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1361. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

» 15 mars Un souvenir de mon enfance m’est resté très net. […] Il reste jusqu’au dîner, feuilletant nos cartons, regardant nos dessins, et entremêlant son inspection de causeries sur Gavarni, dont il parle comme d’un ami qu’il n’aimerait pas, appuyant sur sa dureté avec ses anciennes maîtresses, et laissant percer le dépit jaloux, qu’il éprouve à les voir encore attachées au souvenir de cet homme. […] C’est d’abord dans le lointain, le lointain, le souvenir de l’hôtel de la rue d’Artois, où lors de la guillotinade de son père, il y eut une visite de deux commissaires, pendant laquelle il resta, une demi-journée, emprisonné avec son frère et sa mère, entre les feuilles d’un grand paravent, posé dans l’antichambre. […] Il nous apparaît, pour la première fois, comme quelqu’un vers lequel nous voyons s’approcher la mort, et nos yeux s’attachent involontairement à lui, comme à une personne aimée qu’on va perdre et dont on veut garder le souvenir.

1362. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1872 » pp. 3-70

Tout à coup, la femme tourne vers lui ses grands yeux, des yeux immenses, relevés à la chinoise… Alors il ne sait comment ça s’est fait, mais, dans le moment la femme a été sur lui et à lui… Il a conservé le souvenir d’un choc de dents, du contact de ses lèvres froides comme la glace, de la chaleur de fournaise de tout le bas de son corps. […] Il croit que les morts aimés nous entourent, sont présents, écoutent la parole qui s’occupe d’eux, jouissent du souvenir de leur mémoire. Il finit en disant : « Le souvenir des morts, loin d’être douloureux, est pour moi une joie. » Je le ramène à lui, à Ruy-Blas. […] Et cependant dans l’ensommeillement de ses pas, de ses mouvements, de sa pensée, quand, un moment, il secoue sa léthargie, le vieux Théo réapparaît, et ce qu’il dit, de sa voix assoupie, avec des ébauches de gestes, semble le langage de son ombre — qui se souviendrait.

1363. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

Le chaos, le ciel, la terre, Géo et Céto, Jupiter dieu des dieux, Agamemnon roi des rois, les peuples, troupeaux dès le commencement, les temples, les villes, les assauts, les moissons, l’Océan ; Diomède combattant, Ulysse errant ; les méandres d’une voile cherchant la patrie ; les cyclopes, les pygmées ; une carte de géographie avec une couronne de dieux sur l’Olympe, et çà et là des trous de fournaise laissant voir l’Érèbe, les prêtres, les vierges, les mères, les petits enfants effrayés des panaches, le chien qui se souvient, les grandes paroles qui tombent des barbes blanches, les amitiés amours, les colères et les hydres, Vulcain pour le rire d’en haut, Thersite pour le rire d’en bas, les deux aspects du mariage résumés d’avance pour les siècles dans Hélène et dans Pénélope ; le Styx, le Destin, le talon d’Achille, sans lequel le Destin serait vaincu par le Styx ; les monstres, les héros, les hommes, les mille perspectives entrevues dans la nuée du monde antique, cette immensité, c’est Homère. […] Il se détournait de sa route, en voyage, pour aller feuilleter, dans la maison de Cléophile, les poëmes d’Homère, déposés là en souvenir de l’hospitalité qu’Homère, disait-on, avait reçue jadis dans cette maison. […] Si l’on se souvient qu’Eschyle presque entier est submergé par la nuit montante dans la mémoire humaine, si l’on se souvient que quatre-vingt-dix de ses pièces ont disparu, que de cette centaine sublime il ne reste plus que sept drames qui sont aussi sept odes, on demeure stupéfait de ce qu’on voit de ce génie et presque épouvanté de ce qu’on ne voit pas.

1364. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

Job, selon moi, était évidemment un de ces fils de la famille patriarcale et pastorale de l’Idumée, plus imbu que ses contemporains des traditions et des vérités de souvenir de la race primitive, et parlant aux hommes, on ne sait combien d’années après le déluge, la langue philosophique, théologique et poétique que nos premiers ancêtres avaient comprise et parlée avant le cataclysme physique et moral de l’humanité. […] « Et maintenant je suis le jouet et la risée des fils dont les pères mendiaient une place parmi les gardiens de mes troupeaux. » Scandalisé de sa dégradation et perverti par sa misère, il s’enfle du souvenir de sa propre vertu. […] Est-ce que rien, dans Œdipe, est égal, en amertume et en souvenir de sa grandeur et de sa félicité passées, qui remontent de son cœur comme des bourreaux successifs, chargés de lui renouveler, par la comparaison, le sentiment de ses humiliations présentes ? […] » VII Les souvenirs même de sa vertu se tournaient comme des œuvres ingrates contre lui.

1365. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre III. Le roman » pp. 135-201

Maurice Waleffe pour ne compter que les ouvrages où subsiste un souci d’art, la liste est longue des romans qui se souviennent d’Aphrodite. […] Nous n’avons pas prétendu citer ici toutes les femmes romancières, si nous nous souvenons de Mme J.  […] Dumas, Arthur de Eugène Sue, etc… On le voit, c’est encore des livres dont on se souvient le mieux. […] Ils sont souples et gracieux comme des palmes, nuancés en d’infinies harmonies L’auteur d’Yvelaine aime les soirs d’enchantement, les palais de songe, les sources maléfiques envoûteuses des fleurs, les mystères des nuits d’orage où crient les voix sous les gibets, les souvenirs qui dorment au fond des mémoires et qui font frissonner les enfants.

1366. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

Marmontel, destiné un moment dans sa jeunesse à l’état ecclésiastique, et qui avait étudié quelque temps à Clermont, eut l’occasion de visiter l’éloquent évêque, et, dans ses Mémoires, il a fait de cet ancien souvenir une scène affectueuse dont l’impression générale au moins doit être fidèle : Dans l’une de nos promenades à Beauregard, maison de plaisance de l’évêché, nous eûmes le bonheur, dit-il, de voir le vénérable Massillon. L’accueil plein de bonté que nous lit ce vieillard illustre, la vive et tendre impression que firent sur moi sa vue et l’accent de sa voix, est un des plus doux souvenirs qui me restent de mon jeune âge.

1367. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — I. » pp. 80-97

Certes, les plus célèbres et les plus riches en souvenirs, les plus historiques, les plus en accord avec le caractère et l’esprit du monument. […] Chaque ville, chaque vieux château, chaque pan de mur qu’ils rencontrent, est une occasion nouvelle de souvenir et de vive narration : — « Messire Jean, voyez-vous ce mur qui est là ? 

1368. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — I. » pp. 162-179

J’en voudrais donner aujourd’hui un exemple en m’occupant d’un personnage qui a été médiocrement remarqué jusqu’ici44, qui n’a été qu’un homme de société et très secondairement en scène, qu’on a rencontré un peu partout, nommé çà et là dans les mémoires du temps, et dont la figure assez effacée n’a guère laissé de souvenir qu’à ceux qui l’ont connu de plus près. […] Paulin Paris est le seul, à ma connaissance, qui de nos jours ait écrit sur le marquis de Lassay ; on peut se souvenir d’un assez piquant article de lui inséré dans le Bulletin du bibliophile en 1848, et dans lequel il parlait avec détail de l’hôtel Lassay, qui n’était autre alors que l’hôtel de la présidence de l’Assemblée nationale.

1369. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

D’Aubigné voyait dans ce dévouement et cette vaillance une preuve du bon droit : « Il arrive peu souvent, pensait-il, que l’injustice ait les meilleures épées de son côté, parce que c’est la conscience qui émeut la noblesse et la porte aux extraordinaires dépenses, labeurs et hasards. » D’Aubigné, si on l’avait pressé, eût peut-être été dans l’embarras de fixer ce beau temps où l’épée de la noblesse était toujours pour le parti le plus juste ; dans les souvenirs de la fin de sa vie, il confond involontairement ce temps idéal avec celui de sa jeunesse, le bel âge pour tous : quand il devint vieux, il ne fut pas des derniers à crier à la décadence. […] Vous êtes criminel de votre grandeur et des offenses que vous avez reçues : ceux qui ont fait la Saint-Barthélemy s’en souviennent bien, et ne peuvent croire que ceux qui l’ont souffert l’aient mise en oubli.

1370. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — II. (Fin.) » pp. 361-379

Arrivé à Chaillot, où il passait les étés depuis trente ans, Bailly s’y voit l’objet d’une ovation, ou plutôt d’une fête patriarcale et champêtre, « fête sans faste, dont la décente gaieté et les fleurs firent tous les frais », et qu’on lui donne chez lui, dans les différentes pièces de sa maison et de son jardin : Je ne dis rien de trop en disant que je fus embarrassé par cette foule presque entière, qui se pressait autour de moi avec les plus vives expressions de l’amour et de l’estime, une joie pure et douce, une paix qui annonçait l’innocence : cette fête était vraiment patriarcale ; elle m’a donné les plus délicieuses émotions, et m’a laissé le plus doux souvenir. […] Le même Mérard de Saint-Just a tracé de Bailly, après sa mort, un Éloge historique qui ne brille point par la simplicité ni par une justesse de ton continue, mais qui est riche de détails, de souvenirs, et dans lequel tous les biographes ont largement puisé.

1371. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — I. » pp. 409-426

David nous disait toujours que c’est le seul maître que l’on puisse suivre sans craindre de s’égarer. » Mais il se souvint de cet autre précepte de David : « qu’il ne faut pas voir la nature bêtement, et qu’il faut savoir trouver le beau ». […] Ingres, duquel on le rapprochait assez naturellement, qu’il admirait comme le modèle des artistes, comme l’artiste de ce siècle le plus classique, et à qui il ne se laissait comparer qu’avec résistance et réserve, il marquait cependant la différence essentielle qui les séparait : Ingres plein de science, d’étude de l’Antiquité, cherchant l’idéal même par le souvenir historique, surtout par la poésie et par l’imagination, et dans la trace de Raphaël, de Phidias ou d’Homère ; et lui, Léopold, n’y voulant arriver, si c’était possible, que par la nature.

1372. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Mais puisque je dis la faute, je devrais dire aussi ses services, ses efforts courageux et de chaque jour : Mathieu Dumas en a consigné le souvenir dans ses honnêtes Mémoires. […] Je vis maintenant avec mon herbier et les souvenirs qui l’accompagnent : hors de là, tout m’est devenu superflu.

1373. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — II » pp. 369-387

La France ne fut un peu consolée que lorsqu’elle se vit rentrée, par la domination de Richelieu, dans une autre période de grandeur ; mais l’idée de bonté qui faisait partie du souvenir de Henri IV ne perdait pas à la comparaison, et alla même en s’exagérant avec les années. […] Quand je me souviens de Henri IV, et pour me le résumer à moi-même au juste, sans pencher ni du côté de la tradition factice et arrangée, ni du côté de l’anecdote maligne et injurieuse à l’histoire, je tiens à me rappeler trois ou quatre points essentiels qui me le déterminent, en quelque sorte, dans les grandes lignes de sa nature morale et de son caractère politique.

1374. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

Il a laissé de son voyage une relation destinée à fixer ses souvenirs, à contenter ses amis, et dédiée à sa mère. […] Ceux qui parlent du duc de Rohan, tout net, comme d’un grand écrivain, ne l’ont pas relu récemment, et se l’imaginent de souvenir.

1375. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

Le seul avantage du journal sur les mémoires, est d’être plus complet et plus sûr, plus véridique ; je parle des mémoires qu’on écrit tard, sans notes prises dans le temps même et de pur souvenir. […] Toutes les avenues qu’on ouvre dans la masse de ses souvenirs aboutissent à soi comme à un centre.

1376. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Enfin, il faut bien le dire, le zèle des véritables amis restés les plus dévoués à sa mémoire n’a pas été prudent ni discret : à peine avait-il fermé les yeux qu’on a publié coup sur coup des souvenirs, des conversations de lui, des commérages de coin du feu, toute une série de petits livres à sa dévotion, toute une littérature Bèrangèrienne, visant à la légende. […] … Rentrez dans vos souvenirs : vivez à reculons.

1377. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier »

Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier 42 Lundi 5 mai 1862. […] L’auteur des Souvenirs de Madame Récamier, une personne de beaucoup d’esprit et d’exactitude, Mme Lenormant, vient de donner, en les combinant et en les liant par un récit, deux séries de correspondance de Mme de Staël, les lettres à la grande-duchesse Louise de Weimar et les lettres à Mme Récamier.

1378. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

Je me souviens d’avoir lu un discours prononcé ex cathedra à Cambridge (1844), dans lequel l’orateur, s’emparant contre lui de son étendue et de son impartialité même, l’appelait égoïste, faux, méchant, traître, un homme « qui se jouait avec sang-froid de la paix et de la vertu d’autrui, et qui jouissait du haut de sa sérénité de voir les ruines qu’il avait portées dans les cœurs assez simples pour se confier au sien. » Les Pharisiens de tout temps, les hommes de secte et de parti sont bien les mêmes, qu’ils soient de Cambridge, ou de l’ancienne Sorbonne, ou d’un salon à la mode voisin de la sacristie. […] Il nous a entretenus de Schiller, de leurs travaux communs, de ce que celui-ci voulait faire, de ce qu’il aurait fait, de ses intentions, de tout ce qui se rattache à son souvenir : il est le plus intéressant et le plus aimable des hommes.

1379. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

mais, peu à peu, le retour de ces mélodies monotones vous pénètre et vous imprègne en quelque sorte, et pour peu que des souvenirs personnels un peu tristes s’y ajoutent, vous vous sentirez pleurer sans songer seulement à juger, à apprécier ou à apprendre les airs que vous entendez. […] Les grands souvenirs d’entreprises glorieuses qui se rattachent aux époques libres où régnaient des Assemblées souveraines, tiennent aux hommes supérieurs enfantés par ces époques, et en qui le plus souvent la liberté a fini par se personnifier et quelquefois se perdre ; ceux qui l’ont concentrée et absorbée en eux sont les mêmes qui l’ont conduite.

1380. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid. »

Lorsqu’on aura rabattu, çà et là, de quelques assertions hasardées et de quelques interprétations trop subtiles du critique, il restera en définitive, dans le souvenir du lecteur qui l’aura suivi dans son excursion, une plus haute idée de la faculté historique instinctive du grand Corneille. […] Il riposte et lui rend dédain pour dédain, en se redressant dans sa fierté et dans sa gloire : « Marquise, si mon visage A quelques traits un peu vieux, Souvenez-vous qu’à mon âge Vous ne vaudrez guère mieux.

1381. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

On se souviendra toujours que le 25 février 1848, sous ce titre de « Confiance ! […] Qui se souvient le lendemain de l’article de la veille … » Ici il y a quelque chose à accorder encore, et si l’on enlevait à l’expression de M. de Girardin ce qu’elle a de paradoxal et d’absolu, on serait près de s’entendre peut-être, ou du moins on se rapprocherait.

1382. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet »

Il y avait vingt-cinq ans qu’il n’avait mangé de pain, ni bu de vin ; Malouet lui fit faire un bon repas qui réveilla ses souvenirs : « Il me parla de la perruque noire de Louis xiv, qu’il appelait un beau et grand prince, de l’air martial du maréchal de Villars, de la contenance modeste du maréchal de Gatinat, de la bonté de Fénelon, à la porte duquel il avait monté la garde à Cambrai. […] « Il m’avait reçu d’abord avec de grandes démonstrations de joie ; mais, lorsque je fus près de le quitter, son visage vénérable se couvrit de larmes ; il me retint par mon habit, et prenant ce ton de dignité qui sied si bien à la vieillesse, s’apercevant, malgré sa cécité, de ma grande émotion, il me dit : « Attendez » ; puis il se mit à genoux, pria Dieu, et, m’imposant ses mains sur la tète, il me donna sa bénédiction. » Ce vieux soldat, Jacques Des Sauts, comme on l’appelait (probablement parce qu’il habitait près de la chute de l’Oyapock), est-il réellement l’original qui a suggéré l’idée de Chactas, également aveugle, également contemporain du siècle de Louis xiv, et qui se souvenait toujours de Fénelon, « dont il avait été l’hôte ? 

1383. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Affaires de Rome »

En examinant ce livre, nous sommes dans une position particulière, c’est-à-dire que nous avons lu autrefois tous les livres de M. de La Mennais et que nous nous en souvenons. […] Nous ne le perdons pourtant point de vue encore ; mais, à travers cette vue, il est simple que le souvenir du passé tienne une grande place. 

1384. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Recueillements poétiques (1839) »

La nouvelle conclusion de Jocelyn, qui nous est donnée par manière de variante, a une ampleur et une sublimité merveilleuses : elle s’accorde dignement avec le souvenir de cet aimable poëme. […] Le lyrique a beau faire ; il n’échappera pas à ses propres émotions ni à son âme ; c’est absolument comme dans la romance : En songeant qu’il faut qu’on l’oublie, On s’en souvient.

1385. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. PROSPER MÉRIMÉE (Essai sur la Guerre sociale. — Colomba.) » pp. 470-492

Maint affranchi reçoit des présents ; peut-être le consul lui-même daigne-t-il en accepter, soit pour épargner à Téanum le fardeau des logements militaires, soit pour se souvenir des Sidicins dans le sénat, où les pauvres alliés ont tant besoin de protecteurs. […] » Il voyage dans ce moment en Grèce, et visite ce pays des souvenirs redevenu nouveau.

1386. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre II. Des idées générales et de la substitution simple » pp. 33-54

Le lecteur a sans doute visité des galeries de tableaux rangés par écoles ; après deux heures de promenade parmi des peintures de Titien, de Tintoret, de Bonifazio et de Véronèse, si l’on sort et si l’on s’assied sur un banc, les yeux fermés, on a d’abord des souvenirs ; on revoit intérieurement telle rose et blonde figure demi-penchée, tel grand vieillard majestueusement drapé dans sa simarre de soie, des colliers de perles sur des bras nus, des cheveux roux crêpelés sur une nuque de neige, des colonnades de marbre veiné qui montent dans un ciel ouvert, çà et là une mine gaie de petite fille, un beau sourire de déesse, une ample rondeur d’épaule satinée, la pourpre d’une étoffe rouge sur un fond vert, bref cent résurrections partielles et désordonnées de l’expérience récente. […] Elle se manifeste sur les lèvres par les mots d’épanouissement, de bonheur, de volupté noble ; en même temps, la vue intérieure a saisi quelque image correspondante, une fleur qui s’ouvre, un visage qui sourit, un corps penché qui s’abandonne, un accord riche et plein d’instruments doux, une caresse d’air parfumé dans une campagne ; voilà des comparaisons et métaphores expressives, c’est-à-dire des représentations sensibles, des souvenirs particuliers, des résurrections de sensations, toutes analogues à celles que je viens d’éprouver, du même ton et du même tour.

1387. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VI, « Le Mariage de Figaro » »

C’est Rousseau qui est le consolateur de toutes les âmes fières du Tiers État que l’inégalité a froissées : d’un Barnave, qui se souvient d’un affront fait à sa mère au théâtre par un gentilhomme, du temps qu’il était tout enfant, d’un Marat qui réfute Helvétius et Condillac, et qui commente le Contrat social dans les promenades publiques devant des auditeurs enthousiastes. […] Je ne veux pas écraser cette jolie chose sous le souvenir des Provinciales : la disproportion est trop forte, et la gaieté des Mémoires a plus de mousse que de corps ; ils manquent par trop d’intérêt universel et humain.

1388. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

Paresseux comme il était, il dressait avec un souci méticuleux les plans de ses discours, numérotant les idées, marquant les paragraphes, piquant ici une image, là un souvenir antique, s’aidant en un mot de tous les secours de la rhétorique classique. […] Au début, les origines révolutionnaires de cette éloquence sont très sensibles : les phalanges républicaines, les vainqueurs de Tarquin, les descendants de Brutus, de Scipion, les légions romaines, Alexandre, tous ces souvenirs antiques rattachent Napoléon aux orateurs de nos assemblées.

1389. (1890) L’avenir de la science « XVI »

Là est sa poésie ; là sont ses souvenirs héroïques ; là est sa législation, sa politique, sa morale ; là est son histoire ; là est sa philosophie, et sa science ; là, en un mot, est sa religion. […] Le Moyen Âge se faisait un Empire avec de vieux et très inexacts souvenirs.

1390. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

Les souvenirs politiques, les habitudes morales, les relations sociales étaient tout opposées entre ces Mazarins et tout ce qui avait eu quelque rapport avec la maison de Rambouillet, dont il n’existait plus personne, lorsque les sociétés de Nevers et de ses parentes étaient florissantes. […] Et cependant seize années après elle en avait encore des souvenirs déplaisants, en voyant jouer Esther (1689), à Saint-Cyr, par les jeunes élèves de cette maison.

1391. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Des lectures publiques du soir, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pourraient être. » pp. 275-293

On ne peut tout lire, sans doute, de chaque auteur ; il n’est besoin que d’en lire assez pour bien marquer le sens de sa manière et donner, à l’auditeur qui sort de là, l’envie d’en savoir plus en recourant à l’original : mais il faut, à la rigueur, lui en avoir déjà offert et servi un assez ample choix, pour que, même sans aller s’informer au-delà, il en garde un souvenir propre, et qu’il attache à chaque nom connu une idée précisé. […] Béranger. — Quelques chansons (Escousse et Lebras, Les Souvenirs du peuple, Le Juif errant, etc.) ; de l’effet, mais moins que je ne l’aurais cru : le refrain, heureux quand on chante, gêne quand on lit.

1392. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Éloges académiques de M. Pariset, publiés par M. Dubois (d’Amiens). (2 vol. — 1850.) » pp. 392-411

Les cours publics qu’il fit sur ces sujets à l’Athénée, et plus tard à la Société des bonnes lettres, n’ont pas été recueillis ; ils ont laissé un vif souvenir chez ceux qui les ont entendus. […] On sent tout d’abord une imagination qui s’est montée elle-même par toutes sortes de souvenirs oratoires ou pindariques.

1393. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Patru. Éloge d’Olivier Patru, par M. P. Péronne, avocat. (1851.) » pp. 275-293

Mais Patru avait, à l’occasion, des mots dont on se souvient. […] Cette lettre de Patru à d’Ablancourt, où se lit cet agréable récit, est restée dans le souvenir et vaut mieux pour nous aujourd’hui que tout le gros de ses œuvres.

1394. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le surintendant Fouquet. (Article Fouquet, dans l’Histoire de Colbert, par M. P. Clément.) 1846. » pp. 294-312

Certes, Sire, je ne puis croire que Votre Majesté en puisse rappeler le souvenir sans en être attendrie. […] Son souvenir est resté comme un des grands exemples de catastrophe politique et d’infortune.

1395. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — III. (Suite et fin.) » pp. 128-145

Ce dernier, en lui envoyant une marque de souvenir, avait touché quelques mots de cette modération que Carrel avait montrée devant le jury, et avait semblé par là désirer qu’il l’observât encore ailleurs : Ai-je tort, ai-je raison ? […] À ceux qui l’avaient connu dans l’intimité, et autrement que par son rôle public, il a laissé le souvenir d’un homme parfaitement bon, facile même dans l’ordinaire de la vie, ayant des négligences et des insouciances de soldat ou d’artiste, et parfois des accès de gaieté d’enfant.

1396. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

Le jeune séminariste, mis en présence du monument inconnu, ne put que répondre : « Attendons. » Ces deux jeunes gens, compatriotes et dès lors adversaires, ne se sont jamais revus depuis ; mais l’abbé Gerbet et Jouffroy, en se combattant l’un l’autre plume en main, n’ont cessé de le faire dans les termes de la controverse la plus digne, et Jouffroy, dont le cœur, sous cette parole absolue, était si bon, ne parlait, s’il m’en souvient, de l’abbé Gerbet qu’avec les sentiments d’une affectueuse estime. […] Partout il est le même : figurez-vous une démarche longue et lente, un peu penchée, dans une paisible allée où l’on cause à deux du côté de l’ombre, et où il s’arrête souvent en causant ; voyez de près ce sourire affectueux et fin, cette physionomie bénigne où il se mêle quelque chose du Fléchier et du Fénelon ; écoutez cette parole ingénieuse, élevée, fertile en idées, un peu entrecoupée par la fatigue de la voix, et qui reprend haleine souvent ; remarquez, au milieu des vues de doctrine et des aperçus explicatifs qui s’essaient et naissent d’eux-mêmes sur ses lèvres, des mots heureux, des anecdotes agréables, un discours semé de souvenirs, orné proprement d’aménité : et ne demandez pas si c’est un autre, c’est lui.

1397. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Étienne, ou une émeute littéraire sous l’Empire. » pp. 474-493

On en parle autant qu’on en peut parler, à toute heure et en tout lieu ; on en parle à satiété et trop, on use le sujet58, et puis tout d’un coup on n’en parle plus, et à peine si l’on s’en souvient. […] [NdA] « Je me souviens, dit Montesquieu en ses Pensées, que j’eus autrefois la curiosité de compter combien de fois j’entendrais faire une petite histoire qui ne méritait certainement pas d’être dite ni retenue : pendant trois semaines qu’elle occupa le monde poli, je l’entendis faire deux cent vingt-cinq fois, dont je fus très content. » 59.

1398. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Pourtant il supprima bientôt le bonnet, et il demeura sous sa forme dernière, nu-tête, avec les cheveux rares au sommet, mais descendant des deux côtés de la tête et du cou jusque près des épaules ; en un mot, tel que son portrait s’est fixé définitivement dans le souvenir, et à la Franklin. […] Watelet ; il fit à Sannois, chez Mme d’Houdetot, une visite dont le souvenir sentimental s’est conservé.

1399. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

La vue de l’auteur, moins distraite par les souvenirs historiques, est plus nette et plus décidée. […] « Je ne rencontre, disait-il, que des gens qui veulent me ramener à des opinions que je professe, ou qui prétendent partager avec moi des opinions que je n’ai pas. » … « Je plais, a-t-il dit encore, à beaucoup de gens d’opinions opposées, non parce qu’ils m’entendent, mais parce qu’ils trouvent dans mon ouvrage, en ne le considérant que d’un seul côté, des arguments favorables à leur passion du moment. » L’entreprise originale de M. de Tocqueville a donc été de considérer la démocratie comme un objet, non de démonstration, mais d’observation, et si l’on veut repasser dans son souvenir les noms des plus grands publicistes modernes, on verra qu’il n’y en a pas un qui ait eu cette idée et qui ait accompli ce dessein.

1400. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

Nos rois ont étendu et honoré le nom français : tous nos souvenirs de gloire tiennent à eux comme nos souvenirs de religion.

1401. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Sont-ce des souvenirs qui saignent sous la plume qui les remue ? […] Un jour Armand Carrel, ce généreux, devant qui on louait Alfred de Vigny avec l’enthousiasme qu’il savait inspirer à ceux qui le connaissaient, s’écria que cette âme était belle et qu’il en fallait parler, et Rolle fit dans Le National ces articles dont on se souvient encore.

1402. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

Au collège, car c’est par le collège que la gloire littéraire se maintient dans le souvenir ennuyé des générations distraites. […] On se souvient du mot de Stendhal : la beauté, c’est une promesse de bonheur. […] Souvenons-nous des vers de Baudelaire. […] Il était si facile, à ce moment du discours, de se souvenir du mot de l’Evangile sur la joie que cause au ciel la venue au bien d’un pécheur. […] Du grand siècle lui-même la plupart de ces jeunes cœurs n’ont gardé le souvenir que des poètes qui parlent de l’amour.

1403. (1908) Promenades philosophiques. Deuxième série

Je me souviens ici de ces vers de Gray, dans le Cimetière de campagne. […] Tous les sommeils sont probablement peuplés de rêves seulement tous les rêves ne laissent pas dans le souvenir trace de leur passage. […] Les personnes qui rêvent habituellement et se souviennent de leurs rêves, comme précisément Alfred Maury, peuvent se faire une idée fort nette de l’état de folie. […] Or, l’amour-propre empêche que les mauvaises parties se représentent assez fidèlement à l’esprit pour contrebalancer le souvenir des parties heureuses. […] Se souvient-on de la jolie page de Théophile Gautier sur un chat et un perroquet ?

1404. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Sur le Louis XVI de M. Amédée Renée » pp. 339-344

S’il avait eu un de ces éclairs d’indignation comme en avait à ses côtés sa généreuse compagne, si le sang lui avait monté au visage, s’il s’était souvenu qu’il était le dernier roi d’une race militaire, s’il avait résisté à la force par la force, l’épée à la main, avec ses dévoués serviteurs qui y comptaient ; si, dans le conflit, il s’était seulement fait tuer en gentilhomme sur les marches de son palais, l’histoire de la Révolution eût changé ; il n’y aurait pas eu cette tache juridique sanglante qui s’appelle le procès de Louis XVI, et qui fut la plaie livide et toujours ouverte pendant de longues années.

1405. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires du marquis d’Argenson, ministre sous Louis XV »

Tous deux soutinrent par leurs talents, et, ce qui vaut mieux, épurèrent par leurs vertus l’éclat d’un nom qui rappelait des souvenirs puissants, mais impopulaires, et une gloire un peu sombre.

1406. (1875) Premiers lundis. Tome III « Eugène-Scribe. La Tutrice »

Enfin, mademoiselle Plessy, qui remplissait le rôle de la chanoinesse Amélie de Moldaw, a été pleine de réserve et de bon goût, et dans deux ou trois de ces longues tirades où excellait mademoiselle Mars avec ses inflexions si savantes, elle s’est souvenue très-heureusement du parfait modèle.

1407. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Malaise moral. » pp. 176-183

Nos souvenirs, notre éducation classique, une communauté de sang, les principes les plus chers de la Révolution et toute notre tradition nationale nous y poussaient.

1408. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Villiers de L'Isle-Adam, Auguste de (1838-1889) »

— « Sara, souviens-toi de nos roses dans l’allée des sépultures… » Et en une alternance de telles musiques, de tels versets sacrés, tout le livre se déroule.

1409. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Éphémérides poétiques, 1870-1890 » pp. 181-188

Albert Mérat : Les Souvenirs.

1410. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre septième. Les sentiments attachés aux idées. Leurs rapports avec l’appétition et la motion »

L’attention, on s’en souvient, n’est que l’appétition sous sa forme intellectuelle et prenant une direction déterminée ; l’aperception n’est que l’efficacité de l’appétition intellectuelle qui, cherchant à voir, voit.

1411. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre IV »

. — On se souvient des conseils donnés par Ronsard dans son Art poétique : « Tu practiqueras bien souvent les artisans de tous mestiers… »

1412. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 20, de quelques circonstances qu’il faut observer en traitant des sujets tragiques » pp. 147-156

J’en tombe d’accord, mais l’auditeur s’en souvient, il les redit lorsque le heros a vêcu dans un tems si voisin du sien, que la tradition l’a instruit de ces petitesses.

1413. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Première partie. Les idées anciennes devenues inintelligibles » pp. 106-113

Tous ces artifices de la parole, toutes ces ruses des affections et des souvenirs, ne produisaient aucune illusion, aucun entraînement.

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