Nonobstant la note très modeste que Barthélemy Saint-Hilaire a placée en tête de son ouvrage, pour nous apprendre que son livre avait paru par articles dans le Journal des Savants, au fur et à mesure que William Muir, Sprenger et Caussin de Perceval publiaient les leurs, je suis sûr qu’avec les habitudes de sa pensée, avec sa préoccupation si singulièrement philosophique et religieuse prouvée par la dissertation que je trouve, dans ce volume sur Mahomet, concernant les devoirs mutuels de la religion et de la philosophie, Barthélemy Saint-Hilaire, l’auteur déjà d’un livre sur Bouddha et sa religion, devait aller — de son chef — à cette grande figure de Mahomet, qui nous apparaît, en ce moment, comme une figure neuve en histoire, tant jusqu’ici elle avait été offusquée et enténébrée par l’ignorance, le parti pris et toutes les sottises, volontaires ou involontaires, des passions et du préjugé !
Ce qu’en effet, depuis ces dernières vingt-cinq années, le théâtre a fait peser sur nos mœurs, sur les habitudes de notre pensée, sur toutes ses formes et tous ses langages, ne peut être dit en quelques mots.
Charles Didier est un conteur à événements qui a l’habitude de la plume, mais il n’a jamais eu, ce prosateur, d’étoffe ferme et étoffée, dans l’imagination ou dans le style, ni les enchantements passionnés ou rêveurs, ni les belles indolences d’attitudes ou les vivacités éprises, ni les grâces armées et désarmées de la causerie ou du récit, ni les gaietés d’alouette dans un ciel heureux, ni les mélancoliques lenteurs des cygnes sur les bassins tranquilles, que doivent avoir, pour réussir dans la pensée et le langage, les peintres ou les poètes des Décamérons !
Mais quelqu’un d’aussi littéraire que Feuillet de Conches, quelqu’un qui passe sa vie en habit de soie dans le détail d’une fonction de cour qui demande un perpétuel sous les armes, ne pouvait pas aller chercher le conte où il est réellement le plus, et où de mâles observateurs comme Fielding, le juge de paix, et Walter Scott, le greffier, sont allés le chercher, au péril de leurs habitudes de gentlemen tirés à quatre épingles, de la délicatesse de leurs sensations, et parfois de leur dignité.
Son caractère ardent voulut donner à ses concitoyens un mouvement qu’ils n’étaient pas en état de suivre : leurs âmes, qui avaient perdu l’habitude des grandes choses, n’avaient plus que de l’imagination pour les sentir.
Mais c’est une habitude de l’esprit humain de projeter au dehors ses propres états d’âme. […] L’auditeur musical a l’habitude de développer involontairement un peu en pensée chaque motif surgissant dans un morceau de musique. […] Les anciens observateurs ont toujours parlé de l’habitude illimitée du mensonge des hystériques, se sont même indignés contre elle, et en ont fait la marque par excellence de leur condition mentale. […] Ainsi se forment, pour la propagation d’une onde d’excitation, une route déterminée, une habitude de marche. […] Cette mise en tiers de Dieu et des saints est la conséquence naturelle d’une éducation religieuse qui engendre l’habitude d’envisager les choses inexplicables comme surnaturelles, et d’établir un rapport entre elles et les représentations de la religion.
» Le jardinier ne comprend pas ; le légionnaire renouvelle sa demande avec humeur ; seulement, au lieu d’employer quorsum, il se sert de ubi, se rappelant sans doute quelles sont à cet égard les habitudes du langage populaire : Ergo igitur œgre subjiciens miles : ubi, inquit, ducis asinum istum ? […] — Il nous manque, pour savoir en quoi consistaient précisément les altérations que le peuple romain lui-même faisait subir à la langue de Cicéron, et pour nous faire une juste idée du latin vernaculaire, de posséder quelques-unes de ces petites comédies populaires que l’on désignait sous le nom d’Atellanes ; mais ce qu’on peut affirmer, c’est que, là comme partout, la multitude tronquait, altérait les formes des mots, les désinences caractéristiques destinées à en nuancer la valeur grammaticale17 ; ou plutôt elle continuait de faire comme avaient fait ses pères, elle suivait les habitudes commodes et la voie large de l’idiome vulgaire, lequel était probablement antérieur à la création du latin savant, qui s’était plus ou moins modelé sur le grec. […] Nous y fîmes diversion par quelques inscriptions romaines… » Comme si ces inscriptions romaines, dans lesquelles on a souvent relevé des solécismes introduits par l’ignorance et l’habitude populaire (cum conjugem suam, etc.), ne menaient pas tout droit aux racines et origines de ces langues nouvelles, si recherchées par Sainte-Palaye.
J’étais déjà prématurément connu littérairement alors ; elle était illustre par son rang, ses malheurs, son goût pour les lettres, son talent pour la musique ; elle voulait me voir ; elle me fit témoigner le désir de me rencontrer, comme par hasard, dans une allée des Cascines, où j’avais l’habitude de me promener à cheval ; elle m’assigna plusieurs fois la place et l’heure. […] Rien n’était plus innocent que ces rapports du professeur à l’élève ; mais cette innocence même cachait un piège à Léopold Robert : ce piège, c’était la perfide habitude, qui fait germer, sans qu’on s’en aperçoive, les premières racines d’un sentiment innomé dans les cœurs : si le danger était connu on le fuirait ; on s’y expose parce qu’on ne le voit pas. […] Son mari est un de ces deux beaux et vigoureux marins, tout pensifs, qui se préparent au départ ; elle ne les regarde déjà plus, car elle ne verrait plus à travers ses larmes ; ses joues sont pâles et fanées de sa douleur ; mais cette douleur est calme et belle comme l’habitude de la résignation dans une profession qui vit de périls mortels.
Aujourd’hui, selon notre habitude de ne caractériser les littérateurs que par leur chef-d’œuvre, nous allons vous introduire dans le théâtre allemand par l’analyse du Faust de Goethe, drame qui contient, dans l’imagination d’un poète aussi philosophe que Voltaire, aussi mélodieux que Racine, aussi observateur que Molière, aussi mystique que Dante, tout le génie de la littérature allemande et tout le caractère du peuple allemand. […] Sa taille est élevée ; sa stature est mince et souple ; ses membres, un peu longs comme dans toutes les natures nobles, sont rattachés au buste par des jointures presque sans saillie ; ses épaules, gracieusement abaissées, se confondent avec les bras et laissent s’élancer entre elles un cou svelte qui porte légèrement sa tête sans paraître en sentir le poids ; cette tête, veloutée de cheveux très fins, est d’un élégant ovale ; le front, siège de la pensée, la laisse transpercer à travers une peau féminine ; la voûte du front descend par une ligne presque perpendiculaire sur les yeux ; un léger sillon, signe de la puissance et de l’habitude de la réflexion, s’y creuse à peine entre les deux sourcils très relevés et très arqués, semblables à des sourcils de jeune fille grecque ; les yeux sont bleus, le regard doux, quoique un peu tendu par l’observation instinctive dans l’homme qui doit beaucoup peindre ; le nez droit, un peu renflé aux narines comme celui de l’Apollon antique : il jette une ombre sur la lèvre supérieure ; la bouche entière, parfaitement modelée, a l’expression d’un homme qui sourit intérieurement à des images toujours agréables ; le menton, cet organe de la force morale, a beaucoup de fermeté, sans roideur ; une fossette le divise en deux lobes pour en tempérer la sévérité. […] Nous contractâmes ainsi l’habitude de vivre constamment ensemble ; c’était ensemble que nous parcourions les champs encore humides de rosée, que nous écoutions l’hymne de l’alouette et le gai rappel de la caille.
Il le sentit trop ; il chercha sa consolation dans le sommeil de ses facultés, et il se fit une habitude de l’ivresse, oubli volontaire du sort. […] Les émigrés eux-mêmes commencent à faire peu de cas de sa personne…” Ces grossières habitudes, qui ne le quittèrent plus, éloignèrent en effet un grand nombre de ses anciens partisans. […] Le ministre de Louis XV s’était-il demandé si Charles-Édouard, avec ses habitudes invétérées d’ivrognerie, n’était pas, à cinquante et un ans, le plus misérable des vieillards, et si une âme pouvant encore aimer habitait les ruines de son corps ?
Ainsi voilà un homme qui, contre le train ordinaire des choses, se soustrait à la tyrannie du fait, de l’habitude, que la vie a poussé dans l’immoralité et qui aboutit à la moralité, qui devrait être perdu sans ressource, s’engager à fond dans le mal, et qui se sauve au contraire, et s’améliore. […] Nous pourrions y ajouter la considération de l’hérédité : réelle peut-être à l’origine, l’innocence naturelle est disparue aujourd’hui ; la corruption des pères se prolonge dans les enfants ; et l’éducation doit être positive, par la substitution de motifs moraux aux instincts dépravés, et par la création d’habitudes vertueuses qui contre-balancent les impulsions vicieuses. […] Leur influence va de pair avec celle des habitudes extérieures, des manières, des façons de vivre ; elle est pire encore, parce qu’elle crée chez les uns une réelle supériorité d’intelligence.
La différence la plus marquée entre l’esprit de critique et l’esprit d’utopie, c’est que le premier est par habitude l’ennemi du mal, et peut l’être passagèrement du bien qu’il prend de bonne foi pour le mal ; et que le second, très souvent l’ami du mal, est toujours l’ennemi du bien. […] L’habitude de tout blâmer dans la société ajoute à cette hauteur d’opinion sur lui-même ; il en vient à se croire à la fois incapable de tout ce qu’il trouve de mal, et capable de tout le bien qu’il voudrait mettre à la place. […] Par la même raison, s’il se décidait pour le bien, on avait imaginé de le récompenser, non en payement d’un devoir rempli, mais pour le porter à l’habitude de bien faire par l’appât d’une rémunération ; car il est si faible, et le bien si difficile, qu’on jugeait nécessaire d’appeler l’intérêt à l’aide du devoir.
L’affaiblissement de l’activité et de l’intelligence, chez certains vieillards, correspond souvent à l’augmentation de la force des habitudes, des formules toutes faites où la vie s’emprisonne. […] Même lorsque la vertu est prise comme objet de drame ou de roman, c’est l’élément passionnel de la vertu, c’est la passion de la pitié, du dévouement, etc., qui d’habitude fournit à l’écrivain ses sujets préférés. […] Comme ces accès d’érotisme qui prennent certains individus enclins au viol et d’habitude à peu près impuissants.
Des cieux, des enfers, des purgatoires sans cesse décrits, peuplés, vidés par les moines prédicateurs dans les chaires du peuple, étaient devenus, par la puissance de la foi, par l’habitude des pratiques, par la répétition des cérémonies, des réalités de la pensée aussi visibles et aussi palpables dans l’esprit des fidèles que les réalités physiques. […] Il y a quelques mois, nous fîmes imprimer, selon notre habitude, dans le journal le Siècle, quelques pages légères de notes intimes sur nos lectures, pages dans lesquelles nous parlions, comme dans une conversation au coin du feu, du Dante et de son poème. […] Rien n’était plus célèbre, au dix-huitième siècle, que les songes de sainte Perpétue et de saint Cyprien, le pèlerinage de saint Macaire Romain au paradis terrestre, le ravissement du jeune Albéric, le purgatoire de saint Patrick et les courses miraculeuses de saint Brendan. — Ainsi de nombreux exemples et toutes les habitudes littéraires contemporaines nous montrent les régions éternelles comme la patrie de l’âme, comme le lien naturel de la pensée.
Ce qui fait illusion sur ce point, c’est l’habitude contractée de compter dans le temps, semble-t-il, plutôt que dans l’espace. […] Comme les phases successives de notre vie consciente, qui se pénètrent cependant les unes les autres, correspondent chacune à une oscillation du pendule qui lui est simultanée, comme d’autre part ces oscillations sont nettement distinctes, puisque l’une n’est plus quand l’autre se produit, nous contractons l’habitude d’établir la même distinction entre les moments successifs de notre vie consciente : les oscillations du balancier la décomposent, pour ainsi dire, en parties extérieures les unes aux autres. […] Ainsi, nous disions que plusieurs états de conscience s’organisent entre eux, se pénètrent, s’enrichissent de plus en plus, et pourraient donner ainsi, à un moi ignorant de l’espace, le sentiment de la durée pure ; mais déjà, pour employer le mot « plusieurs », nous avions isolé ces états les uns des autres, nous les avions extériorisés les uns par rapport aux autres, nous les avions juxtaposés, en un mot ; et nous trahissions ainsi, par l’expression même à laquelle nous étions obligés de recourir, l’habitude profondément enracinée de développer le temps dans l’espace.
À voir ces longs détails de cuisine, ces plaisanteries rampantes et crues, on croit avoir affaire à un amuseur des halles ; ainsi parlent les charlatans des ponts quand ils approprient leur imagination et leur langage aux habitudes des tavernes et des taudis. […] Les gens de cette race sont par nature et par habitude des hommes intérieurs. […] Les habitudes mondaines font une couche épaisse qui partout la recouvre ici. […] » Il n’y a que l’art français du dix-septième siècle qui pouvait y réussir ; car il consiste à conduire aux idées générales par un chemin agréable, et le goût de ces idées est, comme l’habitude de ce chemin, la marque propre des honnêtes gens. […] Par dégoût et par contraste, une révolution se préparait dans les inclinations littéraires et dans les habitudes morales en même temps que dans les croyances générales et dans la constitution politique.
C’est là du reste une habitude invétérée chez M. […] Remarquez comme le second vers s’arrête brusquement au premier hémistiche, contrairement aux habitudes de la poésie latine, pour forcer l’attention et l’applaudissement. […] Ce qui l’arrêta dans cette tentative, ce fut une réflexion pleine de justesse sur la nature de son talent et de ses habitudes littéraires, très opposées aux qualités vives, spontanées du poète comique. […] Ce n’est plus que par une vieille habitude que certaines gens font semblant aujourd’hui de craindre les envahissements du parti prêtre. […] Lucrèce n’est ici qu’un prétexte pour l’auteur de montrer son habitude de la réflexion et sa compétence dans ces matières.
Son intime familiarité avec Blacklock lui avait révélé les habitudes, la tournure d’esprit et les sentiments singuliers développés chez le poète par la cécité. […] Le duel s’efface tous les jours de nos habitudes. […] D’ailleurs son habitude constante est de chercher en lui-même les éléments qu’il met en œuvre, et je suis sûr que la divine figure de Primerose n’a pas un instant excité son émulation. […] Cependant, s’il continue à vivre comme il fait, s’il ne change pas de méthode et d’habitudes, je ne connais que le suicide qui puisse logiquement terminer son ennui. […] La critique européenne, et en particulier la critique française, n’ont pas encore secoué leurs vieilles habitudes.
La liberté individuelle était limitée de tous côtés par des habitudes et des préjugés d’étiquette qui gênaient l’essor des poètes et les forçaient de se restreindre au langage des courtisans. […] Mais nous ne voulons pas insister sur ces apparences tout à fait superficielles, surtout si nous nous rappelons que les Allemands adoptent bien plus volontiers, à l’étranger, les habitudes d’esprit du pays, qu’ils ne cherchent à lui imposer les leurs. […] Les Français les ont adoptés, d’abord comme des ingrédients éminemment romantiques, puis par habitude et par goût. […] L’immuable patron de la Melpomène française endort ou révolte les esprits les plus attachés par l’habitude aux vieilles opinions littéraires. […] Aucune forme littéraire ne se plie avec autant de souplesse aux mœurs, aux préjugés, aux habitudes et au goût de l’époque.
L’Église avait l’habitude de se faire appeler « notre sainte mère l’Église ». […] Une guerre engagée par l’Italie en faveur de la France eût été une guerre purement sentimentale, ce dont l’Italie a peu l’habitude. […] Par habitude, les bourgeois daubent encore sur le théâtre la noblesse française ; mais cela a peu de retentissement. […] Cela rentre dans notre habitude, qui est de ne jamais nous occuper de ce qui se passe de l’autre côté de notre frontière. Cette habitude est française ; elle est particulièrement parlementaire et politicienne, les politiciens ne songeant qu’à être élus et réélus et les étrangers n’étant pas électeurs en France : « Que nous font les gens d’Allemagne ou d’Angleterre ?
Il n’est rien comme d’avoir pris de fortes habitudes. […] La rhétorique, on a l’habitude d’en dire du mal ; on emploie généralement ce mot dans un sens défavorable. […] Mais lui, il a ouvert nos yeux sur des images nouvelles ; il a ouvert nos oreilles à des sonorités nouvelles ; il nous a donné l’habitude d’éprouver certaines sensations délicieuses, et depuis, nous n’avons plus été capables de nous en passer et nous avons demandé d’abord à tous les poètes qui sont venus ensuite de nous en donner l’absorbante volupté. […] C’est un peintre, et vous savez que, d’habitude, sa propre pratique on l’érige en théorie ; avec ses qualités à soi on fait des maximes. […] Cette première Solitude nous expose les tristesses auxquelles on ne songe pas d’habitude, les tristesses que peuvent avoir de petits, de tout petits écoliers, qui n’arrivent pas à se faire à être séparés de la famille.
On l’a vu tout à l’heure motiver son refus en disant : Je suis républicain : il restera tel encore par ses mœurs, ses habitudes, sa simplicité, tel aussi par un certain accent d’indépendance et de civisme quand il écrira à Andrieux, à Lemercier ; mais avec d’autres, et peu à peu, il tournera ou retournera insensiblement au royaliste ; cela est surtout sensible dans ses lettres à MM. de Rochefort, Odogharty de La Tour, etc. ; il blanchira peu à peu, il se bourbonisera, jusqu’à ce qu’en 1814 et en 1816 il ait pris la teinte marquée que lui voulaient ses amis d’alors, et qui est surtout sensible dans les portraits posthumes qu’ils ont faits de lui. […] Ayant connu Ducis et Bernardin de Saint-Pierre qui tous deux, à cette époque, étaient logés au Louvre, il nous donne quelques détails tout simples et naïfs sur leurs habitudes, leur conversation, leur physionomie.
Il y avait, entre elles deux, différence de nature et d’habitudes. […] Ils y restent inédits, à l’état de ces graines cachées dans les armoires, qui sèchent sans avoir été semées. — Par exemple, vos craintes de vivre entre des habitudes perdues et d’autres à refaire, par ce mouvement incessant vers des demeures nouvelles, c’est ma vie.
Mlle Phlipon se fit donc un caractère plus mâle et plus simple ; elle eut de bonne heure l’habitude de réprimer sa sensibilité, son imagination, de s’arrêter à des principes raisonnés, et d’y ranger sa conduite. […] La parole, le style de Mme Roland est plus ferme, plus concis, plus net que le style de Mme de Staël en sa première manière ; cette différence tient au caractère, aux habitudes d’éducation des deux écrivains, et à dix années de plus chez Mme Roland.
Montaigne a résumé avec originalité cette habitude d’appropriation savante dans son style tout tissu, en quelque sorte, de textes anciens : « Il fault musser, dit-il, sa foiblesse soubz ces grands crédits. » Quant aux poëtes d’alors, ils n’y entendent point malice à beaucoup près autant que Montaigne, et ils sont aussi bien moins créateurs que lui ; ils y mettent moins de pensées de leur cru ; mais souvent, quand le fonds les porte, ils ont l’expression heureuse, forte ou naïve, et une véritable originalité se retrouve par là. […] Qu’il suffise d’avoir saisi la teneur et l’habitude élevée d’une âme durant les longues et définitives années18.
Il annonçait le sérieux, la dignité, l’habitude de se contraindre et d’être en public, l’autorité, le commandement. […] Quelle éducation supérieure, quelle habitude des affaires, quelle expérience du gouvernement, quelle instruction politique, quel ascendant local, quelle autorité morale peut-elle alléguer pour autoriser ses prétentions à la première place En fait de pratiques, c’est déjà le Tiers qui fait la besogne et fournit les hommes spéciaux, intendants, premiers commis des ministères, administrateurs laïques et ecclésiastiques, travailleurs effectifs de toute espèce de tout degré.
Aussi voyons-nous qu’après nous avoir tant reproché d’être mobiles dans nos goûts, dans nos habitudes, dans nos affections, ils nous accusent au contraire d’opiniâtreté dans nos idées littéraires. […] Les faits, l’action, le dénouement sont créés par le poète ; mais en effet ce sont bien là, quoi qu’on ait voulu dire, les Musulmans et les croisés du temps de saint Louis ; ce sont réellement leurs idées, leurs affections, leurs habitudes, leurs caractères ; et cette tragédie existait en quelque sorte toute entière dans l’atmosphère historique ; voilà pourquoi elle est si pleine d’intérêt et d’instruction : à beaucoup d’égards, on en peut dire autant d’Alzire.
Après des études faites à l’Université de Paris, et, pour le droit, aux universités d’Orléans et de Bourges ; après cinq ou six ans de pratique du barreau, dont il se dégoûta, pour s’attacher à la théologie et à la prédication, il devint, à l’école de Montaigne, moraliste, en gardant la méthode du théologien et cette habitude rigoureuse d’écrire pour convaincre. […] Chemin faisant il parle à chacun selon ses besoins, s’aidant pour les persuader de tout ce qu’ils voient et de tout ce qu’ils aiment, tirant ses comparaisons des usages de leur vie, de leurs habitudes domestiques, de leurs souvenirs, rendant les enseignements sensibles en y intéressant leur imagination et leur cœur.
Mais, tandis que les autres se fatiguaient à la poursuite de ce rare, elle le trouvait sans le chercher, par quelque habitude de jeunesse, comme son amour pour les romans de Mlle de Scudéry. […] A chaque rencontre avec ses originaux, Saint-Simon mettait en note soit un trait nouveau, soit ceux d’habitude ; rentré chez lui, sa plume fidèle les consignait sur le papier.
Il est à noter que cet acte a été composé le dernier ; Wagner fit d’abord le troisième tout entier, ensuite le premier, en dernier lieu le second (Glasenapp ; Kastner) ; ceci était contraire à toutes ses habitudes (Pohl : Musik. […] Il en résulte, au point de vue harmonique, un trouble apporté à nos habitudes d’oreille ; de là aussi cette impression de vague, d’indéfini, qu’on ressent généralement à la première audition d’une œuvre wagnérienne.
Il faut renouer ses habitudes, reprendre goût à la platitude de la vie. […] Elle a conservé à Paris ses habitudes de réclusion de la femme italienne, et pour s’occuper, quand elle a découvert dans Le Constitutionnel, un roman qui ne dure pas vingt-quatre volumes, elle le traduit pour elle toute seule, en pur toscan.
Puis il s’est mis à confesser, avec une exaltation que je n’avais plus l’habitude de trouver chez lui, sa passion pour l’art de l’extrême Orient. […] * * * Mes yeux vont, dans la petite chambre, à toutes les choses familières et d’habitude, auxquelles son sommeil disait bonsoir, auxquelles son réveil disait bonjour.
Cette habitude de la création, cet amour infatigable de la maternité qui fait la mère, enfin cette maternité cérébrale, si difficile à conquérir, se perd avec une facilité étonnante23. » Quel est donc le sentiment dominateur et animateur du génie ? […] Il emploie à changer le moins possible toutes les ressources de son intelligence. « C’est ainsi que la plupart des inventions primitives, celles de l’habillement, celles qui touchent à l’alimentation, ont eu pour but, par des modifications artificielles des circonstances ambiantes, de permettre à l’homme de conserver ses dispositions organiques, son aspect, ses habitudes, en dépit de certaines variations contraires naturelles des mêmes circonstances31. » Les hommes, en passant d’un climat chaud dans un climat froid, se sont couverts de fourrures, et non d’une toison comme certains animaux ; les tribus frugivores ont transporté avec elles le blé dans toute la zone de cette céréale ; l’homme primitif, en fuyant devant les gros carnivores, au lieu de développer des qualités extrêmes d’agilité et de ruse, comme tous les animaux désarmés, a inventé les armes.
Il faut renoncer à cette habitude, encore trop répandue, de juger une institution, une pratique, une maxime morale, comme si elles étaient bonnes ou mauvaises en elles-mêmes et par elles-mêmes, pour tous les types sociaux indistinctement. […] Il n’a donc plus, alors, que les apparences de la normalité ; car la généralité qu’il présente n’est plus qu’une étiquette menteuse, puisque, ne se maintenant que par la force aveugle de l’habitude, elle n’est plus l’indice que le phénomène observé est étroitement lié aux conditions générales de l’existence collective.
On a versé sur Sainte-Beuve et sur sa mémoire les tombereaux d’articles, de phrases, d’anecdotes et de détails de toute espèce qu’on a l’habitude de verser sur un homme célèbre fraîchement décédé, avant de l’oublier tout à fait… Des journaux, matassins d’enterrement, qui vivent de ces cérémonies, ont envoyé leurs commissionnaires en roulage et en publicité fureter la maison mortuaire, regarder sous le nez du défunt pour le photographier dans leurs feuilles, décrire son appartement et son ameublement, et pouvoir parler en connaissance de cause jusque de ses chattes et de ses oiseaux et plaire ainsi à la Curiosité publique, cette affreuse portière à laquelle nous faisons tous la cour… Nous en avons pour quelques jours encore de ce brocantage, et puis après ? […] Voilà ce que j’avais à dire sur ces fameuses lettres dans lesquelles on croyait trouver presque du scandale, et où l’on ne trouve que quelques petites malices qui ne sont pas bien méchantes, et cette déclaration naïve, dans laquelle le finaud d’habitude a oublié pour une fois la couarde hypocrisie de son esprit et qui le peint d’un trait : « Je me suis fait plus d’ennemis avec mes éloges qu’avec mes critiques. » Tout Sainte-Beuve est là, en effet.
L’Histoire cependant ne se souvient pas qu’il est infidèle, et, dans ce livre même, où il la dédaigne pour une physiologie inconséquente, l’Histoire, aux fermes habitudes, lui communique une justesse virile et une précision dans l’estime des faits qui font de l’Introduction du livre en question un chef-d’œuvre d’appréciation et de vérité. […] Michelet, qui a la haute habitude historique pourtant, s’obstine à vouloir faire une histoire qui remplacera Dieu par la légende révolutionnaire, et des fêtes dramatiques comme à Athènes, et dans lesquelles on verra les Eschyle et les Sophocle de l’avenir jouer dans leurs propres drames, inspirés par les héroïsmes de l’avenir !
Lisez Fromentin : il a le tact ; il a eu l’habitude, dès l’enfance, d’un certain confortable dont on se détache en littérature lorsque, précisément, on n’en est pas privé dans la vie réelle. […] Pour lui tout y est souvenir, habitude, émotion.
C’est que, sans avoir à discuter l’opportunité de sa démarche ni les articles de son programme politique, ce programme n’a rien en soi qui me répugne absolument et que je lui crois de l’avenir167 ; c’est aussi, je l’avoue, que si j’ai avec M. d’Alton-Shée sur de certains points un cousinage d’esprit, j’en ai un autre encore par le sang et les souvenirs domestiques ; c’est que sa famille par tout un côté se lie à la mienne ; c’est que ses grands parents, tous ses oncles et tantes, ont été l’habitude, l’entretien et une des douceurs de mon enfance.
Le père Lhéry en bas blancs, en culotte rayée, en gilet à fleurs, avec ses cheveux noués en queue, attend béatement l’heure, les mains sur les genoux, et se chauffe par habitude.
« J’aperçois, dit-il, des hommes vertueux et paisibles que leurs mœurs pures, leurs habitudes tranquilles, leur aisance et leurs lumières placent naturellement à la tête des populations qui les environnent.
Voltaire porta au théâtre cette habitude de mettre dans la bouche même des personnages comiques la description vive et brillante du ridicule qui les travaille, et ce grand homme dut être bien surpris de voir que personne ne riait.
Yann, qui était là, éclairé un peu étrangement aussi, lui, péchait comme d’habitude, au milieu de ces aspects lunaires.
Mais il est, lui, profondément désolé, parce que cela va le déranger dans ses habitudes et parce qu’il n’aura plus sa femme à lui tout seul… L’enfant vient au monde.
Bref il fait œuvre estimable d’historien ; même les qualités de perspicace, de connaisseur, aussi d’écrivain, qui lui sont nécessaires feraient de l’archéologue le plus désigné des critiques si sa familiarité avec, les œuvres anciennes ne le rendait un peu indulgent jusqu’aux plus inutiles copistes qu’il aime pour les originaux évoqués à sa mémoire érudite, conséquemment un peu sévère aux novateurs, et si ses habitudes scientifiques de travail complet où les œuvres sont étudiées non seulement morphologiquement, mais dès leurs genèses et jusqu’à leurs influences, ne lui interdisaient presque la besogne hâtive et jetée de la chronique salonnière.
Habitude de repos et de sécurité que nous avons contractée.
Il a recherché les habitudes vertueuses qui doivent régler ce commerce et s’étendre à tous les entretiens que les hommes ont les uns avec les autres.
Quand mademoiselle de Montpensier commença à sentir de l’inclination pour Lauzun, elle s’informa de ses habitudes au comte de Rochefort dont il était l’ami : et « elle apprit, dit-elle, que Lauzun allait quelquefois chez une petite dame de la ville, nommée madame de La Sablière.
Remarquons seulement ce vers : on tient toujours du lieu dont on vient… Si La Fontaine a voulu dire : on se ressent toujours de ses premières habitudes, c’est-à-dire, de son éducation ; cette maxime peut se soutenir et n’a rien de blâmable ; mais s’il a voulu dire : on se ressent toujours de son origine, il a débité une maxime fausse en elle-même et dangereuse ; il est en contradiction avec lui-même, et il faut le renvoyer à sa fable de César et de Laridon.
Au surplus et à parler franc, les motifs mêmes qui empêchent nos adversaires d’admettre l’imitation d’Homère sont précisément ceux qui nous décideraient à la conseiller, « Le style homérique, dit-on, représentatif d’une manière de voir la vie, est en contradiction absolue avec nos tendances synesthésiques. » Mais c’est justement pour cela, c’est précisément parce qu’Homère a « une manière primitive de voir la vie » et d’écrire en sensations et non en métaphores ; c’est essentiellement parce que ses procédés semblent contredire nos habitudes et nos tendances, qu’il faut conseiller aux écrivains descriptifs d’aller se retremper à cette inépuisable source.
Les gouvernements en effet étaient moins ombrageux, parce que les peuples n’avaient pas encore contracté la funeste habitude de discuter les bases mêmes de la société.
Et en effet, en les posant, il les renverse… Et, même, de telle façon, que si jamais un téméraire en critique critique avait vainement cherché un moyen de ne pas trop révolter les habitudes faites en abaissant dans l’opinion, qu’il croirait mal informée ou superficielle, cette renommée effrayante de grandeur et de fixité qu’on appelle « l’histoire de Thucydide », il n’aurait, maintenant, rien de mieux à prendre que les motifs consciencieusement cherchés et savamment déduits de l’admiration de M.
C’est par là que, n’étant plus jeune, et que, n’étant presque plus belle, elle avait arraché Louis XIV — l’homme le plus difficile à séduire et le plus difficile à captiver — à la plus belle de ses maîtresses, à la plus altière, à la plus sanguinement spirituelle, à cette Armide des Mortemart qui l’avait enlacé par plus puissant que ses bras, — l’habitude, — et qui lui avait mis aux quatre membres ce boulet des enfants qui fait enfoncer un homme dans une liaison encore plus que le boulet de bronze ne fait s’enfoncer celui qu’on y jette dans la mer !
Esprits d’une civilisation si complètement différente avec des habitudes et des mœurs qui pénètrent jusque dans ce que l’intelligence a de plus impersonnel et de plus intime, nous ne pouvons chercher dans les livres comme celui-ci que ce qui est universel par le sentiment humain et par la beauté.
Un homme de nos jours, tout ensemble métaphysicien et poëte, et dont l’habitude n’est pas de céder aux influences du monde qui l’entoure, a dit de l’Imitation qu’elle avait été laissée sur le seuil du Moyen Âge pour donner l’envie d’y pénétrer.