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1681. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

Quel régal pour les artistes que cette langue au double timbre, et qui mêle souvent les deux notes de Rabelais et de Henri Heine : de l’énormité grasse ou de la tendre mélancolie. […] Presque aussitôt un tigre se décide à entrer, mais l’autre, flairant longuement le plancher et reniflant la prison, buté devant la loge, rappelle l’autre dans la langue qu’ont les animaux entre eux, et tous deux après une terrible passe de leurs formidables pattes, se refusent à sortir, la gueule et l’œil retournés vers le vert du jardin et la liberté du ciel. […] Il a osé des choses monstrueuses, mais en les sauvant, avec ces atténuations de la voix, cette grâce légère de la langue, que possède ce gros homme, si délicat causeur.

1682. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Cette force s’épanche en différens canaux ; elle enfante une langue, une religion, un art, une philosophie, un système de gouvernement, qui sont comme autant d’organes de la vie nationale. […] Dès lors on sera disposé à voir, avec Bunsen, dans le sentiment que l’homme a de Dieu la force primordiale et constante qui meut les nations, le souffle toujours vivant qui pousse l’humanité vers le vrai et le juste, l’instinct originel de notre race, instinct qui, se développant graduellement de l’inconscience à la conscience, donne naissance à toute langue, à toute constitution sociale et politique, à toute civilisation. […] D’ailleurs la langue ne lui fournit qu’un vocabulaire insuffisant.

1683. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre IX : Insuffisance des documents géologiques »

D’après la nature des restes organiques qu’on trouve dans les diverses formations d’Europe et des États-Unis, il ne semble pas qu’ils aient habité des mers très profondes ; et d’après la quantité énorme de sédiment qui forme ces dépôts d’une puissance de plusieurs milles, on peut inférer que, du commencement à la fin de la période, de larges îles ou langues de terre, auxquelles ce sédiment a pu être arraché, se trouvaient dans le voisinage de l’Europe et de l’Amérique du Nord qui formaient déjà à cette époque deux continents émergés. […] Les mots de la langue lentement changeante dans laquelle cette obscure histoire est écrite, devenant plus ou moins différents dans les chapitres successifs, représentent les changements en apparence soudains et brusques des formes de la vie ensevelies dans nos strates superposées et pourtant intermittentes. […] C’est, du reste, un inconvénient inévitable de la forme logique des langues où le signe, moins particulier et moins analytique que l’idée, la remplace en l’altérant toujours plus ou moins.

1684. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Comme on dit dans ce jargon moderne qui a remplacé la langue de Bossuet, « on a sécularisé l’histoire. » Les laïques et les philosophes, voilà les maîtres des temps futurs ! […] La civilisation chrétienne périssant sous la civilisation païenne, ressortie de ses ruines depuis le xve  siècle, le mort revenant tuer le vif, la tradition coupée comme une corde de harpe, les ancêtres niés, les langues retardées dans leur développement par ce latin qui n’était plus le robuste latin des moines dans lequel palpitaient l’âme et le génie du Moyen Âge, mais un latin qui singeait l’antique et qui puait la tombe sous ses élégances comme les momies sous leur rouge ; l’imitation substituée à l’originalité et l’empêchant même de naître, tel fut, en quelques mots, le crime intellectuel de la Renaissance, et ce crime, dont nous portions la peine, s’était épuisé dans des littératures qui n’avaient plus une goutte de sang dans les veines. […] Traité avec une affectueuse distinction par Grégoire XVI, et par Sa Sainteté le Pape actuel, Pie IX, il fut honoré de l’amitié de plusieurs cardinaux, entre autres le cardinal Lambruschini et le cardinal Mezzofante, le polyglotte qui semblait avoir le don des langues, comme les apôtres.

1685. (1893) Alfred de Musset

Mais les gens voulaient savoir mieux qu’elle, comme toujours, et les langues allaient leur train. […] En quelle langue est cela ?  […] Musset a employé dans son théâtre une prose poétique qui a peu de rivales dans notre langue. […] C’est une langue franche et transparente, où l’expression est juste, le tour de phrase net et naturel. […] Nos jeunes gens n’aiment plus le naturel, ni dans la langue, ni dans la pensée, ni dans les sentiments, ni même dans les choses.

1686. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Quoique le maître ait toujours usé d’un style admirablement pur et solide, dépouillé de ces nuances infinitésimales où se dissout actuellement notre langue, quoiqu’il ait su donner à sa phrase la correction et la consistance qualifiées classiques, c’est un poète de pleine maturité, nous dirions presque de décadence, si le terme n’avait été détourné de son acception primitive au profit d’une nouvelle école. […] Melchior de Vogüé, qui a déjà cité ce fragment dans ses belles études sur le Roman russe, appelle ceci d’un nom intraduisible dans notre langue, l’otchaïanié 143, et il y voit la maladie nationale des Slaves. […] Sans bien s’expliquer ce phénomène, ils l’avaient d’ailleurs senti et noté dans un court alinéa de leur Journal, quand ils déclaraient que « l’homme a besoin de dépenser, à certaines heures, des grossièretés de langue, et surtout l’homme de lettres, le brasseur de nuages164 ». […] Arrivé en France, le futur auteur des Poèmes antiques s’installa à Rennes, où il écrivit quelques vers dans les journaux de Bretagne, et étudia les langues étrangères, la philosophie, l’histoire surtout, sans but bien fixe d’ailleurs, accumulant pour l’avenir des matériaux, dont il ne pouvait guère pressentir l’usage. […] …………………………………………………… …………………………………………………… Sa langue l’unie et pend de sa gueule profonde.

1687. (1890) La bataille littéraire. Deuxième série (1879-1882) (3e éd.) pp. 1-303

Langues qui ne veulent pas déblanchir. […] Ce Jean, sans nom de famille, en qui on a cru reconnaître Raymond Brucker, l’ancien collaborateur de Gozlan, fondu avec une autre personnalité littéraire, retrouve une langue des vivants quand il regarde, du fond de sa conversion, la littérature d’il y a dix ou quinze ans qu’il a quittée. […] Les scènes militaires, son histoire du Faucon noir du pic de Ténériffe, ses toasts en imitation de langues étrangères, ne sont-elles pas des scènes aussi réelles que celles qui se jouent chaque jour devant nous dans la vie, et qui présentent en relief l’orgueil bête, la crédulité prétentieuse, la vanité solennelle, etc., etc. […] Les bibliophiles et ceux qui sont soucieux de l’histoire de la langue française les reliront plus tard comme ces phrases soulignées des romans de Crébillon fils, si bien au courant du « parlage » des boudoirs du dix-huitième siècle. […] Le véritable caractère national allemand, c’est la lourdeur ; elle éclate dans leur démarche, dans leur manière d’être et d’agir, leur langue, leurs récits, leurs discours, leurs écrits, dans leur façon de comprendre et de penser, mais tout spécialement dans leur style.

1688. (1895) La comédie littéraire. Notes et impressions de littérature pp. 3-379

On n’a pu le rendre responsable ni d’une déformation quelconque de la langue, ni de la création d’une église littéraire·. […] Enfin la langue est de qualité douteuse. […] Mais cela est pittoresque, cela vous pique la langue comme un verre de vin bleu. […] M. de Montesquiou n’aurait-il pu rendre la même idée, en se servant tout bonnement de la langue de Vigny, de Lamartine ou d’Hugo ? […] La langue qu’écrit M. 

1689. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

. —  La langue qui conte l’histoire de tes journées, —  et fait des commentaires lascifs sur tes voluptés, —  ne peut te diffamer qu’avec une sorte de louange. —  Et ton nom prononcé fait d’une médisance une bénédiction197. » À quoi servent l’évidence, la volonté, la raison, l’honneur même, quand la passion est si absorbante ? […] Il pensait par blocs, et nous pensons par morceaux : de là son style et notre style, qui sont deux langues inconciliables. […] je ne pourrai jamais — plier ma langue à cette allure. « Regardez, monsieur, mes blessures, —  je les ai gagnées au service de mon pays, lorsque — certains quidams de vos confrères hurlaient de peur, et se sauvaient — du son de nos propres tambours269. » Les tribuns n’ont pas de peine à arrêter l’élection d’un candidat qui sollicite de ce ton. […] Prenez ceci encore, et que tout ce par quoi on peut jurer, divin ou humain, scelle ce que je vais dire : Abolissez cette magistrature ; arrachez cette langue de la multitude. […] —  Venez, faites-lui cortége, conduisez-le à mon berceau. —  Il me semble que la lune regarde avec des yeux humides, et quand elle pleure, chaque fleurette pleure — sur quelque virginité perdue. —  Arrêtez la langue de mon bien-aimé, amenez-le en silence312.

1690. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

J’évitais de toutes mes forces d’être confondu avec la nation dont je parle la langue, pendant ses triomphes ; mais je sens vivement, dans ses revers, combien je lui suis attaché, combien je souffre de sa souffrance, combien je suis humilié de son humiliation… Mille intérêts communs, mille souvenirs d’enfance, mille rapports d’opinion, lient ceux qui parlent une même langue, qui possèdent une même littérature, qui défendent un même honneur national.

1691. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DES MÉMOIRES DE MIRABEAU ET DE L’ÉTUDE DE M. VICTOR HUGO a ce sujet. » pp. 273-306

A la contemplation de ces scènes voisines et déjà fabuleuses qui se confondaient avec nos premiers rêves du berceau, l’imagination s’est enrichie de couleurs encore inconnues ; d’immenses horizons se sont ouverts de toutes parts à de jeunes audaces pleines d’essor ; en éclat, en puissance prodigue et gigantesque, la langue et ses peintures et ses harmonies, jusque-là timides, ont débordé. […] Victor Hugo ; jamais notre langue n’avait rendu tant de chocs et d’éclairs ; jamais le despotisme du génie tribunitien n’avait été inauguré dans une telle pompe ; jamais cette sorte de bête fauve, comme l’écrivain l’appelle, ne s’était montrée si puissamment déchaînée : nous regrettons un certain souffle moral que nous n’avons nulle part senti circuler.

1692. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

Nous ne connaissons rien de plus parfait et de plus réel dans aucune langue ancienne ou moderne. […] XXXII Un dixième tiroir contient une dissertation sur l’argot et presque un éloge de cette langue infâme.

1693. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XII, les sept chefs devant Thèbes. »

Dante a un mot superbe, battu sur l’enclume où il a forgé la langue italienne, pour figurer la stature des Géants qui surplombent le puits de l’abîme : « De même, dit-il, que Montereggione couronne de tours son enceinte ronde, ainsi sur la corniche qui borde le puits, s’élevaient comme des tours » (il faudrait un barbarisme introuvable pour traduire cette image qui ne fait dans le texte que le temps d’un verbe) « et jusqu’à mi-corps, les horribles géants que menace encore Jupiter du haut du ciel, quand il tonne. » Perroche come in su la cerchia tonda, Montereggion di torri s’incorona ; Cosi la proda che l’ pozzo circonda, Torregiavan di mezza la persona Gli orribili giganti, cui minaccia Giove dal cielo ancora, quando tuona. […] Le sanglot est de toutes les langues : Rachel à Rama, Antigone et Ismène à Thèbes, sont entendues de tous lorsqu’elles pleurent, l’une sur ses fils, les autres sur leurs frères, « parce qu’ils ne sont plus ».

1694. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

Mais le même raisonnement peut s’appliquer au néologisme intérieur : car les syllabes et les lettres sont faites, elles aussi, pour être groupées de mille façons et former les différents mots d’une langue par la diversité de leurs groupements ; il n’y aurait donc innovation véritable dans le langage que dans le cas purement théorique de la création d’une voyelle ou d’une consonne nouvelle, et l’imagination linguistique n’aurait guère existé qu’aux origines de l’humanité. […] Image, que nous fournit la langue vulgaire, est équivoque, à cause de son dérivé imagination, dont le sens a été spécialisé, et aussi parce que ce terme semble devoir s’appliquer surtout à une espèce du genre, les phénomènes d’ordre visuel ; nous l’emploierons pourtant, faute d’un meilleur, mais seulement dans les cas où l’équivoque sera impossible.

1695. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

Après Joseph Delorme, après ce cri jeté de Philoctète moderne à la plaie empoisonnée et qui empoisonne tout Lemnos, nous n’eûmes plus que le Trissotin des Consolations et des Pensées d’août, où le poète creva sous une langue qui n’était même plus du français. […] Fantaisiste de la Critique, bénédictin de l’anecdote, Mabillon de babioles, aiguiseur de notes en épigrammes pour les placer plus tard, commère comme trente-six langues de femmes pour en faire parler une trente-septième, le petit homme de la rue Montparnasse restera dans la mémoire des contemporains comme le touche-à-tout le plus curieux, le plus acharné et parfois le plus puéril de son siècle.

1696. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

Dans cet énervement de sa raison historique, il perd jusqu’à la fermeté de la langue de l’histoire. […] Comme on aurait dit dans la langue des petits soupers qu’il regrette et qui le font rêver, il l’avait gardée pour la bonne bouche, cette intéressante histoire.

1697. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

Des lésions de tel ou tel point de la zone rolandique, entre le lobe frontal et le lobe pariétal, entraînent la perte des mouvements du bras, de la jambe, de la face, de la langue. […] La seule hypothèse précise que la métaphysique des trois derniers siècles nous ait léguée sur ce point est justement celle d’un parallélisme rigoureux entre l’âme et le corps, l’âme exprimant certains états du corps, ou le corps exprimant l’âme, ou l’âme et le corps étant deux traductions, en langues différentes, d’un original qui ne serait ni l’un ni l’autre : dans les trois cas, le cérébral équivaudrait exactement au mental.

1698. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

Ce n’était pas la peine de forger un mot nouveau dans une langue déjà trop riche de mots pour redire ce que tout le monde entendait fort bien. […] On continuera cependant de le lire, non à cause de ses théories, mais en dépit d’elles, pour la vigueur de ses peintures, pour la puissance de ses conceptions, pour la façon magistrale dont il a souvent manié la langue française.

1699. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « BRIZEUX et AUGUSTE BARBIER, Marie. — Iambes. » pp. 222-234

Marie, la gentille brune aux dents blanches, aux yeux bleus et clairs, l’habitante du Moustoir, qui tous les dimanches arrivait à l’église du bourg, qui passait des jours entiers au pont Kerlo, avec son amoureux de douze ans, à regarder l’eau qui coule, et les poissons variés, et dans l’air ces nombreuses phalènes dont Nodier sait les mystères ; Marie, qui sauvait la vie à l’alerte demoiselle abattue sur sa main ; qui l’hiver suivant avait les fièvres et grandissait si fort, et mûrissait si vite, qu’après ces six longs mois elle avait oublié les jeux d’enfant et les alertes demoiselles, et les poissons du pont Kerlo, et les distractions à l’office pour son amoureux de douze ans, et qu’elle se mariait avec quelque honnête métayer de l’endroit : cette Marie que le sensible poëte n’a jamais oubliée depuis ; qu’il a revue deux ou trois fois au plus peut-être ; à qui, en dernier lieu, il a acheté à la foire du bourg une bague de cuivre qu’elle porte sans mystère aux yeux de l’époux sans soupçons ; dont l’image, comme une bénédiction secrète, l’a suivi au sein de Paris et du monde ; dont le souvenir et la célébration silencieuse l’ont rafraîchi dans l’amertume ; dont il demandait naguère au conscrit Daniel, dans une élégie qui fait pleurer, une parole, un reflet, un débris, quelque chose qu’elle eût dit ou qu’elle eût touché, une feuille de sa porte, fût-elle sèche déjà : cette Marie belle encore, l’honneur modeste de la vallée inconnue qu’arrosent l’Été et le Laita, ne lira jamais ce livre qu’elle a dicté, et ne saura même jamais qu’il existe, car elle ne connaît que la langue du pays, et d’ailleurs elle ne le croirait pas.

1700. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier après les funérailles »

Ce qu’il avait entrepris et déjà exécuté de travaux et d’articles pour le nouveau Dictionnaire historique de la langue française ne saurait être apprécié en ce moment que de ceux qui en ont entendu la lecture ; ce qui est bien certain, c’est qu’il gardait, jusque dans des sujets en apparence voués au technique et à une sorte de sécheresse, toute la grâce et la fertilité de ses développements ; il n’avait pas seulement la science de la philologie, il en avait surtout la muse192.

1701. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre III. Du récit des faits. — Antécédents et conséquents. — Causes et effets »

Mais tenons-nous-en à l’usage commun de la langue : sans prétendre mesurer à la rigueur à quel point ce que nous nommons cause est vraiment cause, il suffit, pour notre sujet, que notre raison n’est pas satisfaite, tant qu’elle n’a pas expliqué bien ou mal pourquoi les choses sont comme elles sont et ce qui en résulte.

1702. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre II. Précurseurs et initiateurs du xviiie  siècle »

L’exercice intellectuel les occupait plus, ne fût-ce que parce que ces épicuriens, lorsqu’ils nous parlent, sont hors d’âge, condamnés à pécher surtout d’intention et de langue.

1703. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVIII. Gentils conteurs » pp. 218-231

L’écrivain de telle phrase : « Chacune des femmes étendues avait déjà un compagnon secret dont elle créait le charme à l’image réelle de son désir enfantin » est un écrivain qui, de sa langue, n’a plus rien à apprendre.

1704. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 22, que le public juge bien des poëmes et des tableaux en general. Du sentiment que nous avons pour connoître le mérite de ces ouvrages » pp. 323-340

Ce n’est point sur de pareilles beautez qu’un auteur sensé qui compose en langue vulgaire, fonde le succès de son poëme.

1705. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VII »

On condamne d’un mot et en bloc l’opinion de tous les maîtres de notre langue, de tous les juges de notre littérature, de tous les grands poètes et grands écrivains, depuis Ronsard jusqu’à Chénier, Chateaubriand, Sainte-Beuve et Flaubert, sans oublier Boileau, Racine et Gœthe, qui tous ont admis et conseillé hautement l’imitation d’Homère.

1706. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIII. Mme Swetchine »

Elle savait huit langues, c’est-à-dire qu’elle avait huit mots pour une idée, aurait dit encore Rivarol, qui n’en eût pas été si fier pour elle que M. de Falloux.

1707. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

ces frères siamois de la littérature — comme on les appelle déjà — sont aussi les neveux siamois de l’auteur du Solitaire (ils tiennent par le mauvais côté à d’Arlincourt comme parle bon à Jules Janin) ; supposez donc qu’ils se résolvent à parler simplement et virilement cette belle langue française que nous devrions tous respecter comme la parole de notre mère, et qui semble, sous leur plume, contracter quelquefois l’accent des Incroyables du temps de Garat (serait-ce pour se faire mieux accepter comme les Alcibiades de l’histoire ?) 

1708. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « César Daly »

Habile architecte, grand archéologue, et plus grand critique d’art encore, Daly avait triple mission, de par ses trois spécialités, de nous parler de cette organisation des concours, la plus grande question pratique d’art et d’État qui à cette heure puisse être agitée, et il l’a fait dans un livre que je n’appellerai pas court, puisqu’il dit tout ce qu’il faut dire et que nulle part je n’ai vu la substance tout entière du sujet qu’on traite tenir moins de place dans une langue plus forte et plus claire.

1709. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ch. de Barthélémy » pp. 359-372

parent de Malherbe, un critique aussi à sa manière, qui ne voulait pas, en mourant, qu’on offensât devant lui la langue française.

1710. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVI. M. E. Forgues. Correspondance de Nelson, chez Charpentier » pp. 341-353

Les livres, en effet, dans lesquels l’attention est obligée de s’abattre comme un bec d’aigle pour les pénétrer et en prendre la moelle spirituelle, le public des lecteurs, débilité par l’ennui elles lectures vaines, n’en veut plus et il s’en détourne, tandis qu’il se jette avec un empressement avide, sur les brouets clairets que l’esprit lape en un tour de langue, même quand il est pressé.

1711. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Nelson »

Les livres, en effet, dans lesquels l’attention est obligée de s’abattre comme un bec d’aigle pour les pénétrer et en prendre la moelle spirituelle, le public des lecteurs, débilité par l’ennui et les lectures vaines, n’en veut plus et il s’en détourne, tandis qu’il se jette avec un empressement avide sur les brouets clairets que l’esprit lappe en un tour de langue, même quand il est pressé.

1712. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Mgr Rudesindo Salvado »

Caractère physiologique de la race, croyances religieuses, lois, coutumes, mœurs domestiques, ornements et parures, ustensiles et armes, chasses, constructions, maladies, boglias (médecins), funérailles, tout, jusqu’à un lexique très bien fait de la langue de ces tribus sauvages, Mgr Salvado n’a rien oublié de ce qu’il a été à portée de bien voir et de recueillir.

1713. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « La Bible Illustrée. Par Gustave Doré »

Mais, quoique je n’aie jamais cru aux traducteurs ou aux illustrateurs à la douzaine, quoique la puissance de s’incorporer à un génie, déjà très rare, n’implique nullement la puissance de s’incorporer avec tous ou avec plusieurs, et qu’interpréter à merveille les Contes drolatiques de Balzac, par exemple, ne soit pas une raison pour bien interpréter Shakespeare, cependant la difficulté de traduire les différents génies qui concourent à cette grande œuvre de la Bible, à cette Babel sans confusion de langues qui ne menace pas le ciel, mais qui le fait descendre sur la terre, cette difficulté tient encore plus à la grandeur des scènes et des personnages qu’on y trouve qu’à la diversité des génies qui les ont exprimés, et ici la question du surnaturalisme revient par un autre côté, car bien évidemment l’Histoire, la stature de l’Histoire et de l’homme, sont ici dépassées.

1714. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Henri Cantel »

Dans ce recueil, la langue est prête.

1715. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. J. Autran. Laboureurs et Soldats, — Milianah. »

Voulez-vous un échantillon de cette langue qui a pour visée la simplicité et qui atteint au-dessous ?

1716. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Milton »

On lui apprit huit langues et toutes les sciences du temps, même l’astronomie.

1717. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Ferdinand Fabre »

… En France, ce pays spirituel autrefois, hébété maintenant d’impiété, le prêtre qui n’est pas le Bon pasteur de Béranger et que le libéralisme du bourgeois peut honorer encore, s’il est décoré de la Légion d’Honneur et si c’est un « apôtre de la tolérance », comme on dit dans la charmante langue de Béranger, n’est plus que le Soutane, levez-vous !

1718. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Eugène Sue » pp. 16-26

Balzac, à deux, ou trois endroits de sa Comédie, s’est assimilé cette effroyable langue, et y a fait entrer son génie, comme on chasse de l’or dans du fer.

1719. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « L’Abbé *** »

nous ne sommes plus ici dans la littérature, pas même dans la littérature à quatre sous, — puisque, la démocratie de nos mœurs ayant passé dans nos esprits, nous avons maintenant dans la langue française la littérature à quatre sous.

1720. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IX. Suite des éloges chez les Grecs. De Xénophon, de Plutarque et de Lucien. »

Cette grâce, cette expression douce et légère qui embellit en paraissant se cacher, qui donne tant de mérite aux ouvrages et qu’on définit si peu ; ce charme qui est nécessaire à l’écrivain comme au statuaire et au peintre ; qu’Homère et Anacréon eurent parmi les poètes grecs, Apelle et Praxitèle parmi les artistes ; que Virgile eut chez les Romains, et Horace dans ses odes voluptueuses, et qu’on ne trouva presque point ailleurs ; que l’Arioste posséda peut-être plus que le Tasse ; que Michel-Ange ne connut jamais, et qui versa toutes ses faveurs sur Raphaël et le Corrège ; que, sous Louis XIV, La Fontaine presque seul eut dans ses vers (car Racine connut moins la grâce que la beauté) ; dont aucun de nos écrivains en prose ne se douta, excepté Fénelon, et à laquelle nos usages, nos mœurs, notre langue, notre climat même se refusent peut-être, parce qu’ils ne peuvent nous donner, ni cette sensibilité tendre et pure qui la fait naître, ni cet instrument facile et souple qui la peut rendre ; enfin cette grâce, ce don si rare et qu’on ne sent même qu’avec des organes si déliés et si fins, était le mérite dominant des écrits de Xénophon.

1721. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XII. »

Pour ta beauté qui lui était chère, le nourrisson d’Atarné a quitté la lumière du jour : aussi sera-t-il à jamais célébré ; et les Muses, filles de Mnémosyne, augmenteront son immortel renom, attentives à célébrer en lui le culte de Jupiter hospitalier, et la gloire de l’amitié fidèle. » Ces courtes paroles littéralement traduites ne semblent-elles pas garder encore la marque ineffaçable du grave et lumineux esprit qui leur avait donné la mélodie de sa langue et celle des vers ?

1722. (1883) Essais sur la littérature anglaise pp. 1-364

Leur patrie n’est pas circonscrite par conséquent ; elle est partout où se parle la langue anglaise, où se trouvent des hommes de race anglaise. […] Traditions, institutions, langue, habitudes, caractère, vertus et vices, tout est là profondément germanique. […] Elle lui avait donné le goût de toutes les langues perdues ou en train de se perdre, depuis l’arménien jusqu’à la langue erse, de tous les idiomes excentriques, depuis l’idiome des zingari jusqu’à l’argot des voleurs, — des poésies et des légendes populaires de tout âge et de tout pays. […] Outre le Barde endormi, il a laissé un livre de conseils aux professeurs chrétiens, écrit également en langue galloise. […] N’avez-vous pas vu des étincelles de notre feu jaillir des langues des blasphémateurs et des langues des femmes furieuses, lorsqu’elles cherchaient à ramener leurs maris à la maison ?

1723. (1895) La vie et les livres. Deuxième série pp. -364

Et combien de délicats ont savouré, en se pourléchant les babines, ce fameux portrait, gravé à la pointe sèche par Jean de La Bruyère : « … Ils passent leur vie à déchiffrer les langues orientales et les langues du Nord, celles des deux Indes, celles des deux pôles, et celle qui se parle dans la lune. […] Il trouve des rapports entre les langues du Caucase, les dialectes de l’Amérique, les patois de l’Océanie. […] L’étude des langues l’amène à se former un système sur l’apparition de l’humanité et la succession des races de l’ancien continent. […] La langue qu’ils parlent est-elle semblable à la sienne ? […] Alors, il manquait de respect à la langue française et faisait subir à la grammaire quelques menus outrages.

1724. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre I. Les idées et les œuvres. » pp. 234-333

On s’en aperçoit à sa langue, tellement abstraite qu’au-delà du Rhin elle semble un jargon inintelligible. Et cependant c’est grâce à cette langue qu’elle atteint les idées supérieures. […] On comprend qu’elle ait renouvelé sa langue ; pour la première fois cet homme parle comme on parle, ou plutôt comme on pense, sans parti pris, avec un mélange de tous les styles, familier et terrible, cachant une émotion sous une bouffonnerie, tendre et gouailleur au même endroit, prêt à mettre ensemble les trivialités d’auberge et les plus grands mots de la poésie1175, tant il est indifférent aux règles et content de montrer son sentiment comme il lui vient et tel qu’il l’a. […] Telle fut la domination de l’esprit philosophique, qu’après avoir violenté ou roidi la littérature, il imposa à la musique des idées humanitaires, infligea à la peinture des intentions symboliques, pénétra dans la langue courante, et gâta le style par un débordement d’abstractions et de formules dont tous nos efforts ne parviennent plus aujourd’hui à nous débarrasser. […] Pendant longtemps, il parut dangereux ou ridicule. « Tout ce qu’on savait de l’Allemagne1216, c’est que c’était une vaste étendue de pays, couverte de hussards et d’éditeurs classiques ; que si vous y alliez, vous verriez à Heidelberg un très-grand tonneau, et que vous pourriez vous régaler d’excellent vin du Rhin et de jambon de Westphalie. » Quant aux écrit vains, ils paraissaient bien lourds et maladroits. « Un Allemand sentimental ressemble toujours à un grand et gros boucher occupé à geindre sur un veau assassine. » Si enfin leur littérature finit par entrer, d’abord par l’attrait des drames extravagants et des ballades fantastiques, puis par la sympathie des deux nations qui, alliées contre la politique et la civilisation françaises, reconnaissent leur fraternité de langue, de religion et de cœur, la métaphysique allemande reste à la porte, incapable de renverser la barrière que l’esprit positif et la religion nationale lui opposent.

1725. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

Chez lui les paradoxes sont posés en principe ; le bon sens prend la forme de l’absurde : on est comme transporté dans un monde inconnu dont les habitants marchent la tête en bas, les pieds en l’air, en habits d’arlequins, de grands seigneurs et de maniaques, avec des contorsions, des soubresauts et des cris ; on est étourdi douloureusement de ces sons excessifs et discordants ; on a envie de se boucher les oreilles, on a mal à la tête, on est obligé de déchiffrer une nouvelle langue. […] Dans toutes les cérémonies religieuses, le fluide appelé whisky est, dit-on, chose requise, et il s’y en fait une large consommation1405. —  « L’autre secte, celle des dandies, affecte une grande pureté et le séparatisme, se distinguant par un costume particulier, et autant que possible par une langue particulière, ayant pour but principal de garder une vraie tenue nazaréenne, et de se préserver des souillures du monde. » Du reste, ils professent plusieurs articles de foi dont les principaux sont : « que les pantalons doivent être très-collants aux hanches ; qu’il est permis à l’humanité, sous certaines restrictions, de porter des gilets blancs ; —  que nulle licence de la mode ne peut autoriser un homme de goût délicat à adopter le luxe additionnel postérieur des Hottentots. » — « Une certaine nuance de manichéisme peut être discernée en cette secte, et aussi une ressemblance assez grande avec la superstition des moines du mont Athos, qui, à force de regarder de toute leur attention leur nombril, finissaient par y discerner la vraie Apocalypse de la nature et le ciel révélé. […] Il en connaît parfaitement la littérature et la langue. […] Par elle, ils ont deviné la logique involontaire et primitive qui a créé et organisé les langues, les grandes idées qui sont cachées au fond de toute œuvre d’art, les sourdes émotions poétiques et les vagues intuitions métaphysiques qui ont engendré les religions et les mythes. […] D’autre part, l’histoire, le roman et la critique, aiguisés par les raffinements de la culture parisienne, ont fait toucher les lois des événements humains ; la nature s’est montrée comme un ordre de faits, l’homme comme une continuation de la nature ; et l’on a vu un esprit supérieur, le plus délicat, le plus élevé qui se soit montré de nos jours, reprenant et modérant les divinations allemandes, exposer en style français tout ce que la science des mythes, des religions et des langues, emmagasine au-delà du Rhin depuis soixante ans1422.

1726. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

Oui, Monsieur, vous ne semblez pas vous douter, mais pas vous douter du tout, que dans la scène de l’apport de l’argent, dans la scène du bas de la rue des Martyrs, il y a sous le dire de l’admirable Mlle Réjane, une langue qui, par sa concision, sa brièveté, le rejet de la phrase du livre, l’emploi de la parole parlée, la trouvaille de mots remuants, enfin un style théâtral qui fait de ces tirades, des choses plus dramatiques, que des tirades, où il y aurait sous la voix de l’actrice, de la prose de d’Ennery ou de Bouchardy. […] Samedi 29 décembre Incontestablement ce n’est pas seulement la langue de la grande Adèle, qui choque le public petit bourgeois, la langue de Mlle de Varandeuil produit peut-être un effet pire, chez les gens qui ne sortent pas d’une famille noble, qui n’ont pas entendu la langue, trivialement colorée, des vieilles femmes de race du temps.

1727. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1891 » pp. 197-291

» Dimanche 25 janvier Vraiment, m’avoir refusé aux Français La Patrie en danger, cette pièce impartiale, où j’avais opposé au royalisme de mon comte et de ma chanoinesse, le beau républicanisme du jeune général, où j’avais fait de mon guillotineur, un espèce de fou humanitaire, le sauvant de l’horreur de son rôle de sang, pour accepter cette pièce irritante de Thermidor, pour accepter cette pièce écrite dans cette langue : « Et le colosse désarmé par un hoquet, vaincu par une phrase, étranglé par une sonnette. […] Dimanche 12 avril Ce soir, à dîner, la conversation est allée, je ne sais comment, au Neveu de Rameau, et témoignant mon admiration pour cette merveilleuse improvisation dans cette langue grisée, avec ces changements de lieux, ces brisements de récits, ces interruptions brusques et soudaines de l’intérêt, je comparais ce livre, au livre de Pétrone, au festin de Trimalcion, avec ses trous, ses lacunes, ses pertes de texte. […] Alors la gueule du monstre s’ouvre, et la patte par laquelle l’agneau a été saisi, va rejoindre en l’air, tout ensanglantée, l’autre patte ; et le serpent resté un moment immobile dans son enroulement, de sa gueule qui a le rose pâle de l’ouïe d’un poisson, fait jaillir le dardement de sa petite langue fourchue, au scintillement noir, du noir d’une sangsue. Puis, alors commence la recherche de la tête de l’agneau, que dans sa stupidité de reptile, le serpent ne sait plus être sous lui, une recherche qui n’en finit pas, et coupée par des repos, des endormements, où il n’y a d’éveillé en lui, que le petit scintillement noir de sa langue fourchue : cela au milieu du resserrement de ses anneaux, laminant le petit corps, qui ne semble plus qu’une toison fripée, sans rien dedans.

1728. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

On convient sans doute qu’alors tout était grossier, langue, mœurs, manières ; mais on n’a pas assez reconnu que cette grossièreté du langage tenait au dérèglement des mœurs. […] Il avait d’ailleurs le privilège de se gêner moins qu’un autre avec la langue, son éducation en ayant presque fait un étranger dans la littérature française. C’est un Romain de beaucoup d’esprit qui écrit en français ; ses latinismes embellissent souvent son langage ; ils communiquent à l’idiome national l’énergie de la langue d’Horace. […] Tant y a que l’expedient que mon père y trouva, ce feust qu’en nourrice, et avant le premier desnouement de ma langue, il me donna en charge à un Allemand, qui depuis est mort fameux medecin en France, du tout ignorant de nostre langue, et très bien versé en la latine. […] Il en eut aussi avecques luy deux aultres moindres en sçavoir, pour me suyvre, et soulager le premier ; ceulx cy ne m’entretenoient d’aultre langue que latine.

1729. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Il ne faut jamais désespérer de la Providence quand elle nous a marqué au berceau pour un de ses dons les plus signalés, et quand on sait comme vous l’adjurer dans une langue divine.

1730. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « quelque temps après avoir parlé de casanova, et en abordant le livre des « pèlerins polonais » de mickiewicz. » pp. 512-524

Louis Boulanger, ou l’étrange et admirable Melancholia d’Albert Durer ; s’il n’avait pas commis tout à l’entour trop d’énormités pittoresques (comme sa Bataille du Thermodon), il aurait pu ajouter quelque chose pour sa part à la faculté d’expression de notre langue poétique ; il aurait pu arriver, à force de discrétion dans l’audace, à reculer d’une ligne ou de deux la bordure de ce grand cadre presque inflexible.

1731. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXV. Mort de Jésus. »

Selon une tradition, Jésus aurait prononcé cette parole, qui fut dans son cœur, sinon sur ses lèvres : « Père, pardonne-leur ; ils ne savent ce qu’ils font 1178. » Un écriteau, suivant la coutume romaine, était attaché au haut de la croix, portant en trois langues, en hébreu, en grec et en latin : LE ROI DES JUIFS.

1732. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Rousseau, et Joseph Saurin. » pp. 28-46

Il a fait passer dans notre langue cette poësie d’expression, ce stile pittoresque qui caractérise les prophêtes.

1733. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Si j’avais une fille à marier ! » pp. 215-228

Nous l’aimons pour cette raison et nous le lui avons dit, quoiqu’il l’ait oublié… C’est, de naturel, un très agréable conteur, naïf et attendri, une espèce de Greuze littéraire, qui aurait toute la pureté de son talent s’il se débarbouillait de cette fumée de pipe qu’on appelle « la philosophie allemande » et qui encrasse (je pourrais dire un mot plus laid si je parlais la langue des tabagies) les plus jolies parties de ses tableaux.

1734. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVII. Mémoires du duc de Luynes, publiés par MM. Dussieux et Soulier » pp. 355-368

Il n’a pas, il est vrai, la correction de Tacite, cette perfection dans la langue écrite et profondément gouvernée du Romain, qui gouvernait son style comme il eût gouverné le monde.

1735. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Charles d’Héricault » pp. 291-304

Charles d’Héricault pouvait peindre à grands traits, avec les reliefs du style et de la langue et le frémissement d’un artiste, il l’a dit sans s’y arrêter, avec la sobriété voulue, réfléchie et maintenue résolument, tout le temps de son livre, et que je ne puis m’empêcher d’admirer.

1736. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Créqui »

N’était cette injustice, que nous nous sommes permis de relever, pour une femme douée le plus des anciennes qualités françaises, qui plonge jusqu’au cou dans le génie de sa langue et de sa race, et que l’on peut considérer comme l’arrière-petite-fille de Montaigne, mais sans scepticisme et sans superfluité, l’Introduction de Sainte-Beuve nous paraîtrait ce qu’elle est réellement : un petit chef-d’œuvre d’analyse, d’expression et de sybaritisme littéraire.

1737. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « G.-A. Lawrence »

S’il n’est pas poète, comme Lord Byron, par l’instrument, le rhythme, la langue ailée, le charme inouï et mystérieux des mots cadencés qui rendent fous de sensations vives les esprits vraiment organisés pour les vers, il l’est par l’image, le sentiment, le frémissement intérieur qu’il éprouve et qu’il cause, et ces dons immenses doivent un jour en lui s’approfondir et se modifier ; mais pour le moment ils n’y sont point purs et sans écume.

1738. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVIII. M. Flourens »

Seulement, ce n’est pas là la langue de M. 

1739. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Jules Soury. Jésus et les Évangiles » pp. 251-264

Il en avait fait, ce Babin historique, un joli Rabbi pour les besoins d’attendrissement des femmes à qui il faut toujours une corde sentimentale à pincer, si on veut du succès, dans ce pays où la langue des femmes fait, de son petit bout rose, l’opinion.

1740. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Maynard »

Langue sans nom d’humilité volontaire, que Vincent, ce grand artiste en abaissements, s’était faite, et dont il nous a donné toute la rhétorique dans un seul précepte ravissant : « Entre deux expressions, — disait-il, — retenez toujours la plus brillante pour en faire un sacrifice à Dieu dans le fond de votre cœur, et n’employez que celle-là qui, moins belle, ne plaît pas tant, mais édifie. » L’humilité est, je crois, en effet, le caractère de sainteté de Vincent de Paul encore plus que l’amour ; personne, même parmi les saints, n’a eu cette soif de bassesse ; personne n’a dit comme cet homme : « Donnez-moi encore ce verre de mépris ! 

1741. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « José-Maria de Heredia »

José-Maria de Heredia58 I Cette Histoire d’une conquête 59 en est une sur l’imagination… Cette antique chronique d’un vieux chroniqueur oublié et à peu près inconnu en France, traduite par la fantaisie éprise d’un écrivain qui a du sang espagnol et conquérant dans les veines et la plus profonde culture de la langue française, ce récit, si différent, par les sentiments et par le ton, du ton et des sentiments de l’histoire moderne, a fait son chemin en deux temps, comme les Dieux d’Homère.

1742. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Auguste Barbier »

Ici, au contraire, c’était aussi du patriotisme, mais d’une inspiration plus haute, parce qu’elle était moins collective, exprimé dans des vers qui n’avaient pas besoin de musique pour paraître beaux, et comme, avant eux, la langue française n’en connaissait pas.

1743. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Amédée Pommier »

Eh bien, c’est ce muscle qu’Amédée Pommier a comme eux, et encore il l’a développé par la lutte avec les difficultés de la langue et du rythme, que personne n’a vaincues comme lui.

1744. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Alfred de Vigny »

Le caractère du portrait d’Alfred de Vigny, en ses Œuvres posthumes, est ce que les Anglais appellent : the pensiveness, et que nous, qui n’avons pas la richesse étoffée de leur langue, nous sommes obligés de traduire par un affreux barbarisme : la pensivité… N’étaient-ce pas les soldats du philosophe Catinat qui rappelaient, avec leur tact de soldats : le Père La Pensée ?

1745. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Madame Sand et Paul de Musset » pp. 63-77

Car, ici, il ne s’agit que de Romanciers, et madame Sand, malgré la langue française qui ne prend pas toujours les ordres de l’intelligence pour faire ses mots, n’est qu’une Romancière, c’est-à-dire, en fin de compte : un bas-bleu.

1746. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Deux romans scandaleux » pp. 239-251

Car ici, il ne s’agit que de ROMANCIERS, et Mme Sand, malgré la langue française qui ne prend pas toujours les ordres de l’intelligence pour faire ses mots, n’est qu’une ROMANCIÈRE, c’est-à-dire, en fin de compte : un bas-bleu.

1747. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Malot et M. Erckmann-Chatrian » pp. 253-266

Hector Malot tout ce qui appartient à notre époque et ce qui passera avec elle, toutes les choses qui sont le domaine commun pour qui plante sa plume dans un sujet moderne, et les lectures contemporaines et la langue générale des romans actuels, que resterait-il à ce communiste littéraire qui vit sur l’apport social bien plus que sur son propre talent ?

1748. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

Disons le mot affreux, poussé à présent dans la langue, ils sont réalistes tous les deux !

1749. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « G.-A. Lawrence » pp. 353-366

S’il n’est pas poëte, comme lord Byron, par l’instrument, le rhythme, la langue ailée, le charme inouï et mystérieux des mots cadencés qui rendent fous de sensations vives les esprits vraiment organisés pour les vers, il l’est par l’image, le sentiment, le frémissement intérieur qu’il éprouve et qu’il cause, et ces dons immenses doivent un jour en lui s’approfondir et se modifier ; mais pour le moment ils n’y sont point purs et sans écume.

1750. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIX. Panégyriques ou éloges composés par l’empereur Julien. »

Septime Sévère, orateur dans les deux langues, composa les mémoires de son règne.

1751. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

Saint-Sulpice était alors en France le seul séminaire où se fût perpétuée la tradition des fortes études et en particulier la connaissance des langues orientales. […] Nourri de la Bible, de l’antiquité grecque et latine et des classiques français, il avait su se faire une langue simple et pourtant originale, expressive sans étrangeté, souple sans mollesse, une langue qui, avec le vocabulaire un peu restreint du xviie et du xviiie  siècles, savait rendre toutes les subtilités de la pensée moderne, une langue d’une ampleur, d’une suavité et d’un éclat sans pareils. […] Il aimait vraiment les hommes comme des frères, d’un amour évangélique, quels qu’ils fussent, quelles que fussent leur langue, leur race et leurs convictions. […] Lui-même avait écrit le Peuple et la Bible de l’humanité, mais il sentait que sa langue n’était pas accessible au peuple et il en souffrait. […] Mickiewicz, le grand poète polonais, occupait la chaire de langue et de littérature slaves.

1752. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

Premierement : elle doit être pure ; j’entens que la langue y doit être exactement observée pour l’emploi des termes, pour l’alliance des expressions, pour la construction des phrases. […] Il y a dans une même langue deux ordres différents de tours et d’expressions qui caractérisent les grands et le peuple. […] Il y a pourtant bien des occasions où la langue n’est qu’une entre les grands et le peuple ; et alors ce n’est pas pécher contre la noblesse que d’employer les termes ordinaires. […] Ce sera toûjours un assez grand encouragement pour lui que la sureté de trouver dans sa langue de quoi exprimer heureusement ce qu’il imaginera de sublime et de pathétique. […] Qui examineroit rigoureusement nos plus grands poëtes, les convaincroit à chaque page de n’être exacts ni pour la langue ni pour le sens.

1753. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Quoi qu’il en soit des causes, c’est un fait que la pensée du xviiie  siècle n’a été aucunement tournée vers l’idée de patrie, que l’indifférence des penseurs et des lettrés à l’endroit de la grandeur du pays est prodigieuse en ce temps-là, et que la langue seule qu’ils écrivent rappelle le pays dont ils sont. […] Tous jeunes, « fort unis, pleins de la première ardeur de savoir », étudiaient tout, discutaient de tout, parlaient, à eux quatre ou cinq, « une bonne partie des différentes langues de l’Empire des lettres », travaillaient énormément, se tenaient au courant de toutes choses. — C’est le berceau du xviiie  siècle, cette petite maison du faubourg Saint-Jacques. […] Nous voilà bien au temps des Lettres Persanes, et Cydias, avec cette adresse à manier la langue, à lancer l’épigramme et surtout à la retenir, n’est plus ce je ne sais quoi « immédiatement au-dessous de rien » qu’il était au temps de La Bruyère. […] Il est pour ceux qui parlaient « comme le commun des hommes », et il approuve Socrate, c’est-à-dire Malherbe, d’avoir dit « que le peuple est un excellent maître de langue  » 20. […] Pour le sens commun, qui se marque à l’usage courant de la langue, la réalité c’est ce qui frappe le plus souvent et comme assidûment nos regards.

1754. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

La langue d’Homère et de Sophocle serait seule digne de célébrer cette royale Vénus ; l’ampleur du rythme hellénique pourrait seule mouler, sans les dégrader, ses formes parfaites. […] Mais, si quelqu’un coupait la langue à un seul homme, ce serait une cruauté. […] Au milieu du festin, deux bardes se levèrent et chantèrent en langue hunnique les victoires du roi. […] Elle savait si peu leur langue, qu’elle ne les entendoit et qu’elle ne leur répondoit qu’avec peine. […] Rien n’égale la verve farouche de ses imprécations, vociférées dans ce rude dialecte corse qui est, pour ainsi dire, le hurlement de la langue italienne.

1755. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

De ce nombre fut Plaute lui-même ; sa muse est, comme celle d’Aristophane, de l’aveu non suspect de l’un de leurs apologistes, une bacchante, pour ne rien dire de pis, dont la langue est détrempée de fiel. […] L’éloignement des tems, l’ignorance où nous sommes sur la prosodie des langues anciennes, & l’ambiguité des termes dans les auteurs qui en ont écrit, ont fait naître parmi nos savans cette dispute difficile à terminer, mais heureusement plus curieuse qu’intéressante. […] Nous avons dit plus haut que la déclamation muette avoit ses avantages sur la parole : en effet la nature a des situations & des mouvemens que toute l’énergie des langues ne feroit qu’affoiblir, dans lesquels la parole retarde l’action, & rend l’expression traînante & lâche. […] On sait que l’exametre des anciens étoit composé de six mesures à quatre tems : c’est d’après ce modele que supposant longues ou de deux tems toutes les syllabes de notre langue, on en a donné douze à notre vers alexandrin. […] Ils ont laissé couler leur plume sans se prescrire d’autres regles que celle de la versification & de la langue, ne comptant pour rien le bon sens ; c’est ce que les François ont appellé amphigouri.

1756. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Si le pauvre ou l’ignorant a une âme, ce n’est vraiment que pour ses semblables, qui le comprennent à travers les bégaiements et les défaillances de sa langue. […] Selon le mot admirable d’un poète contemporain, la langue de la musique est la seule qui permette à la pensée de garder ses voiles ; mais je tournerai en reproche cette belle expression que le poète appliquait en éloge. […] Il n’y a dans aucune langue parlée d’équivalents pour les expressions de la langue des sons, et ceux qui essayent de traduire cet idiome occulte sont contraints de recourir à la méthode, aujourd’hui condamnée, des périphrases démesurément allongées et des développements parasites. Je me trompe ; il y a une langue qui correspond à la langue des sons : c’est la langue obscure et puissante que parle le corps, cet admirable instrument, divinement organisé pour l’épreuve en même temps que pour l’appui de l’âme, cette langue dont les mots sont des sensations et dont les phrases sont des voluptés et des souffrances. […] Sa découverte parut dans son genre aussi surprenante que celle de la littérature sanscrite ou de la langue zend, et lui valut le même honneur.

1757. (1889) La bataille littéraire. Première série (1875-1878) pp. -312

Il avait la langue épaisse, la gorge sèche : il entra dans un café. […] LOLO. — Gendarme, vous ne l’avez pas vu, il se moque de vous, il a tiré la langue. […] Dans sa bouche desséchée sa langue cherche de la salive qui n’y est plus, pendant qu’un larmoiement intérieur lui fait la narine humide. […] Sa mâchoire inférieure était un peu lourde, et sa langue épaisse, ce qui l’obligeait à parler lentement. […] Entre ces cadavres des torches répandaient de fugitives lueurs rouges ; des mots se croisaient en langue française et en langue allemande.

1758. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Car ils entendent et ils lisent ; la prière faite en langue vulgaire, les psaumes traduits en langue vulgaire, peuvent entrer à travers leurs sens jusqu’à leur âme. […] La chaire avait le sans-façon et la rudesse du théâtre, et, dans cette peinture des braves gens énergiques que le monde taxe de mauvais caractères, on retrouvait la familiarité âcre du Plain-Dealer. « Certainement il y a des gens qui ont une mauvaise roideur naturelle de langue, en sorte qu’ils ne peuvent point se mettre au pas et applaudir ce vaniteux ou ce hâbleur qui fait la roue, se loue lui-même et conte d’insipides histoires à son propre éloge pendant trois ou quatre heures d’horloge, pendant qu’en même temps il vilipende le reste du genre humain et lui jette de la boue. —  Il y a aussi certains hommes singuliers et d’un mauvais caractère qu’on ne peut engager, par crainte ni espérance, par froncement de sourcils ni sourires, à se laisser mettre sur les bras quelque parente de rebut, quelque nièce délaissée, mendiante, d’un lord ou d’un grand spirituel ou temporel. —  Enfin il y a des gens d’un si mauvais caractère, qu’ils jugent très-légitime et très-permis d’être sensibles quand on leur fait tort et qu’on les opprime, quand on diffame leur bonne renommée et quand on nuit à leurs justes intérêts, et qui par surcroît osent déclarer ce qu’ils pensent et sentent, et ne sont point des bêtes de somme pour porter humblement ce qu’on leur jette sur le dos, ni des épagneuls pour lécher le pied qui les frappe et pour remercier le bon seigneur qui leur confère toutes ces faveurs d’arrière-train835. » Dans ce style saugrenu, tous les coups portent : on dirait un assaut de boxe où les ricanements accueillent les meurtrissures. […] « Les Anglais ont ordinairement vingt ans avant d’avoir parlé à quelque personne au-dessus de leur maître d’école et de leurs compagnons de collége ; s’il arrive qu’ils aient du savoir, tout se termine au grec et au latin, mais pas un seul mot de l’histoire ou des langues modernes. Ainsi préparés ils se mettent à voyager ; mais comme ils manquent de dextérité, qu’ils sont extrêmement honteux et timides et qu’ils n’ont point l’usage des langues étrangères, ils vivent entre eux et mangent ensemble dans les auberges. » (Lettres de lord Chesterfield.

1759. (1923) L’art du théâtre pp. 5-212

Un auteur dramatique devra étudier pratiquement les conditions de cet échange, en dégager les lois et d’abord s’assurer qu’il est un échange possible et s’il ne parle pas lui-même une autre langue que celle du public. […] Il manqua aux auteurs dramatiques du Moyen-Âge, avec une langue plus mûre, un métier dramatique suffisamment évolué : ils ne nous ont laissé qu’un embryon de drame. […] Il parle une langue aisée et limpide ; le jargon romantique, il ne l’emploie que par « dandysme », et un peu « à la blague », avec parfois un sourire de coin. […] Sa langue est banale, mais dépouillée ; pas la moindre prétention à la littérature dans son cas. […] Si l’auteur parle une langue suffisamment claire, il ne peut pas ne pas être entendu.

1760. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Cette « beauté », pour parler sa langue, « qui s’ajoute à la raison », ne peut pas ne pas être autre chose que la raison. […] Souday et moi ne parlons pas la même langue, et arrivons au rare morceau publié dans la New-York times book review du 29 novembre 1925. […] Voici un des derniers instantanés : il ne s’approche d’une langue, ou d’une idée que s’il la croit bien morte, et qu’il la voit momifiée dans une vitrine et que ça ne peut plus mordre ; et il s’en approche sur la pointe des pieds. deux professeurs de faculté-l’un et l’autre écrivains de marque-me reprochent d’admirer Paul Valéry. […] Poésie deux fois inaccessible aux humbles, puisqu’elle s’est créée une langue nouvelle. […] « le beau, c’est la beauté vue avec les yeux de l’âme. » on doit regarder les arts comme une sorte de langue à part, comme un moyen unique de communication entre les habitants d’une sphère supérieure et nous.

1761. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VII. Les poëtes. » pp. 172-231

Sans doute la pauvre Héloïse est une barbare, bien pis, une barbare lettrée ; elle fait des citations savantes, des raisonnements ; elle essaye d’imiter Cicéron, d’arranger des périodes ; il le faut bien, elle écrit dans une langue morte, avec un style appris ; vous en feriez peut-être autant si vous étiez obligé d’écrire en latin à votre maîtresse. […] Impossible de les reproduire ici, avec une langue étrangère. […] Hume, Robertson et Gibbon sont presque Français par leur goût, leur langue, leur éducation, leur conception de l’homme.

1762. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

Donner sur une scène française — ou, tout au moins, sur une scène de langue française — une des œuvres les plus hardies et les plus originales du hardi novateur ; la monter avec un soin jaloux des moindres détails de la mise en scène et de l’interprétation vivante ; commencer à mettre les chanteurs français, enclins à parader dans le style italien, aux prises avec la musique d’action ; obliger les chœurs à prendre part à la comédie, à y jouer franchement un rôle : ce n’est pas seulement plaire aux connaisseurs désintéressés, c’est aussi hâter l’avènement d’un art de sincérité, de liberté, d’émotion et de logique. […] Premier article : Le succès des Maîtres Chanteurs, il ne faut pas s’y tromper, vise beaucoup plus haut qu’on ne le pense, car il ne s’agit pas ici de la réussite plus ou moins brillante d’un opéra quelconque, mais de l’adoption, par un public de langue française, d’un art absolument nouveau, qu’on discutait sans le connaître et que désormais tout le monde pourra comprendre, avec un peu d’étude et de bonne foi. […] Comme exemple à l’appui de son opinion, il cite l’invasion des mots français dans la langue allemande.

1763. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Ces gentilshommes militaires et laboureurs auraient été rois dans la langue de la Bible ou d’Homère ; ils n’étaient plus en France que citoyens égaux en tout au peuple des campagnes, mais c’étaient des rois récemment découronnés. […] Ce n’est pas seulement le plus beau poème de paysage qui existe dans toutes les langues ; c’est le cours le plus complet, le plus vivant et le plus familier de morale qui ait jamais été chanté aux hommes depuis l’origine du monde. […] Quant à moi, aucune langue ne rendra jamais mon admiration et ma piété pour Homère, et, s’il y avait sur la terre quelque ordre de créature intermédiaire entre la divinité et l’humanité, je dirais : Homère est de cette race divine.

1764. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 13, qu’il est probable que les causes physiques ont aussi leur part aux progrès surprenans des arts et des lettres » pp. 145-236

Comme les changemens survenus dans notre langue ne nous empêchent pas de lire encore avec plaisir les morceaux que Marot a composé dans la sphere de son génie, qui n’étoit pas propre aux grands ouvrages, ils ne nous empêcheroient pas aussi de lire les oeuvres de ses contemporains, si d’ailleurs ils y avoient mis les mêmes beautez que les poëtes du siecle de Louis XIV ont mises dans les leurs. […] Est-ce parce que Ronsard et ses contemporains ne sçavoient pas les langues anciennes qu’ils ont fait des ouvrages dont le goût ressemble si peu au goût des bons ouvrages grecs et romains ? […] Autant que je puis m’en souvenir, Pierre Corneille est le premier des poëtes françois prophanes, dont un ouvrage de quelque étenduë ait été traduit dans la langue de nos voisins.

1765. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

La poésie est la langue naturelle du genre humain ; les premiers hommes furent, de par la nature, de sublimes poètes (Estetica, p. 31). […] Ces « sources », que nos érudits retrouvent sous la poussière des vieux bouquins, elles étaient alors plus ou moins connues de tous ; le lecteur de Poliziano, de Bembo, de Du Bellay, saluait au passage tel auteur ancien et se réjouissait de le voir heureusement « translaté » en langue moderne. […] Sa vision, jadis si nette et lumineuse, s’est troublée ; elle est démesurée, souvent sadique ; à la belle réalité il a substitué un fantôme ; cette hallucination est sensible jusque dans ses procédés techniques, dans sa langue même.

1766. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Il y en aurait plutôt dans certaines incorrections grammaticales, dans quelques-unes de ces négligences de rime et de langue, que le poëte (a dit autrefois Nodier) semble jeter de son char à la foule en expiation de son génie, et qu’en prenant une plus pastorale image je comparerais volontiers à ces nombreux épis que le moissonneur opulent, au fort de sa chaleur, laisse tomber de quelque gerbe mal liée, pour que l’indigence ait à glaner derrière lui et à se consoler encore. […] Mais la difliculté d’une double langue en ce pays, et aussi la sévérité des habitudes catholiques, dans lesquelles l’amour humain chez le prêtre n’a point d’expression permise, n’ont pas laissé naître et grandir jusqu’à l’état de littérature ces instincts poétiques étouffés des pauvres clercs.

1767. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LOUISE LABÉ. » pp. 1-38

Les sonnets amoureux de Louise Labé mirent en veine bien des beaux esprits du temps, et ils commencèrent à lui parler en français, en latin, en grec, en toutes langues, de ses gracieusetés et de ses baisers (de Aloysiæ Labææ osculis), comme des gens qui avaient le droit d’exprimer un avis là-dessus. […] Elle se présente à lui comme la fille d’Otrée, roi opulent de toute la Phrygie, et comme une fiancée qui lui est destinée : « C’est une femme troyenne qui a été ma nourrice, lui dit-elle par un ingénieux mensonge, et elle m’a appris, tout enfant, à bien parler ta langue. » Anchise, au premier regard, est pris du désir, et il lui répond : « S’il est bien vrai que tu sois une mortelle, que tu aies une femme pour mère, et qu’Otrée soit ton illustre père, comme tu le dis, si tu viens à moi par l’ordre de l’immortel messager, Mercure, et si tu dois être à jamais appelée du nom de mon épouse ; dans ce cas, nul des mortels ni des Dieux ne saurait m’empêcher ici de te parler d’amour à l’instant même ; non, quand Apollon, le grand archer en personne, au-devant de moi, me lancerait de son arc d’argent ses flèches gémissantes, même à ce prix, je voudrais, ô femme pareille aux déesses, toucher du pied ta couche, dussé-je n’en sortir que pour être plongé dans la demeure sombre de Pluton ! 

1768. (1860) Cours familier de littérature. X « LXe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 401-463

La guerre civile, au contraire, portée, formulée, encouragée par un gouvernement étranger contre des gouvernements avec lesquels ce gouvernement étranger n’est pas en guerre, cette guerre civile-là n’a pas eu de nom jusqu’ici dans la langue de la diplomatie, dans le vocabulaire du droit public ; elle en aurait un désormais, elle s’appellerait la guerre britannique. […] Permettez-moi donc de prêter à cette grande ombre la parole très pâle d’un de ses disciples : XXXIII « Déroulez-moi sur cette table la carte actuelle de l’Europe et de l’Asie, aurait-il dit à ses auditeurs, et suivez mon doigt sur ces continents, ces îles, ces mers, qui sont chacun une lettre de cet alphabet diplomatique de puissances, et qui forment en se combinant la langue politique et les systèmes de guerre ou de paix de tout l’univers.

1769. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXIXe entretien. Tacite (2e partie) » pp. 105-184

VI Après cette magnifique et courte allocution, à laquelle la brève et mâle concision de la langue latine prête un accent d’inflexibilité et de supériorité d’âme qu’aucune éloquence ne surpasse, Tacite raconte les derniers soucis d’Othon pour ceux qui devaient lui survivre. […] » XII Quelle langue et quelle pénétration dans le cœur des choses et des hommes !

1770. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

pour dédaigner une langue qu’ont chantée le Dante, Pétrarque et le Tasse ; une terre où, dans les temps modernes, toute civilisation et toute littérature ont pris naissance et ont produit la splendeur de Rome sous les Léon X, la culture et l’éclat de Florence sous les Médicis, la puissance merveilleuse de Venise et les plus imposants chefs-d’œuvre que nos âges puissent opposer au siècle de Périclès ? comprendre enfin, dans une exécration universelle, le climat, le génie, la langue, le caractère de dix nations des plus heureusement douées par le ciel, et chez lesquelles tant de grands écrivains, tant de nobles caractères semblent renouvelés de siècle en siècle pour protester contre la décadence même de cet empire du monde qu’aucun peuple n’a pu conserver ?

1771. (1914) Enquête : Les prix littéraires (Les Marges)

Ce sont des fondations pieuses en faveur de la langue et de la littérature françaises, lesquelles deviennent tout doucement des choses mortes. […] Chamfort qui s’en moquait en vécut ; Rivarol les rechercha, et n’oublions jamais que si la Bérénice de Racine est un chef-d’œuvre écrit sur commande, le discours de Rivarol sur l’Universalité de la langue française a été écrit en vue d’un prix littéraire.

1772. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

Il est en outre d’une haute importance d’avoir formé son esprit et son goût à l’école des grands écrivains, si l’on ne veut pas rester-étranger aux choses dont on s’occupe dans le monde et à la langue qu’on y parle. […] Il existe dans notre langue des cours de littérature où la critique la plus judicieuse et la plus approfondie ne laisse rien à désirer dans l’appréciation des ouvrages des grands écrivains.

1773. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

C’est dans la Revue Populaire de Paris de 1867 qu’on peut lire les deux articles où Tissot épancha son admiration : « Le second acte, dit-il, dans l’article du 1er juin, est un sublime hosannah d’amour : on retient son souffle ; immobile comme une statue, on écoute dans une magnifique extase ces voix qui ne sont pas de la terre et qui parlent une langue inconnue… » Il y a pourtant dans cet article autre chose que des mots : « L’opéra, dit-il, resplendit de toutes les beautés du drame… Le but que Wagner a toujours poursuivi, c’est de faire monter l’opéra au drame. […] Ses traductions sont en vers ce qui ajoute une difficulté à la tentative d’être fidèle à la langue allemande, l’alexandrin ne correspondant pas véritablement au texte wagnérien.

1774. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

On pourra se reporter également à la communication de Jacques De Decker, Wagner chez les Belges [http://www.arllfb.be/ebibliotheque/communications.html], Bruxelles, Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 2011. Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.

1775. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Et sa langue s’enrichit des apports de toutes les sciences, et de la naïveté bleue des archaïsmes, et de la rouge noblesse des latinismes, et de la lumière blanche des occitanismes. […] Dès les premiers pas, comme une rose épineuse et hautaine j’ai aimé ce mot de satirique méprisant adressé aux inintellectuels : « Un certain bétail à pain » — Voici, bientôt après, une liane jolie, souple et solide et qui devrait lier mes fleurs, si j’essayais un bouquet « Ce livre est un document humain transporté dans le Rêve. » — Et nous sourient, en effet, de rêveuses corolles : « Les voix blanches qui parlent une langue invertébrée, dont aucun vocable ne s’efforce vers la réalité dure. » — « Quand tu parles, c’est tout bas, afin que le silence assourdissant se taise et ne décoordonne pas la moire des souhaits naissants. » — « J’ai permis que mes sentiments luttassent d’analogie avec les nuages dont me plaisent les bornes imprécises et l’indécision des formes. » Voulez-vous des beautés de précision ?

1776. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

» Enfin, la langue française, Mylord, est devenue presque la langue universelle.

1777. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

Mais il n’importe ; car il ne s’agit pas simplement de découvrir un moyen qui nous permette de retrouver assez sûrement les faits auxquels s’appliquent les mots de la langue courante et les idées qu’ils traduisent. […] S’il y en a et si le concept formé par le groupement des faits ainsi rapprochés coïncide, sinon totalement (ce qui est rare), du moins en majeure partie, avec le concept vulgaire, on pourra continuer à désigner le premier par le même mot que le second et garder dans la science l’expression usitée dans la langue courante.

1778. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

le coquin a du talent » ; après Catherine, on pourra dire : « mais il a de l’esprit. » — Les défauts, quoique moindres, sont encore ceux des précédentes études, et je donnerai derechef pour conseil général à l’auteur : éteindre des tons trop bruyants, détendre çà et là des roideurs, assouplir, alléger sa langue dans les intervalles où le pittoresque continu n’est aucunement nécessaire ni même naturel ; se pacifier par places sans se refroidir au cœur ; garder tout son art en écrivant et s’affranchir de tout système ; — ne jamais perdre de vue que, parmi les lecteurs prévenus et à convertir, il y a aussi des malins et des délicats, et ne pas aller donner comme par un fait exprès sur les écueils qu’ils ont notés de l’œil à l’avance et où ils vous attendent.

1779. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803 » pp. 2-15

Il prêterait volontiers sa plume, mais non sa langue, à la plus belle cause du monde.

1780. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — II. Sur la traduction de Lucrèce, par M. de Pongerville »

— Une étincelle poétique de M. de Pongerville, qui faisait maintenant appel à la critique dans la langue des dieux, au nom de Lucrèce, fit écrire à M. 

1781. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil. — I »

Je crois l’entendre (sauf la langue qui, dans ce temps-là, sera tout à fait détériorée) : « Et nous aussi nous sommes de la République ; mais il y a République et République ; il y a celle d’Hébert, il y a celle de Saint-Just, il y a celle dont M. de Chateaubriand aurait voulu être.

1782. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre II. Le lyrisme bourgeois »

L’incessante fermentation de cette population immense et hétérogène, barons hantant la cour du roi, bourgeois dévots et caustiques, écoliers batailleurs et disputeurs, prompts de la langue et de la main, et tout ce qui s’y remuait d’idées et de passions dans le conflit des esprits et des intérêts, étaient éminemment propres à susciter une poésie sinon très haute, du moins très vivante : le poète, cette fois, ne manqua pas.

1783. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « José-Maria de Heredia.. »

Et à ce scrupule de poètes irréprochables se mêlait naturellement un orgueil aristocratique, la fierté et peut-être aussi l’affectation de ne jamais traduire dans la langue des dieux aucune émotion vulgaire, de se confiner dans des impressions exquises, rares, difficiles, inaccessibles à la foule.

1784. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Armand Silvestre »

Armand Silvestre avait ces visions, est-ce qu’il n’était pas, spontanément ou par artifice, dans un état d’esprit aussi approchant que possible de celui des anciens hommes quand, essayant d’exprimer dans leur langue incomplète les phénomènes de la nature, ils créaient sans effort des mythes immortels ?

1785. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVII. Romans d’histoire, d’aventures et de voyages : Gebhart, Lemaître, Radiot, Élémir Bourges, Loti » pp. 201-217

Encore, ce livre d’histoires s’inspire justement du style du plus heureux historien de langue française, le duc de Saint-Simon.

1786. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Le danger que courut alors la belle langue du dix-septième siècle était sérieux.

1787. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

Les imitateurs de Jean Richepin, sans avoir l’excuse du génie, abusaient de la langue verte.

1788. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVIII. Institutions de Jésus. »

Le mot grec [Greek : pandokeion] a passé dans toutes les langues de l’Orient sémitique pour désigner une hôtellerie.

1789. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VIII. Quelques étrangères »

Mais, parodiste des sentiments romantiques, Flaubert écrit une langue romantique, de sorte que l’avenir ne trouvera rien de plus comique chez lui que sa propre grandiloquence.

1790. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers populaire  »

D’ailleurs, presque tout ce qui, de la chanson populaire, arrive au jour, se compose de fragments informes, pleins de trous, de grossiers rafistolages ; il n’y a, en langue française, du moins, que très peu de ces ballades entièrement belles et sans bavures217.

1791. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface des « Burgraves » (1843) »

D’ailleurs, la France, qui prête à la civilisation même sa langue universelle et son initiative souveraine ; la France, lors même que nous nous unissons à l’Europe dans une sorte de grande nationalité, n’en est pas moins notre première patrie, comme Athènes était la première patrie d’Eschyle et de Sophocle.

1792. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre II. Le dix-neuvième siècle »

En présence du passé monstrueux, lançant toutes les foudres, exhalant tous les miasmes, soufflant toutes les ténèbres, allongeant toutes les griffes, horrible et terrible, le progrès, contraint aux mêmes armes, a eu brusquement cent bras, cent têtes, cent langues de flamme, cent rugissements.

1793. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’abbé d’Aubignac, avec Ménage, Pierre Corneille, Mademoiselle de Scudéri et Richelet. » pp. 217-236

Moi qui fais de belles harangues, Moi qui traduis en toutes langues, A quoi sert mon vaste sçavoir, Puisque partout on me diffame Pour n’avoir pas eu le pouvoir De traduire une fille en femme !

1794. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et M. de Maupertuis. » pp. 73-93

Oseroit-on dire cela devant les statues de Henri IV & de Louis XIV, & j’ajouterai de Louis XIV ; & j’ajouterai de Louis XV ; puisque je fus le seul académicien qui fis son panégyrique, quand il nous donna la paix ; & lui-même a ce panégyrique traduit en six langues. » Il adresse ces paroles au roi de Prusse : « Il se souviendra qu’il a été mon disciple, & que je n’emporte rien d’auprès de lui que l’honneur de l’avoir vu en état de mieux écrire que moi.

1795. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre septième. »

Remarquez ces expressions qui appartiennent à la langue dévote.

1796. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 13, de la saltation ou de l’art du geste, appellé par quelques auteurs la musique hypocritique » pp. 211-233

Tous ceux qui ont lû les ouvrages des anciens dans les langues où ils ont été écrits, peuvent se souvenir qu’ils ont vû plusieurs fois le mot de saltatio, emploïé en des occasions où l’on ne sçauroit l’entendre d’une danse pareille à la nôtre.

1797. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

N’attendez pas, Messieurs, que je soulève le voile qui les dérobe à vos yeux ; ne croyez pas que je déroule devant vous cette longue liste de productions monstrueuses dans lesquelles le bon goût, la langue et les mœurs furent également outragés.

1798. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre premier. Mme de Staël »

Oui, elle en est, mais avec les qualités que je viens d’énumérer et qu’elle a dans une proportion et une idéalité incomparables, et comme nulle autre femme ne les eut jamais dans la langue qu’elle parla et qu’elle écrivit.

1799. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XV. Mme la Mise de Blocqueville »

Nous voilà bien loin de ces dialogues, supérieurs à ceux de Socrate dans Platon, de toute la supériorité du monde chrétien sur la sagesse antique, et de la langue philosophique la plus spirituelle dans tous les sens et la plus splendidement transparente qu’on ait jamais parlée aux hommes !

1800. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVIII. Souvenirs d’une Cosaque »

ce n’est pas elle qui jamais, comme certains sauvages, dans leur frénésie, aurait, avec ses dents, coupé sa langue pour la cracher à la face de son ennemi ; elle aime mieux la garder pour parler contre lui et faire des conférences, — car elle en fait, à ce qu’il paraît, ce qui n’est pas du tout équestre, du tout amazone, du tout Alfieri, du tout cosaque, — mais ce qui est parfaitement parisien, parfaitement bas-bleu, et parfaitement conforme au genre d’âme qu’elle a, — une âme d’actrice, qui préfère à tout, à tous les amours comme à toutes les vengeances, les yeux des galeries et les applaudissements des parterres !

1801. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIV. Mme Claire de Chandeneux »

Ce sont là des taches de bleu dans la langue, — des meurtrissures.

1802. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Sahara algérien et le Grand Désert »

Langue, superstitions, industrie, usages, caractères, institutions, races, chants populaires, tous les détails enfin de la vie, depuis les consécrations religieuses jusqu’aux soins vulgaires de la toilette, rien n’est omis dans ses tableaux.

1803. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les civilisations »

Il parle la langue qui est une friandise aux Inscriptions… Qu’il se moque donc bien de ma critique, et qu’il pose sa candidature !

1804. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Guizot » pp. 201-215

Elle mérite d’être sévèrement caractérisée ; et à moins que dans les retouches — ce qui est peu probable — il ne soit descendu, comme le Saint-Esprit dans les langues de feu, un Guizot entièrement neuf et inconnu aux hommes, la conclusion sera facile à pressentir.

1805. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ernest Hello » pp. 389-403

cela seul, cette visée, fût-elle chimérique, d’élever la Critique assez haut pour qu’elle cesse d’être une irritation et, comme dit encore le mystique écrivain dans sa langue mystique, pour que l’œuvre du Désir et de la Justice conduise à la Paix, cette visée inattendue établit d’emblée une différence des plus tranchées, — une différence absolue entre l’auteur des Plateaux de la balance et les autres critiques et moralistes connus.

1806. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « L’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II »

Il est des livres qui entrent si naturellement dans le torrent des idées et la civilisation générale que, quels que soient le pays et la langue dans lesquels on les publie, ils tombent forcément sous le regard de toute Critique qui n’a pas seulement pour objet les questions de forme littéraire, mais les questions d’idées… et telle est l’Histoire d’Angleterre 9 de Macaulay.

1807. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Papesse Jeanne » pp. 325-340

L’auteur de cette Papesse Jeanne, Rhoïdis ou non, Rhoïdis ou Grisélidis, est une espèce de Janus littéraire à deux faces, burlesque et grave, dont l’une (la burlesque) rit et veut faire rire le public, en tirant une langue qui compromettrait Quasimodo, et dont l’autre (la grave) se fronce et se grime en visage de pédant, coiffé de textes et poudré de poussière.

1808. (1880) Goethe et Diderot « Note : entretiens de Goethe et d’Eckermann Traduits par M. J.-N. Charles »

Un Allemand, qui écrit notre langue à nous faire croire qu’il est notre compatriote, M. 

1809. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Michelet » pp. 259-274

Cet homme de simplicité, qui était un savant, — qui a écrit Les Origines gauloises, qui a comparé quarante langues différentes entre elles, — avait la simplicité de ces pauvres en esprit qu’on appelle bienheureux dans le Sermon sur la Montagne.

1810. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexandre de Humboldt »

Du reste, il n’y a pas que ce beau langage, à triple détente ou à triple illusion, qui fait croire peut-être aux savants qu’ils sont des poètes, — aux poètes qu’ils sont des savants, — et aux ignorants sans imagination (la foule) qu’ils sont des poètes et des savants tout à la fois, — il n’y a pas que cette langue confuse, qui plaît aux esprits troublés dont elle augmente le trouble, avec quoi l’on puisse expliquer la popularité de Humboldt et le prosternement général devant son génie.

1811. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Horace Walpole »

Il était sagace et pénétrant et disait bien ce qu’il avait vu, dans une langue originale, imagée, épigrammatique, d’un tour bien à lui.

1812. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Sabran et le chevalier de Boufflers »

À elle seule, elle est, qu’on me passe le mot puisqu’il manque à la langue française !

1813. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Le roi Stanislas Poniatowski et Madame Geoffrin »

Au contraire, c’était une réponse victorieuse et morale aux mauvaises langues philosophiques qui disaient que les Rois ne pouvaient pas avoir d’amis, et dans un temps où les Rois passaient de rudes quarts d’heure avec les philosophes.

1814. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « II. Jean Reynaud »

C’est la confusion des langues de plusieurs sciences qui se croisent et s’embrouillent sous la plume pesante de l’auteur.

1815. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVII. Saint-Bonnet »

Mais, comme tous les grands esprits philosophiques qui savent que les mots représentent la pensée, qui poinçonnent la langue et donnent le vocabulaire de leurs conceptions, M. 

1816. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXI. Philosophie positive »

Comte donne à ce que nous, chrétiens, appelons de ce beau nom de charité, tombé du dictionnaire des Anges dans la langue des hommes, le nom grotesque, inventé par lui, d’altruisme.

1817. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIV. Alexandre de Humboldt »

Du reste, il n’y a pas que ce beau langage, à triple détente ou à triple illusion, qui fait croire peut-être aux savants qu’ils sont des poëtes, — aux poëtes qu’ils sont des savants — et aux ignorants sans imagination (la foule) qu’ils sont des poëtes et des savants tout à la fois, il n’y a pas que cette langue confuse qui plaît aux esprits troublés, dont elle augmente le trouble, avec quoi l’on puisse expliquer la popularité de Humboldt et le prosternement général devant son génie.

1818. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXI. Sainte Térèse »

Or, si, avec quelques mots, toujours cités quand on parlait d’elle, elle exerçait je ne sais quel irrésistible empire sur les imaginations les plus ennemies, que sera-ce quand on pourra lire et goûter tant d’écrits, marqués à l’empreinte d’une âme infinie, de cette âme qui, sans en excepter personne dans l’histoire de l’esprit humain, — quand elle fut obligée d’écrire, soit pour se soulager d’elle-même, soit pour remplir un grand devoir, — fit tenir, dans les limites étouffantes d’une langue finie, le plus de son infinité ?

1819. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Dargaud »

Il n’y a que des jouteurs contre le style, des lutteurs plus ou moins heureux contre la langue, des artistes à doigté et non pas à inspiration.

1820. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Gratry »

Elle a eu de grands poètes, de grands artistes, des hommes politiques à la manière de Machiavel, comme furent Talleyrand et Fouché, des observateurs scientifiques de la force de Cuvier et de Geoffroy Saint-Hilaire, et par-dessus tout elle a eu Napoléon, un homme taillé comme un diamant de plusieurs côtés différents, et par tous jetant le feu et la lumière, — Napoléon, l’homme le plus étonnant dans le fait qui ait peut-être jamais existé ; — mais de métaphysicien égal à ces esprits supérieurs dans sa spécialité transcendante, il faut le dire, pour apprendre aux philosophes à être modestes, le xixe  siècle et la langue française n’en ont point encore.

1821. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »

Il se brisa à plat contre cette langue difficile à manier, quand on n’est pas un poète dans toute la force du mot, et M. 

1822. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « André Chénier »

Il avait pris à Chénier, à ce Grec charmant et mélodieux, devenu, de Grec, tout à coup, Français, pathétique et méduséen, non seulement sa forme iambique, mais jusqu’à cette langue inouïe d’un cynisme ardent qui se purifie dans sa flamme ; et, le croira-t-on ?

1823. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Madame Ackermann »

Il y a dans le recueil des poésies plus longues, d’un déroulement plus large, d’une passion plus irritée, où le poète est plus Spartacus contre Dieu, plus insolent et plus blasphématoire, plus digne du fer rouge que le doux Saint Louis faisait enfoncer dans la langue des blasphémateurs.

1824. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Paul Féval » pp. 145-158

Féval ne savait ni la grammaire de leur langue, ni la grammaire de leurs mœurs, comme si dans leur insularisme susceptible et hautain et tout aussi intellectuel que politique, les Anglais, enragés de nationalité blessée et justes comme des bœufs qui saignent, ne dénigreront pas toujours l’étranger qui voudra les peindre ou s’avisera de les juger !

1825. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVI. Des éloges académiques ; des éloges des savants, par M. de Fontenelle, et de quelques autres. »

Tous les objets dont on s’y occupe sont grands, et en même temps sont utiles ; c’est l’empire des connaissances humaines ; c’est là que vous voyez paraître tour à tour la géométrie qui analyse les grandeurs, et ouvre à la physique les portes de la nature ; l’algèbre, espèce de langue qui représente, par un signe, une suite innombrable de pensées, espèce de guide, qui marche un bandeau sur les yeux, et qui, à travers les nuages, poursuit et atteint ce qu’il ne connaît pas ; l’astronomie, qui mesure le soleil, compte les mondes, et de cent soixante-cinq millions de lieues, tire des lignes de communication avec l’homme ; la géographie, qui connaît la terre par les cieux ; la navigation, qui demande sa route aux satellites de Jupiter, et que ces astres guident en s’éclipsant ; la manœuvre, qui, par le calcul des résistances et des forces, apprend à marcher sur les mers ; la science des eaux, qui mesure, sépare, unit, fait voyager, fait monter, fait descendre les fleuves, et les travaille, pour ainsi dire, de la main de l’homme ; le génie qui sert dans les combats ; la mécanique qui multiplie les forces par le mouvement, et les arts par l’industrie, et sous des mains stupides crée des prodiges ; l’optique qui donne à l’homme un nouveau sens, comme la mécanique lui donne de nouveaux bras ; enfin les sciences qui s’occupent uniquement de notre conservation ; l’anatomie par l’étude des corps organisés et sensibles ; la botanique par celle des végétaux ; la chimie par la décomposition des liqueurs, des minéraux et des plantes ; et la science, aussi dangereuse que sublime, qui naît des trois ensemble, et qui applique leurs lumières réunies aux maux physiques qui nous désolent.

1826. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

Une langue est parlée avant toute grammaire, et cette grammaire n’est une Science que si elle se conforme à ce fait antérieur, irraisonné, illogique souvent, mais souverain, mais indiscutable parce qu’il est l’œuvre de la toute-puissante nature : l’usage, autant dire la Tradition.‌ […] Quel spectacle exaltant et pathétique à se représenter que celui de ces écrivains, tous quatre Français par le génie et la langue sinon par la naissance, portant en eux la conscience d’un pays tout entier trompé, et combien les politiciens d’alors ont peu soupçonné le mépris où l’avenir tiendrait leurs combinaisons, tandis qu’après plus d’un siècle les événements continuent de prouver que ces exilés et ces vaincus avaient raison !‌ […] Pareillement un grammairien reconnaîtra d’abord qu’une langue étant une machine à parler, son rôle n’est pas de la recréer, mais d’aider ceux qui l’emploient à bien s’en servir. […] L’on se rappelle par contre avec tristesse qu’il fut une époque où nous disputions aux Anglais l’empire des Indes, où nous nous installions au Canada avec tant de force que notre langue et notre race y subsistent invincibles à la conquête. […] Remplacez ces diffuses causeries, magnifiques chez Scott, mais sans couleur chez vous, par des descriptions auxquelles se prête si bien notre langue. » Ouvrez maintenant la Comédie humaine.

1827. (1895) Hommes et livres

En revanche, les tragédies de Montchrétien marquent dans l’histoire de la poésie et de la langue. […] La langue, un peu diffuse et languissante en sa douceur, est saine, nette, limpide : elle peut tout recevoir et tout dire, elle est prête pour les chefs-d’œuvre. […] Ici, forme et fond, pensée et langue, tout est à lui. […] Je n’insiste pas non plus sur « l’épuration » violente que le beau monde fit subir à la langue si nette et si forte déjà de Montchrétien. […] Non ; autre est le but de nos précieux, qui trop souvent ont fait la loi à l’Académie : ils veulent « dévulgariser » la langue, la purger de tout élément grossier et populaire, et ne s’avisent pas que de chercher à créer des expressions par elles-mêmes délicates et nobles, c’est aller contre le bon sens et le génie de notre langue, où toute dignité, toute beauté vient des choses.

1828. (1927) André Gide pp. 8-126

André Gide sait l’allemand, ainsi que l’anglais, l’italien, le latin et le grec, et il cite beaucoup de textes dans ces diverses langues : les textes grecs sans l’ombre d’accentuation, malheureusement). […] Le livre est d’une qualité rare, mais un peu décevant, parce que cet ardent piétisme, d’Alissa Bucolin ne s’exprime point avec le lyrisme qui conviendrait à un sentiment si puissant, mais dans une langue abstraite, rigide et glacée. […] Béraud, on a d’autant plus de raison de répandre leurs oeuvres au dehors qu’ils sont de ceux qu’on y apprécie le plus, peut-être parce que les étrangers qui savent bien notre langue sont pour la plupart fort cultivés et de goût délicat. […] Est-ce que nous ne rendons pas hommage à la belle langue et à l’éloquence de Bossuet, malgré l’extrême « faiblesse philosophique » et le « cartésianisme de carton » que nous apercevons chez lui, avec Renan et M. 

1829. (1932) Les idées politiques de la France

La langue du parlementaire, de l’homme dans l’hémicycle, est après tout aussi spontanée, aussi logique que la langue de l’homme dans la rue. Les modifications de langue suivent les modifications de choses. […] Quelques phrases de journal devinrent des symboles, quelques mots vagues des arguments irrésistibles, et la bigarrure qu’offrait à cette époque la langue vulgaire dut influer sur l’incohérence des idées. » Évidemment, les sociétés populaires de pensée, de contrôle et d’action avaient toute une éducation à faire. […] Tout but autre que la lutte de classe pour l’expropriation du capitalisme était excommunié par Guesde, rejeté dans les ténèbres extérieures du réformisme, stigmatisé par le mot de la langue française le plus familier au vocabulaire guesdiste, celui de déviation, qu’un seul homme a employé et brandi, pour la police de son parti, autant que Guesde : Maurras. […] Être une Internationale, posséder une langue internationale, voilà évidemment un avantage.

1830. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

A mesure qu’on avance dans le dix-huitième siècle, les règles se rétrécissent, la langue se raffine, le joli remplace le beau ; l’étiquette définit plus minutieusement toutes les démarches et toutes les paroles ; il y a un code établi qui enseigne la bonne façon de s’asseoir et de s’habiller, de faire une tragédie et un discours, de se battre et d’aimer, de mourir et de vivre : si bien que la littérature devient une machine à phrases, et l’homme une poupée à révérences. […] Ils vont en troupe à une source profonde pour laper avec leurs langues étroites la surface de l’eau noire, vomissant le sang du meurtre ; leur coeur ne tremble point dans leurs poitrine, et leur ventre chargé de viande gémit. — (Chant XVI, 15.)

1831. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

V Quant aux massacres de septembre, mystère qui n’a pas encore été sondé après soixante ans de recherches, la langue humaine a-t-elle une exécration et un anathème qui puissent égaler l’horreur que ce forfait de cannibales m’inspire, comme à tous les hommes civilisés ? […] Mais la hache après le combat et frappant un homme désarmé, au nom de ses ennemis, qu’est-elle dans toutes les langues ?

1832. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

Il possédait plusieurs langues. L’Anglais s’étonnait de la pureté et de la douceur avec laquelle il parlait l’anglais ; le Français, de son côté, trouvait la langue française très agréable dans sa bouche.

1833. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Il parle et il écrit une langue lâchée, négligée, toute pleine d’à-peu-près, molle et prolixe surtout, qui délaye la pensée et ne la serre jamais. […] Quinet (1803-1875), né à Bourg en Bresse, fut nommé en 1842 à la chaire de langues et littératures de l’Europe méridionale au Collège de France.

1834. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre IV. Shakespeare l’ancien »

Les jeux de mots, si fréquents dans la langue phénicienne, abondent dans Eschyle. […] Il aime cette langue de Tyr et de Sidon, et parfois il lui emprunte les étranges lueurs de son style ; la métaphore « Xerxès aux yeux de dragon » semble une inspiration du dialecte ninivite où le mot draka voulait dire à la fois le dragon et le clairvoyant.

1835. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

Quand il veut faire autre chose que pincer des objets physiques dans sa langue matérielle, il n’y est plus, et il écrit alors des phrases dans le genre de celle-ci, lui, l’ami de Théophile Gautier l’Impeccable, comme disait Baudelaire : « Un besoin le poussait (un besoin qui pousse !) […] Après la fameuse toilette de Salammbô, qui devint un soir la toilette des princesses de ce temps de débordements de toilettes, il était tout simple que nous eussions la toilette de la reine de Saba, et nous l’avons eue « avec sa robe de brocart d’or à falbalas de perles, son corset zodiacal, ses patins dont l’un noir avec lune d’argent, l’autre blanc avec soleil d’or, ses ongles en aiguilles, sa poudre bleue, son scorpion allongeant la langue entre ses deux seins, etc., etc. ».

1836. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — II. (Fin.) » pp. 330-342

D’Aubigné était de cette race cassante qui ne se refuse jamais un coup de langue, et qui pour un bon mot va perdre vingt amis ou compromettre une utile carrière.

1837. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Lettres de la mère Agnès Arnauld, abbesse de Port-Royal, publiées sur les textes authentiques avec une introduction par M. P. Faugère » pp. 148-162

Il y a une histoire de fabrique de cire et de bougie qui ajoute à ce qu’on savait déjà, et qui prouverait une fois de plus que cette mauvaise langue de Tallemant (lequel n’était qu’un curieux malin et nullement un atrabilaire) n’en a pas trop dit.

1838. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — I » pp. 93-106

Ces formes de la langue indiquent bien et accusent l’état et, pour ainsi dire, la posture habituelle de l’âme : la sienne était toute bandée, comme dirait Montaigne, vers un but relevé et hautain.

1839. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Il avait vu beaucoup, et peu lu ; il avait eu déjà de grandes sensations, mais il était complètement étranger à l’art de les exprimer, il avait erré comme un pauvre enfant aux pieds de ces Alpes où il avait reçu le jour ; et l’abondance de sentiments qu’il avait éprouvés au milieu des misères d’une vie incertaine n’avait trouvé d’autre forme pour se répandre que la musique, cette langue de l’air, du vent et de l’orage, que le génie a ravie à Dieu, et que ce jeune homme avait apprise tout seul en écoutant les échos de ses montagnes.

1840. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Le rang des femmes, dans les tragédies, était donc absolument livré à la volonté de l’auteur : aussi Shakespeare, en parlant d’elles, se sert, tantôt de la plus noble langue que puisse inspirer l’amour, tantôt du mauvais goût le plus populaire.

1841. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre I. L’esprit gaulois »

Il suffit d’écouter ce que dit ce peuple, au moment où sa langue se délie, lorsque la réflexion ou l’imitation n’ont pas encore altéré l’accent originel.

1842. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre III. Retour à l’art antique »

Tandis que d’autres travaillaient sur les langues, sur l’histoire, sur la religion, sur la science de l’antiquité, le comte de Caylus614, un original de vif esprit et de puissante curiosité, faisait de l’archéologie son domaine.

1843. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « II  L’esprit scientifique et la méthode de l’histoire littéraire »

Comme aucune science ne s’est condamnée à reproduire le plan extérieur ni à utiliser les formules d’une autre science, ne cherchons pas non plus à copier la structure ni à nous approprier la langue de la chimie ni de l’histoire naturelle.

1844. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Baudelaire, Charles (1821-1867) »

Théodore de Banville, je rappellerai ce que je disais il y a un an, à propos de ses Odelettes : « Des deux grands principes posés au commencement de ce siècle, la recherche du sentiment moderne et le rajeunissement de la langue poétique, M. de Banville a retenu le second… » Dans ma pensée, je retenais le premier pour M. 

1845. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leconte de Lisle, Charles-Marie (1818-1894) »

Leconte de Lisle, destructeur impitoyable de ses propres idoles, semble avoir voulu écrire l’apocalypse du paganisme, aboutissant au vide, aux ténèbres, au chaos, à un je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue, comme dit Bossuet, un pauvre radoteur indigne de desservir les autels de Zeus, de Kronos, d’Artémis et de Bhagavat !

1846. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VII. Maurice Barrès et Paul Adam » pp. 72-89

On sort de la lecture du dernier de ses ouvrages, comme des précédents, assuré qu’il est le plus maître écrivain de langue française.

1847. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre IV. Cause immédiate d’une œuvre littéraire. L’auteur. Moyens de le connaître » pp. 57-67

C’est qu’au fond toute disposition naturelle, toute faculté est une force neutre, qui pareille à la langue dont parle Esope, peut-être bonne ou mauvaise dans ses effets, suivant les conditions où elle s’exerce.

1848. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

Ce qu’il faut de plus en plus à la France, appelée indistinctement à la vie de tribune et jetée tout entière sur la place publique, c’est une école de bonne langue, de belle et haute littérature, un organe permanent et pur de tradition.

1849. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces diverses — Préface du « Rhin » (1842) »

Jordonner est un excellent mot de la langue familière qui n’a pas de synonyme possible et qui exprime une nuance précise et délicate, le commandement exercé avec sottise et vanité, à tout propos et hors de tout propos.

1850. (1904) La foi nouvelle du poète et sa doctrine. L’intégralisme (manifeste de la Revue bleue) pp. 83-87

Comme celles de la syntaxe, de la grammaire, et de la langue elle-même, elles ont leurs origines dans l’usage, c’est-à-dire dans la tradition.

1851. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre IV. Littérature dramatique » pp. 202-220

Les auteurs dramatiques ont même inventé une expression : Ce n’est pas du théâtre pour dire « voilà une pièce littéraire, originale, morale, qui ne fera pas d’argent », et une autre expression, « C’est du théâtre » pour dire « voilà une pièce banale, faite avec des ficelles qui ont déjà servi et dont on est sûr, évocatrice d’émotions mille fois soulevées, d’une morale sans élévation, d’une gaieté vulgaire, d’une langue prétentieuse ou peu sûre, mais cette pièce ira à la centième ».

1852. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre IV. Suite du parallèle de la Bible et d’Homère. — Exemples. »

Je mourrai où vous mourrez ; votre peuple sera mon peuple, et votre Dieu sera mon Dieu122. » Tâchons de traduire ce verset en langue homérique : « La belle Ruth répondit à la sage Noëmi, honorée des peuples comme une déesse : Cessez de vous opposer à ce qu’une divinité m’inspire ; je vous dirai la vérité telle que je la sais et sans déguisement.

1853. (1860) Ceci n’est pas un livre « Décentralisation et décentralisateurs » pp. 77-106

Malheur aux langues mortes !

1854. (1912) L’art de lire « Chapitre V. Les poètes »

De même dans le Jean Sévère de Victor Hugo : Un discours de cette espèce, Sortant de mon hiatus, Prouve que la langue épaisse, Ne rend pas l’esprit obtus.

1855. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « IX »

Il est très possible que le besoin d’exactitude ait poussé Pascal à travailler plus particulièrement la langue théologique des Provinciales ; mais c’est dans les Pensées que nous avons choisi nos corrections, et nous en avons donné qui sont poussées jusqu’à cinq rédactions essentiellement littéraires. « M. 

1856. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Introduction. Du bas-bleuisme contemporain »

D’étranges professoresses (car le bas-bleuisme bouleverse la langue comme il bouleverse le bon sens) se sont mises à faire solennellement des conférences et ont pu trouver des publics.

1857. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

Il manie la langue avec une élégance forte et travaillée, et il lui communique l’éclat concentré d’une pensée souvent profonde, creusée toujours.

1858. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Buloz »

Buloz — dit Vapereau dans cette langue originale qu’on lui connaît — débuta dans la littérature par des traductions de l’anglais. » Mais Vapereau a oublié de nous dire les titres des ouvrages que Buloz a traduits, et dont il nous aurait été si doux de rendre compte.

1859. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Sainte Térèse » pp. 53-71

Or, si avec ces quelques mots toujours cités, quand on parlait d’elle, elle exerçait je ne sais quel irrésistible empire sur les imaginations les plus ennemies, que sera-ce quand on pourra lire et goûter tant d’écrits marqués à l’empreinte d’une âme infinie, de cette âme qui, sans en excepter personne dans l’histoire de l’esprit humain, — quand elle fut obligée d’écrire, soit pour se soulager d’elle-même, soit pour remplir un grand devoir, fit tenir, dans les limites étouffantes d’une langue finie, le plus de son infinité ?

1860. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VIII. M. de Chalambert. Histoire de la Ligue sous le règne de Henri III et de Henri IV, ou Quinze ans de l’histoire de France » pp. 195-211

La France est un pays de netteté : voyez sa langue, c’est la clarté même !

1861. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Fustel de Coulanges » pp. 15-32

Elle garda sa religion et sa langue.

1862. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Gaston Boissier » pp. 33-50

Ce sont les quatre cornes, comme dirait l’Apocalypse, de la Grande Bête multiple et aux quatre faces qu’on appelle, dans la langue des hommes, l’Institut.

1863. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Le père Augustin Theiner »

L’Histoire de Clément XIV, cette nouvelle histoire publiée par un prêtre élevé en dignité, consulteur des saintes congrégations de l’Index et du Saint-Office, préfet coadjuteur des archives secrètes du Vatican, traduite au même moment en trois langues différentes pour qu’elle ait son triple retentissement simultané, ce livre, qui fait bruit à Rome et qui fera probablement bruit dans le monde, n’est point, à coup sûr, un de ces livres qui naissent spontanément et sans dessein dans la pensée laborieuse d’un annaliste.

1864. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

Il y avait débuté comme écrivain, et ce concentrateur y était promptement devenu le roi de l’entrefilet formidable, le serpent chatoyant, à langue aiguë, de la phrase courte, l’étrangleur avec un bracelet !

1865. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Gustave Flaubert » pp. 61-75

Quant au style par lequel on est peintre, par lequel on vit dans la mémoire des hommes, celui de Madame Bovary est d’un artiste littéraire qui a sa langue à lui, colorée, brillante, étincelante et d’une précision presque scientifique.

1866. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VII. »

— « Je ne tiendrais pas en estime un homme77 pour son agilité à la course ou sa vigueur à la lutte, ni s’il avait la taille et la force des Cyclopes, ni s’il devançait la vitesse de l’aquilon, ni s’il était plus gracieux de visage que Tithon ou plus riche que Midas et Cinyre, ni s’il était plus roi que Pélops, fils de Tante tale, ni s’il avait la langue mélodieuse d’Adraste, ni quand il aurait toute gloire, hormis la force guerrière.

1867. (1924) Critiques et romanciers

Certains poèmes des Contemplations lui arrachent ce compliment : « Il n’y a pas de plus beaux vers dans la langue française, ni dans la langue chrétienne. » Seulement, Victor Hugo fait d’habitude le pire usage de son génie ; et Veuillot lui reproche cinq défauts ou péchés : l’orgueil, la haine, l’esprit d’anarchie, l’obscénité, le blasphème. […] À présent, ce ne sont plus le grec et le latin qui mettent en péril notre langue ; et les sévérités de Boileau ne seraient plus si opportunes, il aurait d’autres sévérités. […] Bourget, sont « de très grands écrivains », mais « de très grands écrivains de romans : leur langue ne pouvait pas, ne devait pas être celle de très corrects et très parfaits prosateurs. […] Un écrivain qui s’aviserait d’écrire à la perfection — j’entends, selon l’usage véritable de la langue — serait bientôt incompréhensible. […] La langue n’est pas si pauvre !

1868. (1930) Les livres du Temps. Troisième série pp. 1-288

On a beaucoup dit que Racine était le plus français de nos poètes, et nul ne conteste la pureté de sa langue. […] Balzac se piquait d’être, avec Hugo et Gautier, un des trois hommes qui savaient le mieux la langue. […] La différence du vers à la prose frappe toujours moins dans une langue étrangère, si bien qu’on la sache. […] Ne lui demandez pas l’admirable langue de Tourgueniev ; la propriété et la clarté de l’expression, sinon de l’idée, voilà ses seuls mérites. […] Quant aux mathématiciens, plus heureux, ils ont un langage précis, mais généralement intraduisible en langue vulgaire.

1869. (1910) Propos littéraires. Cinquième série

Cela a été dit, même en langue grecque. […] Les langues ne se trompent jamais. […] C’est l’apologue de la langue chez Ésope. Il est assez naturel que le mensonge soit comme la langue, la langue s’employant surtout à le produire. […] », et que précisément, Jacques de la Cloche, le petit jésuite, né à Jersey, ne savait pas d’autre langue que le français.

1870. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

Il sait les deux langues comme pas un ; il a vécu ou voyagé dans les deux pays ; il n’est pas de document historique ou littéraire, d’œuvre plastique ou poétique qu’il ne connaisse et ne juge avec la compétence exercée d’un critique et l’émotion primesautière d’un artiste. […] Un premier cours traitera des limites et communications naturelles, des races, des langues et des religions dans les principaux États. […] Il faudrait un George Sand pour traduire nos idées dans leur langue. […] Ribot, qui expose clairement et qui est un disciple si zélé d’Herbert Spencer, devrait bien repenser à sa façon, et dans les cadres de notre langue, la doctrine de son maître, ajouter un volume d’exposition à ses deux volumes de traduction. […] Il possédait six langues, avec leur littérature et leur histoire, l’italien, le grec, le latin, l’anglais, l’espagnol et le russe ; je crois qu’en outre il lisait l’allemand.

1871. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

J’espère vous convaincre que la fable de Philémon et Baucis d est le morceau le plus homérique de notre langue. […] On s’applaudit de ne plus tant mêler le fabuleux au réel ; on objecte aux défenseurs du système fictif que nos idées s’y refusent, que les langues modernes n’ont pas les ressources des langues anciennes, et que notre savoir n’admet plus les erreurs poétiques. […] Prenons, sans anticiper sur l’examen des épopées, deux morceaux bien connus, le Passage du Rhin, et la Bataille de Fontenoy, tous deux sont écrits en notre langue, tous deux célèbrent un fait récent dans l’histoire : demandons-nous lequel est le plus frappant. […] On dirait, tant il a façonné ses inventions et sa langue sur les formes et la mélodie des anciens, non qu’il imite leurs ouvrages, mais qu’il les continue. […] Mais ceci se rapporte aux considérations de la langue : revenons à la règle de l’unité.

1872. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Alexis Piron »

Ces prédictions se faisaient en patois, la langue habituelle d’Aimé Piron. […] Mais apprenons déjà à connaître Piron : que ce fût le bon Dieu, un ami, un parent, n’importe qui, quand un bon mot lui venait au bout de la langue, il ne le retenait pas. […] C’était, dans ce genre de combats à coup de langue, l’athlète le plus fort qui eût jamais existé nulle part.

1873. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mademoiselle Aïssé »

On retrouverait jusque dans madame de Tencin la langue de madame de Maintenon. […] « Sur touttes choses plus de brouilleries, observés vous et ne donnés aux mauvaises langues aucune prise sur vous ; soyés aussy un peu circonspecte sur le choix de vos amyes, et ne vous livrés à elles que de bonne sorte ; et quand je seray content, vous trouverez en moy ce que vous ne trouveriés en nul autre, les nœuds à part qui nous lient indissolublement. […] L’imprimé de 1809 donne ici une version différente et qui mérite d’être reproduite, parce qu’elle ne laisse pas d’être heureuse et qu’elle semble de la plume même de l’auteur : « … Alors le Chevalier n’est plus le même homme : toutes ses lumières s’éteignent ; enveloppé de ténèbres, s’il parle, ce n’est plus avec la même éloquence ; ses idées n’ont plus la même justesse, ni ses expressions la même énergie, elles ne sont qu’exagérées ; on voit qu’il se recherche sans se trouver : l’original a disparu, il ne reste plus que la copie. » Cette expression : il se recherche sans se trouver, nous paraît d’une trop bonne langue pour ne pas provenir de Mme du Deffand.

1874. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

La poésie, comme toute chose de l’esprit, s’adresse à l’esprit, et doit lui offrir, sous sa forme et dans sa langue divines, des idées humaines et des sentiments humains. […] Quand le docteur Pancrace prie Sganarelle de passer de l’autre côté, « car cette oreille-ci est destinée pour les langues scientifiques et étrangères, et l’autre est pour la vulgaire et la maternelle76 » ; quand Clitandre, pour savoir si Lucinde est malade, tâte le pouls à son père77 ce sont là, n’en déplaise à Molière, de vraies plaisanteries comiques, et nullement des traits de caractère. […] Il a écrit en prose et même en vers dans la langue de Molière.

1875. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

Ceci est la partie la plus problématique de l’historien, car la victoire est souvent plus dans l’armée que dans le général ; victoire et hasard sont deux mêmes mots dans la langue des batailles. […] Royer-Collard en a enrichi la langue philosophique : Ceci est brutal comme un fait, nous dirions que le regard participe de la brutalité du fait quand il ne s’élève pas au-dessus du fait pour le sentir dans le cœur et pour le juger dans la conscience. […] Son nom fut accueilli par eux avec une entière confiance, et les consola un peu de la perte du général illustre qui venait de les quitter. » XX La révolte du Caire, la bataille d’Héliopolis, la seconde conquête de l’Égypte en trente-cinq jours par Kléber, sont au nombre des plus belles pages historiques qui aient été écrites en aucune langue.

1876. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

Mme Récamier, M. de Chateaubriand, vos deux amis du passé, étant morts, vous ne deviez rien à personne ; il nous fallait un grand critique, plus qu’un critique, un moraliste littéraire qui ne se bornât pas à la langue, mais qui étudiât l’homme et l’humanité dans l’écrivain, un La Harpe d’après, mais très supérieur à La Harpe d’avant, homme de collège, qui n’apprit que les mots, quand Sainte-Beuve apprécie les choses. […] Et puis ces sciences, ces langues, ces histoires qu’on étudierait, contiennent au gré des âmes délicates et tendres trop peu de suc essentiel sous trop d’écorces et d’enveloppes ; une nourriture exquise et pulpeuse convient mieux aux estomacs débiles. […] Nous entendons par ce mot un prosateur qui ne ressemble pas à un autre, et qui introduit dans la langue un genre inusité, étrange, familier et profond tout à la fois, un genre qui ne ressemblerait à rien, s’il ne ressemblait pas à Montaigne, oui, un Montaigne du dix-neuvième siècle.

1877. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Louis Veuillot »

Il eût pu donner encore plus largement carrière à son esprit d’ironie et de dérision, car il eût eu moins de choses à respecter ; il eût écrit d’excellents romans satiriques et réalistes ; il eût, fort aisément, mis Edmond About et quelques autres dans sa poche ; il aurait été académicien ; il aurait mené une vie commode ; il n’aurait eu, en fait d’ennemis, que sa portion congrue ; tout le monde saurait aujourd’hui qu’il fut un des maîtres de la langue ; il commencerait à entrer dans les anthologies qu’on fait pour les lycées, et une rue de Paris porterait son nom. […] N’est-ce pas Veuillot qui a dit que la Chanson des Rues et des Bois est « le plus bel animal de la langue française » ? […] Entre les écrivains qui comptent, Veuillot me paraît celui qui est le mieux dans la tradition de la langue, tout en restant un des plus libres, des plus personnels.

1878. (1882) Essais de critique et d’histoire (4e éd.)

Malheureusement la langue française a perdu une partie de sa richesse, et je ne puis pas raconter le traitement que M. d’Espinchal fit à son page et à sa femme. […] Quand il fait des fautes de langue, il les veut, presque toujours avec raison. Nul n’a plus étudié la langue. […] Elle disait les événements du monde en femme du monde, et l’apportait point les termes des langues spéciales dans la description des mouvements du cœur. […] Strabon trouva que Bithyniens, les Mysiens, les Phrygiens, les Lydiens, avaient perdu leur langue.

1879. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre II. Dryden. »

« La langue, la conversation et l’esprit697, dit-il, se sont perfectionnés depuis le siècle dernier », ce qui a fait découvrir dans les anciens poëtes beaucoup de fautes, et a introduit un genre de drame nouveau. « Qu’un homme sachant l’anglais lise attentivement les œuvres de Shakspeare et de Fletcher, j’ose affirmer qu’il trouvera à chaque page, soit quelque solécisme de langue, soit quelque manque de sens notable. […] Leur langue affaiblie s’est trop raffinée, et, comme l’or pur, elle plie à tous les chocs ; notre vigoureux anglais n’obéit pas encore à l’art, mais il est plus propre aux pensées viriles, et son alliage l’a fortifié707. » Qu’on raille tant qu’on voudra Fletcher et Shakspeare, « il y a dans leur style une imagination plus mâle et un plus grand souffle que dans aucun des Français708. » Quoique excessive, cette critique est bonne, et c’est parce qu’elle est bonne que je me défie des œuvres qu’elle va produire. […] Parlant d’Horace, il trouve que « son esprit est terne et son sel presque sans goût ; celui de Juvénal est plus vigoureux et plus mâle, et me donne autant de plaisir que j’en puis porter750. » Par la même raison, il rabaisse les délicatesses du style français. « La langue française n’est pas munie de muscles comme notre anglaise ; elle a l’agilité d’un lévrier, mais non la masse et le corps d’un dogue.

1880. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

Les seuls d’entre eux qui valent quelque chose, Crabbe, Campbell, Roger, imitent le style de Pope ; quelques autres ont du talent, mais, à tout prendre, les nouveaux venus ont perverti la littérature ; ils ne savent plus leur langue ; leurs expressions ne sont que des à-peu-près, au-dessous ou au-dessus du ton, forcées ou plates. […] Ce qui lui reste de vie est pour ce pauvre page, seul être qui l’ait aimé, qui l’a suivi jusqu’au bout, qui maintenant essaye d’étancher le sang de sa blessure. « Lara peut à peine parler, mais fait signe que c’est en vain » ; — il lui prend la main, le remercie d’un sourire, et, lui parlant sa langue, une langue inconnue, lui montre du doigt le côté du ciel où en ce moment le soleil se lève, et la patrie perdue où il veut le renvoyer. […] Il écrivait son Beppo en improvisateur, avec un laisser-aller charmant, avec une belle humeur ondoyante, fantasque, et y opposait l’insouciance et le bonheur de l’Italie aux préoccupations et à la laideur de l’Angleterre. « J’aime à voir le soleil se coucher, sûr qu’il se lèvera demain, —  non pas débile et clignotant dans le brouillard, —  comme l’œil mort d’un ivrogne qui geint, —  mais avec tout le ciel pour lui seul, sans que le jour soit forcé d’emprunter — sa lumière à ces lampions d’un sou qui se mettent à trembloter — quand Londres l’enfumée fait bouilloter son chaudron trouble1304. » — « J’aime leur langue, ce doux latin bâtard — qui se fond comme des baisers sur une bouche de femme, —  qui glisse comme si on devait l’écrire sur du satin — avec des syllabes qui respirent la douceur du Midi, —  avec des voyelles caressantes qui coulent et se fondent si bien ensemble, —  que pas un seul accent n’y semble rude, —  comme nos âpres gutturales du Nord, aigres et grognantes, —  que nous sommes obligés de cracher avec des sifflements et des hoquets1305. » — « J’aime aussi les femmes (pardonnez ma folie), —  depuis la riche joue de la paysanne d’un rouge bronzé — et ses grands yeux noirs avec leur volée d’éclairs — qui vous disent mille choses en une fois, —  jusqu’au front de la noble dame, plus mélancolique, —  mais calme, avec un regard limpide et puissant, —  son cœur sur les lèvres, son âme dans les yeux, —  douce comme son climat, rayonnante comme son ciel1306. » Avec d’autres mœurs, il y avait là une autre morale ; il y en a une pour chaque siècle, chaque race et chaque ciel ; j’entends par là que le modèle idéal varie avec les circonstances qui le façonnent.

1881. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff (suite) » pp. 317-378

Tout l’air fut troublé, une forte odeur de brûlé nous prit à la gorge, et voilà que, s’agitant d’une étrange façon à la lumière du jour, parurent d’un rouge pâle, derrière de petits flocons de fumée très blanche, les premières langues de la flamme. […] Il s’avançait en lignes ondoyantes, ou, pour parler plus exactement, en petites murailles dentelées, formées de langues de feu rejetées en arrière par le vent qui emportait la fumée. […] Il vaudrait mieux qu’il ne parlât aucune langue, mais qu’il dît la vérité. — Bon, le voilà qui vient ; sitôt qu’on parle de lui, il apparaît, ajouta Marpha Timoféevna, jetant un coup d’œil dans la rue. […] Le vieillard lui jeta un regard d’aigle, se frappa la poitrine et lui dit lentement dans sa langue maternelle : « C’est moi qui ai fait tout cela, car je suis un grand musicien ! 

1882. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Les mauvaises langues pourront affirmer que, de tous les traits où s’accuse la plasticité de notre auteur, celui-là fut le plus spontané, et que Donna Marie, c’est le miroir fidèle où vient se réfléchir l’image de la romancière elle-même. […] A certaines heures, c’est comme si elle parlait une langue que nous ne pouvons entendre, et la seule contraction de ses traits nous permet de soupçonner des angoisses qui ne sauraient avoir d’écho direct en nous. […] Plasticité… dira-t-on… Et certes j’y souscris, mais plasticité d’ordre unique et vraiment merveilleuse puisque, tout en épousant la forme de qui régla cette inspiration, elle fait passer dans une langue différente l’essentiel de celle-ci. […] Il faut tenir compte de cette nuance : avoir conçu, en s’en créant un premier titre à la gloire, une métaphysique de l’amour qui repose toute sur l’observation désenchantée de ses exigences physiologiques ; en avoir déduit, dans une langue aussi claire qu’impérieuse, des servitudes qui s’imposent à l’humanité suivant la rigueur implacable de l’antique destinée… puis rencontrer soudain dans l’œuvre rapprochée de cinq auteurs femmes qui n’eurent guère entre elle que ce point commun, je ne dis pas seulement la confirmation, mais une manière d’hymne enthousiaste à vos plus solides croyances, n’est-ce pas là de quoi brouiller le meilleur regard, intervertir les opinions du plus robuste misogyne ? […] Coquetterie… prononce la langue vulgaire.

1883. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Ajoutez que, depuis La Fontaine, personne n’avait jamais si bien su les ressources de sonorité de notre langue ; que personne, sauf La Fontaine, n’a eu l’oreille aussi juste, musicalement juste, que Victor Hugo. […] Alfred de Vigny, en voyant ce que nous soutirons et comme nous sommes condamnés à souffrir, à défaut d’autre chose, nous prend en pitié, et il a écrit un des plus beaux vers qui soient dans notre langue, justement sur cette sympathie que la souffrance doit inspirer. […] Eh bien, je vous demande si véritablement c’est cela qui vous donne une idée de la langue des dieux. […] Et tous les vers que je vous ai lus jusqu’ici, vous les avez très bien compris, parce que une des premières qualités de notre langue française, dans la poésie comme dans la prose, c’est justement la clarté. […] Je vous en remercie tous et je vous demande la permission de remercier surtout ceux de la galerie supérieure, les jeunes gens, ceux qui me prouvent, en étant venus ici, que la langue française a au Canada un bel et grand avenir.

1884. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre II. Le public en France. »

À la séance publique de l’Académie des Inscriptions, les femmes du monde applaudissent des dissertations sur le bœuf Apis, sur le rapport des langues égyptienne, phénicienne et grecque. […] Elle s’empare de tous les cœurs français, sape par le pied tout ce qui n’était fondé que sur les anciennes opinions et tire sa force d’elle-même. » Non seulement les privilégiés font les avances, mais ils les font sans effort ; ils parlent la même langue que les gens du Tiers, ils sont disciples des mêmes philosophes, ils semblent partir des mêmes principes.

1885. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

On se livre à lui malgré soi ; il s’empare de vous ; on ne croit que la moitié de ce qu’il dit, l’autre moitié vous fait peur ou horreur ; on voudrait raisonner contre lui, on n’en a pas le temps, on va, on va, on va ; c’est ce qu’on appelle la verve, la couleur, le feu du génie, le délire de la langue, la folie du mouvement. […] La poésie ne déroge pas du tout en dessinant la sainteté et en coloriant la piété sous trois formes, le frère, la sœur et la servante : trio de candeur et de vertu qui psalmodie, chacun dans sa langue, le même hymne à Dieu dans le peuple !

1886. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

Il rappelle qu’il y a eu une vertu publique, et que si le peuple en a perdu la formule, la langue du moins en a conservé le retentissement. […] Ses ouvrages peuvent périr, mais son accent reste à la langue et aux caractères.

1887. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVIe Entretien. Marie Stuart (reine d’Écosse) »

À l’ombre des noisetiers, appuyé sur un rocher ou couché sur la mousse, près d’un étang, il lisait la Bible traduite en langue vulgaire ; puis il couvait ses desseins, épiant avec anxiété l’instant propice à leur éclosion. […] Il y a dans la musique une langue sans paroles, qui permet à ceux qui l’exercent ensemble de tout dire sans rien exprimer ; le sentiment vague et passionné de la voix ou de l’instrument, qui s’adresse à tous, ne peut offenser personne en particulier, mais il peut, au gré de celle qui l’entend, s’interpréter comme un hommage timide ou comme un soupir brûlant, auquel il ne manque que son nom pour devenir un aveu ; deux regards qui se rencontrent dans ce moment d’extase musicale achèvent la muette intelligence ; de là à une passion mutuelle, devinée ou avouée, il n’y a qu’un moment d’audace ou un moment de faiblesse.

1888. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

Il est vrai aussi que ces lourds bouquins, scolastiques presque toujours de style et de langue, étaient plus à l’usage des directeurs que des fidèles, et servaient plus à absoudre l’irréparable passé qu’à autoriser les fautes à faire. […] Les raisons qui pouvaient atténuer en Espagne le relâchement de la morale religieuse n’existaient pas en France, et certains jésuites français avaient écrit déjà en notre langue, offrant à tous le libre usage de leur indulgence.

1889. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

MM. d’Indy et Chabrier ; et d’autres avec eux, par les théories et les œuvres Wagnériennes ont appris à répudier la loi du poème à forme fixe ; leur esprit s’est habitué à un développement libre des émotions ; et, en même temps qu’ils s’inspiraient de la forme dramatique Wagnérienne, ils s’inspiraient (justement), de la langue Wagnérienne. […] Un cruel rédacteur en chef ne m’a donné que quelques jours pour écrire ce qui demandait plusieurs semaines, mes lecteurs me plaindront et me pardonneront ; et ils se souviendront encore que je me sers d’une langue étrangère et horriblement difficile !

1890. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

Pour nous en tenir aux pays de langue française, disons que la première représentation à Bruxelles est ancienne déjà. […] Mais si l’auteur de Lohengrin, au point de vue général, a reçu le sujet de son œuvre des poèmes déjà écrits en langue française il en a eu également le résumé dans les chants des autres minnesinger germains, eux-mêmes inspirés de nos trouvères.

1891. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Lettres de m. l’Abbé Sabatier de Castres ; relatives aux trois siecles de la littérature françoise.ABCD » pp. -641

Graces à ses Ouvrages, notre Langue deviendra classique, comme celle des Grecs & des Romains. […] Lorsqu'il a voulu employer celle du raisonnement, il a malheureusement donné dans des bévues qui n'ont pas échappé à nos Théologiens érudits ; ils les lui ont même reprochées amérement, & je suis obligé de convenir avec eux, d'après l'étude particuliere que j'ai faite des Langues anciennes, que M. de Voltaire n'a pas la moindre connoissance de l'Hébreu, qu'il ne fait point le Grec, & qu'il n'a pas puisé dans les sources ses Observations critiques sur Abraham, Moïse, David, Salomon, les Prophetes, les Loix, & les Mœurs Hébraïques ; je doute même qu'il ait jamais lu les Peres de l'Eglise, qu'il cite souvent.

1892. (1888) Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes « Petit glossaire »

Le vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf, étrange à la langue et comme incantatoire achève cet isolement de la parole. […] — Forme verbe de l’adjectif mobile, le mot de la langue se mobiliser étant employé dans un sens restreint.

1893. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — I » pp. 246-260

Nous parlions, à nous quatre, une bonne partie des différentes langues de l’empire des lettres, et tous les sujets de cette petite société se sont dispersés de là dans toutes les Académies.

1894. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

La poésie pour lui est ailleurs : elle a quitté les déserts, elle s’est transportée et répandue en tous lieux, en tous sujets ; elle se retrouve sous forme détournée et animée dans l’histoire, dans l’érudition, dans la critique, dans l’art appliqué à tout, dans la reconstruction vivante du passé, dans la conception des langues et des origines humaines, dans les perspectives mêmes de la science et de la civilisation future : elle a diminué d’autant dans sa source première, individuelle ; celle-ci n’est plus qu’un torrent solitaire, une cascade monotone, quand tout le pays alentour, au loin, est arrosé, fécondé et vivifié d’une eau courante, souterraine, universelle.

1895. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Le Brun »

Il avait beaucoup médité sur la langue poétique, et pensait qu’elle devait être radicalement distincte de la prose.

1896. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre III »

« La figure était couleur de terre, les lèvres boursouflées et sèches, la langue ridée ; la peau rugueuse…, les yeux agrandis et liquoreux qui brûlaient d’un éclat fébrile dans cette tête de squelette hérissée de poils.

1897. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

On approche d’une femme distinguée comme d’un homme en place ; la langue dont on se sert n’est pas semblable, mais le motif est pareil.

1898. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VII. Induction et déduction. — Diverses causes des faux raisonnements »

« Le portrait qu’il trace du Français, de corps chétif, sans vigueur musculaire, incapable d’avoir des enfants, ignorant l’orthographe (t la géographie, hors d’état d’apprendre une langue étrangère, libre penseur sans avoir jamais pensé, ne songeant qu’à être décoré d’un ordre quelconque et à émarger au budget, dépaysé quand il a dépassé le boulevard des Italiens, hostile au gouvernement et acceptant servilement tous les régimes, incapable de comprendre ni les mathématiques, ni le jeu d’échecs, ni la comptabilité ; ce portrait, dis-je, est une vraie caricature.

1899. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Joséphin Soulary »

Je ne parle pas des « regards qui se tendent en grande fixité », ni des pleurs qui « se font brèche dans de grands yeux doux » (ce ne sont peut-être que des incertitudes de langue ou des sacrifices à la rime).

1900. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens II) Henry Fouquier »

Et je ne vous parlerai pas non plus de son style, souple, ondoyant, nuancé, dont la facilité abondante est pourtant pleine de mots et de traits qui sifflent, tout chaud de la hâte de l’improvisation quotidienne, avec un fond de langue excellente, mais avec des négligences çà et là, des plis de manteau qui traîne, comme celui de quelque jeune Grec, auditeur de Platon.

1901. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

Il fixe alors cette vaste étendue du Ciel, cette immense Nature, qui, fiere dans toutes ses productions n’a point fait d’esclaves, elle n’a point bâti de murs, elle n’a point forgé de chaînes ; cet oiseau qui sur une aîle hardie, franchit l’espace, cet animal des bois qui erre sans guide au gré de son instinct, l’ouragan qui passe, tout parle éloquemment à son cœur, & il apperçoit au milieu de l’Univers la liberté, & il s’écrie : c’est à toi que j’adresse mes vœux, ame des nobles travaux, mere des vertus & des talens ; toi qui formes les ames vigoureuses, les esprits élevés & lumineux ; toi qui ne faisant point d’opprimé, ne fais point d’oppresseur ; toi dont la main sacrée grave dans le cœur de l’homme le caractère primitif de la Justice ; c’est à toi que je voue mes jours, conduis mes pas & ma langue ; je le sens, tu éleveras ma pensée, tu la rendras digne de l’Univers.

1902. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre III. La commedia dell’arte en France » pp. 31-58

Il parlait cinq langues outre l’italien : le français, l’espagnol, l’esclavon, le grec et même le turc.

1903. (1842) Essai sur Adolphe

Essai sur Adolphe Si Benjamin Constant n’avait pas marqué sa place au premier rang parmi les orateurs et les publicistes de la France, si ses travaux ingénieux sur le développement des religions ne le classaient pas glorieusement parmi les écrivains les plus diserts et les plus purs de notre langue ; s’il n’avait pas su donner à l’érudition allemande une forme élégante et populaire, s’il n’avait pas mis au service de la philosophie son élocution limpide et colorée, son nom serait encore sûr de ne pas périr : car il a écrit Adolphe.

1904. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VIII. Jésus à Capharnahum. »

Fils de l’homme est dans les langues sémitiques, surtout dans les dialectes araméens, un simple synonyme d’homme.

1905. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre I : Des sens, des appétits et des instincts. »

La douleur trouble la digestion, la joie l’active, la peur dessèche la langue et cause une sueur froide ; le cœur, les poumons, la glande lactée chez les femmes ressentent le contre-coup des émotions ; la glande lacrymale qui secrète constamment son liquide, le laisse échapper avec plus d’abondance, sous l’action des émotions tendres.

1906. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Les Confidences, par M. de Lamartine. (1 vol. in-8º.) » pp. 20-34

Cette phraséologie abondante et monotone finit par lasser ceux mêmes qui aimaient le plus à se laisser bercer à la belle langue du poète.

1907. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre IV. Critique »

Elle le prend en flagrant délit de fréquentation populaire, allant et venant dans les carrefours, « trivial », disant à tous le mot de tous, parlant la langue publique, jetant le cri humain comme le premier venu, accepté de ceux qu’il accepte, applaudi par des mains noires de goudron, acclamé par tous les rauques enrouements qui sortent du travail et de la fatigue.

1908. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — I. La Poësie en elle-même. » pp. 234-256

Ses poësies ne sont point indignes de lui, quoiqu’on ait dit qu’elles ne sont que des plagiats ; qu’on y voit moins son esprit que celui des autres ; que l’auteur a fait des vers dans notre langue, comme nous en faisons dans celle des Romains.

1909. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre II. Le cerveau chez les animaux »

Ensuite, quand l’effort puissant des années a courbé le corps, émoussé les organes, épuisé les forces, le jugement chancelle, et l’esprit s’embarrasse comme la langue.

1910. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre II. Des livres de géographie. » pp. 5-31

Il ne vit néanmoins qu’une partie de l’Europe ; mais l’étude des langues, & le soin qu’il prit de s’informer avec exactitude des mœurs & des coutumes des différens peuples, le rendirent peut-être plus habile dans la connoissance des pays étrangers, que s’il y eût voyagé lui-même.

1911. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Ce que tout le monde sait sur l’expression, et quelque chose que tout le monde ne sait pas » pp. 39-53

Ce visage est une lettre de recommandation écrite dans une langue commune à tous les hommes.

1912. (1854) Préface à Antoine Furetière, Le Roman bourgeois pp. 5-22

Regnier-Desmarets, qui tint la plume pour l’Académie pendant tout le temps de la querelle, prétend, au contraire, que les décisions d’un particulier sur la langue ne peuvent jamais être si sûres ni d’une si grande autorité que celles d’une compagnie instituée pour la perfectionner.

1913. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXVI. La sœur Emmerich »

Cazalès a traduites toutes les deux dans la langue catholique du monde, puisqu’il les a traduites en français.

1914. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Jules Janin » pp. 137-154

Cuvillier-Fleury qui parle), — c’est le Roi de la phrase sonore, colorée, aérienne, — c’est le Roi de la phrase pour la phrase, du style pour le style, pour l’amour de la langue française qu’il adorait et qui le lui rendait bien, — le Roi du coloris, mettant sur des riens des touches d’Albane », eh bien, à la bonne heure !

1915. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

C’est toujours cet étrange esprit qui ressemble au serpent, qui en a le repli, le détour, la tortuosité, le coup de langue, le venin, la prudence, la passion dans la froideur, et dont, malgré soi, toute imagination sera l’Ève.

1916. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Récamier »

» Elle a tant fait penser aux anges les hommes de sa génération, dont ce n’était pas, comme on sait, la préoccupation habituelle, que c’est depuis elle que ce mot d’ange a été insupportablement appliqué à toutes les femmes et est devenu un lieu commun dans la langue de l’amour.

1917. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

C’est toujours cet étrange esprit qui ressemble au serpent, qui en a le repli, le détour, la tortuosité, le coup de langue, le venin, la prudence, la passion dans la froideur, et dont, malgré soi, toute imagination sera l’Ève.

1918. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Le style de l’Étourdi ne plaisait pas du tout à Voltaire qui y trouvait des fautes contre la langue. Pour Voltaire est faute contre la langue tout ce qui s’éloigne de la langue du xviiie  siècle. […] Je reconnais du reste que, même en se plaçant au point de vue de la langue du temps de Molière, il y a des fautes dans l’Étourdi ; mais rien n’est plus juste aussi que cette remarque de Victor Hugo que dans l’Étourdi il y a une langue vive, colorée, heureusement métaphorique, qui tient encore du temps de Louis XIII et qu’on retrouvera moins dans Molière à mesure qu’il avancera. […] La langue de Rabelais n’est pas plus vivante !  […] La langue est un peu crue et verte, mais elle est drue et vigoureuse et il y a peu de vers de comédie plus nerveux et pleins que ceux-ci : Quel plus rare parti pourriez-vous souhaiter ?

1919. (1903) La pensée et le mouvant

Les termes qui désignent le temps sont empruntés à la langue de l’espace. […] » Alors, c’est une question de lexique qui se pose ; on ne la résoudra qu’on cherchant comment les mots « plaisir » et « bonheur » ont été employés par les écrivains qui ont le mieux manié la langue. […] Telle est la logique immanente à nos langues, et formulée une fois pour toutes par Aristote : l’intelligence a pour essence de juger, et le jugement s’opère par l’attribution d’un prédicat à un sujet. […] Chaque mot de notre langue a donc beau être conventionnel, le langage n’est pas une convention, et il est aussi naturel à l’homme de parler que de marcher. […] Enfin, la forme du manuscrit est correcte, mais impersonnelle, au lieu que le livre nous parle déjà une langue originale, mélange d’images aux couleurs très vives et d’abstractions aux contours très nets, la langue d’un philosophe qui sut à la fois peindre et sculpter.

1920. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

Le guerrier sent aussitôt sur sa langue une grande amertume ; son haleine expirante fait monter, comme par le jeu d’une pompe, le sang qui vient bouillonner à ses lèvres. […] Comme un faon semble pendu aux fleurs de lianes roses, qu’il saisit de sa langue délicate dans l’escarpement de la montagne, ainsi je restais suspendu aux lèvres de ma bien-aimée. […] Rivarol, incrédule, mais clairvoyant, écrivait dans le Discours préliminaire de son Nouveau Dictionnaire de la langue française : « Il me faut, comme à l’univers, un Dieu qui me sauve du chaos et de l’anarchie de mes idées… Le vice radical de la philosophie, c’est de ne pas pouvoir parler au cœur. […] Ta Vénus rend-elle la langue embarrassée ? […] Les arts peuvent jusqu’à un certain point vivre dans la dépendance, parce qu’ils se servent d’une langue à part qui n’est pas entendue de la foule ; mais les lettres qui parlent une langue universelle, languissent et meurent dans les fers.

1921. (1907) Propos littéraires. Quatrième série

L’amour de la vérité (voyez l’association tout à fait bizarre, quand on examine de près, de ces deux mots, et voyez pourtant que cette association de mots a passé dans la langue courante), l’amour de la vérité n’a absolument rien qui tienne à la vie affective. […] Mais précisément c’est qu’ils confondent le beau avec l’agréable, que l’on sait assez, comme, du reste, toutes les langues le prouvent, que nous distinguons très soigneusement. […] Je sais bien que cette impression vient surtout de ce que nous les lisons en français, ou de ce que nous les lisons en italien avec une insuffisante connaissance de la langue italienne. […] Tout compte fait, et je soumets cette « intuition », pour parler la langue de Wagner, à M.  […] Celui-ci par exemple : « Ce qu’on appelle différenciation, ce qui fait croire à la réalité du progrès des choses par la substitution d’une hétérogénéité relative à une homogénéité relative, quand il n’y a, comme nous l’avons dit, que la substitution d’une diversité logique à une diversité illogique, c’est le plus souvent le passage d’une différence invisible à une différence apparente. » J’affirme qu’il est absolument inutile d’écrire ainsi et que tout cela pourrait être dit, — un peu plus longuement, il est vrai, — en termes de la langue commune ; et à être dit plus longuement, cela serait plus court, puisque cela n’aurait pas besoin d’être relu.

1922. (1890) La bataille littéraire. Troisième série (1883-1886) pp. 1-343

Que de pages seraient à citer comme des chefs-d’œuvre de langue et de sentiment ! […] Le collage et son frère le lâchage, sont deux mots qu’il est temps de fixer dans la langue française, sous peine de réduire les écrivains à de déplorables périphrases. […] Ce qui frappe surtout dans Sapho, c’est l’observation de tous les instants, c’est le récit de mille faits qui sont rapportés avec un charme particulier, dans une langue irréprochable. […] Il était si joli avec sa fourrure fauve, rayée de noir soyeux, ses mouvements souples et menus, et sa langue, pareille à un pétale de rose, qui pompait l’eau ! […] C’est de la bonne langue, toute simple, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus rare aujourd’hui.

1923. (1864) Histoire anecdotique de l’ancien théâtre en France. Tome I pp. 3-343

Il y avait une sorte d’élévation dans sa pensée ; et si la langue lui eût prêté plus de charmes peut-être eût-il été un grand poëte dramatique ? […] Si la langue fut un obstacle pour Jodelle, Garnier sut vaincre cet obstacle en forgeant au besoin des mots qu’il tirait du latin. […] Les langues grecque, latine, arabe, italienne et espagnole, et même la langue hébraïque, lui étaient familières. […] Elle parlait plusieurs langues. […] Son ignorance des langues anciennes l’empêcha seule d’être nommé par Louis XIV, sous-précepteur du Dauphin.

1924. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

Kœrting, professeur à l’université de Kiel, dirige la publication d’une série de monographies sur l’histoire de notre langue. […] Un de mes amis aperçut un jour, en doublant le cap Horn, un homme nu, qui était accroupi sur un gros tas de coquilles de moules, et qui faisait des singeries en tirant la langue. […] Ce bénédictin est Anglais, mais il traite la langue française avec plus d’égards que beaucoup de nos faiseurs d’éditions classiques. […] La capitale de l’empire grec d’Égypte était un bazar cosmopolite, le rendez-vous de toutes les langues et de toutes les races. […] C’est là qu’il apprit un jour la mort d’Heliodora ; je le sais, car son épitaphe est en langue dorienne.

1925. (1896) La vie et les livres. Troisième série pp. 1-336

Malherbe, avant de consoler du Périer, s’était exercé à reproduire en notre langue les gentillesses d’un Italien. […] Des clameurs sauvages se mêlent aux rythmes d’une langue illustre, amollie par la voix des femmes et façonnée par le verbe des orateurs. […] On fait des ouvertures aux parents de la personne, on leur apprend que je l’aime, que je parle deux langues, que j’aurai 300 000 francs du côté de mon oncle. […] Écrit en quatre ou cinq langues. […] Il passa une seconde armée à Gœttingue, où il étudia la langue et la littérature du moyen âge allemand, puis rentra à Paris pour devenir élève de notre École des chartes.

1926. (1890) Causeries littéraires (1872-1888)

Le bon Conrart se lamente en langue morte. […] Paul Bourget, fertile en idées, riche en aperçus nouveaux et d’un style très distingué, très délicat, auquel on pourrait seulement reprocher ça et là l’abus de la langue philosophique. […] Cette langue, claire, je veux le croire, pour les initiés, est terriblement obscure pour nous, qui ne sommes pas de l’église ou de la chapelle. […] Par quels procédés ont-ils créé cette langue à eux ? […] De celui-ci on leur a appris à parler avec respect ; cependant ils s’étonnent qu’il ne s’inquiète nullement d’eux ; ils ont perdu jusqu’au souvenir de ses traits ; de l’Angleterre même, leur patrie, de la langue anglaise, leur première langue, c’est à peine s’il reste quelques traces confuses en leur mémoire.

1927. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxiiie entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff »

. — Tu te hâtes trop, mon petit père, — lui dit-elle d’une langue déjà épaissie, — tu auras encore le temps. — Puis elle baisa dévotement le crucifix, fourra la main sous son oreiller, et rendit l’âme […] Tourgueneff aurait pu prendre la poésie pour langue, lui, admirateur, selon moi, très-exagéré de Pouskine, cet imitateur pompeux de lord Byron. […] Elle commence par les romans, elle finira par l’histoire ; elle apprend à écrire avant de penser, et parmi les écrivains actuels de toutes les langues il y en a bien peu (s’il y en a) qui égalent Tourgueneff en naturel, en simplicité et en originalité.

1928. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Cette substantielle pensée, formulée dans une langue limpide et lumineuse,, qui fut assez forte, autrefois, pour engendrer des héros admirables et pour déterminer la Révolution française, était encore suffisamment vivante pour régénérer la race actuelle et fortifier notre jeune sang. […] * *   * Noces des races, fêtes du travail, hymne de la matière glorieuse, l’épopée des Rougon-Macquart restera, dans la suite des temps, comme un des plus splendides monuments qui aient été bâtis dans la langue française. […] Vous dites excellemment que l’évolution romantique, l’évolution parnassienne (qui fut une épuration, une cristallisation de la forme, un dernier accord de la langue avant ce que Mallarmé appelle l’éparpillement des rythmes) ; vous dites que ces deux évolutions n’eurent qu’un retentissement dans les cénacles.

1929. (1887) George Sand

Soit ; mais, ne fût-ce que pour l’honneur de la langue française, on reviendra, nous le croyons, sinon à toute l’œuvre, du moins à une partie de cette œuvre épurée par le temps, triée avec soin par le goût public, supérieure aux vicissitudes et aux caprices de l’opinion. […] Et il énumère, dans une langue bien curieuse, tous ces bruits divers : la chanson des grandes girouettes, si régulièrement phrasée à son début qu’il a pu écrire six mesures parfaitement musicales, lesquelles reviennent invariablement à chaque souffle du vent d’est. […] Cependant, dès le début, sa langue était formée, déjà ample et souple, pleine de mouvement et de feu. […] Le roman anglais, qui s’est depuis longtemps acclimaté dans notre langue, et le roman russe, qui a fait récemment une entrée si superbe et triomphante dans notre littérature, sont beaucoup moins éloignés de cette conception qu’on ne le croirait. […] « Roman, veut dire, au moyen âge, composition en langue romane, c’est-à-dire en français, et spécialement, comme les compositions le plus en honneur sont les chansons de geste, il prend le sens de chanson de geste.

1930. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Quelques « billets du matin. » »

On commence par les mots, on finirait par la langue, et ce serait le volapük ! […] Le français est, depuis plusieurs siècles, la langue des relations internationales. […] Nous avons beau savoir qu’il n’a rien fait de surprenant ni d’étrange en se rappelant que notre langue est encore, dans la politique, la langue européenne : nous lui savons gré de s’en être souvenu, et de s’en être souvenu si à propos. Nous sommes touchés que les seuls mots français qu’on ait entendus ces jours-ci dans une cour où notre langue est, dit-on, soigneusement pourchassée, et jusque sur les menus des dîners de gala, aient été prononcés par l’empereur de toutes les Russies. […] Hier soir, 30 octobre, au théâtre du Gymnase, la langue française s’est enrichie d’une locution nouvelle qui est sûre de faire son chemin et qui, pour commencer, a eu grand succès dans les couloirs, pendant les entr’actes.

1931. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Une telle nature de grand écrivain posthume 95 ne laissait pas de transpirer de son vivant ; elle s’échappait par éclat ; il avait ses détentes, et l’on conçoit très bien que Louis XIV, à qui il se plaignait un jour des mauvais propos de ses, ennemis, lui ait répondu : « Mais aussi, monsieur, c’est que vous parlez et que vous blâmez, voilà ce qui fait qu’on parle contre vous. » Et un autre jour : « Mais il faut tenir votre langue. » Cependant, le secret auteur de Mémoires gagnait à ces contretemps de la fortune. […] D’autres relèveront dans cette première édition des noms historiques estropiés, des généalogies mal comprises et rendues inintelligibles, des pages du manuscrit sautées, des transpositions et des déplacements qui ôtent tout leur sens à d’autres passages où Saint-Simon s’en réfère à ce qu’il a déjà dit ; pour moi, je suis surtout choqué et inquiet des libertés qu’on a prises avec la langue et le style d’un maître.

1932. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIV : Récapitulation et conclusion »

C’est ainsi que le Veau, par exemple, a hérité d’un ancêtre éloigné, qui eut des dents bien développées, des dents qui ne percent jamais la gencive de sa mâchoire supérieure : or nous pouvons admettre que chez l’animal adulte les dents se sont résorbées pendant un certain nombre de générations successives, par suite du défaut d’usage ou parce que la langue, les lèvres ou le palais se sont adaptés par sélection naturelle à brouter plus commodément sans leur aide ; tandis que chez le jeune Veau les dents n’ont point été modifiées par le défaut d’usage ou la sélection et, en vertu du principe d’hérédité des variations à l’âge correspondant, elles se sont transmises de génération en génération à leur état fœtal depuis une époque éloignée jusqu’aujourd’hui. […] Il est très possible que des formes, aujourd’hui généralement considérées comme de simples variétés, soient plus tard jugées dignes d’un nom spécifique, comme il en serait par exemple de la Primevère et du Coucou ; et en ce cas le langage scientifique se mettrait d’accord avec la langue vulgaire.

1933. (1870) La science et la conscience « Chapitre I : La physiologie »

L’emploi de la langue physiologique dans les matières qui ne la comportent pas est comme une habitude à laquelle obéissent, parfois à leur insu, tous les physiologistes, même les plus réservés sur les questions psychologiques et métaphysiques, même les plus franchement spiritualistes. […] Tous ou presque tous les physiologistes attribuent à l’organe de l’être vivant ce que la langue psychologique rapporte à l’animal lui-même, à l’individu, au moi, à la personne, quel qu’en soit le principe, et tranchent ainsi déjà, sans le vouloir, la grave question qui divise les écoles spiritualiste et matérialiste.

1934. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — III » pp. 90-104

Il les harangue en son meilleur italien, et, dans cette occasion comme dans toute autre, il montre assez quelle importance il attache à savoir bien parler la langue des divers pays où il sert, et à joindre une certaine éloquence aux autres moyens solides : « Je crois que c’est une très belle partie à un capitaine que de bien dire. » Il remonte donc par ses paroles le moral ébranlé des Siennois, leur rend toute confiance, et l’on se promet, citoyens d’une part, colonels et capitaines de l’autre, de ne point séparer sa cause et de combattre jusqu’à la mort pour sauver la souveraineté, l’honneur et la liberté.

1935. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers (tome xviie ) » pp. 338-354

Pour moi, et, je pense, pour la plupart des lecteurs, la campagne de France, si louée, était auparavant, et malgré d’intéressants mais incomplets récits, un merveilleux poème écrit plus ou moins dans une langue étrangère que je ne comprenais qu’en gros, à peu près, que j’admirais un peu sur la foi des gens du métier : M. 

1936. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 64-81

On le voit, c'est la revanche complète de la prose contre l’éloge absolu qu’avait fait des vers Alfred de Musset (J’aime surtout les vers, cette langue immortelle…) ; et ce qui est piquant, la revanche de la prose est elle-même en très-beaux vers.

1937. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

. — Que s’ils y ajoutaient encore, avec l’instinct et l’intelligence des hautes origines historiques, du génie des races et des langues, le sentiment littéraire et poétique dans toute sa sève et sa première fleur, le goût et la connaissance directe des puissantes œuvres de l’imagination humaine primitive, la lecture d’Homère ou des grands poèmes indiens (je montre exprès toutes les cimes), que leur manquerait-il enfin ?

1938. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

Est-ce à dire que je vais prendre au pied de la lettre et louer pour leur générosité, comme je vois qu’on le fait tous les jours, les plumes de cygne ou les langues dorées qui me prodiguent et me versent ces merveilles morales et sonores ?

1939. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

Byron a été chassé d’Angleterre par les mauvaises langues, et il aurait fui enfin à l’extrémité du monde si une mort prématurée ne l’avait délivré des Philistins et de leur haine.

1940. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Ses travaux les plus importants et les plus suivis se sont depuis longtemps dirigés du côté de l’Orient, et du plus haut Orient ; élève de Burnouf, il a pris le sanscrit pour son domaine ; mais ce n’est point un philologue pur, et il a surtout marqué sa vocation scientifique originale en faisant avancer d’un pas la branche d’études qui tend à montrer que les anciens peuples venus d’Asie en Europe, et qu’on désigne sous le nom d’indo-germaniques, ont eu, à l’origine, un même système de mythes, comme ils ont en une même langue ; les liens primitifs de famille se dénotent chez eux par tous les signes.

1941. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis de Belloy »

Qu’on veuille donc penser à ce que c’était que Térence, ce premier Romain qui, à côté de Scipion et de Lélius, sut être l’urbanité même dans la langue latine.

1942. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte. »

» Plus de quarante ans après, lorsque Cervantes eut fait la première partie de Don Quichotte et qu’un intrus s’avisa de la continuer en voulant lui ravir sa gloire, ce continuateur pseudonyme eut la malheureuse pensée d’insulter non-seulement à la vieillesse du noble et original écrivain, mais encore à son infirmité, à sa blessure, et de dire, en parlant au singulier de sa main et avec intention, « qu’il avait plus de langue que de mains. » Sur quoi Cervantes, dans la préface de la seconde partie de Don Quichotte, répliqua : « Ce que je n’ai pu m’empêcher de ressentir, c’est qu’il m’appelle injurieusement vieux et manchot, comme s’il avait été en mon pouvoir de retenir le temps, de faire qu’il ne passât point pour moi, ou comme si ma main eût été brisée dans quelque taverne, et non dans la plus éclatante rencontre qu’aient vue les siècles passés et présents, et qu’espèrent voir les siècles à venir.

1943. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

. — Le mot est naturel et habituel dans l’ordre d’idées et dans la langue de Condorcet, de Volney ; il revient nécessairement sous leur plume, comme le mot de Dieu sous celle des dévots, et il tend à le remplacer : il marque leur religion aussi.

1944. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine »

Racine désirait, je le trouvai de plus si formé et plein de tant de raison, de bons sentiments et de bon goût, qu’après avoir pris langue du père et de la mère qui m’applaudirent, je fis la proposition à M. 

1945. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires du comte Beugnot »

Ce n’est pas à dire que le style de ces Mémoires soit très bon ni d’une très bonne langue : si l’ironie est fine, la forme est un peu lourde ou du moins un peu roide, presque administrative.

1946. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite et fin.) »

Il suffit de jeter les yeux sur les singuliers autographes qui nous viennent de Berny pour mesurer en un clin d’œil toute la distance : on était tombé de la langue si pure encore et si juste des dernières années de Louis XIV à celle que parlaient Mlle Leduc et ses pareilles.

1947. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

Il paraît que les poésies en langue celtique que M.

1948. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Gaston Paris et la poésie française au moyen âge »

Mais surmontons cette première impression, prêtons une oreille attentive et sympathique, et nous reconnaîtrons que cet enfant robuste et sain, plein de vigueur, de bonté et de courage, que cet enfant qui est déjà le grand peuple français parle aussi la grande langue française.

1949. (1894) Propos de littérature « Chapitre III » pp. 50-68

Certes nous leur devons de nous avoir appris (après Vigny, Gautier et les Orientales) comment les formes évoquées par les vers peuvent se préciser de fermes et forts contours, comment le vers lui-même, en cette langue fluide qui est sa matière propre, peut se modeler à l’égal de la glaise et bomber des reliefs aussi durs que le marbre.

1950. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre III. Grands poètes : Verlaine et Mallarmé, Heredia et Leconte de Lisle » pp. 27-48

., nos sens, puis imposent des phénomènes spirituels, cela de toute la force de la langue et de lâ lexicographie.

1951. (1890) L’avenir de la science « XII »

Non certes, car, sans elle, la connaissance approfondie de la langue grecque est impossible.

1952. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le cardinal de Retz. (Mémoires, édition Champollion.) » pp. 238-254

Parmi ceux dont le cardinal de Retz se souvint à son arrivée, il en est un que j’aime à distinguer, parce qu’il était bel esprit, poli, honnête homme et pauvre : c’est le célèbre avocat Patru, l’un des premiers académiciens français, si prisé de Boileau, un de ceux qui, les premiers, parlèrent le plus purement notre langue, un de ces Parisiens spirituels et malins que Retz n’avait pas eu de peine à rallier autour de lui pendant la Fronde, avec les Marigny, les Montreuil, les Bachaumont.

1953. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Saint Anselme, par M. de Rémusat. » pp. 362-377

Il y a un beau mot de l’abbé Sieyès qui dit que « nos langues sont plus savantes que nos idées », c’est-à-dire qu’elles font croire par quantité d’expressions à des idées qu’on n’a pas, et sur lesquelles s’épuisent ensuite de grands et profonds raisonneurs.

1954. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre troisième. L’idée-force du moi et son influence »

Il en est résulté une adaptation progressive aux conditions sociales d’intelligibilité et de compréhensibilité ; la logique s’est développée comme un langage pratique et actif avant de devenir une langue abstraite, théorique et contemplative.

1955. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence de la chaire. » pp. 205-232

D’où vient (& c’est le grand projet de M. de Montcrif pour rendre la prédication utile), ne suppléent-ils pas au talent qui leur manque, en se bornant à réciter les beaux sermons que nous avons dans notre langue ?

1956. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre I : Rapports de cette science avec l’histoire »

Tel a été le sort de l’histoire de la philosophie, si populaire il y a trente ans, un peu oubliée aujourd’hui, et qui a vu l’archéologie, l’histoire des langues ou la critique religieuse prendre sa place dans l’opinion.

1957. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 13, qu’il est des sujets propres specialement pour la poësie, et d’autres specialement propres pour la peinture. Moïens de les reconnoître » pp. 81-107

Il est quelquefois pour eux une belle personne qui plaît, mais qui parle une langue qu’ils n’entendent point : on s’ennuïe bientôt de la regarder, parce que la durée des plaisirs, où l’esprit ne prend point de part, est bien courte.

1958. (1899) Psychologie des titres (article de la Revue des Revues) pp. 595-606

Le dernier exemple de cette manière que l’on relève est celui de l’abbé Bourgade qui, en 1866, fit de ses inscriptions recueillies en Tunisie et en Syrie, la Toison d’or de la langue phénicienne.

1959. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Il est vrai de dire aussi que nos rois ont, dans tous les temps, marché en avant de la civilisation européenne, parce qu’ils furent, dans tous les temps, guidés par cet admirable sentiment de la magistrature éminente attribuée à la nation française sur tous les peuples de l’Europe, magistrature qu’il est impossible de nier, puisqu’elle est prouvée par les excès mêmes où elle est souvent tombée, puisqu’elle est revêtue d’un signe extérieur, l’universalité de la langue.

1960. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lawrence Sterne »

L’auteur dit, en effet, dans une sorte de préface, qu’il n’a mis le nom musulman de son livre « que parce qu’il n’aime pas les noms significatifs, lesquels limitent trop la langue et peuvent nous induire à superstition ».

1961. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Les deux cathédrales »

Il a senti ce qu’elle sent, et il croit déjà ce qu’elle voudrait croire, comme si une Pentecôte nouvelle était attendue et qu’on vit déjà la langue de feu, le céleste don, luire d’abord au-dessus de lui.‌

1962. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

vous tromperez tout au plus l’âme indifférente et glacée qui n’a pas le secret de cette langue ; mais l’âme sensible, vous la repoussez ; elle démêle votre jeu, vos systèmes, vous voit arranger vos ressorts ; votre ton n’est pas le sien, et vos âmes ne sont pas faites pour s’entendre.

1963. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff » pp. 237-315

Ces Essais en langue russe lui donnèrent la révélation de son talent. […] Il parlait plusieurs langues, il aimait l’étude et les livres ; en un mot, il possédait les qualités d’un homme distingué. […] De plus, elle parlait, selon lui, un trop correct langage, car il avait à cet égard le même sentiment que Pouschkine, qui a dit : « Je n’aime point les lèvres roses sans sourire, ni la langue russe sans quelque faute grammaticale. » En un mot, Sophie Cirilovna était de ces femmes qu’un amant nomme des femmes séduisantes ; un mari, des êtres agaçants, et un vieux garçon, des enfants espiègles. […] Donne-nous des cartes. » Onufre se mit à distribuer les cartes en clignotant et en passant à plusieurs reprises son doigt sur sa langue effilée.

1964. (1889) Impressions de théâtre. Troisième série

Je les traduits dans la langue d’aujourd’hui pour que vous les lisiez plus vite, en vous prévenant que ce qu’ils gagnent en clarté, ils le perdent en harmonie et en couleur. […] Je me reporte à un siècle en arrière, quand la langue n’avait pas encore été surmenée. […] La langue est excellente, le vers est dru, sonore, robuste. […] Richepin est d’abord un très grand rhétoricien, un surprenant écrivain en vers, tout nourri de la moelle des classiques, qui sait suivre et développer une idée, et qui sait écrire, quand il le veut, dans la langue de Villon, de Regnier et de Regnard, et dans d’autres langues encore. […] Tout cela est d’une langue singulièrement sobre et ferme.

1965. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Elle était dure, elle était violente, elle était âpre et irritée ; elle était nette, claire, directe, rectiligne, d’un mouvement emporté de son commencement à sa fin ; elle était d’une langue dépouillée, vigoureuse et tranchante. […] C’est de la langue de Ronsard. […] Quelle langue, même chez ceux qui écrivent le mieux la langue !) […] La langue (et en vers !) […] Le prince de Ligne écrit d’elle : « On lui entend réciter tout d’un coup vingt vers avec une volubilité de langue qui chez toute autre prêterait à rire.

1966. (1825) Racine et Shaskpeare, n° II pp. -103

Villemain ou M. de Jouy avaient reçu par la petite poste le manuscrit de la Vie de Rossini, ils l’auraient considéré comme un écrit en langue étrangère, et l’auraient traduit en beau style académique, dans le goût de la préface de la République de Cicéron, par M.  […] Je disais un jour à un de ces messieurs : vingt-huit millions d’hommes, savoir : dix-huit millions en Angleterre, et dix millions en Amérique, admirent Macbeth et l’applaudissent cent fois par an. — Les Anglais, me répondit-il, d’un grand sang-froid, ne peuvent avoir de véritable éloquence, ni de poésie vraiment admirable ; la nature de leur langue, non dérivée du latin, s’y oppose d’une manière invincible. […] 2º Plus les pensées et les incidents sont romantiques (calculés sur les besoins actuels), plus il faut respecter la langue qui est une chose de convention, dans les tours non moins que dans les mots ; et tâcher d’écrire comme Pascal, Voltaire et La Bruyère.

1967. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

« Si donc, à notre avis du moins, l’institution du consulat à vie avait été un acte sage et politique, le complément indispensable d’une dictature devenue nécessaire, le rétablissement de la monarchie sur la tête de Napoléon Bonaparte, était non pas une usurpation (mot emprunté à la langue de l’émigration), mais un acte de vanité de la part de celui qui s’y prêtait avec trop d’ardeur, et d’imprudente avidité de la part des nouveaux convertis, pressés de dévorer ce règne d’un moment. […] Dans cet effort d’esprit la raison faiblit comme la langue, et il tombe, pour cacher l’inconséquence, dans des subtilités de définitions qui rappellent les subtilités des sophistes grecs ou des sophistes de l’École dans le moyen âge.

1968. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

Nous ne les traduisons pas, par le scrupule, peut-être excessif, d’une langue plus réservée que l’italien ; mais le doux loisir des deux nouveaux époux, dans un lieu enchanté et solitaire, égale tout ce que les églogues de Virgile et les pastorales du Tasse ont de plus langoureux. […] VIII L’Arioste retrouve toute sa délicatesse de pinceau et tout le pathétique de son âme dans l’épisode d’Isabelle et de Zerbin, une des plus touchantes compositions de toutes les langues.

1969. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

Rousseau, presque Allemand par la Suisse, sa patrie, presque sectaire par le fanatisme de Genève, son berceau, presque factieux par l’esprit de démocratie humiliée respiré dans la boutique de l’artisan son père, presque Français par la vigueur de sa langue et par le classicisme de l’éloquence française, contigu à la Suisse, frontière d’idées comme de territoire ; républicain dans une petite république toujours en fermentation ; ennemi des grands et des riches, parce qu’il était petit et pauvre, J. […] Voilà un théiste qui, après avoir feint la profession de déisme contemplatif et de religion pratique, en dehors de toute révélation surnaturelle, s’en va abjurer, dans une église de la Suisse, son catholicisme, son théisme, sa philosophie, et communier sous les deux espèces, de la main d’un pasteur de village ; Enfin voilà un nouveau converti qui se brouille avec son convertisseur, et qui revient faire des constitutions de commande à Paris, pour la Pologne et pour la Corse, dont il ne connaît ni le ciel, ni le sol, ni la langue, ni les mœurs, ni les caractères, constitutions de rêves pour ces fantômes de peuples !

1970. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

Rousseau, un Montesquieu, un Chateaubriand ; là il n’a pu être qu’un naturaliste, un peintre et un descripteur d’oiseaux d’Amérique, un Buffon des États du Nord, mais un Buffon de génie passant sa vie dans les forêts vierges, au lieu de la passer au jardin du roi et autour d’une table à écrire dans sa seigneuriale tour du château de Montbard, un Buffon voyant par ses propres yeux ce qu’il décrit et décrivant d’après nature, un Buffon enfin comprenant l’intelligence et la langue des animaux au lieu de les nier stupidement comme Malebranche, entrant dans leurs amours, dans leurs passions, dans leurs mœurs, et écrivant avec l’enthousiasme de la solitude quelques pages de la grande épopée animale de la création. […] Ils parlaient anglais ; l’Indien ne comprenait pas un mot de cette langue.

1971. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

Sa fortune lui permettait de compléter, par des voyages sur le continent et par la pratique des langues étrangères, cette éducation soignée d’une fille unique. […] Ta langue, modulant des sons mélodieux, À perdu l’âpreté de tes rudes aïeux ; Douce comme un flatteur, fausse comme un esclave, Tes fers en ont usé l’accent nerveux et grave ; Et, semblable au serpent, dont les nœuds assouplis Du sol fangeux qu’il couvre imitent tous les plis, Façonnée à ramper par un long esclavage, Elle se prostitue au plus servile usage, Et, s’exhalant sans force en stériles accents, Ne fait qu’amollir l’âme et caresser les sens.

1972. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

Puis, quand ils voient que chaque philosophe a les siennes, que tout cela ne coïncide pas, ils entrent dans une grande affliction d’esprit, et dans de merveilleuses impatiences : « C’est la tour de Babel, disent-ils ; chacun y parle sa langue ; adressons-nous à des gens qui aient des propositions mieux dressées et un symbole fait une fois pour toutes. » Quand je veux initier de jeunes esprits à la philosophie, je commence par n’importe quel sujet, je parle dans un certain sens et sur un certain ton, je m’occupe peu qu’ils retiennent les données positives que je leur expose, je ne cherche même pas à les prouver ; mais j’insinue un esprit, une manière, un tour ; puis, quand je leur ai inoculé ce sens nouveau, je les laisse chercher à leur guise et se bâtir leur temple suivant leur propre style. […] Soit, par exemple, l’admirable introduction de G. de Humboldt à son essai sur le kawi, où se trouvent réunies les plus fines vues de l’Allemagne sur la science des langues, cet essai serait traduit en français qu’il n’aurait aucun sens et paraîtrait d’une insigne platitude : et c’est là ce qui en fait l’éloge ; cela prouve la délicatesse du trait.

1973. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre deuxième. L’idée de l’espace. Son origine et son action »

Nous serons comme en présence d’une langue impossible à traduire, faute de clef. […] Pour le goût, certains muscles difficiles à déterminer servent à donner une plus grande diffusion aux substances sapides de la langue et du palais.

1974. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

La langue, à son tour, est le germe de la société entre les esprits. […] Le jaguar, lui, s’endort dans l’air lourd et immobile, en un creux du bois sombre interdit au soleil, après avoir lustré sa patte d’un large coup de langue : Il cligne ses yeux d’or hébétés de sommeil ; Et dans l’illusion de ses forces inertes, Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs, Il rêve qu’au milieu des plantations vertes Il enfonce d’un bond ses ongles ruisselants Dans la chair des taureaux effarés et beuglants.

1975. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — II. (Fin.) » pp. 364-380

Sans doute le mot de marivaudage s’est fixé dans la langue à titre de défaut : qui dit marivaudage dit plus ou moins badinage à froid, espièglerie compassée et prolongée, pétillement redoublé et prétentieux, enfin une sorte de pédantisme sémillant et joli ; mais l’homme, considéré dans l’ensemble, vaut mieux que la définition à laquelle il a fourni occasion et sujet.

1976. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — I. » pp. 19-35

S’il a l’esprit sérieux, il le dérobe souvent, il a l’enfance de l’imagination ; la langue de son temps y prête, et il en use comme d’un privilège qui lui serait singulier.

1977. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Guillaume Favre de Genève ou l’étude pour l’étude » pp. 231-248

Lorsqu’il eut quitté la Suisse, il le tenait au courant de ses études qu’il allait diversifiant sans cesse ; il était d’un certain âge déjà lorsqu’il s’appliqua au sanscrit ; il s’occupait à la fois de la langue et des poésies provençales, mais le sanscrit au premier abord éclipsa tout : Voilà, écrivait-il de Paris à Favre en 1815 en lui parlant de livres indiens très rares qu’il avait fait acheter à Londres, voilà mes confessions en fait de folies érudites.

1978. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — I » pp. 107-125

Parlant quelque part du jeu de tarots, que la princesse Marie aimait beaucoup, dont elle avait renouvelé et diversifié les règles (et elle avait même chargé Marolles de les rédiger et de les faire imprimer), le bon abbé remarque que c’est presque le seul jeu auquel il se soit plu, bien qu’il ne fût heureux ni à celui-là ni à aucun autre : « Mais depuis que l’exaltation de cette princesse, ajoute-t-il, m’a privé du bonheur de la voir, ni je n’ai plus aimé ce jeu, ni je ne me suis plus soucié de voir le grand monde, et je me suis contenté de mes livres et de recevoir quelques visites de peu de mes amis. » À l’arrivée des ambassadeurs polonais envoyés pour demander la princesse en mariage, et dès leur première visite confidentielle à l’hôtel de Nevers, ce fut Marolles qui les alla recevoir au bas du degré et leur fit en latin un compliment, auquel ils répondirent dans la même langue.

1979. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

les expressions lui manquent, et la langue elle-même, qu’il possède si bien, lui fait défaut : Je n’écris jamais de sang-froid, s’écrie-t-il, dès qu’une fois mon cœur a prononcé le nom de ma grande amie ; mais aujourd’hui c’est une émotion, un transport, par l’espérance qu’elle me donne d’une faveur prochaine qui mettrait le comble à mon bonheur. « J’irai en pèlerinage à cette tour.

1980. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — II » pp. 231-245

Il essaye, pour y répondre, d’hypothèses diverses : l’arrangement fortuit, la nécessité du mouvement de la matière, l’infinité de combinaisons possibles dont une a réussi… Il hésitait, il commençait à se troubler : placé entre des explications incomplètes et des objections sans réplique, il allait, s’il n’y prenait garde, trop accorder à la raison, au raisonnement ; il sentait poindre l’orgueil en même temps que s’accroître les obscurités, quand tout à coup… mais laissons-le parler lui-même sa plus belle langue : Quand tout à coup un rayon de lumière vint frapper son esprit et lui dévoiler ces sublimes vérités qu’il n’appartient pas à l’homme de connaître par lui-même et que la raison humaine sert à confirmer sans servir à les découvrir.

1981. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Essais de politique et de littérature. Par M. Prevost-Paradol. »

Par cette dernière étude, il achevait de pénétrer dans la familiarité de la langue et de la littérature anglaises ; il se sentait chez lui en Angleterre, et pour quelqu’un qui aspirait à traiter de la politique française, c’était un grand avantage sans doute que cette facilité de comparaison perpétuelle ; mais c’est aussi un péril si l’on y porte une préférence passionnée.

1982. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

mais je te prédis qu’un jour on verra un enfant qui les traduira en sa langue et qui partagera avec toi la gloire d’avoir chanté les abeilles. » L’éloge, et ici la flatterie même (car on ne peut l’appeler autrement), arrive à l’improviste dans une parole de colère.

1983. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’Impératrice Catherine II. Écrits par elle-même. »

Elle ne ressemblait pas à Frédéric qui se passait de lecture allemande et ne lisait que des ouvrages français ; elle en lisait aussi en russe et trouvait à cette langue adoptive, qu’elle s’appliquait à parler et à prononcer en perfection, « bien de la richesse et des expressions fortes. » Les Annales de Tacite qu’elle lut en 1754 seulement, c’est-à-dire à l’âge de vingt-cinq ans, opérèrent, dans sa tête une singulière révolution, « à laquelle peut-être la disposition chagrine de mon esprit à cette époque, nous dit-elle, ne contribua pas peu : je commençais à voir plus de choses en noir, et à chercher des causes plus profondes et plus calquées sur les intérêts divers, dans les choses qui se présentaient à ma vue. » Elle était alors dans des épreuves et des crises de cœur et de politique d’où elle sortit haute et fière, avec l’âme d’un homme et le caractère d’un empereur déjà.

1984. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Halévy, secrétaire perpétuel. »

« Il possédait l’instinct des langues.

1985. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « M. de Pontmartin. Les Jeudis de Madame Charbonneau » pp. 35-55

Il y a dans ce livre des parties fort jolies et finement méchantes, aussi méchantes que si c’était d’une langue ou d’une griffe de femme.

1986. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. »

La suite du peuple de Dieu, comprenons bien toute la force de ces mots dans la langue de Bossuet ; suite, c’est-à-dire enchaînement étroit, dont pas un anneau n’est laissé flottant ni au hasard, un seul et même spectacle dès l’origine, sous des aspects et à des états différents : le Judaïsme n’est que le Christianisme antérieur et expectant.

1987. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre. »

Il embrassa toute la littérature allemande, passée et présente ; il y marcha à pas de géant, peignant tout à grands traits, d’une manière rapide, mais avec une touche si vigoureuse et des couleurs si vives, que je ne pouvais assez m’étonner ; il parla de ses ouvrages peu et avec modestie, beaucoup des chefs-d’œuvre en tout genre de la France, des grands hommes qui l’avaient honorée, du bonheur de sa langue, des beaux génies qui l’avaient maniée, des littérateurs présents, de leur caractère et de celui de leurs productions ; enfin, j’étais un Français qui était allé pour rendre hommage au plus beau génie de l’Allemagne, et je m’aperçus bientôt que M. 

1988. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

Il entretient les esprits supérieurs auxquels il s’adresse des sujets élevés qui leur sont familiers, et dans une langue doucement égayée d’esprit, heureusement tempérée de raison, d’élégance et d’agrément.

1989. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LE COMTE MOLÉ (Réception à l’Académie.) » pp. 190-210

« Mais il me semble, répliqua M. d’Andilly un peu fièrement, qu’il n’avait pour cela qu’à parler la langue de sa maison. » A la modestie de M.

1990. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

On remarquera que dans ses tours il conserve par moments des traces légères d’une langue antérieure à la sienne, et je trouve pour mon compte un charme infini à ces idiotismes trop peu nombreux qui lui ont valu d’être souligné quelquefois par les critiques du dernier siècle.

1991. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Quelques-uns de ses vers religieux (en les supposant écrits depuis cette date fatale) semblent même s’inspirer du sentiment énergique qu’il a de sa propre innocence : « Mais de ces langues diffamantes Dieu saura venger l’innocent, etc. », et plusieurs semblables endroits.

1992. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

Dumas, a pu exciter l’enthousiasme de Victorin Fabre, généreux émule, qui y voyait l’un des beaux morceaux de la langue.

1993. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

J’aurai rempli mon but, si j’ai donné quelque espoir de repos à l’âme agitée ; si, en ne méconnaissant aucune de ses peines, en avouant la terrible puissance des sentiments qui la gouvernent, en lui parlant sa langue, enfin, j’ai pu m’en faire écouter ; la passion repousse tous les conseils qui ne supposent pas la douloureuse connaissance d’elle-même, et vous dédaigne aisément comme appartenant à une autre nature : je le crois cependant, mon accent n’a pas dû lui paraître étranger ; c’est mon seul motif pour espérer qu’à travers tant de livres sur la morale, celui-ci peut encore être utile.

1994. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

Le même goût épuré appauvrit l’initiative en même temps que la langue, et l’on agit comme on écrit, selon des formes apprises, dans un cercle borné.

1995. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Notes sur l’Ancien-Régime »

12° Droit de boucherie ou de prendre la langue de toutes les bêtes tuées dans la ville, plus la tête et les pieds de tous les veaux.

1996. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

Le mot « ciel », dans la langue rabbinique de ce temps, est synonyme du nom de « Dieu », qu’on évitait de prononcer.

1997. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mme de Graffigny, ou Voltaire à Cirey. » pp. 208-225

L’esprit plié depuis longtemps aux belles-lettres s’y livre sans peine et sans effort, comme on parle facilement une langue qu’on a longtemps apprise, et comme la main du musicien se promène sans fatigue sur un clavecin.

1998. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

Elle s’y accoutuma au sein de la cour la plus polie, la plus savante, la plus galante d’alors, y brillant en sa fleur naissante comme l’une des plus rares merveilles et des plus admirées, sachant la musique et tous les arts ( divinae Palladis artes ), apprenant les langues de l’Antiquité, soutenant des thèses en latin, commandant des rhétoriques en français, jouissant de l’entretien de ses poètes et leur faisant rivalité avec sa propre poésie.

1999. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame, duchesse d’Orléans. (D’après les Mémoires de Cosnac.) » pp. 305-321

Jalousies, soupçons, rivalités, déguisements, des confidents qui se font valoir et qui sont des traîtres, c’est l’éternelle histoire de tous les groupes jeunes et amoureux, livrés à eux-mêmes dans les loisirs et sous les ombrages ; mais ici ce sont des jeunesses royales et qui brillent au matin du plus beau règne ; l’histoire les fixe, la littérature, à défaut de la poésie, en a consacré le souvenir ; une plume de femme les a racontées dans une langue polie, pleine de négligences décentes ; le regard de la postérité s’y reporte avec envie.

2000. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « J. K. Huysmans » pp. 186-212

Attentif aux conversations qu’il a entendu bruire autour de lui, renseigné par ses observations sur les termes techniques des métiers, il a retenu et su employer tout un vocabulaire populacier, populaire, bourgeois et artiste, amasser et déverser un trésor de mots d’argot et d’atelier qui lui permet de noter des sensations et des émotions dans la langue même des personnes qui la ressentent, lui fournit le mot exact ou pittoresque qui illumine toute une phrase du charme de la bonne trouvaille.

2001. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre I : De la méthode en général »

Par elle, l’esprit découvre une planète que les sens n’ont jamais vue ; par elle, il explique une langue qu’aucun homme ne comprenait plus ; il déchiffre des caractères mystérieux dont le secret était perdu ; il pénètre bien au-delà des époques historiques, et, en l’absence de tout témoignage direct, jusqu’aux origines de la civilisation indo-européenne ; il calcule enfin ce qui paraît échapper à toute prise, le hasard et l’infini.

2002. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 24, des actions allegoriques et des personnages allegoriques par rapport à la peinture » pp. 183-212

Au lieu de nous parler la langue des passions qui est commune à tous les hommes, ils ont parlé un langage qu’ils avoient inventé eux-mêmes, et dont les expressions proportionnées à la vivacité de leur imagination, ne sont point à la portée du reste des hommes.

2003. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Préface de la seconde édition »

Ce qu’il faudrait, c’est chercher, par la comparaison des thèmes mythiques, des légendes et des traditions populaires, des langues, de quelle façon les représentations sociales s’appellent et s’excluent, fusionnent les unes dans les autres ou se distinguent, etc.

2004. (1887) La banqueroute du naturalisme

Et ils ne seraient enfin tout à fait ressemblans, à leurs propres yeux comme aux nôtres, que s’ils exprimaient des sentimens ou des idées à eux dans la langue du commun et de l’honnête usage.

2005. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre V : M. Cousin historien et biographe »

Ces mots magiques, nul raisonnement, nulle science ne les découvre ; ils sont le langage de l’imagination qui parle à l’imagination ; ils expriment un état extraordinaire de l’âme qui les trouve, et mettent dans un état pareil l’âme qui les écoute ; ils sont la parole du génie ; ils ne sont donnés qu’à l’artiste, et changent la triste langue des analyses et des syllogismes en une sœur de la poésie, de la musique et de la peinture.

2006. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

(Je ne parle que de la littérature, car, dans la pratique, il y a toujours eu des accommodements de toutes sortes. ) D’honnêtes gens ont remarqué que si, au point de vue des épicuriens grossiers et d’esprit court, la femme n’est vraiment délicieuse (à la façon d’un excellent fruit) que dans l’extrême jeunesse, il est cependant vrai que toute sa grâce, toute sa séduction, tous les trésors secrets de sa sensibilité et toutes les ressources de sa coquetterie…, bref, toute la saveur de sa « féminilité » (pour parler la langue d’aujourd’hui) ne se développe pleinement que beaucoup plus tard… Il s’agit de saisir l’heure où cette féminilité est arrivée, par le temps, au dernier degré de perfection, sans que la femme ait cessé d’être désirable Jusqu’où donc lui permettrons-nous d’être amoureuse ? […] c’est parce que tu as appris qu’en m’aimant tu pouvais briser un cœur, faire couler des larmes… Ce qui te guidait, ce n’était pas le bonheur de Raphaël, mais le désespoir de Marie. » (Quelle langue, Seigneur !  […] Entre temps, M. de Goncourt a eu soin de nous répéter, afin que nul n’en ignorât, que les deux frères ont inventé quatre choses : dans le roman, le naturalisme ; au théâtre, « la langue littéraire parlée » ; plus, le Japon, — et l’art et le bibelot du dix-huitième siècle. […] Dans les morceaux écrits, vous constaterez, entre la langue du faubourg et la langue littéraire, un compromis analogue à celui que George Sand avait cherché et trouvé entre la langue littéraire et le parler des paysans du Berry. […] Ils sont bizarres et lointains ; on sent d’ailleurs que leurs propos sont traduits d’une langue étrangère (et la traduction est telle, il faut le dire, qu’elle accroît encore l’étrangeté de ce langage).

2007. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

Ce n’est pas seulement leur langue qu’il entend, c’est leur pensée ; il ne répète plus une leçon d’après eux, il soutient une conversation avec eux ; il est leur égal, et ne trouve qu’en eux des esprits aussi virils que le sien. […] Après l’affreuse nuit du moyen âge et les douloureuses légendes des revenants et des damnés, c’est un charme que de revoir l’olympe rayonnant de la Grèce ; ses dieux héroïques et beaux ravissent encore une fois le cœur des hommes ; ils soulèvent et instruisent ce jeune monde en lui parlant la langue de ses passions et de son génie, et ce siècle de fortes actions, de libre sensualité, d’invention hardie n’a qu’à suivre sa pente pour reconnaître en eux ses maîtres et les éternels promoteurs de la liberté et de la beauté. […] Elle est païenne de fonds et de naissance, par sa langue qui n’est qu’un latin à peine déformé, par ses traditions et ses souvenirs latins que nulle lacune n’est venue interrompre, par sa constitution où l’antique vie urbaine a d’abord primé et absorbé la vie féodale, par le génie de la race, où la vigueur et la joie ont toujours surabondé. […] Chacun se fait alors ses jurons, ses élégances, son langage. « On dirait, dit Heylin, qu’ils ont honte de leur langue maternelle, et ne la trouvent pas assez nuancée pour exprimer les caprices de leur esprit. » Nous ne nous figurons plus cette invention, cette hardiesse de la fantaisie, cette fécondité continue de la sensibilité frémissante ; il n’y a point de vraie prose alors ; la poésie qui déborde envahit tout. […] Dernier rayon d’un soleil qui se couche ; avec Sedley, Waller et les rimeurs de la Restauration, le vrai sentiment poétique disparaît ; ils font de la prose en vers ; leur cœur est au niveau de leur style, et l’on voit avec la langue correcte commencer un nouvel âge et un nouvel art.

2008. (1914) Une année de critique

C’est pourquoi j’ignorerai toujours la langue de Goethe et les éléments de la géométrie plane. […] André Hallays connaît bien et aime l’Île-de-France, « cette région où la France s’est découvert une destinée, une langue et un art ». […] Il parle notre langue, à cela près qu’il sait donner aux mots une musique inoubliable. […] Leur langue est admirable. […] Même dans les minces plaquettes où il s’adonnait aux amusements verbaux, un sûr instinct soutenait cet arrière-petit-neveu de Malherbe, un sens infaillible des possibilités et des impossibilités de la langue française.

2009. (1913) Poètes et critiques

C’est à croire que Richepin, qui excellait jadis aux vers latins, a gardé le goût de cet exercice, et qu’armé d’un dictionnaire de la langue verte en guise de Gradus, il a voulu perpétuer, sous une forme nouvelle, ce labeur assez ingénu. […] Cette langue nette, brève, réduite au minimum de l’expression, ravit d’aise le lecteur lettré ou quelques spectateurs de choix ; la foule n’a pas le temps de s’échauffer ; l’amplification lui manque ; il lui faut des redites ; elle ne fait qu’une bouchée de ce style très pur et très sûr, de qualité un peu trop rare. […] Il mania l’hexamètre dactylique avec assez de supériorité pour trouver du plaisir à s’y reprendre, au temps de l’âge mûr, et pour s’appliquer à traduire, dans la langue de Catulle et de Virgile, — avec une souplesse, avec une vigueur qui font penser à ces gageures de lettrés du xvie et du xviie  siècles, — un sonnet de José-Maria de Heredia. […] aux dépends de l’exactitude, faire passer dans ma langue un peu de leur rythme et de leur langueur. […] L’étonnement fut grand : « nulle cuistrerie, avec une langue suffisante et de l’effort assez pour ne se montrer qu’intéressamment… Comme c’est chaud, ces romances de la jeunesse, ces souvenirs de l’âge de femme, ces tremblements maternels… Quels paysages, quel amour de paysages !

2010. (1855) Louis David, son école et son temps. Souvenirs pp. -447

Il avait contracté, à l’atelier, une amitié tendre pour son jeune camarade Mendouze, qui, bien qu’assez habile élève en peinture, changea tout à coup le but de ses travaux et se mit à étudier la langue grecque avec ardeur. […] Roquefort, l’auteur du Dictionnaire de la langue romane et qui a laissé des recherches savantes sur la littérature et la musique au moyen âge, était alors élève de David et fréquentait son école. […] Pendant les années 1797 et 1798, outre leurs travaux à l’atelier, ils parvinrent à faire des progrès assez remarquables dans l’intelligence de la langue grecque. […] Étienne, naturellement fureteur et curieux, mais ignorant alors la langue de nos voisins, ouvrait souvent chez son ami un Shakspeare original. […] Enfin, Étienne, plus âgé d’un an que le fils de David, avait formé avec ce jeune homme une amitié qui avait pour lien la communauté de leur amour et de leur étude de la langue grecque.

2011. (1915) Les idées et les hommes. Deuxième série pp. -341

André Suarès, avec la meilleure énergie, proteste contre l’absurdité des langues artificielles. […] Les langues artificielles, voici le comique de l’aventure : elles serviraient à cette niaiserie que leurs tenants appellent littérature ; c’est avec la réalité que n’ont pas de rapport ces instruments pratiques. Langues artificielles, les volapucks qu’on a forgés ; langue artificielle, une langue de néologismes et le futile parler contemporain, celui des faux littérateurs. […] Et ce style, qui a le mérite de la sûreté, ce style très moderne, un peu trop moderne parfois, et très conforme cependant au meilleur usage de la langue, a des prestiges. […] Mais célébrons le défenseur énergique et avisé de la langue et du style français.

2012. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

Par contre, chaque fois que j’ai dû me servir de mots appartenant à la langue esthétique ou psychologique, je me suis efforcé d’atteindre à la clarté par l’exactitude et la propriété des termes. […] La traduction d’une œuvre ancienne ou étrangère, loin de lui nuire, la rajeunit souvent en atténuant ou en modifiant des idées ou des images qui seraient de nature à choquer notre goût actuel ; elle tient forcément compte, rien que par l’emploi de la langue dont elle se sert, de la différence des temps, des lieux et des transformations de l’esprit. […] Mêlé à la foule, il imite Malherbe qui allait étudier sa langue au port au foin, et, à la poursuite du réel, il saisit la vérité partout où il la rencontre, dans les assommoirs aussi bien que dans les alcôves des femmes perdues. […] C’est presque toujours à son école, au moins indirectement, que se sont formés les comédiens qui vont secouer le rire sur notre triste univers, et prouver par leur présence sur tous les points du globe l’universalité de la langue française et le charme encore triomphant de l’esprit français. […] Nous nous développons sous l’empire de causes et de lois qui nous échappent, et nous savons aujourd’hui, par exemple, que nos langues, quels que soient les efforts souvent contraires des savants, naissent, se développent, s’épanouissent et meurent suivant des lois inéluctables.

2013. (1891) Lettres de Marie Bashkirtseff

Je trouvai là une compagnie très sympathique : rien que des dames et des jeunes filles, toutes parlant à merveille le français, avec ce peu d’accent qui donne à notre langue, dans la bouche des Russes, on ne sait quelle gracieuse mollesse. […] Ils étaient tous là, dans leur langue originale, les français, les italiens, les anglais, les allemands, et les latins aussi, et les grecs eux-mêmes ; et ce n’étaient point des « livres de bibliothèque », comme disent les Philistins, des livres de parade, mais de vrais bouquins d’étude fatigués, usés, lus et relus. […] Je parle à peine allemand, je parle une nouvelle langue en ajoutant irt à tous les mots français. […] Pour le baptiser, on ne l’a pas déshabillé, on lui a mis simplement un peu d’eau sur la tête et du sel sur la langue et de l’huile au front, au cou, etc. […] Cher Paul, Mme Z… est un drôle de petit corps de femme ; son mari est sénateur, en outre un savant, un lettré, un homme supérieur, il a traduit en langues étrangères les chefs-d’œuvre russes et a porté le deuil de Gambetta.

2014. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Elles changent — Dans la langue ? […] — De la vraie, car c’est la langue moderne qui a tort d’appeler liberté, ou la suppression du pouvoir, ou un système de garanties contre le pouvoir. […] Les langues sont la pensée traditionnelle. […] Nous le tirons d’un autre, nous obéissons en le formant aux lois éternelles du langage ; il le faut pour que nous soyons compris ; c’est encore ceux dont nous voulons être compris qui nous l’imposent ; c’est encore l’humanité parlant en nous, et par nous, sa langue, l’humanité, laquelle parle elle-même la langue de Dieu. […] Personne n’a plus dîné en ville, personne n’a plus causé, ni mieux, avec toute l’Europe, en quatre ou cinq langues, qu’il savait très bien.

2015. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

En Italie, sous de petits princes despotes et la plupart étrangers, le danger continu et la défiance héréditaire, après avoir lié les langues, tournent les cœurs vers les jouissances intimes de l’amour ou vers les jouissances muettes des beaux-arts. […] À peine leur langue est-elle déliée, qu’ils parlent le langage poli, celui de leurs parents.

2016. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (2e partie) » pp. 5-80

XXIV C’est là tout le tableau ; c’est-à-dire ce sont là tous les personnages ; mais l’expression profonde, variée, naïve, et pourtant auguste, de toutes ces figures ; mais les attitudes, ces physionomies du corps ; mais les costumes, ces draperies de la statue animée de l’homme et de la femme ; mais le geste, cette langue du silence ; mais l’ombre, cette contre-épreuve de la réalité des personnages ; mais le jour, cet élément de la couleur ; mais l’horizon, cet infini de la toile ; mais l’air, cet élément impalpable qu’en ne doit voir qu’on ne le voyant pas, quelle plume pourrait donner l’impression d’un tel pinceau ? […] Mais y en a-t-il qui, avec tout leur art, quoique techniquement très supérieurs à Léopold Robert, fassent penser et parler la toile, la langue, l’âme, en termes aussi expressifs et aussi pathétiques que l’écrivain des Moissonneurs et des Pêcheurs ?

2017. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Diderot nous offrait quelques saillies : mais ici dans cette lettre, Rousseau a écrit d’un bout à l’autre l’un des plus émouvants poèmes d’amour que nous ayons en notre langue, le poème des souvenirs et des regrets. […] Les moyens s’approprient à la fin ; le style algébrique n’est plus de mise, il faut que par-dessus les valeurs intelligibles il recharge les valeurs sensibles : on s’achemine ainsi à une révolution dans la langue.

2018. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

Point d’études de langues, ni de géographie, ni d’histoire ; supprimez tous les devoirs des enfants, ôtez-leur surtout les instruments de leur plus grande misère, à savoir les livres107. […] On appelle cela, dans la langue de la « morale de campagne », le cynisme de l’amour de soi.

2019. (1909) De la poésie scientifique

Le poète devra donc admettre la langue poétique sous son double et pourtant unique aspect : phonétique et idéographique, le sens usuel et la valeur émotive du son des mots étant requis en même temps, en concordance avec les idées directrices du poème. […] Hors de France et de la langue Française, où si nombreusement lors de la parution de ma Méthode et continuement depuis, ma pensée a été exposée, reproduite et commentée et a mérité d’occuper l’attention et la méditation d’hommes à l’œuvre plus que notoire : pour saluer l’ardente réplique de leurs auteurs nous daterons deux décisions poétiques et nous en exalterons la signification.

2020. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

Il sera toujours plus agréable de se figurer le génie sous la forme d’une langue de feu, que sous l’image d’une névrose. […] * * * — Les langues gazouillent, en s’approchant du soleil.

2021. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

De là ce qu’ont de séduisant pour l’imagination les pays exotiques, les temps antiques et disparus que l’on voit si mal et si beaux ; dans l’ordre moral, les passions mystérieuses et fatales, les conception bizarres, tout ce qui dans l’âme est extrême, contradictoire, illimité ; de là, la beauté éternelle des lieux communs idéaux de la poésie, le couchant, le printemps, l’amour, dont la description peut être écourtée à plaisir, et dont le contenu émotionnel demeure dans l’ordre physique ; l’attrait des paysages nocturnes, brumeux, des physionomies à demi voilées, du clair-obscur, la grandeur des arts du nord ; de là, malgré tant de tentatives, l’impossibilité d’une vraie poésie scientifique, didactique, réaliste qui constituerait, si elle existait, la contradiction d’une description précise et d’une idéalisation indéfinie ; de là le fait que la musique est le plus poétique des arts parce qu’il en est le plus vague ; de là encore là demi-synonymie des termes « poétique » et « idéal » ; de là enfin l’impossibilité constante de traduire la poésie d’une langue dans une autre, soit parce qu’il faut commencer par la comprendre exactement avant de l’interpréter, soit parce qu’il est malaisé de trouver des mots qui soient vagues tout à fait de même que dans l’original, sans le déflorer ou le laisser inintelligible. […] Les romantiques par la description à laquelle ils s’astreignaient de tout ce monde extérieur qui provoque de si vifs mouvements d’âme, par le souci de trouve une forme d’expression qui rendît ces puissantes passions qu’ils voulaient montrer, furent des stylistes ; ils se tirent, avec mille peines, une langue nouvelle, compliquée et riche, que leurs successeurs travaillèrent encore.

2022. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

Jean fut un des grands errants de la langue de feu. […] La note étant la syllabe d’une sorte de vague langue universelle, la grande communication de l’Allemagne avec le genre humain se fait par l’harmonie, admirable commencement d’unité.

2023. (1894) Textes critiques

Deux sphères fermées incompréhensibles l’une à l’autre quant aux langues adéquates A leur essence ; phares qui contingemment tournent, plus souvent librent. […] Comme un grand nombre de hauts penseurs, de visionnaires géniaux, l’auteur anonyme de Lumière d’Egypte s’est créé une langue spéciale, où les mots n’ont plus la signification habituelle que nous leur attribuons ; et ce serait s’égarer que de prendre les mots Force, Polarité, Plan, dans le sens où les emploie la science : c’est tout autre chose ; on a laissé à dessein au lecteur le travail de chercher et le plaisir de trouver la clef de ce langage mystérieux.‌

2024. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Si les impressions de deux sens différents ne se ressemblent pas plus que les mots de deux langues, c’est en vain qu’on chercherait à déduire les données de l’un des données de l’autre ; elles n’ont pas d’élément commun. […] Ces sensations se dégageraient de ces modifications comme des espèces de phosphorescences, ou bien encore elles traduiraient dans la langue de l’âme les manifestations de la matière ; mais pas plus dans un cas que dans l’autre elles ne refléteraient l’image de leurs causes.

2025. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Si Bourdaloue était davantage le parfait sermonnaire selon le sévère Boileau, Massillon est bien l’orateur qui devait s’élever le lendemain de la création d’Esther et d’Athalie ; il a reçu à ses débuts comme le baptême de cette langue noble, tendre, majestueuse, abondante et adoucie.

2026. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — I. » pp. 80-97

De même que, dans ses vastes Chroniques, l’histoire de son temps se réfléchit comme dans un large miroir, de même la prose déjà et la langue s’y déroulent avec tout leur développement, leur facilité et leur éclat.

2027. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

Cependant, ce n’était pas là du temps tout à fait perdu ; car cet exercice m’apprenait à manier ma langue, et à me servir avec aisance d’un instrument dont j’ai eu plus tard grand besoin.

2028. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

Le sentiment buffonien y est célébré dans un style, dans une langue qui ressemble le moins à celle de Buffon : en voici une phrase prise au hasard : « Au point de vue où nous apparaît notre immortel Buffon, si admirable et si profond à la fois, nous voyons ce génie sublime lancer l’esprit humain dans des généralisations inspirées par des divinations synthétiques… » Le respect seul m’empêche de multiplier ces citations.

2029. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Il ne songe pas plus à dérober Montaigne qu’il ne songe à dépouiller tous ces auteurs latins dont les mots et les sentences, en leur langue, nourrissent, soutiennent à chaque instant son discours, et qu’il fait entrer continuellement dans sa trame sans les citer.

2030. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — II » pp. 39-56

Ce Bâillon fut ce qui mordit le plus au sang la langue du malheureux Santeul ; il demanda quartier par une élégie où il en appelle à la charité chrétienne.

2031. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — II » pp. 414-431

Il n’avait pas en sa veine de quoi justifier cet autre mot du même poète, et qui porte avec lui sa preuve lumineuse : « Elle vit plus longtemps que les actions, la parole que la langue a tirée d’un esprit profond avec la rencontre des grâces. » Les grâces, il les rencontrait souvent, il les accostait volontiers, mais c’étaient les grâces familières ; et cette autre condition que veut Pindare, la profondeur, était absente.

2032. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

Ils nous représentent bien ces familles de haute bourgeoisie et parlementaires, chez qui les emplois, les mœurs, la probité, l’esprit lui-même et la langue se transmettaient dans une même maison par un héritage ininterrompu.

2033. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

C’est le temps où Agrippa d’Aubigné savait quatre langues et traduisait le Criton de Platon « avant d’avoir vu tomber ses dents de lait. » Aujourd’hui les mœurs scolaires sont plus douces, et vos maîtres s’en applaudissent les premiers ; la place du grand fouetteur Tempête est supprimée dans l’Université, et le délicat Érasme vanterait les bons lits et la bonne chère de la jeunesse moderne.

2034. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poëme des champs par M. Calemard de Lafayette. »

Si j’en compose encore aujourd’hui, ce n’est plus Que le cri du moment, qu’une note où je laisse S’échapper quelquefois ma joie et ma tristesse, Un morceau qui me plaît d’un auteur que je lis, Et que d’une autre langue en passant je traduis, Doux reflet dont mon âme un instant se colore… Nous devions cependant à cette nature élevée et modeste, qui n’a fait que passer dans le champ de la muse et qui s’en retire, un souvenir et un hommage.

2035. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

D’autres lettres de lui, publiées il y a quelques années17, et se rapportant la plupart au dernier temps de son séjour en province, à Soissons, l’avaient montré littérateur instruit, sachant même un peu d’hébreu, lisant les langues modernes, l’italien, l’anglais, citant à propos ses auteurs, et justifiant le mot de Voltaire qui le définit quelque part « un homme laborieux, exact et sans génie. » Ce n’est pas de celui-là qu’on dira que l’esprit lui sortait par tous les pores.

2036. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

Non ; si inférieurs aux Retz et aux La Rochefoucauld pour l’ampleur et la qualité de la langue et pour le talent de graver ou de peindre, ils connaissaient la nature humaine et sociale aussi bien qu’eux, et infiniment mieux que la plupart des contemporains de Bossuet, ces moralistes ordinaires du xviiie  siècle, ce Duclos au coup d’œil droit, au parler brusque, qui disait en 1750 : « Je ne sais si j’ai trop bonne opinion de mon siècle, mais il me semble qu’il y a une certaine fermentation de raison universelle qui tend à se développer, qu’on laissera peut-être se dissiper, et dont on pourrait assurer, diriger et hâter les progrès par une éducation bien entendue » ; le même qui portait sur les Français, en particulier ce jugement, vérifié tant de fois : « C’est le seul peuple dont les mœurs peuvent se dépraver sans que le fond du cœur se corrompe, ni que le courage s’altère… » Ils savaient mieux encore que la société des salons, ils connaissaient la matière humaine en gens avisés et déniaisés, et ce Grimm, le moins germain des Allemands, si net, si pratique, si bon esprit, si peu dupe, soit dans le jugement des écrits, soit dans le commerce des hommes ; — et ce Galiani, Napolitain de Paris, si vif, si pénétrant, si pétulant d’audace, et qui parfois saisissait au vol les grandes et lointaines vérités ; — et cette Du Deffand, l’aveugle clairvoyante, cette femme du meilleur esprit et du plus triste cœur, si desséchée, si ennuyée et qui était allée au fond de tout ; — et ce Chamfort qui poussait à la roue après 89 et qui ne s’arrêta que devant 93, esprit amer, organisation aigrie, ulcérée, mais qui a des pensées prises dans le vif et des maximes à l’eau-forte ; — et ce Sénac de Meilhan, aujourd’hui remis en pleine lumière40, simple observateur d’abord des mœurs de son temps, trempant dans les vices et les corruptions mêmes qu’il décrit, mais bientôt averti par les résultats, raffermi par le malheur et par l’exil, s’élevant ou plutôt creusant sous toutes ; les surfaces, et fixant son expérience concentrée, à fines doses, dans des pages ou des formules d’une vérité poignante ou piquante.

2037. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

Je ne fus pas moins émerveillé, lorsqu’un jour j’entendis mes vers dans une langue étrangère. » La traduction de Gérard ne dut pourtant lui donner cette agréable sensation qu’à demi, car elle était en grande partie en prose.

2038. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite.) »

Il me semble, dès à présent, que quelque chose ici fera défaut, ne fut-ce que la langue ; il serait fort singulier, on en conviendra, qu’un chef-d’œuvre commençât de la sorte.

2039. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Heureusement j’avais fait charger sur des mulets des pâtés, langues, et bonne provision de viandes froides, qui vinrent fort à propos et qui furent bientôt expédiées ; mais ce qui parut le plus extraordinaire et en même temps le plus agréable, c’est que nous fûmes servis à table par une demi-douzaine de très-belles filles, qui s’acquittèrent de très-bonne grâce de leur emploi.

2040. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

C’est un défaut presque inévitable dans les langues et dans les écoles avancées.

2041. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis du Belloy (suite et fin.) »

Ce donc au commencement d’une phrase, et qui semble marquer le pas comme si l’on frappait en même temps du talon, est un reste du style moyen âge, gothique ou chevaleresque, mais n’est pas du tout de la langue de Térence ni du langage d’une mourante.

2042. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

c’est bientôt dit, mais n’en fait pas qui veut, et peu de gens ont eu cet honneur de donner un vocable nouveau à la langue.

2043. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

Après avoir parlé de la race née aux confins de la terre des monstres, dans la limoneuse vallée du Nil, et de l’autre race dite sémitique, habitante du désert et de l’antique Arabie, après les avoir définies l’une et l’autre, et les avoir montrées fléchissant de respect et de superstitieuse terreur, ou comme anéanties sous la main souveraine en face d’un ciel d’airain, il ajoute, par un vivant contraste, en leur opposant la race aryenne venue du haut berceau de l’Asie, et de laquelle est sortie à certain jour et s’est détachée la branche hellénique, le rameau d’or : « Une autre race encore s’éveille sur les hauteurs, aux premières lueurs du matin ; les yeux au ciel, elle suit pas à pas la marche de l’aurore, elle s’enivre de ce mobile et merveilleux spectacle du jour naissant ; elle mêle une note humaine à cette immense symphonie, un chant d’admiration, de reconnaissance et d’amour ; c’est la race pure des Aryas ; leur première langue est la poésie ; leurs premiers Dieux, les aspects changeants du jour, les formes multiples de la sainte lumière.

2044. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée, par M. le chevalier Alfred d’Arneth et à ce propos de la guerre de 1778 »

Jules Pierrot, avait pour maître d’allemand un vieux gentilhomme d’outre-Rhin, un ancien élève et ami de Joseph II, un partisan de ses idées ; ils en causaient ensemble, plus encore que de grammaire et de langue allemande.

2045. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DIX ANS APRÈS EN LITTÉRATURE. » pp. 472-494

Ou bien, méritera-t-on de compter parmi les siècles qui ont eu quelque consistance, qui ne se sont pas hâtés eux-mêmes de se dissoudre, qui ont lutté avec honneur sur les pentes dernières de la littérature, de la langue et du goût ?

2046. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

Les modèles pleins de grâce que nous avons dans la langue, pourront servir de guide aux François, mais comme ils en servent aux nations étrangères.

2047. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

« Plus j’ai pénétré dans le sein de la nature, dit Buffon, plus j’ai admiré et profondément respecté son auteur97. » C’est bien froid, et ces mots de la civilité humaine, admiré, respecté profondément, appartiennent à peine à la langue du sujet.

2048. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre V. La littérature et le milieu terrestre et cosmique » pp. 139-154

Comment, par exemple, n’être pas frappé de ce fait, qu’au temps de saint Louis et dans la première moitié du règne de Louis XIV, c’est-à-dire aux époques où la langue et la littérature françaises ont eu leur plus grande force d’expansion sur le monde, l’activité intellectuelle de la France s’est concentrée autour de sa capitale, comme si le génie national poussait ses fleurs les plus originales, les plus vivaces et partant les plus capables de séduire les étrangers, en ce coin de terre qui est, en quelque sorte, la France de la France ?

2049. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre III : Les Émotions »

On traduirait cette doctrine dans la langue de Kant en disant : les vérités scientifiques et morales sont subjectives ; toute leur réalité est en nous et non hors de nous.

2050. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

Elles sont là trois dames, à langue vipérine, qui s’emparent de la réputation de la comtesse, la criblent à jour et la déchiquètent.

2051. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Des lectures publiques du soir, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pourraient être. » pp. 275-293

On expliquerait rapidement ainsi comment la langue s’est formée, comment elle compte déjà plusieurs siècles de chefs-d’œuvre.

2052. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

Elle les mit sans tarder aux langues vivantes, aux connaissances usuelles, aux choses du corps et de l’esprit, menant le tout concurremment.

2053. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

Lubis dans le sens royaliste, ont raconté avant M. de Lamartine ces grands événements ; et il est curieux de voir comme celui-ci, qui le reconnaît du reste hautement, profite de tous deux, les unit, les entrelace, les combine en les traduisant dans sa langue et en les recouvrant de sa couleur.

2054. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre V. Le génie et la folie »

Tantôt c’est une mémoire extraordinaire qui se développe tout à coup ; le fait le plus fréquent, c’est de parler et d’écrire dans les langues que l’on est censé tout à fait ignorer : fait qui s’est souvent reproduit dans les grandes épidémies convulsives.

2055. (1912) L’art de lire « Chapitre VIII. Les ennemis de la lecture »

Le mot de l’ancienne langue française, « donner », dans le sens de marcher impétueusement en avant, est admirable.

2056. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Michelet »

Le livre de Michelet nous a rappelé, en effet, certains traités que les casuistes catholiques avaient la prudence d’écrire en latin, — une langue fermée, — pour n’être entendus que du prêtre comme eux, du prêtre qui doit tout connaître de la misère de l’homme et de son péché.

2057. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Il serait étrange, en effet, que les hommes les plus forts dans le maniement d’une langue, et qui ont acquis l’habitude de la faire obéir et de la ployer à tous les rhythmes de la plus capricieuse tyrannie, ne pussent pas s’en servir dans des conditions bien moins difficiles.

2058. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

Voir la langue et surtout la religion primitives.

2059. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

Par exemple, quand Tom Jones a le bras cassé, le philosophe Square vient le consoler par une application de maximes stoïciennes ; mais en lui prouvant que la douleur est chose indifférente, il se mord la langue et lâche un ou deux jurons, sur quoi le théologien Thwackum, son commensal et son rival, lui assure que sa mésaventure est un avertissement de la Providence, et tous deux manquent de se gourmer. […] Lord Chesterfield, qui a perdu sa faveur, essaye en vain de la regagner en proposant de lui décerner, sur tous les mots de la langue, l’autorité d’un pape. […] Lorsqu’enfin son appétit était gorgé et qu’il consentait à parler, il disputait, vociférait, faisait de la conversation un pugilat, arrachait n’importe comment la victoire, imposait son opinion doctoralement, impétueusement, et brutalisait les gens qu’il réfutait. « Monsieur, je m’aperçois que vous êtes un misérable whig1092. —  Ma chère dame, ne parlez plus de ceci, la sottise ne peut être défendue que par la sottise. —  Monsieur, j’ai voulu être incivil avec vous, pensant que vous l’étiez avec moi. » Cependant, tout en prononçant, il faisait des bruits étranges, « tantôt tournant la bouche comme s’il ruminait, tantôt sifflant à mi-voix, tantôt claquant de la langue comme quelqu’un qui glousse. » À la fin de sa période, il soufflait à la façon d’une baleine, son ventre ballottait, et il lançait une douzaine de tasses de thé dans son estomac.

2060. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1865 » pp. 239-332

L’autre jour à sa table, dit l’écrivain, étaient réunis vingt individus, parlant quarante langues différentes, vingt individus avec lesquels on aurait pu faire, sans interprètes, le tour du monde. […] Il y a, chez presque tout le monde un respect, admiratif pour le beau qui ne leur parle pas leur langue. […] Nous pensions à cette liberté, à ce charme de brusquerie, à cette parole passionnée, à cette langue colorée d’artiste, à ce sabrement des choses bêtes, à ce mélange de virilité et de petites attentions féminines, à cet ensemble de qualités, de défauts même, marqués au coin de notre temps, et tout nouveaux dans une Altesse, — et qui font de cette femme le type d’une princesse du xixe  siècle : une sorte de Marguerite de Navarre dans la peau d’une Napoléon.

2061. (1903) Propos de théâtre. Première série

Il faut que ma langue exhale la colère de mon cœur, ou, à force de se contraindre, mon cœur se brisera. […] — Et sottement J’irais trembler devant une langue de femme ! […] Elle est de son temps encore par la langue qu’elle parle, qui est affectée comme celle de ses compagnes, mais, de plus, archaïque. […] De son temps c’est de la langue surtout et de l’épuration de la langue que l’on s’occupait. […] Ce n’est pas l’individu qui parle et chante en cette langue ; c’est la religion, la morale éternelle, la pitié, l’humanité, la patrie.

2062. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

D’autre part, il faut avouer que si l’architecture est à son point de perfection, on n’en saurait dire autant de notre langue. […] Pour deux ou trois poètes qui ont en effet tenté sur le vocabulaire de notre langue des expériences un peu hardies et qui voulurent traiter le substantif comme une « fin en soi », nous eûmes à supporter un poids fort lourd de récriminations, d’injures faciles ou de sales plaisanteries. […] Quoique moins marqué qu’en latin, l’accent existe dans notre langue. […] Notre langue n’est point façonnée comme celle de l’antique ; on ne peut appliquer à nos vers une mensuration sèche et abstraite. […] La poésie de 1830 a pu faire illusion par la variété de couleurs et de sons dont s’enrichit alors la Langue.

2063. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

L’avenir n’était plus déterminable en fonction du présent ; tout au plus pouvait-on dire qu’une fois réalisé il était retrouvable dans ses antécédents, comme les sons d’une nouvelle langue sont exprimables avec les lettres d’un ancien alphabet : on dilate alors la valeur des lettres, on leur attribue rétroactivement des sonorités qu’aucune combinaison des anciens sons n’aurait pu faire prévoir. […] Des phrases différentes diront des choses différentes si elles appartiennent à une même langue, c’est-à-dire si elles ont une certaine parenté de son entre elles. Au contraire, si elles appartiennent à deux langues différentes, elles pourront, précisément à cause de leur diversité radicale de son, exprimer la même chose. […] Et ces deux traductions, comme aussi une infinité d’autres dans des langues que nous ne connaissons pas, sont appelées et même exigées par l’original, de même que l’essence du cercle se traduit automatiquement, pour ainsi dire, et par une figure et par une équation.

2064. (1925) Proses datées

Pour elle, il avait quitté sa Grèce natale et abandonné sa langue maternelle. […] De là, la force communicative de ses inventions les plus excentriques, inventions soutenues d’ailleurs et portées à toute leur puissance par une verve irrésistible et par toutes les ressources d’une langue franche et sobre. […] Du vide, un mécanisme toujours le même, toujours les mêmes image, toujours les mêmes mots, ce gaillard-là « épuise la langue » par l’usage immodéré qu’il en fait. […] Certes, tous ceux d’entre nous qui ne peuvent apprécier Mireille ou Calendal en la langue originale se rendent compte cependant de la charmante et grave beauté de ces poèmes, mais ils en éprouvent une pression qu’ils sentent, à regret, incomplète, et à ce regret se mêle aussi un peu d’envie. […] Certes, ils se servent bien de la langue en usage autour d’eux, mais ils la modifient à leur convenance.

2065. (1898) Impressions de théâtre. Dixième série

Pour être sûr de cela, il y faudrait bien des conditions, dont je ne retiendrai qu’une : il faudrait savoir profondément l’allemand et la musique, et le russe, et le norvégien, — et toutes les autres langues européennes, même le français, afin de pouvoir comparer. […] Nous pouvons comprendre et juger les idées, les caractères et les combinaisons dramatiques d’Ibsen ; mais sa forme est presque toute hors de notre compétence, et cela quand même nous « saurions » sa langue, car nous ne la saurions jamais que très imparfaitement. […] Tous parlent la même langue, tendue, un peu difficile, assez volontiers solennelle. […] Papotages, « snoberies » et « rosseries. » (Quelle belle langue nous parlons !) […] Mais, tout de même, c’est bien gênant, pour juger une comédienne, de ne pas comprendre la langue qu’elle parle.

2066. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

Et puis comme elle est écrite, de quelle langue pleine, sobre, drue et à vives arêtes, et que M.  […] Voilà un homme qui écrivait ses premiers romans dans la langue que vous savez. […] lui disaient que ce n’était une langue à part que parce qu’elle était supérieure. […] Non, ils n’ont pas la même Ame, ils n’ont pas la même conscience, ils n’ont pas le même sang et ils ne parlent pas la même langue. […] Tant y a que Juliette, qui se doutait assez des choses, a maintenant des précisions, comme on dit en langue d’aujourd’hui.

2067. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — III. (Fin.) » pp. 175-194

ces deux mots sont redevenus synonymes dans la langue de Sully ; le mot de patrie revient chez lui dans son vrai sens.

2068. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

Mais voici le second degré et la seconde saison qui fait la maturité durable, et sans quoi l’homme aimable, même défini de la façon qu’on vient de voir, court risque de mourir en nous ou de se figer avec la jeunesse : Si, ajouté encore à cela, on a des connaissances agréables de la littérature et de la langue de plusieurs pays, si l’on a de la philosophie, si l’on a beaucoup vu, bien comparé, parfaitement jugé, eu des aventures, joué un rôle dans le monde ; si l’on a aimé, ou si on l’a été ; on est encore plus aimable.

2069. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

En voulant parler de passion ou de sentiment, il est évident qu’il parle une langue qui n’est pas la sienne.

2070. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Nous sommes devenus difficiles : le style purement judicieux nous rebute et nous ennuie, et Bourdaloue, en parlant, ne raffinait pas : il a l’expression claire, ferme, puisée dans la pleine acception de la langue ; il ne l’a jamais neuve (une ou deux fois il demande pardon d’employer les mots outrer, humaniser).

2071. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Quoique ces auteurs, même les plus classiques comme Andrieux, n’eussent point à beaucoup près, autant que Fontanes, le culte et la vive intelligence de la langue du xviie  siècle, ils ne laissaient pas dans leurs principaux membres (et le nom de Daru nous les résume et nous les garantit) de composer une bonne école, somme toute, une bonne race en littérature.

2072. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

Il y a telle lettre où il commence par dire qu’il n’a rien à dire, et, sous prétexte de cela, il se met à trouver de très jolies choses et très sensées ; il y donne toute la théorie de la correspondance familière entre amis : écrire toujours, un mot chassant l’autre, et laisser courir la plume sans y tant songer, comme va la langue quand on cause, comme va le pas quand on chemine.

2073. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — I » pp. 93-111

Rien ne supplée à cela, et la langue en était d’autant plus riche… On entendait en même temps de bonnes et d’aimables qualités avec quelques défauts : enfin cela présentait une image… De dire C’est une jeune personne, ne dit point cela.

2074. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

« Je vous supplie très-humblement, écrivait-il dans sa langue légèrement arriérée et à la gauloise, d’avoir un peu de créance à un homme qui est tout, à vous, et de ne point vous fâcher si, dans celles que j’ai l’honneur de vous écrire, je préfère la vérité, quoique mal polie, à une lâche complaisance qui ne serait bonne qu’à vous tromper, si vous en étiez capable, et à me déshonorer.

2075. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Œuvres complètes de Molière »

Moland fait précéder chaque comédie d’une Notice préliminaire, et il accompagne le texte de remarques de langue, de grammaire ou de goût, et de notes explicatives.

2076. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. (suite) »

Les sots s’aiment mieux que les autres… J’ai souvent pensé que des gens qui ne parleraient pas la même langue, un Russe et une Espagnole, je suppose, pourraient passer ensemble de bien douces soirées, sous les bosquets d’un jardin, — pourvu qu’il fasse un peu de lune.

2077. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni (suite et fin.) »

Lui, si habitué à lire dans la physionomie humaine, il se prit à pénétrer avec avidité dans ces physionomies d’une autre race, si énergiques et si fines, comme dans une langue nouvelle qu’il aurait apprise.

2078. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Le maréchal de Villars. »

La littérature classique bien conçue n’a pas seulement à s’occuper des chefs-d’œuvre de la langue, tragédies, épopées, odes, harangues et discours, elle ne néglige pas les victoires : je veux dire les victoires illustres, celles qui font époque dans la vie des nations.

2079. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite et fin.) »

La langue ne gardera ou n’adoptera pas tous les termes d’art qu’il y a versés journellement ; mais il suffit pour son honneur qu’il en ait introduit un bon nombre et qu’il ait rendu impossibles après lui les descriptions vagues et ternes dont on se contentait auparavant.

2080. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

Mlle Pompéa a par hasard appris du tapissier chargé de meubler l’hôtel du comte, et qui se trouve être le sien, qu’il est de retour en France, qu’il habite à Maran aux environs de Fontainebleau, et elle s’est mise en route sur l’heure pour le revoir : elle arrive, accompagnée d’une vieille cantatrice, la signora Barini, ancien contralto qui a eu ses beaux jours, une manière de duègne très-peu duègne, une utilité, un embarras, le meilleur cœur et la meilleure langue de femme, baragouinant un français italianisé et jargonnant à tue-tête.

2081. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite et fin.) »

Mais il a sur Malherbe, comme sur Boileau, l’avantage d’écrire dans une langue très-riche en monosyllabes ; à la manière dont il use de ces mots si courts, il se montre encore très anglais de style, et je crois pouvoir dire, sans m’aventurer, que son vocabulaire, quoique plus composé de mots abstraits que chez d’autres poètes, est du meilleur et du plus pur fonds indigène.

2082. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Leckzinska (suite et fin.) »

Elle lisait au reste en toute langue, et, avec cette facilité des Polonais, elle n’en savait pas moins de cinq.

2083. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Toutes ces lettres sont à lire et à noter, même pour l’histoire de la langue.

2084. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par le chevalier d’Arneth »

Marie-Antoinette parlait la langue française avec beaucoup d’agrément, mais l’écrivait moins bien.

2085. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

Une thèse de lui sur les Variations de la langue française au xviie  siècle vint attester à la fois la précision des connaissances et l’orthodoxie des principes.

2086. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

Entre toutes les scènes si finement assorties et enchaînées, la principale, la plus saillante, celle du milieu, quand, un soir d’été, à Faverange, pendant une conversation de commerce des grains, Édouard aperçoit Mme de Nevers au balcon, le profil détaché sur le bleu du ciel, et dans la vapeur d’un jasmin avec laquelle elle se confond, cette scène de fleurs données, reprises, de pleurs étouffés et de chaste aveu, réalise un rêve adolescent qui se reproduit à chaque génération successive ; il n’y manque rien ; c’est bien dans ce cadre choisi que tout jeune homme invente et désire le premier aveu : sentiment, dessin, langue, il y a là une page adoptée d’avance par des milliers d’imaginations et de cœurs, une page qui, venue au temps de la Princesse de Clèves, en une littérature moins encombrée, aurait certitude d’être immortelle.

2087. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « CHRISTEL » pp. 515-533

La famille d’Hervé avait des alliances en Allemagne : lui-même en savait parfaitement la langue.

2088. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. L’Histoire »

Buchon, Coll. des Chroniques nationales écrites en langue vulgaire, du xie au xvie  s., 1824-29, 47 vol. in-8.

2089. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Te dirai-je ma pensée entière, séducteur que quelques-uns proclament divin parce que tu es féminin, toi dont la langue lumineuse fait rêver de loin aux splendeurs de Platon et qui, regardé de près, n’es plus que madame Renan ?

2090. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Pensées, essais, maximes, et correspondance de M. Joubert. (2 vol.) » pp. 159-178

Chateaubriand prend pour matière le ciel, la terre et les enfers : Saint-Pierre semble choisir ce qu’il y a de plus pur et de plus riche dans la langue : Chateaubriand prend partout, même dans les littératures vicieuses, mais il opère une vraie transmutation, et son style ressemble à ce fameux métal qui, dans l’incendie de Corinthe, s’était formé du mélange de tous les autres métaux.

2091. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

Sorti d’une île à demi sauvage, placé dans une école militaire et appliqué aux études mathématiques, ne retrouvant point dans le français la langue de sa nourrice, le jeune Bonaparte, en s’emparant de cet idiome pour rendre ses idées et ses sentiments, dut lui faire subir d’abord quelques violences et lui imprimer quelques faux plis.

2092. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

» Il parle donc à ces juges de vingt ans leur langue, il sait leurs images, il leur rend visible par moments leur poésie.

2093. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Discours sur l’histoire de la révolution d’Angleterre, par M. Guizot (1850) » pp. 311-331

Guizot est un des hommes de ce temps-ci qui, de bonne heure et en toute rencontre, ont le plus travaillé, le plus écrit, et sur toutes sortes de sujets, un de ceux dont l’instruction est le plus diverse et le plus vaste, qui savent le plus de langues anciennes et modernes, le plus de belles-lettres, et pourtant ce n’est pas un littérateur proprement dit, dans le sens exact où se définit pour moi ce mot.

2094. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le Livre des rois, par le poète persan Firdousi, publié et traduit par M. Jules Mohl. (3 vol. in-folio.) » pp. 332-350

Déjà un jeune homme doué d’une langue facile, d’une grande éloquence et d’un esprit brillant, avait annoncé le dessein de mettre en vers ces histoires, et le cœur de tous s’en était réjoui.

2095. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Dès son enfance, le jeune d’Aguesseau apprit toute chose, il continua d’apprendre toute sa vie, et l’on serait assez embarrassé de dire quelle science, quelle langue et quelle littérature il ne savait pas.

2096. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. » pp. 103-122

Il remonta, dès le 31 décembre 1794, dans sa chaire du Lycée, y déclarant une guerre courageuse aux tyrans, à peine abattus et encore menaçants, de la raison, de la morale, des lettres et des arts ; il y invectiva la langue révolutionnaire dans un langage qui s’en ressentait quelque peu à son tour.

2097. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « De la poésie et des poètes en 1852. » pp. 380-400

Dans l’intervalle, les méchantes langues du bourg cherchent à le brouiller avec la veuve.

2098. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — I. » pp. 401-420

Il se trouva que la princesse des Ursins réunissait seule les conditions difficiles de cet emploi : elle avait habité l’Espagne, en savait la langue et les usages, y jouissait de la grandesse par son mari.

2099. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le duc d’Antin ou le parfait courtisan. » pp. 479-498

La langue écrite de d’Antin est négligée, mais elle est pleine de ces locutions qui nous plaisent comme sentant la façon de dire de son siècle.

2100. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — III. (Suite et fin.) » pp. 242-260

Dans l’habitude, il est de la langue de Mercier autant et plus que de celle de Voltaire.

2101. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

En avril 1763, pour la séance publique d’après Pâques, il eut à lire une dissertation sur la langue copte : Nous le savions d’avance, dit Gibbon, et chacun blâmait ce choix d’un sujet épineux qui ne paraissait fait que pour les assemblées particulières.

2102. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — II. (Fin.) » pp. 246-265

Dans un admirable portrait de Wallenstein, ce glorieux généralissime de l’Empire assassiné par ordre de son maître, Richelieu, qui se reporte à sa propre situation de ministre calomnié et sans cesse menacé de ruine, trouve de magnifiques paroles pour caractériser l’infidélité et l’ingratitude des hommes ; et, après avoir raconté la vie de ce grand guerrier, après nous l’avoir montré avec vérité dans sa personne et dans son habitude ordinaire, il ajoute en une langue que Bossuet ne surpassera point : Tel le blâma après sa mort, qui l’eût loué s’il eût vécu : on accuse facilement ceux qui ne sont pas en état de se défendre.

2103. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre deuxième. Rapports du plaisir et de la douleur à la représentation et à l’appétition »

Par exemple, les organes de la reproduction et la langue sont le siège de plaisirs vifs, qui sont nécessaires pour la préservation de la race et pour celle de l’individu.

2104. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1880 » pp. 100-128

Dans cette grande ville inconnue, sans relations aucunes, sans une lettre de recommandation, sans même la connaissance de la langue qu’on y parle, il se sent tout à coup pris d’un immense découragement, au milieu duquel il s’endort.

2105. (1767) Salon de 1767 « Adressé à mon ami Mr Grimm » pp. 52-65

Quelques conséquences que vous tirerez bien de là sans que je m’en mêle, c’est l’impossibilité confirmée par l’expérience de tous les tems et de tous les peuples, que les beaux-arts aient chez un même peuple, plusieurs beaux siècles ; c’est que ces principes s’étendent également à l’éloquence, à la poésie et peut-être aux langues.

2106. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre V. Séductions pour la compréhension de la psychologie indigène. — Conclusion »

De même ils sont sévères pour l’intempérance de langue (V.

2107. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

Elle sait l’allemand, cette langue qui dispense de toutes les autres et dans laquelle on peut apprendre jusqu’au sanscrit, comme la lourde Mme Dacier savait le grec.

2108. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Xavier Aubryet » pp. 117-145

Quelques-uns d’entre eux, les plus vivants et les mieux doués, se sont rappelés le mot anti-critique de Diderot, cet homme d’à-côté, cette cruche de verve bouillonnante renversée : « qu’une œuvre à juger n’était jamais qu’un prétexte pour produire », et ils ont fait ce que j’appelle de la poésie en critique, créant, à leur manière, au lieu de juger, et jouant sur la sensation et sur la langue, comme Paganini sur son violon, des motifs parfois merveilleux.

2109. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Macaulay »

, mais il n’en est pas moins très au courant de la langue et de la littérature anglaises.

2110. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre II : M. Royer-Collard »

Il avait relu la veille la Bible du temps, Condillac, et s’il suivait Condillac, il allait enseigner que nos facultés sont des sensations transformées, que l’étendue est peut-être une illusion, que nos idées générales sont de simples signes, qu’une science achevée n’est qu’une langue bien faite.

2111. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIII. »

Correct et gracieux génie, il a pour nous, dans une langue du Nord, tantôt l’élégante douceur de l’hellénisme, tantôt la simplicité naïve de quelques anciens chants de l’Église.

2112. (1900) La vie et les livres. Cinquième série pp. 1-352

Renan étudiait l’Histoire générale et comparée des langues sémitiques. […] Il aimait, disait-il, à lire le Dictionnaire de la langue française. […] — Savez-vous la langue allemande ? […] Cent cinquante personnes, autour d’elle, « soupent en sept ou huit langues, entre des murs stuqués à l’imitation du marbre et sous des plafonds éclairés par une végétation compliquée de fleurs électriques ». […] Je ne sais s’il comprend cette langue « euskarienne », qui a dérouté tant de philologues.

2113. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Point de littérature personnelle : « L’auteur doit se taire lorsque son œuvre se met à parler. » Le réel, rien que le réel, mais non point tout le réel : « De même que le bon écrivain en prose ne se sert que des mots qui appartiennent à la langue de la conversation, mais se garde bien d’utiliser tous les mots de cette langue — et c’est ainsi que se forme précisément le style choisi — de même le bon poète de l’avenir ne représentera que les choses réelles, négligeant complètement les objets vagues et démonétisés, faits de superstitions et de demi-vérités, en quoi les poètes anciens montraient leur force. […] Ce n’est pas en vain que les hommes ont dans beaucoup de langues attribué la même dénomination à « l’amour » et à l’amour de Dieu. […] L’État ment par toutes ses langues du bien et du mal, et, dans tout ce qu’il dit, il ment, et tout ce qu’il a, il l’a volé. […] Si la langue ne s’effrayait d’une pareille association de mots, on pourrait affirmer qu’il possédait un bon cœur dur et, dans sa façon de jouir, une imagination baroque et corrompue qui était presque la grâce de l’innocence. […] Nietzsche a dit que tout se vaut et il a abouti à une autorité, à une hiérarchie des hommes. — D’abord, il a très rarement dit que tout se valût et son effort a été surtout à établir une nouvelle classification des valeurs ; ensuite, dans l’esprit de Nietzsche tout se vaut en soi et il n’y a ni bien ni mal ; mais tout est loin de se valoir relativement au but et comme moyens pour le but, qui est humanité plus grande, plus noble et plus belle, ou pour parler en langue de Renan, réalisation du divin.

2114. (1921) Esquisses critiques. Première série

Jamais il ne prêta l’oreille à la grande et classique exhortation de Boileau : Surtout qu’en vos écrits la langue vénérée Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée. […] Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme, Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain. […] Rassemble-t-il les remarques qu’il fait sur la langue française ? […] Outre qu’ils sont rédigés dans une langue d’une extrême pauvreté, ils n’ont pas de sens réel. […] Monsieur Lavedan, par exemple, ne peut pas dire : la pomme crie sous le couteau, mais il dit : la pomme pousse de petits cris sous la langue d’argent du couteau .

2115. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Oui, si tous les journaux étaient en vers, si les lois, si les livres, si les sermons, les affiches, les enseignes étaient en vers ; si au Corps législatif, au Sénat, à la Cour, on parlait en vers ; si l’économie politique, la comptabilité, l’administration se faisaient en vers, si tout le monde était obligé de se dire bonjour en vers, si les maris trompés étaient contraints de faire à leurs femmes des scènes en vers ; s’il n’y avait enfin pas un trait de la plume ou un mouvement de la langue qui ne dût amener un vers, peut-être serions-nous enfin disposés à nous guérir du mal de la versification et une sage horreur nous préserverait-elle à jamais de cette passion. […] Le vers est la langue des dieux et rien n’est fantasque comme les dieux, ils changent tous les dix-huit cents ans. […] « Je cherche avant tout à rendre sincèrement mes impressions dans la langue la plus simple. » Ceci est net. […] Ils manquent de nerfs, de vitalité ; ils ont la langue riche et l’organisation pauvre. […] * *   * Cet éternel besoin de parler et de chanter qui tourmente les poètes vient, me dit un médecin, de ce qu’ils ont la langue plus grande que nature ; elle remue par son propre poids.

2116. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Ces courtes nouvelles, si vraisemblables, si présentes, sont écrites d’un style tout classique et qui contraste avec la langue de l’école des prosateurs sortis de Chateaubriand et de Hugo. […] Il doit rester écrit, — non pas, comme le croyaient les Goncourt, d’une écriture artiste, — mais simplement d’une langue vigoureuse et ferme. […] Le lecteur ne peut pas ne pas y croire, et à cause de cela, c’est un grand roman, tandis que Salammbô n’est que le plus magnifique exemple de rhétorique de la langue. […] Ce sont de très grands écrivains de romans, mais leur langue ne pouvait pas, ne devait pas être celle de très corrects et très parfaits prosateurs. […] Je ne crois pas que personne ait jamais écrit dans notre langue, depuis le dix-septième siècle, des pages de psychologie spirituelle supérieures à celles où M. 

2117. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

» Il résout cette difficulté en appliquant à une langue dont il a besoin, la grecque, un procédé de classification mnémotechnique analogue à celui du maître d’histoire. […] Émile Bergerat nous rapporte qu’il disait : « Tout homme que l’idée la plus subtile, le sentiment le plus complexe, le phénomène le plus extraordinaire, un miracle même, laissent sans mots pour les exprimer dans sa langue, peut être un grand philosophe, un savant sublime, un grand moraliste, ce n’est un écrivain ni en prose, ni en vers. » Et M.  […] Celui-ci baise la pantoufle Que Cendrillon perdit un soir, Et celui-là conserve un souffle Dans la barbe d’un masque noir… Il y a certes, dans la langue française, nombre de vers d’une inspiration plus chaude, d’une beauté plus haute, d’un lyrisme autrement fort. […] L’auteur de l’Ethique apprenait alors la langue latine à Amsterdam, d’un fameux médecin, François Van den Ende, qui lui avait offert ses soins et sa maison. « Van den Ende avait une fille unique qui possédait elle-même la langue latine si parfaitement, aussi bien que la musique, qu’elle était capable d’instruire les écoliers de son père en son absence, et de leur donner leçon. […] Ce très bon Français — qui écrivit si alertement notre langue et qui se battit avec un héroïsme si gai pour son pays d’adoption — avait en lui de l’Italien, et de l’Italien de montagne et de frontière.

2118. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Parlant de lui-même naturellement et volontiers, écrivant avant le règne des bienséances, il est naïf, original, un peu cynique ; il fatigue par son érudition, qui est de trop dans son livre comme dans sa tête ; il doit beaucoup au tour piquant de son esprit, mais beaucoup à sa langue ; il instruit, mais plus souvent il fournit, pour les vérités usuelles, des expressions inimitables. […] D’une pensée trop empressée et trop immédiate pour s’arrêter volontiers à l’étude des langues, il a fait exception pour celle de Dante et de Machiavel, avec lesquels il commerce directement, et il les met tout d’abord au rang de ses dieux.

2119. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

Thiers restera dans toutes les langues le plus beau volume de l’histoire moderne d’Espagne et de France. […] Et en ce moment il s’avançait au Nord, laissant derrière lui la France épuisée et dégoûtée d’une gloire sanglante, les âmes pieuses blessées de sa tyrannie religieuse, les âmes indépendantes, de sa tyrannie politique ; l’Europe enfin, révoltée du joug étranger qu’il faisait peser sur elle, et menait avec lui une armée où fermentait sourdement la plupart de ces sentiments, où s’entendaient toutes les langues, et qui n’avait pour lien que son génie et sa prospérité jusque-là invariable !

2120. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

La diplomatie de chaque nation est l’expression de son caractère : Égoïste, superbe, religieuse, humanitaire et philosophique, en Angleterre ; Héroïque, généreuse et versatile, en France ; Immorale, cauteleuse et improbe, en Prusse ; Modeste, honnête et intéressée, en Hollande ; Ombrageuse et amphibie, en Belgique ; Persévérante, longanime, sans scrupule, mais non sans honnêteté, en Autriche ; Vaine, chevaleresque et loyale, en Espagne ; Grecque, habile, à petits manèges et à grandes vues, en Russie ; Consommée, universelle, sachant toutes les langues des cabinets, à Rome, Rome, la grande école de la diplomatie moderne, puissance qui ne vit que de politique sur la terre, d’empire sur les consciences, de ménagements avec les cours, de résistance derrière ce qui résiste, d’abandon de ce qui tombe, d’acquiescement aux faits accomplis ; Dépendante et adulatrice, dans les petites cours d’Allemagne et d’Italie, clientes de la force et de la victoire ; Hardie, inquiète, insatiable, en Piémont ; prompte à tout recevoir, quelle que soit la main qui donne ; prête à tout prendre, quelle que soit la main qui laisse envahir ; Alpestre, rude, pastorale, probe, mais intéressée, en Suisse ; non dépourvue d’une sorte d’habileté villageoise, se faisant appuyer par tout le monde, mais n’appuyant elle-même personne contre la fortune ; Enfin, simple et franche en Turquie, jouissance arriérée dans la voie de la corruption des cabinets européens ; puissance de bonne foi, dont la candeur est à la fois la vertu et la faiblesse ; puissance naïve qui n’a jamais eu de diplomatie que la ligne droite ; puissance qui a toujours cru à toutes les paroles, et qui n’a jamais manqué à la sienne ; puissance, enfin, destinée à être la grande et éternelle dupe de tous les cabinets, dupeurs de son ignorance et de sa loyauté. […] C’est abuser des plus grands mots de la langue politique ; c’est décréditer l’estime et la reconnaissance des peuples que de décerner de pareils titres à des instruments, qui n’ont eu d’autre diplomatie que l’excès de confiance dans la bonne fortune, et l’excès d’abnégation dans la mauvaise.

2121. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Mais coupable de la langue, non du cœur ! […] Enfin on les dépose l’un et l’autre dans une tente séparée. » De telles citations suffisent pour donner à ceux à qui la langue du Tasse est étrangère de quoi pressentir le génie de son poème.

2122. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

« Voilà que la parole humaine cesse d’être l’expression des idées seulement, elle devient la parole par excellence, la parole sacrée entre toutes les paroles, comme si elle était née avec le premier mot qu’ait dit la langue de l’homme ; et comme si, après elle, il n’y avait plus un mot digne d’être prononcé, elle devient la promesse de l’homme à l’homme, bénie par tous les peuples ; elle devient le serment même, parce que vous y ajoutez le mot : Honneur. […] Il a dû se repentir bien des fois avant sa mort de ce mauvais coup de langue à deux tranchants envers un homme d’honneur d’autant plus facile à asphyxier de faux éloges qu’il était incapable de comprendre deux sens dans une parole.

2123. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

Bossuet est plus orateur, mais c’est l’orateur de la force, avec un Dieu au-dessus et un despote armé derrière lui ; de plus, ni l’un ni l’autre n’étaient poètes, ils parlaient la langue de la prose à laquelle manque l’âme de la parole, la mélodie. […] La race germanique est évidemment, pour la langue comme pour les idées, un dérivé du Gange ; la misérable littérature imitée de Voltaire sur les bords de la Sprée, avec sa mesquine colonie de demi-philosophes sous l’empire du Denys moderne, Frédéric II, aurait médité et rimaillé pendant tout un siècle sans inventer mieux que Nanine ou la Pucelle d’Orléans, au lieu de ces trois personnages nouveaux à force d’être antiques, Faust, Méphistophélès et Marguerite.

2124. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Vous ne ferez jamais que le peuple n’aille au gros pain qui satisfait son appétit, mais si vous pouvez provoquer un mouvement en faveur du roman populaire, parlant au peuple une langue généreuse et forte, vous aurez rendu un grand service à tout le monde, aux écrivains et à leurs lecteurs. […] Et l’exposé des deux doctrines du socialisme est une des admirables choses de la langue française.

2125. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

En conséquence, c’est une erreur grossière que d’écrire dans notre langue Knot, par un K, et dorénavant on prendra soin de l’écrire par un C. […] Les partisans de ce Gulliver, qui ne laissent pas que d’être en fort grand nombre chez nous, soutiennent que son livre durera autant que notre langue, parce qu’il ne tire pas son mérite de certaines modes ou manières de penser et de dire, mais d’une suite d’observations sur les imperfections, les folies et les vices de l’homme. » C’est à l’homme, en effet, qu’en veut Gulliver et à tout ce que l’on voit de plus excellent en lui-même et dans le monde où il domine.

2126. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre II : La psychologie »

C’est ainsi que nous apprenons à entendre une langue étrangère ; c’est ainsi que l’enfant, hésitant d’abord sur les lettres et les syllabes, en vient à interpréter couramment les mots et les phrases. […] Et c’est ainsi que l’Européen en vient à avoir quelques pouces cubes de cervelle de plus que le Papou ; que des sauvages incapables de dépasser, en comptant ; le nombre de leurs doigts et qui parlent une langue informe, ont pour successeurs, dans la suite des siècles, des Newton et des Shakespeare147.

2127. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre deuxième. Les opérations intellectuelles. — Leur rapport à l’appétition et à la motion. »

Une petite douleur peut en soulager une grande : on se mord la langue pour sentir moins une violente souffrance, on dépense du mouvement en gestes convulsifs pour retirer de ¡’innervation à un point du corps violemment atteint et pour diminuer ainsi la douleur. […] C’est à l’imagination qu’est due la production des langues, qui étaient à l’origine beaucoup plus figurées et expressives, et qui sont devenues ensuite plus symboliques, puis plus purement significatives.

2128. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

Elle répéta avec platitude que les anglais trouvaient que Féval ne savait ni la grammaire de leur langue ni la grammaire de leurs mœurs, comme si, dans leur insularisme susceptible et hautain, et tout aussi intellectuel que politique, les anglais, enragés de nationalité blessée et justes comme des bœufs qui saignent, ne dénigreront pas toujours l’étranger qui voudra les peindre ou s’avisera de les juger. […] Ici, ce n’est ni le romancier ni le poète qui ont éveillé l’historien qui dormait dans le romancier : c’est le chrétien : « J’appartiens à saint Michel, — dit-il dans cette langue que sa foi lui a donnée. — Je suis né le jour de sa fête.

2129. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

Celui qui connaît à fond la langue et la littérature d’un peuple ne peut pas être tout à fait son ennemi. on devrait y penser quand on demande à l’éducation de préparer une entente entre nations. La maîtrise d’une langue étrangère, en rendant possible une imprégnation de l’esprit par la littérature et la civilisation correspondantes, peut faire tomber d’un seul coup la prévention voulue par la nature contre l’étranger en général.

2130. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

Il dit quelques mots sur l’utilité des relations entre les gens du monde et les gens de lettres, sur les avantages qu’en avait recueillis la langue dès le temps des La Rochefoucauld, des Saint-Évremond, des Bussy ; lui, c’était bien sur le pied de leur successeur, d’homme de qualité aimant et cultivant les lettres, qu’il entrait dans la compagnie.

2131. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De l’état de la France sous Louis XV (1757-1758). » pp. 23-43

Ici, dans ses confidences politiques de chaque jour, il s’abandonne, il parle non seulement sa langue, mais celle qui se parle autour de lui, et, au milieu de ces révélations trop vraies et dont les tristes parties appelleraient le burin d’un Tacite, il a de ces mots qui trahissent le jargon des boudoirs de Bellevue ou de Babiole6, écaniller, trigauder, brûler la chandelle par les deux bouts, etc.

2132. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

Elle applique assez pour distraire ; elle n’exige pas assez d’application pour être impossible à un homme dont le malheur n’a pas affaibli la raison. 2º Depuis longtemps je désirais m’exercer à la langue latine que j’ai mal apprise dans ma jeunesse : ce que je comprends de Tacite, de Tite-Live, de Salluste, d’Horace et de Virgile m’a donné une grande curiosité pour le reste. 3º Hobbes m’a paru avoir un mérite éminent comme écrivain politique, etc.

2133. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — I. » pp. 413-433

En un mot, dans bien des cas il rend les armes, au nom de notre langue, avant d’avoir fait les derniers efforts d’adresse et de souplesse de nerf dans la lutte.

2134. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — II » pp. 316-336

[NdA] Anne de Rohan, non mariée, fille de piété et d’esprit, savante comme on l’était au xvie  siècle, faisant des vers français à la vieille mode et sachant l’hébreu tellement qu’au prêche, pendant qu’on chantait les psaumes en français dans la version de Marot, elle se les récitait mentalement dans la langue de David.

2135. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — I » pp. 432-453

Dès les premières pages des prétendus mémoires, comment se peut-il admettre qu’une personne du xviiie  siècle, une douairière à peu près contemporaine de Mme du Deffand7, et qui doit avoir sinon les mêmes principes, du moins le même ton et la même langue, vienne nous parler théologie en des termes qui ne datent que de 1814 au plus tôt, et nous dise en raillant et réprouvant les protestants d’Allemagne : C’est un mélange inouï de vide et d’informe, de mielleux, d’arrogant et de niais, de mystique, d’érotique et de germanique enfin, qu’on trouve inconcevable et qui ne saurait s’exprimer.

2136. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « I » pp. 1-20

Mais, avec le temps, et en perdant soi-même de sa roideur et de sa morgue juvénile, on a rendu plus de justice à ce naturel parfait, à cette langue qui ne demande qu’à être l’organe rapide du plus agréable bon sens, qui l’est si souvent chez lui, et à laquelle, après tous les essors aventureux et les fatigues de style, on est heureux de se retremper et de se rafraîchir comme à la source maternelle.

2137. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. Ouvrage posthume » pp. 86-106

Le style de Frédéric, avec ses incorrections et ses longueurs, est plus simple, plus digne et d’une langue plus saine..

2138. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Journal et mémoires du marquis d’Argenson, publiés d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Louvre pour la Société de l’histoire de France, par M. Rathery » pp. 238-259

Quand on prend le marquis d’Argenson à sa source, tel qu’on nous le donne maintenant, il faut en faire son deuil tout d’abord ; il faut en passer par sa langue.

2139. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers. »

Parmi tant de personnes qui avec de l’esprit, de la naissance ou de la fortune, exerçaient dans cette société si richement partagée des influences diverses, et qui avaient toutes leur physionomie à part et leur rôle, la comtesse de Boufflers, pour peu qu’on la considère et qu’on l’observe d’un peu près, s’offre à nous avec une sorte de penchant prononcé et de vocation spéciale qui la désigne : elle est la plus ouverte et la plus accueillante pour le mérite des étrangers célèbres, elle est leur introductrice empressée et intelligente ; elle les pilote, elle les patronne, elle se lie étroitement avec eux, elle parle leur langue et va ensuite les visiter dans leur patrie : c’est la plus hospitalière et la plus voyageuse de nos femmes d’esprit, d’alors.

2140. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier (suite et fin.) »

La comtesse, « qui savait assez bien l’anglais et l’allemand, qui possédait parfaitement l’italien et le français et connaissait à fond ces diverses littératures, qui n’ignorait pas non plus tout ce qu’il y avait d’essentiel dans les littératures anciennes, ayant lu les meilleures traductions de l’antiquité qu’on trouve dans ces quatre langues modernes, pouvait causer de tout avec lui », et elle lui était une ressource continuelle d’esprit comme de cœur.

2141. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

Je n’ose pas parler devant lui depuis que je l’ai entendu à un cercle reprendre déjà pour une petite faute de langue la pauvre Clotilde qui ne savait où se cacher.

2142. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

» — Et pour toute réponse et explication, toute revenue qu’elle était, la bonne maman Gontier leur disait dans sa langue du xviiie  siècle : « C’est, voyez-vous, mes enfants, que celui-là, il ne payait pas ! 

2143. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [III] »

à Mme de Coigny : Comment va la langue ?

2144. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Il y a un chapitre sur l’Immortalité qui expose des conjectures dignes de Lessing dans la langue de Bernardin de Saint-Pierre.

2145. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

Devenues l’appui ou la ressource de la plupart des conversations, combien de maximes, de proverbes ou de bons mots ont-elles fait naître dans notre langue !

2146. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Il est adressé à la classe des malheureux ; j’ai tâché de l’écrire dans leur langue, qu’il y a longtemps que j’étudie.

2147. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jules de Glouvet »

M. de Glouvet écrit quelquefois comme un poète ému et qui trouve sa langue sans trop y songer ; plus souvent comme un magistrat qui a des lettres.

2148. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Victor Duruy » pp. 67-94

Il se voyait déjà enfermé dans un gourbi ou parcourant les montagnes kabyles pour y apprendre la langue et les mœurs des vaincus, et les aimant, et par là les civilisant à mesure qu’on les battait.

2149. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

Les images du monde extérieur sont comme les mots d’une langue.

2150. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Le soir des jours d’émeute, comme le soir des jours où il avait combattu de sa plume au National à côté de Carrel, il se reposait dans sa mansarde en préparant une édition d’Hippocrate, ou en traduisant les œuvres les plus importantes de la critique moderne, ou en rassemblant les matériaux de cet admirable Dictionnaire historique de la langue française qui sera, sans doute, un jour surpassé, si nous finissons le nôtre… Grandes et fortes natures de l’âge héroïque de notre race !

2151. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mlle de Lespinasse. » pp. 121-142

M. de Mora absent, malade, fidèle (quoi qu’en ait dit cette méchante langue de Mme Suard), lui écrit, et, à chaque lettre, va raviver sa blessure, ses remords.

2152. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur Bazin. » pp. 464-485

Vivant dans le commerce des hommes du meilleur temps et de la meilleure langue, il était allé, à cet égard, se perfectionnant lui-même.

2153. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

La riche bourgeoisie parisienne a, de tout temps, produit des esprits fins, des railleurs distingués et libres, ayant le ton de la meilleure compagnie et parlant la plus pure des langues ; au xviie  siècle, Mme Geoffrin, cette douairière de la bonne société, en était sortie.

2154. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Saint-Évremond et Ninon. » pp. 170-191

, dans un éloge en latin de Fraguier, nous le représente au moment où il voulut écrire en français et se former au bon goût de notre langue : À cet effet, dit d’Olivet que je traduis, il s’en remit de son éducation à deux muses ; l’une était cette célèbre La Vergne (Mme de La Fayette), tant de fois chantée dans les vers des poètes, et l’autre qu’on a surnommée la moderne Leontium (Ninon).

2155. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

La princesse de Poix la comparait à une héroïne de roman anglais, avec d’autant plus de raison que les goûts de Mme de Lauzun avaient devancé l’anglomanie qui commençait à poindre : la langue anglaise lui était familière comme la sienne propre, la littérature de ce pays faisait ses délices. » (Vie de la princesse de Poix, par la vicomtesse de Noailles, 1855, ouvrage tiré à un petit nombre d’exemplaires, p. 19 et 33.)

2156. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

On cite chez lui quelques exemples charmants d’une langue neuve et véritablement trouvée, mais ils sont rares.

2157. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

Devenu trop étranger à la langue française par suite de sa longue absence pour se charger lui-même du travail de rédaction qui devait joindre, lier et expliquer les pièces nombreuses à mettre en œuvre, M. 

2158. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — I. » pp. 1-22

Il n’apprit pas les langues vivantes, et il le regrette.

2159. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Il lui ressemble par la langue, mais sans y viser.

2160. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — I. » pp. 224-245

Dans ces premières lettres, où je n’ai pas besoin de faire remarquer qu’on est encore en pleine langue du xvie  siècle, il y en a où Richelieu fait l’évêque, le consolateur au besoin, et parfois le directeur des âmes.

2161. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Ainsi maître de la langue, lancé dans les meilleures compagnies, armé d’un bon esprit et muni de points de comparaison très divers, il se trouvait aussitôt plus en mesure que personne pour bien juger de la France.

2162. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Le simple, le naturel, le vrai sublime ne le touchaient point : c’était une langue qu’il n’entendait point.

2163. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Il retenait assez peu sa langue et sa plume, même sur Robespierre.

2164. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

Ajoutons que le signe d’un sentiment spontané et intense, c’est un langage simple ; l’émotion la plus vive est celle qui se traduit par le geste le plus voisin du réflexe et par le mot le plus voisin du cri, celui qu’on retrouve à peu près dans toutes les langues humaines.

2165. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

Il lui choisit des maîtres vertueux & habiles ; il montre comment il faut lui enseigner les principes des langues, des sciences & des beaux arts.

2166. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Doyen » pp. 178-191

J’ai prononcé là-dessus autrefois un peu légèrement. à tout moment je donne dans l’erreur, parce que la langue ne me fournit pas à propos l’expression de la vérité.

2167. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

En écrivant un pareil titre, que nous osons blâmer parce qu’il n’est pas clair, au front d’un livre qui est tout clarté, l’auteur a parlé, d’ailleurs, comme tant de mystiques, une langue intelligible pour lui seul.

2168. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

Scarron, qui tirait la langue à la Douleur, comme ces polissons de lazzaroni montrent leur derrière au Vésuve, a ri toute sa vie et n’a pleuré qu’une fois et une seule larme, qu’il a enchâssée, comme une perle, dans son épitaphe… Scarron, le rieur comme un satyre ou comme un singe, Scarron, le cynique cul-de-jatte, qui dansait sur sa jatte, ce clown de l’esprit dans un corps brûlé et fricassé par tous les moxas de l’incendie, n’existe plus dans la mémoire des hommes que par les souffrances qu’il a endurées en riant.

2169. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ernest Hello » pp. 207-235

Mais, moine lui-même, il n’écrivit qu’une chronique de moine dans la langue du xixe  siècle, moins faite pour la chronique que pour l’Histoire.

2170. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Quant aux figures grotesques que nous a laissées l’antiquité, les masques, les figurines de bronze, les Hercules tout en muscles, les petits Priapes à la langue recourbée en l’air, aux oreilles pointues, tout en cervelet et en phallus, — quant à ces phallus prodigieux sur lesquels les blanches filles de Romulus montent innocemment à cheval, ces monstrueux appareils de la génération armée de sonnettes et d’ailes, je crois que toutes ces choses sont pleines de sérieux.

2171. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

On parle indifféremment de la pensée ou du cerveau, soit qu’on fasse du mental un « épiphénomène » du cérébral, comme le veut le matérialisme, soit qu’on mette le mental et le cérébral sur la même ligne en les considérant comme deux traductions, en langues différentes, du même original.

2172. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Mais, outre qu’on pourrait dresser une liste presque aussi longue pour Corneille, qu’est-ce que cela prouve, si c’est toujours la même tragédie, si tous ces fantoches, des Babyloniens aux Américains, paraissent avoir les mêmes mœurs et parlent la même langue, et si cette langue est médiocre, quand elle n’est pas insupportable ? […] Ils sont rudes et sans nul éclat d’images ; mais la langue en est saine, robuste et probe. […] D’autres, sans doute, se sont rendus coupables des mêmes horreurs ; mais toi, on te traduit dans toutes les langues, on te joue sur tous les théâtres, et ton nom est fameux, même à Chicago. […] C’est d’une langue si simple et si limpide qu’il n’est pas nécessaire pour la comprendre d’être de la force de M.  […] Et, pour qu’ils soient tous contents, on y chante dans toutes les langues.

2173. (1892) Impressions de théâtre. Sixième série

Je crois que c’est un peu la faute de la langue. […] Qu’est-ce qu’une langue où, pour dire : « il éclate de rire », on est obligé d’employer le mot : « s’escacalasso » ? […] Par là, la langue provençale conserve, malgré tout, une certaine vulgarité de patois. […] Il doit être très difficile, dans cette langue-là, d’avoir un style personnel, plus difficile encore d’exprimer des idées un peu abstraites. Mais c’est une langue joyeuse.

2174. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

il arrête ma langue ! […] L’avocat parle d’abord latin77 : « Non, qu’il parle en langue ordinaire ; autrement, je ne répondrai pas. —  Mais vous comprenez le latin. —  Je le comprends, mais je veux que toute cette assemblée entende. » Poitrine ouverte, en pleine lumière, elle veut un duel public, et provoque l’avocat : « Me voici au blanc, tirez sur moi, je vous dirai si vous touchez près. » Elle le raille sur son jargon, l’insulte, avec une ironie mordante. « Sûrement, messeigneurs, cet avocat a avalé quelque ordonnance ou quelque formule d’apothicaire, et maintenant les gros mots indigestes lui reviennent au bec, comme les pierres que nous donnons aux faucons en manière de médicaments. […] Voyez surtout le Titus Andronicus attribué à Shakspeare ; il y a des parricides, des mères à qui on fait manger leurs enfants, une jeune fille violée qui paraît sur la scène avec la langue et les deux mains coupées.

2175. (1925) Dissociations

Il y a bien l’hypothèse des deux langues, l’une réservée aux hommes, l’autre aux femmes, et qui se seraient mêlées à l’usage. Cela existe encore en plusieurs langues. Dans le basque, dans les langues indigènes de l’Amérique du Nord, une femme n’a pas le droit de se servir des noms réservés aux hommes.

2176. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

Certes, mon embarras eût été plus grave si je m’étais trouvé perdu dans une forêt d’originalités, si le tempérament français moderne, soudainement modifié, purifié et rajeuni, avait donné des fleurs si vigoureuses et d’un parfum si varié qu’elles eussent créé des étonnements irrépressibles, provoqué des éloges abondants, une admiration bavarde, et nécessité dans la langue critique des catégories nouvelles. […] Le cas peut se comparer à celui d’un poëte ou d’un romancier qui enlèverait à l’imagination le commandement des facultés pour le donner, par exemple, à la connaissance de la langue ou à l’observation des faits. […] Le catalogue, parlant ici la langue si nette et si brève des notices de Delacroix, nous dit simplement, et cela vaut mieux : « Les uns l’examinent avec curiosité, les autres lui font accueil à leur manière, et lui offrent des fruits sauvages et du lait de jument. » Si triste qu’il soit, le poëte des élégances n’est pas insensible à cette grâce barbare, au charme de cette hospitalité rustique.

2177. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — I. » pp. 88-109

Une fois produit, il travailla vigoureusement à se faire sa place, à concilier l’étude du cabinet avec la pratique : il était littérateur à la façon du xvie  siècle, parlant latin autant et plus volontiers que français ; c’est pour le latin qu’il garde ses élégances : quand il écrit dans sa langue maternelle, son style bigarré exprime à merveille le mélange de goût qui régnait dans les professions savantes durant la première moitié du xviie  siècle.

2178. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

Il démêle l’espèce de jeu de mots et d’escamotage à l’aide duquel l’école de Condillac se flattait d’expliquer tout l’homme : Vous êtes tellement plein de votre système des sensations, que ce ne sera pas votre faute si tous les mots de nos langues, si tout notre dictionnaire enfin ne se réduit, pas un jour au mot sentir.

2179. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La femme au XVIIIe siècle, par MM. Edmond et Jules de Goncourt. » pp. 2-30

C’est une faute de français ou plutôt contre la grammaire ; mais dans ces styles parlés on n’y regarde pas de si près, et l’on n’en reste que mieux dans le génie de la langue.

2180. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Quand même je saurais écrire, il me serait impossible de te donner une idée de tout ce que j’ai éprouvé dans cette grande boîte à quintessence de mort, lançant de toutes parts sur l’eau ses mille langues de feu et obscurcissant le beau ciel bleu d’Orient par des tourbillons de fumée… Chère Louise !

2181. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. »

Tous les maîtres y échouèrent : « Je l’ai appris depuis tout seul, ajoute-t-il, et, pour ainsi dire, du jour au lendemain. » Quant à écrire, il ne le sut jamais : l’orthographe de ses lettres originales est inimaginable ; mais, quand on a une fois rétabli ce détail de manière que l’œil ne soit plus déconcerté, la langue en est courante, simple, franche, corsée, semée ou lardée de traits gais, gaillards, et même parfois grandioses.

2182. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite et fin.) »

Chapelier, qui, à l’exemple de Barnave, ne demandait pas mieux que d’entrer dans cette voie de transaction et qui en avait pris même l’engagement secret à la veille de l’ouverture des débats pour la révision de l’acte constitutionnel, fut le premier à y manquer quand on fut à la tribune ; il y manqua, parce qu’on n’est pas libre de rétrograder quand on marche en colonne, parce que la force des choses en ces moments domine les volontés particulières ; parce qu’il y a courant et torrent irrésistible au dedans des assemblées comme au dehors ; parce que les mêmes hommes ne peuvent pas jouer deux rôles opposés à quelques mois d’intervalle devant les mêmes hommes, devant les mêmes murailles ; parce que l’esprit même y consentant, la langue tourne et s’ refuse ; parce que les murs, à défaut des fronts, ont une pudeur ; parce qu’enfin les uns se lassant, d’autres tout frais et tout ardents succèdent, qui ne permettent pas ces petits compromis particuliers avant le complet déroulement des principes et l’entier épuisement des conséquences.

2183. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

Les deux titres correspondaient ; celui d’adjudant-commandant ne s’était introduit dans la langue officielle que depuis la réorganisation du corps d’état-major, datant du 10 octobre 1801.

2184. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Ampère a rappelé la Chine à propos d’Ausone et de ses périphrases : « Il existe entre les lettrés, a-t-il dit, surtout quand ils écrivent en vers, une langue convenue comme celle des précieuses, et dans laquelle rien ne s’appelle par son nom. » Le Père Garasse sent si bien qu’il est sujet à cette espèce de chinoiserie de style, qu’en tête de sa Somme thèologique, voulant être grave, il avertit qu’il tâchera d’écrire nettement et sans déguisement de métaphores ; ce qui n’est pas chose aisée, ajoute-t-il, « car il en est des métaphores comme des femmes, c’est un mal nécessaire. » Le Père Lemoyne de la Dévotion aisée n’est pas moins ridicule (et dans le même sens) que le plus mauvais des rimeurs allégoriques du ive  siècle.

2185. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

Impuissant que je suis à apporter mon tribut en telle matière et à payer un hommage tout à fait compétent à l’auteur, soit par une approbation approfondie, soit même sur quelques points par une contradiction motivée, je veux du moins signaler, à propos de cette héroïque destinée de Charles le Téméraire, quelques renseignements peu connus, quelques vues neuves que j’emprunterai aux recherches d’un savant étranger, non point étranger par la langue.

2186. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

Quand on pense avec tant de délicatesse, on a raison de choisir pour s’exprimer la langue de Sévigné et de La Fayette. » Voici quelques-unes de ces pensées, qui sont en effet délicates et fines ; l’esprit du monde s’y combine avec un souffle de rêve et de Poésie.

2187. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIe Entretien. Chateaubriand »

Cela me fait frémir, mais cela me fait un peu souffrir ; cela est grand comme le cœur humain, mais cela est de la beauté cherchée ; cela sent la grande décadence, les magnifiques débris d’une vieille langue.

2188. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

Seize ans après que Télémaque, imprimé sous toutes les formes et traduit en toutes les langues, inondait l’Europe, les orateurs à l’Académie française, en parlant des œuvres littéraires du temps, se taisaient sur le livre en possession du siècle et de la postérité.

2189. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Révillout, Revue des langues romanes, 9 articles sur la Légende de Boileau, 1892-95 (inachevé).

2190. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

Sans doute les marquis et les comtesses ont remplacé tes princes d’Arménie et les reines de Trébizonde ; sans doute l’amour parle chez lui une langue moins diffuse, et les aventures qu’il imagine sont moins invraisemblables et plus intéressantes ; sans doute aussi ses amoureux et ses amoureuses ont plus de chair, plus de sang et surtout beaucoup plus de nerfs, que ceux des romans d’autrefois.

2191. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « La jeunesse du grand Condé d’après M. le duc d’Aumale »

A sept ans, il jouait au soldat en latin ; à onze ans, il avait terminé sa rhétorique (au collège Sainte-Marie, de Bourges) et « maniait le latin comme sa propre langue ».

2192. (1890) L’avenir de la science « XIX » p. 421

Leur conversion au christianisme, qu’était-ce, sinon leur affiliation à Rome, par les évêques, continuateurs directs de l’habit, de la langue et des mœurs romaines ?

2193. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Cette biographie doit former un livre en deux volumes et offrir, dans une langue appropriée, peut-être fantaisiste, eu égard au sujet, la représentation exacte et détaillée et la vie artistique comme de la vie intime du grand maître.

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