Le poëte n’espère plus, ni ne se révolte plus ; il a tout sondé, il a tout interrogé, depuis le cèdre jusqu’à l’hysope ; il recommence encore bien souvent, mais par irrésistible instinct et pur besoin de se mouvoir.
J’avoue qu’a priori cette dernière opinion me répugne ; et, sans être de ceux qui croient à la suffisance absolue de l’instinct en poésie, je crois bien moins encore à l’efficacité de vingt années de veilles, quand il s’agit d’une fable ou d’un conte, dût la fable être celle de la Laitière et du Pot au lait, et le conte celui de la Courtisane amoureuse.
C’est ce qui met à part et au-dessus de tous, les pauvres fous, malheureux ou naïfs, qui les trouvent ; on appellera les autres « grands hommes si l’on veut, mais poëtes, non pas. » Nous en avons eu un (ce n’est guère), un seul et qui, par un hasard admirable s’étant trouvé Gaulois d’instinct, mais développé par la culture latine et le commerce de la société la plus polie, nous a donné notre oeuvre poétique la plus nationale, la plus achevée et la plus originale ; c’est pour cela que j’en ai parlé si longuement, trop longuement Peut-être.
Il prévoit, il devine, il accommode, il relie, d’instinct, comme un insecte qui court en un instant aux quatre coins de sa toile, et n’attache un fil qu’en sentant trembler tout le réseau.
Ce qui, dans le premier moment, n’est qu’instinct brutal, est poésie à son dernier terme, et cette poésie peut être si haute qu’elle fasse oublier absolument ses humbles origines.
À l’école du document humain, pour qui la psychologie n’était que le jeu de l’instinct, devait succéder un art de rêve, tout en délicatesses et en nuances.
Comme l’instinct de l’amour, qui par moments élève l’homme le plus vulgaire au-dessus de lui-même, se change parfois en perversion et en férocité ; ainsi cette divine faculté de la religion put longtemps sembler un chancre qu’il fallait extirper de l’espèce humaine, une cause d’erreurs et de crimes que les sages devaient chercher à supprimer.
Mais son bon sens admirable et l’instinct vraiment prophétique qu’il avait de sa mission le guidèrent ici avec une merveilleuse sûreté.
Le scepticisme du philosophe écossais aboutissait à des conclusions si étranges, qu’avec lui on est en plein dans l’inexplicable, et qu’il ne s’en tire qu’avec les mots « habitude, croyance, instinct. » Dans un monde où il n’y a, par hypothèse, que des attributs et des états de conscience sans liens connus qui les unissent, rien n’est plus étonnant que leur harmonie.
Bourdaloue fait ici des merveilles ; la duchesse et moi nous le voyons tous les jours. » Cette lettre est un exemple de ces entretiens où madame de Maintenon, sans malice, et peut-être en prenant le change sur elle-même, mue par un double instinct d’amour et d’honnêteté, se joue de l’esprit grossier de son directeur, lui présente comme des griefs contre la cour, l’intérêt qui l’y attache, et comme dépit contre le roi, l’amour qu’il ressent et celui qu’il inspire, et se fait ordonner comme un sacrifice méritoire, de rester à sa cour.
Artémis surtout, sous son antique forme arcadienne, sauvage, presque fauve, à peine dépouillée de la peau de l’Ourse, qui avait été son premier symbole, nourrissait des instincts cruels surexcités par les carnages de ses chasses.
Montrer dans le burg les trois choses qu’il contenait : une forteresse, un palais, une caverne ; dans ce burg, ainsi ouvert dans toute sa réalité à l’œil étonné du spectateur, installer et faire vivre ensemble et de front quatre générations, l’aïeul, le père, le fils, le petit-fils ; faire de toute cette famille comme le symbole palpitant et complet de l’expiation ; mettre sur la tête de l’aïeul le crime de Caïn, dans le cœur du père les instincts de Nemrod, dans l’âme du fils les vices de Sardanapale ; et laisser entrevoir que le petit-fils pourra bien un jour commettre le crime tout à la fois par passion comme son bisaïeul, par férocité comme son aïeul, et par corruption comme son père ; montrer l’aïeul soumis à Dieu, et le père soumis à l’aïeul ; relever le premier par le repentir et le second par la piété filiale, de sorte que l’aïeul puisse être auguste et que le père puisse être grand, tandis que les deux générations qui les suivent, amoindries par leurs vices croissants, vont s’enfonçant de plus en plus dans les ténèbres.
Oui, tous tant que nous sommes, grands et petits, puissants et méconnus, illustres et obscurs, dans toutes nos œuvres, bonnes ou mauvaises, quelles qu’elles soient, poëmes, drames, romans, histoire, philosophie, à la tribune des assemblées comme devant les foules du théâtre, comme dans le recueillement des solitudes, oui, partout, oui, toujours, oui, pour combattre les violences et les impostures, oui, pour réhabiliter les lapidés et les accablés, oui, pour conclure logiquement et marcher droit, oui, pour consoler, pour secourir, pour relever, pour encourager, pour enseigner, oui, pour panser en attendant qu’on guérisse, oui, pour transformer la charité en fraternité, l’aumône en assistance, la fainéantise en travail, l’oisiveté en utilité, la centralisation en famille, l’iniquité en justice, le bourgeois en citoyen, la populace en peuple, la canaille en nation, les nations en humanité, la guerre en amour, le préjugé en examen, les frontières en soudures, les limites en ouvertures, les ornières en rails, les sacristies en temples, l’instinct du mal en volonté du bien, la vie en droit, les rois en hommes, oui, pour ôter des religions l’enfer et des sociétés le bagne, oui, pour être frères du misérable, du serf, du fellah, du prolétaire, du déshérité, de l’exploité, du trahi, du vaincu, du vendu, de l’enchaîné, du sacrifié, de la prostituée, du forçat, de l’ignorant, du sauvage, de l’esclave, du nègre, du condamné et du damné, oui, nous sommes tes fils, Révolution !
Point de loi, point de doctrine, l’instinct est le seul juge ; le sentiment et le goût individuel, les seules autorités ; mon plaisir est la loi suprême.
Les sociétés anciennes n’auraient pu subsister, sans l’esclavage, parce que les idées morales, qui n’existent que depuis le christianisme, peuvent seules contenir une multitude chez qui est la force par le nombre, et en qui le besoin de l’égalité tend toujours à développer tous les instincts antisociaux.
Mme André Léo, probablement née avec cet instinct religieux qui fait tendre en haut la créature humaine, y tend encore, dans les idées qu’elle vient d’exprimer ; mais tendance vaine !
Nous aurions voulu qu’on eût répondu une fois pour toutes aux esprits les plus forts, les plus imposants, qui ont regardé sans rire ce pays qui semble exciter je ne sais quelle méprisante gaîté, et qu’on eût renversé, par exemple, pour ne plus le voir jamais debout, ce jugement terrible d’un de ces grands esprits qui ont, dans les choses de l’histoire, l’infaillibilité de leurs instincts : « Quand on m’aura montré des sociétés aussi fortes que la judaïque et que la chrétienne (si c’est la chinoise, montrez-le !)
Nul n’a mieux compris, et ne devait mieux comprendre, que cette intelligente tête d’officier, les mœurs familiales et guerrières de ces tribus qui se dressent encore avec tant de majesté devant les Européens, leurs vainqueurs et leur offrent, comme une leçon, le spectacle de Barbares qui ont conservé l’intelligence de la hiérarchie, quand les peuples éclairés, comme on dit, en ont perdu jusqu’à l’instinct… La Féodalité, qui n’existe plus qu’au désert, ce fragment du Moyen Age retrouvé vivant dans les sables du Sahara, a captivé singulièrement le Croisé de la civilisation, et, malgré ses réserves un peu trop discrètes de civilisé, l’on voit bien, aux caresses de son pinceau, l’ardeur attentive et charmée de sa sympathie !
La supériorité relative des peuples, leur originalité, leurs diversités de mœurs et d’instincts, Louis Faliés ne les explique point par ce milieu, si commode, si superficiel, si vite trouvé et si cher au Matérialisme contemporain.
Tandis que la comédie de société ne paraît guère qu’une occupation innocente, un joli goût de gens bien élevés et d’instincts artistes, un passe-temps charmant pendant lequel on ne médit point du prochain, comme disent les badauds qu’on rencontre au fond de toutes les questions.
Et il n’y avait pas là que l’instinct militaire de la race dans cette persistance de la coutume du duel, en un pays où la crânerie, en toutes choses, est la poésie de l’action et du caractère.
Le Français est guerrier d’organisation et d’instinct.
Doués de cet instinct politique qui distingue si éminemment l’esprit anglaisées whigs diffèrent en ceci des révolutionnaires des autres pays qu’ils savent la force du passé dans les institutions des hommes, et qu’en innovant ils veulent avoir l’air de maintenir et de continuer.
Mais il n’en était pas de même pour Jacques Cœur, Ce grand honnête homme de génie était aussi une haute et robuste vertu, et tranchait bien, par l’ordre de sa vie et la beauté de ses instincts, sur le sombre et sanglant repoussoir des vices et des crimes de son siècle.
Physiologiquement et d’instinct, Charles-Quint n’appartient plus au Moyen Âge.
Inconnu hier encore, l’auteur, qui a les instincts les plus vifs de l’érudition et qui entend la chasse aux faits comme un véritable Mohican intellectuel, sera peut-être célèbre dans deux jours, de cette bonne et fière célébrité qui vient à un homme dans l’injure et qui sied mieux aux lutteurs, amants de la foudre, comme dirait Pindare, qu’une renommée flatteuse et tranquille.
nous ne réclamons pas aujourd’hui son cadavre, et nous réprouvons, autant que jamais, la tendance générale et le mal absolu de ses Œuvres, mais nous réclamons ce qui appartient au sentiment chrétien dans ses Œuvres, à travers les plus mortelles erreurs… Et que cette réclamation tardive, faite sur sa tombe, soit la punition de sa mémoire ; car le meilleur châtiment du coupable, c’est de montrer, qu’il n’était pas fait pour son crime, et qu’en le commettant il ne transgressait pas seulement la loi divine, mais les plus profonds et les plus nobles instincts de son cœur !
Quand il traduisit l’Imitation et qu’il y oubliait son génie, il allait tout uniment au courant pour lequel il était fait, il suivait la pente de son âme et de son instinct.
La Chute admise, le Progrès ne serait plus ï Les enfants verraient cela… Seulement, pour rendre son soufflet à l’histoire, il fallait rester dans la philosophie, nous donner, d’après la nature de l’homme et l’étude de ses instincts et de Ses facultés, la preuve philosophique de l’impossibilité radicale, humaine, de la chuté.
En d’autres termes plus sérieux, nous nous disions, et nous avons toujours pensé, que l’existence de Dieu, créateur du monde, sa providence dans l’histoire, et l’immortalité de l’âme, ces trois vérités de bon sens et d’instinct, n’étaient pas — du moins telles que l’école du spiritualisme moderne a l’habitude de les poser — absolument tout ce qu’il fallait pour apaiser les esprits noblement affamés de certitude, et, ce qui importe bien davantage, pour s’emparer impérieusement de la direction morale de la vie.
» Dans le crâne plus élevé d’Engis, il trouve « derrière ce front bosselé un petit monde d’idées déjà hautes, premières lueurs entrevues d’une société durable, — (quoiqu’elle n’ait pas duré, ) — premier instinct de l’art du dessin, pressentiment d’un dieu naissant, crainte et stupeur du fétiche… » Il n’a, lui, crainte ni stupeur de la bêtise. « Physiologie, — dit-il en se résumant, avec une sécurité grave, — physiologie du monde quaternaire.
Auguste Barbier, lesquels firent palpiter, dans le temps, tous les grossiers instincts de nos âmes que nous prenions pour de la force ?
Je voudrais donner une idée de ce splendide désastre d’une philosophie impuissante à calmer les instincts affamés d’une âme de nature immortelle, mais ce qui fait la beauté exceptionnelle des poésies de madame Ackermann, c’est la largeur d’une aile qu’on ne peut guères enfermer dans le tour d’un chapitre.
Vous le voyez, c’est un moraliste d’instinct et de réflexion qu’Aubryet ; mais plus encore de rétorsion… Jusqu’ici, il avait, comme la famille d’esprits dont il descend : les Chamfort et les La Bruyère, procédé surtout par des jugements, des portraits et des caractères ; mais l’invention l’a tenté, et, de moraliste devenu romancier, il nous donne cette Vengeance de Madame Maubrel, qui est un livre de détails parisiens si connus qu’il fallait sa plume pour les renouveler en les décrivant, mais qui n’est pas le cas nouveau d’âme humaine que j’attendais, et que tout romancier psychologique est tenu de mettre dans son livre, s’il se risque à faire un roman.
Bourgeois de fausses lumières et d’éducation intellectuelle, peuple par l’instinct et par la fermeté de l’observation, ils se fendaient au centre même de leur être, et leur ouvrage porta l’empreinte de ce déchirement de leur esprit.
Paul Féval une valeur native, si je ne retrouvais pas dans ses livres les rayons brisés d’un talent de romancier très-au-dessus de son emploi, je croirais qu’il a cédé à son instinct en écrivant le roman d’aventure et qu’il est exactement de niveau avec son inspiration ; mais il est impossible de conclure ainsi quand on a lu M.
Tragique ou comique (et quelquefois du plus profond comique), ce dialogue est celui d’un homme qui a mieux que l’instinct de la grande langue que le théâtre doit parler et de ses concisions sévères.
Artiste d’ailleurs d’un instinct trop grand pour avoir peur de la bizarrerie, cette mystérieuse puissance, l’auteur de ce livre singulier et enivrant nous dit, quand il nous a grisés : « Vous auriez peut-être préféré une vitre claire à un obscur vitrail ?
Ce sont des monstres, souvent vulgaires, parfois distingués, quand ils sont assez intelligents pour travestir en dilettantisme ou pour ériger en culte aristocratique du moi leur vieil instinct simpliste d’hommes des bois ; mais, encore une fois, ils existent. […] Antoine a pour le moins, — soit en suivant son instinct, soit avec clairvoyance et préméditation, je ne sais, et peut-être ne le sait-il pas bien non plus, — accéléré cette évolution. […] Car il ne s’agissait plus ici de ces dames aux camélias et de ces princesses lointaines, fort simples dans leur fond, et qu’elle a su nous rendre émouvantes et belles, presque sans réflexion et rien qu’en écoutant son sublime instinct. […] Aucun romantique de chez nous n’a confondu plus bassement les « droits sacrés » de l’amour ou du « développement individuel » (deux choses d’ailleurs fort distinctes) avec les « droits » du pur instinct. […] Leur vice a pour caractéristique l’inquiétude, l’instabilité, le manque d’énergie et de volonté, l’impossibilité d’aller jusqu’au bout de leurs mauvais instincts.
Ni les questions d’origine ou d’étymologie, ni toutes celles qui touchent à l’histoire des mots, de leurs changements de sens ou de son, ni même le choix des exemples ne se décident plus, comme jadis, au hasard de l’instinct littéraire, de la mémoire, et du goût. […] Combien de temps, par exemple, la science de l’homme lui-même a-t-elle vu son progrès uniquement retardé parce que l’on persistait à faire de l’homme un être à part dans la nature, et que l’on ne voulait pas, selon l’expression de Buffon, « le ranger dans la classe des animaux, auxquels il ressemble par tout ce qu’il a de matériel, dont l’instinct est peut-être plus sûr que sa raison et l’industrie plus admirable que ses arts » ? […] Mais, comme le populaire, s’il s’embrouille quand il fait le projet de penser, il n’est pas moins vrai que, comme le populaire, et sans presque y songer, il dit souvent, avec son inconscience ou son instinct de poète, des choses fortes et profondes.
Son instinct l’avait ensuite poussé vers les voyages. […] Je songe à ceux qui, le matin de leurs jours, ont trouvé leur éternelle nuit ; ce sentiment me repose et me console, c’est l’instinct du soir. » Il examine alors les objections qui s’élèvent contre le suicide : les devoirs envers l’amitié, la patrie, l’humanité. […] je cherche seulement un bien inconnu dont l’instinct me poursuit. […] Heureusement l’animal la ramena vers la rive, et la jeune fille en qui cet incident réveilla l’instinct de la conservation se trouva guérie de ses velléités de suicide. […] « Sachez-le bien, dit-elle, ma vie est un martyre, car si les grandes résolutions enchaînent nos instincts, elles ne les détruisent pas.
Il y a entre les siècles et les esprits des barrières aussi fortes qu’entre les espèces et les instincts. […] Chacune d’elles a ses instincts, ses besoins, ses armes, sa figure distincte. […] Son avilissement se tourne en idiotisme ; il tombe jusqu’à une sorte d’instinct machinal et physique. […] Cela nous tire hors de nous-mêmes ; nous sortons de la vulgarité où nous traîne, la petitesse de nos facultés et la timidité de nos instincts. […] Les bassesses leur répugnent, non par principes, mais par instinct.
La complexité des relations industrielles et commerciales résulte du simple jeu des instincts naturels : l’homme, tenant l’être de la nature, tâche à se donner le bien-être. […] Les règles s’implantèrent là où elles agirent dans le sens de l’esprit national, là où elles se trouvèrent conformes à l’instinct secret et au besoin des spectateurs. […] Et elle ne doit rien aux règles : elle est l’œuvre de l’instinct de Corneille, éclairé (qui le croirait ?) […] La décoration favorise l’irrégularité, mais le poète tend d’instinct à la régularité : et déjà l’esprit, sinon la lettre, des unités est observé dans sa tragédie. […] Son instinct féodal a flairé en lui un précurseur de la bureaucratie démocratique.
Elle n’est accessible qu’au petit nombre, mais le grand nombre, soumis à l’instinct, n’a guère connu le mal romantique et n’avait pas besoin d’un remède. […] Ce Maurice Geniès, avec de bons instincts, a le malheur d’être un viveur, un homme de plaisir. […] Et ce Floris est féroce par instinct, sans même être méchant. […] L’instinct de conservation la contraignait à ces revirements, comme il l’avait contrainte à quelques prudentes platitudes devant César Borgia. […] Il en exècre à bon droit l’impudeur romantique, la fureur d’étonner, la rage de placer l’Instinct au-dessus de l’Intelligence.
Ayant pour soi la force de la jeunesse et l’initiative prime-sautière de l’instinct, ils produisent d’abord des œuvres originales, qui ne doivent rien à la civilisation gréco-romaine, ni même au christianisme, par exemple les Nibelungen et les romans de la Table Ronde. […] Cette sainteté est subordonnée à l’observation d’une morale qui refrène beaucoup de nos instincts les plus impérieux. […] En devenant réaliste, l’art reste didactique pour un assez long temps, c’est-à-dire qu’au lieu d’abuser de sa force renaissante, il sert plus que jamais l’Église, tout en ayant une sorte de vie et d’instinct propres. […] Tandis que les disciples des classiques font cas avant tout des recettes littéraires et artistiques, des ornements convenus, des procédés mécaniques dont l’abus réduit le génie à n’être qu’un degré supérieur du talent, les novateurs opposent au talent le génie naturel et préfèrent l’instinct à la pratique. […] Le poète, le romancier, l’artiste suivent leur instinct en créant des formes pour faire passer devant nos yeux et dans notre âme ce qu’ils ont vu et ce qu’ils ont senti. — Mais le roman, mais le sonnet, mais le tableau fait scandale ?
Les humanités panthéistes et généralement théistes avaient, dans l’ordre de la divinité, excellemment, éminemment le sens de l’infini, de l’absolu, du tout ; mais justement parce qu’elles avaient le sens du tout comme tout, elles avaient le sens de la modeste humanité comme étant à sa place particulière dans ce tout ; elles connaissaient les limitations de l’humanité ; elles référaient, comparaient incessamment l’humanité au reste ; et au tout ; ajouterai-je que ces humanités étaient généralement profondes, et qu’elles ne vivaient point sur des contrariétés intérieures sans les avoir connues par les profondes voies de l’instinct ; dans ces humanités l’homme était reconnu partie et limité aux limites humaines ; l’historien demeurait un homme. […] Je parle du vrai peuple, de la masse inconsciente, livrée à ses instincts de race, à qui la réflexion n’a pas encore appris que la plus grande sottise qu’on puisse commettre est de se faire tuer pour quoi que ce soit. […] Dans sa grande franchise et netteté universitaire il passe d’un énorme degré les anticipations précautionneuses de Renan ; Renan ne donnerait pas prise à de tels reproches ; il ne donnerait pas matière à de telles critiques ; il ne donnerait pas cours à de tels ridicules : Renan n’était point travaillé de ces hypertrophies : lui-même il endossait trop bien le personnage de ses adversaires, de ses contradicteurs, de ses critiques éventuels ; toute sa forme de pensée, toute sa méthode, tous ses goûts, tout son passé, toute sa vie de travail, de mesure, de goût, de sagesse le gardaient contre de telles exagérations ; il n‘a jamais aimé les outrances, et, juste distributeur, autant et plus averti sur lui-même que sur les autres encore, il ne les aimait pas plus chez lui-même et pour lui-même qu’il ne les aimait chez les autres ; il aimait moins les outrances de Renan que les outrances des autres, peut-être parce qu’il aimait Renan plus qu’il n’aimait les autres ; comme Hellène il se méfiait des hommes, et des dieux immortels ; comme chrétien, il se méfiait du bon Dieu ; comme citoyen, il se méfiait des puissances ; et comme historien, des événements ; comme historien des dieux, et de Dieu, mieux que personne il savait comment en jouer, et quelles sont les limites du jeu ; il était un Hellène, un huitième sage ; il connaissait d’instinct que l’homme a des limites ; et qu’il ne faut point se brouiller avec de trop grands bons Dieux ; il s’était donc familièrement contenté de donner à l’humanité, à l’historien, les pouvoirs du Dieu tout connaissant ; il n’eût point mis à son temple d’homme un surfaîte orgueilleux et qui bravât la foudre. […] La foule des simples gens devinera son ennemi avec un instinct profond.
Nous en avons la preuve dans le commentaire, ou plutôt dans la justification que Rabelais a donnée de son Laissez faire, et qui est « que gens libères, bien nés, bien instruits, conversant en compagnies honnêtes, ont par nature un instinct et aiguillon qui toujours les pousse à faits vertueux et retire de vice ». […] Rabelais est le premier chez nous — et le plus grand peut-être, — il est aussi le plus sincère de ceux qui ont cru que Nature était bonne ; que le grand ennemi de l’homme se nommait des noms d’usage, de coutume, de règle, d’autorité, de contrainte ; que par tous les moyens, raillerie, violence et injure, c’était donc cet ennemi qu’il fallait attaquer, combattre et détruire ; et qu’enfin le chef-d’œuvre de l’éducation était de libérer l’instinct. […] Personne, moins que lui, n’a cru qu’il nous fût permis de nous abandonner à la liberté de nos instincts, et de borner à la joie de les rassasier l’unique ambition de notre destinée. […] C’est également ce que pensa Ronsard, heurté, choqué, blessé dans tous ses instincts d’art par ce sombre puritanisme ; et je me trompais tout à l’heure en disant que l’Institution chrétienne ne diffère d’aucun livre plus que du roman de Rabelais : elle diffère pour le moins autant des Sonnets à Cassandre, de l’Ode à l’Hospital et de l’Hymne de l’Or.
À cette époque, les idées du nivellement des classes de la société étaient déjà fortement imprimées dans les esprits, et l’instinct de la bourgeoisie la poussait à opérer graduellement ce changement par l’instruction plus complète et plus forte qu’elle s’efforçait de faire donner à ses enfants. […] À ce travail, qui passait pour des études, il faisait succéder des occupations qui, si futiles qu’elles fussent, trahissaient mieux son instinct. […] L’imagination remplie des histoires et des usages de l’antiquité, David, ainsi que la plupart des hommes éclairés qui assistèrent au commencement de la révolution, en 1789, fut entraîné par un instinct vague à imiter tout ce qu’il ne savait que très-imparfaitement des républiques anciennes. […] Ce besoin si impérieux, si constant, qu’ont éprouvé les grands artistes de tous les temps de représenter l’homme dégagé des vêtements que la variété des climats et des usages lui impose, tire son origine de cet instinct qui nous pousse à étudier, à connaître l’homme, à démêler, au milieu de toutes les créatures inférieures qui l’entourent, quelles sont sa nature propre et sa destinée véritable. […] Sed victa Catoni, répéta-t-il plusieurs fois, en lâchant à chaque reprise une bouffée de fumée de sa pipe, qu’il tenait en ce moment. » Soit par admiration sincère pour le mérite de David, soit par un instinct prophétique qui lui faisait deviner l’emploi qu’il pourrait faire des talents de cet artiste, Bonaparte lui témoigna toujours de la bienveillance.
« Ses premiers pas dans la vie furent guidés par l’instinct de la passion native. […] J’ai au fond de l’âme un instinct qui me crie le contraire. […] George Sand consentit à dire un dernier adieu à son ami ; non sans peine ; un instinct l’avertissait que cela ne vaudrait rien pour personne. […] L’instinct lui révélait les relations mystérieuses qui existent entre la sonorité des mots employés et l’image qu’on veut évoquer, puissance indépendante de la valeur de l’idée exprimée et à laquelle le large mouvement de l’alexandrin est au plus haut degré favorable. […] Plus je me débats contre ma misère, Plus s’éveille en moi l’instinct du malheur ; Et, dès que je veux faire un pas sur terre, Je sens tout à coup s’arrêter mon cœur.
Jules Macqueron, qui faisait lui-même d’agréables vers ; Labitte lui rend confidences pour confidences, et il y met d’utiles conseils littéraires : l’instinct du futur critique se retrouverait par ce coin-là. […] C’est un point lumineux dans ce demi-jour des premières années où tout est confondu, plaisirs, espérances, regrets, et où les souvenirs sont brouillés et incertains, parce qu’aucune pensée ne les a gravés dans la mémoire ; amour charmant qui ne sait pas ce qu’il veut, qui se prend aux yeux bleus d’une fille comme le papillon aux roses du jardin par un instinct de nature, par une attraction dont il ne sait point les causes et dont il n’entrevoit pas la portée ; innocent besoin d’aimer, qui plus tard se changera en un désir intéressé de plaire et de se voir aimé ; passion douce et sans violence, rêve en l’air ; première épreuve d’une sensibilité qui se développera plus tard ou qui plutôt s’éteindra dans des passions plus sérieuses ; petite inquiétude de cœur qui tourmente souvent un jeune écolier, un de ces enfants aux joues roses que vous croyez si insouciant, mais qui déjà éprouve des agitations inconnues, qui étouffe, qui languit, qui se sent monter au front des rougeurs auxquelles la conscience n’a point part. » — La grâce facile où se jouera si souvent la plume de Charles Labitte se dessine déjà dans cette page délicate où je n’ai pas changé un mot.
C’est à Bologne qu’il chercha, avec l’instinct du génie, le sujet d’une épopée moderne égale aux grandes épopées nationales d’Homère et de Virgile, et qu’il trouva ce sujet dans les croisades. […] Tels furent les instincts qui portèrent le Tasse à choisir pour gloire l’épopée, et pour sujet les croisades.
et si on le laissait vivre avec ses instincts féroces, n’en ferait-il pas mourir bien d’autres avant lui ? […] Puis, en réfléchissant mieux et en me demandant comment la noce d’un contadino avec la fille du bargello avait pu trouver un pifferaro pour entrer en ville, dans une saison où il n’y a pas un seul musicien ambulant dans la plaine de Lucques, je me suis demandé à moi-même si ce musicien inconnu qui jouait pour cette noce jusqu’au seuil de la prison, n’y aurait pas été poussé par l’instinct de s’y rapprocher, un jour ou l’autre, de celui qu’elle aime, et, sans vouloir interroger personne de la prison, dans la crainte d’apprendre ainsi aux autres ce que je voulais savoir moi-même, je n’ai fait que saluer la femme du bargello sur sa porte, et j’ai passé ; mais quand la nuit a été venue, je me suis porté à dessein dans ma stalle de la chapelle voisine, et j’ai écouté de toutes oreilles si aucune note de zampogne ne résonnait dans les cours ou dans le voisinage de la prison.
Marguerite, dans sa vie nouvelle, garde les instincts et suit les pratiques de son ancienne industrie. […] L’instinct de la race persiste jusque dans les excès de leur vie nouvelle : il y a du courage dans leur parti pris, et de l’élan dans leur chute ; elles vont au scandale comme elles iraient au feu, avec une verve et une bravoure d’Amazones.
Ses instincts non raisonnés, si elle n’avait écouté que l’instinct, l’auraient plutôt reportée de regrets et d’affection vers la Restauration.