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35. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IX »

Et dès ce moment il ne cesse de penser sérieusement à mettre ce drame en musique. […] J’ai déjà le commencement dans ma tête, ainsi que certaines parties plastiques, telles que la musique de Fafner. » Et cependant il était à la veille d’abandonner définitivement ce projet : il en avait la musique dans la tête, mais pas encore le poème ! […] C’était en même temps la mort de toute réforme selon l’esprit wagnérien, et un coup terrible porté à la musique française. […] Le drame ne doit pas être un moyen, un prétexte à musique, il doit être le but unique ; la musique doit s’unir fraternellement au poème pour animer le drame et le mettre en pleine lumière ; jamais la musique ne doit chercher à briller pour son compte, comme un virtuose dominant tout. […] Chamberlain cite pourtant l’épouvantable pamphlet La juiverie dans la musique.

36. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Aussi les vrais wagnériens ne bornent-ils pas à la musique — à la musique, hélas ! […] Et ce fut enfin l’art des émotions, la musique. […] Une harmonie des mots apparut possible, légitime : après la musique parlée des orateurs, naquit la musique écrite des poètes. […] La différence des deux formes, à dire vrai, était plutôt extérieure ; la musique d’opéra, comme la musique instrumentale, demeuraient exclusivement des musiques. […] Car leur poésie est avant tout une musique.

37. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 157-158

sur la Musique des Anciens, qui, de l’aveu de tous les Connoisseurs, lui donne droit de figurer parmi le petit nombre de Littérateurs connus par une érudition aussi vaste que profonde & lumineuse. M. l’Abbé Roussier y expose le principe de divers systêmes de Musique chez les Grecs, les Chinois, les Egyptiens, & y met le systême de ces derniers en parallele avec celui des Modernes. […] Bailly, de l’Académie des Sciences, M. l’Abbé Arnaud, M. l’Abbé Barthelemy, &c. regardent cette savante Production comme la meilleure qu’on ait encore publiée sur la théorie de la Musique. […] Bertin sur la Musique des Chinois :« Cet Ouvrage, l’un des meilleurs & des plus solides, à mon avis, qu’on puisse faire en ce genre, m’a éclairé sur une foule d’objets, même Chinois, que je ne faisois qu’entrevoir à travers les plus épais nuages. […] En remontant jusqu’à la source primitive d’un systême de musique connu à la Chine depuis plus de quatre mille ans ; en approfondissant les principes sur lesquels ce systême appuie ; en développant ses rapports avec les autres sciences ; en déchirant ce voile épais qui nous a caché jusqu’ici la majestueuse simplicité de sa marche, ce Savant eût pénétré peut-être jusque dans le Sanctuaire de la Nature… Son Ouvrage nous eût peut-être fait connoître à fond le plus ancien systême de musique qui ait eu cours dans l’Univers [celui des Chinois] ; & en l’exposant avec cette clarté, cette précision, cette méthode qu’on admire dans son Mémoire, il eût servi comme de flambeau pour éclairer tout à la fois & les Gens de Lettres & les Harmonistes : les premiers, dans la recherche des usages antiques, & les derniers dans celle du secret merveilleux de rendre à leur Art l’espece de toute-puissance dont il jouissoit autrefois, & qu’il a malheureusement perdue depuis. »  

38. (1894) Propos de littérature « Chapitre III » pp. 50-68

Comparée à la musique, la plastique est un art objectif : Aristote déjà l’indiquait. […] Oui, certes, le Poème veut la musique ; mais, avec la musique qui lui manquait — et que l’inaptitude foncière de la plupart lui ménage encore non sans parcimonie — il faut lui donner tout ce que nos ainés lui conquirent. La Poésie n’est ni la musique, ni la sculpture, ni la peinture, ni l’architecture, ni la morale ; mais qu’elle soit philosophique par son idéale portée, que l’ordonnance la montre architecturale, que ses images la colorent et la dessinent, que par ses rythmes et ses harmonies elle atteigne la musique — et que, musique, philosophie, peinture et dessin, elle soit en même temps tout cela, car elle se nourrit de tous les arts et de toute la pensée, comme elle les pénètre elle-même de son vivant effluve. […] Désormais complétée elle s’est découverte elle-même en son double mode, comme chez les lyriques grecs, art musique et art plastique, selon le temps et selon l’espace. […] Car l’émotion se traduit par un geste : le geste est plastique, mais musique aussi, puisqu’il est rythme, — et le rythme, geste inscrit dans la durée, est un des deux modes fondamentaux de la musique, celui-là même qui lui est essentiel.

39. (1936) Réflexions sur la littérature « 6. Cristallisations » pp. 60-71

C’est restreindre à l’excès l’activité et l’œuvre de Stendhal que de nous dire que « Stendhal s’est appliqué par-dessus tout à décrire et à analyser l’amour et la musique. » Il s’est appliqué à décrire et à analyser la vie sur presque tous ses registres et dans presque toute son extension. […] Delacroix le montre fort bien, est lié chez Stendhal à la musique, il est chargé de musique comme la musique est chargée d’amour. " pour comprendre les amours de Stendhal il faut se rappeler la musique. […] Delacroix : « l’énergie est chez lui l’aspiration de l’énergie, le rêve de l’énergie, la nostalgie d’un passé historique plutôt que la puissance de construction d’un avenir. » L’image de la cristallisation qui forme le leit-motiv du livre est à la fois le produit d’une imagination musicale, une figure de la réalité amoureuse : " il me semble, dit Stendhal dans une lettre, qu’aucune des femmes que j’ai eues ne m’a donné un moment aussi doux et aussi peu acheté que celui que je dois à la phrase de musique que je viens d’entendre. " la musique, surtout telle que la goûtait Stendhal qui n’y sentait qu’un motif de rêverie, c’est le monde et l’acte mêmes de la cristallisation parfaite, de sorte que Beyle, amoureux de second plan, simple amateur en musique, se définirait peut-être comme un cristallisateur. Son plaisir propre n’est absolument ni d’aimer, ni de goûter la musique, mais de cristalliser à propos de l’amour et de la musique. […] Son Charles Baudelaire, ses monographies sur la peinture du XVIIIe siècle, sa Religion de la musique, montrent excellemment à quel point cette place centrale dans le monde du beau permet une critique riche et vivante.

40. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 17, quand ont fini les représentations somptueuses des anciens. De l’excellence de leurs chants » pp. 296-308

Quand il y avoit un si grand nombre de personnes qui faisoient leur profession des arts musicaux ; faut-il s’étonner que les anciens eussent tant de méthodes et tant de pratiques relatives à la science de la musique, lesquelles nous n’avons pas. […] La science de la musique subsista bien après la cloture des théatres, mais le plus grand nombre des arts musicaux périt donc pour toujours. Je ne sache pas même qu’il nous soit resté aucun monument de la musique rithmique, de l’organique, de l’hypocritique et de la metrique. Nous retrouvons les regles de la musique poëtique dans les vers des anciens, et je crois que l’église peut bien nous avoir conservé quelqu’unes de leurs mélopées dans le chant de son office. […] Mais tous ces chants soit qu’ils ayent été composez avant saint Gregoire, soit qu’ils aïent été faits de son temps, peuvent toûjours servir à donner une idée de l’excellence de la musique des anciens.

41. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 novembre 1886. »

Voyez-les qui s’enthousiasment et gesticulent, ces pèlerins de la musique, sans négliger d’apprécier la bière noire de Bavière. […] La musique, le plus vague des arts, ne peut, en fait de mouvements de l’âme ou du cœur, exprimer que des généralités. […] C’est Beethoven, ce Jupiter tonans de la musique, qui s’impose encore ici à notre attention. […] Il écrivait un jour : « Le chromatique procède par plusieurs semi-tons consécutifs, ce qui produit une musique efféminée, très convenable à l’amour. » Voltaire, aussi peu musicien que possible et souverainement rebelle à la musique, avait-il donc prévu, deviné, pressenti Tristan et Iseult ? […] Dans le premier volume, paru en 1789, de ses fameux Mémoires ou Essais sur la Musique.

42. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « II »

Ernest Reyer : musique entraînante, virile, qui nous repose de cette funèbre Patrie dont M.  […] Ce furent, d’abord, les jeunes élèves d’une nouvelle école de musique, puis la partie la plus éclairée du public, qui s’ébranlèrent. […] Par le plus grand des bonheurs, le public semble aimer à présent la musique de ce maître ; il serait peut-être utile de montrer que derrière ce drame et cette musique il y a un Art, dont Wagner a énoncé les principes, et qui n’a rien de commun avec les autres. » Il n’en fallut pas plus. […] Depuis Weber, et son Freischütz, on attendait une œuvre typiquement germanique, par le sujet autant que par la musique. […] Il s’agit de La musique de l’avenir.

43. (1920) Action, n° 2, mars 1920

Car lui-même est musique. […] La première est la musique des musiciens ; et la seconde la musique des poètes : celle-ci plus virile, et plus femme celle-là. […] Trop souvent, la musique n’est que cela. […] La musique est la faiblesse toute puissante de la poésie. […] La baguette du magicien est musique.

44. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

Quelle est son influence sur la musique dramatique ? […] Par là s’explique le réalisme constant de ses effets, aussi voisins des effets réels que la musique le permet. […] Ce dernier est le fruit de l’union de la musique et de la poésie. […] Le drame wagnérien qui mêle musique et texte, chant et mise en scène, demande à être représenté. […] Ennemi de Berlioz, Verdi et Wagner, il aimait s’attaquer à la musique de l’avenir.

45. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

Comme artiste, Wagner ressemblait à un puissant magicien capable d’évoquer toutes les passions humaines par les incantations de la musique et le ressort du drame. […] Des musiciens de mérite ont trouvé la musique de Parsifal supérieure à toutes les œuvres de Wagner. […] Dans la musique même, si belle qu’elle soit, il y a plus de soif de l’éternel repos que de la vie éternelle, qui est la vie active de l’âme et de l’esprit. […] Dans celui-ci la poésie et l’orchestrique étaient associées à la musique ; mais cette union commandée par la tradition ne pouvait encore être profitable, l’harmonie bornée à l’unisson n’ajoutant aux paroles qu’une mélopée monotone ; si bien que la poésie était alors à l’égard de la musique dans un rapport égal mais inverse à celui qui existe aujourd’hui entre les livrets de Scribe et la musique par exemple de Meyerbeer. […] Le journal de musique que M. 

46. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Elle abdiqua toute lutte d’influence avec la musique et rivalisa plutôt avec la peinture. […] Aussi la préoccupation de l’absolu poétique pose vite chez Mallarmé le problème de la musique. […] Mallarmé demande à la musique les suggestions de quelqu’un qui n’est pas musicien. […] Les esprits de la musique et du ballet vont-ils s’épanouir au-dessus d’un envieux décor déserté ? […] La rime riche leur conférait une valeur unique, les transfigurait dans un bain de musique.

47. (1904) En méthode à l’œuvre

Tant que de même la Poésie, présentement après le savoir du savant, et, en l’expression émotive et dramatique, après la musique, rendue à ses puissances désormais ! […] Fondamental, tout son de voyelle, — de même que d’instrument de musique, groupe autour de lui des harmoniques qui lui sont propres et le singularisent. […] On crie, on se plaint sans chanter, mais on chante en imitant des cris et des plaintes. » — Il parle aussi, quelque part, du « lien puissant et secret des passions avec les sons », — et très originalement va à émettre que tout peuple a la musique de sa langue et que d’aucuns ne peuvent avoir de musique, parce que leur langue ne possède pas d’éléments musicaux. […] Mais, en assentiment, en Musique le timbre n’est-il pas pris pour « couleur du son », — alors qu’en langue allemande il n’a même d’autre dénomination ? […] Leur prononciation le supprime, encore qu’ils osent parler de musique du Vers !

48. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Tenez, parlons plutôt musique. […] la musique fracassante, la musique algébrique, chimique, tartare, hottentote, descriptive, que sais-je ! […] Lorsqu’après quelque temps, j’eus feuilleté la musique placée tout devant moi, j’y trouvai mêlées quelques brochures « l’œuvre d’art de l’avenir » « la musique de l’avenir », par Richard Wagner. […] C’était bien d’un tel enlacement de la poésie et de la musique que devait provenir l’œuvre d’art de l’avenir ! […] vous comparez ma prédilection pour la musique de Wagner à ma passion pour l’odeur du jasmin que vous combattez en vain.

49. (1927) Des romantiques à nous

Je veux dire qu’ils ne traitent pas de la musique pour la musique, mais pour l’application à la musique des vérités qui concernent en général les arts d’expression. […] La musique de la steppe, ils venaient de la découvrir. […] Et il a été la musique faite homme. Saint-Saëns n’était que la musique. […] Il a vécu dans la musique, — la musique en soi, eût dit un scolastique.

50. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 9, de la difference qui étoit entre la déclamation des tragedies et la déclamation des comedies. Des compositeurs de déclamation, reflexions concernant l’art de l’écrire en notes » pp. 136-153

Sur tout la déclamation des cantiques ou monologues qui s’executoit d’une façon très-singuliere, et que nous expliquerons, n’étoit jamais mise en musique par le poëte, mais par des hommes consommez dans la science des arts musicaux, et qui faisoient leur profession de faire representer les pieces dramatiques composées par d’autres. […] Ces musiciens m’ont répondu que la chose étoit possible, et même qu’on pouvoit écrire la déclamation en notes en se servant de la gamme de notre musique, pourvu qu’on ne donnât aux notes que la moitié de l’intonation ordinaire. Par exemple, les notes qui ont un semi ton d’intonation en musique, n’auroient qu’un quart de ton d’intonation dans la déclamation. […] Je sçais bien qu’on ne trouveroit pas d’abord des personnes capables de lire couramment cette espece de musique et de bien entonner les notes. […] Leurs organes se plieroient à cette intonation, à cette prononciation de notes faite sans chanter, comme ils se plient à l’intonation des notes de notre musique ordinaire.

51. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

Vous reviendrez de votre étonnement quand je vous aurai parlé de la peinture comme vous en êtes revenus quand je vous ai parlé de la musique. […] Il me serait difficile d’assigner la prééminence entre ces deux arts de la musique ou de la peinture ; cette prééminence me paraît même devoir être toute personnelle dans celui qui préfère la peinture à la musique ou la musique à la peinture. […] Ainsi je dirais que la musique est de tous les arts celui qui se rapproche le plus de la parole, l’art suprême ; que la musique est presque la parole, et quelquefois plus que la parole ; car, si elle ne précise pas les idées dans des lettres, elle suscite des sensations et des sentiments illimités dans des sons. […] On me répondrait que la musique passe et que la peinture demeure, que la musique est un instant et que la peinture est une éternité, et je ne saurais plus que dire. […] Ne vous sentez-vous pas divinisés devant une poésie, une musique, une peinture, une statue, un temple dont la beauté vous élève de la fange à l’idéal Ne vous écriez-vous pas : C’est divin !

52. (1897) Préface sur le vers libre (Premiers poèmes) pp. 3-38

Sans doute, si l’évolution de la musique pure ou du poème suivait pas à pas cette modification du sens auditif, les changements de rythmique seraient lents, successifs, comme ceux qui se produisent à l’intérieur même d’une école : exemple, la tension que fit subir au vers romantique un groupe, le Parnasse, opérant sur son patrimoine. […] La génération suivante fut submergée de musique, et plus tentée de polyphonie et de détours multiples. L’objection, qui se présente de suite, la voici : « Mais vous n’eûtes point les prémisses de ces musiques. […] Les objections se suscitent les unes les autres ; je prévois : Verlaine avait-il quelque goût pour la musique ? […] Dans un affranchissement du vers, je cherchais une musique plus complexe, et Laforgue s’inquiétait d’un mode de donner la sensation même, la vérité plus stricte, plus lacée, sans chevilles aucunes, avec le plus d’acuité possible et le plus d’accent personnel, comme parlé.

53. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 14, de la danse ou de la saltation théatrale. Comment l’acteur qui faisoit les gestes pouvoit s’accorder avec l’acteur qui récitoit, de la danse des choeurs » pp. 234-247

Le lecteur se souviendra de ce que nous avons déja dit, que la musique hypocritique présidoit à la saltation. Or la musique, dit Quintilien, regle les mouvemens du corps comme elle regle la progression de la voix. Ainsi la musique hypocritique enseignoit à suivre la mesure en faisant les gestes, comme la musique metrique enseignoit à la suivre en recitant. La musique hypocritique s’aidoit de la musique rithmique, car les arts musicaux ne pouvoient point avoir chacun son district si bien séparé, qu’ils ne se retrouvassent quelquefois dans la même leçon.

54. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

La révélation d’Egmont n’importe guère qu’aux auteurs de ce mélodrame : bizarre musique ! […] Prudemment nantis du texte allemand, ils traverseront toutes les Flandres pour réentendre cette idéale musique. […] Durant plusieurs années le théâtre de la Monnaie reste fermé à la musique de Wagner. […] La musique des Guides, pour ne citer que la plus importante, exécutait de longue date, sous la direction de M.  […] Ennemi de Berlioz, Verdi et Wagner, il aimait s’attaquer à la musique de l’avenir.

55. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 janvier 1887. »

Mais jamais, en aucun cas, ils n’ont blasphémé nos vraies gloires, et leur patriotisme se révolte lorsqu’ils voient des ouvrages inférieurs, médiocres, détestables, sots poèmes et ignobles musiques, donnés en tous pays comme des productions très excellentes de notre art national. […] Nos jeunes compositeurs, encore qu’ils s’en défendent comme de beaux diables, ont pris à Berlioz un constant amour des effets pittoresques ; ils eu mettent à tout propos dans leur musique, là même où le glorieux auteur de la Damnation dì Faust se serait gardé d’en introduire. […] 6° Frédéric le Grand et la musique. […] Mendès prit ses distances avec le compositeur après 1870 mais pas avec sa musique. […] En lien avec l’univers wagnérien, il écrivit Briséis avec Catulle Mendès, pièce dramatique qui sera mise en musique par Chabrier en partie (le seul premier acte est achevé).

56. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Poésie, musique, c’est même chose. […] Et puis, si toute poésie est musique verbale, comme j’en conviens, toute musique verbale n’est pas poésie. […] Loin de classer la musique de l’expression parmi ces impuretés dont la prose revendique le monopole, — les idées, les images, les sentiments, — nous affirmons nous aussi, que cette musique est inséparable de la poésie. […] Sous le bruit des mots de la prose, une oreille poétique entendra les musiques du silence. […] Ainsi, à mon avis, de tous les arts et de la musique même.

57. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre II. Du Chant grégorien. »

Si l’histoire ne prouvait pas que le chant Grégorien est le reste de cette musique antique dont on raconte tant de miracles, il suffirait d’examiner son échelle pour se convaincre de sa haute origine. […] Il a varié la musique sur chaque strophe ; et pourtant le caractère essentiel de la tristesse consiste dans la répétition du même sentiment, et, pour ainsi dire, dans la monotonie de la douleur. […] Au reste, en ne parlant que des chants grecs de l’Église, on sent que nous n’employons pas tous nos moyens, puisque nous pourrions montrer les Ambroise, les Damase, les Léon, les Grégoire, travaillant eux-mêmes au rétablissement de l’art musical ; nous pourrions citer ces chefs-d’œuvre de la musique moderne, composés pour les fêtes chrétiennes, et tous ces grands maîtres enfin, les Vinci, les Leo, les Hasse, les Galuppi, les Durante, élevés, formés, ou protégés dans les oratoires de Venise, de Naples, de Rome, et à la cour des souverains pontifes. […] Bonnet, Histoire de la Musique et de ses effets.

58. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, le 8 décembre 1885. »

C’était un charme aimable, l’ancienne musique ; on créait une vie légère, on ordonnait des créations de vie légère, et aux auditeurs étaient des visions douces, agréantes, aisées ; les symphonistes ne rêvaient point de symphonies fantastiques, et l’opéra ne voulait pas être une épopée nationale. […] Or, Racine avait composé ses réalistes créations de vie réelle ; et Beethoven instituait la musique expressive des suprêmes vies ; Gluck entrevoyait dans la musique un drame de vie ; le drame complet d’art complet naissait ; et Richard Wagner achevait ces créations d’humaine vie, ces drames, Tristan, la Tétralogie, Parsifal. […] Il est vrai que le français a une musique plus délicate, et moins monotonale par conséquent ; mais cela suffit pour relever à nos yeux l’opéra français et nous faire oublier le néant artificiel de nos entrepreneurs de musique. […] Le public, un public choisi, était accouru en masse : l’immense salle était littéralement remplie, et ce qui prouve que la musique de Wagner commence à être très appréciée à Anvers c’est que presque personne n’a quitté la salle avant le dernier accord de l’orchestre. — Cela prouve en même temps que l’exécution s’est trouvée tout à fait digne de cette musique grandiose qui ne souffre pas la médiocrité dans l’interprétation. […] Giani, le directeur de la Société de Symphonie, bien qu’il fasse de la musique pour son plaisir, doit-il être classé parmi les premiers chefs d’orchestre du pays.

59. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 janvier 1886. »

Il en est de même pour la musique, Wagner a lui-même exposé quels progrès dans l’art de la composition il avait faits de Tannhaeuser à Lohengrin(IV, 394-399) ; mais nous ne pouvons admettre qu’avec de nombreuses réserves, ce qui est devenu un dogme pour beaucoup de personnes, que « dans Lohengrin un grand progrès est accompli, qui se fait sentir, à la fois dans l’ordonnance des scènes, dans le langage poétique et dans la musique » (Noufflard : R. […] La musique contient donc aussi des contradictions, même nombreuses ; si le charme incomparable des mélodies peut les faire oublier, elles n’en existent pas moins. — Ainsi l’on trouve dans l’ensemble de l’œuvre, poème et musique, ce que l’étude des conditions sous lesquelles elle a été composée laissait prévoir : un conflit de tendances. […] La musique écrite a, si l’on peut dire, son côté matériel, sa physionomie propre. […] La musique n’est pas le langage de l’éternelle et absolue vérité ; plus qu’aucun autre art, elle est fatalement soumise à l’instabilité du caprice, aux variations de la mode. […] Que nous importent Wagner, Liszt et Berlioz et tous ces autres maîtres dont nous ne saurions prononcer les noms quand nous avons nos compositeurs à nous, bien à nous, qui nous fournissent une musique que nous comprenons la première fois que nous l’entendons ?

60. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Seconde partie. Émancipation de la pensée » pp. 300-314

Je ne sais si je suis parvenu à me faire comprendre : une courte observation sur la musique achèvera peut-être de rendre sensible le phénomène nouveau de l’intelligence humaine. Je ne veux parler que de la musique telle que nous la connaissons, parce qu’il paraît que la musique ancienne, celle qui opéra tant de prodiges, d’après le témoignage même des plus graves historiens ; celle qui pénétrait également tous les hommes et non point quelques hommes mieux organisés que d’autres ; celle qui agissait sur l’âme au lieu de n’ébranler que les sens ; il paraît, dis-je, que la musique des âges primitifs avait le secret d’une harmonie essentielle. Mais dans la musique des âges suivants, on reconnut l’impossibilité d’arriver à un accord parfait entre les quintes et les octaves. […] C’est ainsi qu’on a été graduellement amené à penser que tout était d’invention humaine ; c’est ainsi que, ne pouvant expliquer les prodiges de l’harmonie ancienne, on a trouvé plus simple de les nier, ou de les attribuer à des causes indépendantes de l’essence même de la musique primitive ; c’est ainsi qu’on a imaginé d’établir en théorie que l’homme avait pu fonder la société et parvenir à instituer le langage, sans savoir toutefois ce qu’il faisait.

61. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Boyer, Georges (1850-1931) »

. — Hérode, poème lyrique pour musique de William Chaumet (1886). — Paroles sans musique, avec une lettre d’Auguste Vitu (1889). — Le Trèfle à quatre feuilles (1890). — Mon ami chose (1893). — Le Portrait de Manon (1894). — Nurka (1896). […] [Lettre-préface à Paroles sans musique (1889).]

62. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

La musique n’a-t-elle pas précisément le même genre d’influence que la prière ? […] Voilà l’illusion vraiment infernale que produit la musique. […] Protégée par ces voiles, la musique dit tout avec une impudeur sans franchise. […] La musique peut donc tout dire avec impunité, car elle brave la traduction. […] Au contraire, la musique est une initiatrice.

63. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

La musique française n’a pas produit d’art ? […] Mais la musique surtout donne le caractère à cette scène ; nous y reviendrons dans le chapitre qui lui sera consacré. […] Son drame (de Wagner) n’est qu’un drame imparfait, auquel on adjoint une musique également imparfaite, et ces deux éléments imparfaits doivent constituer un ensemble parfait, par l’union intime du drame et la musique. […] Kufferath : la Valkyrie, esthétique, histoire, musique). […] Les articles, conjugués aux programmations des concerts, initiaient le public à la musique de Wagner.

64. (1923) Paul Valéry

S’il lui arrive de se référer à la musique, ce n’est pas la musique source de rêverie qui l’intéresse comme poète, c’est la musique élevée sur les genoux de la mathématique, et nourrie de nombres rigoureux. […] Ecrivain, il doit considérer l’architecture du même regard jaloux, inquiet et admiratif dont Mallarmé considérait la musique. […] Après avoir tenté de vaincre la musique, il avait voulu vaincre l’architecture. […] Le grief de Valéry contre la musique, la raison de sa croyance en la plus grande fécondité de la méditation sur l’architecture, c’est que la musique ne construit pas. […] Mais Valéry n’est pas musicien (je veux dire, musicien pur, musicien mu si quant de musique).

65. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 6, que dans les écrits des anciens, le terme de chanter signifie souvent déclamer et même quelquefois parler » pp. 103-111

Donat et Euthemius, qui ont vécu sous le regne de Constantin Le Grand, disent dans l’écrit intitulé : de tragedia et comedia commentatiunculae, que la tragedie et la comedie ne consistoient d’abord que dans des vers mis en musique, et que chantoit un choeur soutenu d’un accompagnement d’instrumens à vent. […] Mais, dira-t’on, quand les choeurs des anciens chantoient, c’étoit une veritable musique. […] Je réponds en premier lieu, qu’il n’est pas bien certain en vertu de ce passage que les choeurs chantassent une musique à notre maniere. […] Ainsi je suppose que les choeurs aïent chanté en musique harmonique une partie de leurs rôlles, mais il ne s’ensuit pas que les acteurs y chantassent aussi.

66. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 18, reflexions sur les avantages et sur les inconveniens qui resultoient de la déclamation composée des anciens » pp. 309-323

Dans une assemblée de spectateurs, combien peu de personnes y a-t-il, qui sçachent à fonds la musique ? […] Je réponds à cette objection, qu’il en étoit de cette déclamation notée comme de la musique de nos opera. […] Dans la musique même on ne sçauroit écrire en notes tous ce qu’il faut faire pour donner au chant son expression veritable, sa force et les agrémens dont il est susceptible. On ne sçauroit écrire en notes quelle doit être précisement la vitesse du mouvement de la mesure, quoique ce mouvement soit l’ame de la musique. […] Je répondrai en premier lieu, que plusieurs personnes dignes de foi m’ont assuré que Moliere guidé par la force de son génie et sans avoir jamais sçu apparemment tout ce qui vient d’être exposé concernant la musique des anciens, faisoit quelque chose d’approchant de ce que faisoient les anciens, et qu’il avoit imaginé des notes pour marquer les tons qu’il devoit prendre en déclamant les rolles qu’il recitoit toujours de la même maniere.

67. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

Si le mélomane pouvait, comme les cigales de la fable, se nourrir vraiment de musique, la musique cesserait pour lui d’être belle. […] La musique est, comme l’a montré M.  […] On sait l’importance capitale du rythme dans la musique : M.  […] Appliquons ces principes de toute musique à la musique du vers. […] Même dans la musique, quoi qu’en aient dit MM. 

68. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers populaire  »

Si le vers manque d’une syllabe on y supplée : J’irai me plaindre J’irai me plaindre (6) Au duc de Bourbon (duque) Mais de par la musique ces trois derniers petits vers n’en forment en réalité qu’un seul de 15 syllabes : J’irai me plaindre, j’irai me plaindre au duque de [Bourbon]216. […] En général, le vers populaire est très fortement scandé, et garde, même sans musique, une allure de chant : Je voudrais || que la rose Fût encore || au rosier… Ma mè || re j’ai || une au || tre sœur, Une au || tre sœur || qu’est tant jolie… Les strophes ou couplets varient de un jusqu’à huit vers, le refrain y joue un grand rôle, mais c’est une étude trop spéciale, trop intimement liée à la musique des chansons pour qu’il soit possible de l’introduire ici : au premier abord, la question paraît inextricable de savoir si paroles et musiques sont nées ensemble, si la musique, dans tel ou tel cas, a été faite pour les paroles, ou les paroles pour la musique.

69. (1894) Propos de littérature « Appendice » pp. 141-143

III et IV) musique et technique (Temps) plastique (Espace) Rythme Harmonie Coloris Proportion lumineuse Rythmes Mesure ………… …………… Mouvement Stabilité Geste Attitude (Activité) (Passivité) Élégance Noblesse …………… ………… Mouvement Stabilité Subjectivité Objectivité ………… ………… Temps (Espace) Subjectivité Objectivité (Temps) Espace TECHNIQUE ET PERSONNALITÉ (Ch.  […] Vielé-Griffin M. de Régnier Invention Talent Instinct, spontanéité Sens de l’équilibre Poète Artiste Naïveté (Artificialité) Fluidité Rigidité Inconsistance Fermeté plastique Variété Homotonie Mouvement Stabilité Manière Impersonnalité (Flaubert) Un style Le style Subjectivité Objectivité (Temps) (Espace) Et encore cette petite table d’analogies : MUSIQUE PLASTIQUE Rythme (mouvement) Harmonie (son) Forme (lignes) Lumière Les rythmes Mesures Timbres L’harmonie Geste (trait) Attitude Coloris Valeurss TEMPS ESPACE On remarque que chaque ordre dans la musique correspond à l’ordre de même rang et de même position dans la plastique ; ainsi Rythme à forme, Harmonie à lumière, valeurs à harmonie, rythmes libres à gestes, etc.

70. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 16, des pantomimes ou des acteurs qui joüoient sans parler » pp. 265-295

Il veut ensuite qu’on enseigne à cet acteur la musique, l’histoire, et je ne sçais combien d’autres choses capables de faire mériter le nom d’homme de lettres à celui qui les auroit apprises. […] Enfin des hommes que Polymnie, la muse qui présidoit à la musique, avoit formez, afin de montrer qu’il n’étoit pas besoin d’articuler des mots pour faire entendre sa pensée. […] Il dit entr’autres choses qu’un philosophe cinique traitoit de badinage puérile l’art de ces comediens muets, et qu’il le définissoit un recueil des gestes que la musique et l’appareil de l’execution faisoient passer. […] Les romains étoient épris des spectacles, comme on le voit dans le traité de la musique qui est dans les oeuvres de Plutarque. tous ceux qui se mettent à la musique se donnent à la théatrale pour delecter.

71. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

La musique a bien autre chose à faire que d’exercer notre sagacité. […] Car la musique non descriptive est néanmoins expressive. […] Quelle chose étrange que la musique ! […] Ainsi la musique est esthétique par essence. […] Quand on compare la musique et la poésie au point de vue du rythme, on est frappé de l’immense supériorité de la musique.

72. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome III pp. -

Il intitula son ouvrage : Comparaison de la musique Italienne, & de la musique Françoise. […] La musique Italienne fut très-préconisée. […] Il se connoissoit en musique : il étoit même compositeur. […] La comparaison étoit à l’avantage de la musique Ultramontaine. […] Rousseau sur la musique Françoise.

73. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

C’est ce qui a fait dire que la musique est la photographie des passions. […] La musique de Beethoven est tout un monde. […] Voilà l’effet des tableaux de Rubens et de la musique de Handel à Naples. […] Il y a la musique protestante, comme la musique catholique. […] J’imagine, d’après ce qu’on nous rapporte, que la musique lacédémonienne était une sorte de musique protestante.

74. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers libre  »

La poésie est faite pour être récitée, comme la musique pour être jouée. Il est certain qu’à l’origine la parole, la musique et la danse concouraient équitablement à la poésie : la danse pourrait être l’origine du rythme. […] Elle a sans doute été plus longtemps exclusivement fidèle à la musique, mais en séparant, pour ne les rejoindre que dans l’effet produit, deux arts déjà trop perfectionnés pour se confondre. […] En tous il y a une grande richesse d’images, la preuve d’une réelle force de création, des variations heureuses sur des thèmes variés, et le souci de rendre sa pensée poétique à la fois comme spectacle et comme musique ; les images chantent et les musiques se dessinent. […] Même sans la musique le Victimae pascali laudes est un admirable poème en vers libres.

75. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

À son retour à Chambéry, il n’y trouve plus madame de Warens. « Quant à ma désertion, dit-il, du pauvre maître de musique, je ne la trouvais pas si coupable. » Plus tard, cependant, il se la reproche ; mais le maître, à qui on avait volé jusqu’à ses instruments, sa musique et son gagne-pain, était mort de cet abandon. […] Sa musique naïve et semi-italienne le révèle aux théâtres de société ; il tente de s’élever jusqu’à la scène de l’Opéra ; ses comédies, ses poésies, ses romances, lui créent une demi-renommée de salon. […] Il se fait copiste de musique à tant la page ; ses patrons lui fournissent abondamment du travail et secourent, à son insu, Thérèse et sa mère, pour aider le pauvre ménage sans blesser les susceptibilités de l’orgueilleux copiste. […] Rousseau vivait du prix de ces copies et de la musique qu’on lui commandait par le désir d’obliger un homme illustre. […] Ce style, qui n’était ni grec, ni latin, ni français, mais helvétique, ravit par sa nouveauté toutes les oreilles : musique alpestre qui semblait un écho des montagnes, des lacs et des torrents de l’Helvétie.

76. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

La musique les soumet à l’empire des sensations. […] La musique est donc ici chargée de l’exposition dramatique et élevée au rang de confident. […] C’est d’ailleurs là un des rôles les plus fréquents et des moins complexes de la musique. […] La musique est ici la caractéristique de la passion qui a jeté Fabiani aux pieds de la reine. […] Voilà le véritable emploi de la musique au théâtre.

77. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

Analyse de ces méthodes dans les arts plastiques et musiques et dans les lettres. […] Cependant un artiste peut avoir une idée abstraite comme point de départ même et parvenir à l’exprimer ensuite harmonieusement par la musique ou la plastique. […] Alors la peinture se fait superficielle et sans saveur, la sculpture incohérente ou glacée ; la musique, devenue descriptive, n’est plus de la musique, la littérature disparaît en phrases incolores ou déclamatoires. […] La même erreur, et maintes fois pareillement rachetée, existe aussi en musique. […] De même la musique ne peut créer un paysage ; mais elle l’évoque en exprimant les sentiments qu’il éveille dans l’homme, en suscitant des gestes et des attitudes, traducteurs naturels de ce sentiment.

78. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Grimm avait le sentiment vif de la musique ; il prit parti avec feu pour la musique italienne contre la musique française ; il se montrait en cela homme de goût, et il le fut avec l’enthousiasme de son pays et de son âge. Il trouvait que, dans la musique française telle qu’elle était à ce moment, on ne sortait du récitatif ou plain-chant que pour crier au lieu de chanter. […] la grande et belle voix, la voix unique, s’écriait-il, toujours égale, toujours fraîche, brillante et légère, qui, par son talent, a appris à sa nation qu’on pouvait chanter en français, et qui, avec la même hardiesse, a osé donner une expression originale à la musique italienne. » Il ne sortait jamais de l’entendre « sans avoir la tête exaltée, sans être dans cette disposition qui fait qu’on se sent capable de dire ou de faire de belles et de grandes choses ». […] Il aime passionnément la musique ; nous en avons fait avec lui, Rousseau et Francueil toute l’après-dînée. […] Celui-ci, par exemple, était venu rapporter à M. d’Épinay les copies de douze morceaux de musique qu’il avait faites pour lui.

79. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mallarmé, Stéphane (1842-1898) »

Lorsque tant de contemporains font de la peinture avec des mots, voici un poète qui s’en sert pour faire de la musique. […] Il conçut le poème une musique, non l’inarticulé balbutiement dont chaque flot sonore meurt perpétuellement au seuil de l’inexprimé, mais la vraie, l’idéale musique abstraite, dégageant le rythme épars des choses, douant d’authenticité, par la création divine du langage, notre séjour au sein des apparences fugaces. […] Ces meilleures mélopées où l’alexandrin s’enroule en courbes molles et longuement modulées, ces graves poèmes où, par l’analogie des métaphores et l’harmonieuse combinaison des consonances, la parole parvient à des effets symphoniques, ce fut Léon Dierx qui en découvrit la musique.

80. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mikhaël, Éphraïm (1866-1890) »

Ses vers sont même, si l’on veut, des musiques ; mais ces musiques ne sont pas sagement enchaînées pour former des symphonies totales et pour traduire des émotions définies. […] Le premier acte de cette œuvre, mis en musique par Emmanuel Chabrier, fut interprété, pour la première fois, le dimanche 31 janvier 1897, aux Concerts Lamoureux.

81. (1757) Réflexions sur le goût

Il n’accordera sur ce point ni tout à la nature ni tout à l’opinion ; il reconnaîtra, que comme la musique a un effet général sur tous les peuples, quoique la musique des uns ne plaise pas toujours aux autres, de même tous les peuples sont sensibles à l’harmonie poétique, quoique leur poésie soit fort différente. C’est en examinant avec attention cette différence, qu’il parviendra à déterminer jusqu’à quel point l’habitude influe sur le plaisir que nous font la poésie et la musique, ce que l’habitude ajoute de réel à ce plaisir, et ce que l’opinion peut aussi y joindre d’illusoire. […] Combien de fois n’est-il pas arrivé qu’une musique qui nous avait d’abord déplu, nous a ravis ensuite lorsque l’oreille à force de l’entendre est parvenue à en démêler toute l’expression et la finesse ? […] La Motte a avancé que les vers n’étaient pas essentiels aux pièces de théâtre : pour prouver cette opinion, très soutenable en elle-même, il a écrit contre la poésie, et par là il n’a fait que nuire à sa cause ; il ne lui restait plus qu’à écrire contre la musique, pour prouver que le chant n’est pas essentiel à la tragédie.

82. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre II »

De son côté, Frantz fait le fier et prétend à toute force lui donner pour rien sa musique. […] Mozart vendait bien sa musique, et Mozart, il me semble, était bien un aussi grand seigneur que M.  […] Cet homme assurément aimait fort la musique ! […] » Ce n’est pas tout : le baron n’aime pas la musique, il n’entend pas que Frantz continue à croquer des notes, tandis qu’il mangera son argent. […] Pour un nom d’emprunt, pour des armoiries de pacotille, pour une alliance véreuse et vénale, il reniera sa famille, ses amis, sa maîtresse et sa musique !

83. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — La déclamation. » pp. 421-441

Il dit qu’il a consulté là-dessus des musiciens, & qu’ils l’ont tous assuré qu’il étoit très-facile d’en exprimer les inflexions avec les notes actuelles de la musique ; qu’il suffiroit de leur donner la moitié de la valeur qu’elles ont dans le chant, & de faire la même réduction à l’égard des mesures. […] Il va plus loin, & prétend que, quand même il seroit possible de noter la déclamation comme la musique, on ne devroit pas admettre le systême de l’abbé Dubos ; parce que ce systême nuiroit plus qu’il n’aideroit aux acteurs ; qu’il étoufferoit le talent des meilleurs, & rendroit les médiocres détestables. […] L’abbé Vatri l’a défendue également : il ose dire qu’elle étoit un vrai chant musical, & regrette fort que nous n’ayons pas cette musique. […] Celui qui a de l’oreille & de la musique, toutes choses égales d’ailleurs, lit & déclame mieux qu’un autre. C’est pour cela que l’étude de la musique entroit dans l’éducation des Grecs.

84. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 13, de la saltation ou de l’art du geste, appellé par quelques auteurs la musique hypocritique » pp. 211-233

Section 13, de la saltation ou de l’art du geste, appellé par quelques auteurs la musique hypocritique Dés qu’on est une fois au fait du partage de la déclamation sur le théatre des anciens, on en rencontre des preuves dans bien des livres où l’on n’en apperçoit pas avant que d’avoir été éclairé sur cet usage. […] Les auteurs qui ont donné la division de la musique des anciens, font présider à leur danse la musique hypocritique. Elle étoit la même que les latins appellent quelquefois la musique muette. […] Nos ancêtres, dit Cassiodore, ont appellé musique muette celui des arts musicaux, qui montre à parler sans ouvrir la bouche, à dire tout avec les gestes, et qui enseigne même à faire entendre par certains mouvemens des mains comme par differentes attitudes du corps, ce qu’on auroit bien de la peine à faire comprendre par un discours suivi ou par une page d’écriture.

85. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVe entretien. Littérature grecque. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère » pp. 31-64

Enfin, le sixième élément nécessaire à cette création intérieure et extérieure qu’on appelle poésie, c’est le sentiment musical dans l’oreille des grands poètes, parce que la poésie chante au lieu de parler, et que tout chant a besoin de musique pour le noter, et pour le rendre plus retentissant et plus voluptueux à nos sens et à notre âme. […] On appelait le chant, alors, tout ce qui parle, tout ce qui exprime, tout ce qui peint à l’imagination, au cœur, aux sens, tout ce qui chante en nous, la grammaire, la lecture, l’écriture, les lettres, l’éloquence, les vers, la musique ; car ce que les anciens entendaient par musique s’appliquait à l’âme autant qu’aux oreilles. […] Cette musique n’était que l’art de conformer le vers à l’accent et l’accent aux vers. Voilà pourquoi on appelait l’école de Phémius une école de musique : musique de l’âme et de l’oreille, qui s’emparait de l’homme tout entier. […] Et cette langue encore cadencée par un tel rythme de la mesure est pleine d’une telle musique des mots que chaque pensée semble entrer dans l’âme par l’oreille, non seulement comme une intelligence, mais aussi comme une volupté !

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