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982. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

VI Le hasard me les a fait connaître familièrement l’un et l’autre ; mais, avant de parler de l’un et de l’autre, on ne peut s’empêcher de remarquer que, par un phénomène littéraire qui doit avoir sa raison cachée dans les choses, c’est la même petite vallée de Savoie qui a donné au dix-huitième et au dix-neuvième siècle les deux plus magnifiques écrivains de paradoxes du monde moderne : Jean-Jacques Rousseau et le comte de Maistre ; l’un, le paradoxe de la nature et de la liberté poussé jusqu’à l’abrutissement de l’esprit et à la malédiction de la société et de la civilisation ; l’autre, le paradoxe de l’autorité et de la foi sur parole, poussé jusqu’à l’anéantissement de la liberté personnelle, jusqu’à la glorification du bourreau, et jusqu’à l’invocation du glaive du souverain et des foudres de Dieu contre la faculté de penser. […] Sans doute son frère est un merveilleux jouteur de plume ; nous avons nous-même subi l’éblouissement de son style dans la première jeunesse, à cet âge où l’on reçoit sur parole les admirations et les cultes de famille, et où l’audace du paradoxe passe pour l’intrépidité de la raison. […] Nous ne jugerions pas les œuvres du père sur les paroles du fils, mais, quant aux circonstances de la vie domestique, il n’y a pas de plus sûrs et de plus honnêtes témoins que les enfants. […] Ni Vergniaud, ni Mirabeau lui-même n’avaient eu de pareils éclairs dans la parole ni de pareilles vigueurs dans l’esprit. […] Vous m’avez appelé, je suis venu ; j’ai votre parole.

983. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIIe entretien. Littérature politique. Machiavel (2e partie) » pp. 321-414

Il la réveilla trop en sursaut par ses premières paroles et par ses premiers actes du haut de son trône. « Quand l’Italie fut debout, il ne sut qu’en faire. » Son patriotisme lui disait de la lancer contre l’Autriche. […] On lui reprochait d’avoir terni ce service à sa patrie par une ombre de défection à sa parole donnée à la France. « Hélas !  […] La république française, qui n’est que la loyauté nationale d’un peuple fort, mais modéré dans sa force, n’a pas deux paroles, une parole publique, une parole à demi-voix.

984. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

Musset semble définir sa propre poésie — railleuse, séduisante et voluptueuse — quand il parle de la sérénade du Don Juan de Mozart où l’accompagnement qui rit se moque des paroles et de la mélodie qui supplient et caressent. […] Sur les ailes de la mélodie, des paroles parfois médiocres ont volé plus haut et plus loin qu’elles n’auraient pu aller par leurs propres forces. […] Auber, en France, le prenait de haut avec le collaborateur de rencontre qu’il pouvait avoir pour les paroles. […] La musique, en outre, complète et renforce l’expression dont la poésie a revêtu les sentiments ; elle donne aux paroles et aux cris partis du cœur une puissance de pénétration plus grande ; elle leur donne en même temps une signification plus large, plus générale, en les traduisant dans une langue universelle. […] On a dit d’elle140 : « Tout en elle était sonore : ses amours, ses amitiés, ses haines, ses défauts, ses vertus. » Elle avait le verbe haut, la parole vive, animée.

985. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IX »

— En été 1853, donc pendant qu’il écrivait le poème de la Walküre, et deux ans avant qu’il ne commençât à en esquisser la partition, il donna déjà à un ami qui lui avait demandé de lui copier les paroles du chant d’amour de Siegmund la mélodie de ce chant. — Ces dates sont intéressantes, mais elles serviront, je l’espère, à faire comprendre combien il est impossible de suivre cette genèse musicale avec les très rares documents que nous possédons. […] Représenter des « fragments » d’une œuvre de Wagner dans une salle de concert, avec des paroles traduites, c’est faire preuve de la plus grande inintelligence de l’esprit de cette œuvre. […] Et aujourd’hui qu’elle a pleinement remédié au défaut que j’ai signalé, en étant la parole à ceux qui partagent le point de vue du maître, aujourd’hui elle disparaît ! […] Lorsqu’une nouvelle tentative se produira, nous ferons notre possible pour contribuera sa réussite, chacun dans sa sphère, qui par la plume, qui par la parole, tel autre par ses capitaux, s’il a l’heur d’en avoir. […] Et c’est l’occasion de se rappeler ici la parole évangélique : Qui amat animant suam, perdet eam.

986. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

« Ils ont mis dans sa bouche des paroles prudentes » ; elle va les prononcer, tromper le roi pour assurer le salut commun. […] Heinrich von Sybel, la développer avec toute l’autorité de leur parole, l’un dans l’Allgemeine Zeitung, l’autre dans la Gazette de Cologne. […] » — L’idée d’être dupe le révolta ; il se jura de réprimer une sensibilité si humiliante, et tint parole. […] Incessamment Beaumarchais y prend la parole ; on l’entend, on le voit avec tout son cortège, père, sœur, fille, amis, ennemis, contemporains de toute qualité et de tout emploi. […] Désormais son état est la contemplation persistante sans images et sans paroles, dont parlent les docteurs.

987. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

répliqua l’insolent mousquetaire, je prenais monsieur pour votre laquais. » Parole imprudente. […] C’est vrai, mais non pas au sens où l’épaisse balourdise du populaire entend ces paroles. […] Ou plutôt, comme il est poète, il trouverait des paroles harmonieuses pour glorifier son arrondissement. […] » Voilà une parole historique, qui, dans quelque temps, paraîtra antédiluvienne. […] Max Collignon ne m’en voudra pas si je cède ici la parole à M. 

988. (1882) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Deuxième série pp. 1-334

Aussi Bossuet peut-il de loin en loin s’emporter à quelque parole trop rude, et que, pour l’honneur de sa charité chrétienne, on voudrait adoucir. […] Il est certain enfin que de telles paroles doivent être corrigées par une connaissance précise des tempéraments et des restrictions que l’ensemble de sa doctrine y apporte. […] Et n’est-ce pas un grave préjugé que ni Voltaire, ni tous ceux qui juraient alors sur la parole de Voltaire, ne s’y soient trompés ? […] Tel, encore aujourd’hui, croit juger par lui-même, qui ne fait, sans le savoir, que jurer sur la parole de Grimm ou de Diderot. […] De ces spectateurs assemblés, les uns ont compris la parole divine : ce sont des jeunes gens et des vieillards.

989. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Il arrive à des formules presque vides de faire surgir ici ou là, véritables paroles magiques, l’esprit capable de les remplir. […] Mais ceux qui se sont inclinés de loin devant la parole mystique, parce qu’ils en entendaient au fond d’eux-mêmes le faible écho, ne demeureront pas indifférents à ce qu’elle annonce. […] Tout ce que le Bouddhisme a d’exprimable en mots peut sans doute être traité comme une philosophie ; mais l’essentiel est la révélation définitive, transcendante à la raison comme à la parole. […] Surtout elle voit simple, et cette simplicité, qui frappe aussi bien dans ses paroles et dans sa conduite, la guide à travers des complications qu’elle semble ne pas même apercevoir. […] Ceux qui sont allés jusqu’à nier l’existence de Jésus n’empêcheront pas le Sermon sur la montagne de figurer dans l’Évangile, avec d’autres divines paroles.

990. (1875) Premiers lundis. Tome III « Armand Carrel. Son duel avec Laborie »

Son opposition de vingt ans n’était pas moins courageuse que celle de trente : les actes venaient dès lors au secours des paroles, et il n’a pas tenu aux gens du roi et aux Conseils de guerre de l’époque d’épargner aux parquets et aux Commissions militaires de la nouvelle monarchie la besogne qu’il leur a donnée.

991. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pioch, Georges (1874-1953) »

Une grande et fraternelle pitié l’émeut pour les hommes et pour les choses, dont l’inconscience est presque égale et qui périraient sans jamais dévoiler leurs mystérieuses splendeurs, si les poètes ne savaient pas les paroles révélatrices.

992. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 230-234

Toutes les classes d’esprits y apprendront à régler, les uns leurs prétentions, les autres leur enthousiasme ; ceux qui s’érigent en maîtres, à ne pas sacrifier la reconnoissance à la vanité, à savoir rendre hommage à leurs prédécesseurs, à ne pas regarder comme un bien propre & personnel ce qu’ils ont recueilli sur des fonds étrangers ; ceux qui les admirent trop facilement, comprendront qu’il est essentiel de ne pas croire sur parole, de se tenir en garde contre les manéges de la présomption, & de s’instruire avant de vouloir assigner les rangs & fixer les réputations ; le vrai Philosophe enfin en tirera de nouveaux motifs de s’éclairer & d’être modeste, en apprenant que le cercle des idées humaines est étroit, & que l’agiter sans cesse, n’est ni l’étendre, ni le renouveler.

993. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 236-239

Les Saints doivent écrire pour les Saints : imitant leurs vertus, on les loue mieux que par des paroles & de belles Hymnes.

994. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre II. De l’Allégorie. »

Je peux faire prendre la parole à une pierre, mais que gagnerai-je à appeler cette pierre d’un nom allégorique ?

995. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre III. Des Ruines en général. — Qu’il y en a de deux espèces. »

La nuit approchait : comme nous passions entre deux murs, dans une rue déserte, tout à coup le son d’un orgue vint frapper notre oreille, et les paroles du cantique Laudate Dominum, omnes gentes, sortirent du fond d’une église voisine ; c’était alors l’octave du Saint-Sacrement.

996. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 19, de la galanterie qui est dans nos poëmes » pp. 143-146

Renaud amoureux malgré lui, et parce qu’il est subjugué par les enchantemens d’Armide, m’interesse vivement à sa situation : je suis même touché de sa passion quand il ouvre la scene en disant à sa maîtresse qui le quitte pour un moment : Armide vous m’allez quitter, et lorsqu’il ne lui replique, après qu’elle lui a dit le motif important qui l’oblige à s’éloigner de lui, que les mêmes paroles qu’il lui avoit déja dites : Armide vous m’allez quitter, Renaud me paroît alors un homme livré tout entier à l’amour.

997. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

C’était un maître et un oracle quand il parlait : et ces comédiens avaient tant de déférence pour lui, que Baron n’osa lui dire qu’il était retenu ; et la Duparc n’avait garde de trouver mauvais que le jeune homme lui manquât de parole. […] Tous ces galants de cour, dont les femmes sont folles, Sont bruyants dans leurs faits et vains dans leurs paroles ; De leurs progrès sans cesse on les voit se targuer ; Ils n’ont point de faveurs qu’ils n’aillent divulguer ; Et leur langue indiscrète, en qui l’on se confie, Déshonore l’autel où leur cœur sacrifie. […] Sa présence me fit oublier toutes mes résolutions, et les premières paroles qu’elle me dit pour sa défense me laissèrent si convaincu que mes soupçons étaient mal fondés, que je lui demandai pardon d’avoir été si crédule. […] Elle éveille ses craintes par la dignité de son maintien, et ses espérances par la douceur de ses paroles. […] Molière imite ici un passage du Décaméron de Boccace, ou, pour mieux dire, il ne fait que traduire littéralement les paroles d’un confesseur qui joue auprès de sa pénitente le même rôle que Tartuffe joue auprès d’Elmire: « Vous devez, lui dit-il, vous glorifier des charmes que le ciel vous a donnés, en pensant qu’ils ont pu plaire à un saint.

998. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre II. Les Normands. » pp. 72-164

Et croyez que leurs faiseurs de vers ne seront pas stériles de paroles et ne les feront pas chômer de détails. […] Chez eux toutes les impressions s’atténuent : le parfum est si faible que souvent on ne le sent plus ; à genoux devant leur dame, ils chuchotent des mièvreries et des gentillesses ; ils aiment avec politesse et esprit ; ils arrangent ingénieusement en bouquet « les paroles peintes », toutes les fleurs « du langage frais et joli  » ; ils savent noter au passage les sentiments fugitifs, la mélancolie molle, la rêverie incertaine ; ils sont aussi élégants, aussi beaux diseurs, aussi charmants que les plus aimables abbés du dix-huitième siècle : tant cette légèreté de main est propre à la race, et prompte à paraître sous les armures et parmi les massacres du moyen âge, aussi bien que parmi les révérences et les douillettes musquées de la dernière cour !  […] Ils traduisent en anglais des livres français. —  Paroles de sir John Mandeville. —  Layamon, Robert de Gloucester, Robert de Brunne. —  Ils imitent en anglais la littérature française. —  Manuels moraux, chansons, fabliaux, chansons de Geste. —  Éclat, frivolité et vide de cette culture française. —  Barbarie et ignorances de cette civilisation féodale. —  La chanson de Geste de Richard Cœur de Lion, et les voyages de sir John de Mandeville. —  Pauvreté de la littérature importée et implantée en Angleterre. —  Pourquoi elle n’a point abouti sur le continent ni en Angleterre. […] « Christ est notre tête, nous n’avons pas d’autre tête », dit un poëme attribué à Chaucer, et qui revendique avec d’autres l’indépendance pour les consciences chrétiennes169. « Nous aussi, nous sommes ses membres. —  Il nous a dit à tous de l’appeler notre père. —  Il nous a interdit ce nom de maître ; — tous les maîtres sont faux et méchants. » Point d’intermédiaire entre l’homme et Dieu ; les docteurs ont beau revendiquer l’autorité pour leurs paroles, il y en a une plus autorisée, celle de Dieu. On l’entend dès le quatorzième siècle, cette grande parole ; elle a quitté les écoles savantes, les langues mortes, les poudreux rayons où les clercs la laissaient dormir, recouverte par l’entassement des commentateurs et des Pères170.

999. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1894 » pp. 185-293

Ce petit homme : un gesticulateur, ayant dans le sac de sa redingote, des soubresauts de pantin cassé, et cela, dans des conversations, où, piété sur ses talons, sa parole a la verve comique à froid de ses articles, et où son dire débute ainsi : « N’est-ce pas, je n’ai pas l’habitude de mettre mon pied sur un étron ? […] L’une, la mère, très exubérante, très grande parleuse, l’autre une concise, mais formulant des phrases, dans lesquelles était condensée toute l’exagération de la parole méridionale. […] Il nous peignait aujourd’hui Fénéon, cet original né en Italie, et ayant l’aspect d’un Américain, un être intelligent, travaillant à se faire une tête, cherchant l’étonnement des gens par une parole axiomatique, une comédie de concentration intérieure, une série de petites actions et manifestations mystificatrices, — mais un homme de cœur, bon, sensible, appartenant tout entier aux excentriques, aux disgraciés, aux miséreux. […] Et sans plus de paroles, ni de marchandages, était conclu l’achat de milliers de bouteilles, contre un certain nombre de cent mille francs. […] Mais au fond, il est amusant avec sa parole spirituellement exubérante.

1000. (1895) Les confessions littéraires : le vers libre et les poètes. Figaro pp. 101-162

Les occasions sont rares qui exigent toute l’ampleur du Verbe, tout le chatoiement de la parole, toute la symphonie des mots. […] Gustave Kahn était tout désigné pour prendre la parole après la savante et lumineuse consultation de M. de Gourmont, après le loyal et beau défi de Sully Prudhomme. […] Marey, dans ses cours actuels, à la Sorbonne, peut déjà donner les courbes des sensations de la parole, grâce au phonographe… Ah ! […] En vos paroles, comte, la rime fut d’accord avec la raison ; mais le poème sans rime ? […] , finit par une si plaisante boutade que nous voici dans l’obligation de donner la parole à — Universitaires, réjouissez-vous ! 

1001. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

Nous répéterons avec Setchenoff : « Pas de pensée sans expression », c’est-à-dire la pensée est une parole ou un acte à l’état naissant, c’est-à-dire un commencement d’activité musculaire. […] Une marche rapide, une course accélèrent ie cours des idées et de la parole ; elles produisent, comme dit Bain, une ivresse mécanique. […] Stricker, dans son livre sur la parole et la musique, en a décrit, d’après sa propre expérience, un type parfait : ce sont les moteurs par excellence. Pour d’autres, il consiste surtout en images auditives ; c’est une parole intérieure très bien décrite par V. […] J’interprète : la prière à haute voix, la parole articulée produit un premier degré de concentration, ramène dans une voie unique la conscience dispersée.

1002. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

On ne s’étonnera pas qu’ayant rencontré un contradicteur aussi éminent, nous tenions compte de toutes ses paroles : aussi bien sommes-nous ici dans le cœur de notre sujet. […] Bien plus, certaines paroles qui, à un autre point de vue, peuvent paraître ou trop dures, ou trop superficielles, prennent un sens singulièrement grand et profond qui plaît à l’esprit. Par exemple, qui ne serait d’abord révolté et scandalisé en lisant ces dures paroles de saint Paul : « Le vase a-t-il droit de dire au potier : Pourquoi m’as-tu fait ?  […] Bossuet a dit ces paroles profondes : « Pourquoi l’imparfait serait-il, et le parfait ne serait-il pas ? […] Vacherot cite ces paroles, il déclare qu’elles sont très-éloquentes, mais qu’il ne peut y souscrire.

1003. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

Croyons l’en sur sa parole. […] muse raconte-moi la colere d’Achille, qui fut si fatale aux grecs, et qui coûta la vie à tant de héros. voilà les paroles du poëte, et son dessein : mais il faut remarquer que selon les sçavans, le mot grec que nous rendons simplement par celui de colere, signifie colere noble, ressentiment héroïque . […] Je sçais bien que dans l’instant de la victoire, il peut échaper au vainqueur quelques paroles d’insulte et de triomphe ; mais non pas des discours continués et adressés personnellement au cadavre. […] On auroit tort de dire que le ton y peut suppléer : comme les poëmes se lisent et qu’ils ne se prononcent pas, il faut mettre l’équivalent du ton, dans les tours et dans les paroles mêmes. […] L’amas des circonstances et des images frappe et remplit l’imagination, et c’est ce qu’on appelle force : les vers foibles sont ceux où le sens est en moindre proportion que les paroles.

1004. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

Je veux vous mettre sous les yeux  et si vous la connaissez déjà, vous en serez quitte pour la relire  une curieuse lettre de Lamartine à son ami Aymon de Virieu, où il apparaît  et bien d’autres endroits de sa correspondance nous le confirment  que ce poète, d’un lyrisme si épandu, n’en eut pas moins une très forte vie intérieure et que son christianisme somptueux ne s’exhalait pas tout en paroles. […] Mais nous sommes ici, j’en ai peur, dans une région de rêve où les mots n’ont plus un sens bien précis… Dire que le monde est la parole de Dieu, ce n’est peut-être déjà plus distinguer nettement l’un de l’autre ; et nous nous demandons, et Lamartine se demande lui-même ce que peut bien être Dieu en dehors de sa parole qui est le monde, et si Dieu serait encore concevable, cette parole supprimée. […] Lamartine, lui, l’exprime sans effort, ou plutôt il le « chante », il l’exhale, il l’épanche en paroles splendides, et qui semblent involontaires. […] C’est un extraordinaire épanchement de paroles rythmées, toujours ample et libre, souvent hasardeux. […] Maintenir un Dieu personnel, afin d’échapper à l’obscurité du panthéisme et aux difficultés qu’on trouve à fonder sur le panthéisme une morale ; mais ne point séparer l’existence de Dieu de celle du monde, afin d’éviter que ce Dieu ne se rétrécisse en une personne humaine ; par suite, regarder le monde comme co-éternel à Dieu, concevoir la création comme continue et toujours actuelle, car elle est pour nous la condition même de l’existence de Dieu ; considérer enfin l’univers et la vie à tous ses degrés, depuis la vie inorganique jusqu’à la pensée humaine, comme un système de signes de plus en plus clairs et conscients et comme la parole même de l’Être divin : parole balbutiante et ignorante chez les créatures inférieures, mais qui, chez l’homme, commence à savoir ce qu’elle dit… À quoi il faut ajouter ce corollaire : — Si Dieu n’existe qu’à la condition d’agir, de créer, en retour les choses n’existent qu’en tant qu’elles signifient Dieu et dans la mesure où elles le signifient ; autrement dit, elles n’existent qu’en tant qu’elles sont pensées par l’homme, puis qu’elles n’ont de sens que dans son cerveau.

1005. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Elles veulent savoir la pensée et la parole du journal ! […] Jamais la puissance de la parole écrite ne s’est plus complètement manifestée. […] Non, sur la parole de Mascarille ! […] Géronimo prenant au sérieux les paroles de Sganarelle, se met en devoir de lui donner un bon conseil. […] La parole est plus qu’une fortune, c’est une royauté.

1006. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Riposte à Taxile Delord » pp. 401-403

Jeune homme, qui vous destinez aux lettres et qui en attendez douceur et honneur, écoutez de la bouche de quelqu’un qui les connaît bien et qui les a pratiquées et aimées depuis près de cinquante ans, — écoutez et retenez en votre cœur ces conseils et cette moralité : Soyez appliqué dès votre tendre enfance aux livres et aux études ; passez votre tendre jeunesse dans l’etude encore et dans la mélancolie de rêves à demi-étouffés ; adonnez-vous dans la solitude à exprimer naïvement et hardiment ce que vous ressentez, et ambitionnez, au prix de votre douleur, de doter, s’il se peut, la poésie de votre pays de quelque veine intime, encore inexplorée ; — recherchez les plus nobles amitiés, et portez-y la bienveillance et la sincérité d’une âme ouverte et désireuse avant tout d’admirer ; versez dans la critique, émule et sœur de votre poésie, vos effusions, votre sympathie et le plus pur de votre substance ; louez, servez de votre parole, déjà écoutée, les talents nouveaux, d’abord si combattus, et ne commencez à vous retirer d’eux que du jour où eux-mêmes se retirent de la droite voie et manquent à leurs promesses ; restez alors modéré et réservé envers eux ; mettez une distance convenable, respectueuse, des années entières de réflexion et d’intervalle entre vos jeunes espérances et vos derniers regrets ; — variez sans cesse vos études, cultivez en tous sens votre intelligence, ne la cantonnez ni dans un parti, ni dans une école, ni dans une seule idée ; ouvrez-lui des jours sur tous les horizons ; portez-vous avec une sorte d’inquiétude amicale et généreuse vers tout ce qui est moins connu, vers tout ce qui mérite de l’être, et consacrez-y une curiosité exacte et en même temps émue ; — ayez de la conscience et du sérieux en tout ; évitez la vanterie et jusqu’à l’ombre du charlatanisme ; — devant les grands amours-propres tyranniques et dévorants qui croient que tout leur est dû, gardez constamment la seconde ligne : maintenez votre indépendance et votre humble dignité ; prêtez-vous pour un temps, s’il le faut, mais ne vous aliénez pas ; — n’approchez des personnages le plus en renom et le plus en crédit de votre temps, de ceux qui ont en main le pouvoir, qu’avec une modestie décente et digne ; acceptez peu, ne demandez rien ; tenez-vous à votre place, content d’observer ; mais payez quelquefois par les bonnes grâces de l’esprit ce que la fortune injuste vous a refusé de rendre sous une autre forme plus commode et moins délicate ; — voyez la société et ce qu’on appelle le monde pour en faire profiter les lettres ; cultivez les lettres en vue du monde, et en tâchant de leur donner le tour et l’agrément sans lequel elles ne vivent pas ; cédez parfois, si le cœur vous en dit, si une douce violence vous y oblige, à une complaisance aimable et de bon goût, jamais à l’intérêt ni au grossier trafic des amours-propres ; restez judicieux et clairvoyant jusque dans vos faiblesses, et si vous ne dites pas tout le vrai, n’écrivez jamais le faux ; — que la fatigue n’aille à aucun moment vous saisir ; ne vous croyez jamais arrivé ; à l’âge où d’autres se reposent, redoublez de courage et d’ardeur ; recommencez comme un débutant, courez une seconde et une troisième carrière, renouvelez-vous ; donnez au public, jour par jour, le résultat clair et manifeste de vos lectures, de vos comparaisons amassées, de vos jugements plus mûris et plus vrais ; faites que la vérité elle-même profite de la perte de vos illusions ; ne craignez pas de vous prodiguer ainsi et de livrer la mesure de votre force aux confrères du même métier qui savent le poids continu d’une œuvre fréquente, en apparence si légère… Et tout cela pour qu’approchant du terme, du but final où l’estime publique est la seule couronne, les jours où l’on parlera de vous avec le moins de passion et de haine, et où l’on se croira très clément et indulgent, dans une feuille tirée à des milliers d’exemplaires et qui s’adresse à tout un peuple de lecteurs qui ne vous ont pas lu, qui ne vous liront jamais, qui ne vous connaissent que de nom, vous serviez à défrayer les gaietés et, pour dire le mot, les gamineries d’un loustic libéral appelé Taxile Delord.

1007. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — [Note.] » pp. 83-84

… Il ajouta ensuite : « J’ai souvent pensé à mettre ces paroles au frontispice de ma maison. »

1008. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre II. Du Chant grégorien. »

Ce chant pareil, qui revient à chaque couplet sur des paroles variées, imite parfaitement la nature : l’homme qui souffre, promène ainsi ses pensées sur différentes images, tandis que le fond de ses chagrins reste le même.

1009. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre premier. Du Christianisme dans la manière d’écrire l’histoire. »

Quiconque voulait être raisonnable sentait en lui je ne sais quelle impuissance du bien ; quiconque étendait une main pacifique, voyait cette main subitement séchée : le drapeau rouge flotte aux remparts des cités ; la guerre est déclarée aux nations : alors s’accomplissent les paroles du prophète : Les os des rois de Juda, les os des prêtres, les os des habitants de Jérusalem, seront jetés hors de leur sépulcre 169.

1010. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XI. Des Livres sur la Politique & le Droit Public. » pp. 315-319

C’est Socrate qui donne des leçons aux Rois ; leçons sublimes & qui n’ont pas été un vain étalage de paroles dans la bouche de Fréderic.

1011. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « Appendice »

Or ils enlevèrent de la tête de lui Et son casque de peau de belette Et sa peau de loup Et son arc élastique Et sa lance longue… Traduction Leconte de Lisle Dolon, ne pense pas m’échapper, puisque tu es tombé entre nos mains, bien que tes paroles soient bonnes.

1012. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

Ces tristes paroles sont scandées des han douloureux de Renan, nous prédisant que nous allons assister aux scènes de l’Apocalypse. […] La parole s’exalte, les coups de fusil sont proches. […] Et à l’appui de sa thèse, il cite les paroles que prononçait Isaïe, huit cents ans avant le Christ : « Que me font vos sacrifices ! […] Quelqu’un qui vient me voir, me dit que d’après des paroles qu’il a saisies dans les groupes, il craint une défaite. […] Elle est là, le regardant mourir, muette, sans une parole.

1013. (1873) Molière, sa vie et ses œuvres pp. 1-196

On ne songe qu’avec respect à ces entretiens à la fois familiers et sublimes, et on se demande pourquoi l’air qui passe emporte à jamais les paroles qui tombent parfois de la bouche du génie. […] On l’avait vu, lorsqu’il joua pour la première fois devant le roi, prendre la parole pour faire excuser par la noble assemblée les façons un peu campagnardes, rurales, dirait-on aujourd’hui, des débutants. […] Il m’a tenu parole et nous allons voir s’il s’acquittera bien de ce qu’il m’a promis. […] Répétons-les donc encore une fois, ces paroles, pour les appliquer au sujet que nous traitons : Ma femme est morte, je la pleure ; si elle vivait, nous nous querellerions. […] Sa parole, nette et vivante, n’a jamais les profondeurs immenses du Monologue inoubliable.

1014. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

Il nous arrive dans la passion de laisser échaper quelques paroles que nous n’adressons qu’à nous-mêmes : c’est encore de n’y point admettre les raisonnemens, ni à plus forte raison les récits. […] Il est encore évident qu’avec la liberté de choisir et d’arranger les paroles, on en auroit plus de facilité à perfectionner les choses. […] On mesura des paroles aux airs ; et l’on ne faisoit point de vers qui ne se chantassent. […] La majesté et le pathétique qui résultent des sons mariés aux paroles, dégénereroient en une familiarité insipide dans le simple récit. […] Voici ses paroles. " ce n’étoit peut-être que dans le langage extrêmement figuré que consistoit la poësie hébraïque, … etc.

1015. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

Est-ce crainte de se dépenser inutilement ou difficulté de parole ? […] Leurs paroles n’ont, en platitude et pauvreté, d’équivalents que leur poitrine. […] Je me souviens de ces paroles. […] Inutiles paroles. […] On se le montrait curieusement, en chuchotant de l’un à l’autre des paroles interrogatives.

1016. (1901) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Deuxième série

La parole vivante, même faible, peut avoir beaucoup plus d’efficacité que l’écriture : que ne devient-elle pas capable d’accomplir avec l’accent d’une foi sincère ? […] C’est vraiment notre vie et notre mort que les critiques ont entre leurs mains par leur parole ou par leur silence. […] Partant d’un homme sans éclat : Ce seraient paroles exquises Si c’était un grand qui parlât. […] L’usage de la clepsydre, qui mesurait sévèrement aux orateurs le temps de la parole, explique, selon M.  […] Il donne à la parole une vie permanente, en lui laissant perdre, sans dommage essentiel, tout ce qui constitue sa vie éphémère.

1017. (1892) Impressions de théâtre. Sixième série

Voici donc, très imparfaitement fixée, l’ombre de la parole de M.  […] Je crois, d’ailleurs, que ce formidable Balzac commence à être un de ces auteurs qu’on aime mieux admirer sur parole que d’y aller voir. […] Le reste, flirtage, serments, paroles et lettres d’amour, n’est que mensonges élégants et préparations nécessaires. […] Faites attention que, même chez de très honnêtes gens, la parole intérieure est, à certains moments, scélérate. […] … Et tous deux se grisent de leurs paroles ; ils disent tout dans une colère grandissante.

1018. (1883) Essais sur la littérature anglaise pp. 1-364

Ils ne veulent pas, selon l’énergique parole de l’Apôtre, boire de la cymbale et manger du tambour. Ils croient plus aux faits qu’aux paroles, non seulement pour les autres, mais pour eux-mêmes. […] De là des airs hautains suivis de provocations, des paroles blessantes suivies de voies de fait. […] Luynes parut choqué de ces paroles. […] Ces paroles bien qu’un peu moins vives que ne le comportaient mes instructions, l’exaspérèrent au point qu’il s’écria : “Par Dieu !

1019. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Mais c’est aux musiciens que la parole appartient sur cette affaire, et je rougis de ne pas la leur avoir complètement laissée. […] Non pas qu’il fallût le prodiguer ; mais il fallait qu’il parût, silencieux, ou avec des paroles brèves, à certains moments essentiels. […] Par suite, qu’y a-t-il de « bête » ou même d’étonnant dans les paroles de Philaminte, qui, encore une fois, est très convaincue, très « sérieuse » ? […] On le dirait aux paroles que vous venez de prononcer ! […] Il décrète que la politesse des manières et des paroles serait celle du cœur.

1020. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

Il adaptait à ces airs des paroles royalistes, puis il finissait par chanter bravement les paroles républicaines, pour être « dans le train », comme nous dirions aujourd’hui. […] Aucun ne lui donna, la mesure de son éloquence comme faisait le frisson de Pauline de Beaumont sous sa parole. […] Dans le moment même de l’action et de la parole, je suis ailleurs, je pense à autre chose. […] Il ne s’est pas fait cette prose, il a seulement noté la parole intérieure qu’il se prononce à lui-même dans la solitude de sa chambre de travail, et la parole improvisée qu’il jette au hasard des confidences de conversation. […] Il cède la parole aux témoins, il s’établit leur introducteur, par suite il procède presque toujours par citations.

1021. (1885) L’Art romantique

Sa causerie était brillante, subtile, mais pleine de faits, de souvenirs et d’anecdotes ; en somme, une parole nourrissante. […] C’était vraiment plaisir de les voir s’agiter dans une lutte innocente, la parole de l’un marchant pesamment comme un éléphant en grand appareil de guerre, la parole de l’autre vibrant comme un fleuret, également aiguë et flexible. […] Les replis que font ces phrases, en se liant et s’entrelaçant autour des paroles du poème, sont d’un effet émouvant au dernier point. […] Les premières paroles du Hollandais, après que son vaisseau est arrivé au mouillage, sont sinistres et solennelles : « Le terme est passé ; il s’est encore écoulé sept années ! […] Il en est de même de Rouvière : il a cette grâce suprême, décisive, — l’énergie, l’intensité dans le geste, dans la parole et dans le regard.

1022. (1886) Le roman russe pp. -351

C’est logique ; il ignore ou dédaigne la parole qui a commandé le respect pour les simples d’esprit en leur promettant le bonheur. […] La première voix qui allait faire entendre une parole plus virile devait sonner le glas de ce phénomène aristocratique et artificiel. […] Chacun leur apporte du sien, qui des vivres, qui de l’argent, qui la consolation d’une parole chrétienne. […] Lise a vingt ans, elle est demeurée insensible aux séductions d’un beau tchinovnik de qui sa mère est coiffée : cependant, de guerre lasse, elle va lui engager sa parole, quand survient un parent éloigné, Lavretzky. […] On pouvait croire que s’il reprenait la parole, après ces années de silence et de repos, ce serait pour redire le cantique de Siméon.

1023. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 218-221

Après ce qu’il a fait, M. de Musset est resté modeste, à le juger du moins sur ses paroles ; il ne s’exagère point la grandeur de son œuvre, il s’en dissimule trop peut-être le côté délicieux et captivant ; peu soucieux de l’avenir, il dit pour toute préface au lecteur : Ce livre est toute ma jeunesse ; Je l’ai fait sans presque y songer.

1024. (1874) Premiers lundis. Tome II « L. Aimé Martin. De l’éducation des mères de famille, ou de la civilisation du genre humain par les femmes. »

Il y a semé des aperçus justes, des observations élevées ; il a animé un sujet grave de mouvements honnêtes et généreux ; son style et sa parole sont restés fidèles à l’harmonie de ses maîtres.

1025. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 467-471

Patru a éprouvé, est l’image de celui qui est réservé à plusieurs Ecrivains de nos jours, dont la renommée n’est que le fruit des préventions d’une infinité d’esprits incapables de juger & d’estimer autrement que sur parole.

1026. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1828 »

L’auteur s’en abstiendra donc ici, en se réservant d’exposer ailleurs les idées qu’il a pu recueillir sur ces matières, et, qu’on lui pardonne la présomption de ces paroles, de dire ce qu’il croit que l’art lui a appris.

1027. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Archiloque, et Lycambe. » pp. 7-11

Le cardinal Spinola mourut également pour avoir ouï proférer à Philippe II ces paroles de disgrace : Cardenal, yo soy el Presidente.

1028. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

« Le conventionnel avait prononcé ces dernières paroles d’une voix haute, et avec le frémissement de l’extase, comme s’il voyait quelqu’un. […] Il faut convenir que ce pauvre évêque avait peu de présence d’esprit contre les paradoxes du terrorisme, et l’on ne doit pas s’étonner qu’il tombe, comme saint Paul sur le chemin de Damas, atterré et sans paroles, aux genoux de celui qui daigne l’instruire des droits de la colère et de la sublimité des vengeances du peuple, pour adorer le révélateur du mystère de l’échafaud et pour montrer, le lendemain, le ciel comme le seul séjour digne de ce prophète du comité de salut public ! À quels excès d’aveuglement le génie même de la parole peut conduire ! […] Remplissaient est bien le mot, et certes cette journée de l’évêque était bien pleine jusqu’aux bords de bonnes pensées, de bonnes paroles et de bonnes actions.

1029. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

Lamoureux étaient moins heureuses, le Vendredi-saint, bien déparé par l’absence des paroles, et surtout le Waldweben, bizarre compilation de motifs triés dans le second acte de Siegfried, mais toutes les autres, même la marche funèbre, même le prélude de Parsifal, offrent un sens défini, et sont, chacune, le développement intégrai d’une émotion. […] Les poètes, les peintres symphonistes, créent bien des émotions comme les musiciens ; mais ils créent des émotions tout autres, dont la différence ne peut se définir, l’émotion, par sa nature même, étant indéfinissable en des paroles. […] … » lui répond alors le captif, et saisissant vivement sa lyre, il entonne un chant où il lui promet de toujours vanter ses attraits, mais où il ajoute qu’il est altéré du désir » de revoir les Cieux », et la verdure des prés … d’entendre le ramage des oiseaux, et « les cloches des églises … » Ce chant d’une énergie mâle, reproduit la mélodie de l’ouverture ; les paroles qui s’y appliquent sont à la louange de Vénus. […] Dans cette quiétude, des élans exaltés vibrent cependant, et l’on y discerne une extase contenue, un secret ravissement ; Ils s’arrêtent devant une statue de la Madone, et Tannhaeuser en les écoutant se jette à genoux Aussi épouvanté du prodige de miséricorde qui vient de le sauver, que stupéfait de voir son vœu audacieux si soudainement exaucé, et sa délivrance si inopinément accomplie, il répète les paroles des pèlerins : « je suis oppressé par mon péché, je succombe sous son poids, je ne veux donc plus connaître ni la paix, ni le repos, je ne choisis désormais pour moi que peines et fatigues ! 

1030. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

Par là, il a mené la muse parmi des chemins neufs, dans les laboratoires et les usines, et lui a dicté des paroles durables (Le Poème de la Jeunesse ; la Chanson des Hommes). […] Dans ces instants, elle est bien une incarnation messianique ; ses paroles sont inédites et telles que les premiers lyriques de notre race les voudraient avoir dites. […] Il penche sa douceur de poète sur des agonisants et du même ton dont aux matins crayeux de ses vingt ans, il célébra la femme, prophétise aujourd’hui la gloire du Crucifié et prononce les paroles déliant sur terre et dans le ciel les âmes des pêcheurs. […] « Et viennent les Paroles, meurtrières, désabusées, terribles et profondes, religieuses, décisives, mystérieuses, dont on ne parle pas, qu’il faut murmurer bouche à bouche avec l’Être ou le Néant.

1031. (1888) Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes « Petit glossaire »

Le vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf, étrange à la langue et comme incantatoire achève cet isolement de la parole. […] Une quadragénaire en lourde robe rouge verse un flux de paroles sur le sommet du triangle dans lequel s’inscrit sa fille à la glauque robe de tulle. […] Aux passés les jeunes désirs mantelés de paroles au vent. […] Ma parole, aux soirs des périptères Fait taire citoles et saltères

1032. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre II. Le comique de situation et le comique de mots »

Imaginons maintenant un ressort plutôt moral, une idée qui s’exprime, qu’on réprime, et qui s’exprime encore, un flot de paroles qui s’élance, qu’on arrête et qui repart toujours. […] Dans les « histoires sans paroles » que crayonnent les dessinateurs comiques, il y a souvent un objet qui se déplace et des personnes qui en sont solidaires : alors, de scène en scène, le changement de position de l’objet amène mécaniquement des changements de situation de plus en plus graves entre les personnes. […] Dans le quiproquo, en effet, chacun des personnages est inséré dans une série d’événements qui le concernent, dont il a la représentation exacte, et sur lesquels il règle ses paroles et ses actes. Chacune des séries intéressant chacun des personnages se développe d’une manière indépendante ; mais elles se sont rencontrées à un certain moment dans des conditions telles que les actes et les paroles qui font partie de l’une d’elles pussent aussi bien convenir à l’autre.

1033. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Quand je me dis combien de manières il y a de mal observer un homme qu’on croit bien connaître, de mal regarder, de mal entendre un fait qui se passe presque sous les yeux ; quand je songe combien d’arrivants béats et de Brossettes apprentis j’ai vu rôder, le calepin en poche, autour de nos quatre ou cinq poëtes ; combien d’inconstantes paroles jetées au vent pour combler l’ennui des heures et varier de fades causeries se sont probablement gravées à titre de résultats sentencieux et mémorables ; combien de lettres familières, arrachées par l’importunité à la politesse, pourront se produire un jour pour les irrécusables épanchements d’un cœur qui se confie ; quand, allant plus loin, je viens me demander ce que seraient, par rapport à la vérité, des mémoires sur eux-mêmes élaborés par certains génies qui ne s’en remettraient pas de ce soin aux autres, oh ! […] Ainsi à l’âge de douze ans, ayant été atteint d’un coup de tonnerre, au seuil même de la maison, comme on l’avait couché sur un lit sans mouvement et sans apparence de vie, mais non sans connaissance, il endura longtemps les doléances et les soins éperdus des assistants, ne pouvant prendre la parole pour les rassurer ; mais le premier mot qui lui échappa fut à sa tante : « Eh bien ! […] Cette prise heureuse sur la mémoire des hommes (la source d’inspiration d’ailleurs y poussant) est due au refrain pour les paroles, au cadre pour l’idée.

1034. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Mais l’art d’écrire serait aussi une arme, la parole serait aussi une action, si l’énergie de l’âme s’y peignait tout entière, si les sentiments s’élevaient à la hauteur des idées, et si la tyrannie se voyait ainsi attaquée par tout ce qui la condamne, l’indignation généreuse et la raison inflexible. […] S’il aime la liberté, si ce nom de république, si puissant sur les âmes fières, se réunit dans sa pensée à l’image de toutes les vertus, quelques Vies de Plutarque, une Lettre de Brutus à Cicéron, des paroles de Caton d’Utique dans la langue d’Addison, des réflexions que la haine de la tyrannie inspirait à Tacite, les sentiments recueillis ou supposés par les historiens et par les poètes, relèvent l’âme, que flétrissaient les événements contemporains. […] Alors que le criminel éprouve l’adversité, il ne peut se faire aucun bien à lui-même par ses propres réflexions ; tant qu’un vrai repentir ne le remet pas dans une disposition morale, tant qu’il conserve l’âpreté du crime, il souffre cruellement : mais aucune parole douce ne peut se faire entendre dans les abîmes de son cœur.

1035. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Point de personnage qui n’y soit un orateur accompli ; chez Corneille, Racine et Molière lui-même, un confident, un roi barbare, un jeune cavalier, une coquette de salon, un valet, se montrent passés maîtres dans l’art de la parole. […] Rien ne pousse dans ces confins reculés et sublimes par lesquels la parole touche à la musique et à la peinture. […] Ce sont là les propres paroles de Siéyès  Ailleurs il ajoute : « Les prétendues vérités historiques n’ont pas plus de réalité que les prétendues vérités religieuses. » (Papiers de Siéyès, année 1772, d’après Sainte-Beuve, Causeries du lundi, V, 194.) — Descartes et Malebranche avaient déjà ce mépris pour l’histoire.

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