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586. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Ghil, René (1862-1925) »

Ghil, René (1862-1925) [Bibliographie] Légendes d’âmes et de sang (1885). — Traité du verbe (1886 et 1888). — Le Geste ingénu (1887). — I. […] Stéphane Mallarmé particulièrement l’a discerné, qui écrivait à l’auteur : « … Peu d’œuvres jeunes sont le fait d’un esprit qui ait été, autant que le vôtre, de l’avant », et il lui prodigua les conseils, attirant son attention sur L’Harmonie contenue en ces vers de la Légende d’âme et de sang, « et ainsi, disait dernièrement Ghil, me jeta dans la voie, ma voie, selon un sens harmonique très développé en moi, qui me fait écrire en compositeur plus qu’en littérateur ». […] D’ailleurs, je sais de lui, dans ses Légendes d’âme et de sang, de beaux vers. […] Paul Léautaud Son livre de débuts, Légendes d’âmes et de sang, qui révélait un poète ne procédant d’aucun maître, et dont la préface, où il donnait les grandes lignes de l’œuvre qu’il méditait, laissait pressentir les théories de musique verbale que le Traité du verbe devait répandre avec éclat, d’un coup attira sur lui l’attention.

587. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre II. Amour passionné. — Didon. »

Ce n’est que dans les siècles modernes qu’on a vu se former ce mélange des sens et de l’âme, cette espèce d’amour, dont l’amitié est la partie morale. […] Cet amour n’est ni aussi saint que la piété conjugale, ni aussi gracieux que le sentiment des bergers ; mais, plus poignant que l’un et l’autre, il dévaste les âmes où il règne. […] Comme Massillon a pénétré dans les replis de nos âmes, et exposé au jour nos penchants et nos vices ! « C’est le caractère de cette passion, dit cet homme éloquent en parlant de l’amour, de remplir le cœur tout entier, etc. : on ne peut plus s’occuper que d’elle ; on en est possédé, enivré : on la retrouve partout ; tout en retrace les funestes images ; tout en réveille les injustes désirs : le monde, la solitude, la présence, l’éloignement, les objets les plus indifférents, les occupations les plus sérieuses, le temple saint lui-même, les autels sacrés, les mystères terribles en rappellent le souvenir32. » « C’est un désordre, s’écrie le même orateur dans la Pécheresse 33, d’aimer pour lui-même ce qui ne peut être ni notre bonheur, ni notre perfection, ni par conséquent notre repos : car aimer, c’est chercher la félicité dans ce qu’on aime ; c’est vouloir trouver dans l’objet aimé tout ce qui manque à notre cœur ; c’est l’appeler au secours de ce vide affreux que nous sentons en nous-mêmes, et nous flatter qu’il sera capable de le remplir ; c’est le regarder comme la ressource de tous nos besoins, le remède de tous nos maux, l’auteur de nos biens34… Mais cet amour des créatures est suivi des plus cruelles incertitudes : on doute toujours si l’on est aimé comme l’on aime ; on est ingénieux à se rendre malheureux, et à former à soi-même des craintes, des soupçons, des jalousies ; plus on est de bonne foi, plus on souffre ; on est le martyr de ses propres défiances : vous le savez, et ce n’est pas à moi à venir vous parler ici le langage de vos passions insensées35. » Cette maladie de l’âme se déclare avec fureur, aussitôt que paraît l’objet qui doit en développer le germe.

588. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Un petit corollaire de ce qui précède [Mon mot sur l’architecture] » pp. 77-79

Si le goût est une chose de caprice, s’il n’y a aucune règle du beau, d’où viennent donc ces émotions délicieuses qui s’élèvent si subitement, si involontairement, si tumultueusement, au fond de nos âmes, qui les dilatent ou qui les serrent, et qui forcent de nos yeux les pleurs de la joie, de la douleur, de l’admiration, soit à l’aspect de quelque grand phénomène physique, soit au récit de quelque grand trait moral ? […] Sans doute, le bruit, le fracas d’un torrent qui brise le vaste silence de la montagne et de sa solitude, et porte à mon âme une secousse violente, une terreur secrète, est une belle chose. […] C’est lui qui réfléchit et qui voit dans l’arbre de la forêt, le mât qui doit un jour opposer sa tête altière à la tempête et aux vents ; dans les entrailles de la montagne, le métal brut qui bouillonnera un jour au fond des fourneaux ardents, et prendra la forme et des machines qui fécondent la terre et de celles qui en détruisent les habitants ; dans le rocher, les masses de pierre dont on élèvera des palais aux rois et des temples aux dieux ; dans les eaux du torrent, tantôt la fertilité, tantôt le ravage de la campagne ; la formation des rivières, des fleuves ; le commerce, les habitants de l’univers liés, leurs trésors portés de rivage en rivage et de là dispersés dans toute la profondeur des continents ; et son âme mobile passera subitement de la douce et voluptueuse émotion du plaisir au sentiment de la terreur, si son imagination vient à soulever les flots de l’océan. […] Il balbutiera ; il ne trouvera point d’expressions qui rendent l’état de son âme.

589. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

« L’historien pourrait se placer au sein de l’âme humaine, pendant un temps donné, une série de siècles, ou chez un peuple déterminé. […] Ces paroles qui arrivent à votre oreille, ces gestes, ces airs de tête, ces vêtements, ces actions et ces œuvres sensibles de tout genre, ne sont pour vous que des expressions ; quelque chose s’y exprime, une âme. […] On connaissait l’homme, on ne connaissait pas les hommes ; on n’avait pas pénétré dans l’âme ; on n’avait pas vu la diversité infinie et la complexité merveilleuse des âmes ; on ne savait pas que la structure morale d’un peuple et d’un âge est aussi particulière et aussi distincte que la structure physique d’une famille de plantes ou d’un ordre d’animaux. […] Cette seconde idée, à son tour, dépend d’une troisième plus générale encore, celle de la perfection morale, telle qu’elle se rencontre dans le Dieu parfait, juge impeccable, rigoureux surveillant des âmes, devant qui toute âme est pécheresse, digne de supplice, incapable de vertu et de salut, sinon par la crise de conscience qu’il provoque et la rénovation du cœur qu’il produit. […] Toujours on rencontre pour ressort primitif quelque disposition très-générale de l’esprit et de l’âme, soit innée et attachée naturellement à la race, soit acquise et produite par quelque circonstance appliquée sur la race.

590. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

Gœthe et Gautier, puissants par la langue, je le veux bien, n’avaient pas d’âme à perdre. […] L’âme humaine, en effet, c’est l’infini, et toute société est finie. […] Alphonse Daudet, cette âme dans le talent, a mieux à faire maintenant qu’à regarder, du bout des yeux, une société qui passe et qui a été décrite jusqu’à épuisement. Il a à regarder dans l’âme humaine, qui ne passe point. […] Il ne s’agit pas de son âme.

591. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

Je n’ai rien lu qui ait été plus au fond de mon âme. […] C’est là le vrai talent, celui de l’âme. […] Je ne sais pourquoi vous ne considérez pas comme un devoir de faire usage de vos talents dans le noble sens que votre âme vous inspire. […] Son âme, ses sentiments, toujours les mêmes, se soutiennent et donnent de l’intérêt à sa vie. — — Juliette va venir. […] En un mot, il resta toujours une âme neuve qui se révoltait, qui éclatait en présence du mal, du mensonge, de l’intrigue, de l’injustice.

592. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. »

C’est d’un cœur charmant, d’une âme élevée, qui pense que tous les bons et beaux esprits devraient se rejoindre à une certaine hauteur et qu’une amitié commune est un lien. […] Je ne puis qu’indiquer légèrement, à mon grand regret, un autre poëte distingué qui a également traduit avec âme cette pièce d’Excelsior, M.  […] Félix Gaudin, auteur de Poésies chrétiennes 35, âme honnête, éprouvée, reconnaissante, que l’injustice a atteinte, que la foi a relevée et consolée, humble acolyte en poésie, et qui, dans le pieux cortège, me fait l’effet de psalmodier ses rimes à mi-voix, en tenant à la main le livre de l’Imitation d’où la joie et la paix lui sont revenues. […] Auguste Barbier, ce grand poëte d’un jour et d’une heure, que la renommée a immortalisé pour un chant sublime né d’un glorieux hasard, mais qui dans l’habitude, ainsi que l’atteste son recueil des Silves 36, est plutôt une âme douce, tendre, naïve ; une âme cherchante, un peu incertaine ; une muse timide, le croirait-on ? […] Elle représentait vraiment la nuit superbe, Avec ses millions d’étoiles, sa douceur, Son blanc rayonnement posé sur l’onde ou l’herbe, Et son azur sans fond, abîme du penseur ; La nuit où, s’échappant furtives de chez elles, Les amoureuses vont, dans les bois, s’égarer, Où l’âme du poëte, ouvrant toutes ses ailes, Plane dans le pays lointain qui fait pleurer.

593. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Ce que l’auteur veut prouver, c’est que, par ce dévouement de l’un à l’autre, par ce perfectionnement continuel de leur âme dans la solitude, ils remplissent tout aussi bien leur rôle ici-bas que les autres en se lançant dans l’arène poudreuse et souvent bourbeuse. […] A défaut du cadre en lui-même, on peut du moins en montrer les impressions dans l’âme des amants et y suivre, par le sentiment ému, les belles ombres plus flottantes. […] » Cette fois, le génie a enfin parlé net chez Rousseau, et il éclate par tous les signes évidents, soit dans l’éloquence de ses discours, soit dans les désirs orageux de son âme. […] S’il y a quelque anachronisme ici, il n’est pas choquant, et on l’accepte, parce qu’il laisse jour aux accents les plus généreux échappés à l’âme de l’auteur. […] Les regards de sa Juliette, consultés assidûment et relus, un voyage de tous deux au Mont-Blanc, qui était alors une nouveauté et comme une découverte, réparent son âme et la rétablissent dans la modération vertueuse.

594. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

C’est dans le style surtout que l’on remarque cette hauteur d’esprit et d’âme qui fait reconnaître le caractère de l’homme dans l’écrivain. […] Sans doute les actions sont la meilleure garantie de la moralité d’un homme : néanmoins je croirais qu’il existe un accent dans les paroles, et par conséquent un caractère dans les formes du style, qui atteste les qualités de l’âme avec plus de certitude encore que les actions même. […] Ce style de l’âme, si je puis m’exprimer ainsi, est un des premiers moyens de l’autorité dans un gouvernement libre. […] Cet éloge si simple d’un grand homme, cette gradation qui donne pour dernier terme de la gloire les affections de son pays, fait éprouver à l’âme la plus profonde émotion. […] L’âme, en se pénétrant des sentiments nobles et des pensées élevées, éprouve une sorte de fièvre qui lui donne des forces nouvelles pour le talent et la vertu.

595. (1858) Cours familier de littérature. V « Préambule de l’année 1858. À mes lecteurs » pp. 5-29

Est-ce que nous avons laissé (comme à Saint-Germain-l’Auxerrois ou à l’archevêché de Paris, en 1830) violer ou saccager le temple, vociférer contre le prêtre, attenter à la libre et inviolable opinion des âmes, la foi ? […] qu’ils savent mal lire au fond des âmes ! […] La Fortune, semblable à la servante agile Qui tire l’eau du puits pour sa cruche d’argile, Élevant le seau double au chanvre suspendu, Le laisse retomber quand il est répandu ; Ainsi, pour donner l’âme à des foules avides, Elle nous monta pleins et nous descendit vides. […] C’était aussi le temps où ces jouets de l’âme, Tes romans, s’effeuillaient sur des genoux de femme, Et laissaient à leurs sens, ivres du titre seul, L’indélébile odeur de la fleur du Tilleul ! […] Qui ne voudrait trembler et mourir à ce prix, Léguant comme ce sage, au sortir de la vie, Son âme à l’univers et sa tête à Fulvie ?

596. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Gustave Flaubert » pp. 61-75

C’est un livre, en effet, sans tendresse, sans idéalité, sans poésie, et nous oserions presque dire sans âme, si l’intelligence ne faisait pas partie de l’âme humaine et n’en constituait pas la plus fière moitié. […] On sentirait dans ces machines autant de vie, d’âme, d’entrailles humaines que dans l’homme de marbre qui a écrit Madame Bovary avec une plume de pierre, comme le couteau des sauvages. […] Avant cette scène, nous avions les prodromes du roman, mais il faut le dater réelle ment de ce bal, où l’œil commence de corrompre l’âme et où le monde extérieur entre dans le cœur de madame Bovary pour n’en plus sortir. […] Léon est une âme médiocre, c’est une variété de lâche qui a bien son mérite après M.  […] Cet homme, qui voit comme un lynx dans l’âme ombrée de sa madame Bovary, et qui nous fait le compte des taches qui bleuissent ici, noircissent là, cette belle pêche tombée, aux velours menteurs, est un entomologiste de style qui décrirait des éléphants comme il décrirait des insectes.

597. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série «  M. Taine.  »

Et assurément, ces facultés n’agissent pas, dans la réalité, d’une façon continue : mais elles sont pourtant le véritable et suprême ressort d’une âme. […] Ce sont les spiritualistes, les idéalistes, les gens bien pensants et les plus belles âmes du monde qui nous disent : — Napoléon fut un monstre ? […] Vraiment on lui prête une âme trop basse, des rancunes trop viles, trop féroces et trop longues. […] On sent que la constitution de l’âme de Napoléon devait être, au fond, telle qu’il nous la montre. […] Tout ce qu’il trouve à dire, c’est que, leur âme étant « vêtue d’une chair éthérée », l’amour de Faustus et de Stella est affranchi de la pudeur.

598. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Mais, à présent, il est plus calme et moins terrible, parce qu’il est plus mort aux choses de l’âme, et il ne charcute plus que comme un simple charcutier. […] Or, l’animal est, comme les mots, sans âme. […] Je ne pense pas qu’il y ait pourtant grande haine dans son âme, laquelle doit être surtout une âme de préoccupation littéraire, non de papier mâché, mais de papier écrit… Si peu organisé qu’il soit pour les sentiments véhéments et sincères, M.  […] C’est la réplique, par la nature, aux choses morales et religieuses de l’ancien monde qui croyait à Dieu, et aux chagrins de l’âme immortelle, et, pour un matérialiste comme M.  […] Ces réalistes, qui s’accroupissent ou se traînent sur le ventre pour ramasser les moindres poussières, trouvent Dieu et l’âme des réalités trop menues pour daigner les voir et s’en occuper ; et ils ne se doutent pas que l’absence de Dieu et de l’âme, dans une œuvre humaine, fait un vide par lequel, quand on en aurait, s’en va le génie, — et même le talent !

599. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vii »

C’était la devise, c’était l’âme des études de Joseph Déchelette, qui fut tué le 3 octobre 1914 à la tête de sa compagnie. […] Épée de La Tène ou fusil modèle 1886, c’est toujours la même lutte de l’âme cette contre la brutale agression des Germains… Heureux les jeunes qui prennent part à ces luttes formidables ! […] Pierre de Rozières, et de laisser croire à quelque infatuation chez un jeune héros qui aimait la gloire, pour ce qu’elle a de magnifique dans l’âme, mais qui dédaignait et fuyait tout l’extérieur du succès. […] Je trouve dans ses lettres plusieurs notes qui montrent soit les progrès naturels de son âme sous l’impulsion des événements, soit sa nature généreuse d’adolescent. […] D’où reçoivent-ils leur âme ?

600. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

Bientôt une paix profonde coulera dans votre âme. […] ô de tous mes frères le plus cher à mon âme ! […] Quelle épreuve pour une âme si haute ! […] Nulle âme moins royale que celle de ce roi. […] — Je vais cherche du pain et m’en retourner aussitôt. — Et moi, berger, Dieu m’envoie chercher ton âme. — Mon âme !

601. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

il est des fruits (et ce sont ceux de l’imagination et de la fleur de l’âme), qui ne se cueillent bien qu’à l’heure unique et désirée. […] si tu pouvais exhaler et fixer sur le papier cette vie qui coule en toi avec tant d’abondance et de chaleur, en sorte que le papier devienne le miroir de ton âme, comme ton âme est le miroir d’un Dieu infini ! […] Voilà ce qu’il a peint admirablement dans son Werther, ce qui en fait l’âme, et qui en reste vrai pour nous encore, à travers toutes les vicissitudes de la mode et des genres. […] Le duc, avec lequel j’ai, depuis neuf mois, des rapports d’âme les plus sincères et intimes, m’a attaché aussi à ses affaires. […] Émile Montégut, ou plutôt un hymne plein de feu, d’âme et de tendre intelligence.

602. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXI. »

Au nom de Dieu, que cela touche votre âme ! […] voyons en elle le premier musée de l’Europe moderne ; n’en espérons pas ces élévations de génie qui tiennent à l’énergie des âmes, à la grandeur des vertus civiles. […] Puissent quelques parcelles en venir jusqu’à moi, enlever mon âme hors d’elle-même, et la confondre avec toi, céleste amour ! […] Mais, dans ces débris mêmes, le temps étale aux yeux de formidables spectacles ; et, devant ces images confuses, l’âme a entendu des cris de douleur. […] Plus l’âme se détache des sens pour contempler le juste et le beau, plus elle mériterait de n’entrevoir que l’image de l’idéal divin.

603. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — La synthèse »

L’œuvre se comporte de même, et quand on a compris ses organes et énuméré ses énergies, il reste à la révéler en acte, agissante, développant dans une âme humaine les ondes d’émotions qu’elle est faite pour susciter. […] Pour la connaître pleinement et exactement, la notion de son mécanisme, de ses parties, de sa genèse, ne sera pas plus importante que celle de la manière dont elle existe, dont elle se comporte, dont elle agit sur la matière vivante, du choc harmonieux, saccadé ou lent dont elle frappe les esprits, un esprit, une âme individuelle et figurée. […] Sans la connaissance de ces variations, de cette carrière, de ces origines, de cette transition, de ce point de départ et de ce point d’arrivée, l’analyse d’une âme reste morte et sèche, absolue et irréelle, comme une proposition de mathématiques, incomplète comme une ostéologie. […] Taine, la minutieuse enquête de Sainte-Beuve, le réalisme humain des meilleurs biographes anglais, les études anecdotiques comme celles des romantiques, seront fondus ensemble et concentrés au point de donner de l’homme, de ses contours, une apparente image : on aura ainsi les procédés qu’il faut pour pénétrer de réalité, de vérité, de vie, pour galvaniser et animer l’être dont l’âme aura paru morte et morcelée d’après le travail de l’analyseed. […] L’on aura désigné ainsi par le dehors et le dedans, ta sorte d’Athénien, par exemple, qui s’attachait à Aristophane, et celle qui se sentait exprimée par Euripide ; le citadin de la renaissance italienne dont les goûts allaient aux peintures sévères de l’école florentine, et l’habitant de Venise qui, charmé d’abord par le colorisme des Titien et des Tintoret, versa dans les luxurieuses mythologies de leurs successeurs ; de l’habitué des concerts du dimanche à Paris qui, penché toute la semaine sur quelque besogne pratique, retrouve une fois par semaine une âme enthousiaste et grave, digne de s’émouvoir aux hautes passions d’un Beethoven, au religieux naturalisme de Wagner, au trouble de Berlioz.

604. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Abailard et Héloïse »

De braves niais qui ne verraient dans la publication de Didier qu’une étude désintéressée du cœur, qu’une anatomie de la passion dans deux âmes, et rien de plus, parce que nulle question philosophique n’y est agitée, ne connaîtraient pas grand-chose aux tactiques de la Philosophie et mériteraient bien de se prendre à toutes les souricières qu’elle nous tend. […] Héloïse, elle, qui n’a pas besoin qu’on la mutile pour cesser d’être femme, Héloïse qui ne le fut jamais, tant elle est, de tempérament et d’âme, philosophe, Héloïse brave le mépris du monde parce que l’homme qui l’a perdue est un de ces fascinateurs de passage qui traversent de temps en temps l’Histoire et qui voient pendant quelques minutes le monde idolâtre et imbécile à leurs pieds. […] Pouvait-elle être la sainte Thérèse d’une passion humaine et coupable, la femme qui, à vingt lignes de là, écrit les phrases suivantes, où s’étalent avec naïveté les pauvretés d’une âme chétive : « Quelle femme, quelle reine et quelle princesse n’ont pas envié mes joies et mon lit ? […] Aussi, plus d’une fois ne peut-elle s’empêcher de voir le creux des deux âmes qui posent devant elle. […] Oddoul tient pour des âmes de premier ordre en fait d’amour les deux lettrés mâle et femelle du xiie  siècle.

605. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « X. Doudan »

Sans cette lumière, on n’aurait rien su de ce qu’il était ; et encore il y avait, quoiqu’il fût un causeur de ce salon où l’on parlait plus qu’on ne causait, bien des petits coins voilés dans son âme où cette lumière ne pénétrait pas. […] Lui aussi était un corps dont son âme ne savait que faire, ainsi que le disait Madame de Châtenay de son ami Joubert. […] Ses lettres, voilà sa gloire, si gloire il y a pour ces choses légères, pour ces pastels pâlis et ces arcs-en-ciel sitôt évanouis, et qui, pâlissant et s’évanouissant, plaisent encore, et, peut-être, comme les blondes qui furent rayonnantes et que le monde appelle passées, plaisent aux âmes tendres davantage ! […] Mais elles doivent l’être comme l’expression d’un homme qui a une âme charmante, capable de faire oublier, en lisant ses lettres, les erreurs et les débilités de son esprit, — et c’est ici que la Critique va prendre son cœur à deux mains pour dire toute la vérité sur un livre qui lui a donné tant de plaisir… Doudan est, en effet, sur bien des points, un débile et un erroné. […] Joubert avait, de plus, sur Doudan, la supériorité des idées chrétiennes ; car Doudan, dont l’âme est chrétienne encore dans beaucoup de ses résonnances, malgré le paganisme de son esprit, est un instrument désaccordé.

606. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIX. Abailard »

Didier qu’une étude désintéressée du cœur, qu’une anatomie de la passion dans deux âmes, et rien de plus, parce que nulle question philosophique n’y est agitée, ne connaîtraient pas grand-chose aux tactiques de la Philosophie, et mériteraient bien de se prendre à toutes les souricières qu’elle nous tend. […] Héloïse, elle, qui n’a pas besoin qu’on la mutile pour cesser d’être femme, Héloïse qui ne le fut jamais, tant elle est, de tempérament et d’âme, philosophe ! […] Pouvait-elle être la sainte Térèse d’une passion humaine et coupable, la femme qui, à vingt lignes de là, écrit les phrases suivantes, où s’étalent avec naïveté les pauvretés d’une âme chétive : « Quelle femme, quelle reine et quelle princesse n’ont pas envié mes joies et mon lit ? […] Aussi plus d’une fois ne peut-elle s’empêcher de voir le creux des deux âmes qui posent devant elle ! […] Oddoul tient pour des âmes de premier ordre en fait d’amour les deux lettrés mâle et femelle du douzième siècle.

607. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Brispot »

Elle a, dans les doctrines d’application et d’exécution de ce socialisme, le dernier enfant de ses entrailles, introduit avec une satanique profondeur de dessein une fausse figure historique du Sauveur des hommes, croyant sans doute qu’il resterait assez d’irrésistibles séductions dans la tête divine — défigurée par elle — pour fasciner les âmes et les entraîner à ses fins. […] Le prêtre, l’homme qui veut convaincre et allumer la foi dans les âmes, est toujours en première ligne chez l’abbé Brispot. […] Telle est, en quelques mots, cette Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que toutes les âmes pieuses accueilleront avec applaudissement. […] Pour notre part, nous connaissons des mots sublimes (et un mot sublime c’est de la vertu instantanée) inspirées à des âmes simples par les plus simples images. […] Rien donc de meilleur, rien de plus approprié à l’état des choses, que de reprendre l’âme de l’homme par la base et de le conduire jusqu’au faîte, de recommencer son éducation religieuse en revenant à ces éléments sacrés qu’il a oubliés ou méconnus.

608. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

À cette affreuse image tous les mouvements de l’âme se renouvellent, on frissonne, on s’enflamme, on veut combattre, on souhaite de mourir, mais la pensée ne peut se saisir encore d’aucun de ces souvenirs ; les sensations qu’ils font naître absorbent toute autre faculté. […] Mais c’est par des calculs positifs et non par des pensées sensibles ou morales qu’on éloigne ou prévient de semblables peines ; le bonheur des caractères passionnés au contraire, étant tout à fait dépendant de ce qui se passe au-dedans d’eux, ils sont les seuls qui trouvent quelque soulagement dans les réflexions qu’on peut faire naître dans leur âme. […] Dans l’étude des constitutions, il faut se proposer pour but le bonheur, et pour moyen la liberté ; dans la science morale de l’homme, c’est l’indépendance de l’âme qui doit être l’objet principal, ce qu’on peut avoir de bonheur en est la suite. […] Il semble qu’on ne s’est jamais assez mis à la disposition de ceux qu’on aime, qu’on ne leur a jamais assez prouvé qu’on ne pouvait exister sans eux ; que l’occupation, les services de tous les jours ne satisfont pas assez au gré de la chaleur de l’âme, le besoin qu’on a de se dévouer, de se livrer en entier aux autres ; on se fait un avenir tout composé des liens qu’on a formés. […] Si l’âme doit être considérée seulement comme une impulsion, cette impulsion est plus vive quand la passion l’excite ; s’il faut aux hommes sans passions, l’intérêt d’un grand spectacle, s’ils veulent que les gladiateurs s’entredétruisent à leurs yeux, tandis qu’ils ne seront que les témoins de ces affreux combats, sans doute il faut enflammer de toutes les manières ces êtres infortunés, dont les sentiments impétueux animent, ou renversent le théâtre du monde ; mais quel bien en résultera-t-il pour eux, quel bonheur général peut-on obtenir par ces encouragements donnés aux passions de l’âme ?

609. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

Le grand Condé, avec sa face d’oiseau de proie et son âme de bandit féodal, avait des emportements qui faisaient trembler : encore savait-il en réparer l’effet par l’irrésistible enveloppement d’une délicate séduction. […] Il y a même un caractère qui est devenu une nouvelle en forme et développée : c’est l’histoire d’Émire, petit roman psychologique où La Bruyère étudie un jeu complexe de sentiments, qui évoluent et se transforment ; on y voit la vie mobile d’une âme, et non plus l’état fixe d’une âme. […] quel exquis ménagement des intérêts légitimes, et quelle délicieuse souplesse pour se couler dans une âme, pour s’établir dans son centre et en régler tous les mouvements ! […] Si l’on descend au fond de son âme, la raison de ce besoin de plaire est un amour infini de soi-même. […] Dès qu’une âme a l’air de se libérer, ou simplement de se retrancher, il s’échappe de cette douceur une dureté écrasante, qui se dissimule aussitôt le coup porté.

610. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

Mais nos âmes vont se modifiant et, par suite, l’idée que nous nous formons des grands écrivains et des grands artistes et l’émotion qu’ils nous donnent ne sont point les mêmes aux diverses époques de notre vie : faut-il rappeler une vérité si simple ? […]      — Les poètes sont les guides du génie humain  Les sommets sont dangereux ; on y a le vertige  Les grands hommes sont malheureux, parce qu’ils sont les enclumes sur lesquelles Dieu forge une âme nouvelle à l’humanité. […] Non, le bruit énorme, les cymbales retentissantes des vers innombrables de Victor Hugo ne sont point pâture d’âme  pas assez pour moi du moins. […] Et surtout il me semble toujours que, ce qu’ils expriment, je pourrais l’éprouver, que c’est mon âme à moi, qui parle dans leurs vers, et qu’elle chante, par eux, ce qu’elle n’aurait su dire toute seule. […] Son inintelligence des âmes, de la vie humaine et de ses complexités est incroyable.

611. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

Ô vilaines âmes, qu’il fait nuit en vous, que vous aimez peu de chose ! […] Combien d’âmes timides et pudiques la crainte de leur ressembler a reculées du beau ! […] Je dis, moi, au contraire, que celui qui embrasse de toute âme cet humiliant labeur prouve par là même qu’il n’est pas appelé à la grande œuvre. […] C’est donc à l’âme, à la pensée, qu’il faut revenir. […] Jamais la sainte colère des âmes honnêtes contre le scepticisme ne s’est exprimée avec plus d’éloquence.

612. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

On brûlait les corps pour sauver les âmes. […] En ces corps solidement charpentés et vêtus de fer, les poètes ont logé des âmes énergiques, violentes, poussant le courage jusqu’à des proportions surhumaines. […] Seulement elle résiste à son penchant ; son âme est déchirée, non ébranlée. […] Oui, La nouvelle Héloïse peut laisser une tache sur une âme blanche comme un lys, de même qu’elle peut épurer une âme souillée. […] J’ai entendu des sermons sur la chasteté qui étaient fort instructifs et des plus troublants pour des âmes innocentes.

613. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

L’âme peut encore souffrir la pauvreté, mais non l’humiliation. […] On se dispute les âmes, non plus par la menace du bûcher, mais par la discussion, par la persuasion. […] Or, cette situation, que l’on peut déplorer au point de vue du salut des âmes, n’a rien qui rende impossible la liberté civile et politique. […] De là, chez l’un et chez l’autre, ce contraste d’un esprit si calme et si éclairé, et d’une âme si mélancolique, si inquiète et si émue. […] Elle a inspiré ces belles maximes éparses dans sa correspondance : « En toutes choses, il faut viser à la perfection ; — ce monde appartient à l’énergie ; — la grande maladie de l’âme, c’est le froid. » Sa vie même a été une confirmation de ses doctrines ; c’était une nature noble et haute, admirablement sincère, ayant toujours devant les yeux la grandeur morale ; c’était une personne, une âme, un caractère.

614. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

L’importance de ces deux faisceaux de volonté et d’action, si différents de forme et si profondément unis dans l’âme, me frappe singulièrement. […] Il nous dit : La nature est un tout vivant, à la fois âme et corps, orbe immense de fusion et d’harmonie. […] La conception chrétienne du monde et de l’homme, avec son ciel et son âme purement fictifs et irréels, a longtemps empêché la naissance d’un tel sentiment. […] Il admet l’« autorité » extérieure ayant pour base, pour principe, pour seule raison d’existence, pour âme vivante, l’enrichissement, l’accroissement, le bénéfice, l’amélioration de tous ceux à qui elle s’adresse. […] Ne voir dans une nation que les baïonnettes dont elle se hérisse à certaines époques, c’est avoir une âme d’anthropoïde que dissimule mal l’hypocrisie sentimentale et patriotique.

615. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la société des visiteurs des pauvres. » pp. 230-304

Elles croient au prix inestimable et à la sainte égalité des âmes rachetées par le même Dieu. […] La suite des « mouvements d’âme » de Paul Costard est extravagante, mais vraie. […] C’est un simple « drame bourgeois » et, plus spécialement, une histoire d’âme. […] Subitement dégrisée, elle retrouve sa vraie âme de vierge et de puritaine. […] Nous connaissons son âme !

616. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Briard  » pp. 159-160

Briard Enfin, mon ami, il y a d’un monsieur Briard un Passage des âmes du purgatoire au Ciel. […] Là on aurait vu des hommes de tout âge, de tout sexe, de tout état, toutes les espèces de douleurs, et de passions, une infinité d’actions diverses, des âmes emportées, d’autres qui [seraient] retombées ; celles-ci se seraient élancées ; celles-là auraient tendu les mains et les bras. […] Le Ciel représenté au-dessus aurait reçu les âmes délivrées.

617. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Qu’est-ce, d’ailleurs, que l’âme ? […] L’âme de Pascal existe-t-elle individuellement quelque part ? […] Quelqu’un me demande-t-il ce que j’entends par l’âme ? […] L’immortalité de l’âme est un des thèmes principaux de la poésie. […] Mon âme s’enflamme alors, si toutefois rien ne vient me déranger.

618. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

Que d’honneurs, que d’argent prodigués à des hommes sans âme et sans instruction ! […] Pour peindre mon âme, mon âme si visible, si claire, si notoire ? […] Troyon est le plus bel exemple de l’habileté sans âme. […] Chez un public sans âme, il la méritait. […] C’est une âme, je le veux bien, mais trop à la portée de toutes les âmes.

619. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

Selon lui, l’âme humaine, toute déchue et altérée qu’elle est, est le plus grand et le plus invincible témoin de Dieu ; elle est un témoin bien autrement parlant que la nature physique, tellement que le vrai athée (s’il y en a) est celui qui, portant ses regards sur l’âme humaine, en méconnaît la grandeur et en conteste l’immortelle spiritualité. […] Après avoir établi quelques principes de cet ordre, Saint-Martin a donc confiance que ce témoin perpétuel de Dieu, l’âme de l’homme, gagnera à l’épreuve présente, et que le miroir sera plutôt nettoyé qu’obscurci. […] Laissons le prophète, et ne voyons que le philosophe d’une belle âme et d’infiniment d’esprit dans ces matières morales déliées. […] Il mourut subitement dans le joli pays d’Aulnay, chez son ami le sénateur Lenoir-Laroche, le 13 octobre 1803. — Dans ce souvenir rapide que je viens de lui consacrer et dont j’ai cru qu’il était digne, je ne vais point jusqu’à conseiller de relire aucun ouvrage de lui : « Ceux qui ont de l’âme, disait-il, prêtent à mes ouvrages ce qui leur manque : ceux qui ne les lisent point avec leur âme leur refusent même ce qu’ils ont. » S’il disait cela en son temps et à l’heure de la publication, que sera-ce à plus de cinquante ans de distance ? Ce qu’il appelle l’âme même n’y suffit pas : il faut un effort philosophique qui laisse souvent le lecteur à moitié du chemin.

620. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Un grand écrivain, observe à ce propos Eckermann, peut nous servir de deux manières : en nous révélant les mystères de nos propres âmes, ou en nous rendant sensibles les merveilles du monde extérieur. […] Le présent a ses droits ; les pensées, les sentiments qui, chaque jour, se pressent dans une âme de poëte veulent et doivent être exprimés. […] Les Anglais, depuis William Cowper, le savent bien, eux à qui nous devons tant de recueils vrais, variés, autant d’âmes ! […] C’est en ce sens qu’il a pu dire que, contrairement à Schiller, il ne mettait « rien de lui-même dans ses œuvres », tandis que l’autre y versait son âme. […] Il cueillait ses émotions à mesure qu’elles levaient en lui et ne les laissait pas s’étendre au-dedans et envahir toute l’âme qu’il eût fallu arracher ensuite pour les mettre dehors.

621. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

Il essaya d’abord de chasser l’apparition funèbre, de l’exorciser gaiement ; il rappela en plaisantant les vers badins que l’empereur Adrien mourant adressait à sa petite âme. […] « Les âmes froides n’ont que de la mémoire ; les âmes tendres ont des souvenirs, et le passé pour elles n’est point mort, il n’est qu’absent. […] « Les âmes fortes aiment, les âmes faibles désirent. […] Ces quelques pages du Mercure se terminaient par cette pensée, qui exprimait à ravir son rêve et sa prétention du moment : « La mélancolie des âmes tendres et vertueuses est la station entre deux mondes. […] Du moment surtout qu’elle eut découvert en elle cette faculté merveilleuse de prédication qui pouvait lui rendre l’action et l’influence, tout fut dit, elle eut un débouché pour son âme et pour son talent ; sa vocation nouvelle fut trouvée.

622. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

Octave Feuillet apparaissent alors comme de ravissants mensonges, et peut-être comme les plus gracieux qu’on ait imaginés en ce siècle pour bercer les âmes jeunes et enchanter les esprits innocents. […] Elles effrayent et elles attirent, et, comme elles cachent une âme démente, mue par des forces aveugles et irrésistibles, dans des corps délicieux de patriciennes, elles sont à la fois redoutables et charmantes. […] Il est certain que la foi religieuse apporte à certaines âmes un surcroît de force et de sécurité ; mais à quelles âmes et dans quelle mesure ? […] Je jure que, quand il croirait à l’immortalité de l’âme et quand même il irait à la messe, il agirait exactement comme nous le voyons agir. […] La malfaisance ne semble un droit qu’aux âmes nées méchantes et perverses.

623. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

Quand ils meurent sur le champ de bataille, loin des secours de la religion, ils communient, faute d’hostie, avec trois brins d’herbe mis en croix ; moyennant quoi ils vont tout droit en paradis, conduits par les anges qui sont descendus tout exprès du ciel pour chercher leurs âmes. […] Le contraste est d’autant plus fort que l’Église, ainsi déchue de sa royauté sur les esprits, n’a pas perdu l’appui du pouvoir séculier, et qu’elle voit les âmes lui échapper malgré les chaînes qu’elle essaie de leur forger avec l’aide de l’État. […] Le souci de la forme est rejeté comme indigne d’un chrétien ; tout est sacrifié à une préoccupation unique, celle du résultat moral à atteindre, de l’effet salutaire à produire sur les âmes. […] Malgré leur base commune, le calvinisme et le luthéranisme, pour n’en pas citer d’autres, se sont violemment combattus et leur action sur les âmes et sur la littérature n’a certainement pas été la même. […] Le théâtre et le roman ont singulièrement ébranlé le crédit de la morale ascétique, et les auteurs dramatiques, traités par Nicole d’empoisonneurs d’âme et maudits par Rousseau avec une égale âpreté, ont fait éclore en bien des cœurs les premiers germes de rébellion à l’égard des préceptes du catéchisme.

624. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IV, Eschyle. »

Le vin a une âme lorsqu’on croit qu’une force divine y fermente ; c’était cette âme que buvait Eschyle, et dont il enflammait son esprit. […] Il la transforma corps et âme, esprit et matière. […] Son âme si agile et si vive, sa Psyché ailée est sortie d’une chrysalide de rites et de règles aussi épaisse qu’une momie de Memphis. […] Voix des dieux ou voix du peuple, il sort d’une foule qui n’a qu’une bouche et qu’une âme. […] Les contradictions innombrables du polythéisme retentissent douloureusement dans son âme.

625. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

Peindre la France, les mœurs, les âmes, la physionomie nationale, la couleur des choses, la vie et l’humanité de 1789 à 1800, — telle a été notre ambition. […] L’âme de l’humanité se recueille. […] Quoi donc, une manifestation plus émue de la personnalité de l’âme pendant sa vie terrestre ? […] Ce papier taché d’encre, c’est le greffe où est déposée l’âme humaine. […] Elle redira le ton de l’esprit, l’accent de l’âme des hommes qui ne sont plus.

626. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

Ainsi mon âme, seule, et que rien n’influence ! ‌ […] Transparence de l’âme et du verre complice, Que nul désir n’atteint, qu’aucun émoi ne plisse ! […] Pour ces âmes d’exceptionnelle clarté, l’isolement farouche est la condition essentielle de toute grandeur individuelle, tandis que le monde croupit autour d’eux, au-dessous d’eux, dans l’ordre des promiscuités. […] Regardez s’avancer vers vous ce distingué spécialiste des titillements de l’âme. […] Panizza, d’observer un jeune garçon, pendant ses années de développement, et de suivre les agitations de son âme : on le trouvera beaucoup plus intéressant que le jeune homme qui sort des bras d’une cocotte.‌

627. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Ceux qui donnent à l’âme humaine une juste idée d’elle-même, lui valent autant que ceux qui l’endoctrinent. […] Voilà quel serait le grand-œuvre du moraliste : créer l’affection, et par l’affection une nouvelle âme. […] La tradition morale tient bon dans quelques âmes, notamment dans la magistrature. […] L’âme connaît mieux parce qu’elle sent mieux. […] C’est, une âme délicate et généreuse plus que tendre et sentimentale.

628. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

Son âme aurait usé des milliers de corps. […] Sans doute vous trouverez dans Werther quelques sujets de raillerie malicieuse qui prêtent à rire à la spirituelle malignité d’un esprit français, mais l’âme ne rit pas quand elle est touchée ; or Werther est un cri de la torture de l’âme. […] Il faut avoir dix âmes pour s’emparer ainsi de celle de tout un siècle. […] « Elle laisse jeter un coup d’œil sur le printemps d’une belle âme », dit Goethe. […] L’architecture n’était pas encore entrée dans le drame humain : il y a du véritable génie à créer un monument pour ces âmes, et ces âmes pour cette architecture.

629. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

Mais après la chute de leur théorie, un rôle assez beau resterait encore aux jeunes talents qui, désabusés d’une vaine tentative, abjurant le jargon et le système, se sentiraient la force d’entrer dans de meilleures voies, et de faire de la poésie avec leur âme. […] Hugo devait cette étonnante précocité et à la trempe de son âme et aux circonstances de ses plus tendres années. […] Oubliant que certaines images difformes, pour être tolérables en poésie, doivent y rester enveloppées du même vague dans lequel elles glissent sur notre âme, il s’est mis, de gaieté de cœur, et avec toutes les ressources du genre descriptif, à analyser les songes d’un cerveau malade ; et il a traîné la chauve-souris au grand jour pour mieux en détailler la laideur. […] Hugo parle en son nom dans ses poésies, qu’il ne cherche plus à déguiser ses accents, mais qu’il les tire du profond de son âme, il réussit bien autrement. Qu’on imagine à plaisir tout ce qu’il y a de plus pur dans l’amour, de plus chaste dans l’hymen, de plus sacré dans l’union des âmes sous l’œil de Dieu ; qu’on rêve, en un mot, la volupté ravie au ciel sur l’aile de la prière, et l’on n’aura rien imaginé que ne réalise et n’efface encore M. 

630. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre I. Les travaux contemporains »

On leur reproche d’être toujours disposés à altérer les faits, à les plier à leurs désirs ou à leurs craintes, de taire ceux-ci, d’exagérer ceux-là, afin que leur dogme favori, à savoir l’existence de l’âme, sorte triomphant de l’épreuve que lui font subir l’anatomie et la physiologie. Je n’examine pas si ces reproches sont fondés ; mais, en supposant qu’ils le fussent, on pourrait facilement renvoyer l’objection à ceux qui la font, car il leur arrive souvent à eux-mêmes, en vertu d’un préjugé contraire, de tomber dans l’erreur inverse : ils sont autant prévenus contre l’existence de l’âme que les autres en faveur de cette existence ; ils arrangent aussi les choses pour les accommoder leur hypothèse favorite, et si quelqu’un fait par hasard allusion à quelque être métaphysique distinct des organes, ils l’arrêtent aussitôt en lui disant que cela n’est pas scientifique. […] s’il y a une âme, rien n’est plus scientifique que de dire qu’il y en a une ; rien n’est moins scientifique que de dire qu’il n’y en a pas. […] Gratiolet, au contraire, non moins positif, non moins versé dans la connaissance des faits, ayant même apporté à la science des observations nouvelles, est le premier à signaler les lacunes de ces faits et les inconnues qu’ils laissent subsister, et n’hésite pas à l’aire la part de l’âme dans le problème de la pensée. […] Son livre sur le Sommeil, un autre sur l’Aliéné, un troisième sur l’Ame et le Corps, témoignent d’un esprit très sagace, très philosophique, qui, sans faux positivisme, est cependant très attentif à la recherche des faits, et qui en même temps, sans déclamation spiritualiste, est très ferme sur les principes.

631. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Topffer »

Mort jeune encore, et lorsque la réputation commençait à lui venir, c’est un de ces talents distingués qui plaisent à la moyenne des âmes comme s’ils étaient vulgaires. […] Il n’est ni assez profond, ni assez élevé, ni assez original, — cette cause d’isolement parmi les hommes, — pour dépayser cette moyenne des esprits et des âmes qui font les succès immédiats et travaillent à la gloire d’un homme comme les ouvriers des Gobelins à leur morceau de tapisserie, — sans voir ce qu’ils font. […] Il a ce don charmant, cette faculté ailée, aérienne, l’alouette de l’esprit, qui tournoie, babille, rit et s’envole, dans toute époque, à la portée de toutes les âmes, mais qui, dans la nôtre, vieille et ennuyée, est le besoin le plus vivement senti de tous les esprits. […] Mais ce qui va bien au paysage et à son peintre : la vapeur, les traits indistincts, les lointains fuyants, mal accusés, noyés, perdus, ne va plus au peintre de l’âme, au moraliste, à l’observateur de la nature humaine qui doit voir clair, tout discerner, tout accuser d’une ligne pure et inflexible. […] Mais nous l’avons dit déjà, c’est par cette infériorité très réelle et que la Critique doit indiquer, que Topffer plaira davantage à cette moyenne d’âmes pour lesquelles il a écrit, et qui ne comprendraient rien d’ailleurs au troisième dessous du génie.

632. (1893) Alfred de Musset

N’a-t-il pas été aussi chaste, aussi pur que ta belle âme ? […] Elle errait comme une âme en peine, les yeux cernés, le désespoir sur la figure. […] Était-ce sécheresse d’âme ? […] Ton âme t’inquiète, et tu crois qu’elle pleure : Ton âme est immortelle et tes pleurs vont tarir. […] (elle voulait dire que je fronçais le sourcil), pauvre chère âme !

633. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

Il a, sur ce point, l’« âme atroce » de Caton. […] Elle perd son âme par le sentiment qui d’ordinaire sauve le mieux les âmes et les élève le plus en dignité. […] — Tranquillise mon âme ! […] cette âme russe !  […] Elle semblait être là pour servir de lien entre l’âme russe et notre âme parisienne.

634. (1923) Nouvelles études et autres figures

Elle était l’âme même de leur enseignement. […] Mais d’aucune âme elle ne s’empara avec la même force que de l’âme de Shelley. […] Son âme était essentiellement bigame. […] et au génie aventureux qui cherche à travers le monde une âme pareille à son âme et qui meurt sans l’avoir trouvée. […] L’âme du Moyen Âge a passé dans la sienne.

635. (1884) La légende du Parnasse contemporain

J’étais une âme endurcie. […] Sais-tu de quoi l’âme est contente ? […]Âme de l’homme, écoute en frémissant comme elle L’âme immense du monde autour de toi frémir ! […] Ame crédule ! […] De n’avoir pas d’âme.

636. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Le journal de Casaubon » pp. 385-404

C’est toute une âme qui sort de l’obscurité et qui se révèle pleinement à nous après plus de deux siècles. […] il ne faut pas, celui-là, qu’il sorte de ton école, mon cher Sénèque, mais bien de l’école de Celui qui seul peut enseigner excellemment et changer les âmes de ses disciples, et les former selon qu’il le veut. […] Mais cette chère enfant, ainsi échappée au danger, — cette enfant, l’unique soin de sa mère et la joie de la maison, — meurt quelques mois après, et elle laisse dans l’âme du père une douleur qui s’épanche en plus d’une page. […] Dieu éternel, mets fin à cette tempête de mon âme ! […] (Il en dit ici plus long encore pour et contre l’antique Église et l’Église romaine, et il ajoute en gémissant 81  :) Ô Dieu qui lis dans les cœurs, tu vois les plaies de mon âme, sois mon médecin !

637. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IV. Précieuses et pédantes »

Mais, si la plupart des unités qu’on vante sont des diminutions et des apparences, certaines âmes ont une noble continuité immobile ou progressive. […] Je le hais, ce Mirbeau, qui me force à admirer la puissance de son esprit et à mépriser l’ignominie de son âme. […] Il fabrique — ne riez pas — des Aquarelles d’âmes. Ça croit avoir une âme, l’auteur des Chiens de faïence, et que son âme c’est de l’eau. […] Ses aquarelles d’âmes sont des eaux-fortes manquées et indéchiffrables ou d’énormes caricatures involontaires.

638. (1894) Textes critiques

Par deux points contingents et tangents de leur âme et seuls ils coïncident.‌ […] A coté de Hilde, le personnage épisodiquement nécessaire de Raïa Polsi, âme admirante de maître Solness, mais de Solness quel qu’il soit, sans le piédestal d’une haute tour, — en la grâce de Mlle Bady. […] C’est l’œuvre de Dieu qui reste statue, âme sans mouvements animaux, toile ou liège où l’artiste pique et collectionne le vol arrêté d’une des faces du phare tournant. […] L’animal, chrétiennement laid (il n’a pas notre âme), s’élève jusqu’à l’homme quand il l’accompagne emblématique. […] La lumière des pierreries du granit du château se fait brouillard, et le brouillard, léger comme l’âme de Vitalis, tissue de linge blanc lessivé par des sorcières, se résout en autre lumière.

639. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

La réponse sublime de ce magistrat français naît encore de la grandeur d’âme. […] Il tient à la grandeur d’âme et de cœur. […] Il se fait en peu de temps et une corruption générale dans toute son âme. […] Cet accord des sentiments de son âme avec ses discours redouble le plaisir qu’on a de les entendre : car rien n’est plus touchant que la sincérité d’une éloquence qui est la vive image d’une âme forte et pure. […] Il sut mesurer les hommes du point éminent où son âme s’était placée.

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