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814. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Le roman populaire1 Peut-on citer, dans la littérature française, des exemples de roman populaire ? […] S’ils étaient une seule et même chose, je ne demanderais pas : « Peut-on citer, dans la littérature française, des exemples de roman populaire ?  […] Assurément, il n’arrive à personne de parler de la beauté, de la grandeur d’un feuilleton, de célébrer le style de Ponson du Terrail, l’harmonie des périodes chez Xavier de Montépin, de rechercher, parmi les génies grecs, latins ou français, la filiation littéraire de M.  […] Pour m’en tenir aux Anglais, il est remarquable que leurs romanciers, à la différence des écrivains français, ne s’attachent pas, en général, à l’étude d’un cas de psychologie passionnelle, d’un scrupule, d’un doute, d’une situation intéressante sans doute, mais exceptionnelle, soit en elle-même, soit par la qualité des personnages qu’elle met en scène. […] Non seulement je repousse, comme erronée, l’affirmation qu’il ne saurait exister de grande littérature et de grand art populaire, mais je me demande si notre littérature, et particulièrement le roman français, n’a pas perdu beaucoup à se confiner dans les salons, à se spécialiser, à ne pas s’adresser à ces vastes publics qui exigent tant de clarté, de tendresse et de salubrité.

815. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLIX » pp. 193-194

. — les meilleurs journaux français se font a l’étranger. — brochure du cardinal de bonald. — franciscus columna, par charles nodier. […] Autrefois les meilleurs journaux français se faisaient hors de France, en Hollande, la liberté de la presse n’existant pas au dedans.

816. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gérardy, Paul (1870-1933) »

J’ai dit toute l’admiration que je sentais pour ce jeune poète dont la pensée française se teinte si légèrement de germanisme. […] Non que ce soit là une dépréciation, car il est bon que s’introduise et que s’affirme d’une façon toujours plus définitive, dans la poésie française, ce sens du symbole exprimant indirectement les choses et conservant toute l’ampleur et la profondeur de la signification des images synthétiques, des faits et des êtres transitoires et partiels.

817. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — N — Nolhac, Pierre de (1859-1936) »

[Anthologie des poètes français du xixe  siècle (1887-1888).] […] Gustave Larroumet Ce poète a regardé la nature française et italienne avec cette sorte de mélancolie que donne l’étude de l’histoire ; à vivre avec les morts, on aime d’autant plus les vivants, mais on contracte comme une tristesse reconnaissante qui, dans les choses du présent, fait toujours leur part à ceux qui y ont laissé-leur trace, en y imprimant une beauté matérielle ou morale dont ils ne jouissaient plus… Vous trouverez encore dans ces vers de lettré et d’artiste de curieux essais métriques.

818. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Valade, Léon (1841-1884) »

Heine, traduit en français avec Albert Mérat. — À mi-côte (1874). — L’Affaire Arlequin (1882) […] [Anthologie des poètes français du xixe  siècle (1887).]

819. (1929) Dialogues critiques

Il a été, sa vie durant, la terreur des faussaires, des fumistes et de ses confrères, tant français qu’étrangers qui aiment mieux être roulés à l’insu du public que publiquement détrompés. […] Paul Très peu, ni seulement de connaître le mot français de J. […] Doumic n’osait même pas imprimer dans son Manuel de littérature française ce nom qui faisait scandale. […] Hugo n’en demeure pas moins le plus grand poète français. […] Pierre Voici l’Académie française qui se porte à l’aide de l’Académie Goncourt.

820. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

L’unique différence, c’est qu’autrefois le cuisinier français était un cuisinier grec, qui s’appelait Aristote ; tandis qu’aujourd’hui, M.  […] La réalité des portraits l’enchante dans le comique français ; dans le poète grec et dans Shakespeare, la fantaisie des tableaux lui cause le même enchantement. […] Mais pourquoi ne comprenez-vous pas le comique du Shakespeare et de l’Aristophane français aussi bien que la France et que l’Europe ; pourquoi ? […] Voyez le Chœur des Français dans la Ire partie. […] Voyez le Chœur des Français dans la première partie.

821. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Mais Diderot s’est trouvé être un petit bourgeois français condamné à perpétuité au labeur de bureau, à l’écrivasserie : la société l’a nourri, élevé, absorbé. […] Il distribue dans les rues une circulaire à tout Français aimant Injustice. […] Rousseau est Genevois, d’une famille française établie depuis cent cinquante ans dans la ville. Ainsi il a échappé à l’éducation française, aux conventions mondaines, aux règles littéraires qui falsifient chez nous les tempéraments dès l’enfance ; il y a échappé non en lui seulement, mais en ses ascendants : le fond français qu’ils lui ont transmis, c’est celui qui n’avait pas été travaillé encore par la culture classique. […] Merlet et Lintilhac, Études littéraires sur les classiques français, t. 

822. (1903) La renaissance classique pp. -

Notre vérité, c’est la vérité française. […] Nous le rétablirons dans sa pureté originelle et française. […] Les États socialistes seraient patriotes pour la même raison que la Révolution française, — pour se défendre d’abord ! […] L’ouvrier français est le rebut des chantiers du monde. […] Quant à nous Français, si le but, hélas !

823. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

Il y a ensuite le Français enrichi. […] Elles mettent tout le poids de leur opinion dans le plateau français de la balance. […] Y aura-t-il un Français qui se sente engagé par ses engagements ? […] En quoi diffèrent les rôles d’un juge anglais et d’un juge français ? […] Naville le présente, il ne semble pas approprié à la majorité des électeurs français.

824. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

Et pourtant c’est celui-là qui a tout à fait habitué la nation française à ce laisser-aller de tous les jours. […] Alexis Monteil a composé ses huit gros tomes de l’Histoire des Français des divers états. […] Villemain. — Son style. — État présent de la langue française. — Invasion des barbares. — Conclusion. […] La presse française, à défaut d’autres victimes, a déversé sur elle-même la bave et l’injure, l’outrage et le sang. […] L’autre jour encore, nous menions à sa dernière demeure le rédacteur en chef du Courrier français, M. 

825. (1923) Critique et conférences (Œuvres posthumes II)

Rimez faiblement, assonez si vous voulez, mais rimez ou assonez, pas de vers français sans cela. […] Et ce cinquième acte, ne hausse-t-il pas à la taille de Roméo et Juliette les deux amants du drame français ! […] Siméon Pécontal, lauréat de l’Académie française, bien méritant, quoi qu’en dise M.  […] Car Tragaldabas a été sa dernière préoccupation, et l’on se rappelle que tout à fait à la veille de sa mort il venait de retirer sa comédie du Théâtre Français pour la donner à Sarah Bernarhdt. […] chefs-d’œuvre d’invention ultra-moderne tout en restant dans la pure tradition française du xviiie  siècle.

826. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

Au titre de l’ouvrage, on croirait l’auteur de Lausanne même ou de la Suisse française. […] Son nom est à ajouter à cette liste d’illustres étrangers qui ont cultivé et honoré l’esprit français, la littérature française au dix-huitième siècle, tels que le prince de Ligne, Mme de Krüdner. […] Quelque chose du détail hollandais, mais sans l’application ni la minutie, et avec une rapidité bien française. […] — Non, des Françaises. […] C’est du meilleur français, du français de Versailles que le sien, en vérité, comme pour Mme de Flahaut.

827. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

Ils s’intituleraient Bayard, Godefroy de Bouillon et Jeanne d’Arc, ils ne seraient pas plus français. […] Émile Augier est un des plus respectables parmi ceux qui représentent l’officielle littérature française. […] Et Musset — qui a beaucoup des vices et toutes les qualités du génie français — fut logique comme ce génie. […] C’est que seul il échappe ace triple malheur du caractère français : le didactique, le critique et l’ironique. […] Toute la musique moderne française, pour rester toujours à ce seul point de vue (MM. 

828. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

Si c’était pour arriver à ce gouvernement de vaines paroles et d’odieuses intrigues qu’on avait traversé la mer de sang de 1793, le carnage militaire de quinze ans d’empire, la réaction armée de l’Europe contre la France en 1814, le retour du despotisme soldatesque de l’île d’Elbe en 1815, l’expulsion de trois dynasties en un jour de 1830 et les dix ans de dynastie agitatrice en 1840 ; en vérité, le résultat de tant d’efforts pour arriver à diviser la France en deux camps, comme les verts et les bleus du Bas-Empire à Constantinople, entre des ministres, racoleurs de factions, coureurs de majorité au but des portefeuilles dans le stade de la rue de Bourgogne à Paris, en vérité, me disais-je, ce résultat de tant d’événements n’en vaut ni le temps perdu, ni le sang versé, ni la grande émotion des esprits en 1789 par la pensée du dix-huitième siècle, ni la grande convulsion de la Révolution française en 1791. […] Ne serait-il pas possible de retrouver ce sens vrai de la Révolution française en remontant à son origine et à ses premiers organes, d’en dégager la juste signification des passions et des crimes à travers lesquels elle a perdu son caractère et son but, et de rappeler ainsi la France de 1840 à la philosophie sociale et politique dont elle fut l’apôtre et la victime pour devenir, quoi ? […] Je voulais faire un code en action de la république future, si, comme je n’en doutais déjà plus guère, une république, au moins temporaire, devait recevoir prochainement de la nation et de la société françaises le mandat de la nécessité, le devoir de sauver la patrie après l’écroulement de sa monarchie d’expédient sur la tête de ses auteurs ; que la prochaine république fût au moins girondine au lieu d’être jacobine. […] La république se présentait sans doute à mon esprit, mais elle s’y présentait comme une possibilité improbable plutôt que comme un but arrêté ou même désirable encore ; seulement je voulais, dans le cas où la nation se réfugierait, après le renversement du trône d’Orléans, dans la république, qu’une histoire consciencieusement sévère de la première république eût prémuni le peuple français contre les mauvaises passions, les illusions, les fanatismes, les crimes et les terreurs qui avaient perverti, férocisé et ruiné la première fois le règne du peuple. […] VI La révolution vraie, selon moi, ne s’exprimait que par trois principes ou plutôt par trois tendances légitimes, résultat de mes études et de mes réflexions sur la vraie nature et sur les vrais dogmes de la rénovation française.

829. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (3e partie) » pp. 161-219

Pendant l’espace de cinq mois je vis se succéder des jours plus sombres les uns que les autres, précurseurs de l’irruption des armées françaises venant à Rome pour renverser ce gouvernement dont je faisais partie, quoique sans mérite de ma part. […] « Le 20 juin 1809, cette crise finale éclata ; on déclara l’abolition de la souveraineté pontificale et l’annexion des États de l’Église à l’empire français. […] Consalvi avait donné à ce frère du général français, émigré à Rome pendant la terreur et après, toute la protection papale à sa disposition. […] L’empereur Napoléon lui fit écrire de venir à Paris toucher les 30 000 F auxquels son titre de cardinal français lui donnait droit. […] « Voulant me rappeler à votre bon souvenir, j’ai pris la liberté de faire adresser à Votre Éminence quelques échantillons de nos serres françaises.

830. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Le 15 août, quelques Français allant de Bayreuth à Dresde par Prague, ont entendu dans cette ville, grâce à l’obligeance de M.  […] Gura, sans qualités exceptionnelles, mais sans défauts gênants ; le cas de madame Vogl commence à inquiéter les spectateurs français. […] Lamoureux se propose de nous faire entendre, outre Lohengrin, deux ouvrages importants, l’un d’un maître français, l’autre d’un célèbre compositeur étranger. […] Quant à François Adrien Boieldieu (1775-1834), c’est un compositeur français, considéré comme le fils spirituel de Grétry. […] Cette critique d’un illustre wagnérien n’est pourtant pas partagée par Wagner lui-même, qui consacra au compositeur français un texte intitulé Souvenirs sur Auber (tome IX de l’édition française des Œuvres en prose, p. 183-287).

831. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

Nous passons aujourd’hui chez le vieux Barrière, si paternel pour nous à l’occasion de l’Histoire de la société française pendant la Révolution. […] On était près de La Belle Française. — J’entre ici un instant, fait-elle. […] * * * — Il reste à exprimer en littérature la mélancolie française contemporaine, une mélancolie non suicidante, non blasphématrice, non désespérée, mais la mélancolie humoristique : une tristesse qui n’est pas sans douceur et où rit un coin d’ironie. […] Bougival, l’atelier du paysage de l’école française moderne. […] Et l’on se promène dans de la nature, dont on vous crie aux oreilles : « Ceci a été peint par ***, ceci a été fusiné par ***, ceci aquarellé par ***. » Ici, dans l’île d’Aligre, devant les deux catalpas formant un A sur le ciel, on vous avertit que vous êtes devant le premier tableau de Français, et l’on vous fait revoir la petite femme nue, couchée sur une peau de tigre, en la légère et gaie verdure de la campagne parisienne ; là — l’histoire est vraiment plaisante — là, c’est là que se dressait une magnifique et orgueilleuse plante, entrevue au coucher du soleil par Français, rêvant toute la nuit d’en rendre, le lendemain, l’élancement vivace et la délicate dentelure des feuilles.

832. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lacroix, Jules (1809-1887) »

[Anthologie des poètes français du xixe  siècle (1887-1888).] […] Sophocle d’aussi près que le permettaient la nature de l’alexandrin français et les exigences de la rime.

833. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rameau, Jean (1859-1942) »

[Cité dans l’Anthologie des poètes français du xixe  siècle (1887-1888).] […] [Anthologie des poètes français du xixe  siècle (1887-1888).]

834. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Conclusions » pp. 178-180

Conclusions À suivre Anatole Baju et Léon Deschamps, nous nous sommes écarté un peu des limites tracées à cette étude où nous n’avions d’autre but que de marquer une étape du lyrisme français de 1870 à 1890. […] Charles Morice médite l’École française et M. 

835. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Mais auparavant j’ai à donner, à ceux de nos lecteurs qui ne la connaîtraient pas, une première idée de la personne distinguée dont il s’agit et dont le nom a quelque effort à faire, ce semble, pour courir aisément sur des lèvres françaises, — pour se loger dans les mémoires françaises. […] Le monde français, même le plus actif et le plus animé, ne connaît pas cet échauffement, cette surexcitation d’idées et de questions qu’apportent avec eux, quand ils s’en mêlent, ces Français du dehors, voisins de l’Orient et qui n’ont pas trouvé leur centre. […] Un salon où l’on ne peut suivre ou rejoindre la femme qu’on préfère, la distraire d’un groupe qui l’environne, l’entretenir à l’ombre et à demi-voix quelques instants, lui adresser une partie de la conversation plus générale où l’on se surprend à briller et dont on est récompensé d’un regard, n’est pas un salon pour moi : ne disparaissez jamais du salon français, soins animés et constants, vil désir de plaire, grâces aimables de la France ! […] ce n’est pas là un salon ; les quelques jeunes femmes qui y passent, avant de se rendre au bal sous l’aile de maris exemplaires, et qui viennent y recevoir comme une absolution provisoire qui, plus tard, opérera, ne me font pas illusion : c’est un cercle religieux, une succursale de l’église, — donnez-lui le nom que vous voudrez, — un vestibule du Paradis, « une maison de charité à l’usage des gens du monde. » Salon français de tous les temps, d’où me reviennent en souvenir tant d’Ombres riantes, tant de blondes têtes et de fronts graves ou de fronts inspirés, passant tour à tour et mariant ensemble tout ce qui est permis à l’humaine sagesse pour charmer les heures, enjouement, audace, raison et folie, — je ne te reconnais plus !

836. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Collé, d’ailleurs, dégoûté pas l’accueil et la morgue des comédiens français, moins accessibles alors qu’aujourd’hui, n’y revint guère, et son théâtre de société, le théâtre du duc d’Orléans, fit, tant qu’il dura, son occupation et ses délices comme il est sa véritable originalité. […] En politique, comme en comédie, c’était un admirateur de Henri IV, et il eût pu être, s’il eût vécu en ce temps-là, l’un des chansonniers de la Ménippée : il aimait, presque à l’égal de la gaîté française, les vieilles libertés françaises et les franchises de nos pères ; il faut voir comme il daube à l’occasion, dans son Journal, sur le chancelier Maupeou, « ce Séjan de la magistrature. » Il donne à plein collier dans l’opposition parlementaire, mais il ne voit rien au-delà. […] Collé, de sa personne, était et reste, à nos yeux, le plus parfait exemple, et peut-être le dernier, de la pure race gauloise non mélangée ; c’est le dernier des Gaulois : ennemi de l’anglomanie, de la musique italienne, des innovations en tout genre, ennemi des dévots et des Jésuites, il ne pouvait non plus souffrir Voltaire, trop brillanté selon lui, trop philosophique, trop remuant, un Français du dernier ton et trop moderne, il l’appelait « ce vilain homme », et il abhorrait aussi Jean-Jacques à titre de charlatan. […] Ici on touche aux bornes de l’esprit de Collé ; il ne sent pas que Rousseau a donné un heurt à l’esprit français, à l’imagination française, à bout de voie et tombés à la fin dans l’ornière, et qu’il a dû faire un grand effort, qu’il a dû mettre en avant la torche et le flambeau pour les faire avancer.

837. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

« Adieu, mes frères et sœurs, pensez à la jeune Française et aimez-la ; — j’offre tous mes baise-mains et respects fidèles à ma bonne maman. » Tout cela n’est pas extraordinaire, dira-t-on, de la part d’une jeune fille qui quitte pour la première fois sa mère ; mais c’est précisément parce que c’est ordinaire et naturel que c’est bien. […] « Alors on m’a présenté ma maison française, et j’ai quitté mon île pour entrer dans Strasbourg : — du canon, des cloches, plus de bruit que n’en mérite votre petite sœur ! […] À Strasbourg elle écrit à sa mère, et avec elle, elle est plus optimiste, elle voit plus en beau, elle lui dit tout ce qui peut la rassurer et montrer le côté serein des choses (8 mai 1770) : « Quel bon peuple que les Français ! […] J’avais déjà bien du penchant pour les Français, et sans tous ces compliments qui montrent qu’ils attendent trop de moi, je sens que je serais à mon aise avec eux. » De Strasbourg on va à Nancy. […] » Marie-Antoinette a-t-elle été aussi Française qu’elle aurait pu l’être ?

838. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

Mais ils reçoivent des nouvelles de leurs pays, de leurs familles ; et l’on conçoit comment peut là-dessus s’exercer l’imagination d’un jeune Français sous la Régence, avec quelle curiosité libertine il mettra en scène la vie oisive et voluptueuse du sérail, des femmes très blanches surveillées par des eunuques très noirs, des passions ardentes, des jalousies féroces, des désirs enragés. […] C’est un peintre de mœurs charmant, délicat, ingénieux ; c’est un maître écrivain, qui excelle à mettre en scène, comiquement, un travers, un préjugé : mais son observation a la portée du Français à Londres de Boissy, et du Cercle de Poinsinet. […] L’Esprit des Lois se terminera par cinq livres qui sont une œuvre rigoureusement technique d’érudition juridique ; ce sont, dit le titre, « des recherches nouvelles sur les lois romaines touchant les successions, sur les lois françaises et sur les lois féodales », qui sont comme le fragment et le début d’une étude d’ensemble sur les origines de la législation française. […] On n’aime pas alors l’histoire pour elle-même ; et il n’est personne, dans ces études, qui ne recherche les remèdes des maux dont souffre la monarchie française. […] Une voix grave, modérée et forte, dénonçait les abus de la monarchie française, les taches de la civilisation : elle indiquait un idéal, qui apparaissait comme absolument pratique, de gouvernement libéral et bienfaisant ; elle traduisait le sentiment de tous les cœurs en protestant contre les autodafés et contre l’esclavage des nègres.

839. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre I. »

Ceux transcrits au cours des années 1911 et 1912 ont été traduits par Samako Niembélé, un interprète intelligent, parlant assez correctement le français et je pourrais dire qu’ils sont plutôt son œuvre que la mienne, si je n’avais essayé, par quelques mots changés çà et là, de donner à son style la vivacité et l’expression qu’il ne pouvait, malgré une connaissance assez avancée de notre langue, lui communiquer autant qu’il l’aurait souhaité. […] Ce sabir contient en puissance le patois futur de l’A.O.F. dont le français restera — nous y comptons — la langue officielle et littéraire. […] C’est pourquoi le sous-titre « Contes indigènes de l’Ouest-Africain, français » semble pouvoir être maintenu. […]   ARCIN,La Guinée française. […] Arcin, La Guinée française.

840. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

Quelques esprits pleins de fraîcheur, mais ignorant parfaitement dans leur virginité française tout ce qui se brasse de paradoxes outre-Rhin, avaient poussé leur petit cri d’admiration, en humant le matin avec leur café des idées qui leur semblaient nouvelles. […] Renan a oublié de citer l’homme qui, dans un livre intelligible et français, a posé l’idée générale qui domine la critique de détail dont on est si fier aujourd’hui et dont on attend tant de ruines. […] « La religion, dit-il, en même temps qu’elle atteint par son sommet le ciel pur de l’idéal (par exemple, Benjamin Constant, qui filtrait son eau du Rhin avant de la boire, était trop spirituel et trop Français, lui ! […] Malgré l’expression qui veut les réchauffer, on sent comme un froid vipérin s’exhalant de toutes ces pages mortes et déjà fétides, de toutes ces vésanies allemandes dont un Français avait mieux à faire que de se faire le chiffonnier ! […] Avant de l’attaquer, ils le saluent, comme les Français saluaient les Anglais à Fontenoy.

841. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Tous ces brillants couplets et ces jets de verve que leur succès même a usés depuis, mais qui dans la poésie française étaient alors si nouveaux : Amour, fléau du monde, exécrable folie, etc.  […] de son vice et de son mal, il était si charmant, si hardiment jeté, il était l’occasion de si beaux vers, les deux cents vers les mieux lancés et les plus osés que la poésie française se fût jamais permis, que l’on concluait avec le poète lui-même en disant : Que dis-je ! […] Tant qu’il y aura une France et une poésie française, les flammes de Musset vivront comme vivent les flammes de Sapho. — À ces quatre Nuits célèbres, n’oublions pas d’ajouter un Souvenir qui s’y rattache étroitement, un retour à la forêt de Fontainebleau, qui est d’une émouvante et pure beauté, et, ce qui est rare chez lui, d’une grande douceur. Il y eut dans cette vie rapide un favorable moment où, pendant l’intervalle et au lendemain des crises, la fatigue déjà venue laissait pourtant à la parole d’Alfred de Musset toute sa fraîcheur, en même temps qu’il s’y mêlait une finesse nouvelle de pensée, une ironie, une légèreté moqueuse, la plus aisée et la plus française peut-être depuis Hamilton et Voltaire.

842. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « JULES LEFÈVRE. Confidences, poésies, 1833. » pp. 249-261

Lefèvre remontait aussi aux poëtes français du seizième siècle ; il notait chez eux les vers dignes de mémoire, les expressions qui méritaient de revivre. […] L’auteur affecte le genre de Swift, de Jean-Paul surtout ; il exalte celui-ci et a le style blasonné de la sorte ; mais combien c’est pire en français ! […] Sir Lionel se plaint de la difficulté qu’il éprouve à manier le français, quoique ce soit sa langue maternelle (Lionel, né en France, a été élevé et naturalisé en Angleterre). […] Jules Lefèvre écrirait probablement mieux en anglais qu’en français.

843. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

La littérature du siècle de Louis XIV repose sur la littérature française du xvie et de la première moitié duxviie  siècle ; elle y a pris naissance, y a germé et en est sortie ; c’est là qu’il faut se reporter si l’on veut approfondir sa nature, saisir sa continuité, et se faire une idée complète et naturelle de ses développements. […] On ne porterait de Molière qu’un jugement imparfait et hasardé si on l’isolait des vieux écrivains français auxquels il reprenait son bien sans façon, depuis Rabelais et Larivey jusqu’à Tabarin et Cyrano de Bergerac. […] Et, d’abord, on a droit de regarder comme non avenus, par rapport à La Fontaine et à son époque, les anciens poëmes français antérieurs à la découverte de l’imprimerie, si l’on excepte le Roman de la Rose, dont le souvenir s’était conservé, grâce à Marot, durant le xvie  siècle, et qu’on lisait quelquefois ou que l’on citait du moins. […] Quant aux auteurs français, il avait ceux du temps, passablement nombreux, et la littérature du dernier siècle, qui était encore fort en vogue, surtout hors de la capitale.

844. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

L’honneur de la Plume fut de ne jamais mentir à son programme de revue française de jeunes et d’être restée une tribune accueillante. […] Les numéros spéciaux consacrés à Baudelaire, à Verlaine, à Moréas, à Maeterlinck, à Barrès, aux Félibres, aux Décadents, aux Symbolistes, à l’Occultisme, etc., en font une sorte d’encyclopédie des lettres françaises. […] Gandillot brillait d’un vif éclat et Francisque Sarcey, au nom du bon sens et de la vieille gaieté française, imposait un idéal médiocre. […] Grâce à lui, la foule apprit avec stupeur que le vicomte de Bornier n’incarnait pas à lui tout seul la Poésie française et qu’il y avait une autre esthétique que celle de Francisque Sarcey.

845. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1852 » pp. 13-28

Il a mis dans sa préface : les auteurs qui vont louer leurs livres au cabinet de lecture… Et ce Pyat… J’ai voulu devant les magistrats dire toute ma conduite, montrer toute ma vie… Mais quand on me dit que je ne sais pas le français, moi, qui ne sais que cela… car je ne sais ni l’histoire, ni la géographie, ni rien… mais le français, cela me paraît prodigieux… Tout de même, ils ne m’empêcheront pas d’avoir tout Paris à mon enterrement !  […] Il nous montre une lettre de Victor Hugo, apportée par Mlle Thuillier, et où il nous fait lire cette phrase : « Il fait triste ici… il pleut, c’est comme s’il tombait des pleurs. » Dans cette lettre, Hugo remercie Janin de son feuilleton sur la vente de son mobilier, lui annonce que son livre va paraître dans un mois, et qu’il le lui fera parvenir dans un panier de poisson ou dans un cassant de fonte, et il ajoute : « On dit qu’après, le Bonaparte me rayera de l’Académie… Je vous laisse mon fauteuil. » Puis, Janin se répand sur la saleté et l’infection de Planche, sa bête d’horreur : « Vous savez, quand il occupe sa stalle des Français, les deux stalles à côté restent vides. […] » Une petite actrice des Français, dont je ne sais pas le nom, lui demandant s’il a vu une pièce quelconque : « Comment, s’écrie Janin, en bondissant sur son fauteuil, vous n’avez pas lu mon feuilleton ! 

846. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers populaire  »

  Le vers populaire français est un vers syllabique. […] Des expressions qui semblent de terribles lieux communs reviennent avec insistance ; il faut les comprendre : Dans la bouche des filles, mon cœur volage, mon cœur en gage, mon avantage, etc., sont toujours un euphémisme pour un mot trop clair et devenu trop brutal, que le vieux français traitait avec moins de réserve. […] D’ailleurs, presque tout ce qui, de la chanson populaire, arrive au jour, se compose de fragments informes, pleins de trous, de grossiers rafistolages ; il n’y a, en langue française, du moins, que très peu de ces ballades entièrement belles et sans bavures217. […] La Triste Noce, assez peu connue, est, dans sa simplicité tragique, une des plus mémorables parmi les grandes ballades françaises et, ce qui est fort rare, elle paraît intacte et complète : J’ai fait l’amour sept ans, Sept ans sans en rien dire, Ô beau rossignolet, J’ai fait l’amour sept ans Sept ans sans en rien dire.

847. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre II. Mademoiselle Mars a été toute la comédie de son temps » pp. 93-102

Elle a en elle-même tous les instincts de la vieille société française, depuis longtemps éteinte, et qu’elle n’a pu deviner qu’à force de goût, d’élégance et de génie. […] « Il y avait, à ce qu’on rapporte, sur cette même scène française, un grand comédien nommé Baron, que Molière avait élevé lui-même. […] — À elle seule, cette femme, et grâce à cet instinct merveilleux qui ne l’a jamais trompée, elle a été renseignement universel de ce temps-ci ; elle a remplacé cette vieille société française que la révolution avait emportée dans un pan de sa robe sanglante ; elle a retrouvé l’élégance, la politesse, le bon goût, l’ajustement ; que dis-je ? elfe a retrouvé l’urbanité française, qui s’était perdue dans les tempêtes, et voilà par quelles couronnes nous la récompensons ! 

848. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre premier. Mme de Staël »

Pas de doute, pourtant, que cette femme, aux relations immenses, et plus Européenne encore que Française, qui touchait aux plus hautes sociétés de son temps et dont l’esprit, tout le temps qu’elle vécut, ressembla à l’urne penchée et bouillonnante d’un fleuve, n’ait laissé derrière elle d’autres lettres que celles qui ont donné sa goutte de vie à ce maigre livre de Weymar et Coppet, mort-né, sans ces lettres ! […] Elle a fait plusieurs espèces de livres, soit des romans, comme Delphine et Corinne, soit des livres d’histoire et de politique, comme les Considérations sur la Révolution française, soit de philosophie morale, comme l’Influence des passions, soit de critique littéraire, mêlée de philosophie et de métaphysique, comme l’Allemagne ; et dans tous ces divers ouvrages, on trouve une écrivain d’un prodigieux talent. […] Quelle femme, en effet, dans la littérature française, pourrait être mise impunément à côté de Mme de Staël ? […] Ce n’est pas Mme Sand qui nous aurait fait accepter, avec ce talent qui est une magie, tous les écrivains de l’Allemagne sur le pied des plus hautes puissances intellectuelles, et nous les eût fait avaler, à nous autres railleurs français, pomme des hosties consacrées, alors que la plupart d’entre eux n’étaient guère que des pains à cacheter !

849. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Chine »

C’était donc une histoire de la Chine que nous allions lire, écrite en français par deux Chinois… presque, et par deux Chinois à boutons de nacre, deux mandarins ! […] Ces messieurs, qui sont, comme nous l’avons dit, des sinologues fort distingués, et qui pensent peut-être très fortement en chinois, se relâchent en français et ne sont plus en cette langue que de modestes compilateurs. Ils ont rapproché des travaux épars çà et là, et ils ont formé de ces détails une espèce de synchrétisme historique où la confusion des faits entassés produit quelque chose de très chinois, car cela manque entièrement de perspective et de cette clarté qui est la vie des livres écrits en français. […] Sera-ce le Chinois, le Chinois, le plus faible de tous les peuples, qui se multiplie par la polygamie et se consomme par l’infanticide ; dont les troupes innombrables n’ont pu résister, même avec de l’artillerie, à quelques hordes armées de flèches ; qui, même avec l’imprimerie et quatre-vingt mille caractères, n’a pas su encore se faire une langue que l’étranger puisse apprendre ; qui, avec quelques connaissances de nos arts et la vue habituelle de notre industrie, n’a pas fait un pas hors du cercle étroit d’une routine de plusieurs mille ans… peuple endormi dans l’ombre de la mort, cupide, vil, corrompu, et d’un esprit si tardif qu’un célèbre missionnaire écrivait qu’un Chinois n’était pas capable de suivre dans un mois ce qu’un Français pourrait lui dire dans une heure.

850. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rigault » pp. 169-183

Je crois le savoir, pour nous autres Français, du moins. […] Poétiquement, Horace me fait l’effet d’une espèce de Ronsard romain, mais avec beaucoup plus de goût, de mesure, de tact que le Ronsard français, et avec une bien autre langue, une langue dans laquelle Virgile avait chanté ! […] Du moins, l’Horace de Passy, dont la gloire est déjà baissée, sentait la patrie et pleura Sainte-Hélène… Et quant à l’autre Horace français dont Louis XIV fut l’Auguste, ce Boileau qui n’admettait pas Dieu pour être tranquille, cette âme droite, sérieuse, austère, qui tira toute sa poésie de la raison, cette maîtresse faculté de l’homme, l’Horace latin ne sert qu’à montrer combien il est grand, malgré l’imagination qui lui manque. Comparez leurs Satires, leurs Épîtres, leur Art poétique, dont l’un est un poème et l’autre une Épître aux Pisons, et vous verrez si l’esprit, la verdeur, le mordant, la raison assaisonnée ne sont pas en de bien autres proportions dans le poète français que dans le poète latin, aux grâces si sobres qu’elles en sont maigres.

851. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Joubert » pp. 185-199

Ce littérateur amateur, qui ne fit point de littérature comme nous autres les faiseurs de livres, ce paresseux occupé, ce penseur pour la volupté pure de penser, cet écrivain qui, comme il l’a dit, et même comme il en a fait un précepte, attendait, pour écrire un mot, que la goutte d’encre qui devait tomber de sa plume se changeât en goutte de lumière, ce sybarite de l’esprit qui passa sa vie à bien déplier ses feuilles de rose pour ne pas en trouver le repli qui l’aurait fait souffrir, fut une rareté dans la littérature française en ne voulant rien être du tout. Lui, le plus français des écrivains par la beauté de la langue et ses grâces, il n’avait pas la furie française, et même il eut la qualité anti-française qu’estimait le plus Henri Beyle, son antipode : quand il faisait ou écrivait quelque chose, il ne pensait pas au voisin. […] — de ce siècle de vautrerie et de ribauderies, où le porc appesanti des soupers de Louis XV et du baron d’Holbach devient le sanglier d’Érymanthe de la Révolution française.

852. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. le vicomte de Meaux » pp. 117-133

Tolérant ou toléré, du reste, la tolérance est si chère à M. de Meaux, que dans cette furieuse et religieuse histoire du xvie  siècle, où il s’agit de la Vérité absolue pour ceux qui y croient contre l’Erreur absolue pour ceux qui n’y croient pas, il s’est volontairement détourné des faits immenses et terribles de la Monarchie française déchirée dans sa Tradition et dans l’esprit de sa Constitution, et des hommes de ce temps qui furent parfois également sublimes dans le bien et dans le mal, pour ne voir uniquement que ce petit résultat exquis de la tolérance distillée de la fatigue et de l’indifférence des âmes, et qui lui paraît, à ce grand pharmacien historique, le cordial qui doit réconforter les peuples vieillis et les empêcher de mourir ! […] Il a vu, en effet, avec un bon sens que sa préoccupation de tolérance n’a pas toujours égaré, que la nation française était encore, à cette époque, catholique jusque dans le fond de ses entrailles, et que le Protestantisme, qui éteint tout, était essentiellement antipathique à l’esprit français, qui n’aime que ce qui est brillant. […] Les protestants, qui n’ont pas été écrasés, eux, mais admis au partage de la France, sont, contre l’Église, devenus des protestants d’un bien autre calibre que les premiers. — Ils sont devenus les négateurs impies du xviiie  siècle, ils sont devenus la Libre Pensée, et la Révolution française et toutes les autres révolutions qui l’ont suivie et qui vont suivre : Que de filles, grand Dieu !

853. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

L’abbé Christophe ne s’est peut-être pas souvenu, lui, prêtre français, que ce fut le clergé français qui transforma le concile de Bâle en un conciliabule d’insurrection, comme il avait été déjà la cause première du grand schisme d’Occident.« Ce fut encore le clergé français, — dit très bien Rohrbacher, qui ne bronche pas, lui, quand il s’agit de marcher sur le corps des mauvaises doctrines et qui ne bégaie pas quand il faut être net, — ce fut encore le clergé de cette France à laquelle on fait honneur en l’appelant chrétienne, qui y ajouta un troisième schisme, celui du conciliabule de Pise, et dans ces deux siècles (le xive et le xve ) ne produisit ni un saint, ni un docteur d’une doctrine entièrement approuvée par l’Église. […] Il fallut que Léon X la condamnât par une bulle, et, depuis, quel beau et terrible livre on pourrait écrire sur les infidélités du clergé français ! 

854. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

Sans doute, monsieur le ministre, la pensée de l’arrêté du 12 octobre 1851 n’a pas été de provoquer sur la première scène française la création d’un genre exclusivement moral, qui ne s’attacherait à présenter que des exemples vertueux, et à en tirer directement des leçons : un tel genre a été tenté en d’autres temps et n’a produit bien vite que monotonie, emphase et déclamation suivie de beaucoup d’ennui. […] Le but moral largement conçu, comme il doit l’être pour la scène française, nous semble être de ce côté. […] Ici, monsieur le ministre, la Commission a pu regretter que le second Théâtre-Français, dont l’objet est de concourir le plus possible avec la première scène française dans les mêmes genres à la fois dramatiques et littéraires, n’eût point obtenu, dans l’arrêté, un article à part qui permît de considérer en elles-mêmes les pièces qui y sont représentées, sans qu’on fût obligé de les comparer avec des ouvrages d’un genre et souvent d’un ordre tout différent.

855. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XIX » pp. 76-83

Jamais, depuis qu’on fait des vers français, on n’a aussi peu rimé ; il faudrait remonter aux chroniqueurs en vers du xiiie  siècle. […] — On a eu à l’Académie française la grande séance annuelle poétique et pathétique (20 juillet), prix de poésie, prix de vertu, etc. […] me disait-on un jour. — Oui, ai-je répondu, elle a l’air d’être belle. — Voilà ce qu’il faut à l’Académie française prise en masse.

856. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Réception à l’Académie Française »

A. de Lamartine : Réception à l’Académie Française 3 avril 1830. […] Auteur dramatique, écrivain monarchique et religieux, l’un des fondateurs de la Société des Bonnes-Lettres, nommé de l’Académie française en 1817. […] Nous ne pouvons que renvoyer le lecteur à l’article du 13 avril 1830, que nous avons déjà eu l’occasion de reproduire dans l’appendice du tome XII des Nouveaux Lundis (page 445), sur l’élection alors récente de M. de Pongerville, successeur de M. de Lally-Tollendal à l’Académie française.

857. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. Lettres philosophiques adressées à un Berlinois »

Son style, au reste, la liberté de ses tours, sa nouveauté et son éclat d’expression, l’acception excellente et parfaitement française des mots qu’il emploie et qu’il découvre presque, au sein de la langue du xviie  siècle, ces qualités si rares, et que M.  […] Lerminier passe outre ; renouant étroitement avec la philosophie du xviiie  siècle et avec la Révolution française, seules origines fécondes et génératrices pour notre âge, il se pose en plein les problèmes sociaux qui, voilés durant quinze ans d’un rideau fleurdelisé de théâtre, ont été de nouveau démasqués par les trois jours. […] Cette démocratie française se montrera avant tout calme, intelligente, civilisatrice, souverainement ingénieuse par ses arts et par son génie ; elle pratiquera la clémence et la gloire.

858. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mallarmé, Stéphane (1842-1898) »

[Anthologie des poètes français du xixe  siècle (1887-1888).] […] Mais il reprenait ainsi, en les conduisant, il est vrai, à l’extrême, les traditions les plus anciennes des lettres françaises. […] Mais la tradition française est plus sobre quant aux moyens extérieurs, et moins sentimentale que logicienne.

859. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre X. Zola embêté par les jeunes » pp. 136-144

Moréas est-il moins précieux chanteur de Madeline et d’Æmilius, après avoir expliqué, sur une table du café Voltaire, l’évolution de la littérature française, par le jeu étonnamment simplet de quelques moitiés d’allumettes ? […] Pendant un quart de siècle, quelques écrivains laborieux et artistes ont fait, pour le roman, pour le théâtre, pour la langue française, de braves efforts et de réelles conquêtes. […] Dans les seules lettres françaises, ils s’appellent Charles Sorel, Furetière, Saint-Évremond, Le Sage, Restif, Laclos, Balzac, Flaubert, et ceux que j’oublie.

860. (1888) La critique scientifique « Appendice — Plan d’une étude complète d’esthopsychologie »

Caractère verbal, général de toute la littérature poétique, française, contemporaine, avec adjonction de variations individuelles ; verbalisme de Swinburne. […] Conclusions générales De 1830 à 1888, la plupart et les mieux doués des lettrés français ont accusé fortement ou faiblement une prédominance d’idées verbales sur les idées réelles ; les liseurs : une prédominance semblable moins accusée, atteignant spécialement la jeunesse ; les auditeurs théâtrals : une atonie et une infériorité mentale générale, marquée par un irréalisme, une inexpérience et une irréflexion complètes, accompagnées d’une prédilection sensible pour les moyens d’émotion purement sensuels ; les décors, les costumes, la sonorité des mots. […] Il serait facile d’en faire la démonstration par les faits sociaux et historiques de l’époque contemporaine ; ils se sont traduits notamment par l’incapacité politique du peuple ouvrier ; par rabaissement intellectuel des classes aisées ; par le romantisme plus ou moins accusé de toute la littérature française notable actuelle.

861. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

Vallès fut un exemplaire, et le plus saisissant peut-être, du nihiliste français.‌ […] Je ne me scandalise pas que dans son Histoire de la littérature française, M.  […] … » — « Il y a que les Français deviennent fous », répliqua-t-il avec conviction. […] Il y avait là une forme d’une tradition très française et à laquelle il n’a manqué justement que d’être moins française, en un temps ou l’exotisme de l’art romantique ensorcelait les imaginations. […] Le défaut essentiel de notre race française est chez lui plus manifeste que chez tout autre.

862. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

L’univers n’est ni français, ni russe, ni anglais, ni espagnol, ni germain ; il est l’univers. L’historien doit cesser d’être exclusivement Français, il doit se faire universel comme son sujet. […] Il le juge non en historien impartial, mais en patriote français et en homme de parti. […] Pitt n’est pas Français ? […] Nous fûmes vengés, nous Français, de ce cruel ennemi, car il put nous croire victorieux pour jamais, il put douter de l’excellence de sa politique et trembler pour l’avenir de sa patrie.

863. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre huitième »

L’histoire de la littérature française, à partir de 1660, n’offre plus ces générations de grands hommes recevant de leurs devanciers l’esprit français en héritage, et le transmettant à leurs successeurs développé et agrandi. […] L’esprit français, comme un arbre majestueux, jette toutes ses branches à la fois, et presque en même temps. […] On supporte qu’Andromaque parle en vers français, et l’on ne veut pas qu’elle sente comme une mère, comme une épouse, comme une Française du dix-septième siècle ! […] Il était versé, au contraire, dans le théâtre espagnol ; il l’avait imité dans ses imitateurs français, avant de l’étudier dans la langue originale. […] En 183…, j’étais, pour un soir, l’hôte d’une famille allemande nombreuse et respectable, où l’on s’occupait beaucoup de lettres françaises, et où l’on en parlait avec goût, et dans le plus pur français.

864. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

La philosophie chrétienne, le christianisme français, la mesure de perfection possible à l’homme, tout cela peut intéresser ceux même que ne touche point le dogme. J’y vois, pour mon compte, les titres du monde moderne, les privilèges particuliers de l’esprit français, et les droits mêmes de la raison. […] Fénelon charge l’Académie française de fabriquer des mots de ce titre. […] Que dire de cette chimère de mots nouveaux introduits par l’Académie française et essayés d’abord dans les conversations ? […] Dans son discours de réception à l’Académie française, à l’endroit où il parle si magnifiquement de la langue française, on trouve jusqu’à trois fois, en quelques lignes, les mots majesté et majestueux.

865. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

Or, qu’on me permette préalablement à tout jugement une question, — bien française, celle-là : — peut-on être ce que l’on appelle un homme de génie et être ennuyeux ? […] Il déclara que le livre n’était pas français et le fit mettre au pilon. […] Les écrivains français se germanisèrent. […] Gœthe n’est pas capable de créer une Italienne ou une Française. […] La scène pourrait être très vive sous une plume française ; mais Gœthe n’est jamais acéré.

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