Nous voilà donc dans le verbalisme pur, dans la région idéale des signes. […] Rochefort, en qui les Parisiens ont longtemps retrouvé leur vieil idéal : un tranche-montagne spirituel et verbeux. […] Ainsi employé seul, le mot est peut-être une déformation du mot Idéal ; peut-être aussi le qualificatif est-il sous-entendu ? […] La justice est le point mort de la série des actes, le point idéal où les forces contraires se neutralisent pour produire l’inertie. […] L’utopiste, ayant réalisé cet effort original, s’arrête et doute ; non de lui-même, mais de la possibilité de réaliser son idéal.
On voit déjà les instincts se dessiner : naturel, moralité, simplicité, finesse ou bonhomie humaine plutôt qu’idéal poétique et grandeur. […] Sur les limites du procédé et de l’art ; qu’il est bon que pour chaque homme l’art soit à recommencer ; sur la différence fondamentale de la peinture antique et moderne ; sur le clair-obscur et Rembrandt ; qu’en face de la nature les plus serviles ont été les plus grands, et que c’est bien ici que ceux qui s’abaissent seront élevés ; que la peinture pourtant est un mode, non pas d’imitation, mais d’expression ; il y a là-dessus une suite d’instructifs et délicieux chapitres, où la pensée et le technique se balancent et s’appuient heureusement, où le goût pour la réalité et pour les Flamands ne fait tort en rien au sentiment de l’idéal, où Karel Du Jardin tient tête sans crânerie à Raphaël. […] O vous qui êtes sage, ne mettez nulle part votre idéal de bonheur sur cette terre, ou, si vous le mettez, ne le dites pas !)
M. de Chateaubriand, qui visita Parny vers 1789, a dit du chantre d’Éléonore, dans une simple image qui reste l’expression idéale de ce genre de nature et d’élégie : « Parny ne sentait point son auteur ; je n’ai point connu d’écrivain qui fût plus semblable à ses ouvrages : poëte et créole, il ne lui fallait que le ciel de l’Inde, une fontaine, un palmier et une femme169. » Tel était Parny, ou du moins tel il aurait dû être, s’il n’avait suivi que ses premiers penchants et si l’air du siècle ne l’avait pas trop pénétré. […] L’Éléonore de Parny, naïve et facile, manque d’élévation, d’avenir, d’idéal, de ce je ne sais quoi qui donne l’immortelle jeunesse ; elle n’a jamais eu d’étoile au front. […] Cinquante années n’étaient pas encore écoulées que lorsqu’on prononçait simplement le nom d’Éléonore, on ne se souvenait plus de celle de Parny, on ne songeait qu’à la seule et unique Éléonore, à celle de Ferrare et du Tasse : il n’y a que l’idéal qui vive à jamais et qui demeure.
Nos souvenirs se transforment avec tout le reste ; l’idéal d’une personne que nous avons connue change avec nous 49. […] Un rapide travail de métamorphose s’opéra de même, dans les vingt ou trente années qui suivirent la mort de Jésus, et imposa à sa biographie les tours absolus d’une légende idéale. […] L’accord frappant des textes et des lieux, la merveilleuse harmonie de l’idéal évangélique avec le paysage qui lui servit de cadre furent pour moi comme une révélation.
Si l’on peut établir d’une part que l’œuvre d’art est l’expression des facultés, de l’idéal, de l’organisme intérieur de ceux qu’elle émeut ; si l’on se rappelle que l’œuvre d’art est, par démonstration antérieure, l’expression de l’organisme intérieur de son auteur, on pourra de celui-ci passer à ceux-là, par l’intermédiaire de l’œuvre, et conclure chez ses admirateurs à l’existence d’un ensemble de facultés, d’une âme analogue à celle de son auteur ; en d’autres termes, il sera possible de définir la psychologie d’un homme, d’un groupe d’hommes, d’une nation, par les caractères particuliers de leurs goûts qui tiennent, comme nous allons le voir, à tout leur être même, à ce qu’ils sont par le caractère, la pensée et les sens. […] Qu’on goûte une métaphore romantique, qu’on se plaise aux ellipses de Victor Hugo, qu’on préfère l’absence de composition de Guerre et Paix à l’assemblage habile d’un roman feuilleton, qu’on soit touché par le mystère de la Maison Usher, ou par l’ironie de Mérimée, ce sont là autant d’indices des penchants, de toute l’âme du lecteur, auquel il faut donc attribuer les aptitudes d’esprit, les idéaux, les facultés secondes, dont telle ou telle de ces formes de style est le signe. […] La Dame aux Camélias a passé pour une merveille de réalisme auprès du public théâtral du temps ; les ouvriers ne croient guère à la vérité de l’Assommoir, tandis qu’ils admettent facilement le maçon ou le forgeron idéal des romanciers populaires.
Sainte-Beuve fait erreur, le monde de René était découvert avant Senancour et Chateaubriand, mais l’honneur de le marquer de son sceau revient à Chateaubriand ; il sut se servit de la langue, des images et des passions du jour, et personnifier ce monde sentimental et idéal que les contemporains portaient dans leur cœur et dans leur tête. […] Des convoitises ardentes, chauffées à blanc par la vue du succès et comprimées par les réalités de leurs positions, torturaient les plus médiocres des fils de la bourgeoisie, subitement émancipée ; pour endormir leurs appétits irrités que rien ne parvenait à rassasier, ils s’enivraient d’idéal, ainsi que d’un opium, ils s’embarquaient pour le pays des chimères, pour le monde du mensonge et de la poésie. […] Les romantiques de 1830 juraient, sur leurs poignards de Tolède, qu’ils enfourchaient l’hippogriffe et s’envolaient dans les cieux pour décrocher les étoiles, et se plonger dans l’idéal, loin, ô bien loin du monde de la matière, de ses passions mesquines et de ses grossiers intérêts.
VII Quant au style dans lequel ces drames sont écrits, il égale et surpasse même en images, en pureté, en harmonie, tout ce que nous admirons dans les anciens et dans les modernes ; et si le mécanisme, la propriété de termes, la transparence de métaphores, l’harmonie de sons, la richesse de nuances, la pureté élégante de diction, sont les preuves sensibles de la perfection de mœurs, de civilisation et de philosophie chez un peuple, le style des poèmes et des drames de l’Inde atteste évidemment une littérature primitive idéale, ou une littérature parvenue à une perfection idéale aussi par la collaboration de siècles sans nombre ; car les langues se forment presque aussi lentement que le granit. […] C’est l’amour conjugal d’une Desdémona ou d’une Juliette dans Shakespeare, c’est un mélange du platonisme tout idéal de Pétrarque et de l’amour sensuel mais naïf, pastoral et pudique de Milton dans son Éden.
Le style de M. de Laprade, c’est l’idéal pur, c’est l’abstraction élevée à sa plus haute puissance. […] Ce qui leur manque, c’est la puissance rationnelle et le sens de l’idéal. […] Ils n’ont plus d’idéal. […] Mais si Marc-Aurèle était supérieur à saint Louis par l’intelligence, l’idéal moral du chrétien était plus élevé que celui du philosophe. […] Que la prose ne soit pas aussi belle que la poésie, c’est dans l’ordre ; le Lamartine réel devait désenchanter un peu les admirateurs du Lamartine idéal.
Nous donnons le prix à celui qui a su exprimer l’idéal dans la personne d’une femme. […] Combien plus dans nos sociétés modernes, où les mœurs et la religion lui ont rendu son rang, et où l’union de la beauté morale et de la beauté physique compose l’idéal de la femme ! On reproche pourtant à Racine cet idéal. […] Plus Racine produit, plus il se rapproche de l’idéal de l’art dramatique, la simplicité d’action.
La Poésie proteste : Fuyons loin de cet homme grossier, sans idéal ! […] Pour mépriser ce qui passionne la foule avide il faut se proposer un plus noble idéal. […] Le Breton est alors devenu un Grec épris, comme les fils de l’Attique, de l’idéal et du divin. […] C’est le désespoir de tous les vrais artistes que l’œuvre ne réalise jamais l’idéal entrevu. […] Son idéal de l’art est toujours aussi haut placé.
Enfin, une autre jeune femme de la même société, Fanny, la dernière, la plus noble et la plus idéale des passions du poëte et celle où le cœur se fait tout à fait sentir, n’est autre que Mme Laurent Le Coulteux, née Pourrat, sœur de la belle Mme Hocquart, et belle elle-même d’une beauté très-fine.
Pour l’amour noble, idéal, comme pour la poésie, il n’y a que deux âges, jeunesse et vieillesse ; dans l’intervalle, quand l’amour profond et passionné existe, il faut qu’il se cache et se garde des témoins ; il intéresse malaisément un tiers ; il se complique de mille petitesses et misères du corps et de l’âme, d’obésité, d’ambition : on a peine à y croire, on ne peut l’admirer.
Et enfin, grande nouveauté, ils sont très sensiblement conçus selon un idéal précis de beauté formelle : nous verrons bientôt d’où cette influence féconde a soufflé.
Il sait que ce fut l’âge d’or de la société polie ; qu’en ce temps-là la vie mondaine fut l’idéal de tout ce qui comptait alors parmi les hommes ; que les jardins mêmes étaient des salons ; que les philosophes prouvaient l’existence de la matière par celle de la pensée ; que les poètes, acharnés à peindre l’âme humaine civilisée, laissaient à peine tomber quelques regards distraits sur la nature environnante.
Rien de plus, car il n’existe pas d’Alexandrin idéal, passant dans les rêves des poètes, dieu suprême de l’Art, orchestre, mot synthétique, geste solennel résumant toutes les phrases et tous les poèmes, sorte de syllabe Om dont certains parlent, les yeux en extase, la voix tremblante, avec des airs de Bouddha contemplant son nombril.
Elle ne peut même l’être à aucune minute, car nous avons encore un besoin d’idéal, et toutes ces prescriptions ne le rassasient point.
C’est qu’il y a un beau idéal qui touche plus à l’âme qu’à la matière.
Mais ces folies avaient une origine idéale, — un fond céleste. » Oui !
Ainsi, par exemple, au xviiie siècle, le roman sans couleur, sans profondeur et sans idéal, de l’abbé Prévost, dont le héros est un escroc et l’héroïne une fille de joie, n’a-t-il pas été vanté comme un modèle littéraire par l’immoralité reconnaissante d’une époque abominablement dégradée ?
… Il a longtemps représenté pour moi la plaisanterie anglaise dans son idéal le plus profond et le mieux réalisé, et voilà que le livre de Rochefort me le rappelle !
triste figure, en effet, mais pour tous ceux qui ont gardé un peu d’idéal dans leur pensée, n’écrase-t-elle pas de sa hauteur et de son originalité la face vulgaire de Sancho, l’un des fils de cette mère Gigogne qu’on appelle la Sagesse du Monde, dont tous les enfants se ressemblent, qu’ils se nomment Sancho ou Panurge, Falstaff, Chrysale, Figaro, Pangloss, et même Méphistophélès ?
Assurément, il y a du Burns sous son écorce, du Burns qui c’est pas encore sorti de sa tige, dans le poète qui nous a donné Les Sapins, Le Braconnier, La Vache blanche, Le Lavoir, Le Bûcheron, La Fille du Cabaret, La Chanson de la soie, même Les Bœufs, populaires pourtant, mais comme toute poésie inférieure, Les Bœufs, dont l’inspiration est brutale, car la femme et la fille y sont grossièrement et sordidement sacrifiées aux animaux, et enfin Le Tisserand, dont le refrain est idéal d’imitation pittoresque et d’harmonie !
Césara donc, Césara, cet idéal de grandeur et de génie, dont le romancier n’entend pas nous faire voir la faiblesse, mais la force, n’est plus qu’un homme qui a vautré son cœur dans un concubinage vulgaire.
C’est une vérité qui n’est point la nature ; Un art qui n’est point l’art, de grands mots sans enflure ; C’est la mélancolie et la mysticité ; C’est l’affectation de la naïveté, C’est un monde idéal qu’on voit dans les nuages : Tout, jusqu’au sentiment, n’y parle qu’en images.
Je crois que l’artiste peut avoir l’ambition de corriger la nature et de s’élever au-dessus d’elle ; je crois en un mot, qu’il lui est permis de parler une langue idéale. […] Nous verrons Goethe, dans son vaste cabinet de travail qui ressemble à un petit musée, entouré de statués antiques, et, durant plusieurs jours, le crayon à la main, l’œil attaché sur les plus parfaits modèles, dessinant des formes idéales avant d’écrire son Iphigénie. […] Soit que Vénus sorte du bain, ou que le jeune Bacchus sourie dans les bras d’un satyre, partout règne une harmonie idéale ; l’âme circule librement, répandue dans tous les membres ; elle n’est pas concentrée en un point unique ; il n’est rien dans le corps, dont aucune partie n’est voilée, qu’elle n’anime et ne purifie. […] Et puis, une simplicité idéale. […] En effet, je crois que s’il eût eu une maîtresse pâle, il n’eût jamais pu dire qu’elle eût été blanche ; s’il en eût eu une mélancolique, il n’eût pu dire aussi, pour adoucir la chose, qu’elle eût été sérieuse, et, tout ce qu’il eût pu obtenir de lui, eût été de ne lui parler jamais de ce dont il ne pouvait lui parler à son avantage… Ceux qui cherchent le plus à trouver à reprendre en lui, ne l’accusent que de soutenir ses opinions avec trop de chaleur… Il est certain qu’il est un peu difficile, et que les moindres imperfections le choquent ; mais il faut souffrir sa critique comme un effet de sa justice… Je n’aurais jamais fait si je voulais vous dire tout ce que Mégabate a de bon ; c’est pourquoi il vaut mieux que j’achève cette légère ébauche de sa peinture, en vous assurant que cet homme est incomparable, et qu’on n’en peut parler avec trop d’éloges447. » Tallemant a fait de Montausier un portrait moins idéal. — « M. de Montausier, dit-il, est un homme tout d’une pièce ; madame de Rambouillet dit qu’il est fou à force d’être sage.
On démêle presque toujours, au fond des théories du beau, du bien, de l’idéal, l’aspiration à une place, à une chaire, à un bon logement, — pour le théoricien. […] S’abreuver de ces sourires, de ces regards, de ces langueurs, de ces couleurs pieuses et faites pour peindre de l’idéal, c’était un charme qui nous prenait tous les jours, et tous les jours, nous ramenait vers ces robes bleues ou roses, ces robes de ciel. […] Et Rude soutenait que les Grecs faisaient ce qu’ils voyaient, la nature, avec leur tempérament de grands artistes, mais sans aucune préoccupation ou recherche d’idéal. […] Tout en eux respirait le manque d’éducation, et montrait l’homme du peuple prétentieux, devenu insupportable par je ne sais quel orgueil d’idéal. […] Autour de la table du déjeuner sont le comte Primoli et sa femme, Nieuwerkerke, le vieux Giraudet son fils à la tête frisée, à la fine figure de Méphistophélès, Baudry, Marchal, Hébert qui a quelque chose d’un fumiste de l’idéal, Saintin, Soulié, Arago, dont l’anémie met en ce moment une sourdine à sa blague amusante.
On ne les aperçoit pas à la façon des personnages idéaux, reculés dans une antiquité lointaine, ou confinés dans un ciel supérieur. […] Sans rien rabattre de son idéal, elle s’est réconciliée avec le train courant du monde et n’a plus songé qu’à l’améliorer sans le bouleverser. […] Et pourtant, il imaginait au-delà ; il avait vu la Grèce, il devinait la nudité idéale, la beauté poétique. […] La figure n’est pas à la fois idéale et vivante. […] Avec le naturel inné, la figure idéale exprime aussi la culture acquise.
Son idéal, c’est lui. […] A rien sans doute qu’à un idéal. […] Un mouvement du côté du vrai se marque déjà et surtout un mouvement qui écarte de l’ancien idéal. Or, quel était cet idéal de la génération précédente ? […] L’idéal de la génération précédente était encore le goût de l’extraordinaire.
Ainsi la théorie positiviste du beau dans les lettres et les arts est la plus conforme que je connaisse à l’idéal élevé, sévère et moral de M. […] Il juge les hommes publics d’après un idéal héroïque et chevaleresque. […] Entre ce régime d’idéale sévérité a la Platon et son extrême contraire, je veux dire la reconnaissance aux poètes d’une sorte de magistère et de sacerdoce, il y a un milieu et bien des degrés. […] Il vaut comme signe de l’idéal que le critique oppose à l’œuvre balzacienne. […] Delteil nous donne une série bien ordonnée de vignettes, enluminures et tableaux d’histoire où passe le souffle même de son généreux idéal et où éclate un talent original, animé, gracieux, fastueux dont nous attendons avec amitié les fruits prochains.
Il s’est formé en elle deux Frances qui se dressent menaçantes en face l’une de l’autre, deux nations différant de principes, de convictions politiques, de préférences littéraires, celle-ci tournée avec regret vers l’ancien régime, favorable aux prétentions de l’Eglise, admiratrice forcenée de Bossuet, du xviie siècle, de tout ce qui prêche la soumission aux puissances d’autrefois, celle-là répudiant le vieil idéal catholique et monarchique, proclamant que le xviiie siècle est « le grand siècle » et la Révolution le point de départ d’une ère nouvelle, appelant de tous ses vœux un état social où achèvent de disparaître les privilèges et les entraves du passé. […] On le voit, l’historien idéal, dont nous essayons de préparer la besogne, devra être doublé d’un psychologue rompu aux problèmes si nombreux qui relèvent de la pédagogie. […] Les symbolistes, grands prêtres de l’idéal ressuscité, ont dit bientôt de dures vérités à M.
Son caractère d’idéale mysticité, est surtout rendu sensible par le pianissimo toujours conservé dans l’orchestre, et qu’interrompt à peine le court moment où les cuivres font resplendir les merveilleuses lignes du seul motif de cette introduction. […] Et ce sera l’artiste, l’extraordinaire Ménétrier, qui retient et gouverne la danse idéale des choses, et reste sous elles, ferme et fier, tout entier, dans la complète science de son pouvoir complet. […] L’idéal vers lequel il avait tendu était la pureté, la chasteté absolue.
Tout ce que nous pouvons faire, c’est de tracer artificiellement des divisions idéales dans la série complexe et continue de nos sensations, de nos perceptions, de nos plaisirs et douleurs, de nos appétitions. […] Dans le domaine du sens qui paraît le plus primitif, le toucher, la complexité subsiste, et la simplicité n’est qu’une limite idéale, impossible à atteindre. […] La simplicité est une limite idéale, la complexité et même l’infinité est le réel : l’imagination seule s’efforce de la réduire en points et en atomes, comme aussi en monades.
Nous sommes ici à l’époque chevaleresque, tout à la fin du xiie siècle ou au début du xiie ; un siècle entier s’est écoulé depuis la mort du Cid ; un idéal s’est créé à son sujet : il est devenu une figure noble et pure, et même douce autant que fière, un modèle de chevalerie en cette civilisation féodale. […] Nation étrange et forte qui a enfanté, à quatre ou cinq siècles de distance, à l’origine et au déclin de la chevalerie, ces deux grands types, le Cid et don Quichotte, — l’idéal suprême et sa parodie parfaite, le premier des chevaliers et le dernier !
Il en est de la vie comme de la personne la plus aimée : il n’y a pas tellement loin de la haine passionnée à l’amour ; c’est précisément parce qu’on l’a trop aimée, trop rêvée idéale, cette vie passagère, trop embrassée dans de rares et uniques instants, qu’on se met ensuite, quand on a l’âme grande, à s’en dégoûter opiniâtrement et à s’en déprendre. […] malheur à qui, avec les instincts infinis et le besoin de croire aux consolations éternelles, a senti trop amoureusement cet idéal d’humaine beauté, ce paganisme immortel qu’on appelle la Grèce !
Et Boileau leur dit à tous qu’ils font bien, console leurs disgrâces, célèbre leurs triomphes, leur montre l’idéal, c’est-à-dire la nature, et leur souffle le courage de s’y tenir. […] Mais comment peut-il trouver son idéal réalisé dans Térence, qui n’a point songé à étudier la cour ni la ville ?
Entre l’idéal de l’autorité, tel qu’il apparut à Bossuet sous la forme de la monarchie absolue, tempérée par des lois fondamentales, et les dangereuses rêveries du Contrat social, il manque un corps de doctrines tirées de la science des besoins de l’homme et de l’expérience comparée des sociétés humaines, supérieur à toutes les formes de gouvernement et pouvant les perfectionner toutes. Il eût été digne de Montesquieu d’en avoir l’idée et de tracer un idéal de l’autorité qui fût à jamais une lumière pour les gouvernants, une garantie pour les sujets, un obstacle insurmontable pour quiconque ne peut pas commander et ne veut pas obéir.
» L’idéal du néant, qui fait le fond du bouddhisme, projette ses reflets lugubres sur toute la poésie du Céleste Empire. […] Nous n’aimons pas qu’un poète se prenne à railler la passion, l’idéal, la rêverie, la nature, et se moque du clair de lune et des soirs d’été.
Son idéal eût été, en arrivant à la Cour, de le charmer, de l’amuser par mille divertissements empruntés aux arts ou même aux choses de l’esprit, de le rendre heureux et constant dans un cercle d’enchantements variés et de plaisirs. […] Mais, une fois transportée sur ce terrain glissant de la Cour, elle ne put réaliser son idéal que bien imparfaitement.
Il reste à savoir si, quand on ressent si vivement le regret idéal du passé et de la jeunesse, on n’en a pas des retours, des revenez-y plus vifs qu’il ne faudrait, et qui dérangent à tout moment l’exacte prudence et l’attention qu’exigerait le maniement des grands intérêts humains. […] Ce qui caractérise le poète, c’est d’avoir un idéal, et M. de Chateaubriand, dès les dernières années de l’Empire, s’en était formé un en politique.
Comme tous ceux qui portent en eux l’idéal, il était très vite capable de dégoût et de dédain. […] Il lui prête un rôle impossible après le 20 juin et quand la partie est déjà perdue : ce jour, en effet, qui est déjà celui de la chute du trône, lui paraît pouvoir être le point de départ d’une restauration idéale dont il trace un tableau chimérique et embelli.
L’inclination vers ce que l’on nomme le bien moral suppose toujours un certain degré de prédominance de la faculté d’imaginer sur la sensibilité immédiate : mais elle peut résulter aussi bien, car il ne s’agit là que d’un rapport, de la faiblesse de celle-ci que de la force de celle-là, en sorte que parmi ceux que la morale qualifie bons et qui se conforment aux prescriptions fixées par l’idéal social ou religieux du moment, il y a déjà des différences extrêmes. […] Leur conduite est constamment conforme aux lois de la probité, à la conception que l’idéal de l’époque a formée de l’honnête homme, et à vivre de la sorte, ils rencontrent à la fois la fortune et l’estime publique.
II, § 7, 8, 9], a toujours un objet idéal ; les seuls jugements spontanés qui soient normalement et régulièrement portés sur elle sont ceux que le langage vulgaire réunit sous le nom de comprendre : quand je me parle, je me comprends, c’est-à-dire que je mets des idées sous les mots et des rapports d’idées sous leurs relations syntactiques. […] Sur ce point, comme dans toute sa théorie du langage, Bonald prend pour l’état primitif et constant des phénomènes un état idéal et parfait qui n’est pas même leur état actuel.
La foule allait d’elle-même, déjà tout habituée, au marchand de nouvelles fausses et d’idéal frelaté. […] ils ont, de plus, la certitude d’être entendus lorsqu’ils élargissent l’horizon terrestre et qu’ils expriment un sentiment religieux ; entendus non pas d’une élite, mais du peuple encore pénétré de christianisme, et qui conserve, de ses origines, un idéal divin mêlé à tous les appétits humains.
Il y avait en moi, dans ces années, un trop-plein de sensibilité et d’enthousiasme, un besoin d’admirer et de pousser à l’idéal chaque objet de mon culte, tellement qu’il n’aurait pas été inutile, pour continuer de paraître vrai, que l’objet disparût presque aussitôt, et moi-même peu après.
Tout récemment, dans les feuilles d’un roman non encore publié, qu’une bienveillance précieuse m’autorisait à parcourir, dans les feuilles de Lélia, nom idéal qui sera bientôt un type célèbre, il m’est arrivé de lire cette phrase qui m’a fait tressaillir de joie : « Sténio, Sténio, prends ta harpe et chante-moi les vers de Faust, ou bien ouvre tes livres et redis-moi les souffrances d’Oberman, les transports de Saint-Preux.
Le principal défaut des artistes d’aujourd’hui, peintres ou poëtes, c’est de prendre l’intention pour le fait, de croire qu’il leur suffit d’avoir pensé une belle chose pour que cette chose paraisse belle ; au lieu de se donner la peine de réaliser l’idéal de leur conception, ils nous en jettent le fantôme.
La vie, le sentiment de la réalité, y respirent ; de frais paysages, l’intelligence poétique symbolique de la nature, une conversation animée et sur tous les tons, l’existence sociale du xviiie siècle dans toute sa délicatesse et sa liberté, des figures déjà connues et d’autres qui le sont du moment qu’il les peint, d’Holbach et le père Hoop, Grimm et Leroy, Galiani le cynique ; puis ces femmes qui entendent le mot pour rire et qui toutefois savent aimer plus et mieux qu’on ne prétend ; la tendre et voluptueuse madame d’Épinay, la poitrine à demi nue, des boucles éparses sur la gorge et sur ses épaules, les autres retenues avec un cordon bleu qui lui serre le front, la bouche entr’ouverte aux paroles de Grimm, et les yeux chargés de langueurs ; madame d’Houdetot, si charmante après boire, et qui s’enivrait si spirituellement à table avec le vin blanc que buvait son voisin ; madame d’Aine, gaie, grasse et rieuse, toujours aux prises avec le père Hoop, et madame d’Holbach, si fine et si belle, au teint vermeil, coiffée en cheveux, avec une espèce d’habit de marmotte, d’un taffetas rouge couvert partout d’une gaze à travers la blancheur de laquelle on voyait percer çà et là la couleur de rose ; et au milieu de tout ce monde une causerie si mélangée, parfois frivole, souvent souillée d’agréables ordures, et tout d’un coup redevenant si sublime ; des entretiens d’art, de poésie, de philosophie et d’amour ; la grandeur et la vanité de la gloire, le cœur humain et ses abîmes, les nations diverses et leurs mœurs, la nature et ce que peut être Dieu, l’espace et le temps, la mort et la vie ; puis, plus au fond encore et plus avant dans l’âme de notre philosophe, l’amitié de Grimm et l’amour de Sophie ; cet amour chez Diderot, aussi vrai, aussi pur, aussi idéal par moments que l’amour dans le sens éthéré de Dante, de Pétrarque ou de notre Lamartine ; cet amour dominant et effaçant tout le reste, se complaisant en lui-même et en ses fraîches images ; laissant là plus d’une fois la philosophie, les salons et tous ces raffinements de la pensée et du bien-être, pour des souvenirs bourgeois de la maison paternelle, de la famille, du coin du feu de province ou du toit champêtre d’un bon curé, à peu près comme fera plus tard Werther amoureux de Charlotte : voilà, et avec mille autres accidents encore, ce qu’on rencontre à chaque ligne dans ces lettres délicieuses, véritable trésor retrouvé ; voilà ce qui émeut, pénètre et attendrit ; ce qui nous initie à l’intérieur le plus secret de Diderot, et nous le fait comprendre, aimer, à la façon qu’il aurait voulu, comme s’il était vivant, comme si nous l’avions pratiqué.
Dites que notre littérature est sans choix, désordonnée, impure, pleine de scandales, d’opium et d’adultères ; et l’on va vous citer des œuvres pures, voilées, idéales même avec symbole et quintessence, des amours adorablement chrétiennes, des poëtes qui ont l’accent et le front des vierges.
La même question se reproduit à l’occasion des Moissonneurs de Robert : ici ce n’est pas la vision fantastique et un peu fabuleuse qui empiète sur la nature, c’est l’idéal qui épure et ennoblit celle-ci : « Quelques têtes, dit M.
Est-il impossible de concevoir un genre de comédie où le poète, loin de peindre la réalité comme elle est, transporterait l’action dans un monde fantastique, donnerait à des idées abstraites une existence réelle, aux êtres réels une vie, en quelque sorte, idéale, un corps, une voix à des nuages, une constitution politique aux habitants de l’air ?
Mais ces exceptions mêmes prouvent ce que je dis : si ces rares natures se dispensent de l’ennui de la composition, c’est que, par un don singulier, elles conquièrent d’une seule vue, par une rapide intuition, ce que le vulgaire n’obtient que par la longue patience et l’attention laborieuse : c’est que leur plan s’est fait en un moment, et leur œuvre se développe selon un modèle idéal que leur imagination contemple.
Cela aura pour premier et sensible effet de reporter du dehors au dedans la règle, la loi de la création littéraire, de rendre l’écrivain dépendant de son seul tempérament, de son propre et personnel idéal : à moins — ce qui arrivera aussi — qu’à la tyrannie du monde ne se substitue la tyrannie des écoles, des ateliers, des sociétés professionnelles, imposant d’absolus mots d’ordre, d’exclusives formules, et décriant la concurrence.