/ 1872
785. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

Et, en effet, nul pli professionnel n’est aussi tranché, aussi profond, aussi ineffaçable que celui du prêtre, non pas même celui que l’habitude, la spécialité ou la gravité des fonctions impriment au magistrat et au soldat. […] Puis il n’y a pas seulement, dans l’Église, des doux et des patients ; Grégoire VII ni Jules II n’ont laissé une réputation de mansuétude, et, de nos jours encore, on a vu des hommes d’Église au nom desquels on avait pris l’habitude d’accoler le mot « fougueux » comme une épithète homérique.

786. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

Et puis, je l’ai tant lu jadis, je me suis si bien pénétré de ses habitudes de style, de ses images ordinaires, de son vocabulaire, de son rythme, de ses rimes, de ses manies, que, lisant un nouveau volume de lui, il m’a semblé que je le relisais. […] Il y a dans son œuvre trop d’attitudes, trop de sentiments, trop de façons de voir le monde et l’histoire que j’ai peine à comprendre et qui même répugnent à mes plus chères habitudes d’esprit.

787. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

Cependant lord Byron, né dans un pays d’habitudes oratoires, où l’on parle à toute occasion, et où trop souvent on écrit comme on parle, n’a jamais daigné faire un choix entre les idées qui se présentaient en foule à son imagination. […] Les paysans ne font pas de fautes contre la grammaire, et souvent s’expriment plus correctement que leurs seigneurs, à qui l’habitude de se servir du français dans la conversation a fait adopter des gallicismes et des tournures étrangères au génie de leur langue.

788. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

Le cadre populaire n’est pour lui, d’habitude, qu’un décor propice judicieusement interprété, mais dont le choix s’indique seulement par une préférence momentanée, un goût de personnages plus humbles après de brillantes ou de rares visions. […] La manière tient à des particularités dans l’expression, à des habitudes du pinceau, de la plume ou de l’ébauchoir ; elle ne se confond pas toujours avec l’afféterie comme le suppose le langage courant, mais son défaut est d’arrêter un peu trop à des formes extérieures qu’elle disjoint ainsi de leur contenu ; elle signifie l’Individu au lieu de signifier l’Homme et n’est pas la conséquence nécessaire de la personnalité : Chopin, Grieg, Schumann ont une manière très visible ; le grand Bach n’en a point mais n’est-il pas plus personnel ?

789. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Chose inouïe pour toutes ces âmes qui n’avaient pas cessé d’être chrétiennes, mais qui ne n’étaient plus guère que par les sens et l’habitude, de connaître enfin, par l’intelligence et le raisonnement, la grandeur de leur croyance, et de retrouver leurs titres d’enfants de Dieu ! […] J’attribue surtout à cet excès de l’esprit de logique l’habitude de l’injure, qui déshonore la polémique de Calvin.

790. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre VIII »

Et puis cet air de passion follement ardente n’est plus dans la voix de deux amants sur le retour, mûris dans l’habitude d’une liaison prolongée. […] Fourchambault hasarde bien de temps en temps, quelques remontrances, mais il est bon jusqu’à la faiblesse, maté par une longue habitude de sujétion conjugale ; il laisse faire et il laisse aller.

791. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

Dupin l’a envisagé, selon les habitudes de son esprit, avec vigueur, bon sens, et une sorte de résolution de coup d’œil : s’emparant de quelques objections adressées aux idées premières de M. de Malesherbes, il n’a pas seulement loué, il a discuté. […] Ces paroles nous peignent, ce me semble, M. de Malesherbes dans toute l’habitude de sa vie : naturel avant tout, bonhomme, simple, sensé, vif de franchise jusqu’à paraître un peu brusque.

792. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

Je ne puis m’empêcher de le donner ici presque en entier, après celui de Condé, qu’on vient de lire : Henri de La Tour, vicomte de Turenne, était d’une taille médiocre, large d’épaules, lesquelles il haussait de temps en temps en parlant ; ce sont de ces mauvaises habitudes que l’on prend d’ordinaire, faute de contenance assurée. […] Bussy, par un reste de mauvaise habitude, ne pouvait s’empêcher, même dans l’exil, dans la solitude, d’afficher ses amours et ses vengeances.

793. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Dans les cas heureux, les amants réussissent à substituer à l’amour un sentiment différent et complexe, fondé sur des rapports de convenance réciproque plus durables ; ils se donnent le change, prennent l’amitié, t’intérêt personnel ou l’habitude pour l’amour, et ce nouveau mensonge, cette nouvelle et fausse conception d’eux-mêmes et de ce qu’ils ressentent, prolonge d’une façon acceptable pour l’individu une liaison que noua le seul intérêt de l’espèce. […] La nouveauté seule d’une jouissance nous touche : se tourne-t-elle en habitude, nous cessons de la ressentir et nos sens affinés y découvrent des nuances où le pouvoir de souffrir trouve à se satisfaire.

794. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Aucune idée humiliante ne s’attache à ce servage : une habitude d’esprit dont nous tenons aujourd’hui trop peu de compte, confond alors dans l’opinion publique l’idée de roi avec celle de France : le roi, c’est l’État. […] Bien des auteurs ne vivent que de leur crédit, et il est plus d’un grand homme qu’on n’admire désormais que par habitude.

795. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Appendice. [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 497-502

À défaut de si grandes choses, désirons du moins des ouvrages touchants et émouvants à bonne fin, divertissants et spirituels avec goût, puisés dans le cercle de la famille et de la société telles que, grâce à Dieu et à l’immortel génie de la France, elles existent encore ; des ouvrages sentant, pour tout dire, une habitude de bonnes mœurs et de bonne compagnie.

796. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

J’aime à écouter, dans le silence de la vie d’habitude, le mouvement sourd de l’existence intérieure.

797. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Relation inédite de la dernière maladie de Louis XV. »

Ce n’est pas qu’entre nous il soit en état de commander une compagnie de grenadiers ; mais sa présence fera beaucoup ; le peuple aime son roi par habitude, et il sera enchanté de lui voir faire une démarche qui lui aura été soufflée.

798. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française — II. La Convention après le 1er prairal. — Le commencement du Directoire. »

Les secours furent insuffisants et intempestifs ; des ordres contradictoires arrivèrent à la fois des deux petites cours rivales, et déconcertèrent les opérations commencées ; en deux conjonctures tristement mémorables, à Quiberon et à l’Ile-Dieu, de misérables scrupules de vanité empêchèrent d’adopter le genre de guerre qui convenait le mieux à la nature de la contrée et aux habitudes des paysans.

799. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques, extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil — II »

« Vous aviez raison alors, mon vieil ami ; vous avez raison encore. » Ces volumes de Jefferson abondent en remarques et conseils de détails qui sont faits pour régler les habitudes politiques.

800. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

Tout fait a sa cause, et toute littérature, toute œuvre d’art est un fait dont il suffît de chercher, dont il faut sans passion chercher la cause dans les mœurs, les idées et les goûts de la société qui l’a produite, dans l’esprit du siècle qui l’a inspirée, dans le génie de la nation qui lui a donné son caractère général, dans le tempérament, les habitudes et la vie de l’auteur original qui lui a imprimé son cachet particulier.

801. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre II. Utilité de l’ordre. — Rapport de l’ordre et de l’originalité »

Dans la forme, dans l’empreinte particulière que l’artiste met sur un sujet banal : en d’autres termes, dans la combinaison nouvelle des éléments, dans l’expression de rapports inexprimés jusque-là ; il innove, suivant son tempérament personnel, suivant ses habitudes d’esprit et ses formules d’art, dans la distribution des lumières et des ombres, dans la composition des plans ; il change les proportions des parties, modifie leur valeur : enfin, par un agencement nouveau, il renouvelle une vieille matière.

802. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XI. Trois bons médanistes : Henry Céard, Joris-Karl Huysmans, Lucien Descaves » pp. 145-156

Cet éclat pénétrant du style qui nous force à voir par des clartés nouvelles et inédites, les détails de sa pensée a étonné des lecteurs d’En route, ceux du moins qui sont mal familiers des habitudes littéraires de Huysmans.

803. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VI. L’Astronomie. »

Et alors ne pourra-t-on pas se demander si les lois dépendant de l’espace ne dépendent pas aussi du temps, si elles ne sont pas de simples habitudes, transitoires, par conséquent, et éphémères ?

804. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre II. Enfance et jeunesse de Jésus. Ses premières impressions. »

Il y a là probablement quelque inexactitude, venant de l’habitude de donner presque indistinctement aux Galiléénnes le nom de Marie.

805. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIV. Rapports de Jésus avec les païens et les samaritains. »

Les Samaritains avaient, alors comme aujourd’hui, l’habitude de donner à toutes les localités de leur vallée des noms tirés des souvenirs patriarcaux ; ils regardaient ce puits comme ayant été donné par Jacob à Joseph ; c’était probablement celui-là même qui s’appelle encore maintenant Bir-Iakoub.

806. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre IV. Moyens de déterminer les limites d’une période littéraire » pp. 19-25

L’imprimerie, la vapeur, l’électricité, la diffusion des lumières et la pénétration mutuelle des races, qui sont la conséquence de ces découvertes, accélèrent, à n’en pas douter, la transformation des modes et des habitudes.

807. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — L’orthographe, et la prononciation. » pp. 110-124

Se moquant également de l’usage reçu, de l’inutilité & des inconvéniens d’une trop grande innovation, & de l’habitude des yeux qu’un pareil changement blesse, il ne s’est embarrassé que d’établir ses idées singulières, de réaliser ses rêves sur le néographisme, de mettre un accord parfait entre l’orthographe, & la prononciation.

808. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre onzième. »

C’est certainement une idée très-ingénieuse d’avoir trouvé et saisi, dans le naturel et les habitudes des animaux, des rapports avec nos mœurs, pour en faire ou la peinture ou la satire : mais cette idée heureuse n’est pas exempte d’inconvéniens, comme je l’ai déjà insinué.

809. (1912) L’art de lire « Chapitre VI. Les écrivains obscurs »

— Mais de même qu’en lisant un auteur simple on prend assez facilement l’habitude, par la lecture méditée, d’y mettre beaucoup de choses qu’il n’a point pensées ou qu’il n’a pensées qu’en puissance ; tout de même, en simplifiant les auteurs compliqués, ne leur fait-on pas le tort de leur ôter leur seul mérite ?

810. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Sand »

Encore une fois, l’auteur connu, dans Madame Sand, mais l’auteur sans nouveauté d’idées, de verve et d’accent, et la femme peu connue, l’épistolière, donnant à l’auteur un dessous de langage abominablement commun et des métaphores de domestique indiquant l’habitude d’une âme évidemment moins haute, moins désintéressée et moins poétique que celle-là qu’elle affecte d’avoir quand elle parle d’elle, voilà, résumé en quelques mots, ce qu’on trouve en cette Correspondance, qui fera perdre à Madame Sand ses derniers amis et ses derniers admirateurs.

811. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Tourgueneff »

ce n’est pas même un livre… Ce sont des esquisses jetées d’une main vibrante et rapide sur les feuillets d’un album emporté à la chasse, et qu’on en rapporte tout parfumé de la senteur des fleurs sauvages cueillies dans les bois, des fumets du gibier et de l’odeur de cuir du carnier au fond duquel l’auteur a l’habitude de le porter.

812. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « I. Saint Thomas d’Aquin »

Mais ce qu’il possède, c’est justement le bien des pauvres, c’est la tradition de l’Église, et, par l’étude théologique dont il a reporté les habitudes sur les choses de la philosophie, la précision et le génie de la formule, tellement claire, dit très heureusement M. 

813. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Louis Bouilhet. Festons et Astragales. »

Avoir du talent, mais se garder de l’invention comme de la peste, n’avoir pas surtout l’insolent privilège de l’originalité qui choque tant les esprits vulgaires et viole trop cette chère loi de l’égalité ; avoir du talent et même s’en permettre beaucoup si on peut, mais sous la condition expresse que ce sera sur un mode connu, accepté, qui ne dérangera rien dans les habitudes intellectuelles et ne sera point, pour ceux qui se comparent, une différence par trop cruelle, telle est la meilleure et la plus prudente combinaison qu’il y ait pour se faire un succès, qui suffit à la vie et même à la fatuité dans la vie et pour se passer très bien de la gloire, — ce morceau de pain toujours inutile, gagné en mourant de faim par ces imbéciles d’inventeurs qui ne le mangent pas !

814. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Ranc » pp. 243-254

Or, y en a-t-il, dans le livre de Ranc, comme les romanciers ont l’habitude d’en mettre dans les romans, qui ne sont, après tout, que l’histoire possible ?

815. (1925) Les écrivains. Première série (1884-1894)

On sent que M. de Vogüé a la très rare et très excellente habitude de penser par lui-même et de n’être jamais embarrassé par les préjugés étroits et conventionnels de son monde. […] Il représente une somme considérable d’efforts, dénote une peu commune intelligence, l’habitude des pensées graves, des hautes spiritualités, l’amour du grand, du tendre, de l’inconnu, qui est dans la vie. […] D’ailleurs, il ferait beau voir qu’ils voulussent imposer au public une autre marchandise dont celui-ci n’aurait ni l’habitude, ni l’emploi. […] L’enquête moderne nous a démontré, lumineusement, que ce qu’on qualifiait jadis de sublime n’était en réalité que l’explosion d’instincts grossiers et le résultat de sauvages habitudes. […] Le jour où il confessa qu’il avait l’habitude sacerdotale d’ignorer totalement les œuvres dramatiques confiées à son jugement, il fut sacré éminent critique.

816. (1888) Portraits de maîtres

S’il n’acheva pas dans notre littérature la transformation commencée, s’il faiblit, se lassa, dut s’arrêter à moitié chemin, ce fut, comme son devancier, par ce qu’il conserva de l’éducation première et des habitudes de son esprit. […] Aux uns le passé mal connu représentait les habitudes d’une monarchie traditionnelle ; pour les autres il signifiait les espérances déçues d’une ère libératrice. […] Il apprit beaucoup d’histoire, contrairement aux habitudes de l’ancien enseignement. […] Déjà leurs habitudes de bien-être, l’élégance de leurs toilettes suffiraient pour empêcher nos étudiants de se mêler à la vie de nos ouvriers. […] La vie politique le prit à la littérature et à l’enseignement, et il y transporta ses nobles habitudes de pensée et d’action.

817. (1856) Articles du Figaro (1855-1856) pp. 2-6

Contre son habitude, il a manqué de courage, — et il a fui… S’il n’eût fui que de quatre pas ! […] Eux-mêmes voyageurs et toujours lancés au pas de course, ces vers ont gardé l’habitude du négligé de voyage. […] Barbara. — Et comme je n’ai pas l’habitude d’aller, suivant l’expression vulgaire, par quatre chemins, je commence par déclarer tout net que la lecture des Histoires émouvantes m’a valu un amer désappointement. […] Joseph Félon, entre autres, dont le pinceau se distingue d’habitude par une sorte de grâce insinuante et spirituelle, a jeté parmi ce sanhédrin de figures impossibles, deux ou trois félonies de couleur tout à fait indignes de son talent. […] Il en avait cependant essayé plusieurs, et toutes, — c’est justice à leur rendre, — faisaient preuve d’une égale supériorité au même endroit de leur rôle : elles croquaient la fameuse pomme avec un brio et une dextérité qui dénotaient un précoce apprentissage et une longue habitude.

818. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Cependant on conviendra que ceci n’est guère dans les habitudes des hommes de génie. […] C’est à partir de ce moment qu’il commença à prendre l’habitude de mourir de faim, presque littéralement. […] C’est l’habitude de la division du travail. […] Or ces boîtes-là ont-elles l’habitude de ramasser les pièces tombées ? […] C’est tout simplement une différence d’habitudes de style.

819. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Il fit son feuilleton à des dates irrégulières d’abord, puis il prit l’habitude de le donner ordinairement le dimanche. […] L’habitude en est très vite prise, et nous ne nous y trompons guère. […] Ensuite, à s’aimer partiellement, on prend de mauvaises habitudes, comme de s’aimer au total. […] L’habitude vient de suivre toute la nature, de dire d’elle tout entière : « Qu’elle nous soit chère !  […] Vous, Monsieur, qui avez l’habitude de la scène… — Pas du tout !

820. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Elle a contre elle son habitude de corps où je ne sais quelle force et vigueur plébéienne se marque, plus que la grâce alanguie, brisée et défaillante. […] C’est une petite question que je pose à mes lecteurs selon l’habitude qu’ils m’ont donnée en répondant si souvent et si bien aux petits problèmes que je leur indique. […] Il est tel par sa nature ou par destination, ou par habitude. […] en France ; tout ce qu’ils ont fait dire à leurs bergers se sera toujours appelé et s’appellera encore, par habitude, les délices du cœur et de l’esprit ; et tout ce que produiraient leurs imitateurs ne s’appellerait plus qu’ennui, glace et rêveries de nos bons vieux pères, etc. ?  […] C’est ainsi que le romantisme n’a eu un retentissement appréciable dans les mœurs ou tout au moins dans les habitudes courantes qu’à partir du moment où il a conquis le théâtre.

821. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

On tient à son moi actuel par les liens de l’habitude et de la douce et lente accoutumance. […] A-t-elle l’habitude de l’être ? […] quelles résistances de raffinés et surtout de gens dérangés dans leurs habitudes ! […] J’ai tranché dans le vif, par une vieille habitude. […] Ils n’ont pas lu même tour d’esprit, ils n’ont pas les mêmes habitudes d’âme, ils n’ont pas la même conscience ; c’est évident.

822. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

Il semble bien, en revanche, que l’habitude des bonnes méthodes rende les esprits réfléchis de plus en plus réfractaires à cet optimisme de millénaires. […] Ces habitudes morales, l’adolescent régulier et volontaire les rencontrait, fixées en lui par un atavisme qu’il sentait indestructible, fortifiées pat un milieu de bourgeoisie séculaire. […] Un ensemble de bonnes habitudes morales, appuyées sur quelques notions de dogme abrégées et primaires, ne constitue pas ce qu’un sociologue appellerait le « fait religieux ». […] Ce qui fait défaut, c’est l’éducation de cette énergie, c’est l’habitude de l’employer librement, solitairement, avec la conscience et avec l’audace de la responsabilité. […] Nous négligeons trop en France cette excellente habitude qui consiste à maintenir en son entier le cadre matériel où travailla un illustre artiste.

823. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

Cicéron, comme presque tous les grands hommes, annonça de bonne heure la supériorité de son génie, et prit dès l’enfance l’habitude des succès et de la gloire. […] Sous un autre rapport, on peut puiser dans ce recueil une foule de détails curieux sur la vie intérieure des Romains, les mœurs et les habitudes des citoyens, et les formes de l’administration. […] Là, cependant, nous trouvons encore, dans la conception générale de ses plans, quelques traces des habitudes de fausse éloquence, empruntée aux écoles sophistiques de la Grèce et de Rome. […] Si la conquête pouvait jamais aviver un peuple, ce passage d’une dynastie française à Constantinople aurait dû rendre aux Grecs les habitudes de la guerre : mais il n’en fut pas ainsi. […] On dirait de ce guerrier d’Arioste qui, tué dans un combat, continua de combattre quelque temps par habitude, avant de s’apercevoir qu’il était mort.

824. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff (suite) » pp. 317-378

Toujours la même en toute saison, elle, est d’habitude silencieuse. […] Elle était moins bonne que sensible, et avait conservé, à un âge mûr, les défauts d’une pensionnaire ; elle avait le caractère d’un enfant gâté, était irascible et pleurait même quand on troublait ses habitudes ; par contre, elle était aimable et gracieuse lorsqu’on remplissait ses désirs et qu’on ne la contredisait point. […] Son père supportait impatiemment ses habitudes de citadin ; ses habits, ses jabots, ses livres, sa flûte, sa propreté, lui paraissaient avec assez de justesse, une délicatesse exagérée ; il ne faisait que se plaindre de son fils, et le grondait sans cesse. « Rien ne lui convient ici, disait-il souvent ; à table, il fait le dégoûté, ne mange de rien, ne peut supporter l’odeur des domestiques, ni la chaleur de la chambre ; la vue des gens ivres le dérange ; on n’ose pas seulement batailler devant lui ; il ne veut pas servir, il n’a pas pour un liard de santé, cette femmelette ! […] Dans le salon, on voyait le fauteuil favori de la maîtresse de la maison, avec son dossier droit et haut contre lequel elle avait l’habitude de s’appuyer dans sa vieillesse. […] Antoine alla avec le laquais de Lavretzky ouvrir l’écurie et la remise ; à sa place parut une vieille femme presque aussi âgée que lui ; sa tête branlante était couverte d’un mouchoir qui descendait jusqu’aux sourcils ; l’habitude de l’obéissance passive se peignait dans ses yeux, et il s’y joignait une sorte de compassion respectueuse.

825. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Mais il y a plus que de la partialité à supprimer dans la peinture de son caractère toutes les habitudes honorables qui rachetaient ses mauvais penchants. […] Il a imprimé aux rimes une richesse oubliée depuis Ronsard, au rythme et aux césures des habitudes perdues depuis Régnier et Molière, et retrouvées studieusement par André Chénier. […] Mais alors même il doit encore conserver une parole simple, sobrement imagée : or, les habitudes lyriques de M.  […] Hugo doit briser violemment ses habitudes s’il veut continuer d’écrire pour le théâtre. […] Est-ce que le poète a brisé ses habitudes ?

826. (1910) Victor-Marie, comte Hugo pp. 4-265

Ce sont de ces choses que l’on dit, que l’on a pris l’habitude de dire, et on ne sait pas soi-même jusqu’à quel point c’est vrai. […] À des habitudes, à des abondances, à des facilités. […] Il faut évidemment rompre pour cela avec beaucoup d’habitudes mentales. […] Il est dans son état, dans son habitude, dans sa sûreté. […] Rien n’est triste à cet égard et rien n’est un enseignement, rien n’est désolé, rien ne sent la condamnation, l’habitude, la résignation au travail, l’habitude du travail comme ce plan en prose que nous avons de sa main du premier acte d’Iphigénie en Tauride.

827. (1896) Les Jeunes, études et portraits

Mais c’est que nous n’avons ni l’habitude ni le goût de la vérité. […] L’homme de caractère pacifique et d’habitudes morales subit l’ascendant du réfractaire. […] L’habitude émousse toutes les sensations et il n’est rien de si horrible avec quoi on ne se familiarise. […] Il ne s’inquiète guère en effet de songer s’il chaque les habitudes d’esprit et s’il heurte les habitudes de sensibilité de ses spectateurs. […] Toutes nos habitudes intellectuelles nous rendent inaccessible cette poésie qui ne se rattache à aucune tradition française.

828. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

Oui, une habitude du passé, qui, certains jours, faisait entrer le domestique dans la famille. […] mais c’est une création de l’homme, et sa plus grande, et sa plus merveilleuse, et sa plus divine, dirais-je par habitude — une création contre nature. […] L’homme qui jusque-là avait partagé sa vie entre la femme et le travail, avait brusquement coupé cette habitude, et lui disait à propos de Mlle Aimée, que tout le monde croyait sa maîtresse, qu’il regrettait de ne pas lui avoir fait un enfant, parce que ça l’aurait peut-être sauvée. […] … Tout ce qu’il y a de plus galant au fond, il avait la singulière habitude d’embrasser sur le cou, sur l’épaule, toutes les jolies femmes qu’il voyait… Oui, très amoureux d’actrices… Après ça, il avait une si vieille Impératrice, branlant de la tête… Son dernier amour fut une demoiselle d’honneur qui refusa l’argent qu’il lui avait laissé dans son testament, et s’enferma près de son tombeau, après sa mort.

829. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1867 » pp. 99-182

Il me dit qu’il a l’habitude de sortir à quatre heures, et me donne rendez-vous pour une de ces promenades péripatéticiennes à la Poussin, à travers la vieille Rome. […] Il entre chez nous, se met à causer de son père, du premier Empire, allume un cigare, et pris par l’intérêt de ce qu’il raconte, par le souvenir du passé et de la famille, nous fait toucher les changements survenus dans les habitudes, les mœurs, le train de vie de la bourgeoisie marchande. […] Le soir, au fumoir, il s’est étendu, en se vautrant sur un divan, avec cette habitude des hommes d’État actuels, auvergnats et marseillais, de décrotter les talons de leurs bottes à la soie des meubles, et à la fois dédaigneux, et contempteur du monde qui était là, et tout ahuri à la question ébouriffamment intime que lui adresse, sous un air parfaitement bête, Théophile Gautier, sur ses rapports conjugaux avec son épouse. […] Avant dîner, dans la chambre d’Eugène Giraud, pendant qu’on se chausse, qu’on se lave les mains, qu’on passe l’habit de circonstance, qu’on fume une cigarette, Charles Giraud raconte qu’à Taïti, les femmes ont l’habitude de s’oindre le corps d’une certaine préparation jaune qui leur enlève l’apparence solide d’un corps humain, et donne à leur corps, à leur chair, la transparence d’une bougie transparente, en fait des statues étrangement douces à l’œil, presque diaphanes.

830. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIe entretien. Sur le caractère et les œuvres de Béranger » pp. 253-364

« Laffitte, dont j’étais l’oracle et l’ami, était étendu sur un fauteuil, son pied foulé sur un tabouret, écoutant tout le monde, souriant à tous les avis, semant selon son habitude les mots spirituels à l’oreille de l’un et de l’autre, penchant secrètement pour la monarchie et pour le duc d’Orléans, mais n’osant le dire trop haut de peur d’avorter dans un cri de trahison poussé par le peuple. […] « Et croyez-moi, poursuivait-il en plaisantant, si jamais vous ressuscitez sur cette pauvre terre et que la Providence vous rende, dans une révolution de votre pays, un rôle semblable à celui qu’elle vous a donné en 1848 en France, demandez pour vous, ou pour tout autre, une dictature de dix ans ou une dictature à vie, avec faculté de désigner votre successeur, pour donner à la liberté le temps de devenir une habitude, pour refréner vigoureusement les factions et pour modérer sévèrement les sectes qui perdent la liberté. […] Je multipliai mes visites à la rue de Vendôme : rien n’était changé, ni dans ses entretiens, ni dans son visage, ni dans la gracieuse nonchalance de ses habitudes dans sa chambre. […] Si je sondais mon cœur, j’y découvrirais un vide immense d’affection, d’habitudes, de consonances d’esprit, d’heures nonchalantes, mais nécessaires à la journée, creusé en moi par cette seule chambre vide maintenant dans une maison de la rue de Vendôme !

831. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « en tête de quelque bulletin littéraire .  » pp. 525-535

Avec un peu d’habitude, on s’y endurcit ; et mon ami, bien qu’il ait le cœur poétique et tendre, en est venu à ne plus mesurer ce champ d’oubli qu’à la toise.

832. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Pensées »

Une vie sobre, un ciel voilé, quelque mortification dans les désirs, une habitude recueillie et solitaire, tout cela me pénètre, m’attendrit et m’incline insensiblement à croire.

833. (1874) Premiers lundis. Tome I « J. Fiévée : Causes et conséquences des événements du mois de Juillet 1830 »

Trois jours de combat, et les ateliers se rouvrirent avec la certitude d’une longue sécurité ; c’est ce que voulait un peuple qui craint le joug du besoin, mais qui a accepté la nécessité du travail depuis qu’il jouit d’un peu d’aisance et d’un peu d’instruction qui doivent tendre à s’accroître, dès que des habitudes nouvelles lui ont fait comprendre qu’il n’y a rien de plus moral que le travail pour ceux qui ont leur fortune à commencer, et que la vie publique pour ceux dont la fortune est faite. » Après ce qui s’est passé dans les rues, l’auteur de la brochure comprend et indique très-bien ce qui doit se passer dans le gouvernement par rapport à la société.

834. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

Les mœurs, les habitudes, les connaissances philosophiques, les succès militaires, tout semble, chez les Grecs, ne devoir être que passager ; c’est la semence que le vent emportera dans tous les lieux de la terre, et qui ne restera point où elle est née.

835. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre V. Des personnages dans les récits et dans les dialogues : invention et développement des caractères »

Un écrivain dramatique de notre temps, qui certes a su donner à ses caractères une rectitude et une consistance merveilleuse à travers les surprises de l’intrigue et les incohérences de la passion, nous a fait quelque part la confidence qu’il se faisait la biographie de chaque personnage qu’il voulait introduire dans une pièce, qu’il le dotait d’une existence antérieure, d’un long passé, où son tempérament et ses habitudes étaient minutieusement décrits.

836. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dumas, Alexandre (1802-1870) »

Par suite de cette même habitude d’improvisation, son style, semblable à ces plantes éphémères qui naissent à la surface du sol, n’a ni couleur ni caractère… [Histoire de la littérature française sous la Restauration (1853).]

837. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’Âge héroïque du Symbolisme » pp. 5-17

Mallarmé, poète fonctionnaire, père de famille aux habitudes régulières, s’accommode parfaitement de la correction bourgeoise.

838. (1890) L’avenir de la science « IX »

Pénétration la plus intime des secrets de la psychologie spontanée, haute habitude de la psychologie et des sciences philosophiques, étude expérimentale de l’enfant et du premier exercice de sa raison, étude expérimentale du sauvage, par conséquent connaissance étendue des voyages, et autant que possible avoir voyagé soi-même chez les peuples primitifs, qui menacent chaque jour de disparaître, au moins avec leur spontanéité native ; connaissance de toutes les littératures primitives, génie comparé des peuples, littérature comparée, goût délicat et scientifique, finesse et spontanéité ; nature enfantine et sérieuse, capable de s’enthousiasmer du spontané et de le reproduire en soi au sein même du réfléchi.

/ 1872