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643. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 440-443

On peut encore plus sûrement conclure qu’il n’avoit de talent décidé que pour la satire, en ce que ses Opéra sont même inférieurs à ses Tragédies. […] Cette derniere Traduction est posthume, & précédée d’un Discours préliminaire, dans lequel on ouvera des détails sur le mérite & le talent personnel de ce Littérateur, mort à Paris en 1776.

644. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Réponse à une lettre de M. Grimm » pp. 205-206

Cela, deux cents talents ? […] Il est plus fin, plus piquant, plus vrai, moins cru, plus naturel, plus fait que Loutherbourg, à qui toutefois on ne saurait refuser un grand talent.

645. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Restout le fils » pp. 284-285

Qui est-ce qui regarderait les Téniers, les Wouwermans, les Berghem, tous les tableaux de l’école flamande, la plupart de ces obscénités de l’école italienne, tous ces sujets empruntés de la fable qui ne montrent que des natures méprisables, que des mœurs corrompues, si le talent ne rachetait le dégoût de la chose ? […] Ce qui fâche, c’est que ces talents naissans qui ont décoré notre sallon cette année iront en s’éteignant ; ce sont de prétendus maîtres qui auraient grand besoin de retourner à l’école sous des maîtres sévères qui les châtiassent.

646. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

Dans les tentatives plus fortes qu’il a faites, comme André del Sarto et Lorenzaccio, M. de Musset a moins réussi que dans ces courtes et spirituelles esquisses, si brillantes, si vivement enlevées, dont les hasards et le décousu même conviennent de prime abord aux caprices et, en quelque sorte, aux brisures de son talent ; mais, jusque dans ces ouvrages de moindre réussite, on pouvait admirer la séve, bien des jets d’une superbe vigueur, de riches promesses, et dire enfin comme, dans son Lorenzaccio, Valori dit à Tebaldeo, le jeune peintre : « Sans compliment, cela est beau ; non pas du premier mérite, il est vrai : pourquoi flatterais-je un homme qui ne se flatte pas lui-même ? […] M. de Musset avait aussi le mérite de ne pas trop se flatter ; le ton sincèrement modeste de ses dernières préfaces contrastait d’une manière frappante avec la façon cavalière et presque arrogante de ses débuts, et cette modestie si rare, qui accueillait la critique, s’accordait bien avec le dégagement de moins en moins contestable de son talent. […] La troisième partie de la Confession, qui contient les amours naissantes et les premiers épanchements d’Octave et de Mme Pierson, est d’une fraîcheur d’adolescence, d’une grâce délicate et amoureuse, qui montre à nu toutes les ressources du jeune talent de M. de Musset, et combien il lui sied d’ensevelir une certaine expérience corrompue. […] Avant de laisser le brillant et nouveau témoignage de force et de talent donné par M. de Musset, aux limites et presque en dehors de la critique littéraire sur laquelle nous avons trop insisté peut-être, que l’auteur, que l’ami nous permette un vœu encore.

647. (1860) Ceci n’est pas un livre « Décentralisation et décentralisateurs » pp. 77-106

C’est à Paris que s’impriment tous les journaux qu’on lit ; c’est à Paris que s’éditent tous les livres qu’on achète ; c’est le train de Paris que prennent obstinément tous les talents robustes et hardis ; Paris est la ville sainte, où toute royauté intellectuelle a besoin de se faire sacrer pour être reconnue et acclamée ; rien de beau, rien de grand, qui ne se fasse et ne se défasse à Paris… Tout pour Paris et par Paris ! […] Combien de talents, dont ces coteries et ces cabales ont empêché l’épanouissement, — qui auraient eu, dans leur ville natale, de splendides floraisons ! […] Sur les cinq (la moyenne est indulgente), un a du talent, un vrai talent ; les quatre autres n’ont qu’une vocation littéraire fort discutable.

648. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « IX »

Ce que nous soutenons, ce que nous répétons dans notre dernier livre peut ainsi se résumer ; « Il est matériellement démontré que tous les grands écrivains ont travaillé ; il faut donc travailler comme tous les grands écrivains, car pourquoi serions-nous plus difficiles, et de quel droit nous croirions-nous plus de talent ?  […] Ce qu’on voudrait faire croire au public, c’est que nous avons dit qu’il suffisait de raturer pour avoir du talent. […] Le mot restera et suffit à la gloire d’un homme. »‌ Voilà comment Stendhal est notre bête noire33 ; voilà notre mépris et notre pitié, et c’est ce qu’on appelle « prendre quelqu’un par la peau du cou et le jeter par la fenêtre », Nous avons, au contraire, on le voit, loué précisément ce qui, de l’avis de tous, caractérise le talent et l’originalité de Stendhal. […] Nous n’arriverons pas évidemment à écrire comme Pascal ; mais nous arriverons à tirer de notre talent tout ce qu’il peut produire, comme Pascal a tiré du sien tout ce qu’il pouvait donner. » Cela ne fait pas le compte de M. de Gourmont.

649. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. de Lacretelle » pp. 341-357

La France monarchique et catholique à la vie dure vivait toujours, malgré tout ce qu’on avait fait pour la tuer… Les causes du succès du Génie du Christianisme, qui fut un triomphe et qu’on pouvait appeler : le 18 brumaire de la pensée, car ce jour-là Chateaubriand avait jeté les idées de la Révolution par la fenêtre, comme Bonaparte y avait jeté les représentants, — les causes de ce beau succès n’étaient pas toutes dans le talent, nouveau comme le Nouveau Monde, d’où il venait, et qui se révélait tout à coup avec tant d’éclat… Mais le succès de Lamartine, beaucoup plus personnel, venait, lui, uniquement de son genre de génie. […] Il n’en eut pas en politique, où ses bévues furent éblouissantes comme son talent. […] J’ai dit la pensée et les sentiments de ce livre : en voici maintenant le talent. C’est un talent qui voudrait bien être brillant, et qui fait tout ce qu’il peut pour cela.

650. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre I. La Restauration. »

. —  Les modes, les amusements, les conversations, les façons et les talents de salon. […] La prolongation de la comédie. —  Sheridan. —  Sa vie. —  Son talent. —  L’École de médisance. […] Tous ces sujets sont appropriés à la noblesse et aux limites de l’esprit classique, et déploient ses forces sans révéler ses faiblesses ; le poëte peut montrer tout son talent, sans rien forcer dans son talent. […] Quelque chose s’en répand sur leur talent et sur leur théâtre. […] Désormais la comédie décline, et le talent littéraire se porte ailleurs.

651. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « PARNY. » pp. 423-470

Le fils du marquis de Parny, brillant, aimable, nouveau venu de Versailles, dut être une bonne fortune pour la société de Saint-Paul ; sa condition lui ouvrait toutes les portes, ses talents lui ménagèrent des familiarités. […] il faut bien faire quelque chose de son talent, lorsqu’une fois on l’a développé ; il vous reste et vous sollicite, même après que la fraîcheur ou l’ardeur première du sentiment s’est dissipée ; car, tout poëte élégiaque l’a dû éprouver amèrement, ce n’est pas tant la vie qui est courte, c’est la jeunesse. […] Tout cela est d’un esprit peu étendu, trop peu élevé, d’un talent facile toujours et parfois encore gracieux. […] Tout en se tenant dans son coin (c’était son mot), il avait conscience de ce rang élevé, de ce rang premier, et en usait avec modestie, avec bienveillance pour les talents nouveaux, avec autorité toutefois. […] A considérer l’original de ce portrait, je songeais qu’il en est un peu pour nous du talent de Parny comme de ce profil, et qu’il a besoin d’être bien regardé pour qu’on en saisisse aujourd’hui le trait léger, le tour presque insensible.

652. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « V » pp. 19-21

L'auteur n’a manqué aucun des heureux motifs indiqués et les a développés avec un talent que tous, je crois, salueront. — Par malheur, la pièce sera mal jouée à l’Odéon. […] mais madame Dorval fait Lucrèce. « Je ne fais plus que les vertueuses, ma chère », disait-elle l’autre jour à une amie avec cette voix que vous savez. — Mais c’est moins la pièce en elle-même que l’avenir du talent qui compte désormais.

653. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lebrun, Pierre (1785-1873) »

Lebrun qu’un homme de lettres et un homme de talent s’essayant avec art, avec étude, avec élégance, à des productions estimables et de transition. Il est bien, en effet, un poète de transition et de l’époque intermédiaire, en ce sens qu’il unit en lui plus d’un ton de l’ancienne école et déjà de la nouvelle ; mais, ce que je prétends, c’est que ce n’est nullement par un procédé d’imitation ou par un goût de fusion qu’il nous offre de tels produits de son talent, car il est, il a été poète, sincèrement poète, de son cru et pour son propre compte ; il en porte la marque, le signe, au cœur et au front : il a la verve.

654. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 364-367

Les Poëtes tragiques de nos jours, qui ne manquent certainement pas de se préférer à M. de Morand, sont bien éloignés de posséder un semblable talent. La plupart, avec un esprit peu élevé, un cœur froid & stérile, une imagination pauvre & dénuée de vigueur, ont besoin d’entasser incident sur incident, d’avoir recours aux épisodes, de prodiguer les sentences, de multiplier les coups de Théatre, pour parvenir jusqu’au dernier acte ; encore finissent-ils le plus souvent par ennuyer le Spectateur, qui ne tolere le commencement, que dans l’espérance d’une fin plus heureuse, M. de Morand avoit assez de talent pour se dispenser de ces pitoyables ressources.

655. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

Aussi, un siècle juste après Massillon, un orateur que je n’irai point jusqu’à lui comparer pour le talent, mais qui a soutenu bien honorablement l’héritage de la parole sacrée, l’abbé Frayssinous, dans ses conférences ouvertes sous l’Empire et depuis, avait à discuter devant d’honnêtes gens, la plupart jeunes, non plus désireux de douter, mais plutôt désireux de croire, les points controversés de la doctrine et de la tradition historique, et il le faisait avec une mesure de science et de raison appropriée à cette situation nouvelle. […] Quant à Massillon, pour couper court à une question qui n’en saurait être une, et à une justification à laquelle il ne faut point descendre, il suffit avec lui de redire : « Un prêtre corrompu ne l’est jamais à demi », et de passer, sans plus tarder, aux admirables fruits qu’il ne cessa de tirer de son talent et de son cœur, aux chefs-d’œuvre de son second moment : ce sont là les réfutations victorieuses et souveraines. […] Ce n’est pas que le malin n’y reçût de temps en temps sa leçon au passage : dans ce même Petit Carême, Massillon, comme s’il eût présagé à l’avance l’auteur de La Pucelle, a dit : Ces beaux-esprits si vantés, et qui, par des talents heureux, ont rapproché leur siècle du goût et de la politesse des anciens ; dès que leur cœur s’est corrompu, ils n’ont laissé au monde que des ouvrages lascifs et pernicieux, où le poison, préparé par des mains habiles, infecte tous les jours les mœurs publiques, et où les siècles qui nous suivront viendront encore puiser la licence et la corruption du nôtre. […] Duclos et Saint-Simon ont donné là-dessus les seules raisons, et les meilleures, pour l’excuser de n’avoir pas dit non : Dubois, dit Saint-Simon, voulut (pour second assistant) Massillon, célèbre prêtre de l’Oratoire, que sa vertu, son savoir, ses grands talents pour la chaire, avaient fait évêque de Clermont… Massillon, au pied du mur, étourdi, sans ressources étrangères, sentit l’indignité de ce qui lui était proposé, balbutia, n’osa refuser. […] On y trouve des beautés, mais de plus en plus régulières et prévues dans leur expansion même ; c’est le talent habituel de Massillon, moins le mouvement et l’action qu’il imprimait à ces sortes de développements dans ses discours, comme, par exemple, lorsqu’il paraphrasait si puissamment le De profundis dans le sermon de Lazare.

656. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — I. » pp. 409-426

Les premiers temps du séjour de Léopold Robert en Italie et à Rome ne furent qu’une rapide ivresse ; puis vint le travail : il s’agissait de se diriger, de trouver et de suivre son genre de talent. […] Navez ces paroles tout empreintes d’affection amicale et d’esprit de famille : Il est vrai que tu as tout pour te trouver heureux d’être au monde : tu te trouves dans ta patrie, honoré et considéré pour ton talent brillant ; estimé, aimé par toutes les personnes qui te connaissent ; regardé par la Fortune de son œil le plus favorable ; heureux époux, heureux père. […] Voilà en quoi il y a une grande différence dans les talents, et j’ajouterai encore que l’on se fait une exécution suivant son sentiment. […] Il revenait souvent sur cet exemple d’Ingres, que j’aime moi-même à prendre comme étant l’un des termes de comparaison les plus sensibles, les plus propres à donner la mesure de Léopold Robert ; car celui-ci, plein de déférence et sentant ses côtés inférieurs, ajoutait : Je ne suis pas étonné du tout qu’une comparaison de nos talents l’ait blessé. […] Mais, cher ami, ne soyez pas étonné, je vous prie, de ce que je vous dis ; il me semble que des idées élevées, tout en mettant dans l’âme de grands principes de bonheur, donnent aussi au talent quelque chose d’original et le sortent de l’ornière que l’on suit trop généralement.

657. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — I » pp. 57-75

Ronsard, qui n’avait pas le génie et qui n’était qu’un homme de talent poussé d’érudition, prit la poésie française au point où elle était, et vit, avant tout, un progrès à faire, une victoire à remporter sur Marot et sur Mellin de Saint-Gelais. […] Ronsard a le souffle généreux et une certaine force inhérente à son talent : c’en est un trait distinctif ; mais cette force insuffisante, et qui le trahit dans les grands sujets, réussit mieux et le sert quand il se rabat aux moindres. […] Dès ce moment la réputation de Ronsard, aidée de ce concours des doctes et de quelques hautes protections en cour, triompha de toute résistance ; Mellin de Saint-Gelais avait rendu les armes, et dans les années suivantes Ronsard, goûté des princes et adopté de la jeunesse, n’eut plus qu’à développer et à varier les applications de son talent. […] Dans cette seconde période de sa carrière et de son talent, on voit Ronsard devenu un poète assez facile, et plutôt trop facile ; il manie avec une grande aisance le vers alexandrin et y dit ce qu’il veut, mais avec quelque prolixité et longueur. […] Et cependant il s’exerce en bien des genres qu’on pourrait dire noblement tempérés, dans l’épître, le poème moral, et il y a fait preuve de sens et de talent : ainsi dans une des pièces qui lui attirèrent le plus d’inimitiés, dans son Discours des misères de ce temps, adressé à la reine Catherine de Médicis à l’occasion des troubles et des premiers massacres de religion dont le signal fut donné en 1560, il disait, après avoir dépeint l’espèce de fureur soudaine qui s’était emparée des esprits : Mais vous, reine très sage, en voyant ce discord Pouvez, en commandant, les mettre tous d’accord Imitant le pasteur qui voyant les armées De ses mouches à miel, fièrement animées Pour soutenir leurs rois, au combat se ruer.

658. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Je n’en pensais pas plus que je n’en ai dit alors sur les défauts mêlés aux mérites, et, ces réserves faites, ces correctifs apportés, et, si l’on veut, ces malices rendues, je restais dans ma mesure d’admiration et de respect pour le caractère de l’homme et pour le talent du poëte. […] Les éloges de Chateaubriand, qui sont ce qui l’a le plus flatté au monde, le touchent, mais ne l’enivrent pas ; il se connaît : « J’ai pris ma mesure il y a longtemps, dit-il ; j’ai au moins le mérite d’avoir utilisé mon petit talent, et c’est bien quelque chose. » Le voilà dans son orgueil littéraire, mais rien de plus. […] Un certain oncle Bouvet, personnage un peu solennel, le lui prédisait dès 1804, en lui rappelant l’exemple des hommes de talent qui s’étaient formés d’eux-mêmes : « La mesure de votre gloire sera celle des difficultés que vous aurez vaincues ; j’aime à me le persuader et vous attends impatiemment au but. » Un second point qui me frappe dans ce commencement de la Correspondance et qui a été contesté cependant, c’est la gaîté, une gaîté entremêlée de réflexion, de travail, de méditation même ; mais je maintiens la gaîté. […] L’homme de lettres, s’il avait été un moment primé par l’homme de passion et de combat, se réveilla alors en lui avec toutes ses inquiétudes, et il essaya de donner un dernier témoignage de soi, de ses idées et de son talent dans une production suprême ; il y réussit en 1833 par quelques pièces fort belles du Recueil qu’il publia, et qui, moins populaire que les précédents, eut un succès poétique et littéraire. […] Il est vrai que j’avais un talent qui vous manque, j’en suis bien sûr : je savais faire des reprises, rattacher des boutons.

659. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

Il faut tout dire, et je ne suis pas de ceux qui ne savent donner que des éloges sans ombre : à l’École et parmi ses condisciples, il était plus admiré pour ses talents et son esprit que goûté pour son caractère ; l’homme aimable, que le monde développa depuis, n’était pas fait encore. […] Ce rimeur gascon, criblé d’épigrammes et de ridicules à son début, a-t-il jamais joui de cette réputation légitime de talent et d’esprit que le critique lui accorde de son autorité privée ? […] Rigault moraliste nous appelle ; ç’a été un des aspects de son talent critique, et par où il prétendit à une sorte d’originalité. […] Ceux même qui, tout en lui accordant beaucoup, mesuraient leur suffrage, ne furent pas des derniers à sentir quelle perte c’était pour la littérature que celle de ce talent jeune, déjà maître en bien des parties, et qui, sur le reste, était en travail, en effort constant et en progrès. […] Sans originalité native, sans besoin d’invention pour son compte ni chez autrui, plus jaloux de maintenir le goût que de découvrir les talents nouveaux, et enclin même à railler outre mesure les essais qui ne rentraient pas dans les formes connues, il était habile et ferme sur la défensive, prompt à châtier quiconque chassait sans permission sur les terres du domaine classique.

660. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis du Belloy (suite et fin.) »

Tout le temps qu’en exil vivra mon Clinias, Je veux tirer de moi quelque bonne vengeance, Amasser, travailler sans la moindre dépense, Épargner pour lui seul. » Aussitôt fait que dit : Je jette tout dehors, jusqu’à mon dernier lit ; Je ressemble en un tas meubles, outils, vaisselle ; Servantes et valets, je vends tout pêle-mêle, Y compris la maison, sauf, toutefois, les gens Dont le travail pouvait m’indemniser aux champs ; Et, des quinze talents que j’en obtins à peine, Pour bien m’y tourmenter, j’achète ce domaine, Pensant que, plus j’endure et vis en me privant, Moins j’aggrave mes torts envers mon pauvre enfant. […] Oui, mais c’est le talent aussi et l’art du poète d’amener si justement les mots pour le sens à la fois et pour la mesure. […] J’ai essayé de donner un aperçu de ce talent aimable et vif, de ce comique sincère et touchant que chacun aime à se représenter sous le nom de Térence ; j’achèverai de le définir en quelques traits assemblés sans beaucoup d’ordre, mais qui se rejoindront d’eux-mêmes. Térence a le talent voisin de l’âme ; il donne, plus qu’aucun écrivain, raison à ce mot de Vauvenargues, « qu’il faut avoir de l’âme pour avoir du goût. » Si Virgile, venu plus tôt, avait fait des comédies, il les aurait faites comme Térence. […] Térence est le contraire de bien des choses, il l’est surtout de la dureté, de l’inhumanité, de la brutalité, — de ce qu’on court risque, à mesure qu’on avance dans les littératures, d’ériger insensiblement en beauté et de prendre pour la marque première du talent.

661. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

De nouveaux noms de poètes se lèvent et scintillent sur bien des points, un peu confusément et au hasard, sans prééminence d’aucun ; il serait prématuré et téméraire d’entreprendre de les classer ; mais, en première ligne désormais, le dernier et le plus jeune d’entre les anciens, se détache et brille un rare talent, une muse charmante, capricieuse, colorée de tous les tons, philosophique aussi à sa manière, et qui n’a pas encore reçu les couronnes qui lui sont dues : tous ceux qui aiment l’art et qui apprécient le style ont nommé Théophile Gautier. […] Né en 1785, il débuta sous l’Empire en 1805 et en reçut la pleine influence ; il fut, par l’inspiration et le timbre du talent, le plus jeune poète de l’Empire, et, pour ainsi dire, éclos le même jour que lui, dans sa première grande victoire. […] Lebrun qu’un homme de lettres et un homme de talent s’essayant avec art, avec étude, avec élégance, à des productions estimables et de transition. […] Lebrun, tout cela est sensible à la simple lecture ; mais ce que je prétends, c’est que ce n’est nullement par un procédé d’imitation ou par un goût de fusion qu’il nous offre de tels produits de son talent, car il est, il a été poète, sincèrement poète, de son cru et pour son propre compte ; il en porte la marque, le signe au cœur et au front : il a la verve. […] D’intervalle en intervalle, d’espace en espace, à je ne sais quel signal qui éclate dans l’air, de grands talents nouveaux prennent l’essor et se posent du premier coup sur des collines plus avancées d’où l’on découvre d’autres horizons : un nouvel ordre de perspectives s’est révélé, une nouvelle ère commence.

662. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — I. » pp. 201-219

Il y montra son talent d’invention par un échappement dont il était l’auteur et que le sieur Lepaute lui contesta. […] C’est chez lui, c’est dans son quatrième Mémoire contre Goëzman (février 1774), qu’il faut relire cet incomparable récit où le talent vient tout mouvoir et tout animer. […] Beaumarchais, même sans avoir réussi, laissa à tous ceux qu’il avait vus en Espagne une favorable idée de sa capacité et de ses talents. […] Celui-ci même ne l’avoue point pour élève et pour fils, et Collé, qui se connaît en gaieté, ne devine nullement en lui un confrère et un maître : « M. de Beaumarchais (nous dit Collé) a prouvé, à ne point en douterb, par son drame qu’il n’a ni génie, ni talent, ni esprit. » Cette phrase de Collé, il la corrige dans une note pleine d’admiration et de repentir écrite après Le Barbier de Séville. […] Le courage de se rompre ainsi, m’a toujours paru un des plus nobles efforts dont un homme de sens pût se glorifier à ses yeux. » Un fait singulier et des plus minces fut l’ouverture qu’il saisit pour rentrer dans ses avantages et reconquérir, à force d’adresse et de talent, tout ce qu’il avait perdu.

663. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Étienne, ou une émeute littéraire sous l’Empire. » pp. 474-493

Il n’était pas du temps des Patriarches, mais bien de son temps, et il offre un type exact et distingué de l’homme de lettres et de l’homme de talent à la date précise où il vint. […] Simple teneur de livres d’abord chez un marchand de bois de la Rapée, il demanda des ressources à son talent ; il écrivit dans les journaux ; il fit des pièces pour les divers théâtres, quelquefois seul, le plus souvent en collaboration de quelques jeunes auteurs qui débutaient comme lui. […] Ces caractères, qui étaient bien dans la coupe du jour et qui sont soutenus jusqu’au bout ; le ressort de la crainte de l’opinion opposé à celui de l’avarice pure ; d’heureuses descriptions, jetées en passant, des dîners du grand ton : Ceux qui dînent chez moi ne sont pas mes amis ; une peinture légère des faillites à la mode, qui ne ruinent que les créanciers, et après lesquelles le banquier, s’élançant dans un brillant équipage, dit nonchalamment : Je vais m’ensevelir au château de ma femme ; l’intervention bien ménagée de deux femmes, l’une, fille du vieillard, et l’autre, sa petite-fille ; l’habile arrangement et le balancement des scènes ; d’excellents vers comiques, semés sur un fond de dialogue clair, facile et toujours coulant, voilà des mérites qui justifient pleinement le succès et qui mettent hors de doute le talent propre de l’auteur. Maintenant, ce talent était-il de nature à récidiver et à faire preuve d’invention véritable, autant que d’adresse, de facilité élégante, de combinaison et d’habileté ? […] Ou plutôt chacun aujourd’hui peut faire la réponse à la question que je pose ainsi : La comédie des Deux Gendres était-elle une fin, le dernier mot d’un talent arrivé à son plus haut terme, ou n’était-ce qu’un point de départ et un premier pas dans la grande carrière ?

664. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Les Faux Démétrius. Épisode de l’histoire de Russie, par M. Mérimée » pp. 371-388

Arrivé aujourd’hui à la pleine maturité de la vie, maître en bien des points, sachant à fond et de près les langues, les monuments, l’esprit des races, la société à tous ses degrés et l’homme, il n’a plus, ce me semble, qu’un progrès à faire pour être tout entier lui-même et pour faire jouir le public des derniers fruits consommés de son talent. Ce talent, à l’origine, et dans les directions diverses où il s’est si heureusement porté, a été en inaction contre le faux goût établi, contre le convenu en tout genre, contre la phrase, contre l’idée vague et abstraite, contre les séductions pittoresques ou déclamatoires. En un mot, ce talent, à tous les premiers pas qu’il a faits dans son retour à la réalité et à la nature, s’est méfié et a dû appuyer. […] Dans un temps comme le nôtre, où il y a tant de talents épars, et si peu d’œuvres achevées, M.  […] Alfred de Musset, je me suis demandé en quoi ces deux talents si distingués de M. 

665. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Mignet de cette inaltérable et indissoluble amitié qui les honore tous les deux, d’une de ces amitiés que si peu d’hommes de talent savent continuer inviolable entre eux après la jeunesse. […] Dans cette ville du Midi, toute fervente encore des passions de 1815, le jeune avocat libéral était fort protégé et encouragé par un magistrat de vieille roche, M. d’Arlatan de Lauris, qui goûtait son esprit et présageait ses talents. […] Cette espiéglerie, venant couronner le vrai talent, eût achevé d’établir à Aix la réputation du jeune avocat, si M. […] Thiers en histoire, la manière dont il devint historien, et en quoi il diffère essentiellement des autres grands talents contemporains qui se sont illustrés dans ce genre. […] Il a aussi peint, avec un rare talent, les passions nouvelles que le système avait soulevées…. » Ainsi jugeait M.

666. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

Les raisons, si on les cherchait en dehors du talent même, seraient longues à donner, et elles sont de telle nature qu’il faudrait toute une confession nouvelle pour les faire comprendre. […] de Mareste, connu, recherché, chéri d’à peu près tous les hommes éminents de ce temps, trop spirituel pour être fanatique (les fanatismes sont des manies), mais très fanatique des talents qui sont les supériorités de la nature. […] Lisez encore, et réfléchissez à la profondeur naïve de ce talent : À M.  […] Il y avait le même talent, l’immense talent, mais un talent faisait tort à l’autre, excepté quelques pages divines, telles que celles-ci : la mort de Théram : « Vers le matin pourtant, les autres personnes étant absentes toujours, et même la domestique depuis quelques instants sortie, tandis que je lisais avec feu et que les plus courts versets du rituel se multipliaient sous ma lèvre en mille exhortations gémissantes, tout d’un coup les cierges pâlirent, les lettres se dérobèrent à mes yeux, la lueur du matin entra, un son lointain de cloche se fit entendre, et le chant d’un oiseau, dont le bec frappa la vitre, s’élança comme par un signal familier. […] Vous avez, plus heureux que moi, refusé de mêler les eaux pures de votre talent avec les eaux troubles et tumultueuses de votre temps ; et plût à Dieu que j’en eusse fait autant à l’âge de ma sève politique !

667. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1867 » pp. 99-182

Cela ne nous ôte rien de notre confiance et de notre conscience dans l’avenir ; mais cela nous est amer de sentir que, pendant toute notre vie, rien ou presque rien ne nous sera payé pour tout ce que nous avons apporté de neuf, d’humain, d’artiste ; tandis qu’à côté de nous, le tintamarre des moindres petits talents fait tant de bruit, et que ces petits talents touchent un si retentissant viager. […] Dumas a un grand talent. […] Quand on regarde ce pays, sa surface vous paraît trop heureuse et trop égayée, pour produire un talent tourmenté et nerveux : le talent moderne. Il ne peut pousser ici, qu’un blagueur comme Méry ou un talent clair et plat comme Thiers2. […] Saint-Victor vante le talent du banal sculpteur de cela, de Carrier-Belleuse, ce pacotilleur du xixe  siècle, ce copieur de Clodion.

668. (1875) Premiers lundis. Tome III « Armand Carrel. Son duel avec Laborie »

Pour ceux qui connaissent son caractère de droiture, d’énergie et de franchise, ou qui ont apprécié la haute portée de son talent, c’était un besoin de manifester les sentiments d’estime et d’affection qu’ils lui portent : ceux qui partagent ses principes politiques ont dû lui savoir gré de cette généreuse ardeur toujours prompte à relever les provocations ou à venger les injures qui s’adressent à la cause de Juillet ; les hommes de cœur, enfin, qui, sans être attirés vers lui par une communauté d’opinion aussi étroite, ont pris en dégoût les honteuses palinodies qui font le scandale de notre temps, n’ont pu refuser quelque marque de sympathie à un écrivain dont la foi politique, éclairée et persévérante, va jusqu’au sacrifice de la vie. […] Le talent, si élevé qu’il soit, n’a point le don de remuer ainsi toute une grande capitale ; et dans tous les signes d’intérêt et d’approbation qui se manifestent, il faut reconnaître un devoir public courageusement rempli.

669. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vigny, Alfred de (1797-1863) »

Hugo Il nous semble incontestable que le talent de M. de Vigny a singulièrement grandi depuis l’apparition d’Héléna. […] Il y a de l’éther bleu vague et sans fond dans son talent. […] Gustave Planche Stello marque dans son talent une phase inattendue.

670. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Napoléon »

nous excusons facilement bien des genres d’illusion dans un homme, et l’illusion de la jeunesse, et l’illusion de l’admiration pour l’être supérieur qui fascine jusqu’au point de faire croire qu’on est digne d’en écrire la vie, et l’illusion même du plus mince talent, dont les premières révélations portent dans l’âme un trouble qui ne manque pas de grâce quoique demain cela doive être de la vanité ; mais à laquelle de ces illusions innocentes devons-nous l’histoire d’Émile Bégin ? […] En effet, qu’a-t-il mis d’âme, de talent, de style, de son moi enfin, dans cette grande histoire, accablante pour la médiocrité ? […] Il s’agit enfin de s’opposer une fois pour toutes à cette irruption d’écrivains qui, sans la vocation du talent et le droit de l’intelligence, touchent à un sujet historique réservé à la main des Maîtres.

671. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

Eh bien, le talent de Diderot mérite-t-il cette illustration des « œuvres complètes », qui est comme la statue en pied des grands écrivains ? […] Eh bien, c’est son talent qui a le plus souffert de la bassesse de sa haine ! […] Mais Diderot était, lui, un talent essentiellement extérieur. […] Tout grand artiste, en effet, — et Voltaire, malgré l’infériorité qu’il dut aux passions de son siècle et l’abus qu’il a fait de ses talents, a du grand artiste, — tout grand artiste a quelque chose d’élégant, de patricien, d’aristocratique, que n’a jamais Diderot, même les jours où il a le plus de talent. […] S’il n’était pas né un homme de génie ni même de talent dramatique, il était né comédien et gesticulateur.

672. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

Son talent est au-dessus de ces choses-là. […] Un fait assez particulier et que je crois inobservé dans le talent de M.  […] Du reste, ces harmonieux poèmes de pierre allaient très-bien au talent sérieux et idéaliste de M.  […] Il est aussi difficile de faire comprendre avec des mots le talent de M.  […] C’est un talent froid et académique.

673. (1886) Le naturalisme

Seul le talent de l’auteur est extraordinaire. […] Son talent est de caractère féminin, non par la faiblesse, mais par la grâce et par l’attraction. […] Je me scandalise plus encore de ce que l’on ait connu alors le talent de Daudet par cette ingratitude et cette bassesse, et non avant, par la resplendeur de la beauté du talent. […] C’est une chose que le génie et le talent ; une autre que les licences, les écarts, les erreurs d’une école. […] Le talent de Fernandez y Gonzalez semblait un arbre touffu, dont le bois pouvait servir à des œuvres sculpturales.

674. (1891) Lettres de Marie Bashkirtseff

Bastien-Lepage, un artiste que je vénère et dont j’aime le talent. […] Z., c’est très beau, c’est de belles lignes, de la chair, de grands talents ! […] Ils font ce qu’ils voient avec sincérité, sans malice, avec plus ou moins de talent. […] En plus, je suis au moment d’avoir un talent européen. […] Sans doute, si vous comparez mon talent de peintre à mon talent de pamphlétaire et de polémiste !

675. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Franc-Nohain (1873-1934) »

Il y a là, en tout cas, un don de déformation logique des choses qui est du talent, et du talent amusant.

676. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 157-161

Ennemi des Protestans, il écrivit contre eux avec cette vigueur & cette vivacité qui caractérisent autant le talent de la dispute, que le zele de la vérité. […] Il s’efforce de justifier les emportemens de son style par l’autorité de l’Ecriture & des Saints Peres : mais on peut dire avec justice que cette Dissertation ne prouve autre chose, sinon qu’il est des esprits, pour ainsi dire, ambidextres, prêts au pour & au contre, & qui ont le talent d’en imposer un moment, par cette métamorphose que Juvénal leur reproche, Qui nigra in candida vertunt.

677. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 127-131

Descartes possédoit, dans un degré supérieur, l’art du raisonnement & celui d’en trouver les principes, le talent d’analyser les idées, d’en créer de nouvelles & de les multiplier par une méditation profonde ; talent unique & sublime qu’on ne peut devoir qu’à la Nature, que le travail & l’étude peuvent aider quelquefois, mais qu’ils ne sauroient donner ni suppléer.

678. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 100-104

Ce n'est pas qu'il ne soit né avec du talent : il est peu d'exemples d'une versification aussi énergique & aussi vigoureuse que la sienne ; mais sa verve ayant presque toujours choisi le vice pour sujet, son esprit doit en tirer peu de vanité : au contraire, son nom est devenu un opprobre aux yeux de quiconque conserve encore de la pudeur. […] Piqué du jugement que nous avons porté de ses Productions, & irrité de ce que nous n'avons pas craint de nous élever contre l'abus déplorable qu'il a fait de ses talens, ce Poëte ne nous a point oubliés dans cette Satire ; mais ce qu'il dit de nous, annonce moins de talent que de haine & de fureur : aussi croyons-nous ne pouvoir mieux nous venger des sarcasmes qu'il nous prodigue, qu'en les mettant sous les yeux de nos Lecteurs.

679. (1863) Histoire de la vie et des ouvrages de Molière pp. -252

Son talent comme acteur et comme orateur. […] De Brie était un acteur auquel son talent, s’il en eut, n’a pas acquis de renom. […] Son talent a été proclamé par plusieurs des chroniqueurs contemporains et n’a été contesté par aucun. […] Elle joignait encore au talent de la déclamation et du jeu de théâtre celui de la danse. […] Il eut le talent de ne mettre que de l’esprit là où tout autre n’eût mis que de l’amour-propre.

680. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VI. Utilité possible de la conversation »

Jadis c’était le plus grand plaisir de la société et l’occupation favorite de tout ce qu’il y avait d’éminent par la naissance, les emplois ou les talents. […] Les hommes pour la plupart, sauf les pédants et les fats, y résistent : quelquefois c’est modestie, pudeur, timidité ; souvent il y a désaccord entre les prétentions et les talents, et ce qu’on fait excellemment n’est pas ce dont on se pique et qu’on étale.

681. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Parodi, D.-Alexandre (1842-1902) »

Francisque Sarcey Il y a beaucoup de talent, mais beaucoup de talent dans cette œuvre nouvelle (Ulm le Parricide) d’un jeune homme inconnu.

682. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Préface »

Il ne s’agit que de frapper juste toute pierre, si roulée et même si salie qu’elle soit dans les ornières de la vie, pour en faire jaillir le feu sacré ; seulement, pour frapper ce coup juste, il faut la suprême adresse de l’instinct qui est le génie, ou l’adresse de seconde main de l’expérience, qui est du talent plus ou moins cultivé. […] Ils ont confisqué à leur profit une appellation qui convient à tout homme doué, quel que soit son genre de talent et de langage, de la puissance d’exalter la vie et d’élargir les battements du cœur.

683. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Charles Magnin ou un érudit écrivain. »

Son talent est un talent de demi-jour. […] Scribe a depuis lors réussi sur la scène française par de jolies comédies qu’il a eu bien raison de ne pas se refuser ; il se devait tôt ou tard à lui-même et à son talent de hasarder cette bataille et de la livrer ; c’est assez pour son honneur qu’il ne l’ait point du tout perdue et qu’il ait maintenu sa bannière. […] Je dis illusion à dessein, car toute cette science n’était en effet qu’une appropriation heureuse et instantanée de l’écrivain : c’était du talent de metteur en œuvre, de rédacteur ingénieux et élégant. […] Magnin, pas plus que Fauriel (et, s’il se peut, encore moins que lui), n’était né pour la chaire et l’enseignement oral ; il n’avait rien de ce qui fait l’orateur ni même le professeur, tel que des talents élevés et brillants nous ont appris de nos jours à le considérer. […] Une nature d’esprit et, de talent n’est entièrement définie, selon moi, que quand on a pu nommer son contraire.

684. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Les vraies beautés ne sont pas ainsi, les vrais talents encore moins : ils se renouvellent, s’augmentent longtemps, se soutiennent et varient avec les âges. […] Si les années en se déployant ne nuisent pas au cours d’inspiration du vrai poëte lyrique, les événements, les révolutions qui déconcertent et ruinent les talents de courte haleine, le servent aussi. Il a été utile à M. de Lamartine, comme au petit nombre de talents éminents qui s’étaient liés à la cause de la Restauration, que-celle-ci tombât. […] La révolution de Juillet a été une de ces occasions d’agrandissement légitime que n’ont pas laissé passer deux ou trois génies ou talents éminents ; eux, du moins, ils ont secoué à leur manière leurs traités de 1815, et ils ont bien fait. […] Le noble et cher talent, qui nous pardonnera cette remarque sincère, saura bien vite forcer de nouveau les habituels hommages. — Ainsi nous nous exprimions à la veille des Recueillements poétiques, qui ne répondirent pas à notre vœu, et qui amenèrent l’article suivant.)

685. (1913) La Fontaine « VI. Ses petits poèmes  son théâtre. »

  Pour ce qui est du Quinquina, il faut bien que je vous en parle puisqu’il nous présente le talent de La Fontaine occupé à un singulier objet, et puisque, du reste, il y a, dans le Quinquina, des vers très remarquables. […] Il n’y a rien à dire de ces deux actes d’Achille, si ce n’est qu’ils pourraient être écrits par n’importe qui, pourvu que ce n’importe qui eût un peu le talent de tout le monde. […] La Fontaine n’a composé à peu près que les deux tiers de l’Achille, puisqu’il n’en a écrit que deux actes ; il n’en a fait qu’une ébauche ; mais il faut croire qu’on lui trouvait le talent dramatique, même comme auteur de tragédie, puisqu’on lui a attribué, et puisqu’on a imprimé sous son nom, en Hollande, une tragédie intitulée Pénélope, et qui était de l’abbé Genest. […] Il a écrit une Astrée très ordinaire quoique assez bien conduite  ce n’est qu’un épisode de l’Astrée, le principal, à la vérité, les amours d’Astrée et de Céladon  mais sans talent supérieur ; c’est simplement acceptable. […] Il n’avait pas le vrai talent dramatique, il n’avait pas surtout le talent dramatique que l’on exigeait à cette époque.

686. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

Il travaille à un poëme épique sur Henri IV, où il fait entrer toute l’histoire de la Ligue ; on en parle comme d’une merveille. » Ce n’est pas mal commencer, pour un vieil avocat classique, à l’égard d’un talent nouveau : il n’a pas de parti pris. […] Sénèques et Lucains du temps, apprenez à écrire et à penser dans ce poëme merveilleux qui fait la gloire de notre nation et votre honte. » Mais il se refuse bientôt à suivre le poète dans cette universalité de talents et d’emplois qu’il affecte ; « Il veut être à la fois poète épique, tragique, comique, satirique et, par-dessus cela, historien, et c’est trop. » Marais a cette idée mesquine et fausse, que j’ai vue à bien des esprits, d’ailleurs sensés et fins, en présence des poètes : «  Il va, dit-il, épuiser son génie, et bientôt il n’y aura plus rien dans son sac » ; comme si le génie ou le talent naissant était un sac, et comme s’il n’était pas bien plutôt une source féconde qui s’entretient et qui se renouvelle sans cesse en se versant. […] Le dernier mot de Marais sur Voltaire, le sentiment qu’il partage avec le président Bouhier et qui était, à cette date, l’opinion presque universelle, c’est que « le talent de l’homme est merveilleux, mais que le jugement n’y répond point. » La faculté judicieuse et la raison de Voltaire ne commencèrent à se dégager et à se dessiner nettement à tous les yeux que dans la seconde moitié de sa carrière et depuis sa retraite à Ferney ou aux Délices. […] À toutes les attaques, en partie justes et fondées, dirigées contre votre tour d’esprit et votre manière, écrivains de tous les temps, à quelque genre que vous apparteniez, vous n’avez qu’une réponse à faire : renouvelez de mérite, fortifiez-vous dans la partie déjà forte de votre talent. […] Ce talent admirable d’orateur moraliste et tendre, cette âme charmante, virgilienne et racinienne, ce panégyriste de la Madeleine repentie, après une première saison d’austérité et de ferveur, s’était apaisé comme il est naturel, s’était même attiédi du côté de la foi et était arrivé, sur la fin, à plus de sagesse humaine peut-être que divine.

687. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

J’en donnerai ici quelques extraits par lesquels je m’attacherai surtout à faire connaître le genre et le tour d’esprit, la forme de talent, de l’un des hommes les plus distingués de ce temps-ci. […] Il embrassait plus comme écrivain ; il avait plus que Royer-Collard le talent d’écrire, cette faculté que M.  […] Vous vous êtes éprouvé comme penseur et comme écrivain, vous vous ignorez comme orateur, et il faut à l’orateur bien autre chose que du talent. […] Tocqueville appartenait sans doute à la Providence, mais il y appartenait dans le même sens que tout le monde y appartient, et, quelque exception que méritât son talent, ces signes providentiels auxquels on en appelait sont une exagération qui saute d’elle-même aux yeux. […] Villemain, qui a tout son talent en écrivant et tout son esprit en causant, a l’habitude de comparer ces tableaux de Tocqueville où il est tant question des mœurs et jamais des personnes, jamais des individus, où tout portrait est absent, à ces tableaux que les musulmans se permettent, dit-on, par un certain compromis avec la défense de leur loi : on y voit des choses représentées, des mousquets qui partent, des canons qui tirent, tout l’appareil d’un combat, et pas une figure.

688. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

Ce nous est une occasion, trop retardée, de tâcher auparavant de saisir en général le caractère du talent de M. […] Latréaumont, à titre de roman, a de l’intérêt et de l’action : le talent dramatique de M. […] Sue, gens de talent toutefois ; nous eussions mieux aimé nous taire sur leur compte, que de nous jouer à leur irritabilité. […] Sue au contraire a toujours, avec une convenance parfaite, essuyé la critique sans la braver ; il n’y a jamais en aucune préface riposté avec aigreur ; homme du monde et sachant ce que valent les choses, il a obéi à son talent inventif d’écrivain et de conteur sans faire le grand homme à tout propos. […] La manière dont ils furent pris indiqua à l’auteur une voie nouvelle, et la facilité d’une partie du public ouvrit à son talent des jours dont il profita.

689. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

Renan que l’honorable M. de Ségur d’Aguesseau prétend faire allusion, je proteste contre une accusation portée contre un homme de conviction et de talent dont j’ai l’honneur d’être l’ami. […] Elle mérite en effet cette ample radiation par l’éclat et l’étendue de son talent. […] Vous ne l’avez pas lu ; c’est un livre de morale chagrine et excessive ; lui, c’est un Juvénal ; je ne parle pas du talent, mais je réponds au moins de la sévérité et de l’âpreté. […] Nul plus que moi ne respecte cette nuance d’opinion, dont j’ai connu autrefois, et dont même j’ai eu pour amis de jeunes et bien distingués représentants, alors dans toute la fleur du talent et de l’éloquence52. […] Mais vous avez vengé devant le Sénat la liberté de pensée avec trop de courage, ai-je besoin d’ajouter avec trop de talent, pour que ce ne soit pas un devoir à tout esprit libéral de vous en témoigner sa reconnaissance.

690. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

Comme il avait toujours vécu sous l’autorité de son père, son nom ne se montre que rarement dans les pages de l’histoire : mais les mémoires littéraires attestent que, par ses talents naturels et par ses connaissances acquises, il ne dérogeait pas à cette ardeur pour les études, à cet attachement pour les hommes d’un savoir éminent qui avaient été l’apanage constant de sa famille. […] Ces inquiétudes étaient justifiées, à quelques égards, par les infirmités qui affligèrent Pierre pendant le petit nombre d’années qu’il fut à la tête du gouvernement de la république ; mais les talents de Laurent dissipèrent bientôt ces nuages d’un moment, et élevèrent sa famille à un degré d’illustration et d’éclat dont il est probable que Côme lui-même avait eu peine à se former l’idée. » VIII Bien qu’il fût âgé de soixante et quinze ans, sa taille élevée, la majesté de ses traits, la grâce de son visage, si conforme au titre de Père de la patrie que les Florentins avaient d’eux-mêmes ajouté à son nom, la bienveillance de son accueil, la cordialité de son amitié le rendaient aussi agréable que dans sa belle jeunesse. […] Il recommanda à Pierre la plus sévère attention sur l’éducation de ses fils, dont les talents prématurés et les heureuses dispositions méritaient ses éloges, et lui faisaient concevoir les plus favorables espérances. […] Ne pouvant en même temps se dissimuler l’état d’infirmité où il était lui-même, il les exhortait à ne se plus considérer comme des enfants, mais comme des hommes ; car il prévoyait que les circonstances où ils allaient se trouver les réduiraient bientôt à la nécessité de mettre à l’épreuve leurs talents et leurs moyens personnels. « On attend à toute heure l’arrivée d’un médecin de Milan, leur dit-il ; mais pour moi, c’est en Dieu seul que je mets ma confiance. » Soit que le médecin ne fût pas arrivé, ou que le peu de confiance que Pierre avait dans ses secours fût bien fondé, environ six jours après, le premier jour d’août de l’année 1464, Côme mourut, à l’âge de soixante et quinze ans, profondément regretté du plus grand nombre des citoyens de Florence, qui s’étaient sincèrement attachés à ses intérêts, et qui craignaient que la tranquillité de la ville ne fût troublée par les dissensions qui allaient probablement être la suite de ce triste événement. […] Mariotto, abbé du monastère, présenta les uns aux autres ses doctes amis ; et le reste du jour, car c’était vers le soir que cette rencontre eut lieu, se passa à écouter les discours d’Alberti, dont Landino nous peint le génie et les talents sous le jour le plus favorable.

691. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Il a dit tout ce qu’il savait, il a dit les remèdes ; il a eu de bonne heure cette science prudente qui est le don de quelques-uns, et que la pratique du christianisme est incomparable pour aiguiser et développer ; il l’a continuellement distribuée et versée à tous par l’organe d’un puissant et infatigable talent. […] Jusque-là, n’admirez-vous pas cette vie constante, unie, enfermée, toute à l’acquisition des connaissances sacrées, toute à l’éducation et à la formation intérieure du talent naturel ? On n’entrevoit, dans cette jeunesse de Bourdaloue, aucun de ces écarts, aucun de ces orages qu’a laissé apercevoir la jeunesse de Massillon ; aucune variation ne s’y fait soupçonner ni sentir : et bientôt son talent d’orateur sacré nous le dira encore mieux dans la droiture continue de sa simplicité éloquente. […] Aujourd’hui, le genre de talent de Bourdaloue nous semble bien loin de prêter à de telles vivacités de couleurs, et, pour mieux essayer d’y pénétrer, je dirai d’abord l’effet assez général que cette éloquence produit à la lecture, et par quel effort, par quelle application du cœur et de l’esprit il est besoin de passer pour revenir et s’élever à la juste idée qu’il convient d’avoir de sa grandeur, de sa sobre beauté et de sa moralité profonde. […] Bourdaloue, c’est l’orateur qu’il faut être quand on veut prêcher trente-quatre ans de suite et être utile : il ne s’agit pas de tout dissiper d’abord, de s’illustrer par des exploits, d’avoir des saillies qui étonnent, qui ravissent et auxquelles on applaudit, mais de durer, d’édifier avec sûreté, de recommencer sans cesse, d’être avec son talent comme avec une armée qui n’a pas seulement à gagner une ou deux batailles, mais à s’établir au cœur du pays ennemi et à y vivre.

692. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — II » pp. 18-34

Et en même temps, ce talent dont il s’obstinait à douter toujours se développait, s’enhardissait ; il l’appliquait enfin à des sujets composés, à des créations extérieures ; l’artiste proprement dit se manifestait en lui. […] Le talent est une tige qui s’implante volontiers dans la vertu, mais qui souvent aussi s’élance au-delà et la dépasse : il est même rare qu’il lui appartienne en entier au moment où il éclate ; ce n’est qu’au souffle de la passion qu’il livre tous ses parfums. […] Il continuait, il est vrai, d’écrire dans son journal qu’il ne se croyait pas de talent ; il se le démontrait de son mieux dans des pages subtiles et charmantes, et qui prouvaient ce talent même. […] Une première phase s’ouvrait pour son talent.

693. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire. »

voilà ma postérité. » Trop de vertu, trop de sensibilité en pratique et en action autour de nous, nuirait-il donc au talent et au génie, à ce serviteur et à cet esclave de son art, qui ne doit être ni distrait ni partagé ? […] C’est que si Ducis n’avait pas le talent d’un grand tragique, il avait l’âme d’un grand tragique. […] Il ne se doutait pas du talent qu’il avait, ni qu’il remplacerait Voltaire à l’Académie. […] Ducis, avec qui il avait quelque parenté de talent et d’origine, a dit dans un portrait qu’il a donné de lui : « Il aimait passionnément Molière, Montaigne et Shakespeare ; il y trouvait ce fonds immense de naturel, de raison,  de force, de grâce, de variété, de profondeur et de naïveté qui caractérise ces grands hommes ; aussi, était-il né avec un sens exquis et une âme excellente : c’était tout naturellement qu’il voyait juste, comme c’était tout bonnement qu’il était bon. » On est sous Louis XVI, aux premières et belles années, sous un jeune roi plein de mœurs et de bon sens. […] Dites-moi ce qu’il y a de vrai… » Mais voilà Ducis, cet homme bon, naïf, tout cœur et tout âme, talent chaud et simple, lui qui n’a jamais parlé de sa vie à M. de Voltaire, et qui n’a été ni loué ni connu personnellement de lui, le voilà qui est choisi, sans brigue, pour remplacer Voltaire à l’Académie.

694. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Oeuvres inédites de la Rochefoucauld publiées d’après les manuscrits et précédées de l’histoire de sa vie, par M. Édouard de Barthélémy. »

Il a fait des découvertes réelles, bien qu’il les ait un peu exagérées dans le principe ; mais à lui tout est permis, et il a, par son talent d’écrivain et par ses retouches successives, des manières de compenser ou de réparer, et, une fois averti, des empressements à rentier dans le vrai, qui ne retirent rien aux effets d’un premier éclat. […] Le Mémoire où les griefs du prince sont fort bien déduits, avec fierté, roideur, beaucoup de tenue, et dans une forme de phrase assez compliquée et bien balancée, annonce du talent sans doute, mais un talent quelque peu empesé encore, et qui se sent du voisinage des héros de Corneille. […] Un homme qui n’avait que ce talent-là, mais qui l’avait, et qui vit de près La Rochefoucauld à l’œuvre, le comte de Coligny, a dit de lui, tout en reconnaissant qu’il avait du cœur comme soldat, mais en le déprisant et l’anéantissant comme capitaine : « C’est le génie le plus bouché pour la guerre qui ait été en France depuis il y a cent ans. » Le mot dans sa crudité est mémorable. […] Chacun, s’il n’y prend garde, s’aime et se préfère à tous les autres ; chacun se trouve si naturellement sous sa main comme type et premier modèle de l’espèce de talent et du genre de beauté qu’il accueillera et louera chez autrui, en repoussant plus ou moins tout ce qui en diffère !

695. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni (suite et fin.) »

Charlet, d’un autre temps, d’une tout autre génération, et de sa barrière du Maine, n’était en rien de ce monde-là ; mais il estimait de loin Gavarni, et il lui écrivait un jour, à l’occasion d’un jeune homme que celui-ci lui recommandait pour l’examen de l’École Polytechnique où Charlet était professeur : « Mon cher confrère, demandez-moi tout hors ce que vous me demandez, car je ferai tout pour vous prouver toute l’estime que je professe pour votre talent. […] « En tout autre cas, dans toute autre circonstance, votre recommandation serait, croyez-le bien, d’un grand poids pour moi, parce qu’ainsi que je vous le dis, je fais grand cas de votre talent, que la masse accueille sans l’apprécier. […] Son expédition d’Angleterre ne fut point un échec, mais un effort, un exercice de conquête et d’agrandissement aux frontières de son talent. […] Enfin, l’Angleterre fut pour lui et pour son talent une hôtesse nourricière et féconde. […] Sa nomination, proclamée avec d’autres en séance solennelle au Louvre, fut accueillie par une double salve d’applaudissements, Quelque temps après, Gavarni, qui s’entend peu aux compliments, alla chez M. de Nieuwerkerke : « J’ai voulu voir, lui dit-il, celui qui a eu l’idée de décorer Gavarni. » Arrivé à la plénitude de la vie, à la conscience du talent satisfait qui désormais peut indifféremment continuer ou se reposer, et qui a fait sa course, — après bien des traverses et une de ces douleurs cruelles qui éprouvent à fond le cœur de l’homme35, — Gavarni ne formait plus qu’un souhait : rêver, travailler encore, et trouver son dernier bonheur, comme Candide, à cultiver son jardin.

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