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584. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

Je me suis donné assez de tourments pendant un demi-siècle ; je peux dire que, pour travailler à ce que la nature m’avait donné comme œuvre de mes jours, je ne me suis reposé ni jour ni nuit ; je ne me suis permis aucune distraction ; j’ai toujours marché en avant, toujours cherché, toujours agi aussi bien et autant que je pouvais. […] Mais pour moi, qui ne suis pas une nature guerrière, qui n’ai aucun goût pour la guerre, les chants guerriers n’auraient été qu’un masque qui se serait fort mal appliqué sur mon visage. […] Cette hauteur convenait à ma nature, et, longtemps avant d’avoir atteint ma soixantième année, je m’y étais fermement établi. » Acceptons cette généreuse déclaration pour la France, et, au lieu de faire chorus avec les détracteurs, honorons le sentiment élevé qui l’a dictée. […] Mais qu’on veuille y réfléchir : je le demande, Gœthe étant ce qu’il était par sa nature, par ses tendances, par la région élevée où habitait sa pensée, pouvait-il avoir une autre opinion sur le jeune et brillant poëte, dont il reconnaît d’ailleurs en maint endroit le grand talent d’imagination et la puissance ? […] Comme il sent les larges natures !

585. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

L’imitateur est donc l’auteur d’une œuvre éloignée de la nature de trois degrés. […] Portons notre attention sur cette nature particulière de l’âme. […] Aux arts qui ne font qu’imiter la nature, la nature n’ayant aucune moralité, elle demande le beau, mais nullement le beau moral : peinture, sculpture, architecture. […] Seulement c’est sur la nature de cette morale particulière de l’artiste, c’est sur la nature de la morale de l’art qu’il s’est trompé. […] Il y a un ordre de la nature et un ordre de la loi.

586. (1913) Le mouvement littéraire belge d’expression française depuis 1880 pp. 6-333

une erreur fondamentale sur la nature des frontières ? […] Mais c’est la nature qui l’a fait. […] Il aime la nature, il aime la terre, le murmure animal et végétal qui l’enchante. […] Ainsi l’art triomphe et avec lui la toute-puissance de la nature. […] La nature offrant un renouvellement perpétuel d’impressions fugitives, l’âme du poète doit s’assouplir et changer comme la nature.

587. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

Tout personnage principal doit inspirer un degré d’intérêt : c’est une des règles inviolables ; elles sont toutes fondées sur la nature. […] On demande, par rapport à l’incident principal de la tragédie, de quelle nature il doit être. […] Mais on leur répond : N’y a-t-il pas quelque chose de plus parfait, de plus rare, de plus noble, qui est aussi dans la nature ? […] Mais la passion a ses repos et ses intervalles, et l’art du théâtre veut qu’on suive en cela la marche de la nature. […] Au moment le plus pathétique de l’air, leurs accents peuvent se confondre ; cela est dans la nature.

588. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

Pas de milieu entre le réalisme grossier et l’idéalisme creux : ici la nature est triviale, là elle est contrariée. […] Mais le trait le plus original de sa nature, c’est la place qu’elle donne au sentiment. […] Cette œuvre nous révèle la complexité de sa nature. […] Sa nature ne le poussait pas à sortir des sujets et du ton qui plaisaient à son public. […] Marot n’a guère parlé de la nature, sauf quelques jolies réminiscences de sa rustique enfance, de son Querey natal.

589. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

La nature, en créant des femmes, se trompe quelquefois et fait des viragos qui ne rêvent qu’exercices virils, tournois et jeux de guerre. […] La mère de l’abbé fit tout pour prolonger et pour cultiver en lui cette erreur de la nature. Il reçut la plus funeste éducation qui se puisse imaginer, celle qui pouvait le plus aider au développement de sa nature féminine et puérile ; il fut élevé dans la ruelle de sa mère. […] C’est là le trait le plus saillant, le plus original de cette vaine et futile nature, et qui trahit à quel point chez lui la coquetterie de femme était innée. […] C’est une de ces natures qui sont en tout des échos, des reflets fidèles et variés de leur temps et de leurs entours : excellents témoins de la langue courante, toutes les fois que leur parole se fixe par écrit.

590. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre I. Shakespeare — Son génie »

L’arabesque dans l’art est le même phénomène que la végétation dans la nature. […] La nature, c’est l’éternel bi-frons. […] La nature n’a dans cet art-là qu’une entrée restreinte. […] La nature est entachée de démagogie. […] Le poëte, nous l’avons dit, c’est la nature.

591. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Loutherbourg » pp. 258-274

C’est nature et nature seule qui dicte la véritable harmonie d’une période entière, d’un certain nombre de vers. […] C’est conserver sur la toile aux objets imités la couleur des êtres de la nature dans toute sa force, dans toute sa vérité, dans tous ses accidens. […] L’autre y sème des personnages et des incidents de toute espèce, et ces personnages et ces incidens, quoique vrais, ne sont pas la nature commune des champs. […] On y voit le charme de la nature avec les incidens les plus doux ou les plus terribles de la vie. […] C’est un souffle, mais c’est le souffle de la nature et de la vérité.

592. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

Si l’on aime une femme saine, la nature ne connaît pas encore d’autre mode d’épanouissement de cet amour, que de l’aimer physiquement.‌ […] Le génie n’est pas celui qui se soustrait aux lois communes de la nature et de la vie, c’est au contraire celui qui y obéit le plus. […] Je crains qu’en se basant sur le fait de l’hallucination religieuse et de l’extase provoquée par une existence contre nature, M.  […] Le précieux semen virile n’est pas distillé par la nature pour demeurer inactif et se corrompre. […] La nature est tellement riche qu’elle accumule en quelques-uns des ressources insoupçonnées ; et nous voyons alors des prodiges, que, chez tout autre, nous devrions nommer folies.

593. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre II. De la sensibilité considérée comme source du développement littéraire »

Mais je me méfie surtout des mots sublimes que la passion a, dit-on, arrachés à des natures vulgaires ou incultes. Ce qui arrive ordinairement, c’est que, dans ces bouleversements de l’âme entière, le fond de la nature apparaît, et le mot est ce que le caractère primitif et les habitudes invétérées le font. […] Si une passion est contrariée, mille idées, regrets du passé, espérances et craintes de l’avenir, délibérations et projets, viennent le soutenir et comme donner un corps au sentiment vague et flottant de sa nature. […] Et, quand l’esprit sera agile, fin, éveillé, quand l’exercice incessant de toutes ses puissances lui sera une seconde nature, et que, se mêlant partout, il ne se désintéressera de rien, alors sans qu’on y songe, sans qu’on l’appelle, sans effort et sans affectation, il prêtera sa richesse et toute sa force aux effusions de la sensibilité ; alors on croira que le cœur parle tout seul.

594. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Desbordes-Valmore, Marceline (1786-1859) »

Auguste Lacaussade C’est dans l’élégie que Mme Valmore se révèle tout entière, dans l’originalité de sa nature et de son talent. […] Comte Robert de Montesquiou-Fezensac La vraie Valmore à édifier et déifier est une Valmore de vers, de ses vers groupés à l’entour de son nom en la délicate élite et la délicieuse prédilection d’une dédicace réversible… Telles pièces sont plus parfaites, plus délibérément réussies, mais qu’on n’oserait guère déclarer plus que d’autres adéquates à leur visée, mieux moulées sur nature. […] Elle était en sympathie avec toute la nature ; ce fut son don précieux, et c’est par là qu’elle fut poète… [Discours prononcé à Douai, pour l’inauguration du monument de Marceline Desbordes-Valmore (le 13 juillet 1896).] […] Goût de l’amour dès l’enfance, avant même de se douter de ce qu’est l’amour ; sentiment un peu sanglotant de la nature ; aspiration à se dévouer sans relâche, avec un secret contentement de souffrir pour son dévouement ; félicité de la meurtrissure sentimentale, optimisme extraordinairement vivace, abrité du scepticisme comme par une ouate de mélancolie douce… Ajoutez à ces dons naturels la vie la plus romanesque, romanesque jusqu’à l’invraisemblable, une gageure du destin tenue et gagnée contre les caprices de l’imagination : l’héritage sacrifié à la foi religieuse, les voyages tragiques, la guerre, la tempête, la séduction, l’abandon, le théâtre avec le succès d’abord, et bientôt la perte de la voix, la misère, la mort de l’enfant adoré, de quoi défrayer vingt romans conçus avec quelque économie.

595. (1898) Essai sur Goethe

Une fois pour toutes, il a pris la résolution « de laisser agir selon ses tendances particulières sa nature, et de laisser la nature extérieure agir sur lui selon ses qualités ». […] de l’humanité, de la nature, rien de plus, mais en abondance ! […] On criait, c’est vrai : « Nature ! Nature !  […] Quelle fut la vraie nature de cette liaison ?

596. (1913) Les livres du Temps. Première série pp. -406

La nature aime, rêve ou s’enfièvre. […] On fait honneur au dix-neuvième siècle d’avoir découvert la nature : j’ai bien peur que le sens poétique de la nature ne soit toujours absent de la pédagogie. […] Francis Jammes appartient donc avant tout à l’école de la nature. […] La nature échappe à nos objections : M.  […] Bref, le progrès, mais dans le sens de la nature.

597. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre IV. Le Séminaire d’Issy (1881) »

Les natures absolues ont besoin de ces partis tranchés. […] Gosselin par la force de sa nature et la hardiesse de ses partis pris. […] L’esprit scientifique était le fond de ma nature. […] C’est là que j’ai appris l’art de peindre la nature par des traits moraux. […] Il ne me disait jamais rien qui fût de nature à m’engager ou à me dissuader.

598. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

Son talent, c’était sa nature ; sa popularité, c’était son patriotisme ; sa puissance, c’était son humanité ! […] C’est que la nature des choses avait choisi d’elle-même et avant lui ce mode de propagande des instincts du peuple et du soldat. […] Il ne fallait pas deux natures entre ce peuple et lui : le poète aurait été moins populaire, le peuple aurait été moins confiant. […] Enfin elle le fit entrer à Péronne dans une carrière à la fois lucrative et libérale, carrière qui nécessitait par sa nature des études préalables, et qui par sa nature aussi devait compléter ces études. […] Nul ne fut plus près d’arriver à la sublimité de sa nature, quand le temps le cueillit mûrissant toujours.

599. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Mais le réel, ouvrage de la liberté de l’individu, est incertain de sa nature. […] Ils firent de toute la nature un vaste corps animé, passionné comme eux. […] Peu à peu tous les phénomènes de la nature, tous les rapports de la nature à l’homme, ou des hommes entre eux devinrent autant de divinités. […] Leur origine fut naturelle, leur signification doit être fondée en nature. […] Aussi la monarchie est-elle le gouvernement le plus conforme à la nature, dans les temps de la civilisation la plus avancée.

600. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre II. Les couples de caractères généraux et les propositions générales » pp. 297-385

Dans la nature, les caractères généraux ne sont pas détachés les uns des autres ; quel que soit celui que nous ayons noté, nous ne manquons jamais de le trouver lié à quelque autre. […] Nous apprenons par l’expérience qu’il y a dans la nature un ordre de succession invariable et que chaque fait y est toujours précédé par un autre fait. […] Comment faire pour étudier dans la nature le fer en soi exposé à l’humidité en général, et pour constater qu’à cet état d’abstraction il a pour suite la rouille en général ? […] Mais rien ne prouve que ces mouvements supposés par nous soient possibles dans la nature. […] Par conséquent, l’invincible accroc mutuel que je leur constate chez moi trouve son explication, non dans leur nature intrinsèque, mais dans le milieu mental où elles ont été introduites.

601. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

. —  Conception moderne de la nature. […] Quel contraste entre son agonie et la paix de l’immortelle nature ! […] Plus on regarde la nature, plus on la trouve divine, divine jusque dans ses rochers et ses plantes. […] Comment ferait-il pour sortir de sa religion jusqu’à reproduire avec indifférence les puissances de l’indifférente nature ? […] Hommes, dieux, nature, tout le monde changeant et multiple de Goëthe s’est évanoui.

602. (1930) Physiologie de la critique pp. 7-243

Sa tige, une fois formée, porte des fleurs de nature différente. […] Ou plutôt il fait fonction non d’un individu mais d’une nature : car c’est la nature qui pense et qui agit sur ce plan d’une pluralité de parties engagées et d’individus spécialisés. […] Aussi considérable et de même nature. […] Il se voulut une nature. […] L’artiste imite la nature, l’imitateur imite l’artiste ; le critique s’efforce d’imiter non la nature qui crée les choses et les hommes, comme fait l’artiste, non l’artiste qui recrée une nature, comme fait l’imitateur, mais bien la nature qui a créé l’artiste, c’est à dire la nature envisagée dans un moment particulier et dans une opération individuelle.

603. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

C’est un don de la nature, très inégalement réparti entre les individus. […] L’art plie la nature à ses desseins, et c’est à ce titre que j’appelle cette forme de l’attention : artificielle. […] L’attention acquise est devenue une seconde nature ; l’œuvre de l’art est consommée. […] Quand les deux excitations sont de même nature, on no perçoit bien que la première, la seconde passe inaperçue. […] Jusqu’ici nous nous sommes bornés à constater leur rôle, sans rien dire de leur nature.

604. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VI : Difficultés de la théorie »

Comment se fait-il que les espèces soient si bien définies et que tout ne soit pas confusion dans la nature ? […] Et, en effet, la nature nous en offre parfois des exemples. […] Ainsi que Milne Edwards l’a si bien exprimé, la nature est prodigue de variétés, mais avare d’innovations. […] Pourquoi la nature n’aurait-elle pas fait un saut de structure à structure ? […] Or, tel est bien en effet le degré de perfection atteint par la nature.

605. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

On croit tout justifier, en disant que les folies du tragique anglais sont dans la nature. […] Je ne sais si jamais homme a jeté des regards plus profonds sur la nature humaine. […] la voix de la nature, à l’homme seul injuste, le condamnerait à périr, lorsqu’elle lui commande, d’espérer ! […] Ô nature ! […] poètes, enfants de la nature, amis de l’homme et de la vérité !

606. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

Grasset, et d’après la norme que la nature spéciale de l’œuvre d’art impose. […] La coutume est une expérience instituée par la nature, pour tout ce qui touche aux mœurs. […] Je dois avant tout étudier la nature de l’homme et la société. […] L’homme vraiment supérieur aux autres hommes, celui que la nature fait naître pour remplir ses vues sur la société, s’élève toujours de lui-même et malgré tous les obstacles à la place que la nature lui assigne. […] N’est-ce pas la nature même qui procède ainsi ?

607. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

Sa nature, sans qu’alors il s’en doutât, avait son arrière-pensée dans toutes les entreprises : cette arrière-pensée était d’y réfléchir quand ce serait passé. […] Un léger signe très-singulier me paraît encore indiquer en M. de La Rochefoucauld cette destination expresse de la nature. […] L’étude de la nature humaine est infinie : au moment où l’on croit la tenir et se pouvoir reposer un peu, elle échappe, et c’est à recommencer. […] Nos opinions en tout résultent de la nature individuelle de notre esprit bien plus que des choses. […] — Mais quelques-uns, après la jeunesse, continuent d’admirer et d’aimer. — Heureuses natures !

608. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — I » pp. 395-413

Mais en écrivant ce qui lui est arrivé, elle raconte ce qu’ont fait les autres, ce qu’ils ont dit et machiné ; elle les peint et elle les montre à nu dans leurs intriguesah, dans leurs vices, dans leur nature fantasque ou brutale, dans leur fonds de grossièreté épaisse et encore mal civilisée. […] Après les heures qu’elle employait auprès de son estimable gouvernante Mme de Sonsfeld, personne de mérite qu’un coup du ciel lui donna pour remplacer l’abominable Leti, ses meilleurs moments, ses seuls bons moments étaient ceux qu’elle passait avec son frère, et si la raillerie, la satire, le rire aux dépens du prochain les occupaient trop souvent, il faut bien penser que c’était une revanche très permise à des natures supérieures entourées d’êtres grossiers, abjects ou méchants qui les opprimaient. […] Les sentiments qu’ils expriment l’un et l’autre sur ce roi redouté qui les a fait tant souffrir, et sur sa perte prochaine, sont ce qu’on peut attendre de natures sincères et dont le fonds n’est pas méchant. Ils le regretteront peu, ils se consoleront vite, ils souffrent pourtant la nature parle, la nature pâtit, comme ils disent ; ils connaissent la tendresse du sang ; et Frédéric annonçant enfin à sa sœur cette mort, dès longtemps prévue, le fait en ces mots (1er juin 1740) : Ma très chère sœur, le bon Dieu a disposé hier, à trois heures, de notre cher père. […] Mais ce qu’on peut dire après cette lecture, c’est qu’il y justifie assez bien sa définition, et que, dans cette correspondance de frère à sœur, il se met tout entier par un côté de sa nature, par le côté littéraire, le côté artiste, virtuose et bel esprit.

609. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. (suite) »

. — D’après nature. — Œuvres choisies. — Le diable à Paris […] C’est d’après nature. […] Il a pour maxime que « le monde polit les mauvaises natures et gâte les bonnes. » Il lui voudrait rendre, à elle, toute sa bonté, son intégrité. […] » La situation se dessine vivement, ainsi que les caractères : il y a au fond deux natures et deux conditions différentes en jeu. […] On ne saurait l’omettre dans une étude qui a pour objet avant tout d’éclairer la nature distinguée dont Michel n’est pour nous qu’un léger masque à demi transparent.

610. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni (suite et fin.) »

. — D’après nature. — Œuvres choisies. — Le diable à Paris […] D… fût d’un mauvais à faire frissonner les cheveux de la nature pour avoir le zéro fatal. […] L’observateur en lui fut saisi par la vue de la nature anglaise, si particulière, si forte, si crûment grossière, si finement élégante là où elle l’est. […] A-t-il eu besoin précisément de voir de ses yeux tout ce qu’il dessine ensuite et qu’il intitule à bon droit D’après nature ? […] Celui qui avait aimé à la folie les travestissements n’avait pas de plus grande joie à cette heure que de cultiver la nature.

611. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

Vivant dans un pays de grande nature, elle a su regarder et elle a osé rendre : elle est paysagiste d’abord, et, selon moi, c’est ce qu’elle est le mieux. […] La nature toute seule, en effet, n’est pas conseillère du christianisme : elle l’est tout au plus du déisme, d’un déisme élevé, vague, immense, en présence duquel l’homme s’incline et adore. […] Elle prend plus à cœur les beautés de l’exil ; dans cette grande et libre nature qui l’environne, elle se sent à tout moment en plein Éden, elle s’y livre en toute jouissance à des ébats turbulents, innocents ; et quand l’idée du pèlerinage lui revient — un peu tard, — si elle est franche, elle conviendra qu’elle l’avait oublié. […] Elle a des enivrements de nature, puis des sursauts. L’autre chrétienne et pure catholique, l’humble fille du Cayla, avertie par tant de souffrances positives, se sent plus réellement en exil ici-bas, elle ne l’oublie jamais : elle est touchée de la nature, jamais entêtée ni enivrée.

612. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. L’Histoire »

La Démocratie en Amérique est une « consultation » sur la nature, le régime, la marche de la démocratie, une œuvre de philosophie expérimentale, qui repose sur une intelligente et sérieuse enquête de la civilisation américaine. […] Il s’agit, en montrant la vie, d’expliquer la vie : loin de chercher l’effet dramatique, loin d’emplir le public de stupeur par l’étrangeté ou l’énormité des choses, l’historien doit réduire tout à la nature, faire la guerre au miracle, découvrir la simplicité du prodige sans en diminuer la grandeur. Ainsi Jeanne d’Arc expliquée sera toujours Jeanne d’Arc, et plus admirable que jamais : « le sublime n’est point hors nature, c’est au contraire le point où la nature est le plus elle-même, en sa hauteur, profondeur naturelles ». […] Là, son âme de poète, plus tendre, plus enthousiaste, plus juvénile que jamais, s’ouvre à la grande et divine nature, qui toujours, du reste, avait été la religion de son intelligence, la joie de ses sens. […] La nature, si dure et si immorale au sentiment de beaucoup de nos contemporains, est pour Michelet une inépuisable source de joie, de force et de foi : il y renouvelle sa vie morale.

613. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

Ce qu’il était peut-être avant toute chose par nature, et le plus naïvement, si l’on peut dire, et le plus primitivement, c’était encore homme de lettres, dilettante, virtuose, avec le goût vif des arts, avec la passion et le culte surtout de l’esprit. […] « La force des États, pensait-il, consiste dans les grands hommes que la nature y fait naître à propos. » Il voulut être et il fut un de ces grands hommes ; il remplit dignement sa fonction de héros. […] La nature rude et un peu grossière du Vandale se fait sentir chez Frédéric jusqu’à travers l’homme d’esprit et le dilettante avide de s’instruire et de plaire. […] La relation de Frédéric avec d’Alembert fut d’une tout autre nature que sa liaison avec Voltaire ; elle ne fut jamais aussi vive, mais elle eut durée et solidité. […] Notre raison est trop faible pour vaincre la douleur d’une blessure mortelle ; il faut donner quelque chose à la nature, et se dire surtout qu’à votre âge comme au mien on doit plutôt se consoler, parce que nous ne tarderons guère de nous rejoindre aux objets de nos regrets.

614. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — II. (Fin.) » pp. 476-495

La guerre elle-même ne vient qu’en second lieu, et être capitaine paraît à Frédéric quelque chose de plus étranger à sa nature que d’être poète. […] Il ne se trompe que sur un point, sur la qualité de poète qu’il s’attribue ; mais il y a dans ce premier étonnement d’être devenu capitaine quelque chose d’imprévu et de piquant, et qui jette de la lumière sur le procédé de formation et sur la nature intérieure de Frédéric. […] Ce jeune roi victorieux, et malgré tout, à cette date, plus philosophe et plus homme de lettres encore qu’autre chose, écrivant ses billets soigneux et attentifs, sa première pensée après la victoire, à un bon et digne bibliophile son ami, qui n’a rien de brillant et qui ne lui est utile que dans l’ordre de l’esprit et des jouissances morales, c’est touchant, c’est honorable pour la nature humaine et pour la nature même des héros. […] Frédéric, dans les intervalles des combats, a essayé de faire venir Jordan à l’armée, au camp de Mollwitz, à celui de Strehlen ; Jordan y est venu, mais, peu belliqueux de sa nature, il a eu quelque faiblesse et s’en est vite retourné. […] Je crois, en lui donnant les choses en nature, qu’il les acceptera plutôt que de l’argent.

615. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « II  L’esprit scientifique et la méthode de l’histoire littéraire »

Avertis par leur expérience, nous savons maintenant que, comme les sciences n’ont pris leur essor qu’une fois détachées de la métaphysique, il nous faut, avec une pareille indépendance même à l’égard des sciences, organiser notre recherche, construire notre connaissance, ne tenant compte que de la nature de l’objet spécial qui est le nôtre, et des données réelles qui sont à notre disposition pour l’atteindre. […] Disons-nous bien que toutes les opérations, qui pour la science des laboratoires sont réelles, ne peuvent être dans l’histoire littéraire que métaphoriques ou idéales, que l’analyse du génie poétique n’a rien de commun que le nom avec l’analyse du sucre, et se passe tout entière dans la tête qui la fait, que l’identification du genre littéraire qui se maintient par imitation, avec l’espèce vivante qui se perpétue par génération, est purement verbale, et qu’enfin tout ce qui est méthode dans les sciences de la nature, si on le transporte dans notre domaine, devient système. […] Si nous songeons aux méthodes des sciences, de la nature, que ce soit aux plus générales, aux procédés communs de toutes les recherches qui portent sur des faits, et que ce soit moins pour construire notre connaissance que pour éclairer notre conscience. […] Mais alors, si notre objet nous impose l’emploi de l’impression subjective, et si le premier commandement de la méthode scientifique est la soumission de l’esprit à l’objet, pour organiser les moyens de connaître d’après la nature de la chose à connaître, ne sera-t-il pas plus scientifique de reconnaître et de régler le rôle de l’impressionnisme dans l’étude des œuvres littéraires que de le nier, et, comme on ne supprime pas une réalité en la niant, de laisser cet élément personnel rentrer sournoisement et agir sans règle dans nos travaux ? […] Nous avons trop postulé la conformité des faits à nos déductions, trop réduit la beauté de la nature et de la vie, la puissance du génie humain, à la mesure de nos partis-pris.

616. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre IV. L’antinomie dans l’activité volontaire » pp. 89-108

Les volontés ne diffèrent pas seulement par leurs raisons d’agir ; elles diffèrent encore par la nature des mensonges vitaux quelles adoptent ou qu’elles se fabriquent elles-mêmes pour soutenir leur énergie, pour s’encourager à vivre et à agir. […] Il est un effet de la solidarité accrue, de la coopération qui accroît le pouvoir de l’homme sur la nature. — Les individualistes répondent à cela que le pouvoir de l’homme sur la nature n’est pas tout et que le développement scientifique et industriel peut aller de pair pour beaucoup d’hommes avec un asservissement croissant des volontés et des caractères : que la solidarité accrue ne s’accompagne pas nécessairement d’un accroissement du sentiment de puissance de l’individu, mais au contraire, du sentiment de sa dépendance. Si la solidarité augmente notre pouvoir collectif sur la nature, elle accroît aussi notre dépendance sociale ; car, en un sens, moins notre action personnelle est liée à celle des autres et plus elle est libre ; plus elle est liée à celle des autres et moins elle est libre. — Notre libération à l’égard des contraintes naturelles est trop souvent compensée par une aggravation des contraintes sociales. Toutes les formes d’association (et combien il en est de stériles au point de vue de l’accroissement de notre pouvoir sur la nature), réclament de l’individu le sacrifice d’une part de sa liberté ; et il s’en faut de beaucoup que ce sacrifice soit toujours racheté par des avantages correspondants. […] Même chez l’homme supérieur, le créateur de valeurs, le héros, il faut tenir compte du conflit qui divise et oppose en chacun de nous les deux éléments de notre nature : le moi et le nous, l’égoïsme et l’altruisme, la personnalité dans ce qu’elle a d’entier, d’indépendant et d’intransigeant et la sociabilité qui réclame des concessions incessantes de la part de l’individu.

617. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Gustave Flaubert » pp. 61-75

Flaubert n’est pas un roman comme Caleb William, Robinson Crusoé et Arthur Gordon Pym, où la force exaspérée des passions les plus viriles est en cause et aux prises avec la fatalité des événements ou de la nature. […] Il répugne à la nature de l’homme d’avoir un sujet dans les mains sans se passionner pour ou contre. […] En effet, il a placé, avec l’entente d’un art profond, sa madame Bovary, cette nature si peu exceptionnelle, dans les circonstances qui devaient le plus repousser ce qu’elle a de commun, et accuser le plus énergiquement les lignes de son type. […] Il doit être un matérialiste de doctrine comme il l’est de style, car une telle nature ne saurait être inconséquente. […] Les procédés habituels d’un écrivain donnent la nature de son esprit.

618. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre X. Des Romains ; de leurs éloges, du temps de la république ; de Cicéron. »

En passant des Grecs aux Romains, nous éprouvons à peu près le même sentiment qu’un voyageur, qui, après avoir parcouru les îles de l’Archipel et le climat voluptueux de l’ancienne Ionie, serait tout à coup transporté au milieu des Alpes ou des Apennins, d’où il découvrirait un horizon vaste et une nature peut-être plus majestueuse et plus grande, mais sous un ciel moins pur, et qui ne porterait point à ses sens cette impression vive et légère qu’il éprouvait sous le ciel et dans la douce température de la Grèce. […] Les poètes parcourent dans la nature tout ce qui donne des impressions ou agréables, ou fortes, et transportent ensuite ces beautés ou ces impressions dans le langage ; ils attachent par une sensation un corps à chaque idée, donnent aux signes immobiles et lents la légèreté, la vitesse ; aux signes abstraits et sans couleur, l’éclat des images ; aux êtres qui ne sont vus et sentis que par la pensée, des rapports avec tous les sens. […] Leurs artistes même, en les accoutumant à porter un œil plus attentif sur la nature pour bien juger, et du degré d’imitation, et du choix des objets, contribuèrent peut-être à étendre les idées de ce peuple et son langage ; mais les Romains, pendant près de six cents ans, furent privés de tous ces secours. […] s’écrie l’orateur : c’était la dette de la nature ; vous avez su la rendre utile à la patrie. […] La nature, il est vrai, ne nous donne que peu d’instants pour vivre, mais le souvenir d’une mort illustre est éternel : et si la gloire n’avait que la durée rapide et passagère de la vie, quel serait l’homme assez insensé pour l’acheter aux dépens de tant de périls et de travaux ?

619. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre V. Des personnages dans les récits et dans les dialogues : invention et développement des caractères »

D’abord le portrait physique détermine une image qui sert comme de point d’appui à la conception de la nature morale. […] J’ai lu quelques volumes de la correspondance de Mme de Maintenon, et la vie de cette excellente dame par La Beaumelle ; et j’aime assez celle nature arrangée, compassée, comptant tous ses pas, et gardant toutefois un certain laisser aller gracieux dans le langage et dans les manières. […] Ce que vous avez senti, vous, avec telle nature, dans telles circonstances, comment un autre, différent d’humeur, dans une situation différente, le sentirait-il ? […] Vous ne devez pas perdre de vue que la nature et l’intensité des causes étant altérées, les effets ne devront pas rester les mêmes en nature et en intensité : c’est affaire d’observation, de tact et de temps, pour apprendre à y maintenir une exacte correspondance.

620. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre II. Jean Calvin »

La théologie de Calvin repoussant le lourd appareil de la scolastique prend, pour la première fois181, une base d’argumentation dans la nature, dans les faits, dans l’expérience enfin : elle étudie l’homme, elle lui applique le dogme, elle tire de son état, de ses besoins la démonstration de la religion, qui rend compte de cet état, et répond à ces besoins. […] En second lieu, à cette recherche de la nature humaine, il unit l’étude de l’Écriture : elle est le texte qu’il lit, explique, commente, rejetant toutes les sommes et toutes les gloses dont on l’a obscurci, surchargé, étouffé. […] Rabelais absout la nature par la vie. […] Aux libertins il dit : l’homme est mauvais ; il faut réprimer la nature, et non s’y abandonner. […] Pour régler la vie, comme pour saisir les rapports de l’homme à Dieu, de la nature à la religion, il a fallu que Calvin se fit psychologue et moraliste.

621. (1799) Jugements sur Rousseau [posth.]

Rousseau, une nature gigantesque et imaginaire ; c’est la nature telle qu’elle est, à la vérité, dans des âmes tout à la fois tendres et élevées, fortes et sensibles ; en un mot, d’une trempe peu commune. […] La nature de ce feu qui embrase J.  […] Rousseau a beau dire que ce n’est point là l’homme de la nature, que c’est l’homme corrompu et gâté, et que ce n’est pas sa faute si l’homme a perdu, par le commerce de ses semblables, sa perfection originelle et primitive, qu’il veut tâcher de lui rendre. […] Je suis étonné qu’un écrivain si supérieur ait affecté dans quelques endroits un langage scientifique dont il aurait pu se passer, et qui n’a qu’un air d’étalage ; comme quand il dit que l’homme de la nature est une unité absolue, et que celui de la société est une unité fractionnaire qui tient au dénominateur ; et tout cela pour dire que l’homme isolé est un tout, et que celui de la société n’est que la partie d’un tout.

622. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

Mais, du point de vue d’où nous l’envisageons, c’est une différence de degré plutôt que de nature. […] De même pour les oeuvres de la nature. […] On suppose la conscience coextensive à telle ou telle partie de la nature, et non plus a la nature entière. […] Bref, elle démêle dans la nature les mêmes articulations qu’y démêlait. […] La nature se reflète donc dans l’esprit.

623. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire et philosophique »

Dans son premier grand ouvrage sur la Philosophie de l’esprit humain, Dugald Stewart envisageait principalement l’homme comme être intelligent, et s’attachait à analyser surtout cette partie de notre nature qu’on appelle entendement, marchant sur les traces de Reid et redressant Locke. […] Quelque opinion qu’on garde après la lecture du livre sur la réalité de ces divisions qu’une philosophie plus forte trouverait sans doute moyen de simplifier et de réduire, ce qu’il faut reconnaître, c’est l’agréable et instructif chemin par lequel le philosophe nous a menés ; c’est cette multitude de remarques fines, judicieuses et ingénieuses, tempérées, qu’il a semées sous nos pas ; c’est ce jour si indulgent et si doux qu’il sait jeter sur la nature humaine en y pénétrant ; c’est l’émotion honnête qu’il excite en nous, tout en nous apprenant à décomposer et à observer ; ce sont les heureuses applications morales et pratiques, le choix et l’atticisme des exemples, et les fleurs d’une littérature si délicatement cultivée à travers les recherches de la philosophie. Après l’examen et la discussion des mobiles, l’auteur aborde les devoirs et leurs diverses branches, devoirs envers Dieu, envers nos semblables et envers nous-mêmes ; dans ce traité sur la vertu, qui comprend tout le second volume, on rencontre les plus hautes questions de la nature humaine, aplanies avec cette aisance particulière à l’aimable philosophe, et accompagnées de digressions bien assorties. […] La nature humaine, par bien des côtés exorbitants, échappe, ce nous semble, et pour son malheur, à cette simple, chaste et indulgente théorie.

624. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

On a souvent disputé sur ce qu’il fallait préférer dans les tragédies, de l’imitation de la nature, ou du beau idéal. […] L’esprit de chevalerie avait introduit dans les principes de l’honneur un genre de délicatesse qui créait nécessairement une nature de convention ; c’est-à-dire qu’il existait un certain degré d’héroïsme, pour ainsi dire indispensable à la noblesse, et dont il n’était pas permis de supposer qu’un noble pût être privé. […] Il n’était pas permis d’étendre cette diversité aussi loin que la nature ; et l’on était contenu par un certain respect envers les classes supérieures, qui ne permettait pas de représenter en elles rien qui pût les avilir. […] Ce n’était pas un despotisme qui comprimait les esprits ni les âmes ; c’était un despotisme qui paraissait à tous tellement dans la nature des choses, qu’on se façonnait pour lui comme pour l’ordre invariable de ce qui existe nécessairement.

625. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Avertissement »

On y trouvera quelques remarques sur des défauts de pensée et de style, auxquels les femmes paraissent enclines par leur nature ou par les vices ordinaires de leur éducation. […] « C’est donc plutôt par l’occasion qui l’a fait composer que par sa nature et son contenu que ce livre est dédié aux jeunes filles. […] Il faut les laisser aller à la pente de leur nature, les abandonner à leur instinct, à leur goût naturel. […] J’ai voulu fournir à de jeunes esprits l’occasion de réfléchir sur les moyens par lesquels ils pourront donner à leurs écrits la bonté qu’ils ont dû rêver souvent et désespérer d’atteindre, sur les meilleures et plus courtes voies par où ils pourront se diriger à leur but et nous y mener ; leur inspirer des doutes, des scrupules, des soupçons d’où leur méditation pourra tirer ensuite des principes et des certitudes, sur toutes les plus importantes questions que l’écrivain doit résoudre et résout, bon gré mal gré, sciemment ou non, par cela seul qu’il écrit d’une certaine façon ; donner le branle enfin à leur pensée, pour que, s’élevant au-dessus de l’empirisme, ils cherchent et conçoivent la nature et les lois générales de l’art d’écrire, pour qu’ils développent en eux le sens critique, et que, mettant la conscience à la place de l’instinct, ils arrivent à bien faire en le voulant et en le sachant.

626. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Préface » pp. -

Mais à force de souffler, il l’enfle, la distend, en fait quelque chose d’informe et de difforme, qui n’est plus la réelle nature humaine, et le roman crève… sous ce soufflet endiablé ! […] Le premier roman, digne de ce nom, puisque ni la moquerie de l’auteur, ni la folie du héros n’entament la nature humaine assez profondément pour qu’on ne puisse la reconnaître, Don Quichotte, est de 1602. […] Assurément, la pâle et délicate Mme de La Fayette, cette fille d’une société factice et qui n’a appris ce qu’elle sait de la nature humaine qu’en écoutant à travers les draperies des convenances à la porte de quelques cœurs, semble une bien grêle observatrice, quand on la compare à des esprits comme Defoë et Richardson, ces génies énergiques qui plongent, eux, dans l’humanité à une si grande profondeur, et qui la brassent comme on brasse un bain. […] L’illustre auteur de La Comédie humaine n’a pas changé la nature du roman qui existait avant lui , mais il en a élargi les assises, et il l’a positivement élevé à l’état de Science, à force d’observations, de renseignements, de notions de toute espèce, d’une exactitude, d’une sûreté et d’une justesse merveilleuses.

627. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre V. Swift. » pp. 2-82

. —  Comment il diffame la nature humaine. —  Derniers pamphlets. —  Construction de son caractère et de son génie. […] Voilà le puissant et douloureux génie que la nature livrait en proie à la société et à la vie ; la société et la vie lui ont versé tous leurs poisons. […] Mais d’autre part vous tolérerez et même vous aimerez le monde, si, pénétrant dans sa nature, vous vous occupez à expliquer ou à imiter son mécanisme. […] Dans le second chapitre, il traite de la nature du mensonge politique ; dans le troisième, de la légitimité du mensonge politique. […] … You will find how curious journeyman nature has been to trim up vegetable beans.

628. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre premier. La perception extérieure et les idées dont se compose l’idée de corps » pp. 69-122

C’est un ordre de succession, et, une fois établi par l’observation, il donne naissance aux idées de cause et d’effet… De quelle nature est cet ordre fixe de nos sensations ? […] Par là, nous apprenons promptement à nous représenter la Nature comme composée seulement de ces groupes de possibilités, et nous concevons la force active dans la Nature comme manifestée par la modification de quelqu’une d’elles au moyen d’une autre. […] Ceci met le sceau final à la conception par laquelle nous considérons les groupes de possibilités comme la réalité fondamentale dans la Nature. […] Telle est aujourd’hui l’idée mécanique de la nature. […] N’y a-t-il dans la nature que les séries de sensations passagères qui constituent les sujets sentants, et les possibilités durables de ces mêmes sensations ?

629. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

Cherchons donc ailleurs une littérature politique émanant des instincts primordiaux de l’homme et puisant ses principes dans la nature pour les développer par la raison. […] 9º Enfin quel est le gouvernement présumé légitimement le plus parfait et le plus conforme à la nature humaine civilisée et civilisable ? […] C’est le principe d’autorité fondé sur le fait, sur la nature et sur la tradition. […] La nature selon lui est monarchique. […] Ce sont ces trois principes divins, incorporés par le ciel dans notre nature, qui lient les hommes vivants entre eux en leur manifestant et en leur imposant ce qu’ils se doivent les uns aux autres.

630. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLe entretien. Littérature villageoise. Apparition d’un poème épique en Provence » pp. 233-312

La nature occidentale n’en fait plus, mais la nature méridionale en fait toujours : il y a une vertu dans le soleil. […] Le jeune Provençal était à l’aise dans son talent comme dans ses habits ; rien ne le gênait, parce qu’il ne cherchait ni à s’enfler, ni à s’élever plus haut que nature. […] Tout est original dans le poème, parce que tout est né de la nature dans le poète. […] Mais, si la situation est analogue, les détails sont tous originaux ; la nature forme des ressemblances, jamais de copies. […] Que chantent-ils, ceux qui ne voient la nature que dans la guinguette ?

631. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Pour comprendre et expliquer le mouvement, ils ont dû tenter de se rendre compte des idées de l’espace, du temps, de l’infini et de la nature du mouvement lui-même. […] C’est le catéchisme de la nature. […] La nature est pleine de ces dévouements qui seraient des sarcasmes du destin s’ils n’étaient des augures d’un autre monde. […] Aspirer à monter toujours plus haut, et enfin jusqu’à Dieu, c’est la loi la plus pieuse de notre nature. […] Il parcourt la nature entière pour démontrer que le principe qui sent et pense en nous, est le même qui nourrit notre corps et qui fait végéter la plante.

632. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Les poètes étrangers furent pervertis par cette doctrine plus grande que nature. […] L’étude de la nature était dès lors son occupation. […] L’âge instruit l’homme, mais ne corrige pas sa nature. […] Ce n’est pas conforme à la nature. […] Il avait vivement senti combien le théâtre français s’éloigne de la nature et de la vérité.

633. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

La première s’appelle la Nature, la deuxième s’appelle l’Art. […] L’Art est la branche seconde de la Nature. L’Art est aussi naturel que la Nature. […] La nature et l’humanité se mêlent dans le hurlement attendri que jette Ézéchiel. […] La nature allemande, profonde et subtile, distincte de la nature européenne, mais d’accord avec elle, se volatilise et flotte au-dessus des nations.

634. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

Il faut rendre justice au poète, il fait comme la nature, il donne toujours le beau rôle à la femme. […] Je ne m’en repens pas. — Ô nature, nature ! […] La nature prévaut un moment sur le paradoxe ; mais, hélas ! […] Je ne veux pas mourir. — Regarde-moi, Nature ! […] Il repose sur un mensonge de nature comme sur un mensonge de situation.

635. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Son sentiment de la beauté de la nature était vif. […] L’homme séparé du reste de la nature est un pur mystère. […] Tout se suit, s’enchaîne, se précède et se succède dans la nature. […] Copier la nature, en ce qu’elle a d’illimité, c’est une manière de concevoir l’art, mais ce n’est peut-être pas une manière de concevoir la nature. […] Il fait la nature grise quand elle est grise.

636. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Déjà, dans tous ses romans précédents, on trouvait des paysages charmants, et George Sand s’était révélée comme un grand peintre de la nature. […] Si on le prend où il est lui-même, il est exclusivement peintre des relations sociale et des natures humaines. […] Voici les paysans âpres au gain, chez qui la passion de posséder de la terre, et d’en posséder toujours plus, affine la lourdeur de la nature brute. […] Les héros qu’il expose sont à l’ordinaire des natures énergiques, qui ont suivi leur volonté jusqu’au crime. […] Mais les natures énergiques — et nous revenons à l’idée favorite de Stendhal — les forts, qui n’ont ni protecteurs ni parents pour leur aplanir la route, que feront-ils ?

637. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

— les épouvantables remords des natures physiques, plus forts que leur abrutissement, n’est plus capable que de faire l’étalage, comme un garçon, chez les charcutiers qu’il adore. […] Son livre semble n’avoir pour but que de peindre la nature et d’exalter les forces physiques de la vie. […] Elle l’était de par la nature, et comme la nature ne se trompe pas comme l’Église, cette fille est la créature adorée de M.  […] Il est la consolation par la Nature, cette brute de Nature, qui continue indifféremment à produire des brutes comme elle, quand nous avons le cœur brisé ! C’est la réplique, par la nature, aux choses morales et religieuses de l’ancien monde qui croyait à Dieu, et aux chagrins de l’âme immortelle, et, pour un matérialiste comme M. 

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