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769. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

Esclave insoumis, il se redresse sous le joug ; poltron révolté, il ose menacer sa maîtresse ; il lève la main sur elle, et la saisit aux cheveux pour l’amener de force à lui ! […] Il venait de prédire l’alliance anglaise, cette conséquence vraiment grande de la révolution de juillet, dont nous doutions alors, qui fait notre principale force aujourd’hui. […] Jacquemont lui donna une bouteille de râkh, qui lui servait d’esprit-de-vin pour ses préparations anatomiques, et qui était de force à prendre feu dans le gosier du mécréant. […] Mais la force du mal ne put troubler son esprit, ni ébranler son courage, ni altérer la sérénité de son âme. […] Saint-Julien n’avait pas le secret de résister à tant de charmes, ni la force de combattre une séduction si puissante ; il devint, comme nous l’avons dit, éperdument amoureux de sa maîtresse.

770. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

On a souvent plus fait par les approches en règle que par un assaut à force ouverte. […] Plus il y a grand nombre, et moins il y a chance à la lutte de la volonté morale contre le penchant, plus il y a fatalité et triomphe de la force naturelle. […] Autour de lui c’étaient des masses, des clubs, une Assemblée finissante ; on retombait dans la force des choses81. […] Que cette tâche eût été, ou non, en rapport avec ses forces, c’est ce que je n’examine point. […] tout en éprouvant du respect pour la force éminente de quelques-uns en cette famille d’esprits, j’avoue ne sentir que du dégoût pour les incroyables gageures, les motions à outrance et l’impudeur native de la plupart.

771. (1904) Zangwill pp. 7-90

Nous voulons savoir comment, étant donnés un jardin et ses abeilles, une ruche se produit, quels sont tous les pas de l’opération intermédiaire, et quelles forces générales agissent à chacun des pas de l’opération. […] … « Partout, dans ce circuit, éclate la grandeur ou la force. […] Tout est moyen ici tempéré, plutôt tourné vers la délicatesse que vers la force. […] Foibles gens, dit le père, il faut que je vous montre Ce que ma force peut en semblable rencontre. […] La nature jusqu’ici a fait ce qu’elle a pu ; les forces spontanées ne dépasseront pas l’étiage qu’elles ont atteint.

772. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

Telle est la force de l’exemple, le génie le saisit en maître. […] Corneille parut : la langue Françoise étoit avant lui dénuée de graces & de force, il la rendit sublime. […] L’austérité des préceptes l’effraye ; & comme il n’a ni le courage, ni la force de les pratiquer, il lui est plus commode de s’y soustraire. […] Mais comme ils n’ont point consulté leurs forces, à peine ont-ils franchi la barrière, qu’ils sont terrassés, & leur chûte ne les rend que plus vains. […] Que de couronnes arrachées par le Temps & par la force de la Vérité !

773. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre IV. Suite des précédents. — Julie d’Étange. Clémentine. »

Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité : et tel est le néant des choses humaines, que, hors l’être existant par lui-même, il n’y a rien de beau que ce qui n’est pas… ……………………………………………………………………………………………… Une langueur secrète s’insinue au fond de mon cœur ; je le sens vide et gonflé, comme vous disiez autrefois du vôtre ; l’attachement que j’ai pour ce qui m’est cher ne suffit pas pour l’occuper : il lui reste une force inutile dont il ne sait que faire. […] monsieur, que me répondez-vous (en suivant de son charmant visage, le mien que je tenais encore tourné ; car je ne me sentais pas la force de la regarder) ?

774. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Law »

Law, l’aventurier Law, n’est point un accident dans le xviiie  siècle ; il n’est point un aérolithe vivant tombant du pays des Chimères, dans une époque et dans un pays où l’esprit du temps prenait son ivresse pour sa force. […] Ce qui lui appartient en propre, c’était le génie, si on entend par génie cette espèce de force intellectuelle qui déplace beaucoup d’idées et renverse toutes les traditions.

775. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxiiie entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff »

Mais au jeu il est d’une force supérieure. […] La femme du bourgmestre s’avança vers nous avec force salutations et approcha ses lèvres de la main seigneuriale. […] Il sortit en tirant avec force la porte après lui. […] Iachka n’est pas de ta force. […] Iakof jeta les yeux de son côté, et à partir de ce moment, le timbre de sa voix acquit une force, une douceur encore plus entraînante.

776. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Musset, Alfred de (1810-1857) »

Auguste Vacquerie Un adolescent imberbe et gracieux, qui aspire à la force et qui n’y arrive pas, tel est Alfred de Musset comme homme — et comme poète. […] Émile Faguet Musset a touché au génie par la profondeur et la puissance de sa sensibilité, comme d’autres par la force de l’imagination. […] La passion est dans l’homme une des grandes sources d’art, comme toutes les forces qu’il a en lui.

777. (1894) Propos de littérature « Chapitre Ier » pp. 11-22

L’allégresse, c’est la force radieuse de l’acte, son résultat importe peu. […] En l’ignorant tu le blasphèmes, avec la force qu’il a créée en toi. […] Mais on y voit nettement les idées considérées comme indépendantes du vouloir, la force du Destin et la conclusion : se résigner ; enfin, et surtout, la ligne d’une pensée esthétiquement grande et belle, très propice à une grave poésie lyrique.

778. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « F.-A. Cazals » pp. 150-164

Soit qu’il s’échoue en plein François premier 24 Avec son feutre en guise d’auréole, Ou soit qu’il boite avec son cornouiller, Au clair de lune, au quartier des Écoles ; Soit qu’il s’esclaffe au refrain de Fathma, Tout en bourrant sa pipe de tabac, À l’hôpital, en cache-nez de laine25 ; Soit qu’il se rue, avec force, à travers Les bois dénuds que fouette un vent d’hiver, F. […] On s’écarte pour laisser passer une masse noire que des femmes soutiennent : c’est la veuve secouée de sanglots, que l’on transporte au fond du hall, et que la barbarie du protocole force à recevoir les poignées de main et les paroles de condoléances, comme si elle avait encore la conscience des choses et la possession d’elle-même. […] La toiture vitrée craque et gémit sous la force du vent.

779. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 151-168

Tantôt agréable & piquant, un bon mot lui suffit pour faire sentir l’absurdité d’un Ouvrage : tantôt plein de force & d’énergie, un seul trait parti de sa plume devient le fléau du vice & l’hommage de la vertu. […] Justesse de raisonment, force de pensées, élégance de style, finesse d’expression, sagesse de morale, tout y plaît, tout y attache, & les vers en sont si bien frappés, qu’il est impossible d’en faire de meilleurs dans notre Langue. […] Sans avoir la force comique de Moliere, ni la gaieté de Renard, il a plus tiré de son propre fonds que ces deux Poëtes.

780. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — De la langue Françoise. » pp. 159-174

Il gémit, à l’imitation de Pétrone, de ce que le stile n’a plus de nerfs, de ce qu’on sacrifie la force & la simplicité d’expression à de petites phrases bien arrondies, pleines de miel, & assaisonnées de pavots . […] Le systême de M. de Montcrif est opposé à celui de Despréaux, qui n’avoit rien tant à cœur que de voir ériger en auteurs classiques nos meilleurs écrivains, & qui vouloit que l’académie Françoise travaillât en conséquence, & s’occupât à les épurer de toutes les fautes de langage, à leur donner force de loi, à les empêcher de vieillir & de tomber journellement. […] Ce dernier ressemble à un athlète toujours plein de force & de nerfs, mais quelquefois dépouillé de grace.

781. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XVII. Morale, Livres de Caractéres. » pp. 353-369

Nicole étoit un de ces hommes qui persuadent sans être éloquens, par la seule force de la vérité développée. […] Le Traité de la Sagesse, de Charron, est d’un écrivain qui avoit plus d’ordre dans ses idées, mais bien moins de force & de vigueur dans le génie. […] On sent dans tout ce qu’il écrit l’élévation de son ame & la force de son génie.

782. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 9, des obstacles qui retardent le progrès des jeunes artisans » pp. 93-109

Cependant en quelques années, il ôte à l’esprit sa vigueur, et au corps une partie de ses forces. […] Quand la force du génie ramenera notre jeune peintre à une étude plus sérieuse de son art, parce que l’yvresse de la jeunesse sera passée, sa main et ses yeux ne seront plus capables d’en bien profiter. […] Cette extrême indigence qui force à travailler pour avoir du pain, n’est propre qu’à égarer un homme de génie, qui sans consulter ses talens, s’attache, pressé par le besoin, aux genres de poësie qui sont plus lucratifs que les autres.

783. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Lenient » pp. 287-299

la bourgeoisie s’en servit, ce n’est pas douteux, de cette arme à toute main, de cette force humaine ; mais ne la voir que là, ne pas aller la chercher plus avant que là, dans cette société qu’on ne connaît… que comme le thème des systèmes les plus opposés, c’est être un par trop bon élève des Guizot et des Thierry, c’est par trop mériter le prix (y en a-t-il un ?) […] mais qui n’a pas de relief, et qui pourrait porter aussi bien la date du règne de Louis-Philippe, par exemple, que celle du règne de Napoléon III, l’homme qui l’a écrite étant identiquement le même professeur moyen, le même élève de l’École normale du milieu de la classe, qui pouvait l’écrire, il y a vingt ans, exactement de ce même style, — la construire exactement avec les mêmes renseignements, — y professer exactement les mêmes admirations pour les mêmes personnes, Casimir Delavigne et Béranger, — et, finalement, la saupoudrer de la même fleur d’érudition facile, cueillie dans tous les livres que la fonction met aux mains et force à feuilleter. […] Il a juste de talent celui que l’Université donne, et peut donner, à force d’enseignement et d’études, mais enfin elle n’est ni le bon Dieu ni la nature, elle n’est que l’Université, et elle ne peut donner que cela.

784. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Eugène Talbot » pp. 315-326

Seulement, il savait bien cette magnifique langue du seizième siècle, qui semble avoir été creusée et arrondie comme une coupe pour y recevoir le génie grec, épanché de l’amphore maternelle, et il y reçut celui d’Hérodote, qui, lui aussi, était le génie grec avec une date, — une date après laquelle il n’y a rien de cette force de chêne en pleine terre, de cette grâce fruste et de cette naïveté ! […] Seulement, il n’aurait traduit Hérodote qu’à la condition de mettre à ses pieds la langue de son temps et de se servir de cette langue du seizième siècle, qu’il savait parler de par la force de l’esprit gaulois qui était en lui, tandis qu’au seizième siècle, sans exception, tous pouvaient, sans être des La Fontaine, traduire avec succès l’historien grec, comme Pa fait Amyot en divers passages et Pierre Saliat intégralement. […] Et, de fait, la langue du seizième siècle allait d’elle-même, faceva da se, quand il s’agissait de traduire les ondoyances, la force tempérée de grâce, la gravité riante, toutes les poésies, tous les ionismes de ce poète en prose qui était d’Ionie, de cet Homère de l’Histoire à qui les Grecs firent cet honneur, qui fut une justice, de nommer du nom de chaque Muse les neuf chapitres de ses Histoires, pour eux, un Parnasse tout entier !

785. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Francis Wey » pp. 229-241

Tel est, pourtant, le tour de force et de souplesse que Francis Wey a fait faire à cette vénérable Empêchée. […] Lisez même son chapitre des deuils maternels, que je n’ai pas la force de louer, mais qu’il a eu la force d’écrire.

786. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIV. Vaublanc. Mémoires et Souvenirs » pp. 311-322

Mais il n’a ni la colère, ni les dépits, ni les ressentiments des esprits absolus trompés, ni aucune des passions plus ou moins impuissantes, mais aussi plus ou moins éloquentes, des hommes de parti, vaincus par la sottise humaine ou la force des événements. […] Pour qu’il soit dans la nature d’un homme, il faut combiner la réalité du point de vue que l’on embrasse et la force de volonté que l’on met à l’embrasser. Un homme qui n’aurait que de la force de volonté dans la proportion la plus vaste et pour la durée la plus longue, ne pourrait être appelé, sans vice de langage, un homme de caractère, fût-il la hardiesse, la persévérance et la fermeté au plus haut degré d’énergie, fût-il Charles le Téméraire de Bourgogne, fût-il Charles le Téméraire de Suède, fût-il, à lui seul, tous les Téméraires de l’Histoire, que l’Histoire n’a point appelés des hommes de caractère, mais à qui elle a su trouver d’autres noms !

787. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le docteur Revelière » pp. 381-394

Mais il n’en est pas moins vrai que l’auteur des Ruines a l’honneur d’avoir avec eux la fraternité des idées et une parenté d’intelligence… Ce Revelière inconnu, et qui, dans l’égarement universel de la raison, a grande chance de rester inconnu, est un esprit d’une force rare, toujours, dans la pensée, et souvent dans l’expression, mais il est moins près de ces hommes profonds et sans égaux que d’un autre homme de leur temps, un autre observateur politique trop oublié et qu’il rappelle, ce Mallet-Dupan qui, lui aussi, préjugea la Révolution française dès son origine, et dont le préjugé eut parfois toute la justesse d’un jugement… L’auteur des Ruines est une espèce de Mallet-Dupan après la lettre, la terrible lettre de la Révolution ! […] Leur faiblesse avait fait sa force… Et je ne parle pas des pauvres Bourbons, qui n’osèrent rien contre qui avait tout osé contre eux ; je parle de l’homme qui paraissait le plus providentiellement créé pour être l’Hercule de cette Hydre et qui ne le fut point. […] Mauvais moment — je le dis avec tristesse — pour un livre qui, malgré la force de ses démonstrations, ne peut plus être un enseignement pour personne !

788. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Chastel, Doisy, Mézières »

De tous les protestants, c’est le moins protestant peut-être, mais l’erreur a ses conséquences inévitables et que rien ne peut neutraliser, même la bonté native ou la force de l’esprit dans laquelle elle a pénétré. […] C’est un livre dont le mérite vient, avant tout, d’une doctrine que l’auteur n’a pas faite et qui lui communique le principe inépuisable de sa force. […] L’auteur de l’Assistance montre bien que les circonstances dans lesquelles vivaient les fidèles des premiers temps étaient des circonstances d’exception, et que la communauté, au sens chrétien, s’est perpétuée dans l’Église de Jésus-Christ là seulement où elle était réalisable, c’est-à-dire dans ces communautés religieuses, éternelles comme la religion elle-même, dont elles ne sont la plus grande force que parce qu’elles en sont la plus grande vertu.

789. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Barthélemy Saint-Hilaire »

La Bible et l’Évangile ont été les deux mamelles auxquelles il a bu longtemps en silence, et qui l’ont fait de force à créer ces trois choses, dont une seule suffît pour l’immortalité d’un homme : — une religion, un peuple, un empire ! […] Nature nerveuse et contemplative, si nerveuse, sous les placidités extérieures de la force, qu’il ne pouvait rester dans les ténèbres, et si contemplative, que jusqu’à plus de moitié de sa vie il porta à son insu la puissance de l’action dans le fond mystérieux de son être, comme il y portait aussi la puissance des passions charnelles qui éclatèrent si tard en lui et qui finirent par dégrader sa calme et grande physionomie. […] ou cela tient-il à l’essence éternelle des choses, qui ferait de l’Arabie une terre condamnée et donnerait ce déshonorant soufflet au Christianisme de n’avoir pas la force de sa vérité et de se vanter, comme l’erreur se vante, quand il affirme que, de toutes les religions de la terre, il est, en raison de sa vérité même, incomparablement la plus puissante sur les esprits et sur les cœurs ?

790. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Vte Maurice De Bonald »

Les rois qui restent encore en Europe à cette heure ont déjà plein la bouche de ce flot révolutionnaire, qu’ils n’ont pas la force de rejeter et qui les étouffera demain. […] L’histoire de la monarchie française a été rompue par la révolution le jour que cette monarchie s’est séparée du principe religieux qui faisait sa vie et sa force, et cette rupture n’est pas seulement qu’une interruption momentanée… Pour les logiciens de l’Histoire, qui a sa mathématique inflexible, c’est la rupture dans la chaîne des faits qu’il faut nécessairement reprendre dans leur ordre, comme un raisonnement dans le sien, si on veut se retrouver dans la vérité, qui est la même dans l’ordre des raisonnements et des faits. […] Je lui préparai sa route et son succès dans ce Mexique si catholique… J’invitai les évêques à le seconder et à le soutenir de toutes leurs forces, et, certes !

791. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Émile Augier, Louis Bouilhet, Reboul »

Il a publié un volume qu’il intitule, avec assez de fatuité : Poésies complètes 18, et dans lequel l’esprit de l’auteur et ses forces vives se sentent mieux. […] Or, couler seulement n’est pas une force : c’est même quelquefois une faiblesse. […] Est-elle dans le sentiment qui circule à travers les différentes parties du poème et veut à toute force les animer ; dans cette fausse humour de parti pris, cette petite ironie juanesque qui jure si fort avec le sérieux terrible de cette société qui ne riait pas, elle !

792. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre V. Des Grecs, et de leurs éloges funèbres en l’honneur des guerriers morts dans les combats. »

Ajoutez les institutions particulières de chaque ville, et celles de la Grèce entière ; ces fêtes, ces jeux funèbres, ces assemblées de toutes les nations, les courses et les combats le long de l’Alphée, ces prix distribués à la force, à l’adresse, aux talents, au génie même ; des rois venant se mêler parmi les combattants, les vainqueurs proclamés par des hérauts, les acclamations des villes sur leur passage, les pères mourants de joie en embrassant leurs fils vainqueurs, et leur patrie à jamais distinguée dans la Grèce, pour avoir produit de tels citoyens. […] » Il exhorte les pères qui sont encore dans la force de l’âge, à donner de nouveaux défenseurs l’État. […] Il prit en eux le courage d’un moment pour de la vertu ; et les précipitant dans une guerre au-dessus de leurs forces, il détruisit le dernier rempart d’Athènes, le respect qu’inspirait un grand nom.

793. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

Swinburne l’a fait pour Byron, la sincérité et la force. […] Partout où elle a eu, comme en Irlande, la force matérielle de son côté, elle s’est vue paralysée par cette force. […] Ce dernier prend de la force à mesure que le premier s’affaiblit. […] Quelle force, quelle netteté dans le style ! […] Mais est-ce plus qu’un tour de force oratoire ?

794. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

Élu membre de l’Assemblée constituante, il avait déserté à propos, mais avec ménagement, les opinions et les croyances ruinées, pour passer au parti de la force et de l’avenir. […] Quel temps que celui où la force des révolutions était dirigée, sous la main de M. de Talleyrand, par l’esprit conservateur des traditions de l’Europe ! […] Sa force était de tout comprendre, mais non de tout dominer, même le peuple ; c’était une intelligence suprême, mais une intelligence à demi-voix ; il ne parlait qu’à l’oreille, comme la persuasion ; il n’écrivait même bien qu’avec réflexion, lenteur et clarté, mais sans chaleur. […] L’Angleterre et l’Europe se refusaient naturellement à reconnaître ce déchirement de la Belgique et de la Hollande en deux parts ; on menaçait de les contraindre par la force à l’unité, qui leur répugnait comme la mort. […] Casimir Périer, et, moi-même, je ne suis plus rien ici ; car c’est sa force pacifique au conseil du roi de France qui me donne ma force ici pour rassurer, intimider ou contenir les passions de l’Europe. » Et, en reprenant sa plume pour continuer, de sa fine écriture, sa dépêche à M. 

795. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

Cependant il y a une mesure pour tout, et comme, dans mon Gœtz, l’enfant, à force d’être savant, ne connaît plus son père, il y a dans la science des gens qui, perdus dans leur savoir et dans leurs hypothèses, ne savent plus ni voir ni entendre. […] — Ce qu’il y a de beau au tir de l’arc, dis-je, c’est qu’il développe le corps tout entier et qu’il réclame l’emploi harmonieux de toutes les forces. […] — Je pense que la force du jet est plus grande dans les arcs à extrémités recourbées. […] Mais il est déjà alors plus qu’à la moitié de sa carrière ; cet élan vers la lumière, qu’il a prolongé pendant de longues années, a épuisé ses forces les plus vives, et les efforts qu’il fait pour se montrer encore puissant en s’élargissant ne peuvent plus complètement réussir. […] S’il n’a pas dans la chambre assez de force pour muer, qu’on le mette à l’air frais, il muera très bien.

796. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

Sans doute, il a encore de nobles aspirations, mais il manque de la force nécessaire pour les réaliser. […] » Ainsi nous avons son aveu : c’est le courage et non la force qui lui manque. […] Mais il paraît que cet essai fut au-dessus de ses forces. […] Il la demande d’abord à la religion ; mais elle lui semble au-dessus de ses forces. […] je souffre et je n’ai pas de force pour crier.

797. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — I. » pp. 413-433

Le conseil habituel du père Lefebvre à son jeune ami, c’est de profiter de son heureuse flexibilité qui tend à se porter sur toutes sortes de genres et de sujets, mais de ne s’y point livrer trop rapidement, d’attendre avant de publier : « L’âge est le meilleur des Aristarques. » Ses scrupules de traducteur, dans le travail qu’il avait entrepris sur la Bible, fatiguaient et consumaient le père Lefebvre : « Ce métier de traducteur dont je me suis occupé toute ma vie, disait-il, me paraît toujours plus difficile à mesure que j’avance, soit que l’âge me glace le sang, soit que mon goût s’épure à force d’approfondir ; une page de traduction m’épuise pour huit jours. » Et ailleurs : Je suis revenu de la campagne à la ville, mais j’étais si essoufflé qu’il m’a fallu un grand mois pour reprendre haleine. […] Je n’ai point à entrer dans ce procès ; mais c’est ainsi qu’à l’âge de vingt et un ans le jeune élève commissaire des guerres était de force à tenir tête aux champions de la critique universitaire d’alors, et avait un pied solide dans la littérature classique. […] On le guette, on l’aborde au moment où il s’y attend le moins ; on lui demande avec douceur, et, s’il résiste, on va lui prendre de force ce vêtement nécessaire qui doit être l’instrument de la cure merveilleuse. […] Mais, à défaut de ce qu’on a appelé le bonheur curieux d’expression, le curiosa felicitas d’Horace, qu’on sent trop échapper ici, on a chez lui la suite, des parties de force, de fermeté, et, dans les Épîtres et Satires, le courant facile et plein du bon sens. […] Il en est tiré d’abord, et peut-être il s’en plaint tout bas ; il est saisi d’une main sévère et appliqué avec toutes ses forces à des labeurs qui semblent longtemps ingrats et durs.

798. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

» Le comte de Maistre, dans une des charmantes lettres à sa fille, Mlle Constance de Maistre, a badiné agréablement sur cette question, et il y a mêlé des vues pleines de force et de vérité : « L’erreur de certaines femmes est d’imaginer que pour être distinguées, elles doivent l’être à la manière des hommes… On ne connaît presque pas de femmes savantes qui n’aient été malheureuses ou ridicules par la science. » Au siècle dernier, un jésuite des plus éclairés et des plus spirituels, le père Buffier, qui était de la société de Mme de Lambert, dans une dissertation légèrement paradoxale, s’est plu à soutenir et à prouver que « les femmes sont capables des sciences » ; et après s’être joué dans les diverses branches de la question, après avoir montré qu’il y a eu des femmes politiques comme Zénobie ou la reine Élisabeth, des femmes philosophes comme l’Aspasie de Périclès et tant d’autres, des femmes géomètres et astronomes comme Hypatie ou telle marquise moderne, des femmes docteurs comme la fameuse Cornara de l’école de Padoue, et après s’être un peu moqué de celles qui chez nous, à son exemple, « auraient toutes les envies imaginables d’être docteurs de Sorbonne », — le père Buffier, s’étant ainsi donné carrière et en ayant fini du piquant, arrive à une conclusion mixte et qui n’est plus que raisonnable : À l’égard des autres, dit-il, qui ont des devoirs à remplir, si elles ont du temps de reste, il leur sera toujours beaucoup plus utile de l’employer à se mettre dans l’esprit quelques connaissances honnêtes, pourvu qu’elles n’en tirent point de sotte vanité, que de l’occuper au jeu et à d’autres amusements aussi frivoles et aussi dangereux, tels que ceux qui partagent la vie de la plupart des femmes du monde. […] Du caractère dont elle est, Mme Dacier entend mieux la force, l’abondance, la veine pleine et continue d’un auteur ancien que la grâce et la légèreté ; elle rend mieux l’effet du texte avec Plaute, avec Térence qu’avec Anacréon ; et surtout elle nous rendra mieux Homère. […] Mais Mme Dacier avait pleinement raison lorsqu’en venant à la diction d’Homère, elle déclarait que ce qui l’avait le plus effrayée, c’était la grandeur, la noblesse et l’harmonie de cette diction dont personne n’a approché, « et qui, disait-elle, est non seulement au-dessus de mes forces, mais peut-être même au-dessus de celles de notre langue ». […] » La préface de la première édition de l’Iliade se terminait par une page touchante et souvent citée, mais qui montre trop bien Mme Dacier au naturel pour devoir être omise toutes les fois qu’on veut lui faire honneur : Après avoir fini cette préface, disait-elle, je me préparais à reprendre l’Odyssée et à la mettre en état de suivre l’Iliade de près ; mais, frappée d’un coup funeste qui m’accable, je ne puis rien promettre de moi, je n’ai plus de force que pour me plaindre. […] Il ne m’est donc pas possible de me remettre si promptement à un ouvrage qui m’est devenu si triste : il faut attendre qu’il ait plu à Dieu de me donner la force de surmonter ma douleur et de m’accoutumer à une privation si cruelle.

799. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — I » pp. 139-158

Cette seule idée suffit à bouleverser toute sa machine ; il eut beau faire effort pour se préparer et se mettre en mesure, il avait entrepris au-dessus de ses forces : « Ceux, dit-il, qui sont organisés comme moi, et à qui une exhibition publique d’eux-mêmes, en n’importe quelle occasion, est un poison mortel, peuvent seuls avoir quelque idée de l’horreur de ma situation ; les autres ne sauraient se la figurer. » Des mois se passèrent dans cette lutte pénible et dans cette attente, qu’il a comparée à celle du condamné qui voit approcher le jour de son exécution. […] Si cette rhétorique ne lui réussissait pas assez vite, il se mettait à prendre le pan de mon habit entre ses dents et à le tirer de toute sa force. […] Durant les six années suivantes (1774-1780), l’esprit de Cowper et ses facultés effrayées vont se recueillir et se relever peu à peu, jusqu’à ce qu’il arrive insensiblement à les posséder dans toute leur force et dans toute leur grâce, et à trouver pour la première fois (phénomène singulier !) […] » Le ciseau et la scie étaient ses principaux outils, et il fabriquait « des tables comme on en peut voir, et des escabeaux comme il n’y en eut jamais. » Plaisantant plus tard sur les occupations de divers genres qu’il s’était créées à cette époque où il lui fallait échapper à tout prix aux inconvénients et aux dangers du rien faire, il disait encore : J’ai, dans cette vue unique, entrepris bien des métiers auxquels la nature ne m’avait pas destiné, quoique dans le nombre il y en ait où j’ai fait de remarquables progrès par la seule force d’une héroïque persévérance. […] Le physique pourtant n’était pas de force encore à supporter une longue attention ; et il compare le réseau des fibres de son cerveau à une toile d’araignée : une seule pensée obstinée qui s’y loge ébranle et compromet toute la contexture.

800. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

Les députés suisses avaient obtenu de la Cour de Turin de se rendre dans les vallées et de tâcher d’amener les Vaudois menacés à une composition qui épargnât les voies de violence ; leur représentant la situation désespérée et sans issue où on les voyait, cernés qu’ils étaient de toutes parts et hors d’état de résister à des forces si supérieures, à des puissances conjurées, ils proposèrent à ce petit peuple d’émigrer en masse et d’emporter avec lui ailleurs le flambeau de sa foi. […] Il vous est impossible de lutter de vive force contre vos ennemis ; il vous est impossible d’être secourus ! […] Il est vrai que le bras de Dieu, qui vous a soutenus dans les guerres passées, n’est pas encore raccourci ; mais si vous faites réflexion qu’un puissant roi s’est joint aux forces de votre prince, que les provisions, les officiers et l’union vous manquent, et que même vos obstinations vous feront abandonner de tous les princes et des États protestants…, vous ne pouvez pas espérer que la Providence divine, qui n’agit pas miraculeusement comme autrefois parmi les Israélites, veuille faire de vos ennemis ce qu’elle fit de Sennacherib ; et la parole de Dieu vous apprend que de se jeter dans les dangers sans prévoir humainement aucun moyen d’en sortir, c’est tenter Dieu qui laisse périr ceux qui aiment témérairement le danger… » On peut se figurer l’effet que dut produire la lecture d’une telle épître sur un auditoire mêlé de personnes timides, de vieillards, de femmes et d’enfants. […] Enfin il s’est mis sur son trône, et commence à se conduire comme un maître qui a la force à main. » Victor-Amédée donc, en personne, et Catinat général, son allié, s’avancèrent en forces pour tout réduire, pour nettoyer ces vallées de leurs habitants et les purger d’un des cultes les plus sincères et les plus innocents qui aient jamais été adressés à l’Éternel.

801. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de La Mennais »

Il se livrait ardemment à l’exercice de l’escrime, et, sans y être de la force d’un Aimé Martin, célébré encore tout récemment par Lamartine106, il passait pour une bonne lame. […] Mais c’est qu’à tout prix et à toute force il faut nourrir cette vie secrète d’amour-propre qui languit dans l’obscurité et expire faute de pâture dans le vide du parfait anéantissement. […] Tout est entre vos mains, le conseil et la force, la volonté et l’exécution. […] Il nous force de lever en haut les yeux, et de les attacher uniquement sur cette montagne qu’il nous faut gravir par des sentiers différents, mais aboutissant tous au même point, et qui elle-même nous fournit, dans l’abondance des eaux qu’elle fait couler de son sein fécond, tous les secours nécessaires pour parvenir à son sommet… Oh ! […] « J’ai peu de talent, écrit-il (26 octobre 1814), et pourtant en regardant dans ma tête il me semble qu’il y a là quelque chose qui ne demande qu’à sortir. » Les événements politiques pourront encore retarder La Mennais un ou deux ans ; l’écrivain dès lors se sentait prêt, en mesure et de force pour le combat.

802. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

L’autorité des magistrats, en Grèce, devait sa force à l’assentiment de la nation même. […] Lorsque la société marche dans la route de la raison, c’est le découragement surtout qu’il faut éviter ; et ces plaisanteries qui, après avoir utilement détruit la force des préjugés, ne pourraient plus agir que sur la puissance des sentiments vrais, ces plaisanteries attaqueraient le principe d’existence morale qui doit soutenir les individus et les hommes. […] La splendeur de la puissance, le respect qu’elle inspire, la pitié qu’on ressent pour ceux qui la perdent quand on leur suppose un droit à la posséder, tous ces sentiments agissent sur l’âme, indépendamment du talent de l’auteur, et leur force s’affaiblirait extrêmement dans l’ordre politique que je suppose. […] Cette différence ne consiste pas, je le crois, uniquement dans le rang des personnages que l’on représente, mais dans la grandeur des caractères et la force des passions que l’on sait peindre. […] Le déchaînement des passions qu’amènent les troubles civils, ne laisse subsister qu’une seule curiosité, celle que font éprouver les écrits qui pénètrent dans les pensées et dans les sentiments de l’homme, ou servent à vous faire connaître la force et la direction de la multitude.

803. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

De la force du coup pourtant il s’abattit. […] Cependant un sanglier, monstre énorme et superbe Tente encor notre archer, friand de tels morceaux Autre habitant du Styx : la Parque et ses ciseaux Avec peine y mordaient ; la déesse infernale Reprit à plusieurs fois l’heure au monstre fatale ; De la force du coup pourtant il s’abattit. […] Force coups, peu de gré ; puis, quand il était vieux On croyait l’honorer chaque fois que les hommes Achetaient de son sang l’indulgence des dieux. […] Le vers tombe comme un chant solennel, avec l’autorité d’une sentence et la force d’une malédiction. […] « Il dit qu’il portait pour nous seuls les fruits les plus pesants du labeur des années ; parcourant sans s’arrêter de long cercle de peines qui ramène dans nos champs, en revenant sur soi, ce que Cérès nous donne et ce qu’elle vend aux animaux ; que cette suite de fatigues avait, de tous tant que nous sommes, pour récompense force coups, peu de gré ; puis que, quand il était vieux, on croyait l’honorer toutes les fois que les hommes achetaient l’indulgence des cieux au prix de son sang. » Il fallait faire ainsi « le peseur de syllabes et le regratteur » de consonnes, et se hasarder jusqu’à la critique de Batteux et de Denys d’Halicarnasse, pour montrer que l’instinct d’un poète, même bonhomme, est aussi savant que la réflexion d’un philosophe.

804. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XII »

Cependant M. de Ryons observe, étudie, commente, analyse son amie nouvelle ; il pratique sur son cœur chastement fermé une première tentative d’effraction non suivie d’effet ; il se fait, de force ou de gré, inviter à dîner chez elle, le soir même. […] Encore une fois, si le talent pèche, ce n’est que par un abus de force. […] A force de fouiller la vie, M.  […] Elle en reconnaît la force, elle s’incline devant leur puissance. […] Coups de main subits, sorties téméraires, retraites habiles, déploiements de force, aucune ressource ne manque à cette tactique de la scène, qui hasarde tout, sans rien compromettre.

805. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

La nature lui avait donné tous les avantages, la taille, le port, la figure, la force, et une ardeur en tous sens que dominaient finalement la raison et la volonté. […] C’est par des expériences fines, raisonnées et suivies, que l’on force la nature à découvrir son secret ; toutes les autres méthodes n’ont jamais réussi, et les vrais physiciens ne peuvent s’empêcher de regarder les anciens systèmes comme d’anciennes rêveries, et sont réduits à lire la plupart des nouveaux comme on lit les romans. […] Au milieu de cette vie tumultueuse, de cette vie dissipée et morcelée du xviiie  siècle, Buffon s’isole ; il trouve dans la force de son caractère, dans son amour élevé de la gloire et dans le puissant intérêt de l’étude immense à laquelle il s’est voué, de quoi résister à toutes les irritations, à toutes les chétives tentations d’alentour. […] L’élévation, le calme, la dignité, la conscience de sa force, c’était ce qui se marquait dans toute sa personne. […] Cela se sent trop, et dans Les Époques de la nature, par exemple, il régnerait un sentiment plus religieux relativement et plus sacré, si l’auteur avait pu mettre de côté les précautions, et s’il avait déchaîné avec ampleur cette force immense et féconde de génération, telle qu’il la concevait circulant incessamment dans la nature.

806. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Amyot, appliqué, patient, un peu lent, dit-on, dut conquérir sa science à force d’opiniâtreté et d’ardeur. […] Il traduisait le roman de Théagène et Chariclée, mais il méditait déjà son Plutarque : et en général, tout ce qu’il fit dans l’intervalle, sa jolie traduction de Daphnis et Chloé, sa traduction honorable de Diodore de Sicile, ne furent que des manières de prélude et de passe-temps ; il réservait toutes ses forces pour son grand ouvrage. […] Rien ne peint mieux la morale d’une époque et d’une cour qu’une telle publication de la part d’un homme d’Église, précepteur en titre des fils du roi, une licence de cette force et qui paraît chose toute simple. […] On trouverait pourtant chez Amyot, parlant en son nom, quelques pages d’une éloquence douce et de vieillard ; mais sa force, son talent est ailleurs : il n’a son génie propre que quand il est porté par un autre et quand il traduit ; il n’est original et tout à fait à l’aise que quand il vogue dans le plein courant de pensée de l’un de ses auteurs favoris. […] Racine lisait Amyot à Louis XIV, et, à force d’adresse, il le lui faisait goûter.

807. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

Il excelle à retremper ainsi les expressions et à leur redonner toute leur force primitive, ce qui permet à son style d’être court, fort, et d’avoir l’air simple. […] Ces suicides des Caton, des Brutus, lui inspirent des réflexions où il entre peut-être quelque idolâtrie classique et quelque prestige : « Il est certain, s’écrie-t-il, que les hommes sont devenus moins libres, moins courageux, moins portés aux grandes entreprises qu’ils n’étaient lorsque, par cette puissance qu’on prenait sur soi-même, on pouvait, à tous les instants, échapper à toute autre puissance. » Il le redira jusque dans L’Esprit des lois, à propos de ce qu’on appelait vertu chez les anciens : « Lorsqu’elle y était dans sa force, on y faisait des choses que nous ne voyons plus aujourd’hui, et qui étonnent nos petites âmes. » Montesquieu a deviné bien des choses antiques ou modernes, et de celles même qu’il avait le moins vues de son temps, soit pour les gouvernements libres, soit pour les guerres civiles, soit pour les gouvernements d’empire ; on ferait un extrait piquant de ces sortes de prédictions ou d’allusions prises de ses œuvres. […] C’est Machiavel qui a dit qu’il y a toujours dans les hommes une disposition vicieuse cachée, qui n’attend que l’occasion pour sortir, et qu’il faut toutes les lois civiles, armées de la force, pour réprimer. […] Au début de L’Esprit des lois, il va jusqu’à dire que les premiers hommes supposés sauvages et purement naturels sont avant tout timides et ont besoin de la paix : comme si la cupidité physique, le besoin et la faim, ce sentiment aveugle que toute jeunesse a de sa force, et aussi « cette rage de la domination qui est innée au cœur humain », ne devaient pas engendrer dès l’abord les rixes, et les guerres. […] A-t-on de la force et de la vie, on vous l’ôte à coups d’épingle.

808. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

Si Lucrèce exprime avec force l’influence du physique sur le moral, je ne dois point me fermer les yeux pour ne pas voir la vérité qu’il me présente, parce qu’un matérialiste et un athée peuvent en abuser. […] D’un autre côté pourtant, il y a des créatures, il y a des individus, il y a des forces indépendantes. […] Le philosophe, qui mesure ses forces à son ambition et à son désir, voudrait tout embrasser, tout observer, tout dévorer d’un seul coup ; mais, comme dit le spirituel Emerson, « la bouchée est trop grosse. » Il faut se résigner à en laisser. […] Dans l’ordre de la pure philosophie, Leibniz, de tous les modernes est le plus près des anciens pour avoir uni le génie dans les systèmes à l’ouverture de l’esprit, et avoir recueilli le plus d’idées possible, sans les violenter pour les faire entrer de force dans un cadre artificiel et fermé : s’il n’a pas la grâce des Grecs, il en a la liberté. […] Il vous force à penser librement, comme certains démocrates qui veulent vous contraindre à être libre : c’est un fanatique de système, aussi bien que Spinoza ou Condillac.

809. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

À ses défauts et aux faiblesses de son livre, on la reconnaîtrait pour telle encore, car elle y manque de ce qui manque à toutes les femmes, même à celles que le monde, toujours un peu séduit quand il s’agit de femmes, appelle galamment des génies, je veux dire de force constructive et de grande originalité. […] Ce talent, qui va peut-être tout à l’heure vous faire oublier, à force d’émotion, ses ressemblances et ses analogies, il semble que vous le connaissiez que vous en ayez joui déjà. […] VIII Car elle a osé, l’humble femme, repousser le ciel inventé par le Dante, de toute la force de son âme chrétienne ; de toute la force d’une âme que cette vie mortelle a trompée, mais que la vie future doit venger. […] Ce n’est plus du naïf de moine, mais de femme ; et que le sentiment qui anime tout cela, qui féconde tout cela, a de force !

810. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

Il fallait prouver que le xixe  siècle était revenu, ou allait revenir, non de lassitude, non d’impuissance et de désespoir, mais en vertu de sa force et de son progrès, en vertu de ce qu’il y a de plus éclairé et de plus réfléchi, au catholicisme tel qu’il existait au temps d’Innocent III par exemple. […] Quoiqu’on ait essayé, dans ce pays de la rêverie, qui est aussi la terre de la raison, les dogmes n’ont pu y revivre ; et si l’on s’est beaucoup efforcé pour, au moins, les galvaniser, c’est que sous ces dogmes on cachait une pensée qui n’est pas toujours libre de se produire dans sa hardiesse et dans sa force. […] Il est évident qu’ils sont plus petits que ne les tient même l’opinion de leurs ennemis ; car leurs ennemis conviennent volontiers de la force qui était en eux, et se contentent d’en blâmer l’usage. […] Or, c’est un imprudent anachronisme que de montrer, aux jours de la force, les vertus des jours de déclin. […] Mais ce n’est pas seulement par le caractère que ce grand homme exagéré diminua la force de son pontificat ; il y fit échec aussi par l’intelligence, par l’absence d’une juste pénétration.

811. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

Pensait-il obtenir de la victoire des Alliés la réalisation des projets si curieux, qui ne vont pas sans grandeur, du docteur Herzl, ou plus simplement et plus sûrement voulait-il augmenter par des sacrifices la force morale, l’autorité d’Israël ? […] Je ne crois pas qu’il soit possible de trouver un texte où s’affirme avec plus de force et d’émotion le désir passionné d’Israël de se confondre dans l’âme française.‌ […] A voir les avions se chercher, foncer l’un sur l’autre, se mitrailler, reprendre le large, revenir à la charge jusqu’à ce que l’un des deux s’enfuie ou tombe, je retrouve tout pur le plaisir passionnant des courses de taureaux : émotion pareille, l’arène est en haut. »‌ Tout cela se résume dans cette profession de foi :‌ Au risque de vous paraître fou, je déclare en mon âme et conscience que j’aime être ici ; j’aime la tranchée de première ligne, comme un « pensoir » incomparable ; on y est ramassé sur soi-même, toutes ses forces rassemblées ; on y jouit d’une entière plénitude de vie. […] La vie me paraît simple, simple, et toujours si admirable que je ne comprends pas qu’on ne s’y prête pas avec reconnaissance…‌ Un des jeunes amis à qui il adresse ces belles lettres cherche à le classer et lui dit ; « Tu es fataliste. » Roger Cahen proteste avec vivacité : « Ni fataliste, ni déterministe ; j’accepte seulement avec amour tous les événements qui sont créateurs de sentiments nouveaux, de forces nouvelles ; je suis celui qui espère toujours, je suis persuadé que le Messie est à venir. »‌ Un autre jour, il écrira : « Je suis d’une âme très pieuse, mais ma piété est celle de Jean Christophe : “Sois pieux envers le jour qui se relève.” […] Pouvoir emmener toi et nos chéris en Alsace-Lorraine et leur dire : Papa a aidé dans la mesure de ses forces à rendre ces deux beaux pays à la France, quelle plus belle récompense pour moi ?

812. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (2e partie) » pp. 1-80

J’imaginai, en outre, et je développai entièrement la mélo-tragédie d’Abel, dont je mis en vers la partie lyrique : c’était un genre nouveau, sur lequel j’aurai plus tard l’occasion de revenir, si Dieu me prête vie et me donne avec la force d’esprit nécessaire les moyens d’accomplir tout ce que je me propose d’entreprendre. […] J’en ai pour garants les années qui vont s’amassant sur ma tête, et tout ce qui me reste encore à faire dans un autre genre, si toutefois j’en trouve la force et le moyen. […] Toutefois, au mois de mai, grâce au repos et à une diète sévère, les forces m’étaient revenues. […] « Je n’avais pas eu la même force, au mois de septembre de l’année précédente, pour résister à une nouvelle impulsion, ou, pour mieux dire, à une impulsion renouvelée de ma nature, impulsion toute-puissante cette fois, qui m’agita pendant plusieurs jours, et à laquelle il fallut bien me rendre, ne pouvant la surmonter. […] Néanmoins, s’étant levé de sa chaise, il eut encore la force de s’approcher du lit et de s’y appuyer ; un moment après sa vue s’obscurcit, ses yeux se fermèrent, et il expira.

813. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VII, seconde guerre médique. »

La flotte égalait l’armée en force et en nombre ; toutes les marines de l’Egypte et de l’lonie, de la Phénicie et de l’Archipel, avaient été rassemblées. […] Le nœud rompu, chacun irait rejoindre sa côte, défendre sa ville ; une fois brisé, ce faisceau de forces ne serait plus qu’un morcellement de faiblesses. […] La force du Grand Roi était surhumaine : espéraient-ils désarmer son bras allongé sur le monde entier ? […] Crois-tu nous humilier en comparant sa force à la nôtre ? […] La délivrance était accomplie : désormais c’en est fait de la puissance perse ; sa force est tranchée et son prestige est détruit.

814. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

Bourgoing et dans le Panégyrique de saint Paul : il demande que l’orateur écarte le bel esprit, mette de côté tout désir de plaire, tire toute la force de son discours de l’étude de l’Ecriture, et de l’ardeur de sa foi. […] Chose curieuse, ce que ce prêtre a le moins vu, c’est la force et l’influence de la religion dans la société antique ; mais personne, avant Fustel de Coulanges, ne le verra davantage. […] Cette force d’érudition et de critique a rendu son ouvrage inébranlable ; et il a ainsi contribué à donner aux protestants la nette conscience de l’essence du protestantisme, qui est dans la liberté de la croyance individuelle et dans l’évolution du dogme. […] Il ne s’agit pour le prédicateur que de marquer des formes d’âmes et de tracer les effets mécaniques des forces morales. […] Cet ancien professeur de rhétorique avait une vraie foi, une émotion sincère, et de là une forte éloquence qui éclatait parfois : mais à l’ordinaire il ne pouvait se tenir d’amplifier sa matière, avec force hyperboles et grands mouvements.

815. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Ainsi, en montant le pic du Midi, le voyageur arrivé à une certaine élévation se trouve avoir atteint à un beau réservoir d’eau appelé le lac d’Oncet, et où la nature commence à prendre un grand caractère ; il en fait voir en peu de mots l’encadrement, et en quoi ce nouveau genre de beauté consiste : C’est un beau désert que ce lieu : les montagnes s’enchaînent bien, les rochers sont d’une grande forme ; les contours sont fiers, les sommets hérissés, les précipices profonds ; et quiconque n’a pas la force de chercher dans le centre des montagnes une nature plus sublime et des solitudes plus étranges prendra ici, à peu de frais, une idée suffisante des aspects que présentent les monts du premier ordre. […] J’avais déjà épuisé le peu de force que se trouve l’homme qui veut contempler la nature dans son immensité, lorsque je considérai mon étroite station ; lorsque je vis que sur cet âpre rocher tout n’est pas débris, et que les feuillets hérissés du dur schiste qui le composent protègent de la verdure et des fleurs contre la froidure et les ouragans de cette haute région. […] Mais en même temps et en attendant que cette épopée encore à naître fut venue, Ramond, vers 1807, savait fort bien déterminer le caractère littéraire d’un siècle qui était le sien et qui a aussi sa force et son originalité : On le dépréciera tant qu’on voudra ce siècle, disait-il, mais il faut le suivre ; et, après tout, il a bien aussi ses titres de gloire : il présentera moins souvent peut-être l’application des bonnes études à des ouvrages de pure imagination, mais on verra plus souvent des travaux importants, enrichis du mérite littéraire… Nos plus savants hommes marchent au rang de nos meilleurs écrivains, et si le caractère de ce siècle tant calomnié est d’avoir consacré plus particulièrement aux sciences d’observation la force et l’agrément que l’expression de la pensée reçoit d’un bon style, on conviendra sans peine qu’une alliance aussi heureuse de l’agréable et de l’utile nous assure une place assez distinguée dans les fastes de la bonne littérature.

816. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal de Dangeau. tomes III, IV et V » pp. 316-332

Puis, le vert étendu, l’on déployoit force cartes, force dez et renfort de tabliers. […] À force d’être curieux et soupçonneux, il y a des moments où Saint-Simon devient crédule : Restons dans les limites sévères de l’histoire. […] Dangeau, pas plus en cette dernière occasion qu’en aucune autre, ne se permet le moindre commentaire : mais ce qu’il y a d’un peu lourd ou de peu svelte jusque dans la force et la grandeur de Louis XIV, paraît bien dans le détail journalier de sa relation.

817. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

Si l’on voulait, à toute force, tirer une leçon du livre, rien ne serait plus aisé : les moralistes chrétiens ont parlé souvent en termes généraux, mais avec une grande vérité, des misères de la passion et de l’enfer des jalousies ; on en a ici un exemple à nu, on a un damné qui sort de son gouffre et de son cercle dantesque pour nous faire sa confession atroce et d’une énergie truculente. […] De plus sérieux contradicteurs, et plus désintéressés, soutiennent qu’il est pénible, à travers ce déploiement continu de force et de talent, d’être constamment obligé (soi, lecteur) d’avoir en perspective ce qui est l’idée fixe de ce malheureux et maniaque Roger, c’est-à-dire l’image toute matérielle d’un partage physique ; que c’est une fin peu digne d’un art aussi vivant et aussi expressif, que c’est un but peu en proportion avec une monodie aussi déchirante. […] Pour moi, je me contenterai d’en dire qu’il révèle avant tout une étoffe, un tempérament, une force ; que la main de l’ouvrier y surpasse la matière ; que la monture y vaut encore mieux que le brillant : en d’autres termes, qu’il y a plus de talent qu’il n’en faut. […] Il y a surabondance de force.

818. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers (tome xviie ) » pp. 338-354

Napoléon, au centre, à Paris, crée à toute force des ressources, hâte la réorganisation, l’armement des recrues : les fusils manquaient encore plus que les bras. […] Thiers appelle un grand acte militaire, un vrai phénomène de guerre, montre tout ce qu’on peut et jusqu’où l’on peut, et sert à couvrir une retraite devenue nécessaire devant des forces si démesurées ; elle nous laissait dans un immense péril. Napoléon, qui découvre des ressources là où les autres n’en soupçonnent pas, n’a rien perdu de sa confiante certitude pendant les jours suivants. « Point troublé, point déconcerté, point amolli surtout, supportant les fatigues, les angoisses, avec une force bien supérieure à sa santé, toujours au feu de sa personne, l’œil assuré, la voix brusque et vibrante », il porte fièrement son fardeau ; il attend, il espère une faute des ennemis qui ne peuvent manquer d’en faire. […] Tous ceux, au contraire, qui voulaient à tout prix l’inviolabilité du cœur de la nation ; aux yeux de qui le triomphe de la double invasion avait été la plaie saignante dont on ne s’était pas relevé encore, la plaie intestine qui, même guérie et fermée en apparence, continuait de gêner les mouvements, de paralyser la force et la pleine action de la France ; tous ceux qui, en 1814, avaient pensé comme les soldats de Fontainebleau, et comme aujourd’hui encore M. 

819. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

Le bon Eckermann, qui avait peur que la conversation ne changeât de cours, essaya de la ramener en disant : « Je crois cependant que c’est surtout quand Napoléon était jeune, et tant que sa force grandissait, qu’il a joui de cette perpétuelle illumination intérieure : alors une protection divine semblait veiller sur lui ; à son coté restait fidèlement la fortune ; mais plus tard… —  Que voulez-vous ? […] Oui, oui, mon bon, ce n’est pas seulement en faisant des poésies et des pièces de théâtre que l’on est fécond ; il y a aussi une fécondité d’actions qui en maintes circonstances est la première de toutes… Génie et fécondité sont choses très-voisines… » Et une fois lancé, il ne s’arrêtait pas dans cette veine d’idées ; il montrait dans tous les ordres la force fécondante comme le signe le plus caractéristique du génie : Mozart, Phidias et Raphaël, Dürer et Holbein, il les prenait tous, et celui qui a trouvé le premier la forme de l’architecture gothique, et qui a rendu possible par la suite des temps un munster de Strasbourg, un dôme de Cologne ; et Luther, ce génie de la grande race, et dont la force d’action sur l’avenir n’est pas épuisée. Puis, sur une nouvelle question d’Eckermann qui craint toujours que l’entretien ne finisse, et qui demande si le corps dans cette force d’action n’entre pas autant et plus que l’esprit, Gœthe répond : « Le corps a du moins la plus grande influence.

820. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand »

Plus de soixante ans après, au terme de sa carrière, M. de Talleyrand, adressant à l’Académie des sciences morales et politiques l’Éloge de Reinhard, prenait plaisir à remarquer que l’étude de la théologie, par la force et la souplesse de raisonnement, par la dextérité qu’elle donnait à la pensée, préparait très bien à la diplomatie ; c’en était comme le prélude et l’escrime ; et il citait à l’appui maint exemple illustre de cardinaux et de gens d’Église qui avaient été d’habiles négociateurs. […] Il n’est pas moins vrai que le jeune abbé malgré lui, fier et délicat comme il était, dut ressentir avec amertume l’injustice des siens : quoique d’un rang si distingué, il entrait dans le monde sous l’impression d’un passe-droit cruel dont il eut à dévorer l’affront ; il se dit tout bas qu’il saurait se venger du sort et fixer hautement sa place, armé de cette force qu’il portait en lui-même, et qui déjà devenait à cette heure la première des puissances, — l’esprit si la théologie avait pu être en passant une bonne école de dialectique, il faut convenir encore que cette nécessité où il se vit aussitôt de remplir des fonctions sacrées, sans être plus croyant que l’abbé de Gondi ; que cette longue habitude imposée durant les belles années de la jeunesse d’exercer un ministère révéré et de célébrer les divins mystères avec l’âme la moins ecclésiastique qui fût jamais, était la plus propre à rompre cette âme à l’une ou l’autre de ces deux choses également funestes, l’hypocrisie ou le scandale. […] « L’envie, qui rarement avoue un mérite complet, a répondu qu’Amène manquait de cette force qui brise les difficultés nécessaires pour triompher des obstacles semés sur la route de quiconque agit pour le bien public. Je demanderai d’abord si l’on n’abuse pas de ce mot : avoir du caractère, et si cette force, qui a je ne sais quoi d’imposant, réalise beaucoup pour le bonheur du monde.

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