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975. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

A défaut d’une certitude entière, mathématique et raisonnée, si nous avons l’impérieux besoin de nous former une idée de ce que nous sommes, et si le lien social ne peut subsister qu’à cette condition, les sciences peuvent nous y aider, mais il ne leur appartient pas de déterminer et encore bien moins de juger cette idée. […] II « Toute réaction religieuse profitant d’abord au catholicisme », — c’est du moins Renan qui l’a dit, — il n’est pas étonnant qu’un pape politique, s’inspirant le premier des nécessités de l’heure présente, ait conçu l’espérance et formé le projet de diriger le mouvement. […] c’est surtout aux évolutionnistes qu’il est impossible de se former une autre idée de la nature humaine. […] Afin de se former une juste idée de ce que l’on apporte aujourd’hui de bonne foi dans la discussion ou dans la polémique, je crois devoir faire observer que j’avais eu soin d’indiquer moi-même dans cette page toutes les objections que l’on m’a faites au nom de la science, et mes adversaires n’ont eu qu’à les développer. […] se sont-ils écriés ; l’exégèse, la gloire du dix-neuvième siècle, la reine des sciences philologiques, Lessing et Paulus, de Wette et Strauss, Baur et Schvregler, Ewald et Olshausen, puis encore, Lepsius et Rawlison, Bumouf, Renan lui-même, tous ceux qui, de notre temps, égyptologues et assyriologues, indianistes ou hébraïsants, philologues, lexicologues, ethnographes, anthropologistes, ont renouvelé la face de l’histoire, et en un certain sens l’idée même que nous nous formions de l’esprit humain, c’est ainsi qu’on les traite ! 

976. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre II. La parole intérieure comparée à la parole interieure »

La parole intérieure a l’apparence d’un son, et ce son est celui que nous nommons parole ou langage : il se compose de deux sortes d’éléments, des voyelles et des articulations ; ces voyelles et ces articulations sont groupées en syllabes, les syllabes peuvent se grouper en mots, les mots se groupent en phrases ; une syllabe est un ensemble de voyelles et d’articulations simultanées ou qui se succèdent avec une continuité parfaite, sans le moindre intervalle de silence ; des syllabes, soit distinguées par l’intonation, soit séparées par un intervalle de silence extrêmement court, forment un mot ; des intervalles plus longs séparent les mots d’une même phrase, de plus longs encore les membres de phrase et les phrases ; les phrases sont, en outre, marquées par des intonations : chaque phrase a son chant propre et sa note finale ; enfin l’intensité du son varie dans le discours, mais entre des limites sensiblement fixes. […] Pour élucider ce point, une courte digression sur la perception externe est nécessaire : Les faits ou états de conscience forment une succession continue ; leur totalité, c’est nous-même ; ce qui est hors de la conscience étant comme s’il n’était pas, je suis la totalité des choses ; elle forme une série successive qui ne se distingue pas de la série de mes états, et elle est par là soumise, sans exception et avant tout, à la forme du temps. […] Ainsi se constitue dans notre esprit la classe des états qui échappent à la perception externe ; ainsi se forment et l’idée du moi ou du mien et l’association de cette idée avec celle d’une série successive d’états faibles. […] D’après la théorie qui précède, nous devrions reconnaître chaque mot pris part ; les ensembles qu’ils forment, les phrases, échapperaient au jugement de reconnaissance. […] Point de départ de toute une série de réflexions p. 93-113 qui ouvrent aussi bien sur la question chez Bergson des rapports de la conscience avec la durée subjective que sur la notion de « stream of consciousness » chez William James en 1890 dans Principles of psychology — ici : « les faits ou états de conscience forment une succession continue », p. 113 plus loin : « le moi est ce qui s’écoule, ce qui passe ou est passé, mais qui, une fois passé, souvent, redevient présent ».

977. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Elles sortent les unes des autres, celles d’en haut de celles d’en bas, en sorte que la plus noble prend sa substance et sa nourriture dans la plus basse, et qu’ensemble elles forment une chaîne dont on ne peut détacher aucun anneau. […] Sous les os pesants de cette tête mal formée, l’intelligence est comme durcie. […] Un amas de remarques s’assemblent en lui sans qu’il le veuille et forment une impression unique, comme des eaux accourant de toutes parts s’engorgent dans un réservoir d’où elles vont partir pour un autre voyage et par d’autres canaux.

978. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

Si maintenant la conception générale à laquelle la représentation aboutit est poétique, mais non ménagée, si l’homme y atteint, non par une gradation continue, mais par une intuition brusque, si l’opération originelle n’est pas le développement régulier, mais l’explosion violente, alors, comme chez les races sémitiques, la métaphysique manque, la religion ne conçoit que le Dieu roi, dévorateur et solitaire, la science ne peut se former, l’esprit se trouve trop roide et trop entier pour reproduire l’ordonnance délicate de la nature, la poésie ne sait enfanter qu’une suite d’exclamations véhémentes et grandioses, la langue ne peut exprimer l’enchevêtrement du raisonnement et de l’éloquence, l’homme se réduit à l’enthousiasme lyrique, à la passion irréfrénable, à l’action fanatique et bornée. […] C’est d’après cette loi que se forment les grands courants historiques, j’entends par là les longs règnes d’une forme d’esprit ou d’une idée maîtresse, comme cette période de créations spontanées qu’on appelle la Renaissance, ou cette période de classifications oratoires qu’on appelle l’âge classique, ou cette série de synthèses mystiques qu’on appelle l’époque alexandrine et chrétienne, ou cette série de floraisons mythologiques, qui se rencontre aux origines de la Germanie de l’Inde et de la Grèce. […] Nous pouvons affirmer avec certitude que les créations inconnues vers lesquelles le courant des siècles nous entraîne, seront suscitées et réglées tout entières par les trois forces primordiales ; que si ces forces pouvaient être mesurées et chiffrées, on en déduirait comme d’une formule les propriétés de la civilisation future, et que si, malgré la grossièreté visible de nos notations et l’inexactitude foncière de nos mesures, nous voulons aujourd’hui nous former quelque idée de nos destinées générales, c’est sur l’examen de ces forces qu’il faut fonder nos prévisions.

979. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

C’est que les hommes qui en prirent la direction d’une main ferme et téméraire n’avaient donné à la démagogie aucun de ces gages et de ces complicités qui lient les hommes d’État aux excès de la multitude ; c’est surtout parce que la leçon terrible de 1793 a frappé l’esprit du peuple, et que la presse et la tribune libres avaient depuis trente années formé ce peuple par un certain apprentissage de la liberté. […] Des escadrons de gendarmerie à cheval formaient le cortège. […] Non, ces bassesses n’approchent même pas de mes pensées ; mais je fus et je suis resté influencé en effet et incliné vers l’indulgence par cet esprit de famille qu’on respire dans son enfance, et par ces traditions domestiques qui forment le premier pli de la mémoire dans les enfants attentifs aux récits de leur mère.

980. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Les vœux qu’elle formait, depuis douze cents ans, pour la prospérité de cet empire, seront encore entendus, et son autorité confirmera les nouvelles grandeurs de la France, au nom du Dieu qui, chez toutes les nations, est le premier auteur de tout pouvoir, le plus sûr appui de la morale, et par conséquent le seul gage de la félicité publique. […] La première et la dernière partie se divisent chacune en six livres ; la deuxième et la troisième, qui se tiennent, formaient aussi six livres chacune, dans le premier plan, lorsque Atala et René, que l’auteur en a depuis détachés, y étaient compris. […] Vers l’orient, au fond de la perspective, le soleil commençait à paraître entre les sommets brisés des Apalaches, qui se dessinaient comme des caractères d’azur dans les hauteurs dorées du ciel ; à l’occident, le Meschacebé roulait ses ondes dans un silence magnifique, et formait la bordure du tableau avec une inconcevable grandeur.

981. (1890) L’avenir de la science « XXIII »

J’espère bien que personne ne m’accusera jamais d’être matérialiste, et pourtant je regarde l’hypothèse de deux substances accolées pour former l’homme comme une des plus grossières imaginations qu’on se soit faites en philosophie. […] Mais n’allez pas, abusant d’une définition de mots, prétendre que l’humanité a cru à tel ou tel Dieu, au Dieu moral et personnel, formé par l’analogie anthropomorphique. […] J’ai été formé par l’Église, je lui dois ce que je suis, et ne l’oublierai jamais.

982. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Hugon racontait qu’il s’accusa, le samedi suivant, en confession « d’avoir formé des jugements téméraires sur la piété d’un saint évêque ». […] Sa gloire est d’avoir formé en M.  […] Les personnes qui n’ont pas l’esprit scientifique ne comprennent guère qu’on laisse ses opinions se former hors de soi par une sorte de concrétion impersonnelle, dont on n’est en quelque sorte que le spectateur.

983. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Vous tous, qui avez la science, le jugement et l’imagination, ne formez qu’une ligue en faveur de l’ordre et de la civilisation ; tournez vers le bien et vers le beau toutes les facultés que vous avez reçues du Ciel, mettez en commun tous vos trésors et toutes vos forces pour faire avancer le grand œuvre du 19e siècle, et laissez les versificateurs continuer en paix leur innocent métier. […] Mais, nous dira-t-on, Phèdre, Iphigénie, Œdipe, etc. etc., n’étaient que des imitations des anciens, habilement appropriées à notre système et à nos mœurs dramatiques, et vous voulez imposer au public la représentation de traductions fidèles de Shakespeare. — Sans doute ; et en voici les raisons : la disposition des cirques antiques, l’intervention du chœur, les grandes robes et les masques des acteurs, les rôles de femmes joués par des hommes, enfin l’extrême simplicité de l’action et l’ordre tout païen des idées et des sentiments, eussent formé de trop choquantes disparates avec nos habitudes sociales et notre civilisation chrétienne, pour que la tragédie grecque pût être posée toute droite sur notre théâtre, comme une statue qui change de piédestal. […] La période arrondie, les vers symétriquement cadencés, l’euphonie continuelle des sons, forment les principales qualités de la versification Racinienne, et cette manière a prévalu jusqu’à l’abbé Delille, qui l’a outrée au point de la rendre méconnaissable.

984. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

Il n’a pensé qu’à montrer et convaincre, et il a convaincu… Il a apporté, non pas à poignées, mais à brassées, une si grande somme de témoignages, irrécusables, vivants et saignants encore, qu’il n’est pas de tribunal au monde, obligé de prononcer d’après cette universalité de témoignages, qui ne sentît pénétrer dans son âme l’entassement d’éclairs et la foudre lentement formée de la plus puissante, de la plus lumineuse conviction ! […] D’ailleurs, qu’y a-t-il à répondre à un livre absolument irréplicable, dans lequel l’Histoire est devenue, pour la première fois, une science exacte, sans autre préoccupation que des faits et des résultats recueillis et accumulés dans un tel nombre qu’ils forment un bloc énorme et accablant, sous lequel toutes les histoires de la Révolution française restent écrasées et anéanties ! […] Il a montré, en racontant cette conspiration dans ses plus menus détails, comment s’est formée des éléments les plus impurs, les plus abjects et les plus atroces, cette cristallisation révolutionnaire qui s’est appelée « le Jacobinisme », et il a prouvé que ce n’était pas là une circonstance, un accident, un phénomène momentané de l’Histoire, mais une horrible loi de la nature humaine !

985. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Au reste, tous les reproches à cet égard qu’on peut faire à Bourdaloue, ou plutôt les regrets qu’on peut former à son sujet, se réduisent à ceci : il a été un grand orateur, et il n’est qu’un bon écrivain. […] Dieu m’avait donné comme un pressentiment de ce miracle, et dans le lieu même où je vous parle aujourd’hui, dans une cérémonie toute semblable à celle pour laquelle vous êtes ici assemblés, le prince lui-même m’écoutant, j’en avais non seulement formé le vœu, mais comme anticipé l’effet par une prière, qui parut alors tenir quelque chose de la prédiction.

986. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le marquis de la Fare, ou un paresseux. » pp. 389-408

On n’avait pas plus de douceur et de sel tout ensemble : C’était, a dit de lui son tendre ami Chaulieu, un homme qui joignait à beaucoup d’esprit simple et naturel tout ce qui pouvait plaire dans la société ; formé de sentiment et de volupté, rempli surtout de cette aimable mollesse et de cette facilité de mœurs qui faisait en lui une indulgence plénière sur tout ce que les hommes faisaient, et qui, de leur part73, en eurent pour lui une semblable… Les siècles auront peine à former quelqu’un d’aussi aimables qualités et d’aussi grands agréments que M. de La Fare.

987. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

La mer formait des lames monstrueuses semblables à des montagnes pointues formées de plusieurs étages de collines.

988. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « De la poésie de la nature. De la poésie du foyer et de la famille » pp. 121-138

Et comment aurait-il parlé, en même temps que de la nature, de ce qui donne à la vie privée son embellissement et tout son charme, des femmes qu’il aimait, mais qu’au fond il estimait assez peu, dont il décomposait et niait les plus naturelles vertus par la bouche de Ninon, et en faveur de qui, sous le nom de Bernier, et pour tout réparer, il se contentait de dire : « Maintenons dans les deux sexes autant que nous le pourrons ce qui nous reste de l’esprit de chevalerie… » Mais ce reste d’esprit de chevalerie qui, dès lors bien factice et tout à l’écorce, était bon pour entretenir la politesse dans la société, est loin de suffire pour renouveler et pour réjouir sincèrement le fond de l’âme, pour inspirer le respect et l’inviolable tendresse envers une compagne choisie, et pour former au sein de la retraite une image de ce bonheur dont le grand poète Milton a montré l’idéal dans ces divines et pudiques amours d’Adam et Ève aux jours d’Éden. […] — Dieu vous a formé dans un dessein plus sage, non pour porter des chaînes, mais pour subjuguer ; il vous appelle à lutter contre vos ennemis, et tout d’abord vous impose un combat contre vous-même, le plus rude de tous.

989. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

Mieux vaut restreindre ces études aux grands objets et y faire pénétrer d’une main sûre la jeunesse de nos lycées, que de les étendre hors de propos sur des détails qu’aucun lien logique ne rattache au plan général… Aussi, les professeurs des lycées, convaincus que leur mission n’est pas de former quelques chimistes, mais bien de faire circuler dans la masse même de la nation les connaissances chimiques les plus générales et les plus utiles, ne s’élonneront pas d’avoir à revenir trois fois, en trois ans, sur l’exposition des principes. […] quoique notre état social ait complètement changé depuis mille ans, quoique les portes de la science aient été enfoncées par les laïques, c’était encore, il y a cinquante ans, la méthode ecclésiastique que l’on suivait dans l’éducation, et il fallait une révolution comme celle de 89 et un homme comme Napoléon pour élever au-dessus des langues mortes les sciences physiques et mathématiques qui doivent être le but de notre société actuelle, car elles forment des travailleurs au lieu de créer des oisifs.

990. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — I » pp. 93-111

Il se forma en grande partie lui-même, si l’on en juge par l’aperçu qu’il a donné de sa première éducation : À la fin de 1709, dit-il, je fus mis au collège avec mon frère. […] Vers 1725, il s’était formé à Paris, chez l’abbé Alary, de l’Académie française, une conférence politique qui se tenait tous les samedis ; et comme l’abbé demeurait à un entresol, place Vendôme, dans la maison du président Hénault, la société avait pris nom l’Entresol C’était à la fois un essai de club à l’anglaise et un berceau d’Académie des sciences morales et politiques.

991. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Œuvres complètes de Molière »

Si l’on veut se figurer l’aspect de cette chambre et se former une idée de ceux qui l’habitaient, il faut, après une visite aux musées de Clunv et du Louvre (collection Sauvageot), et après avoir feuilleté l’œuvre d’Abraham Bosse, relire l’inventaire de Marie Cressé. […] Moland nous dépeint au sortir de là, le Molière âgé de trente-six ans, rompu au métier, maître enfin de son art et avec la pleine conscience de son génie, est bien celui que nous connaissons et que tout Paris va applaudir : « Si l’apprentissage était rude, nous dit le judicieux critique, il était aussi merveilleusement propre à former l’auteur comique.

992. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite et fin.) »

Les juges, à force d’examiner et de voir de près, achevèrent de se former. […] Chez Gustave Planche, la morgue habituelle compromettait trop souvent le bon sens ; chez d’autres moins hautains, l’étude constante venait à l’appui de la finesse des aperçus et donnait toute valeur à la sagacité des analyses : les Paul Mantz, les Chennevières se sont formés de la sorte.

993. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Émile n’a cessé depuis de se former et d’apprendre ; il ne tardera pas à en appeler de ces trois classes, et, tout en marquant toujours sa place dans les premiers rangs, il ne verra bientôt plus autour de lui qu’une société moderne, ouverte à tous, et ne portant sur sa bannière que trois mots inscrits : Activité, talent, fortune. […] Enfin au lendemain de février 1848, après la proclamation de la République, un projet de députation ayant été formé dans les Écoles pour aller rendre un hommage public à la mémoire d’Armand Carrel sur sa tombe, M. de Girardin déclara qu’il y serait des premiers et se joindrait au cortège, ce qu’il ne manqua pas de faire.

994. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

De tous les livres que j’ai lus, Don Quichotte est celui que j’aimerais mieux avoir fait : il n’y en a point, à mon avis, qui puisse contribuer davantage à nous former un bon goût sur toutes choses. […] Depuis que je formais ce vœu, le Voyage au Parnasse a été traduit en français pour la première fois par le docteur Guardia, Si compétent à tous égards (1 vol. in-18,1864).

995. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat. »

Y avait-il lieu à une révolution dans l’idée qu’on doit se former dorénavant de ces illustres personnes, à un bouleversement d’opinion du tout au tout ? […] N’oublions jamais de combien d’éléments nombreux, multiples, continus, et qui ne sauraient être remis en question (même quand on n’en a pas toujours les preuves comme ici), se forment et se composent ces sortes de réputations solides et assises, du genre de celle qui constituait le renom universel et avéré de Catinat.

996. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Exploration du Sahara. Les Touareg du Nord, par M. Henri Duveyrier. »

Autrefois les eaux qui descendaient du massif des montagnes, habitées aujourd’hui par les Touareg du Nord, se réunissaient probablement pour former un fleuve que les Anciens paraissent avoir eu en vue sous le nom de Gir ou Niger (qui n’a rien de commun avec l’autre Niger) et qui n’est plus qu’un lit desséché. […] La filiation des Touareg, certaine en gros et pour le corps de la nation, est d’ailleurs fort obscure et fort mêlée dans le détail ; ne les interrogez pas de trop près sur leur généalogie : un d’Hozier leur manque, et de l’aveu même des plus instruits d’entre eux : « Si tu nous demandes, disent-ils, de mieux caractériser les origines de chaque tribu et de distinguer les nobles des serfs, nous te répondrons que notre ensemble est mélangé et entrelacé comme le tissu d’une tente dans lequel entre le poil du chameau avec la laine du mouton : il faut être habile pour établir une distinction entre le poil et la laine. » Les Touâreg forment une confédération aristocratique.

997. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, par M. A. Chéruel »

Ce volume est des mieux faits, des plus essentiels, et formera désormais un indispensable appendice des Mémoires de Saint-Simon. […] Quand j’ai entendu toutes les critiques qu’on peut faire sur Saint-Simon, je me surprends, malgré tout, à former un dernier vœu : Que ne sommes-nous affligés d’un Saint-Simon pour chaque période de notre histoire !

998. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Mais autour de lui, et sous son influence, se formait peu à peu une opinion qui gagnait et qui avait ses courants de toutes parts dans ce haut monde officiel, où chacun commençait à penser à soi. […] — Le prince était orné de quatorze bonnets superposés les uns sur les autres, ce qui formait plaisamment un grand édifice sur sa petite figure30. — Comme je l’avais pressenti, il fut causeur, et je sus tout.

999. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « HISTOIRE de SAINTE ÉLISABETH DE HONGRIE par m. de montalembert  » pp. 423-443

., forment déjà une chaîne assez complète et brillante. […] Un sentiment supérieur à l’idée de louange, et qui se formait en moi à cette lecture, est le respect qu’inspirent de semblables travaux pour la jeune vie, d’ailleurs si ornée, qui s’y consacre avec ardeur.

1000. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

1837 On a beaucoup parlé, dans ces derniers temps, de poésie populaire ; on en a remis en honneur le règne et la floraison, trop oubliés jusqu’alors, et qui avaient orné un certain âge adolescent de la vie des nations ; on est même allé jusqu’à se figurer un temps privilégié où la poésie circulait comme dans l’air, où chacun plus ou moins y participait, et où l’œuvre admirée se formait du génie de tous. […] Sur trente têtes trente fagots sautillaient, et trente voix formaient, comme en partant, même concert avec même refrain.

1001. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

remy n’ait pas été à cette époque en âge de se former un avis ; on peut conjecturer, au ton dont il en parle, que cette supposition ne lui aurait pas déplu ; ce qui est bien certain, c’est que M. […] remy n’hésite pas ; pour dernier mot, il conclut que « la place d’André Chénier ne sera jamais celle des écrivains classiques dignes d’être proposés comme modèles, sans restriction, aux étrangers et aux jeunes esprits dont le goût n’est pas entièrement formé. » Chénier aurait pris certainement son parti de cette sentence ; jamais poëte digne de ce nom ne s’est proposé un tel but ni de pareils honneurs scholaires.

1002. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre II. Les privilèges. »

Les rivières non navigables sont à lui, ainsi que les îlots et atterrissements qui s’y forment et le poisson qui s’y rencontre. […] Ailleurs, par le retrait censuel, il peut « garder pour son compte toute propriété vendue, à charge de rembourser l’acquéreur, mais en prélevant à son profit le droit des lods et ventes ». — Remarquez enfin que tous ces assujettissements de la propriété forment, pour le seigneur, une créance privilégiée tant sur les fruits que sur le prix du fonds, et, pour les censitaires, une dette imprescriptible, indivisible, irrachetable. — Voilà les droits féodaux : pour nous les représenter par une vue d’ensemble, figurons-nous toujours le comte, l’évêque ou l’abbé du dixième siècle, souverain et propriétaire de son canton.

1003. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

Il l’avait employé à former le cadre de la peinture des mœurs ou des caractères ; ou bien il en avait recherché les effets plaisants et ridicules ; ou bien il l’avait fait servir à provoquer des manifestations de l’humeur intime. […] Il excelle à marquer les origines insensibles du sentiment, les filets ténus dont le torrent se formera : dans le Jeu de l’amour et du hasard, un contraste de l’esprit et de la condition éveille l’attention de Dorante sur Silvia, celle de Silvia sur Dorante.

1004. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. L’Histoire »

Michelet veut voir comment la France est née, comment elle a formé sa personnalité morale, de quelle vie elle a vécu. […] Les Œuvres complètes forment 9 vol. in-8.

1005. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Il n’en est guère qui, grâce à la probité du métier, n’aient eu la bonne fortune de donner la forme qui dure à quelque sujet bien rencontré ; et l’on formera, l’on a formé déjà de charmantes anthologies, où tout est de premier ordre, parce que chacun fournit très peu.

1006. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XI. L’antinomie sociologique » pp. 223-252

On entend parfois par intégration sociale non la pression sociale au sein d’un groupe donné, mais la loi en vertu de laquelle des sociétés particulières s’agglomèrent et s’unifient pour former des sociétés de plus en plus vastes ou encore en vertu de laquelle de grands courants sociaux se forment, qui traversent à un moment donné toute une civilisation.

1007. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Discours sur l’histoire de la révolution d’Angleterre, par M. Guizot (1850) » pp. 311-331

Guizot forment tout un enchaînement ; on ne peut toucher à un anneau sans remuer, sans ébranler tout le reste. […] Le plus habituellement, c’est l’écrivain (Cicéron l’a remarqué) qui contribue à former l’orateur.

1008. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. » pp. 432-452

Là, pourtant, fut la souche première dont tout le reste est sorti ; la matière toute neuve dont, avec le temps et l’art, il forma sa gloire. […] Et pourtant, malgré l’affectation générale du style, qui répond à celle du caractère, malgré une recherche de fausse simplicité, malgré l’abus du néologisme, malgré tout ce qui me déplaît dans cette œuvre, je retrouve à chaque instant des beautés de forme grandes, simples, fraîches, de certaines pages qui sont du plus grand maître de ce siècle, et qu’aucun de nous, freluquets formés à son école, ne pourrions jamais écrire en faisant de notre mieux.

1009. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

Voici le plus joli couplet de cette agréable chansonnette : Belles qui formez des projets, Trente ans est pour vous le bel âge ; Vous n’en ayez pas moins d’attraits, Vous en connaissez mieux l’usage : C’est le vrai moment d’être heureux ; On plaît autant, on aime mieux. […] Je me suis demandé quelquefois l’effet que produirait un livre de M. de Balzac sur un honnête esprit, nourri jusqu’alors de la bonne prose française ordinaire dans toute sa frugalité, sur un esprit comme il n’y en a plus, formé à la lecture de Nicole, de Bourdaloue, à ce style simple, sérieux et scrupuleux, qui va loin, comme disait La Bruyère : un tel esprit en aurait le vertige pendant un mois.

1010. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand. (Berlin, 1846-1850.) » pp. 144-164

La négligence et l’incorrection avec lesquelles avaient été imprimées jusqu’ici les œuvres de Frédéric étaient pour quelque chose dans le peu d’estime que semblaient en faire ceux qui ne sont pas accoutumés à se former un jugement par eux-mêmes en toute matière. […] Tout à côté des mesures et des calculs dictés par une hardiesse prévoyante, il reconnaît ce qu’il doit à « l’occasion, cette mère des grands événements », et il est soigneux de faire en toute rencontre la part de la fortune : Ce qui contribua le plus à cette conquête, dit-il, c’était une armée qui s’était formée pendant vingt-deux ans par une admirable discipline ; et supérieure au reste du militaire de l’Europe (remarquez l’hommage à son père) ; des généraux vrais citoyens, des ministres sages et incorruptibles, et enfin un certain bonheur qui accompagne souvent la jeunesse et se refuse à l’âge avancé.

1011. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

Cette nation qu’avait ébauchée avant lui le Grand Électeur, il acheva de la former, de lui donner un corps, de lui imprimer l’unité d’esprit : la Prusse n’exista réellement qu’au sortir de ses mains. […] Pourtant Frédéric se forma vite ; il se forme à vue d’œil dans cette correspondance, et il vient un moment où il possède et manie sa prose française de manière à tenir tête vraiment à Voltaire.

1012. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

De même dans ce qu’il a dit de Catherine, tout en reconnaissant aussitôt que la nature semblait l’avoir formée pour la plus haute élévation, il ne paraît pas s’être rendu tout à fait compte de ce génie viril qui allait la classer, avec Élisabeth d’Angleterre, dans le petit nombre des grands monarques. […] « Les gens d’esprit se permettent quelquefois des bons mots, disait-il, mais il n’y a que les sots qui fassent des méchancetés. » Plus de quinze ans s’étaient écoulés depuis la mort de Rulhière, lorsqu’en 1806 Napoléon, ayant formé des desseins sur la Pologne et contre la Russie, crut utile à ses vues de faire publier l’ouvrage manuscrit qu’avait laissé Rulhière, et qui avait pour titre : Histoire de l’anarchie de Pologne et du démembrement de cette république.

1013. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Charles Perrault. (Les Contes des fées, édition illustrée.) » pp. 255-274

Voici en ce sens quelques vers qui ne me semblent nullement méprisables : À former les esprits comme à former les corps, La Nature en tous temps fait les mêmes efforts ; Son Être est immuable, et cette force aisée Dont elle produit tout ne s’est point épuisée : Jamais l’astre du jour qu’aujourd’hui nous voyons N’eut le front couronné de plus brillants rayons ; Jamais dans le printemps les roses empourprées, D’un plus vif incarnat ne furent colorées : Non moins blanc qu’autrefois brille dans nos jardins L’éblouissant émail des lis et des jasmins, Et dans le siècle d’or la tendre Philomèle, Qui charmait nos aïeux de sa chanson nouvelle, N’avait rien de plus doux que celle dont la voix Réveille les échos qui dorment dans nos bois : De cette même main les forces infinies Produisent en tout temps de semblables génies.

1014. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — I. » pp. 401-420

Il fallut trouver à cette jeune reine, qui n’était encore qu’une enfant de treize ans, un guide, une conseillère expérimentée, pour la former, pour lui apprendre à ne rien choquer autour d’elle et à représenter avec dignité. […] Mais ce sont là de ces conjectures qu’il est trop aisé de former à l’occasion d’un cœur de femme et trop impossible de vérifier.

1015. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers libre  »

Ces deux vers de Racine se coupent ainsi : Oui je viens | dans son temple | adorer | l’Eternel Je viens | selon l’usage | antique | et solennel « Leur unité vraie n’est pas le nombre conventionnel du vers, mais un arrêt simultané du sens et du rythme sur toute fraction organique du vers et de la pensée.  » En d’autres termes, le distique est formé de huit petits vers de trois, trois, trois, trois ; deux, quatre, deux, quatre syllabes, — le vers étant « un fragment le plus court possible figurant un arrêt de voix et un arrêt de sens ». […] Un autre, formé encore de trois éléments, six, quatre et quatre, ce qui donne l’impression d’un alexandrin à deux accents prolongé comme par un geste qui se maintient.

1016. (1889) Émile Augier (dossier nécrologique du Gaulois) pp. 1-2

Détail curieux : la semaine dernière, pour fêter le retour d’un de ses parents, il faisait déboucher une bouteille de château-lafitte, et formait des projets pour le jour où il aurait quitté le lit. […] C’est une coquette villa, composée d’un rez-de-chaussée, d’un premier étage et d’un sous-sol, et formée d’un pavillon central, flanqué de deux ailes symétriques.

1017. (1767) Salon de 1767 « Adressé à mon ami Mr Grimm » pp. 52-65

C’est un vieux conte, mon ami, que pour former cette statue, vraie ou imaginaire que les anciens appeloient la règle et que j’appelle le modèle idéal ou la ligne vraie, ils aient parcouru la nature, empruntant d’elle, dans une infinité d’individus, les plus belles parties dont ils composèrent un tout. […] Le célèbre Garrick disoit au chevalier de Chastelux, quelque sensible que nature ait pu vous former, si vous ne jouez que d’après vous-même, ou la nature subsistante la plus parfaite que vous connoissiez, vous ne serez que médiocre… médiocre !

1018. (1892) L’anarchie littéraire pp. 5-32

Chacun, selon son tempérament, par le livre, sur la scène ou avec le journal, eût concouru à former dans le domaine de l’éducation, cette synthèse d’action révolutionnaire sans laquelle on ne peut réaliser que de rares progrès partiels. » J’en fus tout simplement pour mes frais d’imagination. […] Socialistes Ceux qui pensent que l’Art est dans la meilleure harmonie de l’association forment le groupe des Socialistes.

1019. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre II : M. Royer-Collard »

Lui-même, après une éducation toute religieuse, grave, studieux, muni de convictions fortes, éprouvé par la proscription, formé pour gouverner les hommes sans les contraindre, et préparé à la politique par la morale, il entrait dans les affaires publiques, lorsque l’anarchie du Directoire et le despotisme de l’Empire lui fermèrent la carrière pour laquelle il était né et il était prêt. […] Gardez plutôt la théorie qui déclare les vivants tout formés dans l’ovaire ; dites que l’animal ne se crée pas, qu’il s’accroît ; que, fabriqué tout entier d’avance, il est aussi compliqué au premier qu’au dernier jour, que sa grosseur change, non sa structure ; qu’Ève contenait incluses les unes dans les autres, achevées et complètes, les cent quatre-vingts générations qui d’elle ont transmis la vie jusqu’à nous.

1020. (1874) Portraits contemporains : littérateurs, peintres, sculpteurs, artistes dramatiques

Il voulut former une association dans le goût de celle qui réunissait Ferragus, Montriveau, Ronquerolles et leurs compagnons. […] Il aimait les livres, et il s’était formé une belle bibliothèque qu’il avait l’intention de laisser à sa ville natale, idée dont l’indifférence de ses compatriotes à son endroit le fit plus tard revenir. […] Un bouquet de violettes fané, un bout de ruban défraîchi, une boucle de cheveux sous verre, un gant perdu, formaient la bibliothèque du poëte. […] Qui sait de combien de gouttes hétérogènes est formée la liqueur rouge qui coule sous notre peau ? […] Sur un rideau d’un vert brillant et pur, formé par les vignes et les orangers qui se mêlent et s’entrelacent, on voit scintiller le rouge sémillant de la grenade, qui s’ouvre pour offrir, la coquette !

1021. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « SAINTE-BEUVE CHRONIQUEUR » pp. -

Cela a toujours été un peu ainsi : la presse littéraire n’est pas du tout libre en France ; il s’est formé de tout temps des coalitions de journaux au profit de telles ou telles coteries.

1022. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XI » pp. 39-46

Autour des trois ou quatre points de droit qui constituaient la jurisprudence gallicane, il s’était formé, à l’abri des parlements et de l’ancienne Université, une sorte d’esprit religieux modéré, assez libre, tout à fait tempéré, dans lequel de beaux génies avaient pu vivre et qui convenait aux raisons droites et modestes.

1023. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXIII » pp. 133-140

C'est comme une terre peu grasse naturellement et peu féconde, une terre fine, un peu maigre, que la culture et des engrais successifs ont amendée et comme formée, et qui sur sa couche délicate, à l’abri des vents et moyennant des murailles bien exposées, porte d’aimables fleurs et des fruits assez savoureux.

1024. (1875) Premiers lundis. Tome III « Le roi Jérôme »

Les plus nobles natures, quand elles sont déjà faites et formées, éprouvent de la difficulté à ce rôle complexe qui exige des qualités presque contraires.

1025. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

Massillon, Fléchier, hasardaient quelques principes indépendants à l’abri de saintes erreurs ; Pascal vivait dans le monde intellectuel des sciences et de la métaphysique religieuse ; La Rochefoucauld, La Bruyère, peignaient les hommes dans le cercle des sociétés particulières, avec une prodigieuse sagacité : mais comme il n’y avait point encore de nation, les grands traits des caractères politiques, qui ne sont formés que par les institutions libres, ne pouvaient y être dessinés.

1026. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre V. Résumé. »

À leur tête, le roi, qui a fait la France en se dévouant à elle comme à sa chose propre, finit par user d’elle comme de sa chose propre ; l’argent public est son argent de poche, et des passions, des vanités, des faiblesses personnelles, des habitudes de luxe, des préoccupations de famille, des intrigues de maîtresse, des caprices d’épouse gouvernent un État de vingt-six millions d’hommes avec un arbitraire, une incurie, une prodigalité, une maladresse, un manque de suite qu’on excuserait à peine dans la conduite d’un domaine privé  Roi et privilégiés, ils n’excellent qu’en un point, le savoir-vivre, le bon goût, le bon ton, le talent de représenter et de recevoir, le don de causer avec grâce, finesse et gaieté, l’art de transformer la vie en une fête ingénieuse et brillante, comme si le monde était un salon d’oisifs délicats où il suffit d’être spirituel et aimable, tandis qu’il est un cirque où il faut être fort pour combattre, et un laboratoire où il faut travailler pour être utile  Par cette habitude, cette perfection et cet ascendant de la conversation polie, ils ont imprimé à l’esprit français la forme classique, qui, combinée avec le nouvel acquis scientifique, produit la philosophie du dix-huitième siècle, le discrédit de la tradition, la prétention de refondre toutes les institutions humaines d’après la raison seule, l’application des méthodes mathématiques à la politique et à la morale, le catéchisme des droits de l’homme, et tous les dogmes anarchiques et despotiques du Contrat social  Une fois que la chimère est née, ils la recueillent chez eux comme un passe-temps de salon ; ils jouent avec le monstre tout petit, encore innocent, enrubanné comme un mouton d’églogue ; ils n’imaginent pas qu’il puisse jamais devenir une bête enragée et formidable ; ils le nourrissent, ils le flattent, puis, de leur hôtel, ils le laissent descendre dans la rue  Là, chez une bourgeoisie que le gouvernement indispose en compromettant sa fortune, que les privilèges heurtent en comprimant ses ambitions, que l’inégalité blesse en froissant son amour-propre, la théorie révolutionnaire prend des accroissements rapides, une âpreté soudaine, et, au bout de quelques années, se trouve la maîtresse incontestée de l’opinion  À ce moment et sur son appel, surgit un autre colosse, un monstre aux millions de têtes, une brute effarouchée et aveugle, tout un peuple pressuré, exaspéré et subitement déchaîné contre le gouvernement dont les exactions le dépouillent, contre les privilégiés dont les droits l’affament, sans que, dans ces campagnes désertées par leurs patrons naturels, il se rencontre une autorité survivante, sans que, dans ces provinces pliées à la centralisation mécanique, il reste un groupe indépendant, sans que, dans cette société désagrégée par le despotisme, il puisse se former des centres d’initiative et de résistance, sans que, dans cette haute classe désarmée par son humanité même, il se trouve un politique exempt d’illusion et capable d’action, sans que tant de bonnes volontés et de belles intelligences puissent se défendre contre les deux ennemis de toute liberté et de tout ordre, contre la contagion du rêve démocratique qui trouble les meilleures têtes et contre les irruptions de la brutalité populacière qui pervertit les meilleures lois.

1027. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Avertissement »

Le but que j’ai poursuivi est le but général de toute l’éducation : former la raison et le jugement.

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