Le plus grand des mathématiciens, dans ses habitudes d’abstraction philosophique et de pures jouissances intellectuelles, estimait que ces détails d’arrangement et de ménage humain, dont au reste il savait doucement s’accommoder, ne méritent pas qu’on y prenne parti ni qu’on s’en émeuve ; et comme le disait spirituellement M.
Mais quand le public a une fois goûté à ces mets fortement épicés et en a pris l’habitude, il veut toujours des ragoûts de plus en plus forts.
En ce sens, notre vieux Mystère a quelque chance de ne pas être tout à fait oublié : en faisant bon marché de l’œuvre comme art, comme élévation, comme composition, on pourra toujours le consulter pour ces quelques scènes, quand on voudra donner une idée fidèle et piquante de la vie de salon, des habitudes et du ton de la société galante et déjà polie au xve siècle.
C’est par un effet de cette même habitude d’ordre et de comptabilité privée, qu’au milieu des affaires les plus suivies de son intendance de Montauban, il songeait encore à noter sur un petit papier : « 1679, tel mois, j’ai prêté cinq louis d’or à M. le duc d’Elbeuf, qu’il ne m’a pas rendus. » Le bourgeois Foucault tient de son père d’être exact et strict en tout.
La nature de son esprit aussi bien que l’éducation première qu’il a reçue, son milieu d’enfance et de jeunesse, l’ensemble de ses, habitudes et de ses mœurs, le disposaient à être tout d’abord le peintre le plus distingué de l’honnête et élégante bourgeoisie, de la bonne compagnie de province, de la noblesse qui vit encore dans ses châteaux.
. — Le bon Sosie ne manque pas de glisser de nouveau son proverbe et de pousser, selon son habitude, l’idée de son maître jusqu’à en faire une maxime : « C’était bien sage à lui, dit-il, d’en agir ainsi ; car, par le temps qui court, la complaisance engendre l’amitié, la vérité fait des ennemis. » — « Cependant, poursuit le père, voilà bien trois ans de cela, arriva ici dans le voisinage une femme d’Andros, sans parents, pauvre, belle, à la fleur de l’âge. » — « Aïe !
Tout différait entre eux et, sous les politesses de forme, tendait à faire glace au fond : origines, sphères d’idées, tour et qualité d’esprit, ton et habitudes morales, politique enfin.
Duveyrier père, alors jeune avocat, patriote, un des ardents électeurs de 89, attendait avec impatience Mirabeau qui ne rentrait pas de l’Assemblée ; il était dans le cabinet de l’éloquent tribun qui, selon son habitude, avait ordonné qu’on lui tînt un bain tout préparé pour se délasser au retour : « Il arrive enfin, il entre dans un enthousiasme facile à se figurer : “Ah !
Il n’est pas moins vrai que le jeune abbé malgré lui, fier et délicat comme il était, dut ressentir avec amertume l’injustice des siens : quoique d’un rang si distingué, il entrait dans le monde sous l’impression d’un passe-droit cruel dont il eut à dévorer l’affront ; il se dit tout bas qu’il saurait se venger du sort et fixer hautement sa place, armé de cette force qu’il portait en lui-même, et qui déjà devenait à cette heure la première des puissances, — l’esprit si la théologie avait pu être en passant une bonne école de dialectique, il faut convenir encore que cette nécessité où il se vit aussitôt de remplir des fonctions sacrées, sans être plus croyant que l’abbé de Gondi ; que cette longue habitude imposée durant les belles années de la jeunesse d’exercer un ministère révéré et de célébrer les divins mystères avec l’âme la moins ecclésiastique qui fût jamais, était la plus propre à rompre cette âme à l’une ou l’autre de ces deux choses également funestes, l’hypocrisie ou le scandale.
Dans cette triste inquiétude On passe ainsi la vie à chercher le bonheur : A quoi sert de changer de lieux et d’habitude, Quand on ne peut changer son cœur ?
En France, la puissance du ridicule finit toujours par ramener à la simplicité ; mais dans un pays, comme l’Allemagne, où le tribunal de la société a si peu de force et si peu d’accord, il ne faut rien risquer dans le genre qui exige l’habitude la plus constante et le tact le plus fin de toutes les contenances de l’esprit.
L’esprit humain ne peut avoir son développement, ne peut faire de véritables progrès, qu’en arrivant à l’impartialité la plus absolue, en effaçant au-dedans de soi la trace de toutes les habitudes, de tous les préjugés, et se faisant, comme Descartes, une méthode indépendante de toutes les routes déjà tracées.
Il brisera les formes trop arrêtées, trop fixes, qui ne se laissent plus manier par la pensée de l’artiste, ces habitudes tyranniques de composition et de style qui filtrent pour ainsi dire l’inspiration et éliminent l’originalité : en brisant les genres, les règles, le goût, la langue, le vers, il remettait la littérature dans une heureuse indétermination, dans laquelle le génie des artistes et l’esprit du siècle chercheraient librement les lois d’une reconstitution des genres, des règles, du goût, de la langue, du vers.
Ceux-ci viennent du Parnasse plus directement que ceux-là ; ils restent liés à lui par des habitudes difficiles à rompre et, sans qu’ils s’en doute je crois, négligent à ce point de vue les conquêtes nouvelles pour continuer la réaction d’hier contre les derniers Romantiques.
Il méprisa du même coup la raison, l’ordre, l’économie, domestique et les mœurs qu’on a l’habitude d’honorer.
C’est à ce besoin de changement que répondent mille choses dans la vie de tous les jours : l’institution des récréations et des vacances dans les écoles ; l’habitude d’entremêler dans l’enseignement divers sujets d’études, histoire, langues, mathématiques ; les brusques volte-face de la mode ; le goût des voyages et des jeux ; les règles de rhétorique qui recommandent à l’écrivain de réveiller l’attention par la diversité des tournures, etc.
. ; par la répétition et l’habitude, ces notions se sont fondues en un tout qui est perçu presque instantanément.
La noble mère de Marie-Antoinette, de qui elle tenait ce nez d’aigle et ce port de reine, lui imprima le cachet de sa race ; mais ce caractère impérial, qui reparaissait aux grands moments, n’était pas celui de l’habitude de son esprit, de son éducation et de son rêve ; elle ne se retrouvait la fille des Césars que par saillies.
Après que la première Fronde fut apaisée, et avant que la seconde éclatât, Retz semble avoir eu par moments des intentions sincères de se ranger, de redevenir honnête homme et fidèle sujet ; mais sa réputation passée pesait sur lui autant que les habitudes prises, et le rengageait bientôt dans les voies de la sédition.
De tels réservoirs de hautes pensées sont nécessaires pour que l’habitude ne s’en perde point absolument, et que la pratique n’use pas tout l’homme.
Les hommes sont en général des animaux d’habitude, qui ne changent d’allure que lorsqu’ils sont vexés dans celle qu’ils avaient coutume de tenir.
Pour commencer par le point qui offre le plus de prise aux conjectures ; lorsque notre régime constitutionnel sera affermi, lorsque nos habitudes sociales seront prises, nous imposerons à tous les peuples une éloquence parlementaire inconnue jusqu’à présent.
Naturellement tous ces débris s’assemblent, emportés par un courant d’éloquence, et dirigés à peu près dans le même sens par les habitudes françaises et par l’éducation psychologique de l’auteur.
Mais son premier gouvernement, dont il lui resta toujours quelque chose de rapide et d’impérieux, son patriciat sacerdotal et militaire, ses habitudes d’épargne et d’avidité, en faisaient un peuple politique, et nullement artiste comme les Grecs.
Et ce dernier et involontaire retour aux habitudes d’âme, aux conventions morales qui ont déjà fait le malheur de sa vie, a pour résultat de hâter la crise où doit succomber son enfant ! […] Ou bien est-ce qu’au dix-septième siècle déjà la religion n’était plus, chez la plupart des habitants du bon pays de France, qu’une chose de discipline extérieure et une habitude transmise ? […] Nous prenons tout doucement l’habitude, au théâtre, de changer le point de départ des comédies de l’adultère. […] C’est difficile pour nous, bonnes gens de nature tempérée, qui au surplus nous surveillons de près, qui avons de longues habitudes de modération et de sagesse, et qui sommes devenus tout à fait impropres aux passions tragiques, à celles qui font qu’on meurt ou qu’on tue. […] Et quand d’aventure il découvre que ses habitudes d’observation et de « dédoublement » ont laissé subsister en lui quelque sentiment naturel, il en marque une surprise où je soupçonne quelque fatuité.
L’habitude se contracte vite de tout juger au point de vue de l’histoire, même les événements quotidiens dont on garde une information minutieuse, mais sans y prendre un intérêt immédiat : ils sont si neufs ! […] C’est, dit-on, une des plus sûres conclusions de l’histoire, que cette loi des modifications apparentes de l’Art, au cours des modifications sociales, dans ses habitudes d’expression et même, du moins pour un temps, d’idéal. […] La Bruyère serait plus indulgent et peut-être voudrait-il nous amuser, mais il nous attriste encore avec cette comédie de nos manies, de nos défaillances, des mille torts de nos habitudes et de nos attitudes… — Quel parti prendre ? […] On a trop pris l’habitude de le personnifier en Victor Hugo. […] Le style d’un homme est dans l’habitude de son attitude, dans le son de sa voix, dans sa manière de regarder, de marcher, de s’asseoir, de porter ses vêtements, jusque dans les plis que prennent à la longue ces vêtements — puisque le corps n’est que la forme de l’âme — aussi bien que dans son écriture.
Leur longue habitude du crime ne les a pas déracinés tout à fait de l’humanité, à laquelle ils tiennent encore par des fibres saignantes. […] Et, craignant seulement de le perdre, elle prenait les goûts et les habitudes d’un soldat pour être toujours à son côté. […] Il est certain qu’elles ont l’inconvénient de nous troubler dans nos habitudes. […] J’avoue que je suis choqué quand un poète y manque par mégarde ; l’impression pénible que j’éprouve provient moins, peut-être, d’une délicatesse de l’oreille, que du sentiment d’une irrégularité qui me trouble dans mes habitudes. […] Les habitudes négligées de sa personne et de son vêtement, son allure courbée, son regard vague, sa parole sourde et comme intérieure, tout en lui trahissait l’homme songeur et méditatif.
. — C’est la sélection naturelle, le combat pour la vie, la loi de Darwin appliquée à la littérature : on ne survit invinciblement qu’en raison de sa force ou de son génie, de même que c’était en raison de cette force et de ce génie qu’on avait commencé par déranger les habitudes d’esprit de ses contemporains, par les scandaliser, par les révolter, par soulever leurs critiques, leurs railleries et leurs injures, en faisant un trou, comme un boulet, dans leurs préjugés, dans leur ancien régime poétique. […] A quoi attribuer cette habitude, ce tour d’esprit oratoire et plaideresque, comme dirait Montaigne, ce procédé si répété, de notre grand poète dramatique ? […] Ceux que l’on nomme aujourd’hui classiques, avons-nous dit, et qui sont désormais en possession d’une gloire incontestée, ont commencé par être des révolutionnaires littéraires, qui dérangeaient les habitudes d’esprit de leurs contemporains, qui soulevaient leurs railleries et leurs injures, en heurtant les règles établies, les préjugés, les vieux systèmes, tout l’ancien régime poétique. […] Cette habitude lui resta, même après qu’il eut quitté les armes pour le théâtre. […] Il demande à son valet, Cliton, Parisien de vieille roche et qui n’a jamais quitté la grand’ ville, de le mettre un peu au courant des habitudes, des usages, de la mode.
Elle s’explique encore par les habitudes du théâtre. […] Elle est femme après tout, et c’est seulement l’habitude de ces sortes de choses qui lui manque. […] Régnier respecte, non pas le texte, mais les coupures que les habitudes des comédiens ont faites dans le texte. […] Mais il a dit de plus que Racine était un poète, et vraiment, voilà ce que depuis trop longtemps on a comme perdu l’habitude de dire, et même de remarquer, et même, je crois, de penser. […] Les plaidoiries déclamatoires et ridicules sont une excellente et très exacte parodie des habitudes du barreau à cette époque.
Un artiste conforme au type normal est un grand égoïste qui s’ignore et croit sincèrement n’aimer que son art, Dieu ou l’humanité, de même qu’un chrétien conforme au type normal se fait une habitude et une seconde nature d’un continuel renoncement, dont le premier mobile est cependant l’intérêt de son être spirituel. […] Ayant pris l’habitude et le besoin de ces idées fondamentales, nous nous sentons obligés de conserver avec un soin jaloux le culte des chefs-d’œuvre d’où elles procèdent. […] Une certaine ignorance naïve de sa propre valeur le caractérise aussi d’habitude ; sa profondeur est à la fois plus riche et moins claire que la belle intelligibilité du talent, si lucide toujours et si parfaitement conscient de lui-même. […] Il en est des classiques qu’on découvre après la clôture de la liste comme de ces auteurs modernes, inédits ou ignorés, qui, n’ayant pas eu l’esprit de se faire connaître de leur génération, ne pourront plus, sans un miracle, être acceptés de la postérité : ce sont des intrus qui dérangent nos habitudes. […] L’habitude d’expliquer les faits simplement, sans errer dans les nuages de la théorie et de l’hypothèse, communique à l’esprit un goût sain pour ce qui est clair et solide, qui l’empêche de se plaire aux questions bavardes d’une indiscrète curiosité.
Le malheur, c’est que nous ne pouvons même pas démêler à quel point et sur quoi nous sommes victimes ou dupes de l’habitude et de la tradition. […] Même il serait curieux que, après la faute de Cécile, elle crût encore, par habitude, à son ignorance (une enfant si bien élevée ! […] Et, d’ailleurs, le propre de toute passion désordonnée n’est-il pas de troubler, d’obscurcir, d’abuser les âmes qu’elle possède, et de faire servir à cette duperie jusqu’à leurs habitudes de repliement et leur adresse à se scruter ? […] Car, les âmes ne l’intéressant qu’en tant qu’elles sont descriptibles et définissables par des mots habilement enchaînés, il perdra l’habitude et bientôt ne se croira même plus le droit de les juger au nom d’une règle morale. […] Etienne Fériaud est un homme d’aujourd’hui, intelligent, curieux, sensuel, peu passionné, affaibli et énervé par l’habitude de l’ironie et du dédoublement de soi.
Et ce n’est certes pas mauvaise foi de l’écrivain, mais pli de méthode, habitude de ne voir qu’une face des choses. […] Pour Byron, Taine va jusqu’à s’enquérir de ses habitudes de table et à relever des menus de souper. […] Quelqu’un qui l’a bien connu9 disait, au lendemain de sa mort, le désaccord douloureux qui, de jour en jour, s’était aggravé entre les aspirations de son âme et les habitudes de son intelligence. […] Le caducée qu’il avait tenu des mains du précédent ministre, il le reprendra de celles d’Olivarès ; par habitude, nous dit-on. […] À qui pense vite par profession et livre sur-le-champ sa pensée, sans l’écrire, l’habitude vient trop souvent d’une forme trop ample, avec des vides sonores.
On le limite d’habitude aux événements dont nous avons conscience ; mais il est clair maintenant que la capacité d’apparaître à la conscience n’est propre qu’à certains de ces événements ; la majorité ne l’a pas. […] Dans tous ces cas, c’est sous la conduite de l’encéphale que la moelle a contracté des habitudes et reçu de l’éducation ; mais, séparée de l’encéphale, elle garde son éducation et conserve ses habitudes.
car vous venez pour quelque chose, et l’on ne vous voit guère d’habitude, étant comme vous êtes les premières des déesses. » Je force peut-être un peu le ton, mais je l’indique du moins. […] Médée, qui, d’habitude, se rend dès le matin au temple d’Hécate, dont elle est prêtresse, a été retenue ce jour-là au palais par une suggestion intime de Junon ; elle aperçoit les étrangers au moment où elle passe de son appartement dans celui de sa sœur ; elle pousse un cri de surprise ; Chalciope accourt et reconnaît ses fils, qui se jettent dans ses bras.
Les lettres de l’incomparable amie, qui vont d’une manière ininterrompue précisément à partir de ce temps-là, permettent de suivre toutes les moindres circonstances et jusqu’à l’heureuse monotonie de cette habitude profonde et tendre : « Leur mauvaise santé, écrit-elle, les rendoit comme nécessaires l’un à l’autre, et…leur donnoit un loisir de goûter leurs bonnes qualités qui ne se rencontre pas dans les autres liaisons… A la cour, on n’a pas le loisir de s’aimer : ce tourbillon qui est si violent pour tous étoit paisible pour eux, et donnoit un grand espace au plaisir d’un commerce si délicieux. […] Cousin en a, depuis, tiré parti avec bonheur, et aussi, selon son habitude, avec fanfare.
Il l’a mise du parti de son vice ; il a fini par croire aux vertus qu’il s’attribue ; l’habitude de la puissance a consacré l’habitude de l’injustice, et son hypocrisie est presque de la bonne foi.
Mais Voltaire a un esprit, une façon de prendre les choses, qui résulte de tout un ensemble d’habitudes intellectuelles. […] Observez d’abord que les esprits superficiels, qui en appellent sans cesse au bon sens, désignent par ce nom la forme très particulière et très bornée de coutumes et d’habitudes où le hasard les a fait naître.
non, un site vide d’habitudes et de lois, une solitude de monts, de champs et de forêts, une hauteur au milieu d’étendues impeuplées, des campagnes profondes où nul langage ne soit de droit, un pays sans oriflamme ; s’il est un site dans le monde où plane l’exceptionnalité du sans-patrie, qu’en ce terroir auguste s’élève l’édifice très abstrait du moderne théâtre. […] Des mois dura, par l’habitude et des vouloirs étrangers, le hantement des maisons universitaires, et j’appris étudier aux documents, lire les chronologies et savoir des choses qu’enferme une belle critique historique ; mais, depuis la triste décision des directeurs de l’École Normale, le démon musical s’était promu à une forte position en mon cœur ; les plus beaux procédés des critiques historiques eurent moins de mes faveurs ; elles allaient, mes faveurs, à la composition de musiques.
Aux endroits éclatants de ses œuvres, dans les scènes douces ou superbes, quand le paragraphe lentement échafaudé va se terminer par une idée grandiose ou une cadence sonore, Flaubert, usant d’habitude d’un « et » initial, balançant pesamment ses mots, qui roulent et qui tanguent comme un navire prenant le large, pousse d’un seul jet un flux de phrases cohérentes : « Trois fois par lune, ils faisaient monter leur lit sur la haute terrasse bordant le mur de la cour ; et d’en bas on les apercevait dans les airs sans cothurnes et sans manteaux, avec les diamants de leurs doigts qui se promenaient » sur les viandes, et leurs grandes boucles d’oreilles qui se penchaient entre les buires, tous forts et gras, à moitié nus, heureux, riant et mangeant en plein azur, comme de gros requins qui s’ébattent dans l’onde. » Et cette autre période, dans un ton mineur « Maintenant, il l’accompagnait à la messe, il faisait le soir, sa partie d’impériale, il s’accoutumait à la province, s’y enfonçait et même son amour avait pris comme une douceur funèbre, un charme assoupissant. […] Constitué comme une symphonie d’un allegro, d’un andante et d’un presto, le paragraphe type de Flaubert est construit d’une série de courtes phrases statiques, d’allure contenue, où les syllabes accentuées égalent les muettes ; d’une phrase plus longue qui, grâce d’habitude à une énumération, devient compréhensible et chantante, se traîne un peu en des temps faibles plus nombreux ; enfin retentit la période terminale dans laquelle, une image grandiose est proférée en termes sonores que rythment fortement des accents serrés.
Nous dirons plus : bien que nous ayons écrit nous-même une partie de notre faible poésie sous cette forme, par imitation et par habitude, nous avouerons que le rythme, la mesure, la cadence, la rime surtout, nous ont toujours paru une puérilité, et presque une dérogation à la dignité de la vraie poésie. […] L’habitude de n’entendre ou de ne lire jamais la poésie que dans ces formes sonores et symétriques fit confondre la poésie avec le vers, la liqueur avec le vase, la matière avec le moule.
Les sens usés au service d’une intelligence immortelle, qui tombent comme l’écorce vermoulue de l’arbre, pour laisser cette intelligence, dégagée de la matière, prendre plus librement les larges proportions de son immatérialité ; les cheveux blancs, ce symbole d’hiver après tant d’étés traversés sans regret sous les cheveux bruns ; les rides, sillons des années, pleines de mystères, de souvenirs, d’expérience, sentiers creusés sur le front par les innombrables impressions qui ont labouré le visage humain ; le front élargi qui contient en science tout ce que les fronts plus jeunes contiennent en illusions ; les tempes creusées par la tension forte de l’organe de la pensée sous les doigts du temps ; les yeux caves, les paupières lourdes qui se referment sur un monde de souvenirs ; les lèvres plissées par la longue habitude de dédaigner ce qui passionne le monde, ou de plaindre avec indulgence ce qui le trompe ; le rire à jamais envolé avec les légèretés et les malignités de la vie qui l’excitent sur les bouches neuves ; les sourires de mélancolie, de bonté ou de tendre pitié qui le remplacent ; le fond de tristesse sereine, mais inconsolée, que les hommes qui ont perdu beaucoup de compagnons sur la longue route rapportent de tant de sépultures et de tant de deuils ; la résignation, cette prière désintéressée qui ne porte au ciel ni espérance, ni désirs, ni vœux, mais qui glorifie dans la douleur une volonté supérieure à notre volonté subalterne, sang de la victime qui monte en fumée et qui plaît au ciel ; la mort prochaine qui jette déjà la gravité et la sainteté de son ombre sur l’espérance immortelle, cette seconde espérance qui se lève déjà derrière les sommets ténébreux de la vie sur tant de jours éteints, comme une pleine lune sur la montagne au commencement d’une claire nuit ; enfin, la seconde vie dont cette première existence accomplie est le gage et qu’on croit voir déjà transpercer à travers la pâleur morbide d’un visage qui n’est plus éclairé que par en haut : voilà la beauté de vieillir, voilà les beautés des trois âges de l’homme ! […] L’amitié solide, l’amour respectueux, la liberté d’esprit, la grâce de l’entretien, l’oisiveté d’habitude, le travail par amusement, la plaisanterie sans malice, la poésie sans prétention, la recherche du plaisir décent comme but d’une vie où rien n’est certain que la mort, le doute nonchalant sur les vérités morales, la philosophie des sens en un mot assaisonnée seulement des délicatesses du bon goût, prolongèrent jusqu’à quatre-vingt-dix ans les années toujours saines et l’esprit toujours productif du philosophe français.
Une habitude méchanique très-naturelle, surtout aux bons esprits, c’est de chercher à mettre de la clarté dans leurs idées, en sorte qu’ils exagèrent et que le point dans leur esprit est un peu plus gros que le point décrit, sans quoi ils ne l’appercevraient pas plus au dedans d’eux-mêmes qu’au dehors. […] Précautionnons donc nos artistes par un long séjour, par une habitude si invétérée, qu’ils ne puissent s’en départir contre l’absence des grands modèles, la privation des grands monumens, l’influence de nos petits usages, de nos petites mœurs, de nos petits manequins nationaux.
C’est une de ces petites farces de Molière, qu’il prit l’habitude de faire jouer après les pièces en cinq actes. […] On voit par là combien l’habitude a de puissance sur les hommes, et comme elle forme les différents goûts des nations.
Les rois et les comtes sont gens de loisir et de plaisir ; dans les grandes cours l’accident arrive, c’est l’habitude aujourd’hui : Jamais de si petit dommage Ne vis-je faire si grand rage ; Telle est cette œuvre à bon escient Que d’en trop parler ne vaut rien.
L’abbé Prévost a l’apologie persuasive : ici le cas était léger ; M. de Maurepas se laissa fléchir, et le fugitif, en retrouvant sa place auprès du prince de Conti, reprit sa même vie, ses mêmes sociétés faciles, et ses habitudes plus que jamais laborieuses.
On n’a besoin que d’une certaine activité nécessaire pour une prompte expédition, que d’embrasser des détails familiers par l’habitude, d’avoir présent à l’esprit le texte de quelques règlements, des formes prescrites, des usages qui ont force de loi.
Pour moi, je n’ai voulu, selon mon habitude, que payer ma dette envers une mémoire à la fois considérable et non toutefois populaire et vulgaire.
Poujoulat, dans une suite de Lettres adressées à un homme politique étranger, s’attache à montrer que Bossuet n’est pas seulement grand dans les ouvrages célèbres qu’on lit ordinairement de lui, mais qu’il est le même homme et le même génie dans toute l’habitude de sa pensée et dans l’ensemble de ses productions.
D’habitude il n’allait point dans le monde ; ses bonnes journées, c’étaient celles où il avait pu travailler depuis le commencement du jour jusqu’à la nuit : « Je suis si heureux quand je puis travailler autant !
Que de choses indispensables, de particularités à apprendre sur les usages, les habitudes, les circonstances journalières de la vie !
. — Je n’oserais dire de Balzac, si instruit, si docte même, qu’il n’a pas eu la connaissance d’Homère, mais je dirai sans crainte que l’habitude d’Homère lui a manqué. — Pascal, au génie sévère et à l’imagination sombre, le connaît peu ; il en parle comme de l’auteur d’un beau roman, il ne voit en lui que le père des mensonges.
Il résistait donc, autant qu’il l’osait faire, aux ordres de Paris, et il avait des objections, contre son habitude.
J’observe que les hommes ainsi disposés sont tous plus ou moins forts ou vifs, qu’ils ont de bonne heure contracté l’habitude d’exercer l’art de la parole et qu’ils sont aussi peu méditatifs.
Ce qui manqua, en effet, à Marolles doué d’une grande facilité et de dispositions vagues pour les lettres, ce fut précisément un maître digne de ce nom, qui lui transmît quelque chose des fortes habitudes et de la méthode du xvie siècle, et lui apprît à étudier les anciens avec précision, ou qui du moins l’avertît des dangers du trop de sans-gêne avec eux.
Féli (comme on l’appelait dans l’intimité) ; et il avait près de lui, d’habitude, quatre ou cinq jeunes gens qui, dans cette vie de campagne, poursuivaient leurs études avec zèle, selon un esprit de piété, de recueillement et d’honnête liberté.
Monsieur, cela n’y fait rien ; je prendrai tout de même… » — « Non, monsieur, je n’ai pas l’habitude de livrer de la musique en cet état ; j’ai voulu vous donner cette explication, car je ne manque jamais à ma parole. » — « Mais, monsieur… » — « Non, monsieur ; je vous demande seulement quelques jours pour refaire la copie. » Le jeune homme avait peine à sortir : Rousseau lui-même s’oublie ; la conversation se renoue et s’engage. « Jeune homme, à quoi vous destinez-vous ?
Je ne ferai ici ni la critique ni l’éloge de cette manière historique, la plus éloignée, je l’avoue, de mes goûts et de mes habitudes : qu’il me suffise de dire que M.
si l’on est d’un art particulier, tout en restant le confrère et l’ami des artistes, savoir s’élever cependant peu à peu jusqu’à devenir un juge ; si l’on a commencé, au contraire, par être un théoricien pur, un critique, un esthéticien, comme ils disent là-bas, de l’autre côté du Rhin, et si l’on n’est l’homme d’aucun art en particulier, arriver pourtant à comprendre tous les arts dont on est devenu l’organe, non-seulement dans leur lien et leur ensemble, mais de près, un à un, les toucher, les manier jusque dans leurs procédés et leurs moyens, les pratiquer même, en amateur du moins, tellement qu’on semble ensuite par l’intelligence et la sympathie un vrai confrère ; en un mot, conquérir l’autorité sur ses égaux, si l’on a commencé par être confrère et camarade ; ou bien justifier cette autorité, si l’on vient de loin, en montrant bientôt dans le juge un connaisseur initié et familier ; — tout en restant l’homme de la tradition et des grands principes posés dans les œuvres premières des maîtres immortels, tenir compte des changements de mœurs et d’habitudes sociales qui influent profondément sur les formes de l’art lui-même ; unir l’élévation et la souplesse ; avoir en soi la haute mesure et le type toujours présent du grand et du beau, sans prétendre l’immobiliser ; graduer la bienveillance dans l’éloge ; ne pas surfaire, ne jamais laisser indécise la portée vraie et la juste limite des talents ; ne pas seulement écouter et suivre son Académie, la devancer quelquefois (ceci est plus délicat, mais les artistes arrivés aux honneurs académiques et au sommet de leurs vœux, tout occupés qu’ils sont d’ailleurs, et penchés tout le long du jour sur leur toile ou autour de leur marbre, ont besoin parfois d’être avertis) ; être donc l’un des premiers à sentir venir l’air du dehors ; deviner l’innovation féconde, celle qui sera demain le fait avoué et’reconnu ; ne pas chercher à lui complaire avant le temps et avant l’épreuve, mais se bien garder, du haut du pupitre, de lui lancer annuellement l’anathème ; ne pas adorer l’antique jusqu’à repousser le moderne ; admettre ce dernier dans toutes ses variétés, si elles ont leur raison d’être et leur motif légitime ; se tenir dans un rapport continuel avec le vivant, qui monte, s’agite et se renouvelle sans cesse en regard des augustes, mais un peu froides images ; et sans faire fléchir le haut style ni abaisser les colonnes du temple, savoir reconnaître, goûter, nommer au besoin en public tout ce qui est dans le vestibule ou sur les degrés, les genres même et les hommes que l’Académie n’adoptera peut-être jamais pour siens, mais qu’elle n’a pas le droit d’ignorer et qu’elle peut même encourager utilement ou surveiller au dehors ; enfin, si l’on part invariablement des grands dieux, de Phidias et d’Apelle et de Beethoven, ne jamais s’arrêter et s’enchaîner à ce qui y ressemble le moins, qui est le faux noble et le convenu, et savoir atteindre, s’il le faut, sans croire descendre, jusqu’aux genres et aux talents les plus légers et les plus contemporains, pourvu qu’ils soient vrais et qu’un souffle sincère les anime.
Spendius, à qui le cœur fait défaut le jour de la bataille et devant l’ennemi, est dans l’habitude de réparer cette faiblesse le lendemain par ses expédients.
Des voisins, les Beaumesnil, sont des jaloux odieusement médisants, presque des caricatures, et une petite amie, Clotilde Desrozais, nièce des Beaumesnil, s’annonce comme en tout l’opposé et le repoussoir de Sibylle ; car celle-ci est blonde, aux cheveux d’or, aux yeux bleus d’azur, au profil séraphique, tandis que Clotilde, plus forte, et grande dès l’âge de douze ans, a un œil superbe, « à demi clos et voilé dans l’habitude, mais dévorant dès qu’il s’ouvre » ; avec cela, « de lourdes nattes d’un noir bleuâtre », et, sur des dents d’ivoire, des lèvres pourprées dont la cerise ne demande qu’à être cueillie.
La Grèce, telle qu’elle est aujourd’hui, a un trop gros cerveau ; c’est « une tête énorme sur un petit corps. » Ajoutez les habitudes invétérées d’une trop longue décadence, d’une société longtemps relâchée, décousue et dissoute ; les héros à pied et en disponibilité qui n’ont de ressource que de se faire brigands ; peu de respect pour la vie humaine ; pas d’idée bien nette du tien et du mien ; le vol sous toutes ses formes, la corruption et la vénalité faciles et courantes, comme l’admet trop aisément la moralité restée ou redevenue trop primitive.
En France, quoiqu’il y ait dans notre génie, dans notre tour naturel d’esprit et de langage, ainsi qu’Henri Estienne l’a dès longtemps observé, quelque chose qui nous rapproche davantage des Grecs, nous tenons des Romains par une filiation presque immédiate ; nous y tenons aussi par réflexion, par habitude et routine ; nous empruntons d’eux volontiers nos formules en tout ; dans nos jugements et dans nos raisonnements sur l’art, nous sommes latinistes.
La religion et les matières d’État sont absentes de son livre, et tel qu’on le connaît, dans l’habitude de la vie, il ne s’en occupait pas.
Pourtant, lorsque dans la suite il était obligé de veiller, il continuait d’observer ses habitudes matineuses.
Les habitudes, les applications de leur parole, ou sobre et proportionnée, ou abondante et féconde, en font des orateurs des plus distincts.
. — Les personnages du drame, vivant de la vie réelle comme tout le monde, doivent en rappeler à chaque instant les détails et les habitudes.
Trop de puissance déprave la bonté, altère toutes les jouissances de la délicatesse ; les vertus et les sentiments ne peuvent résister d’une part à l’exercice du pouvoir, de l’autre à l’habitude de la crainte.
Tel est le livre que les philosophes tâchent d’entendre ; devant le barbouillage final de la première écriture, et devant les lacunes énormes de la seconde, ils s’arrêtent embarrassés, et chacun d’eux décide, non d’après les faits constatés, mais d’après les habitudes de son esprit et les besoins de son cœur. — Les savants proprement dits, les physiciens, les physiologistes, qui ont commencé le livre par le commencement, disent qu’il n’y a là qu’une langue, celle de l’écriture interlinéaire, et que l’autre se ramène à celle-ci ; supposition énorme, puisque les deux langues sont tout à fait différentes. — Les moralistes, les psychologues, les esprits religieux qui ont commencé le livre par la fin et sont pourtant forcés d’avouer que le gros de l’ouvrage est écrit dans un autre idiome, trouvent un mystère inexplicable dans cet assemblage de deux langues, et disent communément qu’il y a là deux livres juxtaposés et bout à bout.
Trompés par le langage et par l’habitude, nous admettons qu’il y a là une chose réelle, et, réfléchissant à faux, nous agrandissons à chaque pas notre erreur. — En premier lieu, l’être en question étant un pur néant, nous ne pouvons rien y trouver que le vide ; c’est pourquoi, par une illusion dont nous avons déjà vu des exemples163, nous en faisons une pure essence, inétendue, incorporelle, bref spirituelle164
Il mêle ses sentiments à son récit ; il juge ses personnages, il a oublié qu’ils sont des fictions ; il les raille ou en prend pitié, les gourmande ou les admire ; il monte avec eux sur le théâtre, et devient lui-même le principal spectacle ; nous connaissons dorénavant ses goûts, ses habitudes, son histoire même ; nous suivons à chaque ligne les mouvements de son imagination ou de son âme.
Le duc, pour ne pas perdre l’habitude féodale de ses ancêtres, s’y fit apporter un sac de monnaie par le concierge, et jeta une poignée de pièces d’argent à quelques mendiants qui nous avaient suivis, et qui étaient entrés avec la voiture dans la cour ; puis nous passâmes dans les appartements : c’était une suite de pièces décousues, composées de salle des gardes, de salle à manger, de salons, de chambres de lit ouvrant sur le penchant de la montagne récemment plantée en jardins pittoresques.
Négation de la métaphysique, souveraineté des lois physiques, déterminisme, évolution, progrès, nécessité et efficacité de l’expérience, réduction de la conscience morale à une disposition organique héréditaire que modifient les habitudes et les sensations, en théorie poursuite de la jouissance, en pratique accomplissement du bien : voilà les principales idées que met en lumière la forte unité du fameux livre de d’Holbach.
Jules Lemaître, qui, sans répudier bruyamment la technique établie, sans déconcerter les habitudes du public, sans prétention philosophique aussi et sans fracas de symboles, nous a donné la sensation rafraîchissante d’une originalité sincère.
Ce qui distingue son talent, ce n’est donc pas la prédominance démesurée d’une qualité, d’un sentiment, d’un point de vue, d’une habitude : c’est plutôt un accord de qualités diverses ou opposées, et, si je puis dire, un dosage secret dont il n’est pas trop commode de fixer la formule. « Si l’on examine les divers écrivains, dit Montesquieu101 on verra peut-être que les meilleurs et ceux qui ont plu davantage sont ceux qui ont excité dans l’âme plus de sensations en même temps. » Cette remarque peut s’appliquer sûrement à M.
Est-ce simplement l’habitude du songe ?
Cette rhétorique modulera sur le thème sonore de l’altruisme, qu’on choisira comme principe, fond et unité de la vie, et qu’on imposera ensuite au voisin conformément aux habitudes d’influence si parlementaires et si françaises.
C’est d’Elle qu’il a pris cette habitude de ne parler qu’en paraboles.
ou bien ne gardait-elle l’apparence du corps que par les longues habitudes qu’ils avaient eues ensemble ?
Et cependant, malgré ce qu’il y a d’admirablement simple et de majestueux dans l’accomplissement de telles productions uniques, nous voudrions, dans l’habitude de l’art, détendre un peu cette théorie et montrer qu’il y a lieu de l’élargir sans aller jusqu’au relâchement.
Même à travers l’habitude des peines, une sorte de joie enfin surnageait comme il arrive aux âmes austères et éprouvées que la religion a guidées et consolées dans tous les temps.
L’abbé Barthélemy, dans les dernières années de Louis XVI, privé du salon de Mme de Choiseul et ne pouvant vivre sans habitude, passait sa vie chez Mme de La Reynière.
Il dit, avec une colère qui est peu dans ses habitudes, particulièrement significative, par conséquent : « Son œuvre est mauvaise et il est un de ces malheureux dont on peut dire qu’il vaudrait mieux qu’ils ne fussent jamais nés.
Il ne semble pas admissible qu’un crime, et qu’un seul crime, laisse, même en un cerveau vibratile, un si continu retentissement et produise de si profondes modifications, sans retour d’habitudes ; et il ne semble pas non plus que la spéculation sur soi-même puisse, chez le criminel, l’emporter autant sur le souci de son salut.
On n’apprendra pas sans quelque intérêt que cette question de méthode a été agitée dans une école toute récente à laquelle on n’a pas l’habitude de demander des règles de logique : je veux dire l’école saint-simonienne.
Si j’avais eu à composer un tableau pour une chambre criminelle, espèce d’inquisition d’où le crime intrépide, subtil, hardi s’échappe quelquefois par les formes, qui immolent d’autres fois l’innocence timide, effrayée, alarmée ; au lieu d’inviter des hommes, devenus cruels par habitude, à redoubler de férocité par le spectacle hideux des monstres qu’ils ont à détruire, j’aurais feuilleté l’histoire ; au défaut de l’histoire, j’aurais creusé mon imagination jusqu’à ce que j’en eusse tiré quelques traits capables de les inviter à la commisération, à la méfiance, à faire sentir la faiblesse de l’homme, l’atrocité des peines capitales et le prix de la vie.
Nous ne répondrons qu’à la polémique bien élevée, ayant l’habitude de nous battre avec les mots, mais non pas avec les gros mots.
Et quand ces écrits sont des articles, lus à distance les uns des autres, c’est charmant ; mais quand le tout est ramassé et massé dans un seul volume, qu’on lit d’une haleine, on finit par trouver que c’est trop de poudre comme cela, et on pense malgré soi à la fameuse anecdote du glorieux bailly de Suffren, qui avait l’habitude de fourrer de bien autres poudres que celles-ci dans son tabac d’Espagne, et qui, un jour qu’on voulut l’attraper et le corriger de ce goût étrange, en ne mettant, au lieu de tabac, que de cette poudrette dans sa tabatière, dit avec la majesté du connaisseur, après avoir aspiré fortement jusqu’au fin fond de son nez héroïque ce qu’il croyait du tabac encore : « Il est bon, mais il y en a trop !
Un esprit élevé dans ces habitudes court droit aux faits sitôt qu’on lui propose une question générale ; il en choisit un particulier et contingent ; il le garde incessamment sous ses yeux ; il sait qu’il n’a pas d’autre moyen de préciser et vérifier ses idées ; il y revient sans cesse ; il sait que ce fait est la source de tous les termes abstraits qu’il va recueillir et combiner.
Ainsi a fait après elles le roman, affectant seulement, comme d’habitude, de recouvrir son matérialisme d’un vernis religieux. […] Le mariage nouveau qu’il annonce, le mariage de l’avenir, où seront respectées à la fois la liberté et la dignité des époux, il le met, fidèle à ses habitudes, sous l’autorité du Christianisme ; mais c’est un Christianisme à lui, comme on sait, et son prêtre, chargé de bénir les époux, est un prêtre socialiste. […] Il l’a faite surtout au point de vue de cette oisiveté corruptrice, de ces habitudes insolemment vicieuses que donne à quelques fils de famille la position opulente où ils ont été placés en naissant. […] Nous sommes en réalité, sinon en théorie, par nos goûts et nos habitudes, sinon par nos doctrines, fortement enclins au sensualisme, ou, si on veut, à l’épicuréisme. […] Aux fougues de la passion, ont succédé les froides habitudes de la licence.
Son habitude et sa conduite diffèrent du tout au tout de ce qu’elles étaient. […] Si, de-ci de-là, il se justifie, c’est par une habitude d’esprit qu’il conserve malgré lui, et sans y mettre beaucoup d’importance. […] Cette illusion a duré longtemps, aussi longtemps qu’ont subsisté les modes, les habitudes d’esprit et de langage qui constituent, pour ainsi dire, l’aspect extérieur de son œuvre. […] Pas une allusion ne rappelle les tragédies dont la cour de Ferrare était d’habitude le théâtre. […] Modéré de nature, ami de l’ordre avant tout, aristocrate d’esprit et d’habitudes, il ne pouvait éprouver une sympathie pour les « principes » qui allaient semer tant de troubles et répandre tant de sang dans le monde.
Et il n’y avait pas moyen : je ne pouvais pas me décider à le prendre au sérieux : et j’avais fini par contracter l’habitude, quand je voyais un étranger, de le fuir, en me disant : — Il va me parler de Pierre Leroux. […] La passion de plaire mène à l’impuissance de diriger, à l’habitude de ne diriger point et à une sorte de douce résignation à cet égard. […] Seulement on a pris l’habitude d’appeler en nous « nature » ce qui nous est commun avec le reste de la nature, et d’appeler d’autres noms ce qui nous en distingue. […] Si on se les fait, c’est qu’on aime et, désormais, ils feront office de vérité et vous soutiendront et ils se confirmeront par l’habitude. […] Seulement, les nobles, les véritables nobles ayant pris l’habitude de ne se faire désigner le plus souvent que par leur nom de fief, par leur nom de terre, et ce nom étant tout naturellement précédé de la préposition de, la foule a pris l’habitude de considérer cette préposition comme constituant noblesse et d’attribuer la noblesse à tout homme dont le nom était précédé de la préposition de, encore que très souvent, que, le plus souvent, l’homme dont le nom était précédé de la préposition de ne fût noble d’aucune sorte.
On a pris des habitudes, des façons d’être, de parler, même des traits l’un de l’autre. […] Il s’indigne d’abord, il veut fuir, mais il revient, sa colère, sa jalousie, tombent devant cette autre maîtresse : l’habitude ! […] Il le hante chaque jour avec une intensité nouvelle, s’impose comme une habitude, s’exagère avec les illusions d’optique d’une rêverie. […] Je ne suis pas de ceux chez qui Dieu disparu ne laisse point de vide ; on peut être, soyez-en sûr, un homme de sport, un homme de club, un homme d’habitudes mondaines, et avoir pourtant ces heures de réflexion et de recueillement. […] À la fin de chaque pièce, Victor Hugo avait l’habitude de mentionner le nombre de vers qu’elle contenait ; c’est ainsi qu’à la fin du chapitre intitulé le Glaive, on lit : « Fini le 8 avril 1864 — 822 vers.
Ils affluent dans les nouveaux palais à dômes et à tourelles, couverts d’ornements tourmentés et multipliés, garnis de terrasses et d’escaliers monumentaux, munis de jardins, de jets d’eau, de statues, palais de Henri VIII et d’Élisabeth, demi-gothiques et demi-italiens249, dont la commodité, l’éclat, la symétrie annoncent déjà des habitudes de société et le goût du plaisir. […] La vie armée et périlleuse a résisté longtemps en Europe à l’établissement de la vie pacifique et tranquille, et il a fallu transformer la société et le sol pour changer les hommes d’épée en bourgeois ; ce sont les grandes routes de Louis XIV et son administration réglée, comme plus tard les chemins de fer et les sergents de ville qui nous ont ôté les habitudes de l’action violente et le goût des aventures dangereuses. […] Continuez, il y a pis. « L’habitude vous engage peut-être à me tuer ; mais n’ajoutez pas à ce meurtre un suicide et un sacrilége, trois péchés en trois meurtres. » Comprenez-vous ? […] Il a par excellence l’esprit pratique, utilitaire même, tel qu’il se rencontrera plus tard dans Bentham, tel que l’habitude des affaires va de plus en plus l’imprimer dans les Anglais. […] Il recommande aux moralistes d’observer l’âme, les passions, les habitudes, les tentations, non en oisifs, mais en vue de la guérison ou de l’atténuation du vice, et donne pour but à la science des mœurs la réformation des mœurs.
Nous avons vu que la veille le Cyclope, contre son habitude, enferma dans la caverne toutes ses bêtes. […] Mais cela ne lui faisait point venir des rides amères sur le front : il avait pris l’habitude de demeurer calme devant les fatalités de la condition humaine. […] Il y a une loi, en vertu de laquelle les modifications de l’âme, qui amènent certains changements dans les habitudes du corps, peuvent réciproquement être produites par ces changements corporels. […] Il disait que c’était son habitude d’avoir quelques entretiens particuliers avec les acteurs, afin de leur transmettre ses idées et les traditions du drame shakespearien conservées en Angleterre. […] Il serait plus simple, sinon plus facile, d’adorer l’âme intègre de ce grand poète, et la grâce mesurée de son art personnel, en dehors des habitudes de ses contemporains subalternes.
Il est une foule d’hommes, d’un mérite particulier, qui n’ont pas appliqué leur attention à ces matières : elles exigent une longue habitude de les connaître pour les bien goûter. […] » Ces sarcasmes de mauvais goût devinrent la périlleuse habitude des écoliers de Voltaire, qui singent ses boutades sans avoir le feu de son esprit, et des chefs-d’œuvre pour excuses. […] Les habitudes, les mœurs, les lois particulières, mieux connues par les auteurs et par les spectateurs, ajoutent à l’intérêt de l’objet représenté. […] Tant l’influence des habitudes du cœur, et tant l’esprit des nations modifient puissamment les ouvrages des grands écrivains ! […] (A) Non, Monsieur ; je suis fait à cette habitude, et cela ne me choque pas autant qu’un mouvement de décoration.
On imite, par exemple, les habitudes d’esprit et le tour de composition des anciens, et dans cette manière de moule on verse beaucoup de matière puisée dans la réalité moderne qu’on observe. […] La désespérance, la mélancolie, la fatigue d’être sont devenues des états ordinaires après lui, et des habitudes morales, et jusqu’à des attitudes mondaines. […] Mais on voit se former en lui sinon une conception panthéistique, du moins un penchant et une habitude d’esprit qui l’incline vers le panthéisme. […] Nos habitudes françaises, notre goût des poèmes de salon ou de théâtre, ont retardé chez nous l’éclosion de la poésie philosophique à large développement. […] Le défaut le plus grave où l’entraîne l’habitude du Heu commun, est une certaine monotonie.
Puis, c’est le retour à Paris, les rendez-vous avec toutes leurs phases, leurs premières ardeurs et le découragement quand ils deviennent une habitude. […] — C’est mon poste d’habitude. […] — J’ai l’habitude de ces pistolets, dit-il. […] Il s’agit de nous apprendre un mariage du grand monde et d’indiquer en peu de mots le caractère, les habitudes des personnages. […] Le spectacle fini, je partis et retournai à Saint-Denis, comme d’habitude.
Si fier aussi de son port superbe d’homme de très haute taille, « comme on n’en fait plus », visage martial et doux où néanmoins l’habitude du commandement n’avait pas laissé de mettre un pli d’autorité qui m’imposait et faisait bien, car j’étais mauvais comme un diable quand on me tolérait trop d’espièglerie11. […] Ces messieurs ont une façon de prononcer et de dire qui est bien déconcertante pour les gens qui n’en ont pas l’habitude. […] Telle ride, ensevelie sous le fard, et imperceptible à nos sens grossiers, lui révélera des manies sournoises, des habitudes cachées, des désirs inavoués. […] Hervieu marque, dans tout ce qu’il entreprend, les mêmes habitudes de conscience et de réflexion. […] Il n’est rien, dans leur pays, qui ne froisse nos habitudes, qui ne choque notre goût, qui ne déconcerte nos instincts.
La langue est forte, beaucoup plus classique qu’on ne le prétend d’habitude. […] Vielé-Griffin écrit rarement en prose et, lorsqu’il le fait, c’est d’habitude avec élégance. […] Nous n’avons pas l’habitude de ces choses-là. […] Que ce poète marche de l’avant, qu’il perde l’habitude de se décerner puérilement des éloges que nul, parmi les Sincères, ne songe à lui marchander, il connaîtra la gloire due aux Forts. […] Son héros, Caragut, ne peut se plier aux habitudes régimentaires.
Ce serait rendre à cette habitude, louable en elle-même, sa véritable valeur et son importance. […] En même temps que l’on y rendait justice à l’artiste audacieux, subtil et consciencieux, que fut Mallarmé, et que l’on reconnaissait avec quelle noble obstination, avec quel haut désintéressement il pratiqua son métier d’écrivain, on ne laissait pas d’y formuler de nouveau, à propos de son œuvre, ce même reproche d’obscurité qui fut si souvent adressé à l’auteur, je l’avoue, difficile et secret, d’Hérodiade, et de maints poèmes dont la lecture demande, en effet, un certain effort d’attention et certaines habitudes d’esprit auxquels notre public ne se prête pas très volontiers. […] On attend le moment favorable pour faire connaissance avec ces visiteurs et l’on risquerait fort d’en rester sur cette intention si ne survenait enfin l’époque de l’année que nous appelons encore, par habitude, l’époque des vacances. […] C’est de cette docte habitude que sont nées ces pages de critique que l’on a eu grandement raison de réunir. […] Une vieille demoiselle, dans Mlle Clocque, un enfant qui observe et qui rapporte ce qu’il a vu, dans la Becquée et dans l’Enfant à la Balustrade, lui suffisent à grouper une série de menus faits où se révèle, peu à peu, l’existence provinciale en ses habitudes, ses sentiments, ses préférences, ses intérêts.
Avec un tel contraste dans les habitudes et les moyens, l’homme le plus moral aurait succombé, et celui dont nous parlons n’avait pas des principes sévères : il prodiguait donc sa plume à tous les libraires et son talent à toutes les opinions dont il pouvait espérer de l’or et du bruit. […] En effet, quand ces grands hommes avaient créé des habitudes et des sentiments dans l’esprit et dans l’âme de leurs concitoyens, ils croyaient leur tâche presque achevée : ils faisaient des systèmes de mœurs plutôt que des systèmes de lois ; ils avaient même tant de respect pour la toute-puissance des habitudes qu’ils ménagèrent d’anciens préjugés peu compatibles en apparence avec un nouvel ordre de choses. […] Il est donc vrai qu’en croyant se livrer aux plus grandes méditations, les femmes reviennent, en dépit d’elles, à leurs habitudes journalières ! […] La prédiction d’un tel événement eût excité la rage ou le mépris de ceux qui gouvernaient alors la France, et qui se vantaient d’anéantir par leurs lois les croyances religieuses que la nature et l’habitude ont si profondément gravées dans les cœurs.
Voilà comment, peu à peu, je suis venu à bout de cette œuvre de ténèbres, et bien m’en a pris d’avoir été fidèle à tout ce que j’aimais ; bien m’en a pris de n’avoir juré par aucun maître, et d’avoir obéi uniquement aux convictions de mon esprit, aux penchants de mon cœur, n’acceptant pas d’autre volonté et d’autre caprice que les volontés et les caprices d’une imagination qui avait pris les habitudes les plus calmes et les plus régulières. Ces habitudes loyales d’un travail plein de conscience et de zèle, la critique les impose et bien vite, même aux esprits les plus disposés à la tentation et aux libertinages du hasard. […] Molière apprend, en voyage les mœurs, les habitudes, et les allures bourgeoises ; il s’essaie à faire rire avec le vieil esprit français, avant de trouver des ressources inouïes dans sa propre comédie ; il est comédien avant d’être un poète comique. […] Ce n’était pas ainsi que l’entendaient les maîtres de l’art. ; ce n’était pas ainsi que l’entendait Talma : au contraire, celui-là s’occupait de chacun et de tous ; avant que de se hasarder dans le labyrinthe sanglant des passions héroïques, il voulait tout reconnaître, de fond en comble, jusqu’au fidèle Arbate, jusqu’au chef muet de sa garde prétorienne ; pas un détail n’échappait à ce regard tout-puissant, et c’était son habitude, avant que de commencer une tragédie, de s’écrier : — Allons ! […] Aussitôt l’ombre évoquée arrive à vos regards charmés ; soudain vous retrouvez la magicienne aussi bien dans l’inexpérience de cette petite fille qui débute, que dans la grande habitude du chef d’emploi qui veut toucher, avant de mourir, à ces rôles qu’elle appelle des rôles de son emploi — les rôles de l’emploi de mademoiselle Mars !
De même que le corps humain, s’il n’a plus sous nos climats du Nord cette pureté de lignes qu’il avait sous le ciel de la Grèce, mais, dégradé par la misère, déformé par le métier, plié par les civilisations modernes au joug des habitudes matérielles, conserve cependant quelque chose de la noblesse et de la dignité natives de la forme humaine, tout de même, passés que nous sommes au niveau de l’égalité démocratique, absorbés dans les exigences mesquines de la vie sociale, incessamment affairés à la poursuite de la fortune et des satisfactions d’amour-propre, nous ne laissons pas pourtant d’avoir toujours en nous quelque chose de l’homme, et d’être encore capables, par l’élan passionné du cœur ou par la force de la pensée, de nous élever au-dessus de la réalité qui nous opprime. […] Vous comprenez alors la raison de ce style, si laborieusement tourmenté, qui choque toutes nos habitudes, et jusqu’à les révolter ; la raison encore de cette phrase cahotante, heurtée, brisée, qui résisterait si difficilement à l’épreuve de la lecture à voix haute ; la raison aussi de ces bizarres alliances de mots, synecdoques à désespérer Boniface et catachrèses pour damner Bescherelle ; et la raison enfin, dans le courant de la narration, de ce mélange impur de tous les argots, l’argot de la « bohème » et celui de « la brocante », celui des filles et celui des clubs, celui de la valetaille et celui de l’écurie. […] Si curieuses que puissent être les déformations que les caractères ou les tempéraments subissent en s’accommodant à de certains milieux, très artificiels, comme l’atmosphère surchauffée de nos salons et de nos théâtres, je soutiens qu’à mesure qu’on les étudie de plus près, et que l’on s’y enferme, à la façon de tel spécialiste dans son oculistique, ou tel autre dans telle autre étroite province de la science médicale, on perd le sens de l’ensemble et l’habitude même de la véritable observation. […] Cependant elle n’avait pas le caractère grondeur que l’on supposerait être une condition nécessaire de telles habitudes, et son naturel, très doux, très patient, la portait à rechercher les choses les plus sérieuses et les plus tristes de la vie pour en nourrir son esprit. […] Il pouvait étudier, et c’eût été psychologiquement curieux, la réaction du métier sur les habitudes de la vie réelle.
L’habitude de se défier du sentiment mène à se moquer du sens commun, qui est précisément un humble mélange de sentiment et de raison ; elle accoutume l’esprit à prendre plaisir à heurter l’opinion commune ; elle lui donne une habitude de taquinerie. […] Tissot aurait pu traiter, dans un second volume, de cette dangereuse habitude d’esprit. » — Le plus beau cas eût été M. de Bonald. […] Quand Buffon recommande à l’écrivain, comme une règle, de se défier du premier mouvement, il dit mieux que moi tout ce que je viens de dire, et indique bien une des habitudes essentielles de notre art. […] Chantez votre Dieu. » Ils n’ont point beaucoup pris cette habitude ; mais ils en ont perdu de mauvaises. […] Changez votre âme. » Ils ont peut-être trop pris cette habitude ; mais ils avaient trop, aussi, l’habitude contraire.
Sensible, mélancolique, souffrant, le peintre immortel de Didon aurait dû, ce semble, avoir pour lui toutes les âmes tendres ; il aurait eu bien besoin, on croit l’entrevoir, de ces entretiens consolants et reposants qui charment dans l’habitude intérieure de la vie, qui soutiennent dans les jours d’affaiblissement et de langueur. […] Il faut se dire, pour s’expliquer ce peu de succès personnel, à une époque déjà si raffinée de la société, que Racine était sans doute, de sa personne, bien bourgeois, bien auteur, bien rangé dans sa classe par ses habitudes, bien peu en rapport avec les tendresses touchantes que son talent mettait en action sur la scène.
Delille gagna à ce parti pris d’un exil tout volontaire des sentiments plus vifs que d’habitude, et le droit d’exhaler une inspiration plus profonde qu’il n’en avait marqué jusqu’alors. […] s’écria Delille ; ce qui a été dit en prose n’a pas été dit. » Les élèves descriptifs de Delille avaient tous, plus ou moins, contracté cette habitude, cette manie de larcin, et M. de Chateaubriand raconte agréablement que Chênedollé lui prenait, pour les rimer, toutes ses forêts et ses tempêtes ; l’illustre rêveur lui disait : « Laissez-moi du moins mes nuages !
Et depuis lors le troupeau ne s’est-il pas grossi encore, selon l’habitude facile de prêter au riche et de gratifier le puissant ? […] On ne peut disconvenir en effet que les différences de religion, de climat, d’habitudes sociales, si elles n’ont pas changé le fond de la nature humaine, ont du moins donné à l’amour chez les modernes une tout autre forme que chez les anciens ; et lorsque les peintures que ceux-ci en ont laissées nous apparaissent dans leur nudité énergique et naïve, il y a un certain travail à faire sur soi-même avant de s’y plaire et d’oser admirer.
Paul J’ai une longue habitude de n’être pas de leur avis. […] Paul J’ai l’habitude.
Partant, ce n’est pas aux sensations actuellement éprouvées, c’est à leurs possibilités permanentes que l’idée de cause vient à être identifiée ; et, par un seul et même mécanisme, nous acquérons l’habitude de considérer la sensation en général, de même que toutes nos sensations individuelles, comme un effet, et en outre l’habitude de concevoir, comme causes de la plupart de nos sensations individuelles, non pas d’autres sensations, mais des possibilités générales de sensation… On dira peut-être que la précédente théorie rend bien quelque compte de l’idée d’existence permanente qui est une partie de notre conception de la matière, mais qu’elle n’explique point une de nos croyances, la croyance que ces objets permanents sont extérieurs ou hors de nous-mêmes.
Une précoce gravité cependant ajouta ainsi à sa jeunesse l’habitude calme et digne de la physionomie de l’âge mûr. […] Les enfants l’aimaient et le respectaient instinctivement, par reconnaissance pour le bienfait de la vie qu’ils lui devaient, et par l’habitude de se soumettre à sa volonté présumée sage.
Mon habitude des patois latins parlés uniquement par moi jusqu’à l’âge de douze ans, dans les montagnes de mon pays, me rendait ce bel idiome intelligible. […] Pas autant l’été ; car, d’habitude, nous faisons nos courses l’été, avec mon père, de métairie en métairie.
La maison de Savoie s’allia, comme de coutume, au plus fort : ce n’est pas la moralité, mais c’est l’habitude des petites puissances. […] La noblesse, presque toute militaire, lui donnait quelque chose de martial qui plaît aux habitudes de ce peuple brave et guerrier ; la bourgeoisie, émancipée par le gouvernement de la France pendant vingt ans, était rentrée dans sa subalternité antique ; elle se pliait avec une résignation doucereuse, mais amère, à la supériorité de l’aristocratie.
« Un jour qu’on lisait dans un journal un article sur un centenaire (article qu’on ne passait pas, comme on peut croire), contre son habitude, il interrompit le lecteur pour dire avec enthousiasme : « — Celui-là a vécu sagement et n’a pas gaspillé ses forces en toute sorte d’excès, comme le fait l’imprudente jeunesse… « Il se trouva que ce sage se grisait souvent, au contraire, et soupait tous les soirs, une des plus grandes énormités que l’on pût commettre contre sa santé (selon mon père). […] Quant à lui, il était aisé de voir qu’il était de race et de sang légitimistes, c’est-à-dire qu’il croyait à la puissance de la tradition et des mœurs avant tout ; le commandement et l’obéissance par l’habitude, c’était pour lui tout le gouvernement.
Le nom même de caractère ne convient qu’à une disposition dominante qu’ont enracinée et fortifiée le temps et l’habitude. […] Tout vient de la nature et de l’habitude qui sont tout l’homme, d’où vient à son tour le style.
De ses exercices de professeur, il avait retenu, outre les formules de la démonstration, l’habitude de donner aux idées une valeur absolue. […] L’exagération du moraliste dans Massillon n’est pas seulement une sorte de compensation de ce qu’il retranchait au dogme ; je crains d’y voir une habitude de rhéteur.
La philosophie à notre manière suppose une longue culture et des habitudes d’esprit dont très peu sont capables. […] L’ombre de l’Inquisition effraie jusqu’à nos catholiques, et à l’intérieur nous sommes timides et sans élan, nous nous subjuguons avec une déplorable résignation à l’opinion, à l’habitude, nous y sacrifions notre originalité ; tout ce qui sort de la banalité habituée est déclaré absurde.
Comment croire que la contemplation quotidienne de ces jolies choses ne donne pas des habitudes à l’esprit comme aux yeux ? […] Plus près de nous encore, la perruque, la poudre, l’habitude de se raser disparaissent avec le style noble et les œuvres littéraires presque exclusivement consacrées à la vie mondaine.
Il a à lutter contre des difficultés matérielles incroyables (car jamais il n’a reçu d’aide vraiment efficace du dehors), il a à lutter contre la haine de tous les directeurs de théâtres d’Allemagne, contre la presse, contre l’inintelligence et les déplorables habitudes des chanteurs, contre le manque de temps pour étudier à fond les œuvres à représenter. […] Il y en a deux seulement qui ont l’habitude de causer, de rire, et de se pousser d’amicales bourrades pendant les morceaux du concert : ils ont une fois empêché d’entendre la symphonie en la de Beethoven, où il y avait cependant des choses très agréables ; il est vrai que j’ai pu entendre, en revanche, quelques-unes de leurs réparties.
… J’ai dit, quand il a été nécessaire, moi qui ai l’habitude de parler net sous les dates et le document8, que nulle plus entière volonté que la mienne n’a ouvert la lutte poétique moderne, initiatrice généralement, puis qui traversa les diverses Écoles, qu’elle répudiait alors même qu’elles s’en assimilaient des aspects, désireuse seulement d’aller à l’extrême de ses desseins. […] Or, nous ne savons, en dehors de l’habitude spéculative des esprits philosophiques, (mais encore quelle superstition ne se veut séparer de ce mot même), quelle idée il évoque de surnaturel et de divin encore, et de prescience et de révélation illuminante dont |e Moi humain comme avec passivité ne serait point lui-même la cause… Ainsi, c’est très souvent que l’on peut relever la méprise entre la cause et l’effet, entre le moyen et la fin24.
Nous manquons de deux ou trois maisons bourgeoises, distinguées et affectueuses, où nous pourrions répandre, dégorger tout ce que nous ne donnons pas à la maîtresse, nous qui ne lui donnons guère que de l’habitude, — nous qui, par le fait, ne sommes pas deux, ne sommes point l’un à l’autre une compagnie, nous qui souffrons en même temps des mêmes défaillances, des mêmes malaises, des mêmes maladies morales, nous qui ne sommes à nous deux qu’un isolé, un spleenétique, un névropathe. […] Remonté péniblement dans le fiacre, comme nous lui demandons ses impressions, il nous fait signe qu’il ne peut parler avec une main exsangue, aux ongles encore jaunes de ses habitudes passées de fumeur de cigarettes.
L’écrivain en qui était déposée la vertu suprême de donner la vie, d’en reproduire les innombrables formes, de la comprendre totalement dans un immense embrassement d’intelligence, s’est détourné de soi, s’est repris au monde avec lequel il était entré en une plus intime communion qu’il n’appartient d’habitude à un homme, et s’est réduit aux pensées étroites d’un religieux qu’inquiètent seulement la pratique et la prédication d’une doctrine selon les pauvres d’esprit. […] Cet homme qui jeune, fut musculeux et trapu, le visage oblong, le front bombé par les côtés et arrondi par le haut, les yeux clairs enfoncés sous les sourcils broussailleux, le nez puissant, les lèvres charnues et rondes dans la barbe épaisse, l’air énergique et mâle, brusque et bon, bien Russe, qui, né noble et riche, prit part aux guerres du Caucase et à la défense de Sébastopol, qui parcourut l’Europe, mena à Saint-Pétersbourg et Moscou la grande vie du gentilhomme, qui fut cassant et orgueilleux, insolent pour Tourguénef, qui devint célèbre et dont la gloire a conquis ces dernières années la France et l’Allemagne, s’est tout à coup détourné de sa nature, de son génie, de sa renommée et contraint mystérieusement par les commandements de sa conscience, renonçant à ses habitudes, à ses appétits, à l’exercice de sa puissante intelligence, s’est retiré du monde, de l’art, de la jouissance même de ses richesses.
Ce qui les pousse d’habitude à l’hypocondrie, c’est une singulière exagération de leur sensibilité. L’essence même du tempérament artistique est de percevoir vivement tout le spectacle du monde ambiant, qui échappe d’habitude, en majeure partie, aux hommes obtus et sains.
Les maîtres me reçurent des mains de ma mère avec une bonté indulgente qui me prédisposa moi-même au respect ; les écoliers, au lieu d’abuser de leur nombre et de leur supériorité contre les nouveaux venus, m’accueillirent avec toute la prévenance et toute la délicatesse qu’on doit à un hôte étranger et triste de son isolement parmi eux ; ils m’abordèrent timidement et cordialement ; ils m’initièrent doucement aux règles, aux habitudes, aux plaisirs de la maison ; ils semblèrent partager, pour les adoucir, les regrets et les larmes que me coûtait la séparation d’avec ma mère. […] C’était un prêtre de quarante-cinq ans, d’une taille grêle et un peu courbée par l’habitude de lire en marchant ou de rester courbé longtemps sur l’autel en adoration fervente et tremblante devant l’hostie qu’il venait de consacrer.
En dehors d’un cercle de villes où il a coutume de retrouver ses habitudes, il lui déplaît de s’aventurer. […] Mais quand il déclare : « La fidélité des femmes dans le mariage lorsqu’il n’y a pas d’amour, est probablement une chose contre nature » ou « la seule chose que je voie à blâmer dans la pudeur, c’est de conduire à l’habitude de mentir… » il exprime la thèse que développent le plus complaisamment nos femmes de lettres.
Des Bourses, des Chambres de députés étaient camouflées en temples grecs et les plis lourds et faussement classiques d’une pseudo-Antiquité cachaient ce soleil de soufre et d’amour qui, un beau soir, finit toujours par éclaterq, là-bas, plus loin que l’horizon et l’habitude. […] L’obstination à juger petitement, à faire semblant de croire à la réalité, à donner cette réalité en aliment à l’espritbo avec l’illusion que plus elle sera basse, facile, méprisable, moins elle comportera de périls, l’acharnement individuel à tout peser, relativement à soi, afin de tout accommoder à son intérêt propre, d’en prendre bonne opinion, les sourires attendris des critiques ou romanciers lotissant les steppes du rêve et, pour résumer, tout ce qui permet ou prouve l’habitude simpliste de se limiter dans la conscience, voilà qui a rapetissé l’être et corrompu son esprit.
Je puis rappeler ici une observation déjà faite : c’est qu’il doit falloir une longue succession d’âges pour adapter une organisation à des habitudes de vie entièrement nouvelles, telles que celle du vol aérien, par exemple. […] Il faut remarquer ici que, la profondeur venant à varier, il se peut que, par l’influence même de ce changement dans les conditions de vie, les espèces se modifient dans leur structure ou leurs habitudes, et peut-être dans celles-ci par suite des modifications de celles-là.
Mais en revanche, il est toujours permis de reprendre une tradition dont on a éprouvé les effets salutaires ; et lorsque cette tradition est si intimement liée non pas seulement aux habitudes intellectuelles d’une race, mais à l’existence même d’un pays, que cela devienne pour celui-ci une question de vie ou de mort, alors c’est une nécessité pressante, c’est un devoir d’y revenir. […] À les en croire, tous les caractères physiques ou moraux transmis par l’hérédité et fortifiés par l’habitude, quelle qu’en soit la nature, qu’ils soient bons ou mauvais pour l’organisme, qu’ils produisent, avec l’équilibre de la santé, une augmentation des forces, ou qu’ils amènent la dégénérescence, la maladie et la mort, — tout cela, pêle-mêle, rentre pour eux sous le concept de la race.
Cependant son crédit gagnait toujours ; le roi s’attachait à elle par l’habitude et avec les années ; à chaque nouvel enfant qu’elle lui donnait, elle faisait un pas.
La table sur laquelle elle écrivait d’habitude était un bureau un peu exhaussé, de telle sorte que, sans se déranger, elle pouvait, dans les moments de pause, suivre le jeu d’un des joueurs à l’une ou à l’autre des tables qui étaient de chaque côté : C’était là son occupation lorsqu’elle n’écrivait point ; mais, aussitôt que quelqu’un entrait et s’approchait d’elle pour la saluer, elle quittait tout pour demander : Quelle nouvelle ?
Enfin, les revers, les chagrins sont venus ; peu de vies en sont exemptes : j’ai dû alors au goût et à l’habitude du travail les seuls remèdes que l’on puisse opposer soit au vide de l’âme qui suit souvent la perte du pouvoir, soit aux épreuves qui vous frappent dans la vie de ceux que l’on aime.
Dans le public, l’impression de cette querelle fut plutôt à l’avantage de La Motte ; on ne jugea point du fond, mais uniquement de la manière, selon notre habitude.
Dans un singulier chapitre expressément dédié « Aux infortunés », et qui est placé, on ne sait trop comment, entre celui de « Denys à Corinthe » et celui d’« Agis à Sparte », il s’adresse à ses compatriotes émigrés et pauvres, à tous ceux qui souffrent comme lui du désaccord entre leurs besoins, leurs habitudes passées et leur condition présente ; il leur rappelle la consolation des Livres saints, vraiment utiles au misérable, parce qu’on y trouve la pitié, la tolérance, la douce indulgence, l’espérance plus douce encore, qui composent le seul baume des blessures de l’âme.
Il se noie un peu trop, selon son habitude, dans ces douceurs expansives qu’il a depuis si cruellement payées.
Il n’avait que dédain pour ceux qui rapportaient l’origine d’une si grande secousse à tel objet particulier de leur dépit ou de leur aversion : L’heure des révolutions sonne, messieurs, disait-il (et c’est dans un discours qu’il eut à prononcer comme préfet à l’ouverture du lycée de Clermont sous l’Empire), — l’heure des révolutions sonne quand la succession des temps a changé la valeur des forces qui concourent au maintien de l’ordre social, quand les modifications que ces forces ont subies sont de telle nature qu’elles portent atteinte à l’équilibre des pouvoirs ; quand les changements, imperceptiblement survenus dans les mœurs des peuples et la direction des esprits, sont arrivés à tel point qu’il y a contradiction inconciliable et manifeste entre le but et les moyens de la société, entre les institutions et les habitudes, entre la loi et l’opinion, entre les intérêts de chacun et les intérêts de tous ; quand enfin tous les éléments sont parvenus à un tel état de discorde qu’il n’y a plus qu’un conflit général qui, en les soumettant à une nouvelle épreuve, puisse assigner à chaque force sa mesure, à chaque puissance sa place, à chaque prétention ses bornes… Cette manière élevée de considérer les choses contemporaines comme si elles étaient déjà de l’histoire, dispense de bien des regrets dans le passé et de bien des récriminations en arrière.
quelle habitude du rire et de la saillie !
. — Et puis, quand on est embarqué sur le fleuve d’Imagination, l’arrivée à l’endroit nommé le Péage des critiques, la garde qu’y font les capitaines Scaliger, Vossius et autres, les « petits bateaux couverts qu’on appelle métaphores », et dont quelques-uns échappent à grand-peine à ces terribles douaniers ; et plus loin, quand on a pénétré dans le cabinet du Bon Goût, l’attitude et l’accoutrement baroque de ce bon seigneur qui m’a tout l’air d’être fort goutteux, appuyé d’un côté sur la Vérité et de l’autre sur la Raison, qui, tenant chacune un éventail, lui chassent de grosses mouches de devant les yeux (ces mouches sont les Préjugés) : les deux jeunes enfants qui sont à ses pieds, aux pieds du seigneur Bon Goût, et qui le tirent chacun tant qu’ils peuvent par un pan de son habit, l’un, un petit garçon toujours inquiet et remuant, nommé l’Usage : l’autre, une petite fille toujours fixe et assise, une vraie poupée nommée l’Habitude, que vous dirai-je de plus ?
On voit quel rôle jouait en ce temps-là l’envie, « ce vice lâche en soi, et néanmoins assez connu parmi les hommes », qui fait que « souvent on se fâche plus du bien et des honneurs que le compagnon possède que de ce qu’on n’en jouit pas soi-même », vice d’autrefois et qui semble presque supprimé aujourd’hui, tant nos beaux esprits et nos éloquents parleurs se sont fait une loi et une habitude (à laquelle ils ont peut-être fini par croire) de complimenter à outrance, d’encenser en plein nez la nature humaine.
Quoi qu’il en soit, il est, par le rare assemblage de ses mérites, une des figures originales de notre histoire ; et, quand pour le distinguer des autres de son nom et pour caractériser ce dernier mâle de sa race, quelques-uns continueraient de l’appeler par habitude le grand duc de Rohan, il n’y aurait pas de quoi étonner : à l’étudier de près et sans prévention dans ses labeurs et ses vicissitudes, je doute que l’expression vienne aujourd’hui à personne ; mais, la trouvant consacrée, on l’accepte, on la respecte, on y voit l’achèvement et comme la réflexion idéale de ses qualités dans l’imagination de ses contemporains, cette exagération assez naturelle qui compense justement peut-être tant d’autres choses qui de loin nous échappent, et on ne réclame pas.
Le signe des belles et tout à fait grandes âmes est de n’en jamais perdre la conscience ni l’habitude aux heures de la force et de la prospérité.
Il garde dans ses récits des habitudes de rapporteur et s’y complaît ; après avoir résumé ce que disent les uns, il oppose ce que répondent les autres. « Jamais, dit-il d’une des séances du Parlement, je n’ai ouï de délibération plus sérieuse et plus belle, y ayant quantité de raisons de part et d’autre. » Il ne nous donne son avis et ne conclut qu’à la fin, après avoir balancé les opinions contraires : ce sont là des garanties d’impartialité.
C’est à cette date que l’Académie, fut réintégrée dans son privilège d’avoir pour protecteur spécial et perpétuel monarque, de correspondre directement avec lui pour l’approbation de ses choix et la présentation de ses nouveaux membres, sans avoir affaire à un ministre amovible et aux bureaux, comme cela a lieu pour les autres Académies, Ce fut par le premier gentilhomme de la Chambre (ou par le grand chambellan, selon les régimes), que l’Académie reprit l’habitude et l’usage de faire et de recevoir ces sortes de communications qui tiennent à son essence ; c’est par son canal qu’elle obtint les audiences du prince.
Et puis cette grande dame française qui leur tombe là comme la foudre, brillante, causante, interrogeante, représentant si bien de sa personne cette nation que William Cowper appelle « la nation ingérante » ou qui aime à se mêler de tout, cela les dérange dans leur travail et les tire de leurs habitudes ; ils ne s’y prêtent d’abord qu’en rechignant ; ils s’en inquiètent, jusqu’à ce qu’ils l’aient connue et qu’ils sortent de son entretien fixés et rassurés.
Je devais, après mon Gœtz et mon Werther, vérifier le mot d’un sage : « Lorsqu’on a fait quelque chose qui plaît au monde, le monde sait, s’arranger de manière à ce qu’on ne recommence pas. » En d’autres heures pourtant et dans l’habitude de la vie, il appréciait mieux son rare bonheur : ce bonheur avait été de venir à temps, en tête d’une grande époque qui naissait et qu’il avait en partie dirigée et conduite : « Je suis bien content, disait-il gaiement un jour qu’il venait de lire de jolis vers d’un tout jeune poëte, de n’avoir pas aujourd’hui dix-huit ans.
Développons, autant qu’il est en nous, l’intelligence, la moralité, les habitudes de travail dans toutes les classes de la société française ; cela fait, nous pourrons mourir tranquilles ; la France sera libre, non de cette liberté absolue qui n’est point de ce monde, mais de cette liberté relative qui seule répond aux conditions imparfaites, mais perfectibles, de notre nature. » C’est fort sensé, et du moins, on l’avouera, très spécieux ; mais cela ne satisfait point peut-être ceux qui sont restés entièrement fidèles à la notion première et indivisible de liberté, et je ne serai que vrai en reconnaissant qu’il subsiste, toutes concessions faites, une ligne de séparation marquée entre deux classes d’esprits et d’intelligences : Les uns tenant ferme pour le souffle de flamme généreux et puissant qui se comporte différemment selon les temps et les peuples divers, mais qui émane d’un même foyer moral ; estimant et pensant que tous ces grands hommes, même aristocrates, et durs et hautains, que nous avons ci-devant nommés, étaient au fond d’une même religion politique ; occupés avant tout et soigneux de la noblesse et de la dignité humaines ; accordant beaucoup sinon à l’humanité en masse, du moins aux classes politiques avancées et suffisamment éclairées qui représentent cette humanité à leurs yeux.
Royer-Collard lui-même sur son banc, à côté d’un de ses voisins les plus sages, avait été fort impatienté et mécontent de cette sortie de M. d’Argenson et l’avait laissé voir tout haut selon son habitude : tant les hommes modérés se sentaient en minorité et peu en faveur dans ce milieu-là, et tant ils étaient eux-mêmes poussés comme malgré eux à l’extrême limite de la modération.
Je n’examine pas le fond ; mais le temps a assemblé et amassé autour de ces établissements antiques et séculaires tant d’intérêts, tant d’existences morales et autres, tant de vertus, tant de faiblesses, tant de consciences timorées et tendres, tant de bienfaits avec des inconvénients qui se retrouvent plus ou moins partout, mais, à coup sûr, tant d’habitudes enracinées et respectables, qu’on ne saurait y toucher et les ébranler sans jouer l’avenir même des sociétés… » On voit la suite.
On se sent véritablement ailleurs ; l’on comprend que l’on a quitté Paris tout de bon ; la différence du climat, de l’architecture, des costumes, ne vous dépayse pas autant que la présence de ces grands végétaux des régions torrides que nous n’avons l’habitude de voir qu’en serre chaude.
Cette habitude insensible des comparaisons, des combinaisons conciliantes, des accroissements par rencontre et par relation de société, leur a manqué ; les nuances, les correctifs ne sont pas entrés dans leur première manière : ils sont tranchés et crus.
Ici l’habitude semble prise.
Plus ce qu’on lit sort du cercle des habitudes, et plus on est charmé.
Convalescence assez longue à la suite de laquelle il prend des habitudes flâneuses, et, peu à peu, s’alcoolise.
Notre organisation, le développement que les habitudes de l’enfance ont donné à cette organisation, voilà la véritable cause des belles actions humaines, des délices que l’âme éprouve en faisant le bien.
. — Cette mimique est le langage naturel, et, si vous avez quelque habitude de l’observation intérieure, vous devinez à quel état intérieur elle correspond.
Bornée du côté des sens, elle développe son activité intellectuelle avec une étonnante énergie, du seul côté que les habitudes sociales laissent ouvert : elle abstrait, déduit, analyse, avec une dépense effrayante de réflexion et de logique.
Il n’a vu le mal que dans la contrainte et la mutilation de la nature : le jeune catholique, la chasteté monacale, tous les engagements et toutes les habitudes qui limitent la jouissance ou l’action, voilà les choses qui excitent le mépris ou l’indignation de Rabelais.
L’action s’engage ici entre Rosine, le comte et Figaro, auxquels s’ajoutent Suzanne et Chérubin : le comte, un mari décent d’ancien régime, détaché de sa femme, et jaloux pourtant, parce que, l’amour n’étant qu’un accident, l’amour-propre est le fond de sa nature, libertin blasé qui répète avec toutes les femmes la comédie du sentiment, par habitude et par curiosité : la comtesse, une charmante femme qui a tenu toutes les promesses de Rosine, encore amoureuse de son mari, mais en train de devenir amoureuse de l’amour, parce qu’elle approche de la trentaine, parce qu’elle est délaissée, parce qu’elle s’ennuie, toute disposée déjà par de troublantes rêveries aux expériences dangereuses, et glissant langoureusement du marrainage à l’adultère.
Enfin cette habitude des vastes spectacles naturels et des mélancolies où ils nous jettent traîne forcément après soi un certain dédain de ce qui tente et occupe les écrivains sédentaires, des civilisations étroites et de la vie des cités d’Europe, si déprimée et si factice.
Pas de Dieu, pas de loi morale, pas même de lois physiques : ce qu’on appelle ainsi, ce sont les habitudes des choses (ce qui revient d’ailleurs au même) : tout est gouverné par le hasard ; la Raison même, la Nature et le Progrès sont des idoles qu’il faut renverser comme les autres.
Sous la préciosité de ses gestes menus et son vernis aristocratique, il décelait cette timidité, cet effacement volontaire, cette souplesse prudente que donne aux fonctionnaires subalternes, l’habitude de la discipline ou la crainte d’être rabroués.
L’habitude de ce petit monde déshabitue du grand air ; on en vient à se défier de la nature humaine et à fonder l’espérance du succès sur des moyens factices, sur d’obscures manœuvres.
Oui, certes, il est très clair que, sous la pression constante du monde extérieur, les esprits ne peuvent manquer de contracter des habitudes, de prendre des plis ineffaçables.
La conception d’une loi supérieure paraît surtout lui répugner, parce qu’elle se présente comme un fait supra-sensible, en désaccord avec ses habitudes empiriques.
Je viens à vous — vous le savez, on vous l’a dit, il y aurait affectation de ma part à ne pas l’avouer — sans habitude de l’enseignement ni de la parole.
Donc, Séverine a recouvré la paix de son cœur ; elle croit et elle aime ; le prince lui a même fait promettre de recevoir, madame de Terremonde, ce soir, tout à l’heure, comme d’habitude, le sourire aux lèvres.
En un mot, il ne souffrait d’être gêné en rien dans ses habitudes, et, comme sa petite-fille l’amusait et qu’il ne pouvait se passer d’elle, il fallait qu’elle fût de toutes ses parties coûte que coûte et au risque d’accident.
La première phrase de ce discours est difficile et délicate à traduire ; Cicéron y dit : « S’il y a en moi quelque talent (et je sens combien ce talent est peu de chose, quod sentio quam sit exiguum), si j’ai quelque habitude de la parole… c’est à Archias que je le dois. » On assure que Patru mit quatre ans avant de se fixer sur la traduction qu’il donnait de cette première phrase ; il y revint encore dans la seconde édition, qui ne parut que trente-deux ans après la première ; et, dans les deux cas, il manqua le point essentiel, le Sentio quam sit exiguum, ce correctif que Cicéron apporte aussitôt à son propre éloge.
Son habitude, pourtant, était plutôt triste et pensive.
je crains que La Rochefoucauld, bien compris, n’ait en définitive raison ; car, sans nier l’élan de l’amour-propre sous sa forme sublime et glorieuse, et en se bornant à l’expliquer, c’est précisément au solennel qu’il en veut dans l’habitude de la vie, c’est à toutes les comédies même sérieuses, à toutes les emphases et à tous les charlatanismes ; il les voit, il les perce à jour, il les remet à leur place d’un mot.
« Ce langage, ajoute-t-elle, me fut fort nouveau pour avoir jusques alors vécu sans dessein, ne pensant qu’à danser ou aller à la chasse, n’ayant même la curiosité de m’habiller ni de paraître belle, pour n’être encore en l’âge de telle ambition. » La crainte qu’elle avait toujours eue de la reine sa mère, et le respect silencieux où elle vivait d’habitude avec elle, la retenait aussi.
Le père de Beaumarchais, horloger de son état, et qui éleva son fils dans la même profession, paraît avoir été un homme bon, cordial, et qui avait conservé, des habitudes protestantes, un fonds de conviction et d’affection religieuse.
Beffara, cet honorable commissaire de police, qui, dans sa retraite, et par un reste d’habitude investigatrice utilement appliquée à l’histoire littéraire, se mit à la piste des naissances illustres, a fixé avec beaucoup de probabilité la naissance de Regnard au 7 février 1655.
Et peut-être vous lui êtes redevable originairement, je veux dire à votre éducation religieuse, pour les habitudes de vertu dont vous vous prévalez maintenant à juste titre.
Pour peindre la douceur de l’habitude, par exemple, M. de Musset dira : Les amants qui ne se voient qu’à de longs intervalles ne sont jamais sûrs de s’entendre ; ils se préparent à être heureux, ils veulent se convaincre mutuellement qu’ils le sont, et ils cherchent ce qui est introuvable, c’est-à-dire des mots pour exprimer ce qu’ils sentent.
C’est quand on a lu ainsi dans une journée cette quantité choisie des meilleures fables de La Fontaine, qu’on sent son admiration pour lui renouvelée et afraîchie, et qu’on se prend à dire avec un critique éminent : « Il y a dans La Fontaine une plénitude de poésie qu’on ne trouve nulle part dans les autres auteurs français66. » De sa vie nonchalante et trop déréglée, de ses dernières années trop rabaissées par des habitudes vulgaires, de sa fin ennoblie du moins et relevée par une vive et sincère pénitence, qu’ai-je à dire que tout le monde ne sache ?
Trois ans de liberté, trois ans de vie ainsi ôtés d’une existence humaine en un tour de Code ; le délit pesé en une seconde avec un coup de pouce dans la balance, et l’habitude de ce métier cruel et mécanique de tailler à la grosse, pendant des heures, des parts de cachots. — Il faut voir cela pour savoir ce que c’est.
La bourgeoisie des habitudes, la vie terre à terre, le calme plat des consciences, le « bon goût » et le « bon sens », tout le petit égoïsme tranquille est dérangé, avouons-le, par ces monstres du sublime.
Il a montré combien ces libertés sont fragiles et peu garanties par l’égalité même, lorsqu’elles ne reposent pas sur des habitudes de liberté, c’est-à-dire sur les mœurs.
Sommes-nous en mesure de juger de la part que la raison peut avoir dans des écrits que nous connaissons si mal, qui ne répondent pas à nos habitudes, à nos mœurs, à notre tournure d’esprit ?
Ces observations sur la prédominance des espèces ne s’appliquent, on doit le comprendre, qu’aux formes organiques qui entrent en concurrence les unes avec les autres, et plus particulièrement aux représentants du même genre et de la même classe qui ont à peu près les mêmes habitudes de vie.
Il serait étrange, en effet, que les hommes les plus forts dans le maniement d’une langue, et qui ont acquis l’habitude de la faire obéir et de la ployer à tous les rhythmes de la plus capricieuse tyrannie, ne pussent pas s’en servir dans des conditions bien moins difficiles.
En ne s’attaquant pas à si forte partie, les habitudes, les opinions et les préjugés du temps faisaient beau jeu, d’ailleurs, à la critique de Chénier. […] À force de peindre on finirait par perdre l’habitude de juger, et qu’est-ce que la critique sans jugement ? […] L’amour des détails ne connaît plus de bornes, et pendant que d’un côté on rattache à la vie d’un philosophe ou d’un poëte toute l’histoire de son siècle, de l’autre on nous fait pénétrer jusque dans les habitudes les plus indifférentes de son existence domestique et privée. […] Sans doute, comme tous ceux qui ont commencé par écrire en prose Mürger manquait de cette science profonde du rhythme qu’on n’acquiert que par une longue habitude. […] Mais, dans ce besoin de nouveauté qui s’agitait sans s’éclairer lui-même, l’habitude de l’imitation restait toute-puissante sur les esprits.
Il apporte dans l’histoire littéraire des habitudes d’auteur dramatique ; et dans ses ingénieux récits presque tout est mise en scène et invention. […] Tallemant des Réaux, dont la passion était de tout savoir et l’habitude de tout enregistrer, Tallemant, seul peut-être, avait entendu parler de Molière et de ses camarades, et voici comment il en parlait lui-même dans une revue qu’il passait des comédiens de son temps, antérieurement à 1658 : « Il faut finir par la Béjart (l’aînée). […] Il fut convenu de plus que les Italiens conserveraient leurs jours de représentations, auxquels ils devaient tenir, car c’était ce qu’on appelait les jours ordinaires, les mardi, vendredi et dimanche24, ceux où jouaient également le Marais et l’hôtel de Bourgogne, les seuls où l’on eût l’habitude d’aller à la comédie ; aux arrivants furent dévolus les jours extraordinaires, les lundi, mercredi, jeudi et samedi. […] Le chevalier de Gramont est celui qu’Hamilton nous a fait connaître, et La Grange, en inscrivant le lendemain cette visite comme due, nous montre que les comédiens commencèrent par lui faire crédit, ce qui, attendu les habitudes du visité, nous inspirait des inquiétudes ; mais La Grange a inscrit plus tard : « Reçu deux cent vingt livres. » Plus heureux que sages ! […] J’ai voulu que l’innocence de mon choix me répondît de mon bonheur : j’ai pris ma femme pour ainsi dire dès le berceau, je l’ai élevée avec des soins qui ont fait naître des bruits dont vous avez sans doute entendu parler : je me suis mis en tête que je pourrais lui inspirer, par habitude, des sentiments que le temps ne pourrait détruire, et je n’ai rien oublié pour y parvenir.
C’est là une idée moderne ; c’est là une méthode toute contemporaine, toute récente ; elle ne peut nous paraître ancienne, et acquise, et déjà traditionnelle, à nous normaliens et universitaires du temps présent, que parce que nous avons contracté la mauvaise habitude, scolaire, de ne pas considérer un assez vaste espace de temps quand nous réfléchissons sur l’histoire de l’humanité. Beaucoup plus que nous ne le voulons, beaucoup plus que nous ne le croyons, beaucoup plus que nous ne le disons tous formés par des habitudes scolaires, tous dressés par des disciplines scolaires, tous limités par des limitations et des commodités scolaires, nous croyons tous plus ou moins obscurément que l’humanité commence au monde moderne, que l’intelligence de l’humanité commence aux méthodes modernes ; heureux quand nous ne croyons pas, avec tous les laïques, avec tous les primaires, que la France commence exactement le premier janvier dix-sept cent quatre-vingt-neuf, à six heures du matin. […] « Et vous la connaissez bien, amis des universités populaires : car le maître qui consacra tant de belles pages à la “biographie psychologique” d’Ernest Renan et qui, par ses discours et ses écrits, nous a fait mieux connaître les pinceaux enchanteurs de l’immortel Watteau »,… On dit le pinceau, d’habitude ; il est vrai qu’il en avait plusieurs.
Brusquement, à son habitude, il s’était arrêté. […] Pour peu qu’on ait l’habitude d’écrire, on aperçoit, presque du premier coup, les petits trucs de leur facture. […] Il m’écrivait : « Votre art présente à mon intelligence des difficultés jusqu’à présent invincibles, et je suis trop vieux pour changer les habitudes de mon oreille de ma pensée. […] Froid, correct, mais amène à son habitude, Dubedat se présenta. […] Il la publia, — mais par habitude m’éreinta largement, tout en en retenant ceci : « Quand je comprends par-ci, par-là, quelques phrases, je me dis : c’est un Décadent.
Une sorte d’habitude ancestrale, remontant aux époques les plus reculées, nous fait voir dans l’élément viril le traditionnel symbole de toute vigueur, physique et intellectuelle, si bien que notre sentiment de l’ordre se trouve froissé par la moindre indication opposée. […] Et ceci encore est une preuve de virilité chez notre auteur, que se trouvent requises, pour goûter la pleine saveur de son œuvre, des facultés n’ayant d’habitude qu’un rapport éloigné avec les ouvrages de pure imagination. […] Je ne sais rien des goûts, des habitudes, de tout ce qui constitue la personnalité effective de notre auteur, et d’ailleurs, conformément aux principes d’une critique qui s’attache uniquement aux œuvres, je me suis interdit d’en rien rechercher. […] Ce serait donc un point de vue tout à fait faux, celui du critique qui regretterait de ne pas trouver ici ce qu’il a l’habitude de chercher, c’est-à-dire de la critique littéraire et l’analyse des principales œuvres répondant à tel nom déterminé.
Voilà comment l’habitude et la routine seront presque toujours plus fortes que les meilleures intentions. […] Nous avions, elle et moi, l’habitude de nous moquer de tout le monde, quoiqu’il eût été fort aisé de nous le rendre : nous étions habillées aussi ridiculement qu’on le pouvait être, et il n’y a grimace au monde que nous ne fissions. » Je le crois bien, quand on est jeune, qu’on veut être reine de France et qu’on danse pour son plaisir. […] Bulwer prit l’habitude d’écrire en note, au bas de ses livres, des aménités pareilles à celles-ci : « La France qui a produit Cartouche et Jules Janin, la France qui a produit la Saint-Barthélemy et L’Âne mort. » Voici, pour commencer, le drame de l’Ambigu-Comique. […] Dès que paraît Don Juan, le rire s’arrête ; ce séducteur n’a rien qui séduise, même au premier abord : froid sourire, méchant regard, tête insolente, sa raillerie est la raillerie méprisante d’un homme fatigué qui obéit, même à ses vices, plutôt par habitude que par plaisir.
De même encore pour tous les ingrédients partiels que nous énumérions tout à l’heure, qui peuvent prédominer chez tel ou tel artiste, en raison de son tempérament, de son milieu social et de ses habitudes, mais qui, pris isolément, ne constituent pas plus l’art, qu’un chapeau à lui seul ne constitue une toilette. […] Dans le domaine des arts, il est d’habitude d’assommer les vivants avec les morts, les œuvres nouvelles d’un maître avec ses anciennes. […] Je l’admets sans peine, mais à la condition de rétorquer l’argument à propos de la vie campagnarde, soit dit sans offenser la critique parisienne, dont, vu ses habitudes littéraires, la compétence en cette matière me semble fort douteuse. […] Les utopistes, les mystiques, ont l’habitude de déranger la langue.
Courtot, pastichant Crevel, parlera ainsi de son vocabulaire : « Ce vocabulaire dont l’agressive érection ne parvient point à vaincre l’épaisse virginité de l’habitude, éjaculant au seuil inentamé de l’honorabilité quotidienne ». […] Mais cette méthode nous a légué l’habitude d’étudier les objets et les phénomènes naturels dans leur isolement, en dehors des relations réciproques qui les relient en un grand tout, d’envisager les objets, non dans leur mouvement, mais dans leur repos, non comme essentiellement variables, mais comme essentiellement constants, non dans leur vie, mais dans leur mort. Et quand il arriva que, grâce à Bacon et à Locke, cette habitude de travail passa des sciences naturelles dans la philosophie, elle produisit l’étroitesse spécifique des siècles derniers, la méthode métaphysique z. […] Les prétentions à l’objectivité de tant d’intellectuels, les soi-disant neutralités littéraire, poétique, philosophique et autres ne sont, au bout du compte, que de sournoises mais solides alliances entre qui fait profession de penser et un état des faits, qui, justement, donne à penser, que la pensée devrait commencer par renoncer aux habitudes de petit confort et d’assoupissement, qui, lui ont permis de tolérer l’intolérable.
L’absence ou la forme différente des « hauts-de-chausses », les mœurs étonnantes, les habitudes inouïes, tout le trouble et l’épeure : il se demande si l’âme est bien la même ici ; il craint d’avoir à combattre une pensée contradictoire, à lutter pour la vie mentale. […] Et, frémissante encore, elle balbutie les circonstances atténuantes : « Il est bien certain qu’en dehors de son cercle d’habitudes on peut être exposé à ces menues erreurs — pourtant gênantes, puisqu’elle vous font l’exception. » Les inquiétudes de la mondaine ne nuisent jamais aux pensées maternelles. […] De son vivant, eut de la finesse, une certaine grâce canaille, une élégance en dehors des règles et des habitudes, faite de hardiesse et de nonchaloir : fut un charme original. […] Et, deux pages plus loin, la démonstration faite, l’auteur triomphe : « Je le répète, c’est une erreur qui s’est transmise de génération en génération, et qui, à la longue, est devenue une habitude, et ensuite, d’âge en âge, de siècle en siècle, est passée par le contact de la civilisation, qui l’a admise à l’état de besoin. » Pauvres hommes ! […] les vilains poseurs de lapins… Encore une citation, pour achever la confusion de Paul Redonnel et de ses habitudes « d’insolence littéraire ».
Je n’aurais pas pris la mauvaise habitude de lire sans discernement sans souci des trois ordres, allant jusqu’au dixième, jusqu’au centième peut-être ! […] Cela serait bien étonnant et bien peu conforme aux habitudes de la nature. […] C’est la vie, c’est l’habitude des sensations qui créera l’image stylistique ; mais le cerveau, même à cette période indécise, manifeste d’invincibles tendances. […] C’est leur habitude. […] La seule autorité donc à invoquer ici, c’est l’usage et nos habitudes sensorielles.
Peut-être ils nous diront que le Molière qui, dans ces pages ressuscitées, leur est offert, n’est plus celui qu’ils ont l’habitude d’entendre célébrer par la voix publique et par les juges compétents, d’accord avec elle, celui qu’eux-mêmes, pour leur compte, ont appris à connaître et à aimer, ou du moins qu’il en diffère notablement et s’en éloigne par certains traits et par l’ensemble ; que, sans être diminué, ils en conviendront sans peine, ni rabaissé, c’est là pourtant en somme, le Molière de J. […] Je ne quitterai point mes douces habitudes ; mais j’aurai soin de me cacher, et me divertirai à petit bruit. […] Les cent cinquante ans qui se sont écoulés depuis Molière ont produit des révolutions, non moins certaines que d’autres, et plus d’une très heureuses, dans la manière de sentir : nos idées ont changé le cours de nos passions, et nos passions transformées ont à leur tour réagi sur le caractère de nos relations sociales et les habitudes de notre vie domestique. […] La comédie répond si bien à notre humeur ; elle naît si naturellement de nos habitudes d’esprit et du jeu spontané de nos facultés, qu’elle est chez nous de toutes les époques. […] ……………………………………………………………………… ……………………………………………………………………… Les cent années que nous allons parcourir ensemble ont vu beaucoup de ces vicissitudes dans la manière de sentir ; nos idées ont changé le cours de nos passions, et nos passions transformées ont à leur tour réagi, pour les modifier, sur le caractère de nos relations sociales et sur les habitudes de notre vie domestique.
D’un sujet que notre scepticisme banal et nos chétives habitudes de raillerie nous portaient à considérer comme vaudevillesque, M. […] Il est certain que, dans la vie, les plus terribles coups se reçoivent souvent sans grands cris ni grands gestes, ni débordement de larmes ou fracas de sanglots ; mais nous croyons, soit par habitude, soit même par un assez bon raisonnement, que les conditions de la représentation dramatique veulent, même dans le jeu le plus sincère, quelque ramassement et quelque exagération. […] On ne le verra plus dans les deux ou trois restaurants où il avait ses habitudes depuis quarante années ; ni au Cirque, ni aux Folies-Bergère, où il venait pour rêver commodément. […] À côté d’elles, ou même au milieu d’elles, il y a les femmes du monde et les « honnêtes femmes », agitées, inquiètes, curieuses, mais incapables de grandes passions, ignorantes d’elles-mêmes avec beaucoup d’esprit, généralement sauvées de la faute par l’habitude de la « blague » et le sentiment du ridicule. […] Or, comme il approchait de la cinquantaine, un âge où l’on a toutes ses habitudes, voilà la Révolution qui le culbute, le bouscule, et le chasse.
De même à Fontenay en Poitou : après une bonne défense, la ville se rend et capitule sans vouloir rien mettre par écrit, sans demander d’otages, mais en se fiant entièrement en la foi et en la parole de Henri qu’ils savent bien être inviolable : « De quoi ce brave courage se trouva tellement touché, qu’il accorda tant aux gens de guerre qu’aux habitants quasi tout ce qu’ils voulurent demander, et le leur fit observer loyaument, traitant ceux de la ville tout ainsi que si elle n’eût point été prise par siège. » Le soin que mettent les secrétaires de Sully à enregistrer ces actes de clémence et ce nouveau droit de la guerre, prouve à quel point il était nouveau en effet, et combien il tranchait sur les mœurs et les habitudes du temps.
À la fin des Œuvres de Bourdaloue, on a réuni sous le titre de Pensées quelques-uns des morceaux de doctrine ou de morale qu’il écrivait à l’avance, selon l’habitude des orateurs anciens, pour les placer ensuite au besoin dans ses discours.
Beyle, au fond, est un esprit aristocratique : un jour, à la vue des élections, il s’était demandé si cette habitude électorale n’allait pas nous obliger à faire la cour aux dernières classes comme en Amérique : « En ce cas, s’écrie-t-il, je deviens bien vite aristocrate.
. — Ces scènes-là doivent être belles qui, vues chaque jour, plaisent chaque jour, et dont la nouveauté survit à l’habitude et au long examen des années.
Frédéric, qui aimait à contredire à son tour et à croiser le fer sans céder du terrain, rencontrait en lui un interlocuteur exclusif et tranchant : c’étaient, après tout, deux esprits rois ; ils pouvaient avoir de belles entrevues, plutôt qu’une habitude et une égalité d’entretiens.
Dans ce Commentaire sur Corneille, il fut fort sincère ; là même où sa critique nous paraît excessive et trop peu intelligente de l’ancienne langue, il obéit à son goût personnel, à ses habitudes d’élégance, à l’ennui que lui causaient à la longue les mauvaises pièces du vieux tragique.
Cela fait le tissu le plus singulier, et cette bigarrure, qu’il portait jusque dans ses autres écrits, lui a été reprochée dans le temps même : elle est faite pour nous étonner bien plus encore aujourd’hui· Elle n’a d’ailleurs d’effrayant que le premier aspect ; avec un peu d’habitude des langues anciennes, on en vient bientôt à bout, sauf quelques mots qu’on peut négliger.
Une première fois, le 28 mars, dans une promenade poussée plus loin que d’habitude avec l’abbé Gerbet et un autre compagnon, il avait entrevu au nord, de dessus une hauteur, la baie de Cancale et les eaux au loin resplendissantes qui décrivaient à l’horizon une barre lumineuse.
Vauban est rude ; il a dans son action, comme dans son langage, des marques restantes du xvie siècle ; il a des habitudes, des manières de dire comme d’agir à la Sully, à la L’Hôpital.
Il faut l’entendre, avant tout, parler de la chose sur laquelle il a le plus droit d’être écouté, de celle qu’il a le mieux sue et qu’il avait le plus à cœur de posséder et de faire dignement, l’office et la fonction de la royauté ; soit qu’il songe à son fils dans ses instructions, soit que plus tard il s’adresse à son petit-fils partant pour régner en Espagne, il excelle à définir dans toutes ses parties ce personnage qu’il a su le mieux être, qu’il a été le plus naturellement et comme par une vocation spéciale, le personnage de souverain et de roi. il faut l’entendre encore dans cette Conversation devant Lille (qui se lit dans les Œuvres de Pellisson), parlant dans l’intimité, mais non sans quelque solennité selon sa noble habitude, de son amour pour la gloire, du sentiment généreux qui l’a poussé à s’exposer et à paraître à la tranchée et à l’attaque comme un simple mortel, comme un soldat : « Il n’y a point de roi, pour peu qu’il ait le cœur bien fait, disait-il, qui voie tant de braves gens faire litière de leur vie pour son service, et qui puisse demeurer les bras croisés. » On retrouve là à l’avance, dans la bouche du monarque, quelques-unes des belles pensées de Vauvenargues sur la gloire, avec un peu plus d’emphase, mais non moins de sincérité.
Quand l’esprit d’un temps n’est pas très-sévère en matière de critique et qu’il n’en a pas pris l’habitude, il n’est pas non plus très-rigoureux moralement sur ce chapitre des fabrications plus ou moins ingénieuses : il ne les appelle pas des falsifications67.
J’allais pourtant oublier, dans cette réunion des dimanches, un assistant des plus exacts, le moins semblable à Beyle et le plus silencieux de tous, Adrien de Jussieu, le botaniste, mince et long de taille, long de tète, long de visage, penché par habitude, souriant du coin de l’œil et du coin des lèvres, avec bénignité et finesse, et qui, sortant des derniers, disait chaque fois en serrant la main au maître de la maison : « Ils ont été bien amusants aujourd’hui !
Elle a gardé du bon vieux temps des aïeules l’habitude de filer.
I Je voyais l’autre jour, à l’Odéon, Macbeth si bien rendu, si bien exprimé et resserré au vif par notre ami Jules Lacroix, ce mouleur habile et consciencieux du groupe sophocléen, l’Œdipe roi : j’admirais, même dans les conditions inégales où elle nous est produite, cette pièce effrayante, effarée, sauvage, pleine d’hallucinations, de secondes vues ; où l’on voit naître, grandir et marcher le crime, le remords ; où l’horreur d’un bout à l’autre plane à faire dresser les cheveux ; où le cœur humain s’ouvre à tout instant devant nous par des autopsies sanglantes ; sillonnée de mots tragiques immortels ; où le poignard, l’éclair, le spectre, sont des moyens d’habitude et devenus vraisemblables ; où la faiblesse est forte, où le héros est faible et misérable ; où tout s’enchaîne et s’entraîne, où la destinée se précipite tantôt vers la grandeur, tantôt vers l’abîme ; où l’homme est montré comme le jouet de la fatalité, une paille dans le tourbillon ; où Shakespeare nous dit son dernier mot philosophique par la bouche de son Macbeth s’écriant : « Hors d’ici, éteins-toi, flambeau rapide !
Sans doute tous les artistes n’ont pas les mêmes habitudes ni les mêmes exigences de travail et de production ; l’atelier d’un Poussin, d’un de ces peintres méditatifs « qui ne sauraient peindre en sifflant », sera d’un tout autre aspect que celui d’un artiste gai, mobile, alerte, s’inspirant et profitant de tout ce qu’il voit et de ce qu’il provoque autour de lui ; et cependant l’étude, aussi, a des lois invariables, et, si prodigieuses que soient la mémoire, la facilité, la dextérité, la verve, rien ne saurait suppléer à l’observation et à un premier recueillement, si court qu’on le suppose.
Soulié va plus loin, et supposant cet axiome admis et accepté : « Montrez-moi la chambre à coucher d’une femme, et je vous dirai qui elle est », il conclut, non sans quelque couleur de raison et selon qu’on aime à le croire avec lui : « C’est donc de Marie Cressé que Molière tenait son esprit élevé, ses habitudes somptueuses et simples à la fois, sa santé délicate, son attrait pour la campagne hors de Paris, et désormais la mère de Molière, restée inconnue jusqu’à ce jour, aura sa place bien marquée dans les commencements de la vie de son premier-né. » Voilà où peuvent conduire, à toute force, des inventaires bien lus et finement commentés.
C’est par de telles habitudes que les Serieys et les Au-guis autrefois ont décrié le genre.
Mais n’insistons pas trop sur cette philosophie amère qui n’est pas une habitude, qui n’est qu’une extrémité de la pensée dernière de Gavarni, et revenons avec lui à de plus amusantes satires.
Il a pour habitude d’accabler les sots sous l’ironie des compliments, et d’user d’une sévère franchise envers ceux qu’il estime ou qu’il aime.
Je le sais, la doctrine du trop, de l’exagération dite légitime, de la monstruosité même, prise pour marque du génie, est à l’ordre du jour : je demande à n’en être que sous toute réserve ; j’habite volontiers en deçà, et j’ai gardé de mes vieilles habitudes littéraires le besoin de ne pas me fatiguer et même le désir de me plaire à ce que j’admire.
Cette Épître nous montre par une suite d’exemples ou de remarques habilement choisies que pour qui veut connaître à fond un seul homme, un individu, tout trompe, tout est sujet à méprise, et l’apparence et l’habitude, et les opinions et le langage, et les actions même qui souvent sont en sens inverse de leur mobile : il n’y a qu’une chose qui ne trompe pas, c’est quand on a pu saisir une fois le secret ressort d’un chacun, sa passion maîtresse et dominante (the ruling passion), dans le cas où chez lui une telle passion existe.
Qui vous permet de mutiler la créature de Dieu, de cacher l’infirmité, le défaut, le vice, la difformité, le malheur qu’a fait naître ou développer en lui telle passion, telle doctrine, telle habitude, tel milieu social ?
« Le roi (nous dit le Journal de Luynes) lui a répondu avec la même sécheresse : « Ce n’est pas la peine, je n’y serai presque pas. » Elle lui a demandé ensuite si au moins elle ne pourrait pas rester ici ; il lui a répondu sur le même ton : « Il faut partir trois ou quatre jours après moi. » — La reine est, comme l’on peut juger, fort affligée d’un traitement aussi dur. » Tous ces beaux sentiments, enfants de la maladie et de la peur, étaient dissipés et avec la santé étaient revenus les désirs, les habitudes, toutes les ivresses de la vie.
En ce temps de jeunesse, lorsqu’elle voulait quelque chose, elle le voulait avec vivacité, ardeur, exigence même ; elle se piquait et s’irritait des contradictions, des résistances ; elle y mettait aussi de la séduction et de l’adresse, l’art de la femme ; et l’objet qu’elle avait en vue une fois atteint, elle revenait à ses jeux, à ses distractions de chaque heure, aux surprises aimables où elle excellait et dont elle animait ses journées, aux habitudes délicieuses de l’amitié la plus charmante.
S’il a l’air de céder si aisément et de se dérober quand il a affaire au peuple, c’est-à-dire aux esprits frivoles, esclaves du préjugé et de l’habitude, c’est qu’il ne veut rien céder du fond et qu’il réserve pour un petit nombre, « pour une petite troupe choisie », l’entière originalité et l’intégrité parfaite de ses pensées.
On convient communément que le maréchal de Noailles est fol et hypocrite ; il est cependant à la mode de dire qu’il est dévot et homme de beaucoup d’esprit : tant le discernement à la Cour se plie sous l’empire de la mode et des apparences, et tant l’habitude est formée de voir de méchants hommes dans les grandes places et de les craindre !
Mais je préfère à toute autre page du recueil le morceau final où MM. de Goncourt se montrent bien tels qu’ils sont dans l’habitude, plus amis de l’intimité que du grand monde, et plus amis surtout de la société que de la nature.
Fournier trouve aujourd’hui que c’était invraisemblable : peu s’en faut qu’il ne trouve la chose impossible ; il n’a pas assez de railleries pour les pauvres auteurs de notices qui ont mentionné ce village voisin de Dourdan : « Peu importait, dit-il, qu’en maint endroit de son livre l’auteur des Caractères se révélât Parisien de la tête aux pieds ; Parisien de naissance et d’habitude, Parisien de cœur et d’esprit !
les années, les souffrances, les échecs et les humiliations de l’amour-propre, tout ce qui aurait dû rabattre de son habitude agressive n’a fait au contraire qu’irriter en lui ces besoin, cette rage d’insulte et d’invective qu’il semble avoir retenus de son premier maître La Mennais et qui fait tache dans son noble talent.
Jasmin prend peut-être quelques licences de tours, ou du moins il profite en cela des habitudes introduites ; il cède un peu trop, sans y songer, à ce flot de gallicismes qui vont chaque jour s’infiltrant ; tout en observant parfaitement la grammaire locale, il ne recourt peut-être pas assez à certaines locutions par lesquelles l’idiome du Midi se distinguait du français du Nord, et qu’on pourrait sauver ; en un mot, ce n’est pas un poëte remontant du patois à la langue par l’érudition ; mais c’est un poëte pur, soigné en même temps que naturel dans l’expression, habile et curieux aux mots vifs de son vocabulaire ; rien de rocailleux, rien de louche chez lui, et, pour parler selon ses images, son clair Adour, à nos yeux, semble courir sans un flot troublé47.
Théophile Gautier y aurait trouvé de nouveaux détails naïfs sur les mœurs et les habitudes du poëte suranné, des doléances de ménage mêlées à des extraits littéraires ; il en aurait pu tirer de nouvelles preuves piquantes de ce paganisme poétique que professait le xvie siècle, et dont lui-même il se montre si épris.
Un autre aussi sincère, après deux années de lenteur, a pu dire : Tout me vint de l’aveugle habitude et du temps.
. — C’est pourquoi, surtout quand la majorité est inculte, il est utile que les chefs soient désignés d’avance par l’habitude héréditaire qu’on a de les suivre, et par l’éducation spéciale qui les a préparés.
Mais le grand poète, d’après ce que je viens de dire, ne doit pas être doué seulement d’une mémoire vaste, d’une imagination riche, d’une sensibilité vive, d’un jugement sûr, d’une expression forte, d’un sens musical aussi harmonieux que cadencé ; il faut qu’il soit un suprême philosophe, car la sagesse est l’âme et la base de ses chants ; il faut qu’il soit législateur, car il doit comprendre les lois qui régissent les rapports des hommes entre eux, lois qui sont aux sociétés humaines et aux nations ce que le ciment est aux édifices ; il doit être guerrier, car il chante souvent les batailles rangées, les prises de villes, les invasions ou les défenses de territoires par les armées ; il doit avoir le cœur d’un héros, car il célèbre les grands exploits et les grands dévouements de l’héroïsme ; il doit être historien, car ses chants sont des récits ; il doit être éloquent, car il fait discuter et haranguer ses personnages ; il doit être voyageur, car il décrit la terre, la mer, les montagnes, les productions, les monuments, les mœurs des différents peuples ; il doit connaître la nature animée et inanimée, la géographie, l’astronomie, la navigation, l’agriculture, les arts, les métiers même les plus vulgaires de son temps, car il parcourt dans ses chants le ciel, la terre, l’océan, et il prend ses comparaisons, ses tableaux, ses images, dans la marche des astres, dans la manœuvre des vaisseaux, dans les formes et dans les habitudes des animaux les plus doux ou les plus féroces ; matelot avec les matelots, pasteur avec les pasteurs, laboureur avec les laboureurs, forgeron avec les forgerons, tisserand avec ceux qui filent les toisons des troupeaux ou qui tissent les toiles, mendiant même avec les mendiants aux portes des chaumières ou des palais.
Sur la vieille légende contée par Hilaire, qui fait de saint Nicolas le garde du trésor d’un barbare, Bodel a jeté librement les sentiments, les habitudes de son temps et de sa ville.
Ils n’y viennent pas, ou, s’ils y viennent d’aventure, comme ce sont évidemment des simples et des résignés, ils ne s’irritent point d’être exclus des chaises réservées ; ils acceptent avec la douceur de l’habitude les plus mauvaises places à l’église comme dans la vie : cela leur semble naturel.
Mais du moins le nouveau livre du poète des Rougon-Macquart m’a donné la joie d’assister au développement prévu de ce génie robuste et triste, de retrouver sa vision particulière, ses habitudes d’esprit et de plume, ses manies et ses procédés, d’autant plus faciles à saisir cette fois que le sujet où ils s’appliquent appelait peut-être une autre manière et se présentait plutôt comme un sujet d’étude psychologique (je risque le mot, quoiqu’il soit de ceux que M.
Il aurait fallu deux cents vers dans l’ancien système pour répandre toutes ces images ; ou plutôt il aurait été impossible de les accumuler ainsi : l’habitude même de la forme aurait empêché le poète d’y songer ; car l’ancienne forme répugnait tellement à cette profusion, que jamais vous ne trouverez dans un poète du Dix-Septième ou du Dix-Huitième Siècle plus de deux comparaisons pour une même idée.
Mais souvent le naturel premier, malgré le poids des lourdes habitudes, remonte et éclate.
Mon âme conservera ses habitudes, mais j’en ai perdu les délices.
Il en résulte cette habitude du labeur, cette perpétuelle connaissance des difficultés qui les maintient en concubinage avec la Muse, avec ses forces créatrices.
Laissons, au sujet de Frédéric, ces noms tant redits et qui veulent être injurieux ou flatteurs, ces noms trop contestables de l’empereur Julien et de Marc Aurèle ; n’allons pas, d’un autre côté, chercher le nom de Lucien, dont il n’offrirait que des parodies et des travestissements étranges ; et, si nous voulons le désigner classiquement, définissons-le dans ses meilleures parties un écrivain du plus grand caractère, dont la trempe n’est qu’à lui, mais qui, par l’habitude et le tour de la pensée, tient à la fois de Polybe, de Lucrèce et de Bayle.
On le voyait rougir et se taire dans le même moment, la partie supérieure de son âme laissant passer ce premier feu sans rien dire, pour rétablir aussitôt le calme et la tranquillité dans la partie sensible, qu’une longue habitude rendait toujours également docile aux lois de la raison et de la religion.
Dès l’heure du réveil jusqu’à celui du coucher, elle n’avait pas une minute, pas un interstice de répit ; elle était toute à tous, toute à des princes pour qui elle se gênait sans cesse, et à un roi qui n’eût pas sacrifié la moindre de ses habitudes pour la personne même qu’il aimait et considérait le plus.
Un véritable poète comique, un auteur qui a verve et gaieté franche, un Molière, ou simplement un Regnard, ne sont pas sujets à ces fatuités ni à ces raffinements épigrammatiques, qui font essentiellement partie du caractère et de l’habitude d’esprit de Rulhière.
Entendons-nous bien : ne demandons à La Harpe aucune de ces vues supérieures qui sortent de certaines habitudes et de certaines limites, et qui supposent des comparaisons neuves et étendues.
Virgile avait représenté dans ses Champs Élysées les héros conservant les mêmes inclinations et les mêmes habitudes qu’ils avaient eues pendant leur vie ; ce qui fit dire aux frères Perrault qu’on y voyait l’« ombre d’un cocher » : Qui, tenant l’ombre d’une brosse, Nettoyait l’ombre d’un carrosse.
De tout temps nous lui verrons cette habitude d’indiscipline, et de partir volontiers sans congé.
Il y est traité dans une libre et large manière : l’ample perruque de rigueur est noblement jetée sur son front et ne le surcharge pas ; il a l’attitude ferme et même fière, le port de tête assuré ; un demi-sourire moqueur erre sur ses lèvres ; le pli du nez un peu relevé, et celui de la bouche, indiquent l’habitude railleuse, rieuse et même mordante ; la lèvre pourtant est bonne et franche, entrouverte et parlante ; elle ne sait pas retenir le trait.
Les contemporains nous l’ont peint tel qu’il était dans la société et dans l’habitude ordinaire, très vif, extrêmement aimable, plein de saillies originales, plaisant, mais sans causticité, « facilement ému par la résistance et par la contradiction » ; ayant « de petites colères qui faisaient rire ceux qui en étaient témoins, et dont il ne tardait pas aussi à rire lui-même » ; il avouait qu’il lui était plus facile de se contenir sur de grands objets que sur de petits.
Je choisirai d’habitude et de préférence quelques sujets dans la littérature française des deux derniers siècles (sans toutefois m’y enfermer, et sans exclure absolument les contemporains), et je parlerai aujourd’hui de l’auteur du Voyage d’Anacharsis, de l’abbé Barthélemy.
Dans un admirable portrait de Wallenstein, ce glorieux généralissime de l’Empire assassiné par ordre de son maître, Richelieu, qui se reporte à sa propre situation de ministre calomnié et sans cesse menacé de ruine, trouve de magnifiques paroles pour caractériser l’infidélité et l’ingratitude des hommes ; et, après avoir raconté la vie de ce grand guerrier, après nous l’avoir montré avec vérité dans sa personne et dans son habitude ordinaire, il ajoute en une langue que Bossuet ne surpassera point : Tel le blâma après sa mort, qui l’eût loué s’il eût vécu : on accuse facilement ceux qui ne sont pas en état de se défendre.
Pour mieux consacrer son tribut de regrets à ce mérite modeste et à cette chère habitude à laquelle il avait dû, pendant dix années, des jouissances d’esprit et de cœur et des utilités morales de tout genre, Frédéric composa lui-même l’éloge de Jordan, pour être lu dans son Académie de Berlin.
L’on voit volontiers accouplées ces sonorités identiques, hier ennemies, cuir — buires, roi — voix — joie au mépris de la vaine habitude des yeux ; des assonances fort délicates, telles que : ciel — hirondelle, quête — verte, guimpe — limbe ; d’agréables rimes intérieures qui rappellent, avec beaucoup plus d’art, les jeux des poètes latins du XIIIe siècle : Ô Méditerranée, salut ; voici Protée qui lève de tes vagues son front couronné d’algues.
C’est à peu près comme si l’on disait : Il n’y a plus de roses, le printemps a rendu l’âme, le soleil a perdu l’habitude de se lever, parcourez tous les prés de la terre, vous n’y trouverez pas un papillon, il n’y a plus de clair de lune et le rossignol ne chante plus, le lion ne rugit plus, l’aigle ne plane plus, les Alpes et les Pyrénées s’en sont allées, il n’y a plus de belles jeunes filles et de beaux jeunes hommes, personne ne songe plus aux tombes, la mère n’aime plus son enfant, le ciel est éteint, le cœur humain est mort.
Mais s’ils avaient cherché à analyser le vers classique, avant de se précipiter sur n’importe quel moyen de le varier, ils eussent vu que dans le distique : Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel, Je viens selon l’usage antique et solennel le premier vers se compose de deux vers de six pieds dont le premier est un vers blanc Oui, je viens dans son temple et dont l’autre adorer l’Éternel serait également blanc, si, par habitude, on n’était sûr de trouver la rime au vers suivant, c’est-à-dire au quatrième des vers de six pieds groupés en un distique.
Le reste des tabourets est occupé par quelques autres personnes de sexe et d’habitudes divers, mais généralement en âge — de ne plus se marier.
Nous ne voulons pas leur contester, nous avons remarqué comme eux, que les productions des lettres et des arts subissent toujours plus ou moins l’influence des opinions et des habitudes contemporaines.
Il est soigneux, économe, laborieux et réglé dans toutes ses habitudes.
L’originalité n’y est pas, l’originalité si rare chez toute femme, même chez Mme de Staël, mais l’aristocratie, une aristocratie native, plus forte que les fausses doctrines et les mauvaises habitudes de société, n’a pu en disparaître.
En dépit de sa force et de sa fierté, l’esprit reste toujours victime de l’habitude ou son esclave.
L’écrivain, chez lui, l’écrivain dont la force poétique est toujours donnée par la comparaison, a la comparaison surtout ingénieuse, et il la suit longtemps quand il la trouve… En somme, si le critique défaille souvent pour les causes que j’ai dites, l’écrivain se soutient toujours, et c’est ce souci d’être toujours écrivain qui fait de lui un esprit, avant tout, littéraire et inaliénablement tel, alors même que le critique littéraire a disparu dans l’historien à prétention, dans le whig incessamment présent, dans l’utilitaire, dans le scholar ; car il est resté scholar aussi, d’habitude intellectuelle et même quelquefois de langage, cet homme qui n’a pas, malgré une force incontestable, su rompre ces emmaillottements !
Seulement, poussant plus avant, en raison des habitudes et de la puissance métaphysique de sa pensée, il a fait trouée, lui, jusque dans l’argumentation philosophique.
À son insu, l’habitude et l’inclination le guident vers les doctrines qui nous courbent et qui nous retiennent.
L’indignation même que l’on éprouve contre le mensonge, est utile ; elle affermit dans l’heureuse habitude d’être libre, et dans le besoin d’être vrai.
S’il est permis de rappeler ici une habitude de sa vie qui, tout en excitant sa verve, affaiblit et consuma sa raison, il ressemblait dans son désordre poétique à ces soldats des avant-gardes turques enivrés d’opium, s’élançant avec une audace qui tenait du délire, et tombant vainqueurs, mais épuisés.
Ce Brindisi est une raillerie à l’adresse des Italiens qui ne consentent pas à garder les habitudes et le langage de leur pays, et s’efforcent d’imiter tour à tour la France et l’Angleterre. […] C’est dans les œuvres de Kant qu’il a puisé l’habitude de placer les idées au-dessus des faits, et, si parfois il lui est arrivé de pousser trop loin cette prédilection, je reconnais pourtant qu’elle l’a mis à l’abri des habitudes mesquines préconisées de nos jours comme le dernier mot de la science historique. […] Guizot ait gardé les habitudes purement littéraires de son esprit. […] Ils se demandent comment un esprit droit, qui a fait de la méditation sa plus constante, sa plus chère habitude, peut s’aveugler au point d’ignorer qu’il ignore la solution et jusqu’aux termes des questions philosophiques. […] Michelet ne porterait pas dans la philosophie morale, dans la philosophie politique les habitudes de son esprit, que nous connaissions depuis longtemps ?
Benda mentionne la version du parfait amant, soutenue par Frédéric Plessis, et l’hypothèse de la liaison d’habitude et de lassitude, formulée par M. […] Aussi Renan, d’habitude si endurant, voire indifférent en ces matières, a-t-il protesté, une fois, et crié à la trahison. […] Du Bousquier sera un mari de qualité imparfaite : un tyran domestique, qui dépossède sa femme de l’autorité dont elle avait la délicieuse habitude. […] En soi, l’histoire, c’est l’ennui, au moins pour ceux qui, comme Taine, ont l’habitude et la passion des idées et des arts. […] Le grand capitaine est celui qui peut subir quelques échecs çà et là, mais qui s’est fait une habitude de la victoire.
Il arrive au domicile du tabellion : Voici les paquets d’habitude Pour le notaire en son étude. On comprend bien ce que l’auteur veut dire, et que les paquets d’habitude sont les paquets que le notaire a l’habitude de recevoir. […] Il blesse, par son exubérance, nos habitudes de modestie ; il manque de mesure et de discrétion. […] Toutes les phrases (un peu hachées selon une habitude chère à l’auteur) ajoutent un trait au tableau ; aucune n’en dérange l’harmonie… Outre ces qualités de peintre, M. […] Quand on l’en pressait, il invoquait son goût pour l’indépendance, la crainte de changer ses habitudes.
Cette habitude de rêves et, d’imaginaires enchantements ne fut pas chez lui la crise d’un âge. […] C’est une habitude profonde de stimuler le désir et de compliquer le plaisir par des imaginations étrangères à la volupté et aux fins de l’amour. […] La différence d’habitudes entre les interlocuteurs qu’on s’imagine est assez grande. […] L’âme humaine, sujette à cette fatale habitude, au lieu d’être un foyer persistant et vivant, devient bientôt comme une machine ingénieuse qui s’électrise contrairement en un rien de temps, au gré des circonstances diverses. […] Il leur était impossible de rivaliser avec elle sans se mettre intérieurement à son ton, Elle les faisait pareils à elle par l’habitude de leur esprit, comme aussi le goût ardent qu’ils lui vouaient devait éteindre chez eux celles des exigences intellectuelles et esthétiques qu’elle sacrifie, et qui se rapportent à la justesse, à la vérité et au naturel.
Il n’y a rien de plus rare que le génie épique, ni de plus contraire, en particulier, aux habitudes de notre époque. […] C’est encore une des bizarreries de l’auteur que cette habitude de récrire ses ouvrages et de soumettre au lecteur deux textes différents. […] Lavisse reconnaît que « thèmes et versions lui donnèrent l’habitude de la précision ». […] Il se fixe avec elle dans l’Aveyron et renonce pour elle à Paris, à ses habitudes et à ses compagnons de dissipation. […] Michel cite quelques fragments de ses poètes préférés, par habitude.
Dans la petite unité, dans l’escouade à deux qu’était ce couple d’amis, le voyage d’Orient avait donné à Du Camp, avec la fonction de caporal, l’habitude du commandement. […] L’art des sacrifices qu’est la littérature n’a pu se fonder chez lui que sur une habitude des sacrifices, et il fallait bien qu’il y eût encore par-dessous cette habitude des sacrifices une disposition aux sacrifices. […] Il a fait de Rodolphe un séducteur à froid, qui a l’habitude de la chasse aux femmes comme on a celle de la pêche à la ligne. […] Les observateurs d’insectes, quand ils placent dans leur caisse vitrée, pour l’amour ou la bataille, des grillons ou des mantes, se donnent pour spectacle des habitudes d’espèces. […] On a l’habitude de considérer Homais et Bournisien comme deux pendants, comme un bilingue de la bêtise humaine, l’un en langage religieux, l’autre en langage de la libre pensée.
Quelques jours après, on m’apportait une lettre de vous, datée de Champrosay, et nous nous mettions de suite à collaborer. » Mardi 8 janvier Dans cet Auteuil, dans cette banlieue cléricale et dévote, les curés ont soulevé contre ma pièce et ma personne, les imbéciles qui les écoutent, et aujourd’hui le papetier chez lequel Blanche a l’habitude d’aller, lui disait avec une exaspération amusante : « On ne conçoit pas qu’on ait laissé jouer une pièce, où on dise de telles horreurs ! […] Mais fidèle à mes habitudes je n’ai pas voté, n’ayant jamais voté de ma vie, intéressé seulement par la littérature et non par la politique. […] Et malgré moi, je suis touché, et je sens qu’à travers l’abominable jalousie qu’il a eue de moi, toute sa vie, une vieille habitude, un restant tendre de notre acoquinement artistique dans le passé, enfin le plaisir de causer avec moi du Japon, triomphe de cette jalousie, et le fait, par les moments tristes de sa vie, presque aimant de ma personne.
Ce petit homme : un gesticulateur, ayant dans le sac de sa redingote, des soubresauts de pantin cassé, et cela, dans des conversations, où, piété sur ses talons, sa parole a la verve comique à froid de ses articles, et où son dire débute ainsi : « N’est-ce pas, je n’ai pas l’habitude de mettre mon pied sur un étron ? […] Mardi 10 juillet Une maîtresse de maison parlait des domestiques impossibles, qu’avait faits le service militaire, de ces paresseux, ayant pris l’habitude de passer leur vie à fumer des cigarettes, couchés sur leur lit, et de ces révoltés, incapables de supporter une observation, quand on tombe sur un domestique, qui a été caporal ou sergent. […] Cet Européen avait l’habitude de se coucher, un revolver sur sa table de nuit, et de mettre ses papiers et son argent sous son oreiller, et il avait vu son voleur s’emparer de son revolver, lui retirer la tête de dessus son oreiller , et prendre son argent, cela sans pouvoir crier, et sans pouvoir le dire, avant que huit ou dix heures se soient passées.
. — Rotrou était charmant : une grande habitude du monde, une mine haute et fière. […] Car les vanités, les égoïsmes, les appétits, les faiblesses, les lâchetés, les perversions du sens moral dont la plupart des personnages de la pièce nous donnent le spectacle, sont d’hier, d’aujourd’hui et de demain, et les dangereuses tentations auxquelles est exposé Edouard Lindsey ne sont que les plus avouables de celles où nos hommes politiques ont l’habitude de succomber. […] Tandis que le patron se démène, une pauvresse remarque qu’il a sali sa redingote, et, humble par habitude : « Pardon, M. […] C’est, chez tous (sauf chez la tante narquoise), une exagération superficielle de la sensibilité, une habitude de mal proportionner les mots aux choses, une rapidité à passer d’un sentiment à son contraire, une trépidation, un emprisonnement agité de toute leur vie morale et intellectuelle entre le côté cour et le côté jardin… J’espère avoir rendu quelque chose de la facticité et du mouvement endiablé de cette vie-là. […] Resté seul avec son partenaire, il fait revenir deux « distingués » par un geste d’habitude, et bientôt glisse aux confidences, et étale les richesses morales d’un cœur sensible et d’un esprit sans détour.
L’habitude du contrôle intérieur devait le suivre dans l’emploi de ses facultés, quelles qu’elles fussent. […] Vous entendez des souffles, des voix ; vous devinez des habitudes, des mœurs, des duretés, des tendresses… Un drame de passion va s’engager… Et puis rien ! […] Il avait cette allure aisée des garçons qui ont passé leur adolescence dans les habitudes élégantes de la vie riche et parisienne. […] Cette durée de plusieurs générations successives dans un même cercle d’habitudes crée seule une atmosphère, un milieu, des mœurs. […] Son devoir est d’incarner en lui un certain nombre de vertus et aussi d’habitudes qui disparaîtraient de la nation s’il n’y avait plus d’armées permanentes.
— est en train de singulièrement s’appauvrir aux yeux de nos contemporains, par l’habitude que semblent prendre les plus acharnés de ses partisans, de résumer tout son effort, toute sa réussite littéraire, tout son exemple, en l’œuvre d’un seul maître : vraiment ! […] Mais en dépit d’une misérable vieillesse, de Crébillon père à Delille, sa position acquise resta, par la force de l’habitude, inexpugnable. […] Robert de Souza, auquel il nous faut toujours revenir dans ces questions de technique, car il aura été le premier, presque le seul, à les vouloir étudier de près, en philologue, la règle conventionnelle du numérisme77 a créé peu à peu chez nous une habitude d’oreille et de prononciation poétique, qui lui confère une valeur réelle, auprès de la règle organique, inéluctable, d’accentuation. […] Ne nous objectez pas la technique flottante du délicieux Jammes, individuelle du curieux Kahn : instinctifs purs, ils n’écoutent que leur génie, celui-là autour de l’habitude balancée de l’alexandrin, celui-ci sans tenir assez compte des éléments rythmiques traditionnels de notre poésie. […] A moins d’appeler vers, sur la ressemblance typographique, les unités rythmiques, les unités logiques (c’est tout un) que certains d’entre nous ont pris l’habitude d’isoler chacune sur une ligne, comme on fit des vers jusqu’ici, et qui ne valent jamais par elles-mêmes, mais par leur groupement, leurs proportions, leurs relations réciproques dans la strophe organisme qui les unit.
Les quinze-vingt vont à tâtons par les rues, &, par une longue habitude, trouvent les églises où ils ont affaire, sans les voir, ni sans sçavoir comme elles sont faites : les médecins en font de même dans le corps humain, dont ils sçavent les êtres par je ne sçais quelle routine, qui les conduit heureusement là où ils veulent aller, & en des endroits qu’ils ne connoissent pas ». […] Il ne conçoit pas qu’un honnête homme puisse exercer la profession de médecin : il dit qu’il n’y a que l’ambition de s’avancer, ou les besoins extrêmes, qui rendent supportable ce métier de charlatan, & qu’il est aussi ridicule de le continuer, lorsqu’on a dequoi vivre, qu’il le seroit de voir un gueux enrichi aller encore à la quête, & porter la besace ; ou de voir un gadouart, avec une fortune suffisante, conserver ses anciennes habitudes, & fréquenter les fosses des aisemens. […] Il parloit de la figure que les mémoires de Trévoux font dans le monde, de leur avantage, vû leur petit volume, & une ancienne habitude de plus de cinquante ans d’aller partout ; de la nécessité de ménager les auteurs autorisés à rendre vengeance pour vengeance, à célébrer qui les célèbre. […] Clément Marot, qui joignoit à l’habitude de tout écrire en vers & de tout dire, celle de ne se gêner en rien dans la conduite, fut plus épié qu’un autre. […] Les jésuites arrivèrent dans la même ville : eux qui étoient dans une habitude contraire, & qui permettoient aux néophites des autres missions des Indes une partie de ces coutumes, voulurent tenir la même conduite à Pondichery.
Il vous reste encore une habitude que vous avez prise en cette science, à ne juger de quoi que ce soit que par vos démonstrations, qui, le plus souvent, sont fausses. […] J’eus beaucoup de peine à me défaire de cette mauvaise habitude quand j’allai dans le monde, et même à ne pas user de ces certains termes qui n’y sont pas bien reçus, outre que je me trouvois si neuf et si mal propre à ce que les autres faisoient que je ne m’osois montrer en bonne compagnie.
Napoléon n’avait pas pour habitude d’assembler de ces sortes de conseils, dans lesquels un esprit incertain cherche, sans les trouver, des résolutions qu’il ne sait pas prendre lui-même. […] Il fallait pour ce travail surhumain le génie administratif, le coup d’œil du géographe ; l’amour du chiffre, cet élément constructif de toute chose numérique ; la passion de la vérité matérielle ; l’intelligence des détails, sans lesquels il n’existe pas d’ensemble ; l’habitude des négociations, qui fait comprendre la pensée voilée sous les dépêches ; l’instinct militaire, qui fait manœuvrer à tort ou à droit les masses ; le goût de l’héroïsme, qui anime l’historien du feu de la gloire ; l’ordre dans l’esprit, qui fait qu’on ne s’égare jamais et qu’on n’égare pas un soldat dans cette déperdition de millions d’hommes ; enfin le mouvement de l’esprit, qui se plonge lui-même avec vertige dans le tourbillon des événements, des campagnes, des batailles, des victoires ou des défaites qu’on retrace en courant à la postérité.
Il arriva le surlendemain aux portes de Turin ; son costume flétri par la route, son dénuement d’argent et de lettres pour le gouverneur, lui firent refuser l’entrée par les gardes ; il fut contraint à traverser de nouveau le Pô et à aller, suivant son habitude, demander un asile pour la nuit au couvent des Capucins. […] « S’il en résulte quelque argent, dit-il en finissant, il sera consacré à ma sépulture. » XXI Une lettre du prélat Nores, qui était alors à la cour du pape Clément VIII, lettre datée du 15 mars 1595 et adressée à Vincenzo Pinelli, donne sur le Tasse, à cette époque de sa vie, d’intéressants et pittoresques détails : « J’envoie à Votre Seigneurie deux sonnets du Tasse : dans l’un il célèbre l’anniversaire du couronnement du pape ; dans l’autre il loue et il sollicite, selon son habitude, son auguste bienveillance.
Il rajusta sur sa tête le schako couvert de toile cirée, et il donna ce coup d’épaule que personne ne peut se représenter s’il n’a servi dans l’infanterie, ce coup d’épaule que donne le fantassin à son sac pour le hausser et alléger un moment son poids ; c’est une habitude du soldat qui, lorsqu’il devient officier, devient un tic. […] Jamais le capitaine d’un bâtiment ne sera obligé d’être un bourreau, sinon quand viendront des gouvernements d’assassins et de voleurs, qui profiteront de l’habitude qu’a un pauvre homme d’obéir aveuglément, d’obéir toujours, d’obéir comme une malheureuse mécanique, malgré son cœur.
Son esprit resta actif, même après qu’il eût perdu l’usage de la parole ; suivant une de ses habitudes, quand un sujet le préoccupait fortement, il traça avec l’index des signes dans l’air ; peu à peu il traça ces signes moins haut, et enfin, sa main, tombant sur la couverture étendue sur ses genoux, y traça des mots inconnus. […] Pendant cette cérémonie, Goethe était dans les bois de sapins d’Ilmenau ; comme d’habitude, il s’était échappé de Weimar pour éviter toutes les félicitations officielles.
Des commencements difficiles, une fin cruelle, des espérances renaissantes et toujours trompées, une ambition sans scrupule et en même temps sans prudence, le funeste privilège d’inspirer des passions profondes et de ne les point ressentir, de connaître et de peindre, avec une force incomparable, les misères de la nature humaine, et de pouvoir être cité soi-même comme un vivant exemple de la vérité de ces peintures, telle fut en ce monde la destinée de Swift qui s’y résigna d’autant moins qu’il la comprit davantage, et qui prit l’amère habitude de relire, chaque fois que l’année ramenait le jour de sa naissance, le chapitre de l’écriture où Job déplore la sienne et maudit cette nuit fatale où l’on annonça dans la maison de son père qu’un enfant mâle était né. […] Prendre au sérieux le monde et les grandeurs du monde, la vie et les occupations de la vie, la science, la politique, les passions, les plaisirs ; se plaire dans cette mêlée, désirer et craindre avec emportement, voilà un des penchants de l’âme humaine, une des habitudes de sa pensée, et le mouvement perpétuel du monde en découle.
Lundi 3 février Ce soir, une jeune fille confessait sa répulsion et son dégoût pour les danseurs et les valseurs sentant la flanelle échauffée : flanelle que tous les jeunes gens ont pris l’habitude de porter en faisant leur service militaire. […] Philippe Gille, à propos du tombeau qu’on va élever à Métra, au compositeur de valses, parle de l’homme, du pochard, du récidiviste de la boisson, qui avait pris une telle habitude d’être ramassé, et de coucher dans un certain poste, près de Clignancourt, qu’il avait demandé qu’on changeât le papier, parce qu’il prétendait que le vert de ce papier l’empoisonnait.
L’habitude de montrer le creux des hommes ou leurs plus honteuses plénitudes finirait-elle par tyranniser la pensée de l’historien, et le rendrait-elle moins propre à nous peindre la perfection humaine et les limpides rayonnements de ses vertus ? […] Aux Instituts, ils savent très bien quelles sont les habitudes de main de Cassagnac, et s’ils ont, par hasard, entrouvert son livre, qu’un pareil chêne ne se coupe pas avec des couteaux à papier et des grattoirs d’Académie.
et il les fait précéder d’une de ces préfaces-feuilletons dont il a l’habitude, et qui, quand elles n’expriment pas des idées fausses ou frivoles, renferment des analyses inutiles. […] Quand on regarde fixement pour le dissiper l’espèce de mirage qu’une langue étrangère jette sur une idée qui paraîtrait commune dans la langue qu’on a l’habitude de parler, on finit par voir ce qu’on ne voyait pas d’abord : c’est à quel point, en somme, les critiques de Shakespeare sont petits.
C’est que Bayle est sceptique si à fond qu’il l’est jusque dans ses habitudes de travail. […] Il l’est comme un homme qui non seulement a le goût de la réalité, mais l’habitude de ces mœurs, moyennes qui sont la matière même du réalisme. Pour être un bon réaliste, il ne faut pas seulement l’habitude et le goût des mœurs moyennes, il faut presque une moralité moyenne aussi, dans le sens exact de ce mot, et sans qu’on entende par là un commencement d’immoralité. […] Qu’on ne dise point que la conscience est un effet de l’hérédité, de l’éducation, de l’habitude et de l’exemple, elle est bien un ordre de Dieu à notre âme, non une invention humaine. […] Pour un homme qui a pris l’habitude d’étendre sa pensée au moins jusqu’aux frontières, cela devient une vive impatience, une insupportable douleur à savoir qu’il y a des malheureux dans le pays et qu’il serait facile qu’il n’y en eût pas.
Lavallée, en étudiant Mme de Maintenon, ce qui arrivera à tous les bons esprits encore prévenus (et j’en rencontre quelquefois de tels) qui approcheront de cette personne distinguée et qui prendront le soin de la connaître dans l’habitude de la vie : je ne dirai pas qu’il s’est converti à elle, ce serait mal rendre l’impression simplement équitable que reçoit un esprit droit ; mais il a fait justice de cette foule d’imputations fantastiques et odieusement vagues qui ont été longtemps en circulation sur le prétendu rôle historique de cette femme célèbre.
[NdA] Il met minuit et demi, parce qu’il croit avoir observé qu’à minuit sonnant, les ennuyeux ou les gens d’habitude vident régulièrement le salon ; il ne reste plus qu’un choix de gens aimables et de ceux qui se plaisent tout de bon.
À cette heure, d’autres destinées appelaient déjà Daru et l’arrachaient pour un long temps à cette habitude littéraire et académique qui lui plaisait avant tout et qu’il était si fait pour goûter.
Je l’appelle par habitude Mme Dacier, elle ne le devint qu’en 1683.
Le trouvant tout à fait doux et traitable, j’avais pris l’habitude de l’emporter toujours après déjeuner dans le jardin, où il se cachait ordinairement sous les feuilles d’un plant de concombres, y sommeillant ou y ruminant jusqu’au soir : les feuilles lui fournissaient aussi un régal favori.
Le prince Henri avait une santé nerveuse et avait pris de ces habitudes oisives, qui font que l’on est usé pour la guerre.
Mais, même lorsqu’il fut devenu ce qu’il n’aurait pu dans aucun cas s’empêcher d’être, le roi des poètes de son temps et le chef du parti philosophique, même alors Voltaire avait des regrets et des habitudes d’homme de société, d’auteur de société, et qui n’aurait voulu rester que cela.
On s’accoutume à tout : je crois cependant que l’habitude de ne pas manger n’est pas bien facile à prendre.
Chapelain était fort savant, d’une science solide, et il se montra judicieux, bien qu’avec pesanteur, tant qu’il n’eut affaire qu’à des auteurs et à des ouvrages qui se rapportaient aux habitudes de toute sa vie et qui dépendaient de l’école littéraire où avait été nourrie sa jeunesse.
Il eut le temps de prendre quelques habitudes de province, au moins dans le goût ; il admirera jusqu’à la fin Mlle de Scudéry, il sera son soupirant idolâtre.
Toute société élégante recherchera votre compagnie, et, quoique tout grand changement dans les habitudes et la manière de vivre puisse d’abord paraître désagréable, l’esprit se réconcilie bien vite avec sa nouvelle situation, surtout si elle lui est le plus naturelle et celle pour laquelle il est né (congénial).
Il y a un beau mot de Mirabeau : « Tout homme de courage devient un homme public le jour des fléaux. » Montaigne, homme public, n’a pas fait ni senti qu’il devait faire ce qu’eût fait un Mirabeau et d’autres, qui, dans l’habitude, valaient moins que lui.
Ils l’ont commencée du côté gauche du pavé, ils la continuent du côté droit ; c’est la seule différence qu’il y ait dans leurs habitudes entre le matin et le soir. » Voilà le commentaire du tableau : sur la toile, le dessin exact, le caractère et le ton fixe ; ici, les variations du plus au moins et la succession notée des divers moments.
Je suppose toujours cet ancien public français avec ses habitudes, et à qui deux heures de spectacle sérieux suffisaient.
Il faut tout dire : Catinat, à son âge et avec ses habitudes d’esprit, était peu propre à recommencer une telle guerre.
Il a l’habitude, on rentrant le soir, de noter brièvement ce qu’il a entendu de plus remarquable ; il nous livre aujourd’hui ces notes ; il y joint les lettres qu’il a reçues de ces personnages célèbres ou de ces femmes d’esprit.
« Son infatigable activité, nous dit-il, et l’habitude qu’elle avait de correspondre, non-seulement avec les nombreux membres de sa famille, mais avec les princes étrangers, avec ses conseillers et avec une foule d’autres personnes, me permettaient de penser que je ferais une ample moisson, et j’espérais pouvoir publier toute la Correspondance de Marie-Thérèse. » Malheureusement, M. d’Arneth dut renoncer en partie à ce projet : il rencontra des refus auprès de la plupart des familles nobles d’Autriche.
Ce qui malheureusement n’est pas moins certain, c’est qu’il ne perdit pas l’occasion non plus de reprendre sous main ses habitudes de trafics et marchés : 6 millions lui furent promis par les Bourbons de Naples pour favoriser leur restauration, et l’on a su les circonstances assez particulières et assez piquantes qui en accompagnèrent le payement32.
Dès le début Ney, dont le mouvement devait se combiner avec celui de Lannes pour rendre complète la victoire de Tudela, procède contre son habitude avec un peu trop de lenteur et s’attire des reproches.
Il persévéra dans ses habitudes solitaires, dans les travaux parfois fastidieux imposés à son honorable pauvreté.
« Prévenez-le, je vous prie, de mon extérieur sec et froid, de la paresse insurmontable et de l’ignorance honteuse qui me rendent silencieuse la plupart du temps, afin qu’il ne prenne pas pour de l’impertinence ce qui est chez moi une habitude, un travers, mais non pas une malveillante intention.
Il est vrai que tout le monde ne pense pas ainsi : les trop longues habitudes déplaisent au public.
Les circonstances extérieures étant données, l’état politique et social étant connu, on conçoit quelle dut être sur une nature comme celle de Boileau l’influence de cette première éducation, de ces habitudes domestiques et de tout cet intérieur.
Dans cette société de petites gens et dans cette habitude des détails vulgaires, le poëte a pris un ton familier qu’il garde partout.
« Il est vraisemblable qu’elle agit sur nous par des causes secrètes, qui tiennent à nos habitudes et à nos préjugés, et par la position où nous nous trouvons relativement aux objets environnants.
D’habitude elle naît d’un manque d’imaginative et est le défaut commun des littérateurs moins artistes que poètes.
Cependant, pour peu que la transformation des habitudes et des goûts qui nous a frappés ait une certaine profondeur et qu’elle apparaisse en plusieurs milieux éloignés et différents de langue et d’organisation sociale, il est bien difficile de croire à une transmission d’une pareille promptitude et l’on est obligé de se demander s’il n’y a pas eu sur ces points divers naissance multiple de phénomènes semblables.
A s’en tenir aux opinions courantes, la science est considérée comme un mode de connaissance à part, sui generis, placée dans une région presque inaccessible, ayant des procédés de recherche qui lui sont propres, totalement étrangère (sauf dans ses applications) aux raisonnements et habitudes d’esprit de la vie commune.
Ils ne tiennent plus l’un à l’autre que par la chaîne rouillée d’une morne habitude.
On répète toujours que Thomas est enflé ; mais nous-mêmes nous sommes devenus, dans notre habitude d’écrire, si enflés, si métaphoriques, que Thomas relu me paraît simple.
Il y a là, au milieu de ses qualités charmantes, délicieuses et suaves, une habitude d’indélicatesse et de sensualisme, un déshabillé libre et bourgeois, par lequel il est bien inférieur à cet autre grand critique des arts, Lessing.
À la longue, cette prétention (car c’en était bien une), en se réduisant et en s’adoucissant, finit par devenir l’habitude facile, le pas égal et naturel de sa pensée.
La belle veuve, à le voir si tranquille en ce jour solennel, et si bien établi tout le soir dans le salon, en est piquée et presque irritée ; elle va jusqu’à se repentir, et elle ne sait pas dissimuler devant ses bonnes amies, qui ne demandent pas mieux que de surprendre sa faiblesse ; retirée chez elle, elle est près de se porter à quelque résolution extrême, et de vouloir continuer ses habitudes de veuve, lorsque pourtant, bien qu’un peu tard et fort tranquillement, M. de Gerfaut arrive.
Puisse le travail, puisse l’aisance modérée, l’aisance toujours achetée et toujours surveillée qu’il procure, puisse la moralité qu’il introduit et qu’il entretient dans toutes les classes, devenir de plus en plus l’habitude et la loi de la société nouvelle !
Il eut à se défaire lui-même de ses premières habitudes, à débarrasser la superficie de la pierre, comme il dit, de ces couches étrangères qu’y avaient appliquées deux siècles civilisateurs.
On sent trop dans ce premier discours académique, comme plus tard dans les rapports que fera Raynouard en qualité de secrétaire perpétuel, les anciennes habitudes d’avocat consultant et de palais.
Je ne sais si le talent poétique de Le Brun eût jamais été susceptible de se développer et de grandir en des régions plus heureuses ; mais à coup sûr, par une telle habitude de sentiments et de pensées, il s’en était interdit les moyens ; il avait tari en lui les sources jaillissantes et fécondes.
Lorsque la paix fut rétablie, Mme de Motteville reprit auprès de la reine les habitudes de cette vie régulière, douce et grave, qui lui convenait si bien.
Au retour d’un voyage d’Espagne, qu’il avait entrepris pour les intérêts du prince de Condé, il mit à nu, dans le plus piquant détail, les habitudes de paresse, l’incurie et la pénurie financière de cette nation.
Le premier commandement en chef de Marmont fut, en mars 1804, au camp d’Utrecht ou de Zeist ; c’est là qu’il apprit ce qu’il avait eu jusque-là peu d’occasions personnellement d’étudier et d’appliquer, la science et l’habitude des manœuvres, de la tactique proprement dite : Si j’ai eu quelque réputation à cet égard, je la dois à mon long séjour au camp de Zeist, où, pendant plus d’une année, j’ai constamment été occupé à instruire d’excellentes troupes et à m’instruire moi-même, avec cette émulation et cette ferveur que donne un premier commandement en chef dans les belles années de la jeunesse.
Dans l’habitude et dans l’ordre des gouvernements libres et modérés, on continuerait d’y trouver des inspirations générales et des textes mémorables.
Dans les premiers articles qu’il donnait une fois par semaine dans les gazettes du lieu, il s’efforçait de polir les mœurs, les usages, de corriger les mauvaises et inciviles habitudes, la grosse plaisanterie, les visités trop longues et importunes, les préjugés populaires superstitieux et contraires aux bonnes pratiques.
Il a un tour de plaisanterie qui lui est propre et qui ne sied qu’à lui… Il aime la solitude, et il est aisé de voir que le goût pour la société ne lui est point naturel : c’est un goût acquis par l’éducation et par l’habitude… Ce je ne sais quoi de solitaire et de renfermé, joint à beaucoup de paresse, rend quelquefois en public son opinion équivoque ; il ne prononce jamais contre son sentiment, mais il le laisse douteux.
Au temps de Grimm, c’était encore l’habitude d’appeler extraits les articles qu’on écrivait sur les livres, et ces extraits, autorisés et consacrés par l’exemple du Journal des savants, se bornaient le plus souvent en effet à une exacte et sèche analyse de l’ouvrage : « sous prétexte d’en donner la substance, on n’en offrait que le squelette ».
Plusieurs de ces écrivains, assez doctrinaires d’abord, se sont guéris d’eux-mêmes en continuant d’écrire et en corrigeant leur premier style par l’habitude de la parole.
Le doute méthodique de Descartes est une bonne chose pour tout le monde ; l’analyse des erreurs des sens et de l’imagination est aussi vraie pour Helvétius qu’elle l’est pour Malebranche ; les sentiments moraux ont été analysés par les Écossais d’une manière que toute école peut admettre ; ainsi de la méthode inductive dans Bacon, de la théorie du langage dans Locke et Condillac, de la théorie de l’habitude dans Maine de Biran, etc.
Ils expliquent encore les habitudes qu’ont certains animaux : les tourterelles, d’aller toujours par deux (Les deux jumelles) ; l’hyène, de farfouiller dans la paille bottelée (L’hyène commissionnaire) ; les poules, d’éparpiller leur manger (Pourquoi les poules etc…) ; les motifs qu’a la race caprine de redouter l’eau (La peur de l’eau) ceux qu’elle eut de se résigner à la domestication (Les chèvres domestiquées).
Lorsque dans ce livre, qui ne dogmatise pas, qui ne prêche pas, qui ne professe pas, elle fait, par hasard ou par habitude, un petit mouvement protestant, elle le rend si joli, par ce qu’elle y met, qu’on le lui pardonne.
N’insulte-t-on pas tout ce qui contrarie et résiste, quand on est violent et orgueilleux, et les savants ont-ils l’habitude de manquer de violence ou d’orgueil ?
Ce n’est point l’homme qui tombe qui rit de sa propre chute, à moins qu’il ne soit un philosophe, un homme qui ait acquis, par habitude, la force de se dédoubler rapidement et d’assister comme spectateur désintéressé aux phénomènes de son moi.
Blasés que nous sommes par l’habitude des ruines, nous voyons d’un œil sec s’écrouler les pouvoirs antiques qui ont abrité tant de générations. […] Nous n’avons pas à le venger par conséquent d’un dédain immérité comme la petite pièce précédente ; nous nous bornerons à dire qu’il serait difficile de faire une plus ingénieuse apologie des douceurs de la monotonie et du bonheur de l’habitude. […] Je veux savoir avec précision quelles sont les circonstances de sa vie, les particularités de son caractère, ses habitudes physiques et morales, tout enfin, jusqu’à la nuance de sa chevelure et à la couleur de ses yeux. […] Là où il aurait fallu une comédie satirique hardie, quelque chose comme les Précieuses ridicules de l’amour, on eut un sermon, ou mieux un plaidoyer dialogué, où les personnages, gens du palais, n’ont pas eu à prendre la peine d’oublier les habitudes de leur métier. […] Le mouvement industriel de 1850 avait eu pour résultat de bouleverser brusquement les habitudes économiques de la société par un renchérissement subit de la vie matérielle, qui avait fait du soir au lendemain passer les riches de la veille à l’état de gens aisés, et les gens aisés presque à l’état de nécessiteux.
On conçoit, en effet, que dans certaines sciences les moyens d’observation et d’expérimentation devenant des instruments tout à fait spéciaux, leur maniement et leur emploi exigent une certaine habitude et réclament une certaine habileté manuelle ou le perfectionnement de certains sens. […] Le naturaliste qui observe des animaux dont il veut connaître les mœurs et les habitudes, le physiologiste et le médecin qui veulent étudier les fonctions cachées des Corps vivants, le physicien et le chimiste qui déterminent les phénomènes de la matière brute ; tous sont dans le même cas, ils ont devant eux des manifestations qu’ils ne peuvent interpréter qu’à l’aide du critérium expérimental, le seul dont nous ayons à nous occuper ici. […] L’habitude est encore une condition des plus puissantes pour modifier les organismes. […] Quand on voit un phénomène qu’on n’a pas l’habitude de voir, il faut toujours se demander à quoi il peut tenir, ou autrement dit, quelle en est la cause prochaine ; alors il se présente à l’esprit une réponse ou une idée qu’il s’agit de soumettre à l’expérience.
Vous entrevoyez pourtant comment on a pris l’habitude de rapprocher plutôt Ion à Athalie. […] Il a conservé l’habitude de la nommer ainsi, même devant sa femme, et dans ses plus intimes épanchements conjugaux. […] Ça ne lui fait plus rien : elle a l’habitude. […] Elle se laisse embrasser par lui, et a pris l’habitude de le recevoir dans sa chambre. […] En nous arrachant du nid de mollesse et de lâches habitudes où nous étions installés, elle nous renouvelle tout entiers.
Il arriva ce jour-là, comme d’habitude, que l’esprit ne fut pas du côté du respect. […] Je conte cela malgré moi, par habitude de dire seulement ce que je pense et ce à quoi je pense. […] L’habitude de voir devant lui, de l’autre côté de la Seine, le palais des Tuileries, lui a inculqué une sorte de familiarité à l’égard des souverains. […] Le prince, selon son habitude, était assis après son dîner, près du poêle, dans le grand salon où se dresse la statue de Rauch : la Victoire distribuant des couronnes. […] Boissy d’Anglas, ami de la famille, nous apprend « qu’elle avait conservé quelque chose des mœurs et des habitudes particulières au pays où elle était née, et qu’elle l’avait transmis à son fils ».
C’est goût naturel, ou habitude d’école une fois prise, ou coquetterie et désir de montrer aux sophistes qu’il est aussi capable qu’eux de sophistique et qu’il est vraiment aussi sophiste qu’eux, ce qui me paraît démontré au-delà du nécessaire. […] Il faut reconnaître pourtant que cette habitude est dangereuse et que l’on peut arriver ainsi assez vite, non seulement à ne pas se préoccuper du juste ou de l’injuste, ce qui était la discipline même des sophistes ; mais à croire qu’ils n’existent pas et à faire pénétrer doucement ou à laisser s’introduire insensiblement cette opinion dans l’esprit de ceux qu’on enseigne ou qu’on entretient. […] Sans doute Platon, soit par habitude, soit par un peu de prudence (ce qui est moins mon avis, car, en somme, il s’est exposé à la loi d’asébeia toute sa vie, et je crois qu’il faut estimer Platon extrêmement courageux), dit : « les Dieux » aussi souvent que « Dieu ». […] Elle est excessivement faible en soi, aussi faible en soi qu’incomparablement brillante par l’expression, et c’est du reste une des habitudes de Platon de n’être jamais plus exquis comme artiste que quand il est médiocre comme philosophe. […] Et il arrivera qu’ils pourront devenir les esclaves de deux classes d’hommes très différentes : et de ceux qui seront assez forts pour résister aux plaisirs et de ceux mêmes qui s’y abandonnent sans fougue et comme à une habitude dépourvue de violent attrait. » — Cette opinion peut étonner et troubler quelque auditeur ; mais elle est digne de considération.
Outre que l’on était fort peu dans l’habitude alors de terminer les romans, — puisque Scarron et Furetière, avant Le Sage, n’avaient pas plus terminé les leurs que ne feront, après lui, Marivaux ou Crébillon fils, — c’était sans doute une assez belle fin pour Santillane que l’intendance d’une grande maison. […] A-t-on jamais mieux fait voir l’espèce de possession que nos habitudes prennent de notre figure ? […] Un désespoir d’amour l’avait jeté dans le cloître, un besoin vague et général d’aimer l’en avait fait sortir : « Qu’on a de peine, a-t-il dit lui-même, à reprendre quelque vigueur quand on s’est fait une habitude de sa faiblesse, et qu’il en coûte à combattre pour la victoire quand on a trouvé longtemps de la douceur à se laisser vaincre ! […] Paris aussi le retenait : ses habitudes autant que ses dettes, et ses relations peut-être plus encore que sa misère. […] Ce n’est pas notre habitude d’insister sur ce genre de détails, et nous aimons plutôt d’ordinaire à les écarter.
L’habitude s’est établie de prendre plutôt le mot de beauté dans un sens assez restreint, celui de beauté de la forme, ou de beauté plastique. […] L’habitude de regarder des dessins nous a d’ailleurs rendu ce travail d’interprétation si facile qu’il s’effectue comme de lui-même. […] On peut préméditer des effets, tenir en réserve les mots de valeur jusqu’au moment où ils produiront l’impression la plus forte, briser les expressions toutes faites, contrarier les habitudes de la langue pour réveiller ses énergies. […] Le lecteur perd l’habitude d’en interpréter aucun à la lettre ; la pensée se trouve ainsi délivrée de l’obligation de prendre une forme définie ; l’idée reste flottante, indécise et libre entre ces mots dont aucun n’a de prise sur elle. […] L’habitude même de composer des vers fait disparaître cette sorte de gêne que l’on a pu éprouver au début, et le sentiment de ce qu’il y a d’artificiel dans cette forme verbale.
Et les Romains, loin de vouloir forcer les habitudes des hommes, semblent avoir préféré les maintenir, et laisser les sociétés suivre dans ce pays leur voie traditionnelle. […] Si cette région de Belgique a été divisée de façon si différente entre Germains et Gaulois, Allemands et Français, mais si elle a toujours été divisée, c’est que cette division, ce partage entre deux langues et deux sortes d’habitudes est fatal et nécessaire, et une loi inévitable de sa situation naturelle. […] Cela est d’une clarté, d’une précision, d’une fermeté prenante et stable qui ne laisse aussitôt aucun doute à la pensée : c’est du meilleur des habitudes françaises. […] … Séjournant en France, contractant les habitudes françaises, fréquentant des hommes de lettres, des artistes français, séduits aussi peu à peu par le charme prenant de nos paysages ou excités par le souffle brûlant de la ville, comment ces écrivains résisteraient-ils au besoin de donner à leurs pensées, à leurs sensations une forme française, de les habiller, pour ainsi dire, à la française, sans toutefois les déformer ni les amoindrir ? […] Des forces mystérieuses et formidables ont beau nous dominer, nous menacer, seuls succombent ceux qui veulent bien s’y abandonner, incapables de puiser dans leur âme la sagesse et l’énergie nécessaires : Si vous vous défiez des tragédies imaginaires, pénétrez dans l’un ou l’autre des grands drames de l’histoire authentique ; vous verrez que la destinée et l’homme y ont les mêmes rapports, les mêmes habitudes, les mêmes impatiences, les mêmes soumissions et les mêmes révoltes.
Je ne sais trop quelle mine j’eus en effet, quand je le rencontrai un jour devant l’Odéon : on ne se voit point soi-même ; mais certainement je ne baissai point la tête : ce n’a jamais été mon habitude. […] CXLIII Le meilleur avantage d’une réputation qui vous répand dans le monde est d’y pouvoir choisir ses amis, ses habitudes, d’y bien voir toutes choses d’une bonne place. […] Il y a des habitudes et des formes que M. de Vigny était plus à même que personne de connaître.
Quelques médecins de la faculté de Paris eurent l’idée de rompre cette routine et d’affranchir le malade de ces habitudes ruineuses.
L’habitude des soins, des égards, des ménagements réciproques est plus facile, plus naturelle : on croirait se manquer à soi-même si l’on était capable de s’en dispenser dans les moments même d’abandon, d’humeur, de refroidissement.
Poncher, était conseiller d’État, et que Saint-Martin, en se pressant, aurait pu hériter de sa place : mais il dit un jour à son père, plus gaiement qu’il ne se le permettait d’habitude : Voici la marche que cela suivra ; j’entrerai d’abord dans la magistrature inférieure, puis je serai conseiller au Parlement, puis maître des requêtes, puis intendant, puis conseiller d’État, puis ministre, puis exilé.
Ce qui manque à l’abbé de Pons comme à La Motte, dans l’émancipation littéraire qu’ils tentent, c’est une connaissance, une comparaison directe et plus variée des littératures et des poésies, l’habitude de se placer à des points de vue historiques différents, la faculté de s’éloigner tant soit peu de leur quai et de leur Louvre, en un mot ce qui fait et achève l’éducation du goût.
Dans la société, dans la haute société surtout, qui a ses habitudes impérieuses et ses exigences, beaucoup de choses se sont envolées des âmes, la sincérité, la candeur, la joie, l’imagination, le sentiment vif de la vérité : Mme de Tracy avait gardé en elle quelque chose de ces trésors.
L’habitude des guerres civiles avait ensauvagé les mœurs, et le désordre envahissait toutes les branches de l’administration.
… Reconnaissons-le de bonne foi, ajoutait-il d’un air de renoncement vraiment comique et avec plus de pesanteur encore que de malice, reconnaissons-le sans honte et sans confusion, sa peinture n’est que médiocre et ne possède guère que des qualités négatives. » Puis, évoquant, selon son habitude, les plus grandes œuvres de la peinture, les toiles les plus diverses consacrées par l’admiration, l’oracle tout bouffi déclarait ne trouver que là sa haute satisfaction et sa joie.
Malgré sa répugnance pour le réel proprement dit et son habitude de tout voir à travers un certain cristal et dans un certain miroir, je le prendrai, pour commencer, dans la réalité et le positif.
Louis Blanc qui, vivant à Londres, se trouvait à la source pour contrôler les rapports français par ceux de la marine anglaise, et qui a pour habitude d’user de tous ses moyens d’information en historien consciencieux, a raconté ce grand combat naval et l’a discuté dans le tome XI de son Histoire de la Révolution française : il a fait justice du récit qui se lit dans le recueil de Victoires et Conquêtes et qui, plein d’emphase sur tout le reste, est empreint d’une malveillance outrageuse à l’égard du délégué de la Convention.
Les habitudes sévères dont M.
On crut qu’en me faisant changer de climat et d’habitudes, mon génie se changerait.
Il semblait être revenu par goût à l’existence du Nord, aux mœurs copieuses, aux habitudes et aux orgies paternelles.
. — Je crois qu’assez généralement aujourd’hui on la regarde comme un ouvrage de la Renaissance, l’expression très-pathétique paraissant s’écarter des habitudes des anciens.
Il est presque évident, au contraire, qu’à part ce que la volonté impose à l’habitude, les heures instinctives où la voix éclate chez Victor Hugo doivent être celles du milieu du jour, du soleil embrasé, du couchant poudreux, ou encore de l’ombre fantastique et profonde.
Si l’on se reporte par la pensée vers l’année 1823, à cette brillante ivresse du parti royaliste, dont les gens d’honneur ne s’étaient pas encore séparés, au triomphe récent de la guerre d’Espagne, au désarmement du carbonarisme à l’intérieur, à l’union décevante des habiles et des éloquents, de M. de Chateaubriand et de M. de Villèle ; si, faisant la part des passions, des fanatismes et des prestiges, oubliant le sang généreux, qui, sept ans trop tôt, coulait déjà des veines populaires ; — si on consent à voir dans cette année, qu’on pourrait à meilleur droit appeler néfaste, le moment éblouissant, pindarique, de la Restauration, comme les dix-huit mois de M. de Martignac en furent le moment tolérable et sensé ; on comprendra alors que des jeunes hommes, la plupart d’éducation distinguée ou d’habitudes choisies, aimant l’art, la poésie, les tableaux flatteurs, la grâce ingénieuse des loisirs, nés royalistes, chrétiens par convenance et vague sentiment, aient cru le temps propice pour se créer un petit monde heureux, abrité et recueilli.
35. « La lecture du Lépreux m’avait touchée, dit Mme Olympe Cottu dans sa préface ; j’en parlai à un ami auquel une longue et douce habitude me porte à confier toutes mes émotions ; je l’engageai à le lire.
Il était sorti un matin selon son habitude ; les derniers jours avaient été ardents ; et il regagnait son avenue voilée, quoique le ciel, ce jour-là, fût plus frais et comme formé d’un dais de petits nuages suspendus.
Joubert est un esprit délicat avec des pointes fréquentes vers le sublime ; car, selon lui, « les esprits délicats sont tous des esprits nés sublimes, qui n’ont pas pu prendre l’essor, parce que, ou des organes trop faibles, ou une santé trop variée, ou de trop molles habitudes, ont retenu leurs élans. » Charmante et consolante explication !
Il n’y a rien non plus dans les mœurs réelles de l’aristocratie féodale, dans ses habitudes extérieures, dans ses façons de penser et d’agir, qui ne soit livré à la dérision.
Il était grand travailleur : très bourgeois d’habitudes et de vie pratique, avec sa haine romantique du bourgeois.Éditions : Charpentier, 11 vol. in-18 (Corresp.
Ces sveltes amazones rencontrées dans les bois, si capricieuses et si énigmatiques ; ces jeunes hommes si beaux, si tristes et si prompts aux actes héroïques ; ces vieilles châtelaines et ces vieux gentilshommes si dignes, si polis et si fiers ; tout ce monde supérieurement distingué de ducs, de comtes et de marquis, cette vie de château et cette haute vie parisienne, ces conversations soignées où tout le monde a de l’esprit ; et, sous la politesse raffinée des manières, sous l’appareil convenu des habitudes mondaines, ces drames de passion folle, ces amours qui brûlent et qui tuent, ces morts romantiques de jeunes femmes inconsolées…, amour, héroïsme, aristocratie, Amadis, Corysandre et quelquefois Didon en plein faubourg Saint-Germain, tout cela me remplissait de l’admiration la plus naïve et la plus fervente, et m’induisait en vagues rêveries, et me donnait un grand désir de pleurer.
Elle en profita ; elle conserva l’habitude de jouer, après la grande pièce, surtout quand celle-ci était une tragédie, un petit acte drolatique où les acteurs pouvaient prendre leurs ébats.
Dans notre maniere d’être actuelle, notre ame goûte trois sortes de plaisirs ; il y en a qu’elle tire du fond de son existence même, d’autres qui résultent de son union avec le corps, d’autres enfin qui sont fondés sur les plis & les préjugés que de certaines institutions, de certains usages, de certaines habitudes lui ont fait prendre.
Les habitudes de la vie pratique affaiblissent l’instinct de curiosité pure ; mais c’est une consolation pour l’amant de la science de songer que rien ne pourra le détruire, que le monument auquel il a ajouté une pierre est éternel, qu’il a sa garantie, comme la morale, dans les instincts mêmes de la nature humaine.
Les habitudes de la société française, si sévères pour toute originalité, sont à ce point de vue tout à fait regrettables. « Ce qui fait l’existence individuelle, dit Mme de Staël, étant toujours une singularité quelconque, cette singularité prête à la plaisanterie : aussi l’homme qui la craint avant tout cherche-t-il, autant que possible, à faire disparaître en lui ce qui pourrait le signaler de quelque manière, soit en bien, soit en mal. » Les natures vraiment belles et riches ne sont pas celles où des éléments opposés se neutralisent et s’anéantissent ; ce sont celles où les extrêmes se réunissent, non pas simultanément, mais successivement, et selon la face des choses qu’il s’agit d’esquisser.
Que de vertus, Messieurs, ont passé devant vous, et que serait-ce si nous avions à parler des vertus qu’on ne récompense pas, de ces héroïsmes de tous les jours, qui se traduisent non par un acte, mais par une habitude constante de dévouement : l’héroïsme calme et scientifique du médecin, l’héroïsme maternel de la sœur de charité, l’héroïsme voulu du soldat !
A certains jours on s’amuse à esquisser des « caractères », des « portraits », à condenser en maximes piquantes l’expérience acquise dans mille escarmouches où la finesse est une qualité obligatoire ; et qui pourra croire qu’un La Rochefoucauld, un La Bruyère, un Marivaux n’ont rien dû à cette habitude d’observer et de disséquer les âmes ?
Il n’en perdit jamais tout à fait l’habitude et le tour.
Sortons un peu des habitudes françaises pour nous faire une idée juste de Goethe.
L’abbé, redevenu napolitain, recommence, pour n’en pas perdre l’habitude, à se moquer des sots, des pédants littéraires du lieu, et, sous le titre du Socrate imaginaire, il bâtit une pièce, un opéra bouffon dont un autre fait les vers, et dont l’illustre Paisiello compose la musique ; la pièce fit fureur, et on crut devoir l’interdire.
Il est utile autant que juste que les citoyens ne perdent pas l’habitude de témoigner, en présence de l’Assemblée, l’impression de joie ou d’inquiétude qu’ils reçoivent de ses lois ; et le peuple pourra dire qu’il a perdu sa liberté quand il ne jouira plus de cet avantage.
Deux jours après (4 juillet), lors du massacre de l’Hôtel de ville, par lequel le prince de Condé paya si tristement sa bienvenue aux Parisiens, et que Gaston, selon son habitude, favorisa au moins par son inaction, Mademoiselle s’offrit à aller sauver ceux qu’on massacrait et à mettre le holà parmi le peuple.
Lebrun, l’auteur de Marie Stuart, et notre confrère à l’Académie, n’est pas né à Provins, mais il en est depuis de longues années par les habitudes et par les liens de famille.
Ce que j’en veux seulement conclure, c’est que cette nature impétueuse et improvisatrice s’était gâtée alors en abondant sans mesure dans son propre sens, et qu’elle ne perdait en aucun sujet cette habitude de parler à tout propos et quand même, de prendre les choses grosso modo et de s’en tenir aux à-peu-près, sauf à revêtir le tout d’une draperie oratoire ; et il n’y avait plus même ombre de draperie quand il causait familièrement.
Cette veine de sensualité ne va pas pour lors plus loin qu’il ne faut chez cette nature honnête ; mais j’y relève surtout l’habitude de voir les choses un peu autrement qu’elles ne sont, de les peindre avec un certain coloris bienveillant et amolli qui n’est pas leur juste couleur ; j’y note, en un mot, cette disposition de l’auteur à marmontéliser la nature.
Ce que je relève, ce n’est pas telle ou telle de ces notes, c’est l’habitude et l’intention qu’elles témoignent dès l’origine, de se tenir à la disposition du premier écrivain mécontent, qui demandera raison d’être ainsi châtié et blessé d’une façon si directe.
Disons toute notre pensée : si Bernardin n’avait sollicité de la sorte qu’en ces années dont nous parlons, quand il en avait si absolument besoin, quand il était comme un père ou comme une mère voulant produire le fruit ignoré de son génie, l’enfant de ses entrailles, s’il n’avait pas conservé ces habitudes de plainte et de sollicitation jusque dans des temps plus heureux et fait alterner perpétuellement l’idylle et le livre de comptes, ce serait simplement touchant, ce serait respectable et sacré.
Le trait distinctif du colon français qui, jusque sur les confins du désert, sent le besoin de voisiner et de causer, y est vivement saisi : « En plusieurs endroits, ayant demandé à quelle distance était le colon le plus écarté : Il est dans le désert, me répondait-on, avec les ours, à une lieue de toute habitation, sans avoir personne avec qui causer. » Il y a aussi dans les Éclaircissements un chapitre curieux sur les sauvages ; en nous décrivant leurs mœurs et leurs habitudes, Volney ne perd pas l’occasion de revenir à la charge contre Rousseau et contre son paradoxe de parti pris en faveur de la vie de nature ; il donne la preuve de ce parti pris par des anecdotes qu’il savait d’original, et notamment par celle de la fameuse conversation de Jean-Jacques avec Diderot à Vincennes : « Et cet homme aujourd’hui, ajoute-t-il, trouve des sectateurs tellement voisins du fanatisme, qu’ils enverraient volontiers à Vincennes ceux qui n’admirent pas Les Confessions !
— B…, toujours traité en enfant gâté, dont la volonté et les caprices sont des ordres, ne quittait guère le foyer paternel, où il prenait des habitudes d’oisiveté et de paresse. — N’ayant eu pour le soutenir ni l’affection, ni les conseils de sa mère ; mal surveillé, mal dirigé par un père trop faible qui, toujours en admiration devant son fils, lui passait tous ses caprices, excusait toutes ses fantaisies, à dix-huit ans B… était sceptique et frondeur, ne croyant ni à Dieu ni à diable. — Il était homme à ne reculer devant rien, à n’être arrêté par aucun scrupule. — Aveuglé par son amour paternel, C… ne suivit pas les progrès incessants du mal, cette gangrène morale qui s’empare du cerveau d’abord pour descendre ensuite au cœur. — Il faut que jeunesse se passe. » Voilà le genre.
Mais il s’y mêle, d’habitude beaucoup d’autres plaisirs d’un caractère plus sensitif : en effet, l’image intérieure fournie par le souvenir se trouve ravivée au contact de l’image extérieure, et devant toute œuvre de l’art nous revivons une portion de notre vie.
Et cette antithèse, d’où sort l’antiphrase, se retrouve dans toutes les habitudes de l’homme ; elle est dans la fable, elle est dans l’histoire, elle est dans la philosophie, elle est dans le langage.
La critique souvent n’est pas une science, c’est un métier, où il faut plus de santé que d’esprit, plus de travail que de capacité, plus d’habitude que de génie ; si elle vient d’un homme qui ait moins de discernement que de lecture, et qu’elle s’exerce sur de certains chapitres, elle corrompt et les lecteurs et l’écrivain.
Depuis dix ans, les quotidiens ont pris l’habitude d’accepter, contre argent, l’insertion d’articles de complaisance en faveur des livres nouveaux.
Plusieurs observent, en prononçant, les breves & les longues, mais sans trop savoir pourquoi, n’étant guidés que par l’habitude.
L’habitude et l’usage d’écrire en vers produit souvent dans la prose cette empreinte d’affectation et de travail que l’orateur doit avoir tant de soin d’éviter.
Ainsi, lors même que l’écriture fut introduite, on demeura encore longtemps avec les habitudes de la langue ouïe.
On voudrait quelle répondit aussi complètement que possible aux habitudes de sévérité pour ses propres ouvrages par lesquelles l’auteur s’était attiré le respect ; et d’autre part ce respect même leur interdit de toucher ou de laisser toucher, si légèrement que ce soit, au travail qu’il a laissé. […] À ce titre, il est intéressant même pour le philosophe ; Wagner l’a compris à sa façon, et, s’en emparant, lui a donné, selon son habitude, une signification et une portée nouvelles. […] On n’en a cependant pas signalé d’imitation ancienne dans les langues étrangères, qui adoptaient si volontiers ce qui avait été composé en français, et en France même on a reproduit d’habitude le récit du Barlaam ou celui de Pierre Alphonse, qui ne mêlaient pas à la piquante morale du conte les éléments étrangers ajoutés par notre lai. […] Vénus finit par donner congé à Tannhäuser et lui recommande de la célébrer ; la chanson ne donne pas de suite à cette indication, dont Wagner s’est inspiré pour la scène de la Wartburg. — Elle lui dit aussi : « Prends congé des vieillards », désignant sans doute les plus anciens des habitants de la montagne, auxquels, dans les habitudes courtoises du Moyen Âge, il devait demander congé avant de partir. […] « Ici avaient l’habitude de m’écouter. » 249.
Il aura pris cette habitude en 1789. […] L’œuvre de Wagner, mal comprise, ses goûts, ses habitudes interprétées de travers, ont encouragé ces bizarreries auxquelles nous devons quelque peu de désarroi dans une partie de notre littérature. […] Les habitudes d’ordre s’introduisent ; les prodigalités insensées des souverains ont cessé ; la suppression de l’esclavage, réforme immense qui n’a pu s’effectuer en d’autres pays sans troubles et sang versé, s’accomplit silencieusement et insensiblement, comme si elle était le résultat de la force des choses. […] Toutes ces pages fourmillent de notes curieuses, presque des cancans, non seulement sur la cour du temps de Catherine, mais aussi sur celle de notre époque ; témoin ce curieux passage : Catherine avait pris de bonne heure et conserva toute sa vie l’habitude de porter, en public, la tête très haute. […] Je vous recommande, sur toutes choses, la pratique et exercice de la religion, de faire vos prières et vos lectures de piété avec recueillement, d’entendre la messe tous les jours, si vos occupations vous le permettent, et de suivre en tout les bonnes habitudes que vous avec contracté au collège sur cet article essentiel.
Il n’y a rien d’inutile dans les profondes habitudes humaines ; tout ce qui a duré est donc nécessaire. […] Née d’une imperfection du système nerveux, l’idée de beauté s’est agrégée en chemin toutes sortes de règles, de préjugés, de croyances, d’habitudes, et il s’est formé un canon dont la forme, sans être absolue, n’oscille à un moment donné qu’entre certaines limites. […] Ils transportent dans la partie saine du peuple, et cela avec une certaine bonne foi, leurs habitudes maladives de ne recevoir les sensations que par reflet, de regarder dans une glace la vie qu’ils n’osent affronter. […] Il y a une physiologie extérieure qui disparaît dans l’habitude ; analysée, elle révèle les actes volontaires les plus importants de la vie. […] Brochard, la vertu est l’habitude d’obéir à une loi nettement définie et d’origine suprasensible.
Il lui faudrait faire un effort d’intelligence, qui le dérangerait dans ses habitudes de paresse d’esprit. […] On devait lutter contre la tradition, contre les habitudes du public, le goût et l’inertie des comédiens, surtout la coquetterie des comédiennes. […] Peut-être même sont-ils obligés, jusqu’à un certain point, de rester dans la routine pour ne pas bouleverser d’un coup des habitudes séculaires. […] Le jugement du spectateur est perverti par une habitude séculaire. […] Il est très possible qu’on ait gâté madame Sarah Bernhardt comme tant d’autres, en lui donnant l’habitude de voir le monde tourner autour d’elle.
Les éditeurs d’autrefois n’avaient guère l’habitude de rendre des comptes. […] Seulement, depuis Rousseau, nous avons pris l’habitude de nous figurer la morale comme inséparable de la déclamation. […] Naturellement, selon son habitude, Voltaire n’use pas de grands mots et donne à sa pensée un tour ironique. […] S’il écrivait bien, c’était par habitude, sans presque y songer. […] L’habitude est la plus forte !
Châtelaine dans le Derry, cette grand’mère est aristocrate par condition, par instinct, par nature ; sa mère, fille d’un marchand d’oiseaux, est plébéienne et parisienne de sentiments, d’idées, d’habitudes, de manières, trop parisienne en vérité, et elle a des précédents qu’elle ne cache pas, même à sa fille. […] Le demi-monde perce avec ses crudités hardies, ses vilenies dorées sur tranche, le laisser aller de ses habitudes, la facilité de ses mœurs, l’imprévu de ses liaisons, sous ce plaqué du grand monde qui ne tient pas. […] Il consulte le vieux notaire, et ce tabellion positif, qui n’a pas cependant l’habitude de prendre les choses au point de vue romantique, est d’avis que le serment d’ivrogne d’un amoureux dépité oblige aussi étroitement qu’un contrat notarié. […] Il y a dans ce portrait des coups de pinceau dignes du maître ; la peinture de l’intérieur du palais épiscopal — humble et modeste palais et où monseigneur Myriel réside avec sa sœur mademoiselle Baptistine, une de ces pieuses femmes que le jeûne, l’oraison, l’habitude de la vie spirituelle ont rendues pour ainsi dire diaphanes, de sorte que l’on voit rayonner son âme à travers son corps, — est digne de la meilleure époque du grand artiste. […] Les bonnes influences sont trop récentes pour résister aux vieilles habitudes du crime.
Elle est l’amie décente de M. de Nivernois… Il faut ici la plus grande curiosité ou la plus grande habitude pour découvrir quelque liaison entre les personnes des deux sexes. […] Je vais donc te voir, joyeux et bien portant ; je t’entendrai raconter, comme c’est ton habitude, l’Hibérie, son histoire, ses différentes contrées, les peuples qui l’habitent, et, appuyant mon cou sur ton épaule, je baiserai longuement ta joue et tes yeux. » Mais c’est surtout comme amoureux que Catulle est intéressant. […] Anatole France est plus maître de sa forme ; poète aussi de l’école du pittoresque, il plaît par quelque chose d’ému qui n’est pas dans les habitudes ni dans les principes de cette école. […] Vinot est un poète vraiment nouveau et qu’il a ravi la critique) une largeur de souffle, une sincérité d’inspiration, je ne sais quelle ardeur et quelle ampleur, dont la poésie avait depuis longtemps perdu l’habitude. […] Il y faut ce que nos pères appelaient tout bonnement du génie, mot qu’il n’est plus possible d’employer couramment aujourd’hui et qu’on remplace par des équivalents moins justes, par des périphrases peu commodes, parce qu’on a pris à tort l’habitude d’y attacher une signification transcendante.
On devine un homme qu’un continuel repliement sur soi, l’habitude envahissante et incurable de la recherche et de l’analyse à outrance (et dans les choses qui nous touchent le plus et où la conscience prend le plus d’intérêt) a fait singulièrement doux, indulgent et résigné, mais triste à jamais, impropre à l’action extérieure par l’excès du travail cérébral, inhabile au repos par le développement douloureux de la sensibilité, défiant de la vie pour l’avoir trop méditée. […] Une partie des Épreuves y était déjà un acheminement, et nous avions rencontré dans la Vie intérieure de merveilleuses définitions de l’Habitude, de l’Imagination et de la Mémoire. […] Ainsi entendu, l’hellénisme est un beau rêve et qui peut même servir de support à la vie morale et de secours dans les heures mauvaises par les habitudes de sérénité et de fierté qu’il engendre chez ses élus. […] A vrai dire je crois qu’il y a souvent dans cette tendresse spéciale pour Bossuet (après le premier mouvement de sympathie qu’il faut bien admettre) un peu de gageure, d’application et d’habitude. […] Et, d’autre part, l’unité de la doctrine, l’habitude de tout juger (même quand on ne le dit pas) d’après les mêmes principes ou d’après les mêmes exemplaires de perfection, donne à la critique quelque chose de majestueux, de solide et de rassurant.
C’est à la grammaire particuliere de chaque langue, à faire connoître les terminaisons que le bon usage donne aux adjectifs, relativement aux genres des noms leurs corrélatifs ; & c’est de l’habitude constante de parler une langue qu’il faut attendre la connoissance sûre des genres auxquels elle rapporte les noms mêmes. […] Il paroît donc qu’attribuer l’introduction de la lettre h dans l’alphabet à la prétendue indolence des copistes, c’est une conjecture hasardée en faveur d’une opinion à laquelle on tient par habitude, ou contre un sentiment dont on n’avoit pas approfondi les preuves, mais dont le fondement se trouve chez les Grecs mêmes à qui l’on prête assez légerement des vûes tout opposées. […] Personne apparemment ne disputera à Quintilien d’avoir été plus à portée qu’aucun des modernes, de distinguer les locutions figurées d’avec les simples dans sa langue naturelle ; & quand le jugement qu’il en porte, n’auroit eu pour fondement que le sentiment exquis que donne l’habitude à un esprit éclairé & juste, sans aucune réflexion immédiate sur la nature même de la figure, son autorité seroit ici une raison, & peut-être la meilleure espece de raison sur l’usage d’une langue, que nous ne devons plus connoître que par le témoignage de ceux qui la parloient. […] Dans les premieres années de notre enfance, nous lions certaines idées à certaines impressions ; l’habitude confirme cette liaison.
Le docteur vient, suivant son habitude de tous les soirs, jouer une partie de dames avec la baronne : il perd et s’impatiente ; on demande la baronne de la part du curé ; elle sort et laisse le docteur seul, nouveau sujet de mauvaise humeur ; il s’avise d’être jaloux de ce curé, qui est lui-même septuagénaire. […] Ajoutons qu’excepté l’actrice chargée du rôle de Méganyre, tous les autres personnages étaient représentés par des artistes médiocres, dont quelques-uns même, grâce à des habitudes de mélodrame, réunissaient tous les défauts les plus contraires à l’interprétation de cette pure et noble poésie. […] l’homme qu’on a nommé dans tout ceci et qu’il eût été de meilleur goût d’épargner, est un de ceux qui ont le mieux saisi ce type de bourgeois dévot par intérêt ou par peur, sceptique par sottise ou par habitude, ayant un Eucologe sous le bras et un Voltaire dans sa poche. […] Règles, liens, obéissance, gouvernement des âmes, sainte régularité des pratiques et des habitudes, tout ce qui répare et tout ce qui fonde, tout cela se fortifie et se resserre sous ses mains puissantes à sa voix, le vrai mot d’ordre de la foi circule de bouche en bouche, et multiplie sur ses traces les soldats de l’orthodoxie.
Il est certain également qu’en plus d’une rencontre nous ne saurions nous empêcher de donner raison aux jésuites, et que nous ne pouvons accepter ni ce qu’il dit du duel dans les Treizième et Septième Provinciales, ni l’étrange confusion qu’il fait encore dans la Quatrième entre « le péché d’ignorance » et le péché d’habitude. […] Les « libertins » du xviie siècle ont donc parfaitement compris que si Descartes était chrétien, c’était, comme eux, du fait de sa naissance et de son éducation, par tradition et par habitude ; et d’autres aussi, comme nous l’allons voir, l’ont compris comme eux et mieux qu’eux. […] Depuis que Pascal a démasqué la politique des jésuites, les confesseurs, directeurs, prédicateurs ont compris qu’il leur fallait eux-mêmes rompre avec l’habitude qu’ils semblaient avoir prise, selon la forte expression de Bossuet, « de porter les coussins sous les coudes des pêcheurs ». […] Mais cela veut dire que l’on a compris combien il importait de ne pas adoucir les rigueurs de la règle qui condamnait ces exemples eux-mêmes, et qu’en les donnant, il fallait que l’habitude ne se perdît pas de les nommer de leur nom. […] Ou n’en douterait pas, si l’habitude ne s’était accréditée parmi nous de ne considérer dans Tartufe que Tartufe lui-même ; et, quand on n’y considère que Tartufe, on n’a pas de peine à démontrer qu’effectivement il est… Tartufe.
Il serait exquis de se figurer le premier printemps de la terre, si Adam n’avait pas été, sans doute, d’une mentalité trop rudimentaire pour en goûter la grâce fragile… L’habitude et l’utilité nous empêchent de voir les choses avec l’étonnement émerveillé qu’elles méritent ; elles ont bientôt cessé de nous émouvoir, et dès lors notre existence ici-bas, dans le monde vainement délicat et varié, n’a plus ni agrément, ni signification. […] Cette opinion s’est faite au cours des âges ; les générations successives ont pris une telle habitude du Cosmos qu’il a fini de les enchanter. […] Et, pour cela, il faut avant tout qu’il dérange le public de ses habitudes invétérées, il faut qu’il le trouble et qu’il le déconcerte. […] Il est vrai que parfois encore, dans leurs premiers poèmes, Vielé-Griffin et Henri de Régnier choquent plus audacieusement les habitudes parnassiennes en comptant un e muet comme la sixième syllabe de leurs vers : ils réagissent ainsi contre la séparation traditionnelle des deux hémistiches égaux de l’alexandrin. […] En effet, l’enjambement n’est pas seulement contraire à l’habitude classique, mais il est en contradiction avec la théorie de la rime qui est l’essentiel de la métrique classico-parnassienne ; car, si la rime ne coïncide pas avec un arrêt dans le sens de la phrase, ou bien elle passe inaperçue, ou bien, trop aperçue, elle rompt mal à propos la continuité de la phrase.
Je leur ai écrit ; mais il me semble que je ne leur ai pas dit assez avec quelle sensibilité je suis touché de leurs bontés, et combien je suis orgueilleux d’avoir pour mes protecteurs les deux plus vertueux hommes du royaume. »— La Correspondance de Mme du Deffand78 nous donne également à connaître le chevalier par le dehors et tel qu’il était aux yeux du monde et dans l’habitude de l’amitié. […] Ces habitudes subsistèrent à Mayac jusqu‘en 1790.
Par son expérience, son habitude du commandement, sa haute renommée, il était, après le général Bonaparte, le seul homme capable alors de commander à cent mille hommes. » On pressent ici le jugement sévère que M. […] Son nom était si populaire alors qu’il en usurpa peu à peu toute la gloire, et que la France la lui concéda par habitude ; mais l’histoire vraie ne la lui concédera pas si exclusivement.
La nature et l’étude l’avaient façonné pour ces luttes ; l’habitude de plaider des questions judiciaires devant les tribunaux inférieurs l’avait exercé. […] Les privations, mieux que les jouissances, m’ont fait comprendre ce que donnent de plaisir les amitiés, les habitudes de société, les rapports de voisinage et de clientèle, les pompes de nos jeux et la magnificence de nos fêtes.
Suivant les caractères, l’habitude de trembler relâche les fibres, engendre la crainte ; et la crainte oblige à toujours céder. […] Si l’habitude du monde permettait à M. de Chessel de distinguer ces nuances, un jeune homme sans expérience croit si fermement à l’union de la parole et de la pensée chez une belle femme, que je fus bien étonné quand, en revenant le soir, mon hôte me dit : — Je suis resté, parce que vous en mouriez d’envie ; mais si vous ne raccommodez pas les choses, je suis brouillé peut-être avec mes voisins.
Si, pour les neuf dixièmes des « fidèles », la foi n’était chose d’habitude et de convenance, sans nulle action sur la vie morale, il devrait pourtant leur sembler naturel que, dans une histoire de passion combattue, la prière, le chapelet, la messe, la confession même tinssent une place notable. […] Et est-ce qu’il n’y a pas eu d’autres moments encore, des moments d’angoisse mortelle et d’universel dégoût, où vous admettiez presque que l’on pût totalement désespérer et où vous n’étiez retenu dans votre foi que par une habitude d’âme ?
Les sublimes, un grand nombre du moins, ont déteint sur leur femme : il y en a parmi elles qui boivent bien, c’est une habitude que leur homme leur a fait prendre ; si elles attrapent un poche-œil : « Oh ! […] Alors son dévergondage avait tourné à l’habitude.
La nourriture d’étude était forte, antique, et tenait des habitudes du xvie siècle, mieux conservées en Savoie que partout ailleurs. […] Le bonheur politique, comme le bonheur domestique, n’est pas dans le bruit ; il est le fils de la paix, de la tranquillité, des mœurs, du respect pour les anciennes maximes du gouvernement, et de ces coutumes vénérables qui tournent les lois en habitudes et l’obéissance en instinct. » Et l’auteur montre que tel a été le caractère constant et le régime de la maison de Savoie, en qui il loue surtout le talent de gouverner sans jamais se brouiller avec l’opinion. […] il est un degré de récidive et d’habitude où l’on endosse très-justement (pour parler comme de Maistre) les délits du voisin, et où l’on paye pour les autres : Escobar ni l’Inquisition ne s’en relèveront.
Ensuite l’habitude de ne la toucher qu’à de rares intervalles, un jansénisme poétique qui repousse comme un sacrilège la fréquente communion. […] Et pourtant nous savons que les mouvements de la main, du cœur et du cerveau appartiennent à un même courant dynamique, que la clarté relative des premiers est en fonction de l’utilité qu’il y a pour nous à les connaître, de l’habitude où nous sommes de les voir fonctionner et servir dans notre vie de relation. […] La réflexion métaphysique de Valéry avait été vite conduite à une impasse, à un jeu de glaces incertaines, parce que l’habitude de la technique métaphysique lui manquait.
Le premier mouvement des uns et des autres était de venir me faire un compliment de condoléance, tout à coup interrompu par la vue inattendue de mon frère, qui, selon son habitude, marchait dans mon rêve, derrière moi… Et j’étais dans un doute déchirant, entre la certitude de sa vie, affirmée par sa présence à côté de moi, et la certitude de sa mort, que me rappelait, dans le moment, le souvenir très net de lettres de faire part de son décès, encore étalées sur le billard. […] Par moments, au rire méphistophélique par lequel il a l’habitude d’annoncer les plus rares désastres, on se demande quel diable d’homme c’est, tant il parle de ces choses avec une indifférence sceptique, gouailleuse. […] Pour moi, c’est l’exploitation visible de l’honnêteté sentimentale du public, et j’ajoute que parmi les gens littéraires auxquels j’ai été mêlé dans la vie, je ne connais qu’un homme tout à fait pur, dans le sens le plus élevé du mot, c’est Flaubert, — qui, on le sait, a l’habitude d’écrire des livres prétendus immoraux. […] Moi je lui jette : « Tout très grand écrivain de tous les temps ne se reconnaît absolument qu’à cela, c’est qu’il a une langue personnelle, une langue dont chaque page, chaque ligne est signée, pour le lecteur lettré, comme si son nom était au bas de cette page, de cette ligne, et avec votre théorie vous condamnez le xixe siècle, et les siècles qui vont suivre, à n’avoir plus de grands écrivains. » Renan se dérobe, ainsi qu’il en a l’habitude dans les discussions, se rejette sur l’éloge de l’Université, qui a refait le style, qui, selon son expression, a opéré le castoiement de la langue, gâtée par la Restauration, déclarant que Chateaubriand écrit mal.
La plupart des hommes sont si mal fixés sur ce que les anciens grammairiens appelaient la propriété des termes que certains seront surpris de voir opposer deux mots que leur ignorance a l’habitude confondre. […] Il faut être différent des autres êtres ; par l’âme, comme on est différent par les apparences corporelles, « craindre que l’habitude, la routine, ne dominent notre conduite, prolongeant en nous l’envahissement d’une vitalité étrangère ». […] Inconsciemment soumis à l’habitude et au pouvoir des mots, nous ne sommes point hors de servitude. » Nous devrons nous défier encore de nos instincts, même s’ils nous « poussent vaguement à faire œuvre de bien, de bonté et de justice » ; l’instinct n’est pas la conscience ; c’est à la conscience et non à l’instinct que nous devons obéir. […] Mais l’habitude constante de l’auteur de Tête d’or est de puiser dans le souvenir de ses yeux ; il a une puissante mémoire visuelle ; il voit les pensées écrites dans les gestes de la nature : « Les hommes, comme des feuilles dans le magnifique Mai, se donnaient des baisers tranquilles » ; et ceci, d’une femme pleurant sur un cadavre : Voyez comme elle se penche, pareille au tournesol défleuri, Qui tourne tout entier son visage de graines vers la terre.
Mais au lieu de parler, il me regardait avec ses yeux si cernés et son front encore plus pâle que d’habitude… — Il faut m’en aller, n’est-ce pas, ne plus venir ici ? […] … Ça me dérangerait horriblement dans mes habitudes et puis, blague à part, je l’aime bien et vous aussi. […] J’attends Mlle de V…, mes gamins ne sont pas venus et voilà une superbe journée à l’eau malgré le soleil, et pour faire comme autrefois je reprends une vieille habitude—esque-vous aimez Trouville. […] Les plus en vue, les plus forts vous déclarent sérieusement que leurs habitudes, leur éducation leur défendent de se trouver avec des gens qui ne se lavent pas les mains.
N’ayant pas encore l’habitude du miroir, je n’avais aucune idée de ce que pouvait être ma figure, et je regardais cet enfant, pendu au mur, avec plus de surprise que d’intérêt. […] C’était une habitude que j’avais prise tout à coup, et dont je fatiguais avec insistance les auditeurs forcés. […] Selon mon habitude je ne criais pas, je ne souffrais d’ailleurs nullement, je riais même, devant la drôle de grimace que faisait la petite figure pâlotte de ma sœur, prête de pleurer. […] Je ne perdais pas tout de suite l’habitude de la contrainte, du silence, des longues heures d’immobilité. […] Elle a pris la mauvaise habitude de priser et j’ai déjà reçu du tabac dans les yeux, ça fait trop mal.
Des industries de luxe, des habitudes insolites s’enracinent partout. […] À ce propos, si une vérité semble désormais acquise et fixe, c’est que les peuples latins, en se perpétuant tels qu’ils sont actuellement, c’est à dire en conservant leurs principes, leurs manières de sentir, leurs habitudes et leurs consciences, ne parviendront à rien d’assuré, quelques voies qu’ils prennent pour regagner le terrain perdu, et que tout moyen qui consisterait à opérer sur une partie seulement de leur organisme ne serait ni plus ni moins efficace que les précédents essais. […] Si, chaque année, on envoyait dans les pays de forte civilisation ou simplement de remarquable santé physique et mentale — par exemple aux Etats-Unis, en Norvège, en Hollande, en Australasie, en Prusse, en Suisse — quelques milliers d’enfants français, espagnols ou italiens, de dix ans à dix-huit ans, qui vivraient là séparément, chacun à un nouveau foyer, mêlés à une société différant profondément de la leur, pense-t-on que, revenus au pays natal, ces adolescents tout imprégnés d’habitudes et de sentiments nouveaux, nourris d’un air plus pur et plus fortifiant, n’auraient pas sur leurs compatriotes et sur le milieu une influence décisive, qu’ils ne seraient pas comme des ferments de santé, d’énergie et d’intelligence ? […] Jamais, à l’effet d’extirper une chose aussi solide, massive et ancienne — qui est peut-être la chose la plus forte, la seule chose vraiment forte dans les pays latins, parce que c’est celle qui a la base la plus profonde — enracinée dans vingt siècles d’histoire, formidablement ancrée dans le sol, dans les consciences, dans les faits, dans les pensées et les habitudes, un plan vraiment efficace ne fut conçu. […] Etant donné qu’il en est des nations malades comme de ces névropathes qui repoussent obstinément tout ce qui pourrait amener leur guérison et perpétuent les habitudes qui alimentent leur maladie, il est presque vain d’espérer qu’un peuple accepte d’être ainsi sauvé malgré lui.
Je suis vieux, et je m’avoue, non sans amertume et sans regret, qu’on a des liaisons d’habitude dans l’âge avancé ; mais qu’il ne reste en nous, à côté de nous, que le vain simulacre de l’amitié249. […] C’est que nous sommes d’anciens locataires que l’habitude a familiarisés avec les incommodités de notre domicile : c’est une ridicule terreur d’être pis qui nous empêche de déloger. […] Les mauvaises habitudes se déracinent-elles facilement ? […] Rien de plus difficile que de se défaire de l’habitude de commander, si ce n’est de celle d’obéir : l’esclave a perdu son âme quand il a perdu son maître ; comme le chien égaré dans les rues, il crie jusqu’à ce qu’il ait retrouvé la maison où il est nourri d’eau et de pain, et assommé de coups de bâton. […] Je ne parle pas de la débauche, mais de ce caractère féroce qu’ils tenaient apparemment de l’habitude des combats du Cirque.
Mais au contraire, s’ils élevaient un peu au-dessus de leurs habitudes ou de leurs préjugés d’érudits, s’ils savaient voir les choses à leur vraie place et dans leur vrai jour, surtout s’ils avaient le courage de sacrifier un peu de l’importance factice qu’ils attachent à leurs travaux, ils parleraient d’une autre sorte. […] Certes, selon son habitude, il était allé trop loin dans l’invective ; et je montrerai tout à l’heure qu’en un certain sens Port-Royal ne fut vraiment ni si coupable ni si blâmable. […] Molinier qui est en cause ici ; ce n’est pas même seulement son édition des Pensées ; ce sont certaines doctrines contemporaines et certaines habitudes fâcheuses qui se sont de notre temps introduites dans la critique. […] Si l’habitude s’accréditait de raisonner de la sorte et de chercher ainsi les plus petites causes aux plus grands effets, on en arriverait à prétendre que la liberté du drame de Shakespeare procède uniquement de l’indulgence du public de son temps. […] Auprès de Frédéric il se perfectionna dans l’art de mentir sans scrupule, de plaisanter avec cynisme, dans cet art difficile, mais grossier, de prolonger, de soutenir le sarcasme, et dans cette habitude honteuse de n’adorer que le succès, de ne respecter que la victoire, de ne redouter que la force.
Remarquez en passant les consonances et rimes en é ; on dirait des restes de vers épiques, semés par habitude dans cette prose. — Froissart énumère le plus de noms qu’il peut dans les combattants : « Car croyez fermement que toute fleur de chevalerie y étoit de part et d’autre. » Il s’arrête pourtant de guerre lasse après un essai de dénombrement : « On ne peut de tous parler, faire mention ni dire : Celui-ci fit bien, et celui-ci fit mieux ; car trop y faudroit de paroles. » Une part spéciale est faite pourtant, et elle est bien due, à ce Jacques d’Audelée, qui reparaît de temps à autre comme le Bayard de la bataille.
En vieillissant, il était, il est vrai, fort las du monde, ou du moins il le disait volontiers, mais il y revenait sans cesse : « On méprise le monde, et on ne saurait s’en passer. » Il reconnaissait que, pour un homme qui en a pris le train et l’habitude, c’était encore la meilleure manière d’être que de ne pas s’en séparer trop longtemps.
Il est tel homme de lettres des plus célèbres en ce temps-ci, tel éloquent écrivain et historien qui bien souvent pourtant a heurté mon goût, froissé mes habitudes, et que j’ai été tenté mainte fois de reprendre assez vivement.
Chargé sur ces entrefaites de recevoir à l’Académie Mirabaud, le traducteur du Tasse, et secrétaire du duc d’Orléans, il fit selon ses habitudes et mêla à son compliment une note de cette douce faconde dont on le raillait.
Villemain, qui a tout son talent en écrivant et tout son esprit en causant, a l’habitude de comparer ces tableaux de Tocqueville où il est tant question des mœurs et jamais des personnes, jamais des individus, où tout portrait est absent, à ces tableaux que les musulmans se permettent, dit-on, par un certain compromis avec la défense de leur loi : on y voit des choses représentées, des mousquets qui partent, des canons qui tirent, tout l’appareil d’un combat, et pas une figure.
Les lettres qu’il recommence à écrire nous le peignent au naturel dans l’abattement profond auquel il cédait d’habitude, et d’où il ne sortait que par élans, par les prévisions ardemment lugubres de ses pensées : « Si je n’écoutais que mon goût, écrivait-il de Londres (5 août 4815), il me conduirait dans nos bois recto itinere.
Les serments vont toujours leur train ; ce sont toujours les mêmes mots, mais ils sont morts ; l’âme y manque : je vous aime n’est plus là qu’une expression d’habitude, un protocole obligé, le j’ai l’honneur d’être de toute lettre d’amour.
ils sont inviolables pour tous : nul n’y viendra relancer votre rêverie, pas plus qu’en ces autres bosquets qui en sont l’image, bosquets tout voisins de votre Passy, et où vous vous enfoncez au milieu du jour, à l’abri même des amis, fuyant, selon la saison, ou cherchant le soleil, cherchant surtout l’entretien de la conscience et l’habitude de la Muse !
Sue, si l’on prend l’ensemble de ses œuvres et si l’on se représente bien la famille de romans dont il s’agit, se trouve en combiner en lui l’esprit, la mode, la fashion, l’habitude, avec distinction, je l’ai dit, avec sang-froid, avec fertilité, avec une certaine convenance.
J’ai peine à me figurer, je l’avoue, l’édition d’aujourd’hui, si excellente philologiquement, si bien telle que nous la réclamons, avec ses phrases saccadées, interrompues, et ce jet de la pensée à tout moment brisé, j’ai peine à me la figurer naissant en janvier 1670, en cette époque régulière, respectueuse, et qui n’avait pas pour habitude de saisir et d’admirer ainsi ses grands hommes dans leur déshabillé, ses grands écrivains jusque dans leurs ratures.
. — « Je ne puis marcher sous cette armure », dit-il, « car je n’en ai pas l’habitude. » Il dépouille ces armes ; il ne prend que son bâton de berger, sa fronde et cinq pierres polies et aiguës dans le lit du torrent.
En effet, mon cher Laurent, quoique vous ayez donné des preuves d’un mérite et d’une vertu qui semblent à peine appartenir à la nature humaine ; quoiqu’il n’y ait point d’entreprise, si importante qu’elle soit, dont on ne puisse espérer de voir triompher cette prudence et ce courage que vous avez développés dès vos plus jeunes années ; et quoique les mouvements de l’ambition, et l’abondance de ces dons de la fortune qui ont si souvent corrompu des hommes dont les talents, l’expérience et les vertus donnaient les plus hautes espérances, n’aient jamais pu vous faire sortir des bornes de la justice et de la modération, vous pouvez néanmoins, pour vous-même et pour cet État dont les rênes vont bientôt vous être confiées, ou plutôt dont la prospérité repose déjà en grande partie sur vos soins, tirer de grands avantages de vos méditations solitaires ou des entretiens de vos amis sur l’origine et la nature de l’esprit humain : car il n’y a point d’homme qui soit en état de conduire avec succès les affaires publiques, s’il n’a commencé par se faire des habitudes vertueuses, et par enrichir son esprit des connaissances propres à lui faire distinguer avec certitude pour quel but il a été appelé à la vie, ce qu’il doit aux autres et ce qu’il se doit à lui-même. » Alors commença entre Laurent et Alberti une conversation dans laquelle ce dernier s’attache à montrer que, comme la raison est le caractère distinctif de l’homme, l’unique moyen pour lui d’atteindre à la perfection de sa nature, c’est de cultiver son esprit, en faisant entièrement abstraction des intérêts et des affaires purement mondaines.
Il reconnut à l’instant ma voix, et me regardant avec complaisance, selon son habitude : « Eh !
Une habitude s’établit de composer le spectacle des trois genres de pièces.
C’est son penchant le plus ancien, son habitude ; c’est ce sujet de prédilection auquel un grand esprit travaille, même avant d’en avoir tracé le plan et trouvé le titre ; où va tout ce qu’il pense de plus solide et de plus constant, tout ce qu’il y a de l’homme mûr dans le jeune homme.
Nous ne nous abordâmes point de front ; nous ne fîmes qu’exposer, moi, la nature de mes doutes lui, le jugement qu’il devait en porter comme orthodoxe. fut extrêmement sévère et me déclara nettement 1ºqu’il n’était nullement question de tentations contre la foi, terme dont je m’étais servi dans ma lettre, par l’habitude que j’avais contractée de me conformer à la terminologie sulpicienne pour me faire entendre, mais bien d’une perte totale de la foi ; 2º que j’étais hors de l’Église ; 3º qu’en conséquence je ne pouvais approcher d’aucun sacrement, et qu’il ne m’engageait pas à pratiquer l’extérieur de la religion ; 4º que je ne pouvais sans mensonge continuer un jour de plus à paraître ecclésiastique, etc.
Je crois pourtant nécessaire de ne point passer outre sans ajouter qu’elle développe chez ceux qui s’y complaisent le goût d’une certaine simplicité de manières et de langage, la propension au ton moral et aux vertus bourgeoises, l’habitude d’exprimer ses sentiments intimes sans apprêt et sans crainte du détail terre à terre.
Elle travestit Louis XIII, elle défigure Richelieu, elle méconnaît toutes les imposantes traditions des habitudes et des demeures royales.
… Et quand la société dure depuis assez longtemps pour que tout cela soit dans tous une habitude innée et soit devenu une sorte de religion, je dirais presque de superstition, certes alors un pays a le meilleur esprit public qu’il puisse avoir.
Mais ce qui restera surtout à Saint-Just, ce sera l’habitude et l’usage des comparaisons, qu’il transportera plus tard dans sa prose oratoire avec concision et sobriété, et qui y seront parfois d’un effet réel.
Une bonne chose au fond que cette habitude ancienne de la transmission des portraits de famille : c’était un enchaînement de la race.
Je causais de cette toilette, ce soir, quand une vieille femme s’est mise à dire : « Que l’hydrothérapie avait tué la pudeur chez la jeune génération féminine, que le barbotage dans l’eau, à l’instar d’un canard, que l’habitude journalière de se montrer à sa femme de chambre, entièrement nue, diminuaient, tous les jours, l’effarouchement que les femmes d’autrefois éprouvaient à monter trop de leur peau ou de leurs formes.
L’auteur a pris l’idée du Dernier Jour d’un Condamné, non dans un livre, il n’a pas l’habitude d’aller chercher ses idées si loin, mais là où vous pouviez tous la prendre, où vous l’aviez prise peut-être (car qui n’a fait ou rêvé dans son esprit le Dernier Jour d’un condamné ?)
Dans ce vieux mode d’histoire, le seul autorisé jusqu’en 1789, et classique dans toute l’acception du mot, les meilleurs narrateurs, même les honnêtes, il y en a peu, même ceux qui se croient libres, restent machinalement en discipline, remmaillent la tradition à la tradition, subissent l’habitude prise, reçoivent le mot d’ordre dans l’antichambre, acceptent, pêle-mêle avec la foule, la divinité bête des grossiers personnages du premier plan, rois, « potentats », « pontifes », soldats, achèvent, tout en se croyant historiens, d’user les livrées des historiographes, et sont laquais sans le savoir.
L’esprit, qui n’est plus arrêté comme dans le temps des castes par des faits sacrés, traditionnels, et par les obstacles de toute nature que le hasard et la coutume avaient mis entre les hommes, l’esprit, qui a contracté l’habitude de pousser chaque principe à ses dernières conséquences, s’indigne d’autant plus de tout ce qui semble faire résistance à ses théories.
Cette monotonie sublime dans les habitudes et les œuvres, qui dura trente ans de facultés vigoureuses et saines, et qui, avant la mort, ne s’interrompit qu’une seule fois, on pourra donc l’appeler, nous le savons bien, d’un nom qui la ravale.
La mère dit a la servante : « Fermez cette fenêtre. » La servante obéit sans rien dire ; son intérêt, ses habitudes d’obéissance, lui interdisent toute demande d’explication.
Mais nous formons naturellement l’idée d’instant, et aussi celle d’instants simultanés, dès que nous avons pris l’habitude de convertir le temps en espace.
C’est dire que l’homme tout entier lui appartient : le métier détermine les droits et les devoirs, les croyances et les habitudes ; c’est avec les mêmes compagnons qu’on travaille et qu’on mange, qu’on prie et qu’on s’amuse.
Étudiés depuis à peine un siècle, de William Jones, à Lassen, à Burnouf, à Regnier, les hymnes des Védas peuvent, à travers la faiblesse des paraphrases, nous frapper encore par l’élévation mystique ; mais la singularité n’en est pas adoucie pour nous tout à la fois par l’habitude et par le respect ; nous y sentons la monotonie plutôt que la grandeur : et, dans l’immobilité même de cette foi antique des peuples de l’Inde, l’enthousiasme semble manquer, à force de croyance.
Ainsi, quand nos Grammairiens disent qu’un nom est à l’ablatif, ils ne le disent que par analogie à la Langue latine ; je veux dire, par l’habitude qu’ils ont prise dans leur jeunesse à mettre du françois en latin, & à chercher en quel cas Latin ils mettront un tel mot François : par exemple, si l’on vouloit rendre en latin ces deux phrases, la grandeur de Paris, & je viens de Paris, de Paris seroit exprimé par le génitif dans la premiere phrase ; au lieu qu’il seroit mis à l’ablatif dans la seconde. […] Au reste, nous ne sommes pas dans l’usage de marquer dans l’écriture, par des signes ou accens, cet élevement & cet abaissement de la voix : notre prononciation, encore un coup, est moins soûtenue & moins chantante que la prononciation des Anciens ; par conséquent la modification ou ton de voix dont il s’agit nous est moins sensible ; l’habitude augmente encore la difficulté de démêler ces différences délicates. […] Cependant, poursuit-il, le peuple n’a point étudié la regle de notre Prosodie ; seulement il sent qu’il est blessé par la prononciation de l’Acteur : mais il ne pourroit pas déméler en quoi ni comment ; il n’a sur ce point d’autre regle que le discernement de l’oreille ; & avec ce seul secours que la nature & l’habitude lui donnent, il connoît les longues & les breves, & distingue le grave de l’aigu ». […] Mauvaise habitude. […] Ils en distinguent ordinairement de trois sortes ; savoir une d’inégalité, où la raison de la dénomination commune est la même en nature, mais non pas en degré ou en ordre ; en ce sens animal est analogue à l’homme & à la brute : une d’attribution, où quoique la raison du nom commun soit la même, il se trouve une différence dans son habitude ou rapport ; en ce sens salutaire est analogue tant à l’homme qu’à un exercice du corps : une enfin de proportion, où quoique les raisons du nom commun different réellement, toutefois elles ont quelque proportion entre elles ; en ce sens les ouies des poissons sont dites être analogues aux poumons dans les animaux terrestres.
Toutefois, il faut bien l’avouer, la philosophie n’a pas entièrement perdu et elle reprend encore quelquefois, après Descartes et dans Descartes même, ses anciennes habitudes. […] Écoutez cette école : elle vous dira que le principe de la cause, donné par nous comme universel et nécessaire, n’est, après tout, qu’une habitude de l’esprit qui, voyant dans la nature un fait suivre un autre fait, met entre eux cette connexion que nous avons appelée la relation de l’effet à la cause. […] Elle bâtit les systèmes, elle crée la logique artificielle, et toutes ces formules dont nous nous servons aujourd’hui, à force d’habitude, comme si elles nous étaient naturelles. […] Revenons donc ici sur cette intuition spontanée de la vérité que Kant n’a point connue, dans le cercle où le retenaient captif ses habitudes profondément réfléchies et un peu scolastiques. […] Je m’incline devant l’autorité de l’antiquité ; mais, peut-être faute d’habitude et par un reste de préjugé, j’ai quelque peine à me représenter avec plaisir des statues composées de plusieurs métaux, surtout des statues peintes116.
Il a une enfance et une adolescence vicieuses : les jeux avec mademoiselle Gothon, ses détestables habitudes, ses extravagances exhibitionnistes à Turin, dans les allées sombres et près de ce puits où les jeunes filles viennent chercher de l’eau. […] Le malheureux nous dit lui-même qu’il n’avait pas renoncé à ses habitudes honteuses. […] Enfant encore et livré à moi-même…, forcé par la nécessité, je me fis catholique, mais je demeurai toujours chrétien (épigramme suggérée par son résidu protestant) et bientôt, gagné par l’habitude, mon cœur s’attacha sincèrement à ma nouvelle religion… Les instructions, les exemples de madame de Warens m’affermirent dans cet attachement. […] La plaisanterie était amicale et gentille puisque c’était une allusion aux habitudes aumônières de Jean-Jacques. […] Ces dispositions s’étendent et s’affermissent à mesure que nous devenons plus sensibles et plus éclairés ; mais, contraintes par nos habitudes, elles s’altèrent plus ou moins par nos opinions.
Il y a longtemps et trop longtemps de cela : un jour, étant en rhétorique, je fus premier en dissertation française, contrairement à toutes mes habitudes. […] C’était un sage ; au reste, ses habitudes étaient celles de tous les honnêtes gens de son temps : alors maîtres et valets vivaient en commun. […] Je ne saurais trop dire si la peinture est exacte dans tous ses détails, ayant fort peu l’habitude des affaires. […] Huret qu’en me séparant de mes vieux amis du Parnasse sur une question de prosodie, je gardais pour eux tous les sentiments que la sympathie et l’habitude ont formés. […] Et si j’avais senti jusque-là le monde soi-disant réel avec plus d’intensité que le monde de mes rêves, j’y étais uniquement amené par une habitude grossière.
Il pratiqua la noble habitude de la méditation et, poète, il médita sur la vie sociale du poète, de même que, soldat, il avait médité sur la vie sociale du soldat. […] Il faut apprendre Stéphane Mallarmé aux dépens de certaines habitudes dont il exige qu’on se départisse envers lui. […] L’habitude du commandement, les surprises du danger donnent aux façons je ne sais quoi de brusque et d’impérieux. […] Kipling est un sorcier, et il connaît aussi bien les habitudes de Chuchundra, le rat musqué, que la psychologie la plus intime des marins, des officiers et de tous les sujets de Sa Gracieuse Majesté. […] Il y en a de personnelles et de locales, d’autres qui sont, si l’on peut dire, nationales, qui n’instruisent pas seulement de l’habitude d’un individu, mais encore et même du caractère d’un peuple.
J’ai commencé par relever (vieille habitude de critique) quelques-uns des procédés de l’écrivain ; mais il faut ajouter que Séverine obtient souvent ce triomphe de faire oublier pour les choses qu’elle dit la façon dont elle les dit. […] Une fois rentrés dans la vie civile, ils perdent vite les habitudes contractées au service. […] Il est connu pour un criminologiste distingué ; il ne s’est pas assez défié de ses habitudes de pensée ; il a gardé, lui aussi, le pli professionnel. […] On peut suivre dans l’ouvrage cette stratégie compliquée ; comment on évite les tentations et les chutes, comment on se lie par des habitudes austères, comment on se dérobe aux sophismes d’une conscience trop facile, tout cela est minutieusement détaillé ! […] Faguet se serait épargné cette contre-vérité, s’il avait moins cédé à sa périlleuse habitude d’isoler ses personnages du monde environnant.
Le goût plus délicat du public habituel en sera satisfait, et la mise en scène s’associera ainsi aux habitudes sociales du monde auquel appartiennent les spectateurs et les personnages de la plupart des pièces qu’on représente à ce théâtre. […] Dans la plupart des cas, l’intuition, le goût, l’habitude suffisent pour décider si telle ou telle disposition fait bien ou mal ; mais souvent la question mériterait d’être étudiée et soumise au raisonnement. […] C’est qu’en effet c’était une faute de mise en scène de la part des deux excellents comédiens, provenant précisément d’une judicieuse et réelle observation : beaucoup de personnes savent que les militaires et les marins ont l’inoffensive habitude de s’embrasser fraternellement quand ils se retrouvent dans leur carrière aventureuse. […] Le comédien, malgré lui, sans d’ailleurs qu’il en ait conscience, est la proie d’une personnalité qu’il revêt trop souvent et dont la nature composée se substitue peu à peu par l’habitude à sa propre nature. […] Par une habitude d’esprit, née de l’éducation et de l’instruction, nous accordons à la tradition un empire et un prestige que ne lui reconnaissent pas ceux qui ne l’ont pas reçue toute formée des leçons d’un maître, on ne l’ont pas puisée dans l’étude des chefs-d’œuvre des siècles passés.
Deux habitudes contraires se rencontrent communément dans les Persans: celle de louer Dieu sans cesse, et de parler de ses perfections ; et celle de proférer des malédictions et des ordures. […] Le pacha d’Acalziké résolut donc de mettre ce jeune prince en Mingrélie, parce que le pays lui appartenait de droit, comme on a dit, et parce qu’on pouvait espérer qu’il le gouvernerait bien et qu’il le purgerait des habitudes abominables dont il est tout couvert.
C’est la même main cependant qui avait écrit la Dryade et Symétha, deux idylles qui, par la facture savante du vers et par la composition générale, se rapprochent beaucoup des études antiques de Chénier, mais dont le sentiment est tout moderne, comme d’habitude. […] De leur côté, les Chants du Crépuscule, les Voix intérieures, les Rayons et les Ombres furent accueillis tour à tour avec un mélange d’éloges chaleureux décernés, comme d’habitude, aux parties sentimentales de ces beaux livres, et de reproches adressés à celles où l’émotion intellectuelle l’emportait sur l’impression cordiale.
Il est fort différent, surtout pour la comédie, d’avoir à peindre ses personnages au repos, dans le naturel de leurs habitudes, où d’être forcée de les saisir dans quelque mêlée, au passage, dans le flot qui les pousse avec le poète lui-même. […] Ce fut Bossuet qui lui parla le premier, « avec le respect d’un sujet, mais aussi avec la liberté d’un prédicateur. » A ce jeune prince si porté à la tendresse, si bien fait, si magnifique, « dont les belles qualités, dit Mme de Motteville, causaient toutes les inquiétudes des dames », il peignit la violence des désirs de la jeunesse, « ces cœurs enivrés du vin de leurs passions et de leurs délices criminelles, l’habitude qui succède à la première ardeur des passions, et qui est quelquefois plus tyrannique247. » Il lui découvrit les pièges de l’impudicité, « laquelle va tête levée, et semble digne des héros, si peu qu’elle s’étudie à se couvrir de belles couleurs de fidélité, de discrétion, de douceur, de persévérance 248. » Il lui représenta le « plaisir sublime que goûtent ceux qui sont nés pour commander, quand ils conservent à la raison cet air de commandement avec lequel elle est née ; cette majesté intérieure qui modère les passions ; qui tient les sens dans le devoir, qui calme par son aspect tous les mouvements séditieux, qui rend l’homme maître en lui-même249. » A ce roi si absolu, si maître de tout, si obéi, il montra le cœur d’un Nabuchodonosor ou d’un Balthasar, dans l’histoire sainte, d’un Néron, d’un Domitien dans les histoires profanes, « pour qu’il vît avec horreur et tremblement ce que fait dans les grandes places l’oubli de Dieu, et cette terrible pensée de n’avoir rien sur sa tête250. » Le premier, devant ce roi si plein de vie, et qui paraissait si loin de la mort, devant cette cour si attachée aux choses du monde, il ne craignit pas de soulever la pierre d’un tombeau, et d’y faire voir « cette chair qui va changer de nature, ce corps qui va prendre un autre nom, ce je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue, tant il est vrai que tout meurt en lui, jusqu’à ces termes funèbres par lesquels on exprimait ses malheureux restes251. » A ce roi entouré de tant de faveur, d’une si grande complaisance des jugements humains, il révéla les secrets de la justice « de ce Dieu qui tient un journal de notre vie, et qui nous en demandera compte dans ces grandes assises, dans cette solennelle convocation, dans cette assemblée générale du genre humain252. » Ce qui sied le mieux à l’âge où l’imagination et la passion dominent, ce sont de fortes peintures.
Il a pour habitude de suivre à tout hasard ce qu’il prend pour son inspiration, et de changer de moule autant de fois que de composition. […] Certes, si l’on veut autre chose que ces tragédies dans lesquelles un ou deux personnages, types abstraits d’une idée purement métaphysique, se promènent solennellement sur un fond sans profondeur, à peine occupé par quelques têtes de confidents, pâles contre-calques des héros, chargés de remplir les vides d’une action simple, uniforme et monocorde ; si l’on s’ennuie de cela, ce n’est pas trop d’une soirée entière pour dérouler un peu largement tout un homme d’élite, toute une époque de crise ; l’un avec son caractère, son génie qui s’accouple à son caractère, ses croyances qui les dominent tous deux, ses passions qui viennent déranger ses croyances, son caractère et son génie, ses goûts qui déteignent sur ses passions, ses habitudes qui disciplinent ses goûts, musclent ses passions, et ce cortège innombrable d’hommes de tout échantillon que ces divers agents font tourbillonner autour de lui ; l’autre, avec ses mœurs, ses lois, ses modes, son esprit, ses lumières, ses superstitions, ses événements, et son peuple que toutes ces causes premières pétrissent tour à tour comme une cire molle.
Étudiant en médecine, il avait pris, à l’hôpital et à l’amphithéâtre, des habitudes d’observation rigoureuse et de dissection anatomique. — Rappelons-nous que ce terme vient d’un verbe grec qui signifie couper en morceaux. — Dès son entrée dans le monde des écrivains, le Werther-Carabin, comme M. […] Précisons pourtant que d’habitude, le drame balzacien est plutôt le heurt d’intérêts ou de passions en conflit, mais exaspérées. […] Pour nous en tenir à des cas extrêmes, le paysan n’aura ni les mêmes habitudes physiques, ni les mêmes manières de sentir et de penser que le bourgeois son voisin, et moins encore que le citadin opulent. […] Ses feuilletons étaient les feuillets déchirés ou volants d’un beau livre sans suite. » Ils nous le montrent, jetant au papier, le samedi matin « ses douze colonnes, tantôt belles, rythmées, profondes et tendres comme un psaume, tantôt pleines de la vie, du feu de la passion d’un témoin contemporain. » Plus perspicaces qu’ils ne le sont d’habitude, — car le discernement des causes leur manque trop souvent, — les deux frères apercevaient le principe de cette supériorité du feuilletoniste : son énorme et passionné travail intérieur à la Gœthe. […] Il l’appelait, magnifiant cette médiocrité à son habitude, son « tourne-bride de lieutenant ».
Le rôle d’une Cassandre libérale continue, et par habitude et par discipline, d’être tenu dans les éditoriaux de journaux importants et chez les économistes éminents d’institut. […] Pendant ce temps, le clergé régulier et séculier subissait les rigueurs de lois nouvelles, l’exil et la famine, parce qu’il s’était solidarisé, par l’effet d’une vieille habitude, avec les anciennes classes dirigeantes et avec des cadres militaires dont le recrutement était resté en partie aristocratique. […] Mais on peut en retenir ceci, que la vie politique française comporte une mise en présence et en conflit de l’abstrait et du concret, que le radicalisme jacobin, qui touche au concret par son zèle pour les intérêts du petit propriétaire, triomphe électoralement par un système d’abstractions, en sympathie avec les habitudes de pensée du petit intellectuel. […] Réalisée encore substantiellement en France, où le genre de vie capitaliste tient surtout par habitude, par le poids d’une tradition et d’une durée.
Son dévoué, Jules Huret Avant-propos Depuis que la presse, qui, déjà, parlait de tout le monde, s’est résignée à s’occuper aussi des faits et gestes des littérateurs, le public, friand de toutes les cuisines, s’est immiscé de lui-même dans les querelles intestines de l’art, s’en faisant le juge avec une autorité que lui donne l’habitude des ordinaires potins. […] Mais le public des journaux a la grande habitude de la hâte des informations du reportage et ne souffre pas outre mesure de leur insuffisance. […] Cela peut servir à poser des règles et des axiomes, mais qui sont alors purement du domaine de la philosophie ; ce n’est donc pas encore de la littérature ; car il ne suffit pas d’inventer de toutes pièces des personnages en leur attribuant arbitrairement tels ou tels goûts, telles ou telles habitudes comme le fait Bourget pour avoir fait ce qu’on pourrait de même appeler un roman psychologique. […] J’ai été jadis élève en médecine, et de ces études, au moins, j’ai gardé ce besoin et cette habitude d’esprit de constater les faits d’abord.
Notez, du reste, que ces distinctions si raisonnables sont tout à fait dans les habitudes et dans l’esprit de Molière. […] Apparemment, s’il est dans la nature de voler, il est dans la nature de se protéger contre les voleurs ; il est dans la nature d’aimer ses enfants et, par suite, de les préserver des habitudes qui leur deviendraient funestes. […] Et alors, je ne sais plus, du moins en ce moment… Ou bien encore, peut-être est-ce nous qui n’entendons plus très bien Molière, par l’habitude que nous avons prise de ne point discerner la bonté de la pitié, et de faire ainsi, de la première, quelque chose de larmoyant et de veule. […] Theuriet, n’a exprimé avec une sympathie aussi vraie la vie des pauvres foyers, des foyers de tout petits bourgeois, leurs habitudes, leurs soucis, leurs plaisirs, leurs ambitions ; nul ne nous a mieux fait sentir, sous la mesquinerie des détails matériels, qui devient touchante, l’immortelle poésie du cœur. […] D’abord il n’est plus là, celui que je m’étais fait une douce habitude de retrouver à chacun de ces concours, celui qui fut successivement Louis XI, Glocester, Marat, et qui trouvait moyen d’ajouter encore des ténèbres aux rôles les plus ténébreux.
Rien qu’à le voir, on sentait en lui le flegme naturel ou acquis, l’empire de soi, la volonté et l’habitude de ne pas donner prise. […] C’est peut-être dans les bureaux, qu’il prit aussi l’habitude de calligraphier presque administrativement ses manuscrits30. […] Ayant pris l’habitude, dès son jeune âge, d’associer l’illusion à la réalité, de mêler la nature au rêve et d’unir la sensation des choses vues à la divination des choses invisibles, il se crut transporté, par la baguette d’une fée, dans les splendeurs du Paradis terrestre. […] Scherer définissait ainsi les parlementaires « nouveau jeu », les politiciens de profession : Ce sont les hommes qui appartiennent aux carrières libérales, qui ont quelque instruction, quelque facilité de parole, des habitudes de sociabilité et enfin le goût de la politique, et naturellement de la politique avancée. […] De son passage dans les bureaux, il a gardé l’habitude des soins méticuleux et des calligraphies régulières.
Mais nous avons une mauvaise habitude ; nous sommes désolés que ces vieux poètes ne nous en apprennent pas plus long sur eux-mêmes, et aussitôt qu’ils semblent céder à notre désir, nous prenons l’air de gens « à qui on ne la fait pas » et nous leur crions de se taire. […] D’autres images sont empruntées aux habitudes de la vie quotidienne et au parler populaire. […] Il déclarait un jour à Edmond de Goncourt « qu’il avait pour habitude de ne rien prendre aux autres ». […] On n’arrive à donner une idée juste que des pays où l’on a pris ses habitudes, où l’on a marché les yeux fermés. […] Les faibles pourraient en garder la courbature ; les natures généreuses y contractent la maîtrise de leurs sentiments et l’habitude de la volonté.
Je ne sais si c’est son habitude, mais il était court et rouge comme un œuf de pâques ; je ne me lassais pas de le regarder. […] Hugo est fort simple dans ses allures et dans ses habitudes. […] L’habitude avait rendu l’animal patient et il se laissait faire tigre ; de façon qu’un étranger arrivait-il chez M.
Il y a plus de vingt-cinq ans déjà que, considérant que les soirées sont longues, que la plus grande difficulté pour l’homme qui vit seul est de savoir passer ses soirées, je me suis dit qu’il n’y avait pas de manière plus douce et plus sûre pour cela que l’habitude et la compagnie d’un bon livre.
Eût-il eu dans son caractère, comme André Chénier, quelque ressort un peu vif et quelque principe de fierté qui le rendait moins commode qu’il n’aurait fallu dans l’habitude, pour moi, je ne l’en estimerais pas moins, et, dussé-je être taxé de partialité pour les poètes, il m’est impossible, même après la publication de ces dernières pièces, de trouver à Joachim d’autre tort que celui d’avoir été maltraité par la fortune, d’avoir été fait intendant et homme d’affaires tandis qu’il était poète, et d’avoir commis cette autre faute grave de s’être laissé mourir jeune avant d’avoir franchi le détroit qui l’eût mené à sa seconde carrière.
Nous n’entendons pas ici précisément parler des deux brochures politiques de M. de Chateaubriand : nous en serions fort mauvais juge, incapable que nous nous trouvons, par suite d’habitudes anciennes et de convictions démocratiques, d’entrer dans la fiction des races consacrées et des dynasties de droit.
Les précédentes notions furent ébranlées ou détruites, et des habitudes nouvelles d’un ordre tout opposé s’introduisirent.
II La seule chose que l’on puisse appeler, encore improprement, de ce nom, par habitude plus que par logique, c’est la petite part d’égoïsme individuel que le commandement social de l’État (monarchie ou république) puisse négliger sans inconvénient dans l’obéissance obligatoire de chacun à la volonté de tous.
C’est là un poète populaire, ou plutôt c’est là un poème écrit dans la langue du peuple avec les idées, les habitudes, les travers, les loisirs des amants, dans les basses classes des peuples !
Elle rentra pensive à la maison de la rue de l’Ouest où Jean Valjean, selon son habitude, était venu passer six semaines.
La décence de sa conduite, ses traductions de la Bible, ses liaisons particulières avec les hommes pieux, la modestie de sa physionomie, les habitudes régulières de sa vie avaient quelque chose des jeunes lévites.
Celui-ci, par de lointaines hérédités, par quarante ou cinquante générations d’aïeux chrétiens, par d’indéracinables souvenirs de jeunesse, par toutes les habitudes de sa civilisation, était catholique.
Bourde se rassure ; les décadents se soucient fort peu de baiser les lèvres blêmes de la déesse Morphine ; ils n’ont pas encore grignoté de fœtus sanglants ; ils préfèrent boire dans des verres à pattes, plutôt que dans le crâne de leur mère-grand. et ils ont l’habitude de travailler durant les sombres nuits d’hiver et non pas de prendre accointance avec le diable pour proférer, pendant le sabbat, d’abominables blasphèmes en remuant des queues rouges et de hideuses têtes de bœuf, d’âne, de porc ou de cheval.
Ce sont mille traits qui ne touchent pas le but, mille sens douteux, mille finesses sous lesquelles se cachent des niaiseries ; une habitude de tourner tout à l’ingénieux et à la pointe ; toutes sortes de manquements, calculés ou involontaires, à la première loi du langage, la propriété, et, toutefois, une fausse précision qui les dissimule.
Nous croyons superflu d’insister sur les profondes différences qui distinguent, à ce point de vue, d’abord l’optique du Wagner-Théâtre de tous les autres, et ensuite son public de tout public incapable d’accepter cette condition si contraire à nos habitudes anti-artistiques.
Il fait remarquer d’abord que les objets de nos connaissances sont des idées : assertion incontestable, fondée rigoureusement sur les faits de conscience et qui ne peut paraître paradoxale qu’à ceux qui n’ont aucune habitude de ces sortes de questions.
Comment, après cela, la Raison & le Goût pourroient-ils avouer les acclamations prodiguées à ces tirades philosophiques, applaudies d'abord par la surprise de la nouveauté, aujourd'hui par habitude, & encore sont-elles abandonnées au peuple des Spectateurs ?
Et il est résulté de cette habitude oblique, que, même hors de l’épigramme, il n’a jamais rien abordé de front et en face ; il n’a jamais attaqué largement et dans le plein un sujet, pas plus les choses que les gens.
mais quand je n’apercevrai que des hommes plus ou moins spirituels, intrigants, hâbleurs, vaniteux et, légers, viveurs et prodigues, des hommes de luxe et de fantaisie, jouant à la république comme ils joueraient à tout autre jeu, pariant de ce côté sans avoir le sérieux ni les habitudes du régime qu’ils appellent et qu’ils préconisent, je douterai et je sourirai.
» Il essaye, à plus d’une reprise, de nouer alliance avec lui, il lui propose l’union : « Il devient bien important que je vous parle, que mon audace se réunisse à votre courage, et ma verve à votre admirable logique. » Mais Sieyès, selon son habitude, se réserve et se tient sur ses gardes.
Habitué d’un tripot où il était défendu de dormir, et où il n’y avait rien pour s’asseoir, on l’appelait la mouche, par l’habitude qu’il avait prise de dormir, appuyé contre les murs.
L’ambassadeur dehors, ainsi que j’ai l’habitude de faire dans les grands embêtements de ma vie, je me couche.
On a souvent noté que les noms des instruments de force ou des bois de charpente sont empruntés aux animaux ; cette habitude est universelle.
Alors, comme en ceci l’imitation est plus agréable et plus facile que la censure, on ouvre assez volontiers son âme à ces corruptions décevantes, et le rire même est une introduction à ces plaisirs corrupteurs, « Tunc etiam per voluptatem facilius vitia surrepunt. » C’est encore du beau et bon Sénèque ; il conclut ainsi qu’il n’y a rien de plus dangereux pour les bonnes mœurs que l’habitude et l’abus des spectacles11.
La distraction était devenue, chez La Fontaine, une habitude continuelle, presque continuelle ; il l’a reconnu, car l’anecdote du voyage en Limousin n’est pas rapportée par un autre que lui.
Le fait qu’on nous impute est faux, mais il entre dans la donnée générale de notre caractère et de nos habitudes, et voilà pourquoi il est admis.
Renan qu’aux habitudes de sa pensée.
Il faut un siège en règle pour conquérir ce héros défiant, et c’est la cordialité seule qui fait parler ce silencieux, l’habitude de faire partie du même horizon restreint, d’être rencontré par lui au détour des routes et surtout la lente persuasion qu’on aime la terre, comme lui, depuis le trèfle d’en bas, depuis la graine non germée, jusqu’au nid de pie qui fleurit noir au sommet des vieux chênes.
Tant que le principe subsiste, il a pour lui la force de son développement logique, et, de plus, la force acquise, c’est-à-dire les habitudes et le consentement tacite de la majorité ; l’individu demeure isolé et évolue rapidement.
Comment donner une idée, même vague et lointaine, de cet amas d’immondices à des lecteurs, à des lectrices, que leurs habitudes et leurs goûts maintiennent dans de chastes et salubres atmosphères ? […] Assurément celles-là gardent, de leur origine et de leurs habitudes primitives, des signes de race, des traces indélébiles de distinction et d’élégance. […] Victor Hugo n’a pas songé à une chose fort inquiétante : c’est que, parmi ces animaux et ces végétaux, dont il fait des âmes émigrantes ou châtiées, il y en a un bon nombre que les vulgaires humains ont pris la mauvaise habitude de manger. […] Les auteurs contemporains — j’entends ceux qui appartiennent à une certaine littérature — ont pris une telle habitude de faire de leur personne, le centre de leurs ouvrages, que ces ouvrages, leur vrai titre, leur seul titre à l’attention publique, deviennent pour eux l’accessoire, et qu’ils veulent être admirés pour eux-mêmes, dans une sorte de contemplation indépendante de leurs travaux et de leur talent. […] Mais, au point où l’on arrivait, à la fin de cette première moitié du siècle, il était trop tard : il ne restait plus de ces robustes gardiens d’un régime vaincu que les parties malfaisantes et déréglées, l’esprit de rébellion et de désordre, l’isolement de chaque intérêt personnel au milieu des intérêts généraux de la royauté et du pays, et ces habitudes remuantes, agressives, subversives, prenant pour prétexte tantôt les dissidences religieuses, tantôt les agitations politiques.
Vous remarquerez, Mesdames et Messieurs, qu’aucune autre mauvaise habitude n’avait, jusqu’à Corneille lui-même, retardé davantage les progrès de la tragédie. […] S’il en fallait croire Corneille lui-même, ces comédies n’auraient eu « de modèle avant lui, dans aucune langue » ; — et, selon son habitude, il exagère, mais ce qui est certain, c’est qu’elles brillent déjà de mérites rares et originaux. […] J’en ai dit sans doute assez, Messieurs, pour vous rendre compte du choix que j’ai fait de Rodogune, et je viens à la pièce, dont je crois devoir, contre notre habitude, vous rappeler en deux mots le sujet assez compliqué. […] Venus eux-mêmes plus tard, en d’autres temps, ou formés à d’autres habitudes, par d’autres circonstances, en eussent-ils bien pu valoir de plus heureux, peut-être, et quarante ou cinquante ans plus tard, s’appeler Regnard ou Le Sage ? […] Non seulement originale, mais unique en son genre, mêlée d’esprit et de mauvais goût, de délicatesse parfois et de libertinage ou de grossièreté même, de réalisme et de poésie, elle attire et elle repousse, elle charme et elle irrite, elle amuse et elle ennuie… Enfin, de l’homme lui-même, de sa vie, de ses habitudes ou de ses goûts, nous ne savons rien, ou peu de chose ; nous n’avons sur lui que de vagues renseignements ; et sa biographie, mal connue, projette sur son œuvre presque plus d’ombre que de clarté97.
» Délicieuse habitude d’un occidental, fils de notre moyen âge et de nos cathédrales, qui sourit à travers ses larmes, qui trompe sa veine satirique à mêler des gargouilles à la perspective d’un chef-d’œuvre. […] Notre oreille s’est affinée, comme sensibilisée à l’excès, mais notre vers parlé mériterait la critique s’il oubliait l’âge classique et la persistance de certaines habitudes. […] Aussi bien, depuis ma folle entreprise de lire les pages consacrées par nos critiques patentés aux œuvres symbolistes, j’ai perdu l’habitude de m’étonner.
Sainte-Beuve lui-même, plus judicieux d’habitude, n’a-t-il pas écrit : « Ginguené a publié une brochure pour montrer Rabelais précurseur et instrument de la Révolution française. […] Dans un projet de sermon sur le péché d’habitude, Bossuet l’a dit magnifiquement : « Il faut remédier à toutes les plaies de l’âme par la douleur et, par conséquent, tout connaître. » Le livre premier du Traité de l’Oraison par Nicole a pour titre : « Que les pensées seules ne sont point oraison. » De quel regard des gens de cette formation eussent-ils considéré un des leurs qui fût venu leur raconter : « Chaque soir je me mets à ma table pour anatomiser par le menu mes moindres sensations de la journée. […] Il a été conduit de la sorte à l’habitude du monologue écrit. […] La simple pitié s’est-elle émoussée en lui par l’habitude ? […] Ces mœurs comportent une certaine manière de s’habiller, de se loger, de se nourrir, de pratiquer les rapports de politesse, toutes habitudes qui comportent elles-mêmes une infinité de nuances et de degrés, mais qui supposent une certaine dépense. — Et nous voici au second des éléments qui caractérisent la bourgeoisie.
Ainsi parlaient les aveugles de Cheselden et de Home ; ils situaient leur sensation nouvelle selon les habitudes de leur toucher et appliquaient au cas nouveau l’expérience ancienne48. […] « Un fait analogue est fourni par l’habitude que les sourds et muets acquièrent, de comprendre ce qu’on leur dit en regardant le mouvement des lèvres de l’interlocuteur. » (Abercrombie, Inquiry, etc., 51.)
Aimé Martin raconte ses scandales et son égoïsme ; Molière en avait pitié, mais continuait par habitude à l’aimer. […] Je suis né avec les dernières dispositions à la tendresse ; et, comme j’ai cru que mes efforts pourraient lui inspirer, par l’habitude, des sentiments que le temps ne pourrait détruire, je n’ai rien oublié pour y parvenir.
Ils l’étoient en effet, par la longue habitude qu’ils avoient des sciences & des Arts ; source de l’abondance & de la richesse de leur langue, dont nous ignorons l’origine & l’accroissement, puisqu’elle étoit dans toute sa perfection & dans toute sa beauté du temps d’Homére, le modèle de tous ceux qui ont écrit après lui : on ne voit pas du moins qu’elle ait varié depuis ; au lieu qu’on ne peut fixer l’époque de la perfection de la langue Latine, qu’au siècle d’Auguste. […] Il avoit cependant à détruire, comme le remarque l’auteur des Recherches sur les Théâtres, une prévention d’autant plus difficile à vaincre, qu’elle étoit fondée sur l’ignorance & sur une longue habitude.
Lundi 17 septembre Conversation à déjeuner, où Daudet raconte, qu’avant-hier au Vieux Garçon, il a causé avec les cabaretiers, qui lui ont dit : leur famille tenir ce cabaret, depuis quatre générations ; mais qu’autrefois, c’était uniquement la marine qui fréquentait l’endroit, et que depuis trente ans seulement, les bourgeois avaient l’habitude d’y venir. […] Un changement dans les habitudes parisiennes.
C’est amusant ce travail japonais d’Outamaro, ce transport de votre cervelle, au milieu d’êtres, aux habitudes d’esprit, aux histoires, aux légendes d’une autre planète : du travail ressemblant un peu à un travail fait dans l’hallucination d’un breuvage opiacé. […] Samedi 7 novembre Avant les tentatives de l’impressionnisme, toutes les écoles de peinture de l’Europe sont noires, sauf la peinture française au xviiie siècle, et je suis persuadé que cette peinture doit sa couleur à la tapisserie, aux exigences du coloris que demande cet art industriel, par l’habitude qu’avaient nos peintres de ce temps, de travailler, plus de la moitié de leur temps, pour les manufactures de Beauvais et des Gobelins.
Dimanche 28 février Ce soir, chez Rodenbach, on causait valse, et je soutenais que les peuples qui sont des peuples valseurs, sont des peuples, où le patinage est une habitude. […] Il avait l’habitude d’être chez lui tout nu, avec une robe de chambre à cru.
Lorsqu’on regarde le temps où Max Jacob était un écrivain libertin qu’un dieu inconnu faisait souffrir, dieu que, quelquefois, il entrevoyait et qui, par habitude, pouvait lui sembler être le dieu des juifs, le juif libertin d’alors était déjà le chrétien d’aujourd’hui. […] Je me rappellerai toujours la douceur que tu lui témoignais et la sollicitude fantasque avec laquelle tu t’occupais d’elle avec pitié, sans perdre le fil d’une de ces passionnantes conversations, jalonnée de mots, pleine de paradoxes et illuminée de rire enfantin dont nous avions l’habitude avec Guillaume.
Au contraire, cherchez un milieu où la vie en commun et le culte des traditions, la superstition des habitudes développent surtout l’optimisme orgueilleux qui est le lest, quelquefois lourd, de la fantaisie suédoise, et vous aurez la correction un peu sèche, la mélancolique gravité que M. […] Gustave Lanson a deux ou trois disciples de valeur, et de nombreux élèves qui se flattent de lui ressembler, parce qu’ils ont reçu de lui de bonnes habitudes de travail : y a-t-il de quoi redouter et maudire son influence ? […] Repris par ses funestes habitudes, devenu pour sa jeune femme un objet de dégoût, peut-être même de terreur, subjugué par la tyrannie de ce cynique et formidable adolescent, Arthur Rimbaud, qui « né pour l’action », comme l’a dit un bon apologiste de Verlaine18, prit sur « un être tout de sensation » l’influence de ce qui est « simple » sur ce qui est « subtil, compliqué et flottant », ne trouvant plus, d’ailleurs, dans son propre foyer qu’intimes ennemis et que sujets d’affliction, préoccupé sans doute aussi — on l’oublie un peu trop — de ne pas rester à portée des conseils de guerre et des magistrats enquêteurs instruisant, à ce moment-là, sans beaucoup de pitié, le procès de tous ceux qui, de près ou de loin, avaient pris part à l’insurrection de la Commune de Paris, le poète à la « tête folle », aux « allures de hanneton » eut, un beau jour, comme un accès de manie impulsive, et il s’enfuit avec ce douteux compagnon, dont le génie, problématique et très peu démontré depuis, l’éblouissait. […] Mais que deviendrait-elle, si nous poursuivions jusqu’au bout l’étude des œuvres et qu’il nous fallût observer les manifestations de cette stérilité, de cette sénilité précoce, qui s’explique surtout par le retour assez rapide aux habitudes déréglées.
Il aura recours au compas & au calcul pour proportionner les hauteurs aux bases, & les supports aux fardeaux ; mais dans le détail des ornemens, il jugera d’un coup-d’oeil les rapports de l’ensemble, sans exiger qu’on fasse du triglif un quarré long, du metope un quarré parfait, &c. bisarrerie d’usage, tyrannie de l’habitude, que la stérilité & la paresse ont érigée en inviolable loi. […] Telle étoit la déclamation chez les Romains, lorsque la ruine de l’empire entraîna celle des théatres ; mais après que la barbarie eut extirpé toute espece d’habitude, & que la nature se fut reposée dans une longue stérilité, rajeunie par son repos elle reparut telle qu’elle avoit été avant l’altération de ses principes. […] non, puisque l’habitude nous ayant rendus insensibles à ce défaut de vraissemblance, on peut joindre le plaisir de voir une pensée, un sentiment ou une image artistement enchâssée dans les bornes d’un vers, à l’avantage de donner pour aide à la mémoire un point fixe dans la rime, & dans la mesure un espace déterminé. […] Cependant, s’il faut céder à l’habitude où nous sommes de voir des poëmes en vers, il y auroit un moyen d’en rompre la monotonie, & d’en rendre jusqu’à un certain point l’harmonie imitative : ce seroit d’y employer des vers de différente mesure, non pas mêlés au hasard, comme dans nos poésies libres, mais appliqués aux différens genres auxquels leur cadence est le plus analogue. […] L’esprit a son libertinage & son desordre où il est plus à son aise ; & le plaisir machinal & grossier qu’il y prend sans réflexion, émousse en lui le goût de l’honnête & de l’utile ; on perd l’habitude de refléchir comme celle de marcher, & l’ame s’engourdit & s’énerve comme le corps, dans une oisive indolence.
» Ils n’ont pas laissé de la prendre pour cela, la plupart, car les habitudes d’esprit sont terriblement contraignantes, mais cependant Racine avait pris des précautions assez véhémentes, si je puis dire, pour que quelques-uns aient pris Andromaque pour ce qu’elle était. […] C’est une erreur dans laquelle on est souvent tombé, avec Molière et avec quelques autres, à cause des habitudes du théâtre et à cause aussi d’un penchant naturel de l’esprit humain. […] Et, par suite de cette habitude des auteurs, le public n’en a été que plus rengagé dans la sienne et dans sa manie de chercher toujours l’honnêle homme de la pièce. […] » J’ajouterai ceci : que si Molière prenait au sérieux la religion sensée et solide, la religion des honnêtes gens, il la ferait professer non seulement par Elmire, mais, conformément à son habitude de prendre pour truchement de lui-même les servantes-raisonneuses, par Dorine, à laquelle il donne un rôle si considérable dans sa pièce, par Dorine, que, dès la première scène, il met en opposition avec Mme Pernelle, par Dorine, à qui il confie, sinon l’exposition de la pièce, du moins, ce qui est plus important, l’exposition du caractère de Tartuffe. […] Or « le talent de parler tient le premier rang dans l’art de plaire ; c’est par lui seul qu’on peut ajouter de nouveaux charmes à ceux auxquels l’habitude accoutume les sens.
Vous le verrez vendre votre diadème, avec de vieux couverts et des couteaux, sous une porte… Peu à peu, entraîné par sa nature railleuse et les habitudes de blague de son milieu, il quittait le ton réservé du début, et, de sa petite voix de nez insolente, détaillait, des drôleries parmi lesquelles beaucoup devaient être du cru de Séphora, qui ne perdait jamais l’occasion de démolir à coups moqueurs les derniers scrupules de son amant. […] C’est là qu’il avait pris l’habitude de s’abandonner, de se laisser conduire, pourvu que la reine l’appelât de sa voix grave et résolue, qu’il sentit l’enveloppement tendre de ses bras et son épaule toute prête à ses fatigues d’enfant. […] « Mais c’est cette certitude qui est triste, — et aussi ce cynisme tranquille avec lequel tous les deux nous en parlons. » Plumkett et moi, nous faisons les cent pas, tournant comme deux automates au même point et sur le même pied, — ce qui est une habitude de marins. Nous ne nous disons plus rien, — ce qui est devenu une habitude à nous, après nous être trop parlé. — En effet, nous nous connaissons si bien, et nos pensées se ressemblent tellement, que ce n’est même plus la peine de perdre de temps à nous contredire pour essayer de nous donner le change. […] Nous n’avons pas l’habitude d’offrir des vers à nos lecteurs ; en voici cependant qui nous ont paru d’un sentiment si juste, si vrai, que nous faisons une exception en leur faveur.
Alexandre Dumas est philosophe, et je ne crois pas qu’il ait éprouvé de grandes déceptions en voyant combien les services littéraires rendus portent peu de reconnaissance ; il en est, il est vrai, de ceux-là comme d’autres, et je ne saurais mieux conclure qu’en disant avec lui que le cœur humain a ses habitudes. […] « Ils dormaient, serrés les uns contre les autres, blottis en un seul tas, par une habitude de meurt-de-froid — même sous cette tiède nuit d’été ! […] Je ne veux pourtant pas manquer à mes habitudes et je citerai la fin de la nouvelle intitulée : Baraterie, un drame poignant écrit en quelques pages. […] Bien sûr, elle aura dit un mot de trop… elle aura commis une maladresse… « — Je vous demande… pardon, monsieur ; mais… on m’avait assuré que c’était l’habitude que l’armateur soit le parr… Sans cela… je ne me serais jamais… « — J’accepte, balbutie Le Hertel. […] Je m’arrête sur ce mot, renvoyant au livre les lecteurs qui veulent être informés sur les mœurs et les habitudes des colonies anglaises.
Ce jour-là on avait repris l’admirable farce de L’Avocat Patelin, cette comédie si gaie et si triste, que vous y trouveriez au besoin toute la tristesse de Molière et toute la gaîté de Regnard ; ce soir-là, plus que d’habitude, le parterre était colère et maussade. […] De toutes les comédies d’Aristophane il n’en est pas une seule qui puisse satisfaire le goût, les mœurs et les habitudes d’un peuple qui a été élevé avec la comédie de Molière. […] Or vous devez savoir d’autant plus de gré à cet indigent bel esprit de cette attentive surveillance sur sa personne, que déjà dans ce xviiie siècle, dont l’effronterie égale le génie, le cynisme des esprits a passé dans les habitudes de la vie littéraire. […] Voyez la force des habitudes vicieuses ! […] Tant ils se mettaient de moitié dans l’œuvre commune, celui-ci apportant sa vieille expérience des choses du théâtre, celui-là ses anecdotes et ses bons mots, et celles-là leur beauté, leur jeunesse, leurs sourires, leurs habitudes élégantes, puisées aux meilleures sources.
DE TALLEYRAND49. » Le baron de Gagern, après avoir inséré cette lettre plus développée que d’habitude et définitive, ajoute : « Je compris qu’une pareille correspondance pouvait avoir pour lui des côtés fatigants, et je ne lui écrivis plus. » Cependant il restait à régler d’autres comptes, et dont M. de Talleyrand devait se préoccuper davantage.
Et suis-je bien sage en effet d’aller chercher si loin ce que j’ai sous mes pas, et ce que j’ai avec ce bien inestimable que je n’aurai pas ailleurs : la douce habitude, l’ombre du toit paternel sur ma tête, les tendres souvenirs de l’enfance et de la famille autour de moi ?
C’est le signe de l’étude, donné par la nature ou par l’habitude, à tous ceux dont la vocation est de penser ; malheur à ceux dont le menton manque ou fuit en arrière !
On ne s’apercevait pas que le protestantisme, en s’étendant en Allemagne, y formait une ligue religieuse, la plus envenimée des ligues, contre l’Autriche, vieille catholique d’habitudes espagnoles sous Philippe II et le duc d’Albe ; on ne s’apercevait pas, enfin, qu’un empire mystérieux et immense était né en Moscovie, grandissait en Orient et au Nord, et allait bientôt demander un espace proportionné à sa croissance en Pologne, dans la Turquie d’Europe et dans la haute Allemagne.
Quant au style, je ne m’en occupai pas ; j’étais sûr que les événements eux-mêmes m’inspireraient, malgré mon peu d’habitude de la prose, la clarté, l’ordre, la lumière, le naturel et même la seule éloquence de l’histoire, la sensibilité communicative qui mêle du cœur au récit.
Il met la raison à la portée des mœurs, et les institutions en rapport avec les habitudes.
Un jour, la jeune fille laisse par inadvertance ses chèvres et ses chevreaux s’échapper pour aller marauder un brin d’herbe dans la partie du domaine qu’ils avaient l’habitude de paître.
. — Il en est ainsi des pages de mademoiselle de Guérin ; ôtez quelques superstitions féminines et quelques petitesses enfantines de dévotion qui ne scandalisent pas, mais qui humilient l’intelligence et qui tiennent à l’éducation, à l’habitude, au séjour, à la fréquentation de quelques ecclésiastiques, tels que l’abbé de Lamennais et ses disciples, tout est naïf, sublime, divin sous sa plume ; on ne peut rien dire d’elle qui ne soit mille fois dépassé par les éjaculations solitaires de cette âme.
Un certain tact m’avertit, me donne le sens des choses et des airs d’habitude là où je me trouve le plus souvent étrangère… » Le 20 avril, retour de jeunesse aussi : son oiseau favori est revenu chanter sur le genévrier, sous sa fenêtre.
Les habitudes de vie de Consalvi confirmant l’une ou l’autre de ces interprétations, je n’oserais pas affirmer laquelle est la plus vraie.
C’est l’habitude du pays de Lucques, quand la noce des paysans est riche et la famille respectée, qu’un musicien, soit fifre, soit violon, soit hautbois, soit musette, soit même tambour de basque, se tienne debout sur le devant du char à bœufs et qu’il joue des aubades, ou des marches, ou des tarentelles joyeuses en l’honneur des mariés et des assistants.
On peut dire que sa plus profonde psychologie est dans ses descriptions d’intérieur, lorsqu’il nous décrit l’imprimerie du père Séchard, la maison du bonhomme Grandet, la maison du Chat qui pelote, un appartement de curé ou de vieille fille, les tentures somptueuses ou fanées d’un salon ; c’est sa méthode, à lui, d’analyser les habitudes morales des gens qui ont façonné l’aspect des lieux.
Ses vers intransigeants ne condescendent point aux faiblesses ni aux habitudes du troupeau, n’entrent point dans ses émotions, ne le bercent ni le secouent. « Leconte de Lisle ?
C’est à notre époque seulement qu’on s’est avisé de nous présenter pour modèle l’être incomplet, l’eunuque, le mutilé, et de nous donner sa maladie comme une qualité. » L’idéal d’Hugues Rebell choquait trop de préjugés niais, bousculait trop de petites habitudes, pour recueillir de nombreuses adhésions.
Munich est la ville connue du wagnérisme ; c’est là qu’on va de France pour entendre du Wagner, et Dresde aura beaucoup à taire encore pour changer cette habitude.
Guillaume se mit à l’œuvre en commençant par Rienzi, la partition la plus conforme aux habitudes du public, à cette époque.
Quiconque a étudié les oiseaux sait bien qu’ils choisissent toujours pour leurs nids les meilleurs matériaux, qu’ils laisseront intacts ceux que leur espèce a l’habitude d’employer, s’ils en ont de plus doux à leur portée.
De quelque façon que nous l’entendions, voilà des idées bien bizarres ; ne sommes-nous pas réduits à avouer que la force de l’habitude nous fait dévorer les absurdités les plus étranges ?
Cette habitude de la critique, de l’histoire littéraire, cette légende a duré assez longtemps.