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749. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VI. Le charmeur Anatole France » pp. 60-71

Il est arrivé dans le choix des mots et des tours discrets à une telle subtilité qu’avec moins de trois mille mots, j’en suis sûr, il n’est pas de nuance d’émotion et d’ironie qu’il ne rende sensible aux initiés.

750. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre III. Soubrettes et bonnes à tout faire »

Gâté par les agaçantes roublardises du conteur, il réussit encore à nous secouer d’une émotion grossière, pas artistique, à nous secouer cependant.

751. (1856) Cours familier de littérature. I « IIe entretien » pp. 81-97

Les phrases, en s’enchaînant et en se développant à leur tour, déroulent un plus grand nombre d’idées, de sentiments ou d’images à l’esprit, de manière à communiquer plus fortement à celui qui lit ou qui écoute la pensée ou l’émotion de celui qui lit ou qui parle.

752. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les Philippiques de la Grange-Chancel »

Seulement il fait quelquefois des phrases comme celle-ci, qui ne sont pas de tout le monde : « La France fit de son échine adulatrice le premier degré de cette unité de foi où le monarque voyait pour lui l’échelle du ciel. » Quand on veut être insolent pour Louis XIV, il ne faut pas être grotesque, ou l’on manque l’insolence… Le sens d’historien, qui est très vif chez de Lescure, le fait entrer en plein dans l’histoire, et sur La Grange-Chancel il en a partagé les émotions.

753. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vitu » pp. 103-115

Vitu a raconté avec une émotion contenue, mais profonde, cette existence si pleine, si militante et si courte, couronnée par cette effroyable mort.

754. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Th. Gautier. Émaux et Camées »

Il a beau écrire Diamant du cœur, pour dire une larme et vouloir pétrifier tous ses pleurs pour en faire jaillir un rayon plus vif, dans son amour de l’étincelle, l’émotion est plus forte que sa volonté.

755. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor de Laprade. Idylles héroïques. »

Ni l’un ni l’autre de ces messieurs n’a l’intérêt profond et la tressaillante émotion des vrais poètes, mais l’ennui (je demande pardon de la vivacité du terme), l’ennui que répand M. de Laprade dans ses poésies est plus pur et tombe de plus haut.

756. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

Armand Silvestre, légitimement jaloux de ses prérogatives de critique, le soin et la joie de dire toute l’émotion où il m’a ravi. […] Il ne trouvait l’émotion véritable et la véritable grandeur poétique que parmi les visages humains, autour de lui, et parmi les choses familières qu’il savait douer d’une existence réelle, intime, profonde, adorable. […] Charles-Louis-Philippe… La Mère et l’enfant, La Bonne Madeleine, Bubu de Montparnasse, ce sont vraiment des livres d’une émotion nouvelle… Voilà qui apporte quelque chose de neuf à la littérature d’aujourd’hui… Eh bien ! […] toutes étaient sous le même charme angoissant ; toutes avaient au cœur la même émotion, et, durant les trois derniers tableaux, toutes pleuraient les mêmes larmes… Par conséquent, je ne me trompais pas d’être ému à ce point… Mon admiration et mon émotion n’étaient point les dupes de mon amitié… Cela était ainsi. […] Comme moi-même, ils y goûteront des joies rares, ils y sentiront une émotion nouvelle et très forte.

757. (1925) Comment on devient écrivain

Les symbolistes s’efforçaient de traduire les infinies nuances de l’émotion ou de la sensation. […] … Je raconterai, autant que je le pourrai, ce passé ; je montrerai ces sources d’émotion et d’études… Mais que voulez-vous ? […] Cette part faite à la psychologie, l’histoire est un chef-d’œuvre d’émotion et d’intérêt.‌ […] Le difficile est de réaliser quelque chose qui ait de l’unité, de l’intérêt, de l’émotion et de la facture. […] Insensible à l’émotion intérieure de ce style, Flaubert n’en voyait que la simplicité sans effort, qu’il jugeait incurablement banale.

758. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

On est allé trop loin en la rejetant complètement ; l’émotion de l’homme devant la nature est sûrement pour quelque chose dans l’origine des religions. […] Dans mon cas, sensation et émotion furent si fortes qu’il ne put tenir que peu de pensée, et nulle réflexion, nulle volition, dans le peu de temps qu’occupa le phénomène. […] Quand le péril est extrême, quand la crainte atteindrait son paroxysme et deviendrait paralysante, une réaction défensive de la nature se produit contre l’émotion qui était également naturelle. […] J’ai souvent pensé à ce petit incident, et je me suis dit que la nature n’aurait pas imaginé un autre mécanisme psychologique si elle avait voulu, en nous dotant de la peur comme d’une émotion utile, nous en préserver dans les cas où nous avons mieux à faire que de nous y laisser aller. […] L’acteur qui étudie son rôle se donne pour tout de bon l’émotion qu’il doit exprimer ; il note les gestes et les intonations qui sortent d’elle : plus tard, devant le public, il ne reproduira que l’intonation et le geste, il pourra faire l’économie de l’émotion.

759. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

Rien de plus aimable que l’émotion timide ressentie par le futur secrétaire intime durant les semaines qu’il passe à espérer l’heure de la présentation. « Ah !  […] Leur âme ne rencontre pas dans le cercle de circonstances où cette réalité l’emprisonne, de quoi satisfaire son appétit d’émotions grandioses et intenses. […] Par-delà ses ironies continues, sa réserve volontaire, sa surveillance de lui-même, nous sentons un monde d’émotions cachées qu’il ne nous dit pas. […] Il est un mystère qui se révèle non plus dans le raisonnement, mais dans l’émotion, et que la Science ne peut pas restreindre par le simple motif qu’elle ne peut pas l’atteindre. […] La seconde lui permet de voir les émotions qui, dans la salle, correspondent aux paroles, aux gestes, aux actions des personnages de la scène.

760. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1889 » pp. 3-111

C’est chez les Daudet et chez moi, avec une grande émotion, un étonnement qu’ils aient pu tirer du livre, une chose scénique. […] Lundi 14 janvier L’émotion de la bataille théâtrale, je la supporte très bien, excepté au théâtre ; là, mon moral n’est pas maître de mon organisme, je sentais hier à l’Odéon, mon cœur battre plus vite sous un plus gros volume. […] qu’ils sont donc heureux les acteurs qui jouent dans un pareil chef-d’œuvre. » Je rentre, et trouve mes deux femmes sous l’émotion du récit qui vient de leur être fait d’un assassinat, commis la veille dans la villa. […] Jeudi 4 avril J’ai toujours un plaisir, où il y a un peu d’émotion, à la réception des premières épreuves d’un livre. […] Et la petite diligence jaune, me rappelle encore une de mes plus profondes émotions — c’était cette fois en rotonde, — je revenais tout seul, à douze ans, de mes premières vacances passées à Bar-sur-Seine, et j’avais acheté les livraisons à quatre sous du roman de Fenimore Cooper : Le Dernier des Mohicans.

761. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre I. Les Saxons. » pp. 3-71

Les événements n’apparaissent pas nus dans ces cerveaux passionnés, sous la sèche étiquette d’un mot exact ; chacun d’eux y entre avec son cortége de sons, de formes et de couleurs ; c’est presque une vision qu’il y suscite, une vision complète, avec toutes les émotions qui l’accompagnent, avec la joie, la fureur, l’exaltation qui la soutiennent. […] Là il passait sa vie à écouter les morceaux de l’Écriture, qu’on lui expliquait en saxon, « les ruminant comme un animal pur, et les mettant en vers très-doux. » Ainsi naît la vraie poésie ; ceux-ci prient avec toute l’émotion d’une âme neuve ; ils adorent, ils sont à genoux ; moins ils savent, plus ils sentent. […] Ils n’ont qu’à descendre dans leur fond intime ils y trouveront une émotion assez forte pour tendre leur âme jusqu’au niveau du Tout-Puissant. Cette émotion était déjà dans leurs légendes païennes, et Cœdmon, pour raconter l’origine des choses, n’a besoin que de trouver les anciens rêves, tels qu’ils se sont fixés dans les prophéties de l’Edda.

762. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre III. La nouvelle langue. » pp. 165-234

Elle s’exagère, elle poursuit les ornements, elle oublie l’ensemble pour les détails, elle lance ses clochers à des hauteurs démesurées, elle festonne ses églises de dais, de pinacles, de trèfles en pignons, de galeries à jour : « Son unique souci est de monter toujours, de revêtir l’édifice sacré d’une éblouissante parure qui le fait ressembler à une fiancée178. » Devant cette merveilleuse dentelle, quelle émotion peut-on avoir sinon l’étonnement agréable ? […] Les songes de l’amour, pour rester vrais, ne doivent pas prendre un corps trop visible, ni entrer dans une histoire trop suivie ; ils ont besoin de flotter dans un lointain vaporeux ; l’âme où ils bourdonnent ne peut plus penser aux lois de la vie ; elle habite un autre monde ; elle s’oublie dans la ravissante émotion qui la trouble et voit ses visions bien-aimées se lever, se mêler, revenir et disparaître, comme on voit, l’été, sur la pente d’une colline, des abeilles voltiger dans un nuage de lumière et tourbillonner autour des fleurs. […] Ils ont eu des émotions fortes, parfois tendres, et les ont exprimées chacun selon le don originel de leur race, les uns par des clameurs courtes, les autres par un babil continu ; mais ils n’ont point maîtrisé ou guidé leurs impressions ; ils ont chanté ou causé, par impulsion, à l’aventure, selon la pente de leur naturel, laissant aux idées le soin de se présenter et de les conduire, et lorsqu’ils ont rencontré l’ordre, c’est sans l’avoir su ni voulu. […] Dans cette peinture, il a de l’émotion et du talent.

763. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

Dépourvu d’émotions réelles, il renvoie promptement la balle élastique des bons mots. […] Il y vient pour être à charge aux autres, quand il appartient complètement à cette race exquise et puissante qui fut celle des grands hommes inspirés. — L’émotion est née avec lui si profonde et si intime, qu’elle l’a plongé, dès l’enfance, dans des extases involontaires, dans des rêveries interminables, dans des inventions infinies. […] — Il n’y a ni maître ni école en poésie ; le seul maître, c’est celui qui daigne faire descendre dans l’homme l’émotion féconde, et faire sortir les idées de nos fronts, qui en sont brisés quelquefois. […] L’ivresse d’une admiration méritée succéda à l’émotion de la scène, et la France compta un grand dramatiste de plus.

764. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers, Tome xix. (L’île d’Elbe, — L’acte additionnel. — Le champ de mai.) » pp. 275-284

Mais vous ne pouvez demeurer ici, je le vois avec douleur ; du reste, espérons que Dieu, qui vous a protégé au milieu de tant de batailles, vous protégera encore une fois » — Ces paroles dites, elle embrassa son fils avec une violente émotion.

765. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les poëtes français. Recueil des chefs-d’œuvre de la poésie française »

M. de Belloy est aussi un poëte de l’art ; il ne prodigue pas ses impressions et ses émotions, il ne les exhale pas au hasard ; il les enferme dans une forme exacte et pure.

766. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

L’antiquité sied bien aux beautés simples ; néanmoins nous trouverions les discours des philosophes grecs sur les affections de l’âme trop monotones, s’ils étaient écrits de nos jours : il leur manque une grande puissance pour faire naître l’émotion ; c’est la mélancolie et la sensibilité.

767. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

La rapide succession des événements, les émotions qu’elle faisait naître, causaient une sorte d’ivresse produite par le mouvement, qui hâtait le temps, et ne laissait plus sentir le vide, ni l’inquiétude de l’existence.

768. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Conclusion » pp. 355-370

Mais cet avantage que Goethe perd un moment, il le retrouve le moment d’après, quand, par exemple, la lecture d’un chœur de Sophocle ou d’une ode de Pindare fait couler à longs traits dans tous ses sens et dans son âme une émotion, une félicité, que jamais ne goûta madame de Staël.

769. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Musset, Alfred de (1810-1857) »

Sainte-Beuve Quelles sont, dans les pièces de poésie composées depuis 1819 jusqu’en 1830, celles qui se peuvent relire aujourd’hui avec émotion, avec plaisir ?

770. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Régnier, Henri de (1864-1936) »

Chez lui, l’émotion — en général un peu froide — se revêt d’une expression lointaine, comme légendaire.

771. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rostand, Edmond (1868-1918) »

Il a l’idée frappée dans le métal sonore de l’expression ; il a l’imagination et l’image qui s’envole comme un oiseau versicolore ; il a l’intelligence qui se communique à la foule par un verbe éclatant ; il a l’art dont les délicats sont ravis et charmés ; il a la force et la sensibilité, l’abondance et la variété, la fantaisie et l’esprit, l’émotion et l’éclat de rire, le panache et la petite fleur bleue.

772. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre X. L’antinomie juridique » pp. 209-222

On peut assister dans la salle d’audience et cette étrange comédie de deux hommes qui, par fonction, accusent et défendent, avec une égale émotion, un individu sur lequel ils pensent souvent tout le contraire de ce qu’ils disent.

773. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre III. L’analyse externe d’une œuvre littéraire » pp. 48-55

Il existe des œuvres où l’auteur exprime directement ses émotions, ses idées, ses tendances.

774. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Ruy Blas » (1839) »

Cela tient à ce que la foule demande surtout au théâtre des sensations ; la femme, des émotions ; le penseur, des méditations.

775. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Marie-Antoinette » pp. 171-184

rien d’étonnant, sans nul doute, à cette magie de l’émotion, qui a donné tout à coup à MM. de Goncourt le sérieux dont leur talent manquait.

776. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XII. Marie-Antoinette, par MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 283-295

rien d’étonnant, sans nul doute, à cette magie de l’émotion, qui a donné tout à coup à MM. de Goncourt le sérieux dont leur talent manquait.

777. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « W.-H. Prescott » pp. 135-148

Son émotion, il la gouverne… Cette main sans passion, — et qui écrit, à propos des supplices de 1554 : « Qu’était-ce que cela, en comparaison des milliers de victimes qui périrent sous le règne précédent ! 

778. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Émile Augier, Louis Bouilhet, Reboul »

Elles ressemblent trop à l’émotion et à l’âme qui en sont les sources.

779. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Banville. Les Odes funambulesques. »

Sincère ou de parti pris, volontaire ou inspirée, la poésie des Odes funambulesques arrive-t-elle, n’importe à quel prix, à l’émotion et à l’illusion que toute poésie doit créer dans nos âmes ?

780. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Henri Murger. Œuvres complètes. »

Évidemment, en parcourant ces pages incorrectes et lâchées et ces vers dans lesquels l’émotion ne peut sauver le langage, on a senti que cette fantaisie ne tenait pas toute sa force, que cette langue de poète avait le filet… On ne le lui coupa pas et jamais il ne se l’arracha.

781. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Corneille »

Je suis intimement convaincu qu’il avait en lui la racine de toutes les poésies, mais il fut plus spécialement entraîné vers la poésie dramatique et l’étude de la nature humaine, et pour creuser dans cette poésie-là et dans cette étude, il n’avait pas besoin de l’émotion de ces voyages qui furent peut-être nécessaires au génie du poète de la Lusiade et du chantre de Childe Harold.

782. (1930) Le roman français pp. 1-197

Encore en est-il, parmi les plus jeunes, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Pologne, et l’Italie, la Russie même — nous le voyons bien à l’heure qu’il est — qui continuent d’avoir besoin qu’on leur signale, qu’on leur accuse, en traits chargés d’émotion, cet idéal. […] Comme Zola, il s’applique à la peinture des mouvements de foule, s’efforçant de la subtiliser, prêtant à ces mouvements de masses, d’armées, de patries, à la suite de Tolstoï, « l’émotion de la pensée », il y montre des idées-forces — qui entraînent, dirigent tout cela. […] Il s’est « converti » par conviction, j’en suis sûr, et peut-être aussi pour retrouver les ingénuités qu’il poursuit, les émotions délicieuses d’un « premier communiant ». […] De l’émotion, pourtant, qui jaillit d’une conviction discrète, mais intense. […] Chose à remarquer : il a fallu, pour Morte la Bête, que Sacha Guitry transportât cette brève nouvelle au théâtre pour qu’un public nombreux s’aperçût de la profondeur d’émotion et de vérité dont elle est pleine.

783. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre III. L’Âge moderne (1801-1875) » pp. 388-524

Ou plutôt encore, ce qui les a eux-mêmes émus dans l’histoire ou dans la vie, telle est l’origine et le sujet de leurs chants, qui ne nous intéressent point quand ils n’y ont mis d’eux que ce qu’il y avait en eux de plus singulier, mais à l’unisson desquels nous vibrons tout entiers quand nous y retrouvons nos propres émotions répercutées, amplifiées, et multipliées par l’écho de leur voix. […] Tandis que l’orateur essaie de donner à son émotion la forme la plus générale qu’il puisse, afin d’atteindre ainsi l’auditoire le plus divers et le plus étendu, c’est au contraire la forme la plus individuelle possible que le poète s’efforce de donner aux émotions de tout le monde. […] Voulant traduire des émotions plus intimes, — dont ce nom même d’intimes rappelle qu’on les avait gardées jusqu’à eux pour soi-même, — les romantiques ont eu besoin d’une plus grande liberté de mouvement, et ils n’ont pas demandé autre chose à l’alexandrin réformé. […] Que dirons-nous encore que soient les Histoires de Michelet, sinon la notation lyrique des émotions qu’il éprouve à revivre, dans le silence apaisé des archives, les hontes ou les gloires du passé ? […] España ou, en prose, le Roman de la momie] — la révolution « pittoresque », annoncée ou pressentie mais non pas réalisée par Sainte-Beuve. — Il y a un art de voir ; — et, indépendamment de l’émotion qu’elles nous procurent, il y a dans les choses, — .et surtout dans les choses humaines, — ce que d’autres, avant nous, y ont mis. — C’est ce qu’il y faut tacher de voir ; — et, sans nous soucier de nous ni de notre plaisir, — en savoir dégager « sous l’aspect de l’éternité ».

784. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

L’émotion de la séparation, en quittant ceux que nous aimons, est le motif central de l’art funéraire grec. […] D’autres ne sont pas tout à fait aussi enclins à croire à la vertu d’émotion des provincialismes. […] En effet, au moins en matière d’art, la pensée est inévitablement colorée par l’émotion. […] Assister à ce spectacle avec les émotions qui conviennent, tel est le but de toute culture, et une poésie comme celle de Wordsworth est une nourriture substantielle, un stimulant pour ces émotions. Il voit la nature pleine de sentiment et d’émotion.

785. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (2e partie) » pp. 161-239

Une fois, je traversais la partie la plus obscure et la plus inextricable d’un bois, dans la grande forêt de pins, non loin de Maunchunk, en Pennsylvanie ; et je n’étais attentif qu’à me garantir des reptiles venimeux dont je craignais la rencontre en cet endroit, lorsque soudain les douces notes du troglodyte parvinrent à mon oreille, et produisirent en moi une émotion si délicieuse, qu’oubliant tout danger, je me lançai bravement au plus épais des broussailles, à la poursuite de l’oiseau dont le nid, je l’espérais, ne devait pas être loin. […] Jamais je n’oublierai l’impression produite sur mon esprit par la rencontre qui fait le sujet de cet article, et je ne doute pas que la relation que j’en vais donner n’excite dans celui de mon lecteur des émotions de plus d’un genre. […] Qui donc aurait pu entendre un pareil récit sans émotion ?

786. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1887 » pp. 165-228

Un succès au théâtre, ne vaut pas les embêtements, et l’émotion qu’avait, ce soir, Hennique ! […] » Parlant de La Faustin, Tourguéneff s’abrite derrière Mme Viardot, pour dire que nos observations sur les émotions des femmes de théâtre, étaient archi-fausses. […] La scène de la prière, avec les réponses des malades, coupée par la chansonnette de Romaine agonisante, est saluée par un tonnerre d’applaudissements, par l’émotion d’une salle vraiment remuée… C’est un succès à tout casser.

787. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

Sa mort récente et prématurée, sa tombe à peine fermée par les mains de l’amour, et cette tombe illustrée par un chef-d’œuvre de Canova, lui-même immortel, ajoutaient à mon émotion, à l’aspect inattendu de ce sépulcre. […] La rougeur me monta au visage, et mon cœur battit d’émotion à l’idée de voir cette femme célèbre, dont cette inscription sur le tombeau venait de me faire retrouver le nom et la renommée dans ma mémoire. […] et qu’on se figure mon émotion fébrile en me préparant à voir celle qu’il avait divinisée dans ses vers.

788. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

C’est que l’émotion, par tout ce qui constitue le beau dans l’expression, y est complète et pour ainsi dire infinie : la jeunesse, la beauté, la naïve innocence de deux amants qui ne se défient ni d’eux-mêmes ni des autres ; leurs deux fronts penchés sur le même livre, qui, semblable à un miroir à peine terni par leur haleine confondue, leur retrace et leur révèle tout à coup leur propre image, et les précipite, par la fatale répercussion du livre contre leur cœur et du cœur contre le cœur, dans le même délire et dans la même faute. […] La poésie ou l’émotion par le beau, n’est-elle pas produite ici par le poète en quelques vers plus complétement que par tout un poème ? […] Ensuite, ce que la douleur n’avait pu faire, la faim l’acheva. » X En écartant les dégoûtantes images du commencement de ce récit, la poésie ou l’émotion par le beau ne peut aller plus loin.

789. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre III. Le roman » pp. 135-201

René Boylesve apportait au roman provincial (Mlle Cloque, la Becquée, l’Enfant à la Balustrade) le style de la Princesse de Clèves, des dons d’analyse subtils et nombreux, une grâce souriante, une élégance faite d’ironie et d’émotion contenue, et surtout un cœur intelligent et indulgent. […] Son talent le désignait pour rendre les émotions simples des paysans et les descriptions paraissent avoir dans Céline plus d’ampleur que dans les Joues d’Hélène et la Liaison fâcheuse. […] Ses romans, un peu confus, ont de l’intérêt, de l’émotion, de la sincérité.

790. (1890) La bataille littéraire. Deuxième série (1879-1882) (3e éd.) pp. 1-303

L’émotion y vient d’elle-même et le charme y est d’autant plus puissant qu’il paraît inconscient. […] L’émotion m’a empoigné au dîner du médecin, quand il rentre chez lui, et elle n’a cessé. — Mais vous avez du TALENT, mon camarade ! […] Le plus difficile de tous est celui dont la vie a été l’objet de l’émotion et de la curiosité publique. […] Le théâtre, il ne faut pas se le dissimuler, vil beaucoup d’illusions, d’émotions, d’entraînements, de surprises. […] La péripétie m’y paraît plus dramatique, l’émotion plus poignante, l’intérêt plus prolongé, la vérité plus grande.

791. (1894) La bataille littéraire. Cinquième série (1889-1890) pp. 1-349

Un des plus grands attraits de cette œuvre nouvelle est dans sa sincérité, dans l’émotion réelle que dégagent ces pages si vivantes, toutes faites des souvenirs du cœur et des yeux. […] Voici le très court résumé de cette œuvre dont l’émotion, je le répète, va faire le succès. […] Je passe sur des scènes admirables de dignité, d’émotion, et j’arrive au dénouement. […] Chanter juste est chose difficile en poésie, car il faut l’émotion d’abord, qui appartient à la jeunesse, et l’expression, résultat de l’expérience. […] L’émotion est d’autant plus forte qu’elle n’est pas cherchée et que c’est sans prétention à la mise en scène que M. 

792. (1886) Le roman russe pp. -351

Bouvard et Pécuchet, c’est le dernier mot, l’aboutissement nécessaire du réalisme sans foi, sans émotion, sans charité. […] Comme leur inspiration, leur pratique littéraire les rapproche des Anglais ; ils font acheter l’intérêt et l’émotion au même prix de patience. […] Enfin, à côté des pages où les émotions de jeunesse entraînent librement la plume, il y en a d’autres où je sens la rouerie du lettré, travaillant sur des thèmes populaires. […] Pas la moindre fadeur sentimentale dans ce douloureux récit, pas d’éclats de passion ; une touche discrète et chaste, une émotion contenue qui va croissant et nous étreint le cœur. […] Jadis, il ne se plaisait qu’aux émotions virginales, la femme ne l’intéressait que jeune fille, il peignait l’amour loyal, marchant le front haut, même alors qu’il brave le monde.

793. (1881) Le naturalisme au théatre

Et voilà tout, cela suffit à serrer les cœurs d’une profonde émotion. […] Dans la Mort civile, Salvini m’a transporté ; je m’en suis allé étranglé d’émotion. […] Delà, cette grosse émotion, en face d’une aventure tellement commune, qu’elle en est bête. […] Il n’est pas bon de se détraquer de la sorte, à la moindre émotion. […] » Certes, le mot est très beau et devrait produire un grand effet d’admiration et d’émotion.

794. (1888) Impressions de théâtre. Première série

Toute cette mythologie devrait nous refroidir, arrêter en nous l’émotion qui naissait. […] Pensez-vous qu’il soit sage d’exposer les gamins des écoles à des émotions de cet ordre ? […] Elle n’ignore pas le mal ni la souffrance, et même il lui arrive de s’y complaire, parce que les émotions tristes sont les plus fortes. […] Le public l’écoutait l’autre jour avec émotion et avec respect. […] Elle garde la grâce piquante de leurs fantaisies dramatiques, et elle y joint les larmes, l’émotion pénétrante et profonde.

795. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Plus tard, il y aura chez lui une certaine note d’émotion sensuelle. […] D’autres, quand ils regardent en eux-mêmes, y trouvent des émotions, des idées, des sentiments, des rêves. […] Chez d’autres poètes, ce que nous admirons, ce sont surtout les idées, les conceptions, les sentiments ; d’autres poètes ont éveillé nos âmes à des émotions nouvelles et nous ont fait apercevoir en nous des replis de notre cœur que nous ne connaissions pas. […] Et Musset, avec la même hardiesse que le Chérubin de Beaumarchais, va aller au-devant de toutes les émotions, se jeter au-devant de la vie, qu’il défie, et à laquelle il demande toutes les jouissances. […] Mais, chez les uns ou chez les autres, ce principe est toujours le même ; ce principe, c’est celui de la poésie personnelle, à savoir que le poète doit se mettre lui-même dans son œuvre et entretenir le public de ses émotions, des événements de sa sensibilité, de ses joies et de ses douleurs.

796. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite et fin). »

Abufar ou la Famille arabe réussit fort, après quelque petite hésitation, et fut l’une des émotions littéraires du printemps de 1795 : au sortir de la tyrannie de Robespierre, on se plaisait à ces images de pasteurs et de chameaux du désert, à ces peintures patriarcales embellies. […] De la raison, de l’enchaînement, oui ; mais de l’émotion, mais de la tragédie… Ma gloire, si gloire il y a, sera d’avoir été voire poète… » (Avril 1804.)

797. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

Horace dit au roi, en lui parlant de ce départ qu’il désirait retarder : « Mais il y a de l’émotion dans Paris ; je suis officier de l’état-major de la garde nationale ; je désirerais ne pas quitter au moment où il peut y avoir des troubles à réprimer. » — « Quoi ! […] En ce qui est de lui, revenant à juger ses dernières productions, il excède bien plutôt en sévérité qu’en indulgence : « Grâce à l’aspect boueux et plombé du Salon, mon tableau (le Siège de Rome) qui remplit lui-même pas mal de ces conditions, est sans doute celui qui attire le plus les regards ; en le considérant, il n’éborgne pas, et on le quitte sans émotion fâcheuse.

798. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

Le grand poëte ne lisait pas lui-même ; il eût craint peut-être en certains moments les éclats de son cœur et l’émotion de sa voix. […] On n’arrive à ce château mystérieux que peu à peu, par intervalles, moyennant des descriptions graduelles, ménagées, qui disposent à l’émotion.

799. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre II. Lois de la renaissance et de l’effacement des images » pp. 129-161

Le haschich, l’agonie, les grandes et subites émotions font parfois des résurrections aussi minutieuses de sensations aussi peu remarquées et encore plus lointaines. — On ne peut donc pas assigner de limites à ces renaissances, et l’on est forcé d’accorder à toute sensation, si rapide, si peu importante, si effacée qu’elle soit, une aptitude indéfinie à renaître, sans mutilation ni perte, même à une distance énorme, comme une vibration de l’éther qui, partie du soleil, se transmet à travers des millions de lieues jusqu’à nos appareils d’optique, avec son spectre spécial et ses raies propres, la même au point de départ et au point d’arrivée, intacte et capable, par sa conservation exacte, de manifester à l’instrument qui la reçoit le foyer qui l’émet. […] Chose étrange, on sort d’un rêve intense et plein d’émotions ; il semble qu’un état si violent doive aisément et longtemps se reproduire.

800. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

Nos nerfs trop susceptibles, nos émotions trop raffinées, la richesse excessive de nos impressions, contrarient cet effort vers le style, qui persiste cependant au fond de nous-mêmes. […] Une suite d’émotions vives leur suffit.

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