps. […] Quant à Saint-Simon, qui tâche de ne point paraître du secret, et de faire le modéré et le modeste dans le triomphe, il faut l’entendre se dépeindre lui-même et nous confesser l’ivresse presque sensuelle de sa joie : Contenu de la sorte, dit-il, attentif à dévorer l’air de tous, présent à tout et à moi-même, immobile, collé sur mon siège, compassé de tout mon corps, pénétré de tout ce que la joie peut imprimer de plus sensible et de plus vif, du trouble le plus charmant, d’une jouissance la plus démesurément et la plus persévéramment souhaitée, je suais d’angoisse de la captivité de mon transport, et cette angoisse même était d’une volupté que je n’ai jamais ressentie ni devant ni depuis ce beau jour.
La domination de Richelieu avait été si forte et si absolue, la prostration qui en était résultée dans tout le corps politique avait été telle, qu’il n’avait pas fallu moins de quatre ou cinq ans pour que la réaction commençât à se faire sentir, pour que les organes publics qu’il avait opprimés reprissent leur ressort et cherchassent à se réparer ; et encore ils ne le firent, comme il arrive d’ordinaire, qu’à l’occasion de mesures toutes particulières qui les irritaient personnellement. […] On dirait d’un médecin curieux qui décrit avec amour la maladie, cette maladie qu’il a toujours le plus désiré voir de près ; évidemment il aime mieux la voir que la guérir : Il paraît un peu de sentiment, dit-il en parlant du corps abattu de l’État, une lueur ou plutôt une étincelle de vie ; et ce signe de vie, dans les commencements presque imperceptible, ne se donne point par Monsieur, il ne se donne point par M. le Prince, il ne se donne point par les grands du royaume, il ne se donne point par les provinces ; il se donne par le Parlement, qui, jusqu’à notre siècle, n’avait jamais commencé de révolution, et qui certainement aurait condamné par des arrêts sanglants celle qu’il faisait lui-même, si tout autre que lui l’eût commencée. […] Retz, qui, pour nous aujourd’hui, parce que nous savons sa vie et ses confessions, paraît un ecclésiastique des plus scandaleux, ne semblait pas tel de son vivant à ceux de son corps et à son troupeau. […] Voulant donc convaincre le prince de Condé qu’il y a un grand et incomparable rôle à jouer dans cette crise entre la magistrature et la Cour, voulant tempérer son impatience et ses colères à l’égard du Parlement, et lui prouver qu’on peut arriver moyennant un peu d’adresse, quand on est prince du sang et vainqueur comme il l’est, à manier et à gouverner insensiblement ce grand corps, Retz, dans un discours qu’il lui tient à l’hôtel de Condé (décembre 1648), s’élève aux plus hautes vues de la politique, à celles qui devancent les temps, et à la fois il touche à ce qui était pratique alors.
Au contraire, les partis anglais furent toujours des corps compacts et vivants, liés par des intérêts d’argent, de rang et de conscience, ne prenant les théories que pour drapeau ou pour appoint, sortes d’États secondaires qui, comme jadis les deux ordres de Rome, essayaient légalement d’accaparer l’État. […] Qu’est-ce que la beauté, puisque le plus beau corps regardé avec des yeux perçants paraît horrible ? […] Pour expliquer, interpréter et appliquer les lois, on choisit ceux dont le talent et l’intérêt consistent à les pervertir, à les brouiller et à les éluder. » Un noble est un misérable pourri de corps et d’âme, ayant ramassé en lui toutes les maladies et tous les vices que lui ont transmis dix générations de débauchés et de drôles. […] Leur corps était singulier et difforme, leurs têtes et leurs poitrines étaient couvertes d’un poil épais, quelquefois frisé, d’autres fois plat ; ils avaient des barbes comme les chèvres et une longue bande de poil tout le long de leurs dos et sur le devant de leurs pieds et de leurs jambes ; mais le reste du corps était nu1014, … de sorte que je pus voir leur peau, qui était d’un brun tanné ; ils grimpaient au haut des arbres aussi agilement que des écureuils, car ils avaient aux pieds de devant et de derrière de fortes griffes étendues, terminées en pointes aiguës et crochues. Les femelles avaient de longs cheveux plats sur la tête, mais non sur la figure, ni rien sur tout le reste du corps qu’une sorte de duvet.
Que les gens du siècle et les philosophes, et les chrétiens dissidents, ne s’étonnent pas trop de retrouver le clergé français si puissant : un tel corps ne s’écrase pas aisément, il renaît bien des fois ; c’est déjà beaucoup que ce clergé et les intérêts d’ambition encore plus que de conscience qu’il représente, ne soient plus qu’à l’état de parti. […] Le sentiment moral inspire peu les gros bonnets, les chefs, et tout le corps s’en ressent.
En somme, la nomination de M. de Lamartine est une précieuse conquête de l’opinion publique sur l’esprit de notre premier Corps littéraire. […] Il y a pourtant dans les Corps une lenteur de progrès et une tendance aux rechutes, dont il faut se défier.
C’est par de la distraction qu’il faut d’abord essayer d’affaiblir une grande passion ; il ne faut pas commencer la lutte par un combat corps à corps, et avant de se hasarder à vivre seul, il faut avoir déjà agi sur soi-même.
Mais vous savez que sous chacun de ces points sombres ou bigarrés il y a un corps vivant, des membres actifs, une savante économie d’organes, une tête pensante, conduite par quelque projet ou désir intérieur, bref une personne humaine. […] Lorsque j’entends prononcer ce mot : lord Palmerston, ou que je lis les quatorze lettres qui le composent, il se forme en moi une image, celle du grand corps sec et solide, vêtu de noir, au sourire flegmatique, que j’ai vu au Parlement.
On est ravi de découvrir ce qu’il y peut avoir à redire ; et, pour tomber dans l’exemple, il y avait l’autre jours des femmes à cette comédie, vis-à-vis de la loge où nous étions, qui, par les mines qu’elles affectèrent durant toute la pièce, leurs détournements de tête, et leurs cachements de visage, firent dire de tous côtés cent sottises de leur conduite, que l’on n’aurait pas dites sans cela ; et quelqu’un même des laquais cria tout haut, qu’elles étaient plus chastes des oreilles que de tout le reste du corps 59. » L’autorité que je reconnais à Molière ne m’empêchera pas de dire qu’il y a peu de bonne foi à reprocher aux critiques d’avoir donné un sens criminel aux plus innocentes paroles et de s’offenser de l’ombre des choses. […] Que plusieurs des femmes scandalisées eussent les oreilles plus chastes que leur corps, cela ne justifierait pas la scène dont il s’agit.
Quand l’âme est dans le ciel, le corps ne sent point la pesanteur des chaînes : elle emporte avec soi tout l’homme ! […] C’est du prêtre de Carthage que Bossuet a emprunté ce passage si terrible et si admiré : « Notre chair change bientôt de nature, notre corps prend un autre nom ; même celui de cadavre, dit Tertullien, parce qu’il nous montre encore quelque forme humaine, ne lui demeure pas longtemps ; il devient un je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue 187 : tant il est vrai que tout meurt en lui, jusqu’à ces termes funèbres par lesquels on exprime ses malheureux restes !
Si le corps, dit-il, n’est pas chargé de chairs dans l’enfance, il ne sçauroit être bien fait dans l’âge viril. […] Mais cette raison prématurée, ne vient que du peu de vigueur de leur esprit : ils se portent bien, plûtôt parce qu’ils n’ont pas de mauvaises humeurs, que parce qu’ils ont un corps robuste.
Seulement, aristocrates tout au fond de leur pensée, quelques-uns d’entre eux espèrent, ou semblent espérer, qu’avant l’avènement de la démocratie, d’autres corps aristocratiques pourront s’élever, prendre corps, consistance et racines. […] Vous ne gagnez qu’une chance de conflit. — L’erreur est de croire que les corps de l’État sont des corps ; ce sont des membres. Les constituer à l’état de corps, c’est par définition briser l’unité et établir la lutte. […] De corps et d’âme, il est le contre-pied des hommes qu’il combat. […] Et ce corps si puissant est-il une caste ?
Si je suis dans un lieu obscur, je n’ai pas la vision oculaire, ou la connaissance par la vue de l’existence des corps qui sont près de moi, pas même de mon propre corps ; et sous ce rapport ces êtres sont à mon égard comme s’ils n’étaient pas. […] « Ce corps (car il n’en faut qu’un) chargé de l’éducation publique, ne peut pas être un corps purement séculier ; car où serait le lien qui en assurerait la perpétuité, et par conséquent, l’uniformité ? […] Il faut donc un corps qui ne puisse se dissoudre ; un corps où des hommes fassent, à une règle commune, le sacrifice de leurs opinions personnelles ; à une richesse commune, le sacrifice de leur cupidité personnelle ; à la famille commune de l’état, le sacrifice de leurs familles personnelles. […] Dans les plaisirs du corps on retrouve ceux de l’âme, et dans les plaisirs de l’âme on retrouve ceux du corps. Le corps exige, dans les objets de ses penchants, quelques traces de ce beau ou de ce bon, sujet de l’éternel amour de l’âme.
Lorsque Ulysse, après avoir tiré vengeance des prétendants et avoir reconquis son palais, veut se faire reconnaître de Pénélope, l’intendante Eurynome le met au bain et le parfume ; puis, au sortir de là, Minerve le revêt de toute sa beauté première et même d’un éclat tout nouveau ; elle le fait paraître plus grand de taille, plus puissant encore d’attitude ; elle répand autour de sa tête, par boucles épaisses, sa chevelure semblable à une fleur d’hyacinthe : « Et comme lorsqu’un artiste habile, que Vulcain et Minerve ont instruit dans la variété de leurs arts, verse l’or autour de l’argent et accomplit ses œuvres gracieuses, ainsi elle verse la grâce autour de la tête et des épaules du héros, et il sort du bain tout pareil de corps aux Immortels… » Certes l’habile critique Aristarque, si bien enseigné qu’il fût par Minerve, n’en a pas tant fait pour son poëte ; il n’a pas ajouté la couche d’or, il n’a pas rehaussé l’Homère qui lui était transmis ; mais il l’a lavé de ses taches, il lui a enlevé la rouille injurieuse des âges et a dissimulé sans doute quelque cicatrice ; il l’a fait, en un mot, sortir du bain avec toute sa chevelure auguste et odorante, ambrosiæque comæ : c’est tel à jamais que nous le reconnaissons. […] Au cinquième chant, par exemple, le chef des Paphlagoniens Pylæmenès a été tué, et l’on retrouve au chant treizième un guerrier du même nom suivant tout en pleurs le corps de son fils. […] En un endroit, lorsqu’elle apprend brusquement à Mars la mort de son fils chéri Ascalaphus, le dieu terrible dans l’accès de sa douleur se met à frapper violemment ses deux florissantes cuisses de la paume de ses mains : le traducteur met simplement qu’il se frappe le corps de ses mains divines ; il oublie que cette forme expressive de désespoir s’est conservée fidèlement jusque chez les Grecs modernes.
D’un côté : « … Ces maladies, dit Xavier Aubryet, qui, malheureusement peut-être pour leurs victimes, avivent plutôt qu’elles n’éteignent le foyer de la pensée, comme si le corps en se consumant fournissait plus d’aliments à la flamme intellectuelle. »45 Cette lucidité volontiers s’extériorise, devenant pour le patient sujet délicat et favori de conversation. […] Il sortait de ces rêveries anéanti, brisé, presque moribond. » Cauchemars, insomnie : « Il craignit de s’endormir… il resta étendu sur son lit des heures entières, tantôt dans de persistantes insomnies et de fiévreuses agitations, tantôt dans d’abominables rêves que rompaient des sursauts d’homme perdant pied, dégringolant du haut en bas d’un escalier, dévalant sans pouvoir se retenir au fond d’un gouffre. » « Les couvertures le gênaient, il étouffait sous les draps et il avait des fourmillements par tout le corps, des cuissons de sang, des piqûres de puces le long des jambes. » Troubles de la sensibilité. — Hallucinations de l’odorat : « Sa chambre embauma la frangipane ; il vérifia si un flacon ne traînait pas débouché, il n’y avait pas de flacon dans la pièce ; il passa dans son cabinet de travail, dans sa salle à manger, l’odeur persista. » Puis, à la suite de la symphonie olfactive, « à nouveau la frangipane dont son odorat avait perçu les éléments… assaillit ses narines excédées, ébranlant encore ses nerfs rompus… » Perversions du goût : Il a le désir d’une « immonde tartine » mâchée par un « sordide gamin ». […] Devant le succès de cette méthode — apanage des esprits malades ou des corps débiles — il arriva ceci : que loin de chérir l’équilibre et la force, on se prit à aimer leurs contraires.
Villon aperçoit dans le monde l’universelle souveraineté de la mort : Mon père est mort, Dieu en ait l’âme ; Quand est du corps, il gît sous l’âme (cercueil). […] Tels sont tous les principes de l’alchimie, de la magie, de l’astrologie, où l’on réduit en un corps de science des faits imaginaires : les formules de transmutation des métaux, d’envoûtement, de calcul de l’horoscope, supposent des expériences qui n’ont jamais pu être faites, et sont fondées sur dépurés chimères et de constantes illusions. […] « Le portrait qu’il trace du Français, de corps chétif, sans vigueur musculaire, incapable d’avoir des enfants, ignorant l’orthographe (t la géographie, hors d’état d’apprendre une langue étrangère, libre penseur sans avoir jamais pensé, ne songeant qu’à être décoré d’un ordre quelconque et à émarger au budget, dépaysé quand il a dépassé le boulevard des Italiens, hostile au gouvernement et acceptant servilement tous les régimes, incapable de comprendre ni les mathématiques, ni le jeu d’échecs, ni la comptabilité ; ce portrait, dis-je, est une vraie caricature.
» Au quatrième acte et au dernier, c’est l’émulation pour souffrir ; entendez pour souffrir dans son corps, et quelles tortures ! […] Elle serait petite, faible de corps, plutôt laide, comme il semble qu’elle ait été dans la réalité. […] Quand les cieux auront passé… quand les éléments embrasés auront été dissous… vous, les pauvres… vous ressusciterez en vos corps glorieux, et vous jouirez d’une félicité infinie. » Alors Faustus (remarquez que ce qu’il vient d’entendre est tout ce qu’il connaît du christianisme,) : — « Voilà ce que ton Dieu promet ?
Lorsqu’ils enfermaient le corps dans le sépulcre, les Anciens croyaient aussi y déposer l’âme. […] S’il résistait aux ordres du Dieu, il tomberait sous le coup de peines effroyables. — « Loxias disait que la lèpre rongerait mon corps de ses dents féroces, qu’elle dévorerait sa vigueur et blanchirait les poils de ma chair. […] Les meurtriers sont couchés à la place où leurs victimes étaient étendues ; la femme qui se dressait sur le corps du père gît terrassée aux pieds de son fils.
Parmi les artisans il y a des habitudes de corps, des physionomies de boutiques et d’ateliers. […] Mais il suffit de savoir que tous les corps et tous les aspects d’un corps ne sont pas également beaux : voilà pour les formes.
J’aurai soin de m’éclaircir de la chose, et je vous en manderai le détail7. » Ménage, dont les lumières eussent été si utiles à l’Académie, et à qui elle préféra Bergeret, écrivit dans ses Anas (tome 1er, p. 97) : « L’Académie tout entière a été sacrifiée à la passion de quelques uns de son corps. […] Nous avons vu déjà comment, jusqu’à nos jours, l’Académie a persisté à ne voir dans l’auteur du Dictionnaire universel qu’un misérable voleur : tant est vivace et profonde la haine des corps constitués ! […] Le Carpenteriana corrobore sur ce point le témoignage de Ménage : « Je ne crois pas faire grand tort au corps entier de l’Académie en m’attribuant l’épître et la préface de son Dictionnaire, puisque j’en suis l’auteur.
L’enfant sentit dans son corps le tragique de la vie, et qu’il faut parfois la payer cher. […] Pour un Genevois qui pense et qui écrit, ce problème se pose : serai-je une âme adaptée à mon corps, ou une âme libérée de mon corps ? […] Le rendez-vous est organisé par Philine, presque au corps défendant d’Amiel. […] Je vous appartiens corps et âme, cœur et volonté. […] Méconnaître ce corps de l’œuvre, on l’attend d’autant moins de Valéry que nul n’a mieux revendiqué la place du corps et l’exigence de la précision. « Ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, dit-il, c’est sa peau. » Qu’est-ce qu’une œuvre, sinon un extérieur, une peau, la peau sociale, notre peau qui est pour autrui autant que pour nous, qui n’est pour nous qu’en étant pour autrui, pour autrui qu’en étant pour nous ?
Les Françaises valsent, le corps tout droit, tandis que les Hollandaises et les autres femmes des pays du patinage, valsent avec ce penchement, cette courbe en dehors d’un corps courant sur la glace. […] Il y a chez ce cher garçon, une activité, une vivacité, une alacrité de l’intelligence qui charme et enfièvre : les idées chez lui, dans leur succession, ont quelque chose de la rapidité des mouvements d’un corps agile. […] Et mes yeux ont gardé de ma chère parente, le souvenir de loin, comme dit le peuple, le souvenir de ses cheveux bouffant en nimbe, de son front bombé et nacré, de ses yeux profonds et vagues dans leur cernure, de ses traits à fines arêtes, auxquels la phtisie fit garder, toute sa vie, la minceur de la jeunesse, du néant de sa poitrine dans l’étoffe qui l’enveloppait, en flottant, des lignes austères de son corps ; — enfin de sa beauté spirituelle, que, dans mon roman, j’ai battue et brouillée avec la beauté psychique de Mme Berthelot. […] Le peintre, qui avait donné des leçons à la jeune fille, l’a représentée mariée, en la mignonnesse de sa jolie figure, de son élégant corps, tournant le dos à un clavecin, sur lequel, par derrière, une de ses mains cherche un accord, tandis que l’autre main tient une orange, aux trois petites feuilles vertes : un rappel sans doute de son séjour en Italie, et de la carrière diplomatique en ce pays, du père de ma tante. […] Mercredi 19 octobre Déjeuner chez Jean Lorrain, avec un jeune officier faisant partie du corps d’occupation du Tonkin.
Il en est de même quand nous écrivons : il n’y a pas d’écriture sans parole ; la parole dicte, la main obéit ; or, la plupart du temps, quand nous écrivons, il n’y a d’autre bruit perçu que celui de la plume qui court sur le papier ; la parole qui dicte ne s’entend pas ; elle est réelle pourtant ; mais le bruit qu’elle fait, ce n’est pas l’oreille qui l’entend, c’est la conscience qui le connaît ; il n’agite pas l’air qui nous entoure, il reste immobile en nous ; ce n’est pas la vibration d’un corps, c’est un mode de moi-même. […] Sans doute, les enfants « ont des images avant d’avoir des idées35 », et le langage visible se développe avant le langage des sons ; sans doute aussi, puisque « la vue est le sens de l’imagination et des corps, l’ouïe celui de l’entendement et des idées36 » les sourds-muets « ne pensent que par images » et « n’ont point d’idées37 » ; les aveugles n’ont point d’images, ne pensent que des idées, au moyen de la seule parole intérieure, et ne peuvent arriver à bien connaître les corps38 ; mais l’homme adulte et pourvu de tous ses sens, « sain d’esprit et de corps » possède un double langage intérieur, qui devient simple lorsque sa pensée se détache des objets sensibles et particuliers pour s’élever jusqu’aux idées. […] Thomas D’Aquin cite Aristote (De Anima, III, 13, 429a1 : « le Philosophe affirme : ‘l’âme ne perçoit intellectuellement rien sans image’« et poursuit (passage cité par Egger) : « Notre intelligence, selon l’état de la vie présente où elle est unie à un corps passible, ne peut passer à l’acte sans recourir aux images. »[, passage mal traduit par le P. […] Les aveugles-nés seraient des anges, de purs esprits. — Quant aux sourds-muets, leur langage, une fois établi, vaut le nôtre et exprime les mêmes idées ; il est seulement moins commode : car il n’est pas perçu dans toutes les positions du corps, le travail manuel l’interrompt, l’obscurité le supprime ; puis les sourds-muets forment une petite société dans la grande, à peu près comme les Juifs au moyen âge et les bohémiens aujourd’hui. […] VIII, p. 191 ; d’après ces deux derniers passages, le corps serait l’agent du développement et de la différenciation des langues ; ailleurs (Recherches, ch.