Deltuf, le pathétique et le comique se combattent, mais il reste toujours la vieille fille idéale à nous donner, l’être fier et pur qui n’a pas trouvé un cœur digne d’elle et qui a accepté la tristesse du célibat sans en prendre les ridicules.
Vivre à sa guise, se payer une voiture par semaine et l’omnibus tous les soirs, ne rien devoir à personne : tel est l’idéal. […] Ce besoin d’idéal qui le dévore lui a joué d’assez méchants tours, c’est à lui qu’il faut attribuer la chute de ses œuvres dramatiques…. […] Soudain, tout s’est trouvé anobli et purifié, Arnolphe et Agnès se sont élevés d’un coup d’aile aux régions sereines de l’idéal. […] Ce moment idéal, nous l’avons subi : le voici donc irrévocable, de quelque nom que tu le nommes ! […] Mais là où il réalise l’idéal de la beauté, c’est en ce qui concerne la croix d’honneur.
Créature laide, affreusement sale et débraillée, repoussante et acariâtre ; tous la considéraient comme l’idéal de la beauté. […] Elle est fort documentée sur l’idéal. […] Leur idéal est clair, parce qu’il prend sa source dans la nature et dans la vie. […] C’est toute réalité et tout idéal, un pamphlet et une leçon, une utopie et un microcosme. […] Je l’aime, car je lui dois de savoir un peu plus exactement aujourd’hui ce que c’est que l’idéal d’un berger des consciences et d’un éducateur des foules.
Peut-être l’imaginatif amoureux a-t-il une tendance à voir les femmes à travers les créations de son esprit, à les trouver semblables au type idéal qu’il s’est formé. […] Sardou, peuvent être considérés comme rentrant dans les cas extrêmes, et peut-être même représentent-ils plutôt un idéal qu’une réalité. […] Mais nous avons vu que le développement par raisonnement et le développement spontané se rapprochaient assez déjà de cet idéal. […] Cela est un idéal à peu près irréalisable. […] De là les regrets du poète se plaignant que le meilleur de sa poésie demeure en lui-même, l’opposition continuelle du rêve et de la réalité, de l’idéal et du réel.
J’ai cherché volontiers ma joie et mon idéal dans les allées désertes. […] Ils ont apporté au monde un nouveau goût de l’amour et de l’idéal. […] On y sent un idéal de forte vie. […] Gardez vos vérités ; je garde mon idéal. […] Que m’importe l’idéale Elvire ?
Le véritable Canalis de chair et d’os, auquel parvient la lettre de Modeste, est un petit homme froid, sec, égoïste, singulièrement vaniteux, énormément ambitieux, âpre à solliciter des pensions et poursuivant comme son idéal le plus cher, un poste diplomatique et la faveur ministérielle. […] Il se peut que dans le temps, où du consentement de la mode, on pouvait se glorifier d’une triste impuissance, et même de penchants sataniques ; que quelques jeunes esprits plus stériles qu’ils ne le croyaient eux-mêmes, aient admiré dans Rolla un idéal auquel ils se flattaient de ressembler ; mais cette mode a passé comme un nuage ; le bon sens reparu place sous le jour le plus défavorable un personnage aussi peu intéressant qu’il est présomptueux, et le lecteur s’irrite de ne jamais voir disparaître des œuvres du poète, un fainéant orgueilleux qui, le blasphème à la bouche et le dédain à l’œil, injurie la société tout entière pour lui avoir refusé des honneurs et des richesses qu’il n’a pas eu le courage de vouloir acquérir. […] Que peut valoir en effet à une époque laborieuse comme la nôtre, un idéal dont le dernier mot est l’impuissance, un personnage qui tire toute sa valeur de sa nullité, et dont le suprême mérite est de n’être propre à rien ! […] Ces pensées sanglantes, familières aux poètes de l’Allemagne moderne, à ceux du moins qui se présentent comme novateurs, ne nous font pas l’effet de tendre à un autre but qu’à se poser en hommes plus prévoyants que les girondins, les jeunes artistes se piquent de ne pas être surpris par les excès inséparables des Révolutions, et pour prouver qu’ils sont bons jacobins, ils évoquent d’eux-mêmes les spectacles les plus horribles et se lavent les mains dans un sang idéal. […] Il n’est pas d’homme raisonnable et juste qui puisse lui faire un reproche bien amer de ne pas réaliser l’idéal de toutes les perfections.
Il a le secret de parler à son public, à ce public des premières ; il en est le poète, et sert aux hommes et aux femmes de ce monde, dans une langue à leur portée, l’idéal des lieux communs de leur cœur. […] Il nous confirme dans cette idée, déjà instinctive en nous, que le suprême Beau est la représentation de génie exacte de la Nature, que l’Idéal qu’ont cherché à introduire dans l’art, les talents inférieurs et incapables d’atteindre à cette représentation, est toujours au-dessous du vrai. […] Cela arrive, quand le travail ne va pas, quand il y a de l’impuissance à rendre ce que l’on sent, et d’atteindre à cet idéal qui va toujours dans les lettres, en s’élevant et en se reculant de votre plume. […] Ces tons doux et lisses, sous la fuite du ruisseau, cette lumière noyée, cette transparence de choses aquatiques, sous ce vernis trémulant, — ce vernis qu’il comparait à un vernis copal, — ce fut pour lui son miroir d’idéal et l’inspiration de sa vocation.
Recueillir la totalité des articles qu’il prodigue en toute occasion, au gré des exigences du journalisme et à chaque événement dramatique ou artistique qui se produit, n’est point son fait à lui : il a d’autres visées, un idéal supérieur.
Indiana, dès l’abord, prend l’amour au sérieux ; elle choisit, elle désigne du cœur Raymon comme l’être idéal qu’elle a constamment attendu, comme celui qui doit porter le bonheur dans ses jours.
Lorsque Tibulle, le plus affectueux après Virgile, et le plus doux des Romains, dit à sa Délie, en des vers pleins de tendresse, qu’il ne demande avec elle qu’une chaumière et la pauvreté, il mêle encore à l’idéal de son bonheur ces images du labour : Ipse boves, mea, sim tecum modo, Delia, possim Jungere, et in solo pascere monte pecus ; Et te dum liceat teneris retinere lacertis, Mollis et inculta sit mihi somnus humo.
XXVI On peut avoir un idéal plus grand que soi, mais chacun fait commencer le joli au point où il sait atteindre lui-même.
Dans l’état de démocratie ou plutôt de classe moyenne où nous allons de plus en plus, il y a un écueil, un faux idéal tout à fait à éviter pour l’art et pour le goût.
Les Anglais se transportent dans le monde idéal de la poésie, mais ils ne mettent presque jamais de chaleur dans les écrits qui portent sur les objets réels.
Il y a, à la vérité, un signe où elle reconnaît les grands hommes, et il n’est peut-être pas bien exact de dire que tous les objets soient égaux devant l’indifférence de sa curiosité ; Molière est mille fois plus intéressant à ses yeux que Cyrano de Bergerac, Pradon ou Boursault : « Plus un poète est parfait, dit-elle, plus il est national ; plus il pénètre dans son art, plus il a pénétré dans le génie de son siècle et de sa race ; la hauteur de l’arbre indique la profondeur des racines465. » Quoi qu’il en soit, l’école historique, je dis l’école historique idéale, à la considérer dans l’unité et la pureté de sa doctrine, annule la critique littéraire au sens où le langage a toujours entendu le mot de critique, puisqu’elle ne juge pas, ne blâme ni ne loue.
Alfred Nettement Un caractère aventureux dans une destinée d’aventurier, tel est toujours l’idéal de M.
Albert Mockel M. de Régnier est surtout un droit et pur artiste ; son vers a des lignes bien tracées, des couleurs transparentes et rares disposées avec justesse ; il démontre une grande probité d’écriture, un idéal d’art austère, la volonté d’un homme qui garde haut sa conscience.
La vie est à nos pieds ; elle passe, mais l’ensemble de ses apparences subsiste au moins l’espace d’un long instant ; le Poète reporte son idéal dans la vie présente, et sans voir qu’il a passagèrement déchu, il veut créer une Beauté qu’il imagine vivante et mortelle comme il croit vivante et mortelle cette vie. — Il ignore encore, et peut-être l’ignorera-t-il toujours, qu’il n’a lui-même d’autre terme que l’infini ; la Vie, il ne la voit encore que comme une chose relative et concrète.
L’idéal est celui que chercha à réaliser la commedia dell’arte, en réunissant dans la même personne le poète et celui qui se charge de faire vivre ses fictions.
Le contraste de Don Quichotte et de Sancho Panza, de la réalité grossière et de l’idéal chimérique, existait sur le théâtre italien bien avant Cervantès.
Il y a les fervents de l’idéal que la réalité écœure.
L’œil clair et doux de ces âmes simples contemplait l’univers en sa source idéale ; le monde dévoilait peut-être son secret à la conscience divinement lucide de ces enfants heureux, à qui la pureté de leur cœur mérita un jour de voir Dieu.
Pour peindre un personnage idéal, on emprunte des traits à vingt figures, sans avoir l’intention d’en peindre aucune.
Dans la Marie-Antoinette d’avant l’échafaud, d’avant la prison, et même d’avant la calomnie ; dans la Marie-Antoinette de la jeunesse et du bonheur, dans celle-là que Prudhon aurait peinte, que Goujon et Canova auraient sculptée ; dans cette idéale reine aux cheveux d’or, pour qui non-seulement un diadème pesait trop, mais une simple guirlande ; dans celle-là, enfin, la Marie-Antoinette à la robe de linon qui semblait ressortir plus particulièrement de leur art, à ces historiens de la Vie, il y avait une femme qu’ils ont oubliée, un génie de femme qu’ils auraient dû dégager et qu’ils n’ont pas vu, comme s’il était dans le destin de la divine Malheureuse d’être méconnue par l’Histoire autant qu’elle avait été calomniée.
Dans la Marie-Antoinette d’avant l’échafaud, d’avant la prison, et même d’avant la calomnie ; dans la Marie-Antoinette de la jeunesse et du bonheur, dans celle-là que Prudhon aurait peinte, que Goujon et Canova auraient sculptée ; dans cette idéale reine aux cheveux d’or, pour qui non seulement un diadème pesait trop, mais une simple guirlande ; dans celle-là, enfin, la Marie-Antoinette à la robe de linon, qui semblait ressortir plus particulièrement de leur art, à ces historiens de la Vie, il y avait une femme qu’ils ont oubliée, un génie de femme, qu’ils auraient dû dégager, et qu’ils n’ont pas vu, comme s’il était dans le destin de la divine Malheureuse d’être méconnue par l’histoire, autant qu’elle avait été calomniée !
C’était là le type de l’homme d’action qui avait toujours préoccupé comme un idéal et tyrannisé sa pensée.
Sa politique, à lui, est de l’histoire, et c’est de l’histoire où elle est, c’est-à-dire dans le passé, qu’il invoque, sous le nom de saint Louis et de la reine Blanche, en face de l’histoire telle qu’on veut la faire aujourd’hui sous le nom du comte de Chambord… Pour prendre Maurice de Bonald sur le pied hardi où il se donne, il faut évidemment être un chrétien comme lui, ayant inébranlablement dans l’esprit la conception de la monarchie comme elle a été réalisée depuis Clovis jusqu’à saint Louis, qui en fut l’idéal le plus pur et le plus élevé… Or, cette monarchie n’existait pas en soi et par elle-même.
Cette érudition si particulière et si malsaine, Edgar Poe, le tempérament américain, le puffiste immense dans l’ordre de l’imagination, le visionnaire qui fit entrer dans les constructions de la plus idéale ou de la plus sombre fantaisie une force de calcul digne de Pascal, en fut certainement moins victime que de l’ivrognerie, son vice favori, qui le tua !
C’est une œuvre tout à la fois simple et solennelle, élevée et familière, délicate et robuste, idéale et rustique, très-éloignée des manières de dire et de peindre des civilisations présentes, qui donnent des poètes comme Edgar Poe pour les plus forts de ses produits.
Moralité, préoccupation, métaphores, tout dans ce livre est tiré du monde artificiel des planches, l’idéal de la vie et de l’art pour tant de folles imaginations !
Remettre le sort du monde entre les mains de quelques jurisconsultes, c’est assurément provoquer un résultat de justice et d’humanité supérieur à celui qui est obtenu coutumièrement du fait des politiques et des gouvernements, mais ce n’est pas là un idéal qui ne puisse être dépassé.
Ces lois doivent avoir été postérieures aux décemvirs, auxquels les anciens peuples les ont rapportées, comme au type idéal du législateur.
Premièrement les droits étant éternels dans l’intelligence, autrement dit dans leur idéal, et les hommes existant dans le temps, les droits ne peuvent venir aux hommes que de Dieu.
Toute beauté réelle, quelle qu’elle soit, pâlit devant l’idéal de beauté qu’elle nous révèle. […] Au lieu de s’arrêter à la contemplation stérile de l’idéal, il crée, pour cet idéal, un monde nouveau, destiné à le réfléchir dans toute sa pureté. […] La philosophie est donc l’élément interne, l’élément abstrait, l’élément idéal, l’élément réfléchi, et par conséquent l’expression la plus élevée d’une époque. […] Qui remplira cet idéal de l’histoire de la philosophie ? […] Dieu pour Kant était une conception nécessaire de la pensée, son idéal suprême.
Chateaubriand a créé des types idéaux, Flaubert des types réels, vivants, les figures de cette Afrique permanente que dégage si bien M. […] Évidemment, une page de Flaubert ne ressemble pas à une page de Chateaubriand, mais tous deux communient en somme dans le même idéal de style, et, surtout, c’est de cette communauté d’idéal que procèdent, jusque dans celle de leur sujet même, les Martyrs et Salammbô. […] La critique idéale, c’est la chemise de l’homme heureux, — et l’homme heureux n’a pas de chemise. […] L’idéal du sourcier, exprimé par M. […] Mais il est excellent que cet idéal y soit représenté, il ne l’est nulle part mieux qu’en France et la critique doit particulièrement s’en inspirer.
Mouvements sans mobiles, sensations sans sujets, reliés par un réseau de formules, dessin sans fond, tracé de lignes idéales. […] L’idéal moral a fait défaut à Lesage. […] Ses madones réalisent à leurs yeux l’idéal du hiératique bourgeois. […] Ce faisant, on agit en amoureux de l’idéal, et c’est une source d’exquises jouissances. […] Malade d’idéal, il enviait la santé grossière de ceux qui naissent propres au métier d’homme.
« Elle a voulu, en écrivant, exprimer ce qu’elle avait dans lame bien plus qu’exécuter des ouvrages d’art » ; ou encore : « Corinne est l’idéal de Mme de Staël, Delphine en est la réalité durant sa jeunesse ». […] L’un a été la révélation primitive de l’idéal contenu dans la nature extérieure ; l’autre en a été l’exposition lumineuse et raisonnée. […] « Toute littérature qui n’a pas en vue la perfectibilité, la moralisation, l’idéal, l’utile en un mot, est une littérature rachitique et malsaine, née morte. » Et on peut regretter qu’il ne l’ait pas mieux dit, mais il l’a dit ; et finalement, après l’avoir âprement contredit, ce n’est pas les Leconte de Lisle ou les Flaubert que l’on en a cru, mais lui. […] Qui ne sacrifierait à ce généreux idéal un peu de son « individualisme », et l’étrange vanité d’être seul à s’admirer ou à se comprendre lui-même ? […] Rapports du physique et du moral] ; — et qu’en outre on y discerne deux ou trois éléments originaux et nouveaux ; — qui vont faire de Stendhal un des précurseurs de l’idéal romantique. — Son intervention dans la bataille : Racine et Shakespeare, 1823 ; — et qu’il n’est pas inutile de savoir que le livre a en partie paru dans une revue anglaise ; — s’il porte ainsi témoignage du cosmopolitisme de Beyle. — Les Promenades dans Rome, 1829 ; — et Le Rouge et le Noir, 1830.
J’aurais aimé à trouver dans son Introduction d’Hippocrate quelque page vivante, animée, se détachant aisément, flottante et immortelle, une page décidément de grand écrivain et à la Buffon, comme il était certes capable de l’écrire, où fut restauré, sans un trait faux, mais éclairé de toutes les lumières probables, ce personnage d’Hippocrate, du vieillard divin, dans sa ligne idéale, tenant en main le sceptre de son art, ce sceptre enroulé du mystérieux serpent d’Épidaure ; un Hippocrate environné de disciples, au lit du malade, le front grave, au tact divinateur, au pronostic sûr et presque infaillible ; juge unique de l’ensemble des phénomènes, en saisissant le lien, embrassant d’un coup d’œil la marche du mal, l’équilibre instable de la vie, prédisant les crises ; maître dans tous les dehors de l’observation médicale, qu’il possédait comme pas un ne l’a fait depuis. Quand je dis que j’aurais désiré trouver un tel portrait idéal, je ne suis pas juste, car il y est, bien qu’un peu trop dispersé ; les chapitres xiii et xiv de l’Introduction, qui ont pour titre : Exposé sommaire de la doctrine médicale d’Hippocrate ; Remarques sur le caractère médical et le style d’Hippocrate ; ces chapitres ne sont autre chose que la description exacte, précise, définitive, de la forme de science et du genre de talent de l’Homère médical. […] En supprimant, comme font volontiers les modernes, et comme ils sont portés à le faire de plus en plus, les anciens miracles et l’ordre surnaturel, il essaye de substituer et d’inaugurer un autre idéal, celui de l’Humanité ; et ce qui n’était chez lui d’abord qu’un sentiment de justice et de reconnaissance individuelle devenant un dogme social avec les années, il se range à cette parole d’un maître : « L’Humanité est composée de plus de morts que de vivants, et l’empire des morts sur les vivants croît de siècle en siècle : sainte et touchante influence qui se fait sentir de plus en plus au cœur à mesure qu’elle subjugue l’esprit.
Je me suis dit souvent que les portraits devaient être faits selon le ton et l’esprit du modèle : si l’on appliquait ce précepte et ce procédé à l’étude de M. de Vigny, son portrait serait bien simple et tout idéal ; il est douteux même qu’on dût y employer d’autres lignes et d’autres couleurs que celles qu’a fournies le poète. […] La forme est idéale toujours ; mais elle a comme sa trempe d’amertume ; le vase porte, cette fois, les marques de la flamme. […] Mais c’est déjà beaucoup d’avoir reçu le don et le rayon à une certaine heure, d’avoir atteint d’un jet lumineux, ne fut-ce que deux et trois fois, les sphères étoilées, et d’avoir inscrit son nom, en langues de feu, parmi les plus hauts, sur la coupole idéale de l’art.
Il inventa réellement l’idéal d’une langue romane intermédiaire, la même et commune chez tous les peuples de langues néo-latines, chez les Français, les Provençaux, les Italiens, les Espagnols, les Portugais, et qui se serait interposée, à l’origine, entre le latin et la langue propre à chacun de ces peuples. […] Dans cet exemple parfait et en quelque sorte idéal (et par malheur tous les mots ne se prêtent pas à un tel rangement), on suit l’altération qui a eu lieu sur toute ]a ligne, au gré des prononciations, — j’allais dire des mâchoires — plus ou moins souples, faciles, lentes, paresseuses. […] Burguy, que « les langues romanes doivent être considérées comme un progrès sinon total, du moins partiel, par rapport à la langue latine », n’accueille pas sans de grandes réserves cette idée d’évolution et cet idéal de pureté.
X Nous ne sommes pas assez musicien nous-même, et nous ne pouvons pas chanter assez aux yeux nos paroles pour suivre la partition de Don Juan, et pour vous montrer à chaque scène l’esprit satanique du poète transformé, converti et divinisé par l’âme idéale, morale et sainte du musicien. […] Séparé ainsi du monde extérieur, débarrassé des soucis vulgaires de la vie, promenant son regard ému dans l’infini des cieux, en face de son piano et de son idéal, il s’abandonnait au souffle du sentiment qui l’enlevait sur ses ailes divines. […] Le tonnerre gronde dans les basses, les éclairs jaillissent de toutes parts ; et don Juan, intrépide, impavidus, au milieu de cette conflagration de tous les éléments harmoniques et de la colère des hommes, puisant dans l’idéal qui l’illumine une force héroïque, se fraye un passage à travers la foule tremblante, qu’il accable de son mépris.
Il y a plus : l’amour des sens inspire souvent des vices et des crimes ; l’amour des âmes inspire, au contraire, des chefs-d’œuvre et des vertus : c’est ainsi que vous voyez dans l’antiquité l’amour sensuel caractérisé par Hélène, Phèdre, Clytemnestre ; et que vous voyez dans les temps modernes l’amour des âmes se caractériser dans la chevalerie, dans Héloïse, dans Laure, par l’héroïsme, par la fidélité, par la sainteté même la plus idéale et la plus mystique. […] … En disant cela, je fondis en larmes… » IV L’illustre vieillard consola et raffermit son disciple ; il lui dit que cette sécheresse momentanée d’imagination dont il s’affligeait n’était que le progrès de son esprit, qui, en lui faisant mieux voir jusqu’où il pouvait monter, le décourageait à tort, par le sentiment de la distance qu’il y avait entre son talent d’aujourd’hui et son idéal futur. « Sentir sa maladie, ajouta-t-il, c’est déjà le premier pas vers la guérison ; persévérez et renoncez au barreau, où l’on ne s’adonne qu’à l’art de vendre des paroles ou plutôt des mensonges. » On s’étonne de ce mépris pour le barreau dans un jeune homme dont Cicéron était l’oracle et l’idole. […] Ce que Pétrarque et ce que le temps de Pétrarque entendaient ici par amour, n’était en réalité que la passion du beau, l’admiration, l’enthousiasme, le dévouement de l’âme à un être d’idéale perfection physique et morale ; culte en un mot, mais culte divin à travers une beauté mortelle.
Si vous étiez né Grec ou seulement Italien, ayant sous les yeux, dès le berceau, une nature merveilleuse et un art idéal, vous auriez atteint le but dès le point de départ, et le grand style se serait formé en vous sur le modèle éternel ; mais vous êtes né Allemand avec une âme grecque, et il vous a fallu vous refaire Grec à force de contemplation et d’intuition. » — « Je vous ai attendu longtemps, répond Goethe ; j’ai marché jusqu’ici seul dans ma voie, non compris, non encouragé ! […] « Ce jour-là je commençai, non, je continuai à aimer celle qu’enfant je portais déjà dans mon cœur, etc. » La passion idéale de Bettina prend chaque jour des teintes plus chaudes dans sa correspondance. […] Les billets de Goethe en réponse à ce torrent de passion idéale sont de la neige sur des fleurs d’avril.
Quant à moi, comme au milieu de ces divers travestissements de sa pensée, je ne rencontrais que peu de traits de son propre génie, je m’en étais fait une image idéale plus près du ciel que de la terre, et cette image s’est mêlée à toutes les jouissances ou aux illusions de mes pérégrinations orientales ; enfin, quand je m’asseyais sur les décombres d’Éleusis et sous les colonnes du Parthénon, où vous avez médité vous-même, il me semblait toujours voir planer, au-dessus des monuments écroulés ou debout encore du culte ou des arts, la grande figure d’Orphée, le premier en date des bienfaiteurs de l’humanité. » XI Une traduction des poésies d’Eschyle, cette élégie nationale des vaincus de Salamine, écrite et chantée sur le théâtre d’Athènes pour grandir les vainqueurs, termine cette belle étude sur la poésie des Grecs. […] Comme un ruisseau limpide, Ève amoureuse d’Ève Son amour idéal, l’autre amour qu’elle rêve Elle l’a vu dans un miroir, Et donne à son image, inquiète et jalouse, Tous les baisers d’amante et jamais ceux d’épouse, Comme l’amour qui vit d’espoir. […] Tu t’abreuves de la divinité des choses idéales, cette divinité du monde supérieur où tu vis !
Gustave Kahn Les critiques qui vitupèrent le xixe siècle au nom d’un idéal classique, appartiennent aux partis de réaction. […] Rappelons-nous ce mot de Stendhal : « le beau idéal de la Raison ». […] Le but inavoué de ce procès est de ravaler et de salir une période illustre à qui l’on reproche son idéal, ses élans, sa foi, ses ambitions généreuses… Mais pour satisfaire les passions d’un moment ou les intérêts d’un parti est-il bien utile de traiter Hugo « d’abruti lyrique » et de « Tartuffe », de comparer la gloire de Renan à la vogue du chansonnier Béranger, de présenter Leconte de Lisle comme un « frigide crétin » ou de montrer Flaubert « comme une boule de jardin où apparaissent grandies toutes les sottises et les niaiseries d’une époque ».
Les uns disent : Tristan est l’idéal définitif ; les autres, au contraire : Tristan a été un essai théorique poussé à l’extrême, l’auteur a lui-même reconnu son exagération et dans ses œuvres ultérieures il a sacrifié quelques parties de « son système ». […] Est-ce à dire que Tristan soit un idéal de perfection ? […] Wagner nous a dit, lui-même, qu’il « ne voulait point qu’on considérât Tristan comme un modèle idéal ».
Et là-dessus il développe son idéal, un idéal à la fois si turc, et si crotté, qu’on le plaisante. […] J’ai pensé, en voyant cet éventail, à faire une collection de toutes les élégances matérielles, morales, sentimentales de la femme d’aujourd’hui, et la collection faite, de bâtir mon roman idéal avec le dessus du panier des réalités chic.
Jadis, même dans la plus vaste de nos œuvres, dans L’Éducation sentimentale, si l’on ne conçoit, en effet, comme un tout La Comédie humaine ou Les Rougon-Macquart, un homme ne s’est ainsi attaqué à la tâche de donner une image adéquate et compacte de la vie, avec une pareille et si forte ardeur à saisir tout l’existant d’un coup, à le transcrire et le consigner perçu dans son extension matérielle et idéale, de temps et d’espace, de beauté, de grâce, d’énergie, de violence, de pathétique, de pensée. […] Il ne pouvait non plus détacher son esprit du réel et se consoler du spectacle du monde par un espoir idéal de félicité hors de temps et l’espace, par le dogme spiritualiste et chrétien de l’immortalité de l’âme et des récompenses futures. […] Partir d’œuvres littéraires qui embrassent et montrent tout le merveilleux spectacle de la vie, s’en détacher peu à peu et s’en déprendre par une lente et sourde angoisse d’un idéal de vertu, hésiter, ne savoir que faire un temps et continuer à considérer le monde avec de soudaines reprises de tendresse, puis se buter contre le problème de sa fin et de sa cause, oublier son charme, sa grandeur, son radieux fleurissement de force pour lui demander compte de son sens en présence de son terme, et s’encercler peu à peu dans ce problème comme un sorcier dans son rhombe, dédaigner les véritables solutions par mépris et impuissance de l’intelligence et en venir comme le dernier des prédicants et comme le solitaire de Port-Royal à une doctrine de simplification, de retranchement de toutes les obligations sociales, de reniement de tous les appétits et de l’amour même de soi, de sa propre vie, avec l’idée folle d’exclure, en ce monde de guerre, la violence et le mal des actes des hommes, telles furent les phases de la transformation mentale de Tolstoï, déclin dont on peut mesurer la profondeur en comparant l’épopée grandiose et par bonheur acquise de La Guerre et la Paix, à des récits comme Le Tilleul, à des moralités puissantes encore mais puériles comme Le Premier Distillateur et La Puissance des Ténèbres.
Toute sa vie, il obséda Hugo : tout enfant, il était son idéal. […] À les entendre, il aurait été un de ces maniaques dangereux, entichés d’idées sociales et politiques, au point de leur sacrifier les intérêts matériels ; ils voudraient l’assimiler à ces Blanqui, à ces Garibaldi, à ces Varlin, à ces fous qui n’avaient qu’un but dans la vie, la réalisation de leur idéal. — Non, Victor Hugo n’a jamais été assez bête pour mettre au service de la propagande républicaine, même quelques milliers de francs de ses millions ; — s’il avait sacrifié n’importe quoi pour ses idées, un cortège de bourgeois, aussi nombreux, ne l’aurait pas accompagné au Panthéon ; M. […] Le vieux Goetheb, que Hugo appelle dédaigneusement « le poète de l’indifférence », l’âme remplie d’un sublime enthousiasme, écoutait raisonner ces deux puissants génies. — Hugo, indifférent à la philosophie et à la science, consacrait son « immense génie » qui « embrassait dans son immensité le visible et l’invisible, l’idéal et le réel, les monstres de la mer et les créatures de la terre… » à basculer la « balance hémistiche » et à rimer nombril et avril, juif et suif, gouine et baragouine, Marengo et lumbago.
Quoi qu’il en soit, l’acte gratuit dans sa forme idéale serait un pont de l’ambition minuscule à la liberté, du relatif à l’absolu. […] Cette mésentente même pourrait devenir un idéal, car dans le divorce de l’être et de son esprit se trouve la garantie contre la corruption du plus sérieuxz. […] Son égoïsmear que nous ne saurions comparer, ni de près ni de loin, au subjectivisme idéal, égoïsme ennemi de l’esprit par roublardise paysanne, accroché à tout ce qu’il croit notion de réalité, assez grande coquette pour vouloir jouer avec ce qu’il redoute le plus, nous voyons très bien quel secours furent pour lui les accessoires, guerre, patrie, Bérénice et, en dernier lieu, ce Jardin sur l’Oronte, entre deux séances de la Chambre des députés, comme les joies de la rue des Martyrsas pour d’autres, avec cette différence, encore, que, rue des Martyrs, on peut redouter une congestion, la mort, tandis qu’au jardin sur l’Oronte, les arbres bien taillés, les mannequins de velours et de soie n’ont jamais fait de mal à personne et seraient bien en peine d’en pouvoir faire.
Il était timide, sans doute, comme les êtres nerveux et facilement émus et qui ont dans l’esprit un idéal très élevé avec lequel ils se comparent. […] Heureusement qu’il n’y revint pas au point que ces esprits sans hardiesse auraient appelé l’idéal. […] Le moment, du reste, était favorable ; la République de 1848 s’épanouissait, cette république du Paupérisme qui n’a pas encore dégoûté les bourgeois de leur idéal économique : augmenter le nombre des consommateurs sur la terre, Pour qui sentait en soi saigner l’histoire, il était presque doux de se dérober aux atteintes des spectacles qu’offrait la France.
La littérature n’est pas pour lui un des moyens de montrer le vrai aux hommes, elle est un moyen d’échapper au réel, de s’évader de la vérité dans l’idéal. […] Aucune sorte d’idéal ni de demi-idéal ne circule, même par moment, dans le théâtre de Molière. […] Oui, en effet, Molière a donné aux hommes comme idéal le bon sens et il a donné comme critérium du bon sens le ridicule. […] N’ayez aucun idéal et n’ayez aucune qualité supérieure, c’est la maxime même qui ressort de son théâtre tout entier. […] Partout ailleurs, de même que Sophie est d’un demi-degré au-dessus de l’idéal de Sganarelle, de même Julie est d’un degré au-dessus de Sophie et point davantage.
Timocrate, le plus grand succès dramatique du siècle, qui eut 80 représentations, Timocrate vient de la Cléopâtre de La Calprenède : c’est l’idéal romanesque qui reparaît en sa pure fausseté, mais dégagé de toute aspiration héroïque et sublime, détendu, édulcoré, amolli. […] Son idéal, c’est l’absence d’intrigue, la belle nudité des tragédies grecques, et voilà par où le sujet de Bérénice lui a plu : deux lignes, un seul fait ; ce n’est rien, mais l’invention consiste à faire quelque chose de rien.