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1004. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Alfred de Vigny »

Dans ce portrait dont il est question, son front, qui surplombe un visage tranquillement triste, jette l’ombre de sa voûte puissante à ces yeux rêveurs qui cherchent involontairement le ciel, mais qui, dans la réalité, revenaient se tourner vers les vôtres avec des airs fins et spirituels comme nous entendons le regard, nous autres polissons de la terre ! […] Si, plus haut parvenus, de glorieux esprits Vous dédaignent jamais, méprisez leur mépris ; Car ce sommet de tout, dominant toute gloire, Ils n’y sont pas, ainsi que l’œil pourrait le croire. […] quand je lis : Les Destinées, La Mort du Loup, dont les détails sont d’une réalité de description incomparable : Qui, sans daigner savoir comment il a péri, Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri !

1005. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « PAUL HUET, Diorama Montesquieu. » pp. 243-248

De larges teintes, une plénitude de ton qui pousse à l’impression de l’ensemble, des ondées de lumière et d’ombre, des nuances uniques dans l’épaisseur des feuillages et dans la profondeur des lointains, nuances devinées et pressenties, qu’un œil vulgaire ne discernerait pas dans la nature, qui ne se révèlent qu’à la prunelle humide de larmes, et qui nous plongent en de longues et ineffables rêveries durant lesquelles nous nous mêlons à l’âme du monde. […] Je publiai dans le Globe du 23 octobre l’article que je reproduis ici, et qui retrouve à mes yeux un triste à-propos dans la mort trop soudaine du paysagiste, notre ami, survenue le 9 janvier 1809.

1006. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dupont, Pierre (1821-1870) »

Il trouvait la vieille terre adorable, il la contemplait avec des yeux d’amant. […] Nous n’apercevons le ciel qu’entre deux toits, nous ne saluons jamais l’aurore chez elle, le couchant déroule ses pourpres loin de nos yeux.

1007. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre II. Des Époux. — Ulysse et Pénélope. »

Cependant elle se lève, et, descendant les degrés, elle franchit le seuil de pierre, et va s’asseoir à la lueur du feu, en face d’Ulysse, qui était lui-même assis au pied d’une colonne, les yeux baissés, attendant ce que lui dirait son épouse. […] Les transports qui suivent la reconnaissance des deux époux ; cette comparaison si touchante d’une veuve qui retrouve son époux, à un matelot qui découvre la terre au moment du naufrage ; le couple conduit au flambeau dans son appartement ; les plaisirs de l’amour, suivis des joies de la douleur ou de la confidence des peines passées ; la double volupté du bonheur présent, et du malheur en souvenir ; le sommeil qui vient par degrés fermer les yeux et la bouche d’Ulysse, tandis qu’il raconte ses aventures à Pénélope attentive, ce sont autant de traits du grand maître ; on ne les saurait trop admirer.

1008. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Bathild Bouniol »

Bathild Bouniol7 C’est sous ce ciel-là, retrouvé enfin par la muse de l’auteur des Chants du Passé, que se tient la muse de notre autre poète, Bathild Bouniol, mais elle a les pieds sur la terre, et son œil, plus attentif qu’inspiré, est fixé sur les hommes, qu’elle regarde jusqu’au fond du cœur. […] a dit, l’œil larmoyant, Certaine dame au bras d’un étourneau riant.

1009. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre III. Trois principes fondamentaux » pp. 75-80

Mais dans cette nuit sombre dont est couverte à nos yeux l’antiquité la plus reculée, apparaît une lumière qui ne peut nous égarer ; je parle de cette vérité incontestable : le monde social est certainement l’ouvrage des hommes ; d’où il résulte que l’on en peut, que l’on en doit trouver les principes dans les modifications mêmes de l’intelligence humaine. […] Cette erreur est venue de l’infirmité de l’intelligence humaine : plongée et comme ensevelie dans le corps, elle est portée naturellement à percevoir les choses corporelles, et a besoin d’un grand travail, d’un grand effort pour se comprendre elle-même ; ainsi l’œil voit tous les objets extérieurs, et ne peut se voir lui-même que dans un miroir.

1010. (1897) Aspects pp. -215

Les étoiles ferment leurs yeux las. […] comme joyeusement il s’étalait aux yeux !  […] Les Sincères eux, se sont crevés les yeux et ils ont reculé éperdument. […] Les yeux droits et incisifs disent la volonté. […] J’ai sous les yeux les élucubrations d’un de ces Doumic.

1011. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

Comme si la peinture n’était pas d’abord le charme des yeux ! […] En usant leurs yeux sur la lettre gothique, c’est leur goût aussi qui s’est oblitéré dans l’admiration des fabliaux et des chansons de geste. […] Pascal est à ses yeux « un philosophe catholique ». […] On avait cependant sous les yeux, comme nous, l’Entretien de Pascal avec M. de Saci. […] Ainsi jadis les spectateurs de la Révolution croyaient voir commencer sous leurs yeux une époque nouvelle de l’histoire du monde.

1012. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

J’ose au moins sans terreur me montrer à vos yeux. […] Si l’amour de la poésie me forçait, malgré moi, de lui sacrifier quelques heures, je ne peignais que mes douleurs ou les tableaux de la campagne que j’avais sous les yeux. […] Quand je portais les yeux sur Paris, j’étais effrayé des périls où je m’exposerais en m’y montrant. […] Craignant de rencontrer ton œil victorieux, Te cède la moitié de l’empire des cieux. […] Faut-il ajouter qu’il en voulait à Talma d’être l’objet de je ne sais quelle, phrase de madame de Staël, où elle disait qu’il avait dans les yeux l’apothéose du regard ?

1013. (1903) La pensée et le mouvant

Comment demander aux yeux du corps, ou à ceux de l’esprit, de voir plus qu’ils ne voient ? […] Vous avez fermé les yeux à la réalité vraie. […] Qu’est-ce que le « mobile » auquel notre œil attache le mouvement, comme à un véhicule ? […] Que pourra bien être ce souvenir, s’il résulte véritablement de la fixation, dans le cerveau, de l’impression reçue par l’œil ? […] Ce serait de prolonger la vision de l’œil par une vision de l’esprit.

1014. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

La reine, après l’avoir parcourue des yeux, commanda à la princesse de Conti, qui était présente, de la lire tout haut. […] Il eut en effet une pension. — Voilà bien tout Malherbe : grandeur, élévation de talent, et l’œil au pécule. […] Rien que ton intérêt n’occupe sa pensée, Nuls divertissements ne l’appellent ailleurs ; Et de quelques bons yeux qu’on ait vanté Lyncée,     Il en a de meilleurs. […] Leur fortune doit se confondre sans arrière-pensée dans celle de l’État : « Au demeurant, on se tromperait de s’imaginer qu’en bien faisant il eût devant les yeux autre chose que la gloire. […] Il a eu cependant d’heureux mouvements dans ses amours de tête, et l’on chante encore avec plaisir : Ils s’en vont, ces rois de ma vie,     Ces yeux, ces beaux yeux, etc.

1015. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Si on ne la voit pas ou si on la nie, aucun raisonnement ne saurait ouvrir les yeux aux aveugles, ni fermer la bouche aux sophistes. […] L’auteur n’a eu qu’à copier ce qu’il avait sous les yeux. […] Plaute et Térence n’ont d’autre importance à mes yeux que de nous aider à deviner la forme de la comédie de Ménandre. […] Je serai pour Molière un juge sans faiblesse ; je saurai voir et montrer ses défauts ; mais je ne veux fermer ni mes yeux ni ma bouche sur ses qualités. […] Le second des critiques allemands, je viens essayer d’ouvrir les yeux de la France et de l’Europe sur le chef-d’œuvre le plus original de la littérature d’outre-Rhin.

1016. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

Brûlez toutes les histoires, vous ferez la nuit dans le monde comme si vous éteigniez le soleil : la mémoire est l’œil qui voit ce qui fut. […] Le succès ferme trop souvent les yeux de M.  […] Il n’y manque, pour fanatiser l’œil du peuple, que ce général équestre franchissant au galop de son cheval aux jarrets tendus la cime des Alpes, comme dans le portrait de Bonaparte par David. […] Quoique élevé à la sévère école de l’armée du Rhin, il s’était enthousiasmé pour les campagnes d’Italie, il avait voulu voir de ses yeux les champs de bataille de Castiglione, d’Arcole et de Rivoli. […] Fouché, elle avait pris ce dernier en gré, parce que, tout jacobin qu’il était, disait-elle, il osait faire entendre la vérité au premier Consul, et, à ses yeux, faire entendre la vérité au premier Consul, c’était lui conseiller la conservation de la République, sauf à augmenter son pouvoir consulaire.

1017. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Mais l’intoxication ne devait être à ses yeux que l’occasion. […] A nos yeux, l’aboutissement du mysticisme est une prise de contact, et par conséquent une coïncidence partielle, avec l’effort créateur que manifeste la vie. […] La raison en est que la connaissance fut toujours à ses yeux un moyen plutôt qu’une fin. […] L’élan d’amour qui les portait à élever l’humanité jusqu’à Dieu et à parfaire la création divine ne pouvait aboutir, a leurs yeux, qu’avec l’aide de Dieu dont ils étaient les instruments. […] Pour en référer à elle, l’artiste avait chaque fois à donner un effort, comme l’œil pour faire reparaître une étoile qui rentre aussitôt dans la nuit.

1018. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre I. La Restauration. »

Des draperies tortillées tombent alentour en forme d’alcôve, et les yeux plongent par une échappée sur les allées d’un grand parc dont la solitude sera commode à leurs plaisirs. […] Les yeux et l’odorat n’aidaient plus l’humanité de leurs répugnances ; les sens étaient aussi amortis que le cœur. […] Il prend à tâche de révolter même les sens ; l’odorat, les yeux, tout souffre devant ses pièces ; il faut que ses auditeurs aient eu des nerfs de matelot. […] Son poëme est comme un parc monarchique, digne et nivelé sans doute, mais arrangé pour le plaisir des yeux et rempli de points de vue choisis. […] Il rentre enfin « couvert de sang et de boue », grondant comme un dogue, les yeux gonflés, rouge, appelant sa nièce salope et sa femme menteuse.

1019. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

Quiconque est vivement émû, voit les choses d’un autre oeil que les autres hommes. […] On ne sauroit trop remettre devant les yeux les crimes & les malheurs causés par des querelles absurdes. […] De quel oeil voyoient-ils donc les statues de leurs fausses divinités dans les temples ? du même oeil, s’il étoit permis de s’exprimer ainsi, que nous voyons les images des vrais objets de notre vénération. […] Quoi de plus naturel que de révérer la force invisible qui faisoit luire aux yeux le soleil & les étoiles ?

1020. (1874) Premiers lundis. Tome II « Dupin Aîné. Réception à l’Académie française »

Je me disais tout cela en regardant ce front bosselé qui, certes, manque beaucoup moins d’énergie que de vraie noblesse et de grandeur ; cet œil inégal et mobile sous un sourcil disgracieux ; cette dent vive, en saillie, prompte à la morsure ; et je me demandais comment ce masque vivant d’orateur allait s’employer dans la harangue académique d’usage, quand M. de Jouy a déclaré la séance ouverte, et M.  […] Arrivant à parler de lui-même et de l’éloquence de barreau et de tribune, l’orateur, que la froideur de l’auditoire semblait de plus en plus gagner, s’est retrouvé un moment : il caractérisait l’improvisation, il la montrait inégale, incorrecte peut-être, mais indispensable, irrésistible dans les luttes publiques, toujours sur la brèche, le glaive acéré et nu : « L’orateur, s’est-il écrié alors, n’a pas un cahier à la main, il ne lit pas, son œil ne suit pas des lignes, son geste n’y est pas enchaîné ; mais il vit, il regarde, il s’anime de l’impression universelle, etc., etc. » Et, tout en parlant ainsi, son doigt froissait le papier, son regard le dédaignait, et, l’oubliant durant quelques minutes, il s’est mis à lancer de rapides étincelles que le public lui a rendues en longs applaudissements.

1021. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre X. De la simplicité du style »

Sous prétexte que toucher ou convaincre son lecteur, c’est sacrifier l’art en le subordonnant à une autre fin que lui-même, on vide son discours de toute vérité, que la raison, la conscience ou le cœur pourraient saisir : on poursuit une beauté toute matérielle et physique, que nul mélange du vrai, du bien, du beau moral même ne vient corrompre, et l’on travaille son style pour l’œil et l’oreille du public : on se fait ciseleur, coloriste ; on sculpte des phrases marmoréennes, on exécute d’étourdissantes variations ; on a une riche palette, un clavier étendu. […] Les mots propres à être ouïs de tous, et les phrases propres à ces mots, sont ridicules, lorsqu’on ne doit parler qu’aux yeux et pour ainsi dire à l’oreille de son lecteur. » On ne parle pas devant cent personnes comme devant une seule ; le choix de mots, la correction de phrases, qui sont nécessaires, quand on écrit, deviennent ridicules quand on cause ; et je ne sais pas de gens plus fastidieux que ceux qui, dans la conversation, parlent comme un livre.

1022. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rollinat, Maurice (1846-1903) »

Et si l’on recherche dans le livre du poète la raison d’un si mauvais état de conscience, et sur la face de l’acteur, pourquoi il se convulse, élève sa moustache en découvrant la bouche, cligne des yeux terribles, montre les dents et prend un air de tigre pour chanter les papillons, on voit que cette raison est la femme. […] C’est un musicien d’originalité étrange, aussi un très sincère et intuitif peintre de la nature, des plaines profondes où l’œil s’hallucine d’infini, des maisons tristes aux tristes hôtes, des banalités inquiétantes d’une ferme ou d’une métairie, du petit monde bourbeux et féroce d’une mare, des grenouilles, des crapauds.

1023. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 348-356

Tous les obstacles ont été surmontés ; il a su même dérober, aux yeux du Lecteur, les efforts pénibles qu’exigeoient le débrouillement des matieres & l’ingratitude du sujet qu’il avoit à traiter. […] Semblable à un Architecte, qui, sur les débris informes d’un édifice miné, en traceroit le plan, en dessineroit les proportions, en sentiroit les beautés & les défauts, & assigneroit, sur les plus foibles indices, la cause de sa chute : son génie, par d’heureuses combinaisons, a ranimé les objets effacés, a rappelé ceux qui avoient disparu, en a recréé de nouveaux, pour achever le tableau qu’il vouloit mettre sous les yeux.

1024. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Hallé » pp. 71-73

Autour, le prévôt des marchands, ou une monstrueuse femme grosse déguisée, tout l’échevinage, tout le gouvernement de la ville, une multitude de longs rabats, de perruques effrayantes, de volumineuses robes rouges et noires, tous ces gens debout, parce qu’ils sont honnêtes ; et tous les yeux tournés vers l’angle supérieur droit de la scène, d’où Minerve descend accompagnée d’une petite paix, que l’immensité du lieu et des autres personnages achève de rapetisser. […] Il y a un autre mérite que peu d’artistes auroient eu et que beaucoup moins de spectateurs auroient senti ; c’est dans une multitude de figures, toutes debous, toutes vêtues de même, toutes rangées autour d’une table quarrée, toutes les yeux attachés vers le même point de la toile, des positions naturelles, des mouvements de bras, de jambes, de tête, de corps si variés, si simples, si imperceptibles, que tout y contraste, mais de ce contraste, inspiré par l’organisation particulière de chaque individu, par sa place, par son ensemble ; de ce contraste non étudié, non académique, de ce contraste de nature.

1025. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 12, qu’un ouvrage nous interesse en deux manieres : comme étant un homme en general, et comme étant un certain homme en particulier » pp. 73-80

Tel est l’interêt que prend une nation au poëme qui décrit les principaux évenemens de son histoire, et qui parle des villes, des fleuves et des édifices sans cesse présens à ses yeux. […] Il est vrai que toutes les nations de l’Europe lisent encore l’éneïde de Virgile avec un plaisir infini, quoique les objets que ce poëme décrit ne soïent plus sous leurs yeux, et quoiqu’elles ne prennent pas le même interêt à la fondation de l’empire romain que les contemporains de Virgile, dont les plus considerables se disoient encore descendus des heros qu’il chante.

1026. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

» — Le tout finit et se couronne par un pompeux éloge de la France : « Charles, Clotilde, augustes époux, vous allez retracer à nos yeux les vertus de Ferdinande et de Victor ! […] Raymond n’en indique que deux, mais j’ai eu sous les yeux la quatrième  ; elles parurent d’avril à juillet 1793. […] N. vous gardait même après cette déclaration, elle vous aimerait comme ses yeux ; c’est moi qui vous le dis. […] Vous couronnerez avec certitude la révolution commencée par la philosophie. » « Il faudrait avoir les yeux pochés pour ne pas voir ici un homme en colère, qui se console du décret dans la préface. […] Si j’avais sous les yeux le tableau des ordinations, je pourrais prédire de grands événements…. » En effet, sur ce tableau des ordinations, il aurait trouvé, parmi les noms de la noblesse française qu’il y cherchait, celui de l’abbé-duc de Rohan.

1027. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VII. Les poëtes. » pp. 172-231

Je viens de lire sa correspondance, il n’y a pas peut-être dix lettres vraies ; il est écrivain jusque dans ses épanchements ; ses confidences sont de la rhétorique compassée, et quand il cause avec un ami, il songe toujours à l’imprimeur qui mettra ses effusions sous les yeux du public. […] Cette sorte de poésie ressemble à la cuisine ; il ne faut ni cœur ni génie pour la faire, mais une main légère, un œil attentif et un goût exercé. […] Est-ce qu’il est bien agréable de s’entendre dire : « Vous avez les plus beaux yeux du monde, mais vous vivez de fadaises ?  […] L’attention ne se portait plus que sur les raffinements ; une broderie plus ouvragée, un velours plus éclatant, une plume plus gracieusement posée, c’est à cela que se réduisaient les audaces et les tentatives ; la moindre incorrection, la disparate la plus légère eût choqué les yeux ; on perfectionnait l’infiniment petit. […] Ce désaccord va croître, et des yeux attentifs découvrent vite sous l’enveloppe régulière une espèce d’imagination énergique et précise qui la rompra.

1028. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

Le front large et bossué, l’œil bleu et à fleur de front, le nez gros et arqué, les pommettes relevées, les joues lourdes, les lèvres épaisses, le menton à fossette, le visage rond plutôt qu’ovale ; le cou bref, mais relié par de beaux muscles à la naissance de la poitrine ; les épaules massives, la taille carrée, les jambes courtes ; la stature pesante en apparence, mais souple au fond, tant il y avait de ressort physique et moral pour l’alléger ; mais ce front était si pensif, ces yeux si transparents et si pénétrants à la fois, le nez si aspirant le souffle de l’enthousiasme par ses narines émues, les joues si modelées de creux et de saillies par la pensée ou par les sentiments qui y palpitaient sans cesse, la bouche si fine et si affectueuse, le sourire bon, l’ironie douce et la tendresse compatissante s’y confondaient tellement pour plaisanter et pour aimer sur les mêmes lèvres ; le menton si téméraire, si sarcastique, si défiant et si gracieux tout ensemble en se relevant contre la sottise ; de si belles ombres tombées de ses cheveux, et de si belles lumières écoulées de ses yeux flottaient sur cette physionomie pendant qu’elle s’animait de sa parole ; l’accent de cette parole elle-même, tantôt grave et vibrante comme le temps, tantôt sereine et impassible comme la postérité, tantôt mélancolique et cassée comme la vieillesse, tantôt badine et à double note comme le vent léger de la vie qui se joue le soir sur les cordes insouciantes de l’âme ! […] De son œil malicieux et fin, il les regarde avec un sourire d’intelligence qui leur dit : Je suis un d’entre vous, je suis votre compère, je suis votre ménétrier. […] Chacune de ses chansons prenait ainsi la physionomie de son visage : le front candide, les yeux clignés, la bouche équivoque, les joues joviales, le regard narquois, le demi-sourire, le doigt sur les lèvres ! […] Une laborieuse et fidèle domesticité ne l’aurait pas, à mes yeux, subalternisé moralement davantage ; mais il faut appeler les choses par leur nom : le petit Béranger n’était pas garçon d’auberge ; il était le neveu et le pupille chéri d’une tante aisée, pieuse, lettrée pour sa condition, qui lui prêtait sa maison, sa bourse et son cœur pour l’élever, par une éducation vigilante, à une honorable profession dans la société. […] De ces hameaux c’est la plus belle ; Je veux l’effacer à leurs yeux.

1029. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXIXe entretien. Tacite (2e partie) » pp. 105-184

Mais bientôt, par cette mobilité de résolution, effet de la peur, qui fait que, parmi les choses qu’on redoute, celles qu’on a sous les yeux paraissent toujours plus redoutables, il revient furtivement dans son palais, qu’il trouve vide et désert, car tous ses serviteurs étaient dispersés ou s’évadaient pour éviter sa rencontre. […] » XXXII « Les deux complices, dit Tacite, également frappés, supportaient les opprobres avec une physionomie différente : Marcellus, la menace dans les yeux ; Crispus, un faux sourire sur les lèvres. […] XXXVII Quelle tragédie feinte de poète est comparable à ce quatorzième livre des Annales où Néron, en proie aux trois plus fortes passions de l’homme, l’amour, l’ambition de régner et la peur d’être prévenu dans le crime, se précipite, les yeux fermés, dans le parricide pour y trouver à la fois sa maîtresse, le trône et la vie ? […] « À son départ, il la reconduisit jusqu’au rivage, couvrant des plus tendres baisers les yeux et le sein d’Agrippine, soit pour achever la dissimulation, soit que le dernier aspect de sa mère, qui allait périr, attendrît son âme toute féroce qu’elle était. […] Voyez l’assassin qui sourit pour donner confiance à sa victime, qui s’avance à sa rencontre, qui l’embrasse sur les yeux et sur le sein.

1030. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (3e partie) » pp. 365-427

« La zone du ciel, située entre 50° et 80° de latitude Sud, où se pressent en si grand nombre les nébuleuses et les groupes étoiles, emprunte à la distribution inégale des masses lumineuses un caractère particulier, un aspect qu’on peut dire pittoresque, un charme infini dû à l’agroupement des étoiles de première et de seconde grandeur, et à leur séparation par des régions qui, à l’œil nu, semblent désertes et sans lumière. […] Frappé de surprise, je ne savais si j’en devais croire mes yeux. […] À ses yeux, le calme paisible et majestueux des forêts de l’Europe offre un spectacle bien plus aimable, où il prétend même voir une des causes de la supériorité morale des nations de l’ancien monde. […] Aucune espèce ne saurait être autrement victorieuse qu’aux dépens d’une foule de voisins et d’appuis ; mais le cas particulier du matador est celui qui frappe le plus vivement les yeux. […] L’utilité de cette disposition saute aussi vite aux yeux que celle des arcs-boutants de maçonnerie destinés à soutenir une haute muraille.

1031. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxive Entretien. Réminiscence littéraire. Œuvres de Clotilde de Surville »

Estend ses brasselets ; s’espand sur lui le somme ; Se clost son œil ; plus ne bouge… il s’endort… N’estoit ce tayn floury des couleurs de la pomme, Ne le diriez dans les bras de la mort…. […] Ainz ne compte, à toy seul, d’espuyser sa tendresse, À sa Clotilde en garde bien autant… Qu’aura playzir, en toy, de cerner son ymaige, Ses grands yeux vairs, vifs et pourtant si doulx ! […] Feu de son œil, et roses de son tayn… D’où vient m’en esbahyr ? […] Gentil matin de l’an qui vient d’esclore, Type riant du matin de nos jours, Rien que ton œil ne verdysse et coulore ! […] que vous rende les armes, « Beaulx yeux, tandiz qu’estes d’ombres couverts, « Ainsy fermés, se ne tiens à vos charmes, « Que feriez donc s’estiez possible ouverts ?

1032. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Mais elle voit juste, et son œil retient fidèlement l’impression des choses. […] Les défauts sont énormes et sautent aux yeux. […] Voyez l’envieuse : c’est la cousine Bette, une vieille fille de la campagne, sèche, brune, aux yeux noirs et durs. […] Ainsi s’explique le culte qu’il a voué à Napoléon : Napoléon représente à ses yeux la plus grande somme d’énergie qu’il lui ait été donné de voir ramassée dans un individu. […] Le secret de cette sympathie, c’est peut-être la place que l’amour — toutes les qualités d’amour — tient à ses yeux dans la vie italienne : c’est surtout que le tempérament italien lui semble plus impulsif, plus énergique que le français.

1033. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Tandis que l’homme de la sensation et de l’activité se satisfait de ce monde misérablement ébauché qu’il a devant les yeux, et que l’homme de l’intelligence cherche à le perfectionner, le poète s’indigne des lenteurs, et finit par n’avoir plus que des paroles d’ironie et des chants de désespoir. […] Mais c’est une erreur de s’imaginer que Goethe ne relève que de son pays : le développement de Goethe appartient à la France comme à l’Allemagne, Il suffit de jeter les yeux sur ses Mémoires pour en être convaincu. […] Ne pouvant les suivre dans leurs utopies, il songeait, dans sa force, ou si l’on veut dans sa faiblesse, à tirer d’eux un utile parti ; avec ces hommes de foi, qu’il avait sous les yeux, il songeait à faire de l’art ; il ne s’abandonnait pas à leurs idées, il voulait seulement, comme un miroir fidèle, réfléchir leur image : il travaillait à son Mahomet 6. […] L’Allemagne tournait les yeux vers lui : il ne répondait rien, ou il rendait des oracles douteux. […] L’harmonie donc entre ces trois choses, la Nature, l’Humanité, la Famille, n’existe pas pour Werther ; et la plus grande de ces trois révélations divines, l’Humanité, est aussi celle qui brille le plus faiblement et le plus rarement à ses yeux.

1034. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

Toute chose lui est comme un de ces portraits de maître qui, dans les musées, semblent suivre de l’œil les visiteurs, il n’y a pas dans la nature, telle qu’il la sent, d’objets inanimés ; tout a vie, et le sait ; il n’y a pas d’aspects, mais des visages. […] On craint que, devant ces innombrables yeux ouverts sur sa vie, l’homme, regardé de tous côtés et connu de la nature, ne finisse par moins estimer le privilège de la pensée qui cesse d’être un mystère entre Dieu et lui. […] De là, dans ses œuvres, distinguées plutôt que de premier ordre, la délicatesse tournant à la manière, la finesse à l’énigme ; de là un poète qui, pour se dérober aux yeux des profanes, s’enveloppe d’ombres, et finit par se perdre de vue lui-même. […] Ce que le poète, dans ces prouesses d’art pur, laisse échapper de sentiments délicats et d’aperçus fins sur la vie morale, fait regretter qu’il n’ait pas eu plus souvent besoin de tourner du dehors au dedans un œil qui voit si bien, et qu’il ait semblé parfois se servir de l’art, comme les Orientaux de l’opium, pour se dérober aux souffrances de la pensée. […] Peut-être la critique aurait-elle noté encore, en ses derniers écrits, une mise en œuvre disproportionnée, par moments, à l’importance des faits, si elle avait pu oublier que, réduit par la cécité à chercher par les mains et à voir par les yeux d’autrui, Augustin Thierry s’attachait avec une sorte de passion inquiète à ces faits rendus trop précieux par leur rareté même, et qu’il les agrandissait ou les embellissait à force d’y penser uniquement, dans ce travail où l’histoire finit par se confondre avec une composition poétique.

1035. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

Enfin quelques Wagnéristes fantasques insinuaient que toutes représentations des drames du Maître étaient bonheurs médiocres, au prix du bonheur que leur procurait la lecture de ces drames, dans une chambre bien chaude, avec, dans les oreilles et les yeux, la prestigieuse évocation des fêtes de Bayreuth ! […] Extatique, elle ne détourne pas les yeux d’un portrait accroché à la muraille, et qui représente un homme grave et morose, vêtu de noir. […] » Ni les railleries de ses compagnes, ni les reproches alarmés du chasseur Erick, son fiancé, n’atténuent l’ardeur de son sublime désir ; et, tout à coup, elle a poussé un cri terrible, car le voici, en face d’elle, le sinistre marin dont elle a cent fois contemplé le portrait suspendu à la muraille. — Cette rencontre parmi le silence épouvanté de l’orchestre, silence interrompu par de sourds battements de cœurs oppressés, est si puissamment pathétique que l’on sent, immobile comme Senta elle-même, des larmes d’angoisse vous venir aux yeux. — Eh bien, elle ne renoncera pas à son dessein. Elle accepte l’époux que son père lui offre, et, dans une admirable scène, elle bénit le Hollandais agenouillé qui voit se rouvrir le ciel dans les yeux angéliques de Senta. […] (probablement en contraste au « chatouillement des yeux », qui nous est causé par la lecture de mainte partition de nouveaux opéras allemands) ; mais que même l’amateur de musique allemand enlève les lunettes de ses yeux fatigués et pour une fois se donne sans réserve à la joie d’un beau chant, cela nous montre plus profondément son cœur et nous fait connaître un profond et ardent désir de respirer de nouveau pleinement et fortement pour se faire le cœur libre tout à coup, jeter loin de lui tout le bagage de préjugés et de méchantes pédanteries qui le força si longtemps à être un amateur de musique allemande, et, au lieu de cela, devenir enfin un homme heureux, libre et doué pleinement de cette admirable conception de tout ce qui est beau, sous quelle forme que cela se montre.

1036. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

… Certes, la joie serait grande si, tandis que la musique déroule les émotions d’où naissent les paroles, nous avions devant les yeux, en une correspondance parfaite, le tableau où les émotions, symbolisées dans une forme plastique, se renforceraient d’une vie nouvelle ;, la vie plastique. […] Siegmund debout, arrachant la miraculeuse épée, quand l’orchestre répand ses prodigieuses fanfares ; et, les yeux fermés ou les yeux ouverts, pendant que chante la musique et que les paroles résonnent portées par des voix aussi absolument abstraites que les instruments de l’orchestre, volontiers nous localisons paroles et musiques, et, bien aisément, spontanément, nous recréons votre action scénique, votre mimique, vos décors et tout le drame. […]   L’œil ne pouvait l’endurer, mais l’oreille et le cœur, avec une extase de délices ténébreuses, Avec une terreur et un émerveillement dont les racines étaient la joie et la force de la pensée mise en liberté, Percevait le surgissement d’un arrêt divin, comme une aube ensoleillée surgissante aux regards,       Des profondeurs de la Mer. […] Qu’il soit pourtant permis à un Allemand, à un compatriote de Wagner, d’expliquer ce que signifie à ses yeux l’introduction de la musique de Wagner sur la scène française. […] Rappelons qu’à Bayreuth, la fosse d’orchestre est placée sous la scène et que les musiciens sont totalement cachés aux yeux du public. 

1037. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

C’est que Voltaire est plus qu’un écrivain et plus qu’un poète à nos yeux, c’est une date ; c’est la fin du moyen âge. […] Sous ce premier rapport, c’est-à-dire comme corps destiné à faire naître et à élever le niveau du génie dans la nation, c’est à nos yeux une institution puérile ; nous dirons plus, c’est une institution complétement contraire à son but. […] L’esprit des parlements n’est à nos yeux qu’un esprit de corps qui bornait son indépendance à lui-même. […] Qu’un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort, Moi je pleure et j’espère ; au noir souffle du nord         Je plie et relève ma tête. […] Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux, Sur des fronts abattus, mon aspect dans ces lieux         Ranime presque de la joie.

1038. (1902) La métaphysique positiviste. Revue des Deux Mondes

» la contradiction ne crève-t-elle pas les yeux ? […] La métaphysique du positivisme, que je ne distingue pas, pour le moment de sa religion, bien loin d’être « la plus violente et la plus extraordinaire négation de ses principes », en est au contraire à nos yeux la conséquence nécessaire. […] En tout cas, les rapports des objets qu’ils imitent ne sont pas les mêmes aux yeux d’un Rubens qu’aux yeux d’un Rembrandt, et c’est une des raisons pourquoi nous ne pouvons ni définir la beauté, ni en affirmer l’existence en dehors de nous. […] Ou bien le monde extérieur n’existe pas, n’est qu’une illusion de nos sens, un rêve qu’on ferait les yeux ouverts, une projection des lois de notre intelligence à travers l’espace ou le temps ; — et c’est la première solution. […] Aussi bien, s’il les eût approfondis davantage, les eût-il trouvés tous entachés d’un vice primordial et irrémédiable à ses yeux, qui est, comme l’on dit, de « poser l’absolu » pour en déduire le relatif, ce qui s’appelle répondre à la question par la question ; et, en effet, ce que Comte a poursuivi sous le nom de « Métaphysique » en général, c’est précisément toute philosophie qui débute par l’affirmation de l’« absolu. » Mais au contraire la vraie « métaphysique », la bonne, la sienne !

1039. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

L’ouverture de la scène présente aux yeux une place publique, un palais, un autel ; à la porte du palais d’Œdipe, des enfants, des vieillards prosternés, demandant la fin de leurs maux. […] Ainsi, quand ils viennent rendre compte de ce qui s’est passé sous leurs yeux, ils sont dans cet état de trouble qui naît du mélange des passions. […] Le tumulte des passions qui les agitent, ne les rend eux-mêmes attentifs, dans le désordre d’un premier mouvement, qu’aux traits les plus frappants de ce qui s’est passé sous leurs yeux. […] Racine en avait trois devant les yeux : celui d’Euripide, celui d’Ovide et celui de Sénèque. […] Ote-moi cet objet odieux, Qui reproche ton crime et ta vie à mes yeux.

1040. (1833) De la littérature dramatique. Lettre à M. Victor Hugo pp. 5-47

Ce que je rapporte ici, je l’ai vu, de mes propres yeux vu. […] Passez-moi cette réflexion ; mais je n’ai pu m’empêcher de la faire en songeant qu’un grand orateur, un célèbre jurisconsulte peut très mal raisonner quand il s’agit de théâtre, et qu’il vaut beaucoup mieux une vérité de convention et d’artifice qu’une réalité de nature qui ferait baisser les yeux à la jeune femme de l’avocat, s’il la conduisait aux pièces de son client. Mais revenons, Monsieur, à cet avantage que vous avez eu de pouvoir réclamer votre pièce aux yeux du monde entier. […] À mes yeux un gouvernement est un père de famille, il ne doit permettre à ses enfants que les jeux qui ne peuvent leur nuire, et il montrera encore plus de sollicitude pour eux, si, tout en les amusant, il parvient à les instruire. […] Le Théâtre-Français doit-il être un spectacle pour les yeux ?

1041. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

C’était le printemps même, tout un printemps de poésie qui éclatait à nos yeux. Il n’avait pas dix-huit ans : le front mâle et fier, la joue en fleur et qui gardait encore les roses de l’enfance, la narine enflée du souffle du désir, il s’avançait le talon sonnant et l’œil au ciel, comme assuré de sa conquête et tout plein de l’orgueil de la vie. […] Il en demandait le secret à ses amis plus riches en expérience et encore humides du naufrage, comme on le voit dans les stances à Ulric Guttinguer : Ulric, nul œil des mers n’a mesuré l’abîme..

1042. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — I » pp. 219-230

Son siècle y prêtait, et il ne manque pas de le prendre à témoin pour toutes les contradictions qu’il rassemble : Regardez cet univers, mon aimable amie, jetez les yeux sur ce théâtre d’erreurs et de misères qui nous fait, en le contemplant, déplorer le triste destin de l’homme ! Nous vivons dans le climat et dans le siècle de la philosophie et de la raison ; les lumières de toutes les sciences semblent se réunir à la fois pour éclairer nos yeux et nous guider dans cet obscur labyrinthe de la vie humaine ; les plus beaux génies de tous les âges réunissent leurs leçons pour nous instruire ; d’immenses bibliothèques sont ouvertes au public ; des multitudes de collèges et d’universités nous offrent dès l’enfance l’expérience et la méditation de quatre mille ans ; l’immortalité, la gloire, la richesse et souvent les honneurs sont le prix des plus dignes dans l’art d’instruire et d’éclairer les hommes : tout concourt à perfectionner notre entendement et à prodiguer à chacun de nous tout ce qui peut former et cultiver la raison : en sommes-nous devenus meilleurs ou plus sages ? […] Sa figure, comme celle de tous les puissants mortels qui ont excité enthousiasme et colère, ainsi aperçue de loin à travers un nuage de lumière et de poussière, se transformerait à nos yeux : nous le ferions trop grand, trop beau ou trop laid, trop génie ou trop monstre.

1043. (1874) Premiers lundis. Tome I « Alexandre Duval de l’Académie Française : Charles II, ou le Labyrinthe de Woodstock »

Et d’abord nous partirons d’un fait incontestable et qui, jugé diversement, interprété en bonne ou en mauvaise part, saute du moins à tous les yeux. […] Duval, est à nos yeux une preuve nouvelle de ce bon sens et de ce bon goût sur lequel nous comptons. […] On comprend que nous n’ayons pas eu à répéter ici les articles que l’auteur lui-même a recueillis, dès ce temps-là ; dans le premier de ces deux ouvrages, et qui avaient paru, en 1827, dans le Globe. — Et à ce propos d’omissions volontaires, qu’il nous soit encore permis de répondre d’avance à une objection qui ne manquera pas de nous être faite par les curieux : pourquoi ne retrouve-t-on pas ici quelques autres articles dont la signature saute çà et là aux yeux dans le Globe d’avant 1830 ?

1044. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Nous avons sous les yeux un roman nouveau intitulé la Saint-Simonienne, par madame Joséphine Le Bassu. […] tu n’es plus solitaire et sans joie ; Dans la nue, au désert, perdue à tous les yeux, Quand tu veux te guider, tu regardes la voie Où marche en grossissant le groupe harmonieux. […] Il s’est délassé, cette fois, de la passion sérieuse en persiflant méchamment les pauvres amoureux qui s’éprennent de fantastiques beautés brunes, aux yeux verts et transparents, aux lèvres minces, fines et pâles, aux rares paroles, au profil mélancolique et sévère.

1045. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. Troplong : De la chute de la République romaine »

L’histoire de ces temps peut donc servir à la nôtre, ou plutôt le spectacle de ce que nous avons eu sous les yeux et le sentiment de ce que nous avons observé nous-mêmes peuvent nous servir à entendre complètement cette histoire du passé ; car c’est moins l’histoire ancienne qui, en général, éclaire le présent, que l’expérience du présent qui sert à rendre tout leur sens et toute leur clarté aux tableaux transmis et plus ou moins effacés des anciennes histoires. […] Mais, les yeux fixés avec admiration sur les sommets les plus lointains et les plus âpres du passé, il ne voyait pas les moissons florissantes que l’équité et l’humanité des mœurs avaient fait naître dans le champ d’une civilisation plus moderne. […] Tenir à la fois présents tous les ressorts, y avoir l’œil pour les tendre et les détendre insensiblement : prendre une détermination dans les crises, la maintenir ou ne la modifier qu’autant qu’il faut pendant les difficultés et les lenteurs de l’exécution ; être naturellement secret ; porter légèrement tout ce poids sans que le front en ait un nuage ; entremêler la paix à la guerre, et, sans faiblir, les mener de front, songer en toutes deux au nécessaire, c’est-à-dire aussi, chez de certaines nations, à la grandeur des résultats et à la gloire : dans le même temps exalter les courages et continuer d’apaiser les passions, les tenir comprimées de telle sorte que les gens de bien, selon la belle expression de Richelieu, dorment en paix à l’ombre de vos veilles, et que les laborieux dont la masse de la société se compose se livrent en tous sens au développement légitime de leur activité, que dis-je ?

1046. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre premier. Pour faire des Tragédies qui puissent intéresser le public en 1823, faut-il suivre les errements de Racine ou ceux de Shakspeare ? » pp. 9-27

Essayez d’écarter pour un moment le voile jeté par l’habitude, sur des actions qui ont lieu si vite, que vous en avez presque perdu le pouvoir de les suivre de l’œil et de les voir se passer. […] Le spectateur, quand il n’est pas un pédant, s’occupe uniquement des faits et des développements de passions que l’on met sous ses yeux. […] Vos sentiments ne sont pas quelque chose de matériel que je puisse extraire de votre propre cœur, et mettre sous vos yeux pour vous confondre.

1047. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre III. Association des mots entre eux et des mots avec les idées »

Un champ de blé met une vision dorée dans les yeux du peintre : le paysan y voit tant de sacs qui valent tant sur le marché. […] La cause est précisément que les mots, bornés à leur objet propre, ne sollicitent pas l’esprit à penser au-delà de leur sens, ne lui ouvrent point de vue sur des choses inexprimées ; la phrase n’a ni dessous ni profondeurs ; mettant toute sa richesse en dehors et comme en étalage, ne tenant rien en réserve, elle est toisée, prisée d’un coup d’œil : il y manque ces groupes d’images et d’idées, qui, surgissant derrière les mots, saisissent l’esprit et transforment la lecture distraite des yeux en une avide curiosité de toute l’âme. […] Sully-Prudhomme écrit : Les villages sont pleins de ces petites filles Roses avec des yeux rafraîchissants à voir, Qui jasent en courant sous le toit du lavoir ; Leur enfance joyeuse enrichit leurs guenilles, il exclut, par le choix et la combinaison des mots, toutes les images désagréables ou répugnantes que la misère et les guenilles peuvent suggérer : s’il en surgissait une seule, tout le morceau en serait gâté et manquerait son effet.

1048. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « José-Maria de Heredia.. »

J’ai vu parfois, ayant le ciel bleu pour émail, Les nuages d’argent et de pourpre et de cuivre, A l’Occident, où l’œil s’éblouit à les suivre, Peindre d’un grand blason le céleste vitrail. […] Et le vent gonfle, ainsi que deux immenses voiles, Les ailes qui, volant d’étoiles en étoiles, Aux amants enivrés font un tiède berceau ; Tandis que, l’œil au ciel et s’étreignant dans l’ombre, Ils voient, étincelant du Bélier au Verseau, Leurs constellations poindre dans l’azur sombre. […] Rappelez-vous l’adorable sonnet Sur un marbre brisé, où la bonne Nature enveloppe de feuilles et de fleurs la vieille statue éclopée : La mousse fut pieuse en fermant ses yeux mornes… Lisez les « sonnets épigraphiques » : le Dieu Hétre, Nymphis Augustis sacrum, le Vœu.

1049. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre V. Le théâtre des Gelosi (suite) » pp. 81-102

Vous ne pouviez rien faire que vous ne fussiez bientôt excusé à mes yeux. […] Je ne crois point qu’Isabelle Soit une femme mortelle, C’est plutôt quelqu’un des dieux Qui s’est déguisé en femme Afin de nous ravir l’âme Par l’oreille et par les yeux. […] Magnin, confirme les nombreux éloges adressés à la beauté d’Isabelle ; son profil est à la fois correct et expressif, et en la voyant dans ses gracieux atours florentins, on croit presque avoir sous les yeux un portrait de mademoiselle Rachel dans le costume de Marie Stuart », toutefois avec un peu plus d’embonpoint.

1050. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

Écoutez ce qu’en dit le languide poète Ivanof, au geste de Christ épuisé : Ce qui chiffonne les femmes, C’est qu’on n’peut pas voir ses yeux… Le gauch’, qui leur lanc’ des flammes, Est couvert d’un’ mèch’ de ch’veux… L’autre, un lorgnon le réclame… Ah ! […] c’est le maître Verlaine qui fait son entrée, Le feutre en guise d’auréole, escorté d’une cour de fidèles parmi lesquels Jules Tellier aux yeux caves et Henri d’Argis, au visage glabre. […] Il suffit d’ouvrir les yeux pour se rendre compte qu’un souci d’art a pénétré presque dans les détails familiers de notre vie quotidienne.

1051. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIII, les Atrides. »

Le dieu était censé ne rien voir ou fermer les yeux. […] Cependant des signes effrayants menacent l’abominable banquet : les Pléiades ferment leurs yeux d’étoiles pour ne point le voir, le Soleil rebrousse chemin dans le ciel, une famine dévorante sévit sur Argos. […] Atrée le fait chercher par tous les pays de l’Hellade, mais Thyeste erre, comme Caïn « agité et fugitif sur la terre » ; il échappe à tous les yeux et il déroute tous les pas.

1052. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 13, de la saltation ou de l’art du geste, appellé par quelques auteurs la musique hypocritique » pp. 211-233

En un autre endroit, pour dire que Venus ne déclamoit que des yeux, il dit qu’elle ne dansoit que des yeux. […] Ce geste, qui, pour user d’une expression poëtique, parle aux yeux, donne bien plus de force au discours.

1053. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

Églé et l’Amoureux de quinze ans sont deux tableaux d’un dessin pur et gracieux ; et cependant, lorsque l’auteur se livre à des compositions dramatiques, on voit que c’est encore la muse de la chanson qui l’inspire ; elle veut essayer un ton plus grave, des manières plus imposantes, mais elle se trahit à la naïveté de son langage, à la délicatesse de ses formes, et l’œil le moins clairvoyant reconnaît Érato sous le masque de Thalie. […] N’attendez pas, Messieurs, que je soulève le voile qui les dérobe à vos yeux ; ne croyez pas que je déroule devant vous cette longue liste de productions monstrueuses dans lesquelles le bon goût, la langue et les mœurs furent également outragés. […] Ton œil perçant saurait bien découvrir la fausseté sous les attributs de la franchise ; la vanité, sous l’extérieur de la bonhomie ; et l’égoïsme, sous le faste de la bienfaisance.

1054. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVIII. Souvenirs d’une Cosaque »

C’est qu’après l’avoir lue, cette femme indisciplinée qui ne relève que d’elle-même, — qui a l’ivresse et la folie du plus satané orgueil que le diable, auquel elle ne croit pas, mais à qui elle fait croire, ait jamais départi à une aimable femme, on n’a plus sous les yeux qu’une personne ou assez modeste, ou assez prudente, ou assez sournoise pour se mettre derrière le nom de M.  […] ce n’est pas elle qui jamais, comme certains sauvages, dans leur frénésie, aurait, avec ses dents, coupé sa langue pour la cracher à la face de son ennemi ; elle aime mieux la garder pour parler contre lui et faire des conférences, — car elle en fait, à ce qu’il paraît, ce qui n’est pas du tout équestre, du tout amazone, du tout Alfieri, du tout cosaque, — mais ce qui est parfaitement parisien, parfaitement bas-bleu, et parfaitement conforme au genre d’âme qu’elle a, — une âme d’actrice, qui préfère à tout, à tous les amours comme à toutes les vengeances, les yeux des galeries et les applaudissements des parterres ! […] … Je ne dis pas que, dans son livre, elle en impose, mais je dis qu’elle y pose… Elle s’y peint en fer, et même en fer rouge ; mais c’est pour l’effet qui, avec cette femme de bruit, est du bruit encore, car l’effet c’est le bruit des yeux.

1055. (1880) Goethe et Diderot « Note : entretiens de Goethe et d’Eckermann Traduits par M. J.-N. Charles »

Gœthe, en effet, cet habile, qui aurait le plus grand génie si le génie était jamais une résultante d’habileté ; Gœthe, ce savant metteur en œuvre, ce roué d’art, de moyens et de réussite, qui dans sa vie fut ce qu’il est toujours dans ses ouvrages : un homme d’effet calculé ; Gœthe, enfin, le puissant jeteur de poudre aux yeux, paraîtra, à ceux qu’il n’a pas tout à fait aveuglés, effroyablement diminué par les révélations d’Eckermann. […] L’oracle parlait très bien tout seul, comme l’Océan sur son rivage ; mais, quand il se taisait et somnolait, Eckermann le réveillait et le provoquait, lui étalait sous les yeux quelque sujet de thèse, et le « Thomas, quid dicis ?  […] La chassie de l’admiration a bouché ses yeux à tout éclair.

1056. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIII. M. Nicolardot. Ménage et Finances de Voltaire » pp. 297-310

À nos yeux, tout livre sur le xviiie  siècle, quand il en démontre le vice, ne peut être passé sous silence par la Critique du xixe , du moins à la date où nous sommes… Le livre de M.  […] À ce déchiquètement moral de la vie d’un homme qui, lui aussi, déchiqueta pendant soixante ans tant de réputations au gré de ses passions et de ses caprices, on croirait à cette espèce de haine qui dit œil pour œil et dent pour dent, et on se tromperait.

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