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1002. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

Rois et princes briguaient sa main, mais son humilité était si grande, qu’elle refusait toujours les prétendants. […] Un homme souffrant, le roi Amfortas, domine tout, de sa figure pâle, où le mal laisse cependant régner encore une sorte de calme résigné ; Gurnemanz, enfin, le vieux compagnon de Titurel, représente l’ancien temps de splendeur guerrière, par sa rudesse tempérée de douceur grave et paternelle quand il appuie sa main sur les cheveux blonds du jeune écuyer, qui le regarde de ses yeux candides. […] Le miracle se manifeste par les mains de Parsifal : tout reprend la pureté primitive, et le rideau, se refermant peu à peu, nous cache cette masse agenouillée et ne nous laisse plus voir que la silhouette de l’homme pur et saint qui lève le Gral dans la lumière ! […] Quand la plainte d’Amfortas atteint sa plus grande intensité, il porte la main à son cœur28, comme s’il venait d’y recevoir une nouvelle blessure, puis reste sans mouvement. […] Quand il se relève et va vers le vieillard, il a un geste de douce amitié en lui tendant les mains.

1003. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1876 » pp. 252-303

L’auteur des quarante éditions de Monsieur, Madame et Bébé, est un homme court, aux mains grasses, ayant sur la figure, quand il parle, de la nervosité de Fromentin. […] Tous deux ont une voix douce et musicale, des pieds d’une petitesse exquise, des mains douées pour prendre les choses, de la préhension délicatement tâtonnante des singes. […] Dans un moment où ils étaient seuls, le gendarme, étendant la main vers les reliures en bois et les reliures en peau de truie des antiques manuscrits des vieux siècles, dit à Renan : « Monsieur, tous ces ouvrages, je pense, sont les livres couronnés par l’Académie ?  […] L’homme sort de sa petite voiture, se met sur ses jambes artificielles, embrasse les mains de Lachaud, s’écrie qu’il lui doit sa fortune, que sa femme après lui aura de quoi vivre, que ses enfants seront heureux : un vrai discours, prononcé moitié pleurant. […] Et je me rappelle dans ce temps, où l’on ne se servait pas de verre mousseline, il buvait son bordeaux dans un verre qu’aurait brisé, en le touchant, une main grossière.

1004. (1888) Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes « Petit glossaire »

— Espée bastarde, c’était celle qui pouvait servir à une main et à deux. […] Les harpes sont éclatées, les harpes, hymnaires Aux louanges des mains morbides de la lente souveraine. […] Les cloches, leur battant des mains S’étourdissent en jeunes gammes Hymniclames ! […] Ni la rancune d’avoir été docilement plastique sous des mains adorantes, sous des mains impérieuses. […] Ses mains qu’elle tend comme pour des théurgies.

1005. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

Le dernier des classiques donnait le premier les mains avec une joie généreuse à la consécration de la Muse enhardie, et lui-même il s’éclairait du triomphe. […] Les volumes même ont été vus alors tout imprimés entre ses mains ; mais un scrupule le saisit : il les retint, puis les fit détruire. […] De longue main, Eschyle, dans ses Perses, y a pourvu : c’est lui qui a fait là, une fois pour toutes, l’épopée de Salamine. […] C’est comme une figure grecque, à lignes extrêmement simples, une virginale esquisse de la Vénusté ou de la Pudeur, à peine tracée dans l’agate par la main de Pyrgotèle. […] Arnault, conseiller de l’Université et à la fois secrétaire du Conseil, fut à même de desservir de très-près le Grand-Maître et de prêter secours sous main à la résistance de Fourcroy.

1006. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIIe entretien. Balzac et ses œuvres (3e partie) » pp. 433-527

Ainsi ferez-vous, vous qui tenez ce livre d’une main blanche, vous qui vous enfoncez dans un moelleux fauteuil en vous disant : Peut-être ceci va-t-il m’amuser. […] Poiret, vieillard plus semblable à une ombre, dont la canne à pomme d’ivoire jauni dans sa main soutenait mal les jambes grêles chaussées de bas bleus. […] Le livre tombe des mains honnêtes. […] La première fois que, dupe d’un sentiment généreux, j’avançai la main pour accepter la friandise tant souhaitée qui me fut offerte d’un air hypocrite, mon mystificateur retira sa tartine aux rires des camarades prévenus de ce dénouement. […] Ses bras étaient beaux, sa main aux doigts recourbés était longue, et, comme dans les statues antiques, la chair dépassait ses ongles à fines côtes.

1007. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

Voilà ce qu’il avait rêvé de faire, il y a cent vingt ans, les mains dans ses poches. […] Je me jetai aux genoux de madame Ives ; je couvris ses mains de mes baisers et de mes larmes. […] Elle rentre dans ses huttes, laissant René aux mains de l’ennemi. […] Il fait un étalage d’érudition inutile et assommante, et qui, encore, est de troisième main. […] Sa grandeur n’est venue que des forces immenses que nous lui remîmes entre les mains lors de son élévation.

1008. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

Je ne le reçois pas directement, de la main à la main. […] Le reste est entre tes mains. […] Lorsque Péponet est ruiné, il demande la main de la jeune fille. […] Il la voit triste, il la croit sage ; il lui demande sa main. […] La petite fille offre rageusement sa main à Chambreuil, qui l’accepte.

1009. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Même il lui offre incontinent la main de sa fille avec cent mille écus de dot. […] Et Pia, elle-même, le considère comme tel, pourvu qu’il s’accomplisse par d’autres mains que celles de son fils. […] Voici un reçu signé de ma main. […] Mélisande a les mains brûlantes : « On dirait que mes mains sont malades aujourd’hui ». […] Mes deux mains ne peuvent plus les tenir ; il y en a jusque sur les branches du saule… Ils vivent comme des oiseaux dans mes mains… et ils m’aiment, ils m’aiment plus que toi ! 

1010. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Jules Sandeau » pp. 322-326

Du trait dans la conversation, des pointes à tout propos, quelque chose de vif et de sémillant dans son bon temps ; avoir sur chaque sujet de passage une provision de bons mots plus ou moins préparés, comme on a des pastilles dans une bonbonnière d’écaille qu’on fait circuler aux mains des dames ; ne voir guère dans tout ce qui est sur le tapis, même dans ce qui est sérieux, que prétexte à paillettes et à étincelles ; ne jamais sortir d’un salon sans assurer et signaler sa sortie par un dernier petit trait qu’on lance en fuyant : tel était, tel nous vîmes pendant des années ce galant homme, homme d’esprit assurément, mais des plus précieux et non pas médiocrement frivole. […] On se sent aux mains d’un esprit supérieur qui vous conduit.

1011. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame du Hausset, femme de chambre de madame de Pompadour. »

Celle-ci finit par sourire et baisa les mains du roi. […] Partout, autour d’eux, retentissaient des craintes confuses, a Ce royaume est « bien mal », disait un jour Mirabeau père, chez Quesnay, médecin du roi et de la favorite ; « il n’y a ni sentiments généreux ni argent. » —  « Il ne peut être régénéré, reprit La Rivière, que par une conquête comme  à la Chine, ou par un grand bouleversement intérieur ; mais malheur à ceux qui s’y trouveront, le peuple français n’y va pas de main morte ! 

1012. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — J — Jammes, Francis (1868-1938) »

Et les quelques mots écrits à la main sur l’exemplaire que j’ai sous les yeux sont d’une graphologie de petite écolière maladroite. […] Il vit comme cela, pion dans une boite, et passe parfois sur son front sa main moite… [Mercure de France (1893).]

1013. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Méry »

En mettant la main sur cette chaude histoire de Constantinople pour nous essuyer de cet allemand, nous avons senti l’électricité nous reprendre. […] On sent que son catholicisme n’est pas un simple effet de coloris, mais une réflexion de son esprit devant l’Histoire, qui va donner à un talent jusqu’ici plus étincelant que profond la dernière main : la Profondeur.

1014. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre I. De l’évolution de la vie. Mécanisme et finalité »

Si je lève la main de A en B, ce mouvement m’apparaît à la fois sous deux aspects. […] Plus précisément, oeil à l’acte simple par lequel nous levons la main. Mais nous avons supposé que la main ne rencontrait aucune résistance. […] A un certain moment, ma main aura épuisé son effort, et, à ce moment précis, les grains de limaille se seront juxtaposés et coordonnés en une forme déterminée, celle même de la main qui s’arrête et d’une partie du bras. Maintenant, supposons que la main et le bras soient restés invisibles.

1015. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre III. Ben Jonson. » pp. 98-162

Tibère choisit sous main les accusateurs de Latius et leur fait distribuer leurs rôles. […] Il est comme le joueur à demi ruiné, qui d’une main convulsive jette sur le tapis le reste de sa fortune. […] Où trouvera-t-on de pareils soufflets lancés et assenés en plein visage par la violente main de la satire ? […] quelque idiote sortie de l’hôpital, qui se tiendrait roide, les mains comme ceci, la bouche tirée d’un côté, et les yeux sur vous154 ?  […] Les autres l’interrompent à chaque phrase, lui mettent la main sur la bouche, et tour à tour, prenant le manteau, entament la critique des spectateurs et des auteurs.

1016. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

Quand j’ai songé à étudier pièce à pièce cet homme encyclopédique, qui a laissé à lui tout seul d’Athènes un monument homogène plus complet et plus divin mille fois que cette encyclopédie de plusieurs mains inspirée en France par Voltaire, Diderot et leurs amis, travaillant sans plan à détruire plus qu’à édifier, je suis allé d’abord chercher dans sa retraite Barthélemy Saint-Hilaire. […] Le caractère belliqueux de ses habitants et l’unité du pouvoir héréditaire concentré dans la main d’un roi guerrier la rendait tantôt secourable, tantôt redoutable à la Grèce républicaine. […] « On ne peut douter que l’État ne soit naturellement au-dessus de la famille et de chaque individu ; car le tout l’emporte nécessairement sur la partie, puisque, le tout une fois détruit, il n’y a plus de partie, plus de pieds, plus de mains, si ce n’est par une pure analogie de mots, comme on dit une main de pierre ; car la main, séparée du corps, est tout aussi peu une main réelle. […] Cet échange des enfants passant, aussitôt après leur naissance, des mains des laboureurs et des artisans leurs pères entre celles des guerriers, et réciproquement, présente encore bien des embarras dans l’exécution. […] Il est certainement préférable que la cité, grâce aux institutions primitives du législateur, puisse se passer de ce remède ; mais, si le législateur reçoit de seconde main le gouvernail de l’État, il peut, dans le besoin, recourir à ce moyen de réforme.

1017. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

Que diriez-vous, si nous descendions et si je vous mettais à la main un vrai arc de Baschkir ? […] » J’étais plein de joie de tenir cette chère arme dans mes mains. […] Hardi comme je pouvais l’être, je passai mes mains dans le chevelure de ces deux princes, en leur disant : « Eh bien, têtes à filasse, comment nous portons-nous ?  […] Nos mains se pressèrent. […] Elle monta l’escalier noir devant moi, me tenant par la main pour me conduire.

1018. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

Même, si elle s’arrête un instant, notre main impatientée ne peut s’empêcher de se mouvoir comme pour la pousser, comme pour la replacer au sein de ce mouvement dont le rythme est devenu toute notre pensée et toute notre volonté. […] Il vous semblera que la sensation d’effort, tout entière localisée dans votre main, passe successivement par des grandeurs croissantes. En réalité, votre main éprouve toujours la même chose. […] On se rendra facilement compte de ce processus en tenant une épingle dans la main droite, par exemple, et en se piquant de plus en plus profondément la main gauche. […] C’est que, sans y prendre garde, vous localisiez dans la sensation de la main gauche, qui est piquée, l’effort progressif de la main droite qui la pique.

1019. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Une de mes mains se trouvait appuyée sur son cœur, qui touchait à ses légers ossements, il palpitait avec rapidité comme une montre qui dévide sa chaîne brisée. […] Je n’aimais pas Napoléon, mais je me souviens que mon estime pour Chateaubriand tomba devant le grossier mensonge du pape traîné par les cheveux à Fontainebleau par les mains sacriléges de l’empereur. […] Ce général reçut de mes mains le ministère et mes instructions. […] LIV M. de Chateaubriand, sollicité par le duc d’Orléans de s’unir à lui pour sauver la France, ne sauva que son honneur en donnant sa démission entre les mains de l’anarchie qu’il avait appelée. […] Il ne restait qu’un homme, démenti vivant à toutes les théories, debout, l’épée à la main, sur toutes les ruines.

1020. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

Cette préface, sur laquelle on a tant compté, n’a pas été tracée, en effet, par une main vivante. […] C’est, dans l’intérêt d’un dégourdissement de facultés quelconques, l’attaque d’un sujet faite par une main audacieuse ou prudente, mais toujours rapide, car qui s’appesantit sur un sujet ne l’essaie plus. […] … Aux mains de cet habile homme, emporté par sa verve, le prélude sera-t-il devenu un concert et l’essai une œuvre accomplie ? […] Hommes de seconde main, ils convenaient davantage à une plume de seconde main. […] Antigone, voulant ajouter à une gloire qui devient de plus en plus incertaine, a, de ses trop pieuses mains, enterré définitivement son père sous le livre même qu’elle vient d’exhumer.

1021. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Il peint tout, dans cette Halle qu’il a choisie comme sujet de peinture incessante, dans cette Halle qui est bien plus le sujet de son livre que les personnages qui s’y agitent ; et il peint avec une telle absorption de lui-même dans l’objet, qu’il n’est plus une main conduite par une pensée, mais une espèce de palette mécanique, un pinceau qui va par l’effet d’un ressort, un procédé. […] Zola n’a pas donné non plus à son abbé Mouret le grandiose tragique qu’a parfois le prêtre qui tombe, le prêtre porte-lumière, foudroyé comme Lucifer, mais par une foudre qui vient d’en bas et qui n’est plus lancée par la main de Dieu. […] Tout à coup, Désirée cria à son frère, qui chantait les dernières prières, en l’apostrophant par-dessus le mur de la basse-cour et en tapant dans ses mains, comme sur le ventre ballonné du cochon : « Serge ! […] Zola, l’auteur des Rougon-Macquart, ce livre jeté dans le moule de Balzac, — mais qui n’est ni de la même main, ni du même bronze, et qui a fait son trou dans une publicité presque insolente… Il a des amis qui ne croient peut-être pas en Dieu, mais qui croient en lui. […] Il affirme, la main sur la poitrine, qu’il n’est pas un buveur de sang… (quelle fatuité !)

1022. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers (suite) »

Ney n’y tint pas : se voyant une telle force en main, après une attaque des Anglais repoussée, il déboucha de la Haie-Sainte, se lança sur le plateau, et livra cet assaut acharné dans lequel un nouvel entrainement vint englober toute la grosse cavalerie de la garde, la réserve même, sans que celle-ci eût reçu aucun ordre pour cela. […] Et puis, quand toute cette troupe, ces 10,000 hommes de superbe cavalerie, dans la main du plus brave des hommes, plus furieux et plus enragé d’héroïsme à cette heure suprême qu’on ne l’avait jamais vu en aucune rencontre, eurent chargé et rechargé maintes fois, eurent fait des miracles, eurent ouvert mainte et mainte brèche dans les rangs de la plus tenace des infanteries et en face du plus inébranlable des chefs de guerre dont la grandeur dans l’histoire est d’avoir résisté et vaincu ce jour-là ; quand Ney, après des heures tumultueuses que nulle montre exacte n’a comptées, se sentit à bout d’efforts, son quatrième cheval tué sous lui, à pied, son habit percé de balles et lui-même là-dessous comme invulnérable, il avait envoyé son aide de camp Heymès demander à Napoléon ce renfort d’infanterie, et Napoléon avait fait la réponse désespérée, inexorable. […] L’ordre de bataille que prennent les deux armées, les premiers mouvements pour en venir aux mains, sont l’exposition ; les contre-mouvements que fait l’armée attaquée forment le nœud, ce qui oblige à de nouvelles dispositions et amène la crise, d’où naît le résultat ou dénouement. » Par malheur, le plan de Waterloo ne put être exécuté à aucun moment comme il avait été conçu.

1023. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

Aristarque pour les poëmes homériques, Tieck pour Shakspeare, ont été, dans l’antiquité et de nos jours, des modèles de cette sagacité érudite appliquée de longue main aux chefs-d’œuvre de la poésie : vestigia semper adora ! […] Toutefois, pour être juste, il reste encore à la critique, après le triomphe incontesté, universel, du génie auquel elle s’est vouée de bonne heure, et dont elle voit s’échapper de ses mains le glorieux monopole, il lui reste une tâche estimable, un souci attentif et religieux : c’est d’embrasser toutes les parties de ce poétique développement, d’en marquer la liaison avec les phases qui précèdent, de remettre dans un vrai jour l’ensemble de l’œuvre progressive, dont les admirateurs plus récents voient trop en saillie les derniers jets. […] comme pour se rassurer dans les ténèbres et se fortifier contre lui-même ; vainement il montre de loin à son amie, dans le ciel sombre, la double étoile de l’Âme immortelle et de l’Éternité de Dieu ; vainement il fait agenouiller sa petite fille aînée devant le Père des hommes, et lui joint ses petites mains pour prier, et lui pose sur sa lèvre d’enfant le psaume enflammé du prophète : ni la Prière pour Tous si sublime, ni l’Aumône si chrétienne, ne peuvent couvrir l’amère réalité ; le poëte ne croit plus.

1024. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre III. Les dieux »

En même temps la science aide le dogme ; les forces naturelles disparaissent ; entre les mains des philosophes, les êtres perdent leur énergie efficace ; les dieux intérieurs qui vivent dans les choses sont anéantis ; toutes les puissances particulières se concentrent dans le Dieu unique. […] Toutes les fois qu’on lit dans Bossuet les triomphes de Dieu, on pense à ceux du prince ; le paradis qu’il décrit n’est pas fort différent de Versailles ; l’assemblée des élus est une cour où l’on distribue beaucoup de cordons bleus, et l’orateur lui-même, du haut de sa chaire, tonne par les mains de « son grand Dieu », comme l’ambassadeur en Hollande foudroyait les pauvres mynhers de la colère de son roi. — Et remarquez bien que ce dieu monarchique se trouve comme le roi placé entre le despote asiatique et le souverain moderne. […] Il y trouve des figures sublimes, dignes d’Homère, quand il montre « les Parques blêmes dont la main se joue également des jours du vieillard et de ceux du jeune homme. » Il ne peint pas les dieux vaguement, avec des souvenirs de classe.

1025. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et M. de Maupertuis. » pp. 73-93

Akakia termine sa critique, en disant à l’ennemi juré de Kœnig, « qu’il ne compromette personne dans une querelle de néant que la vanité veut rendre importante ; qu’il ne fasse point intervenir les dieux dans la guerre des rats & des grenouilles ; qu’il n’écrive point lettres sur lettres à une grande princesse, pour forcer au silence son adversaire, & pour lui lier les mains afin de l’assassiner ». […] celui d’avoir entre les mains un écrit, qui n’étoit pas un contrat, mais un pur effet de la volonté du roi de Prusse, ne tirant à aucune conséquence a, & un livre de poësies de ce même prince, qui, après en avoir fait tirer quelques exemplaires & les avoir distribués à différentes personnes, du nombre desquelles étoit M. de Voltaire, avoit ordonné qu’on brisât la planche. […] Il protesta qu’il les remettroit dès l’instant qu’ils seroient entre ses mains ; consentant, s’il manquoit à sa parole, d’être déclaré criminel de lèze-majesté envers le roi de France son maître & le roi de Prusse .

1026. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VII. Le langage et le cerveau »

Bouillaud : « Matériellement, la main est aussi assurée qu’elle l’était en état de santé55 ; les lettres sont bien tracées, mais les lettres ne forment point de mots, et ne peuvent rendre une pensée quelconque…, et cependant, ayant pris un papier rayé, le malade se mit à composer quelques lignes, que sa femme exécuta sur le piano, toute stupéfaite de l’exactitude de la composition, exempte de toute toute ou erreur musicale. […] Baillarger nous dit qu’on pourrait les expliquer en disant que, pour le cerveau comme pour les mains, il y aurait des droitiers et des gauchers. […] Ce résultat, sans doute, s’il était établi, serait suffisamment intéressant par lui-même ; mais il ne prouverait pas une localisation naturelle et essentielle : car, en définitive, les deux mains ont les mêmes fonctions, quoique certaines actions soient plus commodes d’un côté que de l’autre.

1027. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Deshays » pp. 208-217

Nulle comparaison entre nos saints, nos apôtres et nos vierges tristement extasiés, et ces banquets de l’Olympe où le nerveux Hercule appuyé sur sa massue regarde amoureusement la délicate Hébé, où Apollon avec sa tête divine et sa longue chevelure tient par ses accords les convives enchantés ; où le Maître des dieux s’enivrant d’un nectar versé à pleine coupe de la main d’un jeune garçon à épaules d’ivoire et à cuisses d’albâtre, fait gonfler de dépit le cœur de sa femme jalouse. […] Vous me direz peut-être que la tête de la femme n’est pas d’une grande correction ; que celle de Joseph n’est pas assez jeune ; que le tapis rouge qui couvre ce bout de toilette est dur ; que cette draperie jaune sur laquelle la femme a une de ses mains appuyée, est crue, imite l’écorce, et blesse vos yeux délicats ? […] Quelle différence encore entre ces amis qui tendent les mains au ressuscité de Deshays et cet homme prosterné qui éclaire avec un flambeau la scène de Jouvenet !

1028. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XX. Mme Gustave Haller »

Ce pouce-là n’est guère attaché à la main des femmes qui, pour la plupart sont, plus ou moins, de Petits Poucets, en littérature. […] Impérieuse vocation qui ne se donne pas, mais qu’on reçoit des mains de Dieu ! […] que du pays de l’amour, vient indécemment chez l’homme qu’elle aime, et qui craint, le vertueux garçon, les petites sensations qu’elle lui donne, essayer de ces petites sensations-là et provoquer le baril de poudre à sauter, avec des coquetteries d’étincelle… J’ai assez dit, dans ce chapitre, de duretés à Mme Haller pour ne pas lui avouer que j’ai trouvé cette scène charmante, et autrement dans sa main, qui n’est pas celle d’une prude anglaise, que les frigidités vertueuses et protestantes de son roman.

1029. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXI. Mme André Léo »

Dans Mme Sand, il y a du xviiie  siècle, même aux dernières années de sa vie quand elle caressait de sa vieille main de douairière, autrefois charmante, les cheveux des jeunes gens, assis au piano, dans son salon de Nohant ! […] Il faut qu’elle l’ait été, pour avoir gardé son atome de femme, à travers ce pédantisme dont elle est affligée et une éducation que j’imagine être de seconde main, et qu’elle doit peut-être à son mari. […] Pour en arriver là, elle ramasse, d’une main sans fierté, les plus sottes idées de ce sot temps sur le Péché originel et sur la Grâce, qui sont tout le christianisme, et elle les lui lance à la tête, ces sottes idées qu’elle sait peut-être sottes… « Quand je vis, dit-elle quelque part avec la nonchalante fatuité d´une raisonneuse dépaysée, qu’il (Dieu, — notre Dieu, à nous !)

1030. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les civilisations »

Plus timide que celui qui tremblait devant la statue sortie de ses mains, il a tremblé devant la majesté d’un titre qui n’est pas sorti de sa plume, et il n’a osé que le mot d’Études… Or, Études est un mot qui dit l’effort, mais qui ne dit pas la réussite. […] Il piaffe dans les sciences naturelles, et il voudrait appliquer, haut la main, la paléontologie à l’histoire. […] Il ne nous eût pas, par exemple, donné comme une illustration de ces merveilleuses civilisations américaines qu’il décrit, des monarques comme ce magnifique civilisé roi de Quito, Atahualpa, qui ne crachait jamais que dans la main des plus grandes dames de sa cour !

1031. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte du Verger de Saint-Thomas »

Avant de légiférer pour son propre compte et en son privé nom, il nous a donné, en abrégé, l’histoire du duel en France, et cette histoire démontre, à toute page, l’inanité des législations quand il s’agit de changer et de modifier des mœurs toujours victorieuses d’elles… L’esprit moderne, dont la manie est de croire aux constitutions, qui sont les créations de son orgueil et que le vent de cette girouette a bientôt emporté, l’esprit moderne, qui méprise si outrageusement et si sottement le passé, apprend ici, une fois de plus, que tout dans l’histoire ne se fait pas de main d’homme, et que les coutumes ne s’arrachent pas du fond des peuples comme une touffe de gazon du sol… Saint-Thomas, dont le bon sens (heureusement pour lui) ne me fait point l’effet d’être dévoré par l’esprit moderne, semble l’avoir compris. […] Il y en eut, par exemple, qui proposèrent de faire souffleter l’homme qui s’était battu par la main du bourreau. Mais l’opinion et les mœurs, dans ce temps-là, auraient effacé l’infamie du soufflet et de la main qui l’aurait donné, et on l’eût porté sur sa joue comme une glorieuse balafre.

1032. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Sévigné » pp. 243-257

… Madame de Sévigné et ses amoureux, ces patiti qu’elle régalait de petites faveurs innocemment perverses, n’a donc rien à faire avec les femmes vertueuses pour de bon du xviie  siècle, avec ces saintes dont l’abbé Maynard, l’éminent auteur du Saint Vincent de Paul, nous écrit en ce moment la vie ; et si Hippolyte Babou, de cette main légère qui est la sienne, nous les môle à madame de Sévigné et à ses amoureux, dans son volume, comme des cartes à jouer qu’on fait se retrouver dans le même paquet, c’est que Babou, qui sait bien ce qu’il fait et qui ne fait que ce qu’il veut, ne veut être aujourd’hui qu’un faiseur de tours de cartes avec l’Histoire. […] Dieu sait si j’ai toujours recherché les portraits ressemblants de madame de Maintenon, — de cette femme si difficile à peindre, parce qu’on ne peut s’empêcher de la voir à travers cette monstrueuse et scélérate caricature de Saint-Simon, qui ne nous lâche pas les yeux et qui nous fait trembler la main quand nous voulons la corriger ! […] Babou n’a pu résister à nous en dire l’histoire, et il l’a fait avec des mains qui ont touché à saint François de Sales, et qui en sont toutes parfumées !

1033. (1880) Goethe et Diderot « Note : entretiens de Goethe et d’Eckermann Traduits par M. J.-N. Charles »

Eh bien, tout cela que j’accordais était trop, et, le livre d’Eckermann à la main, je vais faire humblement contre moi la preuve que, même en accordant cela, je me trompais ! […] Il parcourt à dix reprises le clavier de faits ou d’idées qui se trouve sous toutes les mains intelligentes du xixe siècle. […] Enfin, parce qu’il était spinoziste et athée, — non pas comme Shelley, le poète, qui s’écrivait athée sur la cime du Mont-Blanc et voulait qu’on lui donnât ce titre sur l’adresse de ses lettres, mais discrètement, sans inconvénient, dans la pénombre, la main fermée, comme Fontenelle, sur la dangereuse vérité, — les athées Tartufes ont admiré ce gouvernement sur soi-même, cette domination sur sa pensée.

1034. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. H. Wallon » pp. 51-66

Cet imberbe, cet enfant d’hier, prit tranquillement le globe bleu de Charlemagne dans une de ses mains et dans l’autre sa Main de justice, et ce fut le ROI ! le Roi père, absolu et doux ; le Roi juge, et, comme je l’ai dit quelque part, le Roi juge de paix de l’Europe, — avant lui, le plus effroyable des champs de bataille, — le juge qui avait de bien autres plaids que ceux de son chêne de Vincennes, et qui, du fond de la Croisade, du fond de sa captivité chez les Turcs, pouvait encore allonger sa Main de justice sur le monde, et faire cette fonction auguste d’arbitre et de pacificateur suprême, qui fut sa fonction spéciale tout le temps de son règne et le caractère de sa royale personnalité.

1035. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXX. Saint Anselme de Cantorbéry »

S’il est vrai, comme le disait Napoléon, que les hommes, grands ou petits, sont fils des circonstances, le mot est encore plus vrai des idées… Flèches lourdes ou légères, aiguës ou émoussées, le vent qui les pousse, l’air qu’elles traversent, le point d’où elles sont ajustées, font plus pour elles que la corde de l’arc qui les chassa ou la main qui les a lancées. […] Le Saint Anselme d’aujourd’hui est bien de la même main qui écrivit l’Abailard, et il y a quelques années, cet Essai de philosophie en plusieurs volumes qui, erreurs à part, accusait plus d’aperçus et de verve cérébrale que les livres publiés depuis par l’auteur. […] Elle l’avait trouvé ; mais en mettant la main dessus, comme Galathée touchant Pygmalion, elle avait dit : « C’est moi encore ! 

1036. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Raymond Brucker. Les Docteurs du jour devant la Famille » pp. 149-165

Il ne fait pas que des blessures d’épée… C’est une massue aussi, ou plutôt c’est une masse de choses terrassantes, manœuvrée par une main d’Hercule, — de cet Hercule catholique que fut Brucker ! […] Blessée même par la main de Napoléon, qui dut en frémir jusque dans le fin fond de son génie, mais qui eut la révolutionnaire faiblesse d’en circonscrire l’action et d’en diminuer la puissance, la Paternité, menacée davantage chaque jour, de toutes parts, est le symptôme accusateur d’une société qui s’écroule, et c’est ce que vit tout d’abord et avant tout Brucker, quand il s’agit de donner le robuste appui de son épaule à cette pauvre société chrétienne, ébranlée dans son fondement même. […] Père lui-même, père chrétien, il savait l’auguste grandeur de cette première des magistratures. — Qu’on me permette une anecdote : Un jour, en 1848, il était allé, sous les balles, chercher un de ses fils aux barricades, et il avait fait rentrer devant lui à la maison ce jeune homme, qui y rentra tête basse et le fusil fumant encore entre ses mains.

1037. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

Nous avions déjà d’une main moderne l’histoire de la Papauté au xvie et xviie  siècles. […] Mais le : Écrivons nous-mêmes notre histoire, est peut-être revenu à la pensée du prêtre et lui a affaibli la main, quand il aurait fallu la faire sentir davantage. […] Seule, Lucrèce Borgia sort des mains de l’abbé Christophe nettoyée et essuyée des incestes qui l’avaient salie, et presque lumineuse de fidélité conjugale ; et cette vertu, pendant si longtemps calomniée, envoie comme un reflet de sa splendeur à Alexandre VI et comme une présomption d’innocence.

1038. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « E. Caro »

Caro est un esprit très fin et très clair, d’un timbre très pur, d’une sonorité d’harmonica très agréable, mais qui peut faire mal aux nerfs, à force de douceur, aux gens organisés comme moi… C’est un esprit infiniment cultivé, d’une rare aptitude aux choses de la philosophie, qu’il a toujours maniées, ces choses lourdes, avec une grande légèreté, prestesse et même grâce de main. […] Selon Caro et la vérité, montre à la main, c’est Hegel qui règle les destinées de la minute dans laquelle nous avons le bonheur et l’honneur de vivre. […] Le fuyard et pleurard d’idées qui est le fond de Renan, le petit bourreau élégiaque qui s’attendrit sur ce qu’il frappe, ces côtés bouffons qu’un autre que Caro aurait moulés en mascaron comique, sont touchés, et adoucis, et veloutés, par lui, avec une habileté et une légèreté de main incomparables.

1039. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « André Chénier »

La gloire vraie y va de plus pleine main. […] Qu’on eût recueilli tous ses vers, dans cette édition qui visait au complet, qu’on eût respecté les moindres fragments de ses vers, — d’autant plus précieux pour les connaisseurs en poésie qu’ils sont des fragments comme les mains, les genoux ou les bras tronqués d’une statue !  […] André Chénier, qui, toute sa vie, s’était englouti dans le monde et les choses de l’Antiquité, André Chénier, ce patient et laborieux mosaïste, qui incrustait le détail antique avec un art si profond et si subtil dans l’expression des sentiments et des choses modernes, remonta par l’horreur vers le Dieu auquel il n’avait peut-être jamais pensé, et il jeta cette clameur des Iambes, le cri de la foi passionnée, la plus magnifique torsion d’âme et de main désespérées autour d’un autel invisible, la plus intense prière, enfin, que l’imagination d’un poète révoltée des abominations de la terre ait jamais élancée vers Dieu !

1040. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Hector de Saint-Maur »

Esprit ouvert, cœur ouvert, main ouverte à tous les amis ! […] Imagination très étendue et très sensible, qui a sous ses mains un clavier énorme et qui monte et descend en un clin d’œil la gamme de tous les sentiments. […] Rien de moins difficile que de faire pleurer ; Excepté les larmes que l’admiration fait couler, excepté celles de César devant la statue d’Alexandre, je méprise assez cette eau qui coule et je la laisse couler… Saint Maur, qui est d’un naturel trop franc et trop à pleine main pour jamais rien affecter, tempère, sous le dictame de son esprit, les tristesses qui sont le fonds commun de la misérable nature humaine.

1041. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Xavier Aubryet et Albéric Second » pp. 255-270

… Toujours est-il que cette fulminante sensitive qui se rétracte en lui, avec la furie du dégoût, au moindre contact des mains canailles qui à cette heure s’allongent partout et manient tout avec de si indignantes familiarités, se montre aussi parisienne épanouie, dans La Vengeance de Madame Maubrel 27, qu’on l’est dans La Vie parisienne, par exemple, où l’on eût pu très bien publier ce livre si complètement parisien de langage, et qui n’aurait troublé en rien les habitudes de la maison. […] C’est que ce mari, un libertin qui a toute sa vie pratiqué l’inconstance, montre à la main, pour aller plus vite, retourne à ses libertinages… Est-ce assez plat, assez commun, assez parisien, ce dénouement, et assez indigne de Xavier Aubryet, l’auteur des Patriciennes de l’amour !! […] Il est vrai qu’un nom devient quelquefois une grande chose sous des mains créatrices.

1042. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Le Sage » pp. 305-321

Mais preuve aussi que ce ne fut point la Vocation, ce Destin du génie, qui le poussa, de ses mains inspiratrices, dans la littérature. […] L’imitation dans un genre de littérature est le vol honnête des besoigneux de l’esprit, qui cachent, sous le mépris qu’ils affectent pour ceux qu’ils imitent, les mains qu’ils mettent dans leurs poches. […] Il se reconnaît très bien de la dynastie de l’auteur de Gil Blas, et il a même écrit un livre bravement intitulé : Madame Gil Blas… Le Sage, il est vrai, à moins que la perspective de l’argent du xixe  siècle ne l’eût stimulé, n’aurait jamais eu la verve de Féval ni la plume incomparablement multiple du gigantesque Dumas, ce Briarée du roman, dont les cent mains n’étaient pas toutes dans ses manches… Mais il aurait vécu.

1043. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Francis Wey »

Ce n’est pas là — vous le reconnaissez tout d’abord — le bouquet de cerises que Jean-Jacques jetait dans le corsage des jeunes filles de ses Confessions, et que Francis Wey, avec une grâce inconnue au pataud de Genève, ramassa un jour pour en faire, sous son habile main, quelque chose de mieux qu’un dessus déporté si vulgaire ! […] Le combat de la vocation religieuse contre la vocation de la mère de famille qui se révèle avec tant d’énergie dans la scène, au village, où Éliane est obligée, par les combinaisons du roman, à tenir un enfant dans ses bras, — scène magnifique, d’un contenu excessivement émouvant, et que Stendhal seul aurait pu écrire s’il avait été chrétien, — le triomphe enfin de la vocation de l’épouse, le discours de la mère Saint-Joseph qui clôt le roman dans une souveraineté de raison éclairée par la foi, et surtout, surtout, la réalité de la sœur Saint-Gatien, qui représente l’être surhumain, l’ange gardien d’Éliane, et qui s’en détache si humainement et si vite quand elle lui a préféré, pour s’appuyer, le cœur d’un homme, — trait cruel que Wey n’a pas manqué, — voilà les beautés de la troisième partie de ce livre, écrit avec une sûreté de main et une maturité de touche qui n’ont fait faute à l’auteur de Christian qu’une seule fois. […] En vain l’a-t-il fait aussi, comme Christian, victime de l’absence d’éducation morale, cette plaie du siècle, et le ramène-t-il à l’ordre et à la vraie destinée par le sentiment paternel, comme il y a ramené Christian par l’amour ; en vain la scène du verre de champagne accepté, qui l’introduit dans le roman, est-elle charmante et attendrie, ce personnage de Chambornay nuit plus qu’il ne sert au développement du livre, et, avec le talent mâle, sobre et qui se ménage si peu de l’auteur, avec ce talent qui sait revenir si courageusement sur lui-même pour s’opérer de ses propres mains, on est étonné qu’il n’ait pas sacrifié et remplacé cette figure selon nous malvenue à travers toutes les autres qui le sontsi bien.

1044. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVI. Des sophistes grecs ; du genre de leur éloquence et de leurs éloges ; panégyriques depuis Trajan jusqu’à Dioclétien. »

Placées dans les plus beaux temps à la porte de la servitude et sous la main des satrapes, à peine avaient-elles respiré l’air de la liberté. […] Il s’agissait d’amuser un peuple oisif et d’attirer quelques battements de mains à l’orateur. […] Il suit de là que toute éloquence qui ne se propose que de faire battre des mains, doit être, à la longue, froide, fausse et médiocre.

1045. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVI. Des éloges académiques ; des éloges des savants, par M. de Fontenelle, et de quelques autres. »

Les éloges de l’Académie française, tous composés par des mains différentes, portent chacun le caractère de leur auteur. […] Tous les objets dont on s’y occupe sont grands, et en même temps sont utiles ; c’est l’empire des connaissances humaines ; c’est là que vous voyez paraître tour à tour la géométrie qui analyse les grandeurs, et ouvre à la physique les portes de la nature ; l’algèbre, espèce de langue qui représente, par un signe, une suite innombrable de pensées, espèce de guide, qui marche un bandeau sur les yeux, et qui, à travers les nuages, poursuit et atteint ce qu’il ne connaît pas ; l’astronomie, qui mesure le soleil, compte les mondes, et de cent soixante-cinq millions de lieues, tire des lignes de communication avec l’homme ; la géographie, qui connaît la terre par les cieux ; la navigation, qui demande sa route aux satellites de Jupiter, et que ces astres guident en s’éclipsant ; la manœuvre, qui, par le calcul des résistances et des forces, apprend à marcher sur les mers ; la science des eaux, qui mesure, sépare, unit, fait voyager, fait monter, fait descendre les fleuves, et les travaille, pour ainsi dire, de la main de l’homme ; le génie qui sert dans les combats ; la mécanique qui multiplie les forces par le mouvement, et les arts par l’industrie, et sous des mains stupides crée des prodiges ; l’optique qui donne à l’homme un nouveau sens, comme la mécanique lui donne de nouveaux bras ; enfin les sciences qui s’occupent uniquement de notre conservation ; l’anatomie par l’étude des corps organisés et sensibles ; la botanique par celle des végétaux ; la chimie par la décomposition des liqueurs, des minéraux et des plantes ; et la science, aussi dangereuse que sublime, qui naît des trois ensemble, et qui applique leurs lumières réunies aux maux physiques qui nous désolent.

1046. (1886) Le roman russe pp. -351

Un homme, la bouche et les mains tendues en avant, semble vouloir sauter sur les épaules de ses voisins pour mieux voir. […] — elle était inerte et silencieuse sous la main de Nicolas : pas un pli du rigide uniforme ne bougeait. Pourtant les idées d’Occident cheminaient sous la grande muraille, les livres passaient en contrebande et volaient de main en main, dans les écoles, les cénacles littéraires, même dans les régiments. […] Tourguénef les retouche d’une main plus discrète dans les Récits d’un chasseur. […] » — Espérons que ce vœu sera entendu par le seul écrivain digne de ramasser la plume tombée de ces vaillantes mains.

1047. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Enfin, son ami (Foncemagne) me dit qu’il devenait sublime et qu’il allait être entre les mains d’un grand faiseur. […] Plus d’un contre-temps retarda ce projet formé de longue main, et il fallut y mettre bien de la volonté et de la suite pour que tout enfin pût s’ajuster. […] Lorsque vous en aurez la force et le temps, un chiffon plié avec une suscription de votre main me rendra satisfaite, et le jour où vous joindrez : « Je me porte bien », votre voisine sera heureuse autant que le peut être une mère affligée… « Je ne me plains pas du renvoi de la lettre de change, parce que je suis sûre, puisque vous me le dites, que vous la regardez entre mes mains comme un dépôt… Ne vous privez pas des choses utiles et commodes. […] Aussi lorsque le marquis de Verdelin demanda au comte d’Ars, son cousin, la main de Mlle d’Ars, alors âgée de vingt-deux ans, fut-il agréé malgré la grande disproportion d’âge. […] Elle se lève avec le plus grand sang-froid, le prend par la main, le mène dans son cabinet : « Eh bien !

1048. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (2e partie) » pp. 81-159

« Il en fut saisi jusqu’au point d’éclater en véritable fureur, se voyant les mains liées par une injonction des plus hautaines et qu’il fallait exécuter sur-le-champ. […] « Un procédé de cette nature, incroyable sans doute, mais réel, et que je ne me permets pas de caractériser, — la chose d’ailleurs parle d’elle-même, — un semblable procédé me paralysa la main prête à signer. […] Bonaparte sentit l’utilité pour lui d’avoir le cœur du pape dans les mains d’un tel homme. […] Voilà que ce soir-là, tandis que nous attendions la sortie des souverains de leurs appartements, il s’approche de moi, puis, me prenant par la main, il me conduit dans un coin du salon. […] L’empereur tenait par la main la nouvelle impératrice, et lui désignait chaque personne à mesure qu’il les rencontrait dans le cercle.

1049. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

Et je vis une ressemblance qui était comme une apparence de feu, et qui avança une forme de main. […] Il y a de l’épopée dans cette satire ; ce que Juvénal a dans la main, c’est le sceptre d’or dont Ulysse frappait Thersite. […] Dans tous les autres poètes, on devine cette communication ; dans Jean, on la voit, par moments on la touche, et l’on a le frisson de poser, pour ainsi dire, la main sur cette porte sombre. […] Paul est au fond si antimonarchique que le roi Jacques Ier, très encouragé par l’orthodoxe université d’Oxford, fait brûler par la main du bourreau l’épître aux Romains, commentée, il est vrai, par David Pareus. […] La tête de mort passe des mains de Dante dans les mains de Shakespeare ; Ugolin la ronge, Hamlet la questionne.

1050. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — II. (Fin.) » pp. 36-54

Soyez sociable ; faites honneur à la vertu dans le monde. » Et il redouble lui-même de légèreté en écrivant, comme pour lui donner l’exemple avec le précepte : « On a besoin d’être sans cesse la faucille en main, pour retrancher le superflu des paroles et des occupations. » Jamais la piété de Fénelon ne se montre mieux ce qu’elle est que dans ces lettres au vidame d’Amiens, c’est-à-dire une piété douce, commode, simple, exacte, ferme et gaie tout ensemble, une piété qui s’allie avec tous les devoirs et qui se ressouvient du grand seigneur devant les hommes jusque dans la perfection de l’humilité devant Dieu : Un homme de votre rang ne fait point assez, et il manque à Dieu quand il ne s’occupe que de curiosités, que d’arrangement de papiers, que de détails d’une compagnie, que de règlements pour ses terres. […] Il voudrait le voir s’émanciper enfin, ne plus être soumis toujours ni docile à l’excès et subordonné ; il l’excite à prendre sur lui et à user de toute l’étendue des pouvoirs qu’il a en main, pour le bien du service : « Un prince sérieux, accoutumé à l’application, qui s’est donné à la vertu depuis longtemps, et qui achève sa troisième campagne à l’âge de vingt-sept ans commencés, ne peut être regardé comme étant trop jeune pour décider. » Le duc de Bourgogne lui répond avec calme, avec douceur, peut-être même avec raison sur certains détails, mais sans entrer dans l’esprit du conseil qui lui est donné ; et, quand il a tout expliqué et froidement, un scrupule d’un autre genre le prend, et il dit à Fénelon dans une espèce de post-scriptum : « Je me sers de cette occasion pour vous demander si vous ne croyez pas qu’il soit absolument mal de loger dans une abbaye de filles : c’est le cas où je me trouve. […] Il voudrait donc au plus tôt que son élève n’eût plus rien de l’élève ni de l’écolier ; il voudrait, une fois pour toutes, lui inspirer la hardiesse dans l’action, la noblesse dans le procédé et dans la démarche, le génie de la conversation, tout ce qui orne, qui impose, et ce qui donne au pouvoir sa douceur et sa majesté : « Qu’il soit de plus en plus petit sous la main de Dieu, mais grand aux yeux des hommes. […] Il n’a jamais donné aux siens la dernière main et ne les a jamais proposés que comme de premières idées qu’il faudrait ensuite serrer de plus près dans la pratique.

1051. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Montaigne se présente volontiers à nous, donnant la main à son ami Étienne de La Boétie, suivi de sa fille d’alliance Mlle de Gournay, et accompagné de son second et disciple Charron. […] Tout ce qu’il dit contre l’esprit d’opiniâtreté et de nouveauté qui fait les sectes est encore excellent à lire ; il disait, par exemple : Je voudrais que tous ces remueurs de ménage et troubleurs de l’ancienne religion, qui se disent chrétiens et tenir leur religion du ciel, considérassent bien ce que dit Plutarque de la religion de son temps, vaine et humaine : Ceux, dit-il, qui mettent en doute les opinions de la religion me semblent toucher une grande, hardie et dangereuse question ; car l’ancienne et continuelle foi et créance qui nous est témoignée par nos ancêtres nous devrait suffire, étant cette tradition le fondement et base de toute religion ; et si la fermeté de la créance venue de main en main vient à être ébranlée ou remuée en un seul point, elle devient suspecte et douteuse en tous les autres […] Qui prendrait la peine de lire plume en main Montaigne et d’y relever tout ce qui est dit sur les divers sujets et titres qui se rencontrent dans La Sagesse de Charron, trouverait non seulement le fond et la substance de ses pensées, mais encore la forme même et le détail de son expression.

1052. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — I » pp. 57-75

Elle n’ose jamais procéder que suivant la méthode la plus scrupuleuse et la plus uniforme de la grammaire : on voit toujours venir d’abord un nominatif substantif qui mène son adjectif comme par la main ; son verbe ne manque pas de marcher derrière, suivi d’un adverbe qui ne souffre rien entre deux ; et le régime appelle aussitôt un accusatif, qui ne peut jamais se déplacer. […] Cela est si vrai, que lorsqu’il veut se corriger lui-même, Ronsard n’a pas la main sûre ni le tact heureux ; il lui arrive de retrancher, on ne sait pourquoi, de ses dernières éditions des vers qui sont charmants, et du petit nombre de ceux qui paraîtront tels à tous les yeux. […] Voici un sonnet touchant, mélancolique, qu’il avait rejeté et que la postérité a accueilli ; il l’adressait à sa dame en lui envoyant un bouquet, une après-midi : Je vous envoie un bouquet que ma main Vient de trier de ces fleurs épanies ; Qui ne les eût à ce vespre cueillies, Chutes à terre elles fussent demain. […] Remi Belleau, dans son commentaire, a fait remarquer que ce sonnet est imité d’une petite pièce latine de Marulle ; il ne dit pas qu’il pourrait aussi bien paraître imité de cette jolie épigramme de L’Anthologie, et qui est du poète Rufin : Je t’envoie, Rhodoclée, cette couronne qu’avec de belles fleurs j’ai moi-même tressée de mes mains : il y a un lis, un bouton de rose, une anémone humide, un tiède narcisse, et la violette à l’éclat sombre.

1053. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

En France, on fait trop souvent les choses par veines et par accès : l’accès du jour, en ce quart d’heure, est de réhabiliter tout ce qui tombe sous la main et ce qui vient à la portée de chacun. […] La méthode du premier, de cet artificieux Bouillon, c’est de se rendre nécessaire de tous côtés, de nouer avec tous, puis de retenir tous les fils dans sa main, et de rester, en fin de compte, le maître et le moyenneur des situations. […] Car, une fois ces guerres religieuses entamées, ce fut l’honneur de M. de Rohan de ne jamais donner les mains à des traités particuliers et de ne pas sacrifier son parti ; c’est en cela autant que par ses talents de capitaine qu’il se distingue des autres seigneurs tôt ou tard défectionnaires, et qu’il a mérité que cette cause protestante française restât identifiée à son nom. […] Timoléon, pour toutes les cités de l’île, c’était le sauveur, le réparateur par excellence ; aucune n’aurait cru sa réforme intérieure et ses institutions agréées et bénies des dieux, si Timoléon n’y avait mis la main.

1054. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — III » pp. 337-355

Il en fait assez pour que l’on consente à entendre à une paix générale : « Je fis savoir à la Cour (c’est-à-dire au quartier du roi) que je mourrais gaiement, avec la plupart de tout le parti, plutôt que de n’obtenir une paix générale ; qu’il était dangereux d’ôter tout espoir de salut à des personnes qui ont les armes à la main ; que je ne la traiterais jamais tout seul… » Le roi écoutait les propositions avec plaisir ; mais le cardinal confesse, dans ses mémoires, avoir fort hésité à cette heure sur ce qu’il conseillerait à son maître : tout lui disait qu’on allait avoir raison des rebelles et de leur chef par la force, ce qui était fort de son goût, et qu’ils seraient réduits, après un prochain échec infaillible, à demander merci : la prudence toutefois l’emportant sur l’humeur, et cette idée que Rohan dans sa proposition de paix cette fois était sincère, lui firent conseiller de traiter. En définitive, les édits furent conservés dans toute la partie essentielle qui tient à ce que nous appelons tolérance ; mais les bastions et les fortifications des villes rebelles, de celles des Cévennes en particulier, qui avaient été prises de cette espèce de manie et de maladie dans la présente guerre, et qui s’étaient toutes fortifiées à la huguenote, comme on disait, durent être rasés aux dépens et de la main même des habitants qui les avaient construits ; il n’y eut plus, à partir de ce jour-là, un cordon de petites républiques possibles à travers la France : il n’y eut qu’une France et des sujets sous un roi. L’ère de guerre et de rivalité à main armée, entre les deux communions, avait cessé ; on entrait dans un régime nouveau, qui aurait dû être un régime de police civile, de légalité, de raison ferme, d’action douce et de conquête par la seule parole. […] La poudre manquant, on se mêla l’épée à la main par un soleil si clair, que la lueur des lames éblouissait les yeux des combattants.

1055. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

On aura remarqué que ce mot de journal revient bien souvent depuis quelques années au titre des livres que la critique a pour devoir d’annoncer : Journal de Dangeau, Journal de d’Argenson, Journal de d’Andilly, Journal du duc de Luynes… C’est qu’en effet l’on est devenu singulièrement curieux de ces documents directs et de première main ; on les préfère même, ou peu s’en faut, à l’histoire toute faite, tant chacun se sent en disposition et se croit en état de la faire soi-même. Je ne suis pas de ceux qui, par une estime exagérée, mettent les pièces et les matériaux au-dessus de l’œuvre définitive ; mais comme les monuments historiques vraiment dignes de ce nom sont rares, comme ils se font longtemps attendre, et comme d’ailleurs ils ne sont possibles et durables qu’à la condition de combiner et de fondre dans leur ciment toutes les matières premières, de longue main produites et préparées, il n’est pas mauvais que celles-ci se produisent auparavant et soient mises en pleine lumière ; ceux qui aiment à réfléchir peuvent, en les parcourant, s’y tailler çà et là des chapitres d’histoire provisoire à leur usage ; ce ne sont pas les moins instructifs et les moins vrais. […] On est allé jusqu’à mettre en cause, pour ces papiers du duc de Luynes, le royalisme du descendant éclairé qui les a livrés à des mains habiles et en a autorisé la publication : comme s’il ne fallait pas le remercier plutôt d’avoir, dans un sentiment libéral, surmonté peut-être des répugnances de famille, et de nous avoir mis à même, par de telles dépositions authentiques, d’observer dans tout son vice une monarchie fastueuse et décrépite, d’où la vie graduellement se retirait ! […] Le troisième d’Ormesson, le plus célèbre, et dont le Journal fournit sur ce sujet tant de lumières, était maître des requêtes, et ne fut que cela : car c’est à ce titre qu’il alla quelques années comme intendant en Picardie et dans le Soissonnais. « Les maîtres des requêtes étaient rapporteurs au Conseil d’État, juges souverains des officiers de la Maison du roi ou, comme on disait alors, des requêtes de l’hôtel ; ils siégeaient au Parlement immédiatement après les présidents, et étaient envoyés dans les provinces comme intendants de justice, police et finances. » C’étaient des magistrats dans la main du roi, et tout prêts à être des administrateurs, qui avaient un pied dans le Parlement, une robe de palais quand il le fallait, et qui touchaient au besoin à l’épée ; très essentiels et des plus utiles dans cette œuvre de la centralisation si avancée par Richelieu et consommée par Louis XIV.

1056. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Journal de la santé du roi Louis XIV »

D’Aquin était premier médecin encore ; il différa avec Fagon sur la nécessité d’opérer, et son peu de sincérité dans l’exposé des faits est mis à nu par celui-ci, lorsque, lui succédant dans sa charge, il prend en main la rédaction du Journal. […] De même, lorsque Fagon fut devenu premier médecin, Fontenelle remarque« que toutes les maladies de Versailles lui passaient par les mains : on croyait faire sa cour de s’adresser au premier médecin, on s’en faisait même une espèce de loi ; mais, heureusement pour les courtisans, ce premier médecin était aussi un grand médecin. » Fagon, qui était depuis quelques années dans la confiance de Mme de Maintenon, supplanta d’Aquin en 1693. […] Fagon s’est lassé, et la plume lui est tombée des mains ; lui-même, ce médecin si probe, si exact, à ses devoirs, si attentif, il était un malade en effet ; il avait été taillé autrefois de la pierre ; il était sujet à un asthme violent, et il le fallait voir la nuit dans l’antichambre royale, sur un fauteuil, appuyé sur sa canne, ni plus ni moins que dans sa chambre à coucher ; car il ne se déshabillait jamais et ne dormait que sur son séant : « Sa santé ou plutôt sa vie, dit Fontenelle, ne se soutenait que par une extrême sobriété, par un régime presque superstitieux ; et il pouvait donner pour preuve de son habileté, qu’il vivait. » J’ai besoin d’une conclusion sérieuse, et je la réitère. […] Le Roi qu’après cette lecture le Louis XIV, tel qu’il sort pour nous des mains de ses premiers médecins, « n’est plus le brillant héros que l’histoire nous a dépeint, mais bien un jeune homme valétudinaire, atteint successivement de maladies fort graves, puis un homme toujours souffrant, condamné à un régime sévère, obligé de supporter de graves opérations, et enfin, un vieillard podagre, continuellement tourmenté par la gravelle, dont la gangrène vient enfin terminer l’existence. » Ce portrait est trop noir ; cette suite de maladies et d’indispositions présentées en détail et à la file fait un tableau trop sombre ; nous ne voyons pas assez les intervalles, les saisons de bonne santé, les mortes-saisons du médecin ; et puis il y a dans tout cela maint malaise qui, dans une vie ordinaire et où l’on n’aurait pas le temps de s’écouter, ne compterait pas.

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