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837. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de mademoiselle Bertin sur la reine Marie-Antoinette »

Que les hommes qui vivent dans une révolution, et qui en sont ou spectateurs éclairés ou acteurs principaux, lèguent à la postérité le dépôt fidèle de leurs souvenirs, c’est un devoir que nous réclamons d’eux ; que ceux mêmes qui, dans une situation secondaire, n’ont vu qu’un coin du vaste tableau et n’en ont observé que quelques scènes, nous apportent leur petit tribut de révélations, il sera encore reçu avec bienveillance ; et si surtout l’auteur nous peint l’intérieur d’une cour dans un temps où les affaires publiques n’étaient guère que des affaires privées, s’il nous montre au naturel d’augustes personnages dans cette transition cruelle de l’extrême fortune à l’extrême misère, notre curiosité avide pardonnera, agrandira les moindres détails ; impunément l’auteur nous entretiendra de lui, pourvu qu’il nous parle des autres ; à la faveur d’un mot heureux, on passera à madame Campan tous les riens de l’antichambre et du boudoir : mais que s’en vienne à nous d’un pas délibéré, force rubans et papiers à la main, mademoiselle Rose Bertin, modiste de la reine, enseigne du Trait galant, adressant ses Mémoires aux siècles à venir, la gravité du lecteur n’y tiendra pas ; et, pour mon compte, je suis tenté d’abord de demander le montant du mémoire. Ce livre est pauvre de faits : malgré son assiduité à la toilette, l’auteur n’y paraît que peu instruite des affaires de cour ; elle nous transmet çà et là des mots échappés à sa maîtresse ; elle la justifie d’avoir surnommé la duchesse de Noailles madame de l’étiquette, et d’avoir appelé des médailles les femmes qui avaient atteint leur cinquième lustre. […] Tel était l’ascendant de sa beauté et de ses manières, qu’elle subjugua tous ceux qui l’entourèrent et la connurent : pour ses femmes de chambre, ses fournisseurs, et les hommes de cour, il n’y a rien que de simple ; mais le charme s’étendit plus loin : l’allier Mirabeau fut peut-être autant amolli par ses douces paroles que par cet acte impur qui pèse sur sa mémoire ; quelques heures de conversation au retour de Varennes lui conquirent à jamais Barnave ; un mot de sa bouche fit tomber à ses pieds Dumouriez en pleurs ; les femmes du 20 juin elles-mêmes furent émues quand elles la virent.

838. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XXII. L’affichage moderne » pp. 283-287

Il suffit qu’un mot, énorme, coure le long des murs. Le promeneur, obsédé, trouve en rentrant chez lui, dans son journal, le commentaire insinuant du mot hurleur. Comment forcer l’attention sur ce mot ?

839. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 122-127

Boileau a très-bien jugé ce Poëte ; quand il a dit après avoir parlé de Marot : Ronsard, qui le suivit, par une autre méthode, Réglant tout, brouillant tout, fit un Art à sa mode, Et toutefois long-temps eut un heureux destin ; Mais sa Muse, en François, parlant Grec & Latin, Vit dans l'âge suivant, par un retour grotesque, Tomber de ses grands mots le faste pédantesque. […] Ce n'est pas tout, Ronsard égara une foule d'Imitateurs, qui crurent, d'après son exemple, ne pouvoir mériter le suffrage des Lecteurs, qu'en entassant des mots barbares, qu'en étalant une folle érudition, & qu'en s'enveloppant dans un entortillage de pensées ; abus ridicule dont on ne tarda pas à revenir, & que tout esprit censé auroit rejeté avec indignation. […] Ronsard, pour le peindre en deux mots, avoit les principales qualités qui font les grands Poëtes, la force & le brillant de l'imagination, la fécondité de l'esprit, les agrémens de la fiction, cette invention heureuse, l'ame de la Poésie.

840. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre IV. Le Père. — Priam. »

Étudiez le discours de Priam : vous verrez que le second mot prononcé par l’infortuné monarque est celui de père, πατρὸς ; la seconde pensée, dans le même vers, est un éloge pour l’orgueilleux Achille, θεοῖς ἐπιείκελ’ Ἀχιλλεῦ, Achille semblable aux dieux. […] Jusque-là, Priam n’a pas encore osé dire un mot de lui-même ; mais soudain se présente un rapport qu’il saisit avec une simplicité touchante : Comme moi, dit-il, il touche au dernier terme de la vieillesse. […] D’abord il se garde bien de nommer le héros troyen ; il dit seulement, il y en avait un, et il ne nomme Hector à son vainqueur, qu’après lui avoir dit qu’il l’a tué combattant pour la patrie ; Τὸν σὺ πρώην κτεῖνα ; ἀμυνόμενον περὶ πάτρης : il ajoute alors le simple mot Hector, Ἔκτορα.

841. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre II. Dryden. »

À la vérité Dryden épure et éclaircit le sien en introduisant le raisonnement serré et les mots exacts. […] Il y a des mots naturels : le poëte écrit et pense trop sainement pour ne pas les trouver quand il en a besoin. […] » lui dit Antoine en l’abordant. —  « Ce mot-là est dur. […] Il y a de la jalousie dans ce dernier mot. […] Le mot d’Auguste sur Horace est charmant, mais on ne peut citer, même en latin.

842. (1890) Le réalisme et le naturalisme dans la littérature et dans l’art pp. -399

  Le mot qui nous paraît exprimer le plus clairement tout ce qui s’est fait en Europe après les agitations morales de la Révolution et les bouleversements matériels des guerres de la République et de l’Empire, c’est encore le mot Restauration pris à la lettre. […] Il a établi l’égalité parmi les hommes, comme parmi les mots, en dérangeant cette justice naturelle qui gît dans l’inégalité. […] Le seul travail d’adaptation qu’il ait à faire, c’est de remplacer le mot « médecin » par le mot « romancier ». […]   L’heure est venue de prononcer un mot qui résume la matière de tant de romans français, le mot que lança Sainte-Beuve, alarmé plus encore qu’intéressé contre l’ordinaire, et clairvoyant comme toujours. C’est le mot de physiologie qui a passé des traités spéciaux de médecine dans les œuvres de l’art.

843. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

Après quatre mois de silence, il n’hésita plus ; un mot la lui rendit. […] « De son cachet littéraire, s’il peut être ici question de cela, je ne dirai qu’un mot. […] Quelques jours après il me l’envoyait copiée, avec ce mot :   « Saint-Point, 24 août 1829. […] Moi, pédant (tout ignorant que je suis), je trouverais bien encore à guerroyer contre quelques mots, quelques phrases ; mais vous vous amendez de si bonne grâce et de vous-même, qu’il ne faut que vous attendre à un troisième volume. […] Quand vous vous servez du mot de Seigneur, vous me faites penser à ces cardinaux anciens qui remerciaient Jupiter et tous les dieux de l’Olympe de l’élection d’un nouveau pape.

844. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Encore quelques mots de M.  […] Mendès lui donna un mot pour M.  […] On sait que le groupe d’écrivains dit naturaliste (puisqu’il faut employer ce mot) se réunit chez M.  […] Thérèse Raquin et Gervaise doivent plus de gros mots à Mme Fernel. […] Ces feuilletons pourraient former des volumes ; nous résumerons en quelques mots, ce qui a été dit.

845. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

En un mot, il peint les hommes tels qu’ils devraient être et non tels qu’ils sont. […] Dès que je pus glisser deux mots, j’insinuai que je connaissais l’Allemagne. […] Seulement au lieu de substituer toujours des idées à des mots, son action s’est souvent bornée à substituer des mots nouveaux à des mots anciens. […] ce mot a fixé mon destin. […] Passez-moi le mot ; il est historique.

846. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

Pour parodier un mot d’épigramme, le parisianisme ne fait rien et nuit à qui veut faire. […] Un dernier mot explique enfin son succès : M.  […] L’œuvre de Loti ne répond qu’un mot : Jamais. […] … Peut-être dans ma puissance d’aimer ai-je compris ce mot incompréhensible. […] Il faudrait, en un mot, pour bien écrire, oublier que l’on écrit.

847. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — [Introduction] » pp. 132-142

Pour nous, qui n’avons pas l’avantage d’appartenir à cette double famille, mais qui savons en apprécier bien des qualités et des mérites, nous demandons à dire quelques mots de l’intéressant ouvrage que nous annonçons, à le louer comme il convient, et en même temps à soumettre à l’auteur quelques critiques ou observations, soit sur des points particuliers, soit sur l’ensemble. […] Vingt ans après, La Motte réveille les hostilités en publiant son imitation en vers de L’Iliade, accompagnée d’un discours irrévérent Sur Homère (1714) ; Mme Dacier prend feu, les érudits se fâchent ; on en vient aux gros mots. […] En un mot, il y a un peu trop de choses, trop de noms (bien que le mien n’ait pas à s’en plaindre) dans ces chapitres que je considère comme préliminaires. […] Quand le petit abbé de Pons élevait sa voix pointue, et dardait contre les adhérents de Mme Dacier son mot favori, le parti des érudits, il avait l’air de monter au Capitole… Ce qui achève de peindre l’abbé de Pons et le public demi-lettré qu’il représente, c’est qu’il se donnait un air de philosophe et faisait sonner bien haut les grands mots d’indépendance et d’émancipation de l’esprit humain.

848. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Appendice à l’article sur Joseph de Maistre »

On sait la phrase finale du Pape, dans laquelle il est fait allusion au mot de Michel-Ange parlant du Panthéon : Je le mettrai en l’air. « Quinze siècles, écrit M. de Maistre, avaient passé sur la Ville sainte lorsque le génie chrétien, jusqu’à la fin vainqueur du paganisme, osa porter le Panthéon dans les airs, pour n’en faire que la couronne de son temple fameux, le centre de l’unité catholique, le chef-d’œuvre de l’art humain, etc., etc. » Cette phrase pompeuse et spécieuse, symbolique, comme nous les aimons tant, n’avait pas échappé au coup d’œil sérieux de M.  […] Il en faut (j’entends de l’impertinence) dans certains ouvrages, comme du poivre dans les ragoûts. » Ceci rentre tout à fait dans la manière originale et propre, dans l’entrain de ce grand jouteur, qui disait encore qu’un peu d’exagération est le mensonge des honnêtes gens. — A un certain endroit, dans le portrait de quelque hérétique, il avait lâché le mot polisson  ; prenant lui-même les devants et courant après : « C’est un mot que j’ai mis là uniquement pour tenter votre goût, écrivait-il. Vous ne m’en avez rien dit ; cependant des personnes en qui je dois avoir confiance prétendent qu’il ne passera pas, et je le crois de même. » Mais, de ces mots-là, quelques-uns ont passé par manière d’essai, pour tenter notre goût aussi, à nous lecteurs français, lecteurs de Paris : nous voilà bien prévenus. […] Il entend, il comprend, était le mot de passe, faute de quoi on était exclu à jamais de la sphère supérieure des belles et fines pensées.

849. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VII. Narrations. — Dialogues. — Dissertations. »

Exposer son sujet, c’est-à-dire indiquer le temps, le lieu, toutes les circonstances particulières, présenter les personnages, marquer les caractères, annoncer l’action qui va mettre aux prises ces personnages et ces caractères, en rappelant tous les événements antérieurs qu’il est nécessaire de connaître pour comprendre ce qui va se passer ensuite ; développer le sujet, c’est-à-dire montrer le jeu des caractères, l’évolution des idées et des sentiments, la série des faits qui résultent des états d’âme et qui les modifient aussi, faire agir en un mot et souffrir les personnages, dénouer enfin le sujet, c’est-à-dire pousser l’action et les caractères vers un but où l’une s’achève et les autres se complètent, de telle sorte que le lecteur n’ait plus rien à désirer et que toutes les promesses du début soient remplies, voilà la formule classique de l’œuvre dramatique, qui s’adapte merveilleusement aux conditions des brèves narrations. […] Quand deux personnes causent, c’est par une série d’allusions : elles savent ce dont elles parlent, elles se connaissent, et un mot en dit long pour chacune d’elles. […] Le problème à résoudre, délicat, s’il en fut, est de choisir dans le dialogue réel les mots expressifs, de les achever au besoin, et de se servir ainsi de la réalité sensible épurée et modifiée sans violence, pour atteindre et manifester le vrai intime et invisible. […] Et s’ils font des peintures saisissantes, des dialogues émouvants avec des incidents insignifiants, et des mots inexpressifs, c’est que l’adoption même de ces détails, de ces mots, leur accueil et leur place dans le cadre que l’auteur a tracé, leur donnent une signification d’autant plus profonde, une expression d’autant plus intense, qu’elles sont plus inattendues.

850. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 272-292

Ce mot Grec n’a jamais signifié autre chose que récit, narration. […] En vain nous dira-t-on que la Fable ou l’action de l’Epopée doit être racontée par un Poëte ; il faut entendre d’abord l’idée qu’on attache à ce mot. […] Elle apprend, en un mot, à respecter la Religion, à écouter la voix de la belle Nature, à aimer son pere, sa patrie, à être citoyen, ami, malheureux, esclave même, si le sort le veut. […] Dacier fait, sur ce mot d’Aristote, la remarque suivante : « Comme le mot Ἔπος ne se disoit pas moins, chez les Grecs, de la Prose que des Vers, ce Législateur de la Poésie a fort bien pu comprendre, sous le nom d’Epopée ou de Poëme Epique, les Discours en prose, puisqu’en effet, ils peuvent être de véritables Poemes épiques.

851. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VIII »

. — Un mot de Louis Veuillot. — Les œuvres banales peuvent-elles réussir ? […] Albalat, en ce qui concerne Fénelon, a cette fois le dernier mot, car, s’il est exact, comme l’a dit M. de Gourmont, que Télémaque fut une réaction salutaire contre la carnavalesque antiquité des romans galants de la Fronde, et si l’on ne peut nier que plus tard l’archevêque de Cambrai fit ses preuves d’écrivain, par contre, les corrections de son manuscrit trahissent une recherche vraiment dépravée des lieux communs les plus stériles et des plus pitoyables fleurs de rhétorique. […] En disant par exemple : « Ce vieillard noble et majestueux, son teint frais et vermeil, … sa démarche douce et légère, les prés fleuris, ses fougueux désirs, la sombre demeure de Pluton, … les mains glacées de la mort », etc., Fénelon aurait expressément voulu signifier ceci : Ce vieillard était noble et majestueux et non pas sordide et vulgaire ; ce teint était frais et vermeil, et non pas fané et pâle ; la demeure de Pluton est sombre, et non pas claire ; sa démarche est douce et légère, et non pas insolente et lourde, Quand il dit : « Ce secret s’échappa du fond de son cœur », ce serait pour donner plus de force que s’il eût dit : « Ce secret s’échappa de son cœur », Quand il remplace « troupeaux » par « tendres agneaux », c’est pour mieux accentuer l’innocence des victimes ; quand il dit : « Comme un serpent sous les fleurs », c’est pour peindre l’astuce et le danger, et lorsqu’il répète six fois par page (voir nos citations) le mot doux, c’est probablement encore pour souligner l’idée de douceur.‌ […] Il est évident, en effet, que les pires auteurs ont toujours l’intention de signifier quelque chose, quand ils ajoutent une épithète qui ne signifie rien, et il est non moins évident que même les mots qui ne signifient rien signifient au fond toujours quelque chose. […] Pour les répétitions de mots, par exemple, on m’objecte triomphalement un passage de Pascal, qui les autorise quand la clarté l’exige.

852. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Louis XIV. Quinze ans de règne »

Si on ajoute à cela qu’aucune époque n’affecta plus que la nôtre d’être éprise des travaux d’ensemble, qu’aucune ne rêva davantage l’unité, du moins dans ses œuvres philosophiques et littéraires, et ne se donna plus de peine stérile pour consommer le grand mariage de l’Analyse et de la Synthèse (ses mots favoris), on sera en droit de s’étonner que l’histoire du xviiie  siècle soit encore à faire, et que nous, les fils du xixe , nous ayons échappé, en ne l’écrivant pas, aux deux plus puissantes tyrannies de notre pensée, — nos sympathies et nos prétentions ! […] Le xviie  siècle venait d’expirer, et celui-là qui lui succédait allait bientôt justifier le mot contemplatif du vieux Mathieu dans son Louis XI : « Les grandes montées font les grandes descentes. » Le scandale du testament de Charles II éclatait, comme une trahison de Louis XIV, quoique Louis XIV — et Moret le rappelle avec raison dans son histoire — ne fût pour rien dans la dictée de ce testament, inspiré (ou imposé peut-être) par le génie du patriotisme espagnol à la tête imbécile de Charles II. […] Tel est, en peu de mots, le sujet de ce premier volume. […] On nous permettra un mot encore. […] Quand on a lu son livre des Quinze ans du règne de Louis XIV, on a certainement quelques notions justes de plus, quelques faits de plus dans la tête, bien époussetés et bien éclaircis, mais on n’a pas une vue nouvelle, — une de ces traînées de lumière, ou même, simplement, un de ces points fixes et lumineux que les hommes qui fécondent les événements par la méditation allument dans l’esprit avec une phrase ou avec un mot.

853. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire de la Révolution »

Ce n’est donc pas le mot de Montesquieu qui a trompé Castille ; ce n’est pas la perspective que ce mot entrouvre qui a faussé le coup d’œil de l’historien quand il s’est agi des proportions de son ouvrage. […] C’est bien quelque chose que de n’avoir pas écrit, même par distraction, une seule fois le nom de Dieu dans un volume de cinq cents pages où il s’agit d’un des plus grands événements qui se soient passés sur la terre, et d’avoir substitué à ce nom de Dieu, qui éclaire et apaise l’histoire, les mots de vent, de souffle, de trombe et de nécessité ! […] Évidemment, l’homme qui se sert de cette plume-là et sait partager, en la racontant, l’impatience de sang et de fierté des hommes qui furent les ennemis de sa cause, est fait pour autre chose que pour être un fataliste historique et rester l’écrivain qui, par amour du style, ne trouve rien de mieux que de mettre le mot « trombe » à la place du mot Dieu !

854. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVII. Mémoires du duc de Luynes, publiés par MM. Dussieux et Soulier » pp. 355-368

Pour leur donner vis-à-vis du public plus de solidité et de consistance et piper le bruit, on a écrit au frontispice de ces Mémoires cette ligne majestueuse : « Publiés sous le patronage (on a oublié le mot haut) de M. le duc de Luynes (ce qui fait deux ducs), par MM.  […] … Certes, voilà le cas de dire le vieux mot que j’aime « toutes les herbes de la Saint-Jean » y sont, n’est-ce pas ? […] le hasard d’un mot spirituel ! […] Aussi, quand nous, venus longtemps après tous les effacements de la révolution française, nous ne lisons le duc de Luynes, qui n’était pas un écrivain, qu’à cause de son nom qui dit le rang qu’il tint et celui de son petit-fils, qui autorise la publication de ses mémoires, et quand nous ne trouvons à la place des choses qu’il pouvait savoir en raison même de son rang, que les vieilles inanités déjà connues, certes, nous avons le droit de dire que nous sommes, qu’on me passe le mot : attrapés ! […] L’amour des faits nous a-t-il donc fait tomber si bas que nous nous intéressions à des choses aussi insignifiantes, et, lâchons le mot !

855. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Th. Carlyle » pp. 243-258

Un autre petit homme dans l’Histoire avait, comme Carlyle, écrit précisément celle de la Révolution française, n’ayant souci de rien que de se montrer révolutionnaire dans cette histoire, — le long de laquelle il passa à travers toutes les opinions, comme le singe de la Fable à travers son cerceau, avec les souplesses d’un esprit que le scepticisme rend plus souple encore ; — Thiers, qui grimpe sur toutes les idées comme il en dégringole, avec la même facilité, n’est que l’écureuil de la Politique et de l’Histoire ; mais quelle que soit l’alacrité des mouvements de l’écureuil, son genre historique, sobre de couleur, n’en a pas moins la gravité, il faut bien dire le mot, d’un homme qui est souvent un Prud’homme littéraire. […] Et puisque c’est un peintre, et ce n’est que cela, mais puissamment, malgré les taches du protestant, de l’anglais et du puritain, et du millénaire, et même du scholar, qui sont sur son talent et indélébilement y restent, nous allons dire un mot du peintre et de la valeur de sa peinture, et nous aurons tout dit. […] Il avait la vapeur et l’éclair qui la troue et la hache, sans la dissiper ; il avait le mot pittoresque, et pourtant je ne sais quelle nue sur la pensée, dont tous les mots pittoresques, pris au plus épais et au plus coupant des choses matérielles, ne pouvaient venir à bout. […] Il est maître des mots.

856. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Byron »

Au milieu du discrédit singulier dans lequel les poètes du mot seul, jaloux comme des bouteilles vides contre des bouteilles pleines, ont essayé de faire tomber Byron, le poète du sentiment et du mot aussi, quoi qu’ils disent, quelques voix ont protesté ; et je sais mieux qu’une protestation, je sais presque une œuvre sur Lord Byron. […] Taine n’aperçoit que le mouvement du sang saxon, coupé de sang normand dont Lord Byron, par parenthèse, était plus fier que de l’autre, et il ne pénètre pas dans ce que Lord Byron a de plus intime, de moins connu, et je vais dire un mot étrange en parlant de Byron : de plus virginal. […] je serai son maréchal des logis peut-être… Sauf les exceptions, quand il y en a, toute gloire est une renommée et toute renommée est une calomnie, en bien ou en mal, mais une calomnie, si on prend ce mot pour le contraire de la vérité. […] Est-ce qu’on n’étonnerait pas beaucoup de gens, et même des personnes instruites, en disant que ce romantique est le plus pur classique dans le sens le plus rigoureux et le plus élevé du mot ?

857. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIII. Pascal »

Qu’elles appartinssent donc à lui ou à d’autres, les opinions qui donnent la vie à son Étude sur Pascal, et qui n’ont été jusqu’ici dépassées par aucune vue nouvelle, méritaient l’attention d’une Critique, qui a bien le droit de se demander si ce sont là les derniers mots qu’on puisse dire sur Pascal, et s’il y aura même jamais un dernier mot à dire sur cet homme qui fait l’effet d’un infini, à lui seul ! […] Pour nous il s’agira bien moins ici des œuvres de Pascal et de sa valeur comparative ou absolue que de son entité, — que de ce qui le fait Pascal, — ce prodige ou ce monstre, comme on voudra, — mais, quel que soit le mot qu’on choisisse, la créature d’exception, jusqu’à lui inconnue, qui s’appelle Pascal, et même Blaise Pascal ! […] Nous voulons seulement indiquer quelle fut sa vraie réalité, — qu’on nous passe le mot, quoiqu’il ait l’air d’un pléonasme. […] C’est le poëte de la peur qui a écrit ce grand mot caractéristique de son âme : « Le silence des astres m’épouvante ! 

858. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gustave Rousselot  »

pour rouler, comme le vent roule une feuille, ce rêve qui tient en quatre mots, sans l’abandonner jamais et en le renouvelant toujours, le long d’un volume tout entier, une vigueur de projection et de propulsion peu communes. […] Et d’autant que ce n’est pas là seulement une affaire de souffle dans le sens matériel et organique du mot. […] Inconséquent à tout quand il s’agit de Dieu, dédiant à Dieu son livre, dans une pose naïve de gladiateur enfant, au milieu du cirque de l’athéisme contemporain qui le nie de toutes parts, déiste d’un déisme involontaire et fatal, à travers lequel l’idée chrétienne coule, sans qu’il s’en doute peut-être, comme le sang dans la chair humaine ; déiste malgré lui, qui eût fait effacer à Bossuet sa phrase célèbre : « Le déisme n’est qu’un athéisme déguisé », voilà, en quelques mots, ce poète nouveau, à son début, qui lave les sottises de son esprit dans l’émotion de sa poésie, ce jouvenceau de vingt-trois ans qui s’en vient orgueilleusement demander à la Critique de l’égorger, si elle l’ose… et celle-ci, comme vous le voyez, ne l’égorge pas ! […] « Je trouve le moment venu — dit ce jeune Spartacus de la prosodie — de se séparer de la routine, et c’est pourquoi j’ai modifié le nombre ordinaire de syllabes… Mon idée — ajoute-t-il — est même que le poète a le droit de compter les mots en variant, au besoin, selon le hasard du vers… » Au hasard du vers ! […] En effet, et que ceci soit mon dernier mot, ce jeune garçon a vraiment âme de poète.

859. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme Desbordes-Valmore. Poésies inédites. »

Quel que soit, en effet, son talent, que nous mesurerons tout à l’heure, on est fondé à établir la supériorité absolue sur toutes les espèces de poésies, de celle-là dans laquelle l’âme tient tant de place qu’elle semble déborder les mots ! […] On pourrait l’appeler l’École des Ciseleurs, mais moi je l’appellerai l’École des Matériels, parce que ce mot dit mieux en disant davantage. Cette école en plastique, et, qu’on me passe le jeu de mots, quelquefois en plaqué, ne conçoit la poésie que comme quelque chose de prodigieusement travaillé, de fouillé, de savant et de difficile. À ses yeux (et c’est bien à ses yeux qu’il faut dire) le fond importe peu, c’est la forme qui est tout, pourvu qu’extraordinairement martelée, elle atteigne à l’éclat et à la solidité ductile d’une matérialité compliquée, affinée, brillante, où l’artiste en mots que je ne méprise point, mais que je mets en second, a remplacé l’Ému ou le Rêveur, qui est le premier. […] Quel que soit son genre de poésie, Mme Desbordes-Valmore est-elle poète, dans toute la force de ce robuste mot ?

860. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Soulary. Sonnets humouristiques. »

alliance de mots qui frappe et qui engage ! […] Plus tard, des esprits curieux, obstinés, plus occupés de mots que de choses, de plus de métier que d’inspiration, des travailleurs à la loupe et à la lampe, des émailleurs, des archaïstes, reprirent le Sonnet en sous-œuvre et lui donnèrent un éclat solide, une netteté de camée et une perfection de burin qui, en France du moins, lui avaient toujours manqué. […] IV Le livre des Sonnets humouristiques est divisé en plusieurs livres, composés, à leur tour, d’un nombre déterminé de sonnets, et ces différents livres, dont nous donnerons seulement les noms, parce qu’en donnant ces noms on donne aussi les teintes de l’imagination qui les a écrits, s’appellent : Pastels et Mignardises, — Paysages, — Éphémères, — Les Métaux, — En train express, — L’Hydre aux sept têtes, — Les Papillons noirs, — et déjà, à ne considérer que ces grandes divisions de l’œuvre des Sonnets humouristiques, on entrevoit la forte originalité de l’esprit qui a concentré tant de vigueur dans de si petits espaces et sous un nombre si rare et si choisi de mots. […] Ainsi, une œuvre supérieure dans un genre inférieur et borné, voilà le dernier mot à dire et la conclusion à tirer de ces Sonnets humouristiques qui classent d’emblée, du reste, M.  […] deux mots abstraits, deux volontés sans loi !

861. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme de Girardin. Œuvres complètes, — Les Poésies. »

Mme de Staël, ce grand poète en prose, — comme on peut l’être en prose, — qui avait fait chanter Corinne, n’existait plus… Tout à coup, comme pour nous consoler de cette perte et pour la réparer, se mit à jaillir dans la vie (le mot n’est pas trop fort pour dire l’impétuosité de cette jeunesse) une jeune fille qui, elle, chantait de vraies poésies, car elle parlait cette langue des vers que rien, dans l’ordre poétique, ne peut remplacer. […] Mme Delphine Gay fut presque prise au mot qu’elle avait dit sur elle. […] Mais, quand elle écrit de gros ouvrages, et des romans en plusieurs volumes, et des tragédies et des comédies en cinq actes, alors elle est auteur dans le sens laborieux et disgracieux du mot, et le bas-bleu, cette affreuse chose, apparaît dans son foncé terrible. […] C’est cette loi qu’il faut dégager… Née pour faire des choses très-différentes de celles que nous avons à faire dans la vie, — je ne voudrais pas écrire ce mot d’inférieure qui fait cabrer les amours-propres, — mais posée, dans la hiérarchie sociale et dans la famille, à une autre place que nous, la femme est et doit être le plus transitoire, le plus éphémère de tous les poètes, tandis que chez l’homme, au contraire, la poésie s’exalte par la vieillesse et atteint un degré sublime. […] Tel est ici le dernier mot de la Critique sur Mme de Girardin.

862. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Théodore de Banville »

Théodore de Banville, à l’édition définitive, n’a de définitif que cette édition, mais, comme poète, il n’en est pas au dernier mot, au mot définitif, au mot de la fin. […] Le poète qui a métamorphosé ses nobles Cariatides en clowns femelles dansant le cancan sur la corde lâche ou roide ou le fil d’archal de son vers, doit, il est vrai, avoir une redoutable force de versifaiseur pour lancer ses strophes à la hauteur où elles bondissent, mais préférer ces pirouettes de mots et de Rythme et ces enlèvements de ballon au vol cadencé et plein d’une Poésie qui doit toujours emporter du sentiment ou de la pensée sur ses ailes, c’est tuer en soi le poète par le jongleur. […] Cependant, il faut le reconnaître, tout n’est pas exclusivement gambade en ces Odes funambulesques, cette orgie de mots et d’images.

863. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

Disons le mot affreux, poussé à présent dans la langue, ils sont réalistes tous les deux ! […] Bataille, par ce seul mot Spartiate « taureau !  […] En un seul mot, c’est toute la critique de ce livre très-ardent, très-mugissant, très-terrible, mais aussi très-animal. […] Bataille et Basetti ; je les prendrai et je le raconterai en quelques mots… Il faut bien que les pauvres gens qui ne demandent qu’à lire sachent de quoi il s’agit dans un livre dont on leur parlera certainement, parce qu’il est sur un sujet scabreux et scandaleux. […] Je l’écris donc, ce mot-là, sans aucune pruderie.

864. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

On verra qu’il a été de tout temps jugé, et que les bons mots sur son compte ont été dits il y a beau jour. […] Au premier mot d’une traduction en vers des Géorgiques, Louis Racine se récria : « Les Géorgiques ! […] Le prétexte était que Clément disait sur Doris certains mots, lesquels on aurait pu appliquer à madame d’Houdetot. […] Il s’y dépensa plus de bons mots en un quart d’heure, que durant des siècles de la Ligue hanséatique. […] Delille ne rencontra qu’une fois (en 1803) Bonaparte, qui, dit-on, lui fit des avances et fut repoussé par un mot piquant.

865. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Il ouvrit la porte d’une pièce, sur le seuil de laquelle on lisait en passant le mot Salve, présage d’un accueil amical. […] Aujourd’hui, je n’ajoute pas un mot. […] Aussitôt après nous être mutuellement et joyeusement salués, Goethe me dit : « Je vais tout vous dire en un mot : Je désire que vous restiez cet hiver près de moi à Weimar. » Ce furent là ses premiers mots ; il ajouta : « Ce qui vous convient le mieux, c’est la poésie et la critique. […] Après quelques mots, l’entretien tomba sur Goethe. […] — J’ai cru, répondis-je, que c’était le passage où Lotte envoie les pistolets à Werther, sans dire un mot à Albert, sans lui communiquer ses pressentiments et ses craintes.

866. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Pour peu qu’on ait lu, on sait que le mot poésie ne saurait être appliqué à toutes les œuvres où l’expression affecte une forme rythmique fixe, à toutes les œuvres versifiées. […] Tout l’art littéraire dépend des propriétés intimes de l’élément matériel même dont il se sert, du mot. Essentiellement, le mot convient à deux emplois ; il désigne, assez mal, les objets, il décrit, — et il crée des idées, il idéalise. […] Tout au plus pourrait-on rapprocher du Dickens humouristique dans le sens propre de ce mot, la gaieté avec laquelle M.  […] En prose, il se faisait un travail analogue ; Goncourt, Flaubert, ceux qui actuellement marchent sur leurs traces furent surtout des grammairiens et des artisans de mots.

867. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

Rome a la supériorité en politique, en guerre, en éloquence d’action, en constance dans ses desseins, en caractère en un mot. […] Le caractère de sa race y palpite à chaque mot comme dans le spasme du gladiateur mourant. […] Regarde et passe, est le seul mot à dire en passant ainsi en revue toutes les médiocrités et tous les engouements d’un siècle. […] Jusqu’à cette œuvre il avait été critique et modèle ; critique toujours spirituel, modèle quelquefois accompli, mais là il fut véritablement poète, toujours dans l’acception ingénieuse et tempérée du mot. […] Boileau ne fut point un grand poète dans l’acception transcendante du mot.

868. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre second » pp. 200-409

Quoi de plus délicat que ce mot : « L’âme s’échappe du vieillard sans effort ; elle est sur le bord de sa lèvre… ?  […] Voici mot à mot le jugement que Saint-Évremond portait de Sénèque et de lui-même. […] Il prétend, Lettre cv, que les vertus sont corporelles : vaines disputes de mots. […] Elles sont au nombre de cent vingt-quatre ; et dans aucune, pas un seul mot qui sente l’hypocrisie. […] Reconnaît-on à ces traits l’homme qui se fera couper les veines plutôt que de dire un mot flatteur à son élève ?

869. (1892) Portraits d’écrivains. Première série pp. -328

Dumas est un poète — au sens large du mot et en tant que créateur d’âmes, — nul aussi n’a été moins poète que lui, au sens restreint du mot. […] J’emploie ce mot afin de faire plaisir à M. Dumas qui le préfère au mot : complainte. […] Un des mots qui reviennent le plus souvent sous sa plume, c’est le mot : conquérir. […] On était fatigué de l’abus du trope et de la métaphore : dans la recherche du mot propre, on est descendu jusqu’au mot bas.

870. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Méconnaissant dans Homère, ou plutôt n’estimant point cette langue si abondante et si riche, qui est comme voisine de l’invention et encore toute vivante de la sensation même, il préférait nettement la nôtre : « J’oserai le dire à l’avantage de notre langue, je la regarde comme un tamis merveilleux qui laisse passer tout ce que les anciens ont de bon, et qui arrête tout ce qu’ils ont de mauvais. » Enfin, s’emparant d’un mot de Caton l’Ancien pour le compléter et le perfectionner à notre usage, il concluait en ces termes : Caton le Censeur connaissait parfaitement l’esprit général des Grecs, et combien ils donnaient au son des mots, lorsqu’il disait que la parole sortait aux Grecs des lèvres, et aux Romains du cœur ; à quoi j’ajouterais, pour achever le parallèle, qu’aux vrais modernes elle sort du fond de l’esprit et de la raison. […] Dacier s’en tirer assez maladroitement avec l’abbé Terrasson, qui eut le dernier mot. […] Il présentait l’idée d’Homère, en un mot, comme celle d’un poète qui aurait raconté les désastres de la Ligue et les malheurs des derniers Valois pour faire plaisir et honneur à Henri IV régnant et aux Bourbons. […] Il est vrai que c’est en grec qu’elle écrivait cette pensée et en se souvenant d’un mot de Sophocle. […] Il n’est pas à croire qu’elle le fût ; mais on a vu par un mot de la reine Christine que, dans sa jeunesse, elle dut être une assez belle personne, et sans doute assez agréable d’ensemble.

871. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — I » pp. 57-75

Prosper Blanchemain qui, dans une édition de luxe publiée par un libraire bibliophile, a jugé qu’il n’était pas inopportun de présenter, non plus un extrait et un choix des œuvres connues de Ronsard, mais un surcroît d’œuvres inédites, des variantes ou fragments tirés de recueils manuscrits, en un mot quelque chose de plus que ce qu’on avait déjà. […] On me permettra donc d’y revenir à mon tour et pour dire un mot de ces travaux récents, et pour rappeler avec précision ce que j’avais désiré et demandé moi-même à l’origine. […] Il faut (même après qu’ils sont devenus célèbres) voir les hommes tels qu’ils sont, tels qu’ils étaient, et ne point se payer de mots. […] Il y ajoutait trop de mots composés qui n’étaient point encore introduits dans le commerce de la nation : il parlait français en grec, malgré les Français mêmes. […] Il a à cœur d’illustrer, de promouvoir notre langue, et de montrer aux étrangers qu’elle devancerait la leur, si ces beaux diseurs médisants, qui s’attaquent déjà à lui et qui combattent proprement des ombres (il les appelle d’un mot grec effrayant, Sciamaches), voulaient aussi bien s’appliquer à la défendre et à la propager.

872. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

« J’ai lu hier le mot que vous avez écrit pour votre voisine. […] La plus grave des objections est le mot ici qui semble supposer quelqu’un de présent en France : Mme de Staël n’y était que par ses amis, et elle s’y sera transportée d’imagination en écrivant. […] Laissons ces mots mystiques de conversion et de croyant qui ne sont pas à l’usage des esprits vraiment politiques, ni même tout uniment des esprits sensés. […] À l’Académie, lorsqu’on produit, à l’occasion d’un mot, les exemples tirés des principaux écrivains témoins de la langue, il est rare que l’exemple emprunté à Mme de Staël ne soulève pas d’objections, et qu’une phrase d’elle passe couramment. […] On voit du moins, par un mot de Sismondi, qu’elle eût été disposée à préférer la Régence à toute autre combinaison, — la Régence, c’est-à-dire Marie-Louise avec le roi de Rome.

873. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

Une voix pure, mélodieuse et savante, un front noble et triste, le génie rayonnant de jeunesse, et, parfois, l’œil voilé de pleurs ; la volupté dans toute sa fraîcheur et sa décence ; la nature dans ses fontaines et ses ombrages ; une flûte de buis, un archet d’or, une lyre d’ivoire ; le beau pur, en un mot, voilà André Chénier. […] qu’il aimerait bien mieux, en honnête compagnon qu’il est, S’égayer au repos que la campagne donne, Et, sans parler curé, doyen, chantre ou Sorbonne, D’un bon mot fait rire, en si belle saison, Vous, vos chiens et vos chats, et toute la maison ! […] Il y flétrit avec une colère étincelante de poésie ces réformateurs mesquins, ces regratteurs de mots, qui prisent un style plutôt pour ce qui lui manque que pour ce qu’il a, et, leur opposant le portrait d’un génie véritable qui ne doit ses grâces qu’à la nature, il se peint tout entier dans ce vers d’inspiration : Les nonchalances sont ses plus grands artifices. […] Puis il en vient aux ridicules et aux politesses hautaines de la noble société qui daigne l’admettre, à la dureté de ces grands pour leurs inférieurs, à leur excessif attendrissement pour leurs pareils ; il raille en eux cette sensibilité distinctive que Gilbert avait déjà flétrie, et il termine en ces mots cette confidence de lui-même à lui-même : « Allons, voilà une heure et demie de tuée ; je m’en vais. […] Il nous semble, en un mot, et pour revenir à l’objet de cet article, que la touche de Regnier, par exemple, ne serait point, en beaucoup de cas, inutile pour accompagner, encadrer et faire saillir certaines analyses de cœurs ou certains poèmes de sentiment, à la manière d’André Chénier.

874. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

» Je résume en ces quelques mots ce qui se noie chez lui dans un flot interminable de digressions et d’injures. […] Molé a relevé chez M. de Vigny un mot qui semblerait indiquer, de la part de M.  […] C’est qu’en effet il est de ces choses qu’on ne peut entendre sans laisser échapper un mot de rappel : elles sont comme une fausse note pour une oreille juste. […] En un mot, le tact de M.  […] … Je voudrais, je l’avouerai, voir adopter le programme du classique, moins les entraves ; du romantique, moins le factice, l’affectation et l’enflure. » Voilà le mot du bon sens.

875. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

Il réimprima ses deux premiers livres, expurgés de mots mal sonnants, tels que sorbonistes, sorbonagres, sorbonicoles : il biffa même le reproche de « choppiner » volontiers, qu’il adressait en quelques lieux aux théologiens. […] L’égoïsme qu’il lâche en liberté est à peu près inoffensif, parce qu’il s’offre dans sa simplicité primitive, tout proche de la naturelle volonté d’être, parce qu’il est soustrait aux malignes complications que la société y introduit, parce qu’en un mot il reste égoïsme, et ne devient pas ambition ni intérêt. […] Ame, corps, esprit, matière, il y a là des mots, qui sont des moyens d’art, des procédés de transcription. Quelle que soit la cause interne, la nature essentielle, tous ces mots expriment des faits, et le vulgaire les comprend : Rabelais donc en use sans crainte, largement, n’ayant souci que de tout voir et de tout dire, allant avec toutes les images du langage à toutes les apparences de la vie. […] Qu’on suive Pantagruel dans son tour de France : on verra comment Rabelais fait ressortir les choses d’un trait bref, avec quelle vigueur il enlève en trois mots une esquisse : au contraire, dans les amples scènes du roman, dans les discours étalés et les larges dialogues, dans la harangue de Janotus, dans les propos des buveurs, dans le marché de Panurge et Dindenaut, dans la défense du clos de l’abbaye ou dans cette étourdissante tempête, on sera confondu de la patience et de la verve tout à la fois avec lesquelles Rabelais suit le dessin de la réalité dans ses plus légers accidents et ses plus baroques caprices.

876. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

Des mots grossiers qu’a protégés Molière, vous n’en retrouverez aucun dans ses successeurs au Théâtre-Français, ni dans Regnard, ni même dans les comédies de Dancourt. […] , sonnet dans lequel se trouve un mot que l’on ne trouvera pas une fois dans les douze volumes de lettres, pourtant très familières, de madame de Sévigné128. […] Il n’aurait pas dit qu’elle manquait de goût, car il a laissé échapper ce mot dans les notes qui ne paraissent pas avoir été destinées à l’impression. […] Au reste, elle ajoute à son opinion sur les deux historiographes la citation de plusieurs louanges fort ridicules qu’on disait avoir été données par eux au roi en personne à l’armée, et elle finit avec beaucoup de raison par ces mots : Combien de pauvretés ! […] Ce mot de reconnaissance ne peut regarder que madame de Sévigné, et les éloges qu’elle se plaisait à donner aux fables du poète, à mesure qu’elles paraissaient, surtout dans les cercles du duc de La Rochefoucauld, qui en était charme comme elle.

877. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Patru. Éloge d’Olivier Patru, par M. P. Péronne, avocat. (1851.) » pp. 275-293

D’Urfé, comme presque tous les romanciers, avait mis dans son roman les personnages de sa connaissance : il s’y était mis lui-même et les aventures de sa jeunesse ; mais tout cela était combiné, déguisé et (le mot est de Patru) romancé de telle sorte, que lui seul pouvait servir de guide dans ce labyrinthe. […] Puis, à côté de ce Patru cicéronien et solennel, il y avait le Patru familier, piquant, point pédant le moins du monde, plein de bons mots et de sel. […] Mais Patru avait, à l’occasion, des mots dont on se souvient. […] Ce mot, qui portait moins encore sur ces dames que sur M. de Rohan qui les accompagnait, était, de près, beaucoup plus malin d’allusion qu’il ne nous semble. […] Patru acquérait de plus en plus d’autorité en vieillissant, et l’on cite de lui de ces mots qui sont des traits de caractère et d’indépendance.

878. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Étienne, ou une émeute littéraire sous l’Empire. » pp. 474-493

On y trouve de la gaieté, sans doute, de la facilité, de l’esprit, mais du commun (ce mot est essentiel), et, avant de se prononcer, il faut attendre. […] Étienne, qui avait déjà donné trois éditions de sa pièce sans préface et sans un mot d’avertissement, avait-il eu, pour la composer, quelque secours particulier dont il ne s’était pas vanté ? […] Sauvo, dans ce même feuilleton du Moniteur, avait dit un mot qui rejaillissait sur M.  […] Ou plutôt chacun aujourd’hui peut faire la réponse à la question que je pose ainsi : La comédie des Deux Gendres était-elle une fin, le dernier mot d’un talent arrivé à son plus haut terme, ou n’était-ce qu’un point de départ et un premier pas dans la grande carrière ? […] Auger, son ami, qui s’était donné la mort dans un accès d’égarement funeste, et il terminait son discours par ce mot heureux : « Ô triste infirmité de notre nature !

879. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Pourtant il supprima bientôt le bonnet, et il demeura sous sa forme dernière, nu-tête, avec les cheveux rares au sommet, mais descendant des deux côtés de la tête et du cou jusque près des épaules ; en un mot, tel que son portrait s’est fixé définitivement dans le souvenir, et à la Franklin. […] Mais une telle scène, avec les mots sacramentels qu’y prononça Voltaire : Dieu et liberté ! […] Ces mots de miss Shipley, qu’elle met ainsi en français, donnent bien l’idée de Franklin dans l’ordinaire de la vie. […] Tous les fous et les rêveurs semblaient s’être donné le mot pour prendre cet homme sensé qui venait de loin, pour leur confident et pour leur juge. […] Mais une telle scène, avec les mots qu’y prononça Voltaire, retentit au loin et parla vivement à l’imagination des hommes.

880. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre V. Le génie et la folie »

Mais ce ne sont là que des mots sans signification précise. En général, il emploie le mot de génie, comme on le fait dans la conversation vulgaire, où l’on n’est pas tenu à la précision et où, pour plus de commodité et de rapidité, on embrasse sous un même nom les choses les plus dissemblables. […] En un mot, le génie est pour nous l’esprit humain dans son état le plus sain et le plus vigoureux. En second lieu, il est à remarquer que le mot de génie exprime des faits d’une nature très différente, et tout à fait hétérogènes. […] D’ailleurs, la seule conclusion que l’on puisse tirer des faits que l’on cite, en assez petit nombre d’ailleurs, c’est que l’hallucination a pu coexister, en certains cas, avec le génie ; en un mot, que le génie n’exclut pas l’hallucination.

881. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

Le souffle puissant qui soulève telles de ses pages, dont les mots frémissent comme secoués par le vent et caressés par la lumière, n’a point animé leurs toiles laborieuses, aux vaines subtilités. […] Il nous paraît profondément ironique d’entendre la critique, sur la foi des mots et des affirmations trompeuses, assimiler le préraphaélisme à un retour à la nature en art. […] Ces trois mots résument sa croyance. […] Le peintre a donné à son modèle l’attitude d’un rêveur maladif ; il lui a donné son âme, en un mot. […] En un mot Watts a fait de Carlyle un « vaincu », au lieu de voir en lui le vivant original et âpre qu’il est réellement.

882. (1896) Les Jeunes, études et portraits

Rendez au mot son véritable sens. […] Point de grands cris et point de grands mots. […] Il a piqué son style de mots rares. […] Faute de trouver le mot juste il s’y reprend à plusieurs fois. […] On rappellera le mot de Molière sur la casse et le séné.

883. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

ce mot là est une chiquenaude à la gloire. […] J’ai lu dans le temps son Ode à l’armée ; ce jeune homme a de la verve, mais on dit qu’il s’endort. » Ce mot, cet aiguillon rapporté au poëte, tira de lui, en réponse, des stances émues, pleines de grâce. […] voilerai-je un mensonge De mots si pleins de vérité ? […] Mais, avant 1830, chaque mot simple en tragédie voulait un combat, et coûtait à gagner presque autant, je vous assure, qu’un député libéral à la Chambre durant le temps de la majorité Villèle. M. de Chauvelin nommé, ou un mot propre à travers toute une scène, c’étaient d’insignes triomphes.

884. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

Quand il parle de sa fille, qui est laide, il dit ce mot d’une si effroyable goguenarderie : Je n’ai jamais fait que des charges. […] Elles n’y sont guères que par l’accent, par un mot échappé de temps en temps et dont la vibration soulève ou attendrit, ou encore par l’intention de vous déchirer avec la cruauté de sa peinture. […] Pour intailler mieux dans leur ignominie, il a employé un mot beaucoup dit dans ce monde-là, il les a appelés : les Ratés… et l’emploi hardi de ce mot, qui se montre, je crois pour la première fois dans un livre de style, en fera peut-être la fortune. […] Nous le savons par cœur, et par cœur est le mot, car c’est un talent qui prend le cœur avec un charme plus qu’il ne saisit l’esprit avec une toute-puissance. […] Il y a des mots, dans une langue qui s’abaisse chaque jour, qui sont une nécessité : c’est un blagueur qui se blague lui-même.

885. (1898) Introduction aux études historiques pp. 17-281

Il ne faut pas interpréter judaïquement, au sens étymologique, ce mot de M.  […] Nous dirons ensuite quelques mots des dispositions qu’engendre l’exercice machinal de la profession d’érudit. […] Mais la langue vulgaire, dans laquelle sont écrits les documents, est une langue flottante ; chaque mot exprime une idée complexe et mal définie ; il a des sens multiples, relatifs et variables ; un même mot signifie plusieurs choses différentes ; il prend un sens différent dans un même auteur suivant les autres mots qui l’entourent ; il change de sens d’un auteur à un autre et dans le cours du temps. […] On croit ne faire qu’une métaphore et on est entraîné par la force des mots. […] L’élève d’histoire a besoin d’un répertoire de faits historiques comme l’élève de latin d’un répertoire de mots latins ; il lui faut des collections de faits, et les précis scolaires ne sont guère que des collections de mots .

886. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Nous ne voulons pas dire qu’elle ne soit plus légitime, au sens scientifique du mot. […] A mesure que je me laisserai aller, les sons successifs s’individualiseront davantage : comme les phrases s’étaient décomposées en mots, ainsi les mots se scanderont en syllabes que je percevrai tour à tour. […] J’admirerai alors la précision des entrelacements, l’ordre merveilleux du cortège, l’insertion exacte des lettres dans les syllabes, des syllabes dans les mots et des mots dans les phrases. […] Elle pense ainsi un mot ou une juxtaposition de mots, rien de plus. […] Mais à travers les mots, les vers et les strophes, court l’inspiration simple qui est le tout du poème.

887. (1890) La bataille littéraire. Troisième série (1883-1886) pp. 1-343

Xavier ne trouva pas un mot pour le retenir. […] Elle dit un mot au docteur. […] En un mot, il faut n’arriver qu’à son heure. […] Quant au style, pas de « mots d’auteur », pas de phrases à panaches. […] Frappée (c’est le mot !)

888. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — III » pp. 81-102

Nous ne croyons pas à tout ce qu’il dit, et il va un peu loin à sa louange lorsqu’en un moment d’effusion il croit faire son portrait en deux mots : « Je n’ai pas l’honneur d’être encore bien connu de Sa Majesté. Qu’elle ne craigne jamais que mon intérêt particulier ait la moindre part à mes actions : j’ose dire que je suis né véritable et vertueux. » Villars ici se pavoise trop ; il donne évidemment à ce mot de vertu l’acception toute personnelle qui sied à Villars : mais il n’est que dans le vrai lorsqu’après la victoire d’Hochstett, réclamant son congé du roi et se plaignant de n’être plus écouté, souffrant de tant de fautes, et de celles qu’on fait sous ses yeux et de celles qu’on va faire, il lui échappe ce mot qui trouverait si souvent son emploi : « Heureux, Sire, heureux les indolents !  […] Parlant des derniers rebelles qu’on réduisit, Villars laisse échapper un mot qui est bien d’un noble soldat : « Ravanel, dit-il, mourut de ses blessures dans une caverne ; La Rose, Salomon, La Valette, Masson, Brue, Joanni, Fidel, de La Salle, noms dont je ne devrais pas me souvenir, se soumirent, et je leur fis grâce, quoiqu’il y eût parmi eux des scélérats qui n’en méritaient aucune. » On sent, à ce simple mot de regret d’avoir pu loger de tels noms dans sa mémoire, le guerrier fait pour des luttes, plus généreuses et pour la gloire des héros, celui qui a hâte de jouer la partie en face des Marlborough et des Eugène. […] mais d’autres n’eussent point mis la leur en tel lieu, et si on l’eût pris au mot, la sienne était utile à l’État. […] Dans sa lettre au roi, il s’excuse en peu de mots et avec respect.

889. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

Mme de Tracy, il faut l’expliquer pour tous en peu de mots, était Anglaise de naissance, née à Stockport en 1789 ; elle s’appelait Sarah Newton, et appartenait à la famille de cet homme de génie, le plus grand qu’ait produit la science. […] Mme de Coigny lui donnait pour emblème une hermine avec ces mots : Douce, blanche et fine. […] La vue de ces mots tracés il y a plus de vingt ans, le souvenir de ces épingles choisies par Nancy (sa sœur), tout cela m’a bouleversée. […] On y mettrait le Voyage de Plombières, et tout aussitôt les Pensées, datées de Paray trente ans après : la jeunesse, et l’« âge d’argent » ; le mot mérite de rester34. […] Mérimée a pour devise et pour marque aux livres de sa bibliothèque : « Μέμνησο ἀπιστεῖν », « Souviens-foi de ne pas croire. » — Le mot est emprunté du plus ancien des poètes comiques, Épicharme, mais un peu détourné de son sens.

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