Moreau (de Tours) a pris l’apparence pour la réalité, l’accident pour la substance, les symptômes plus ou moins variables pour le fond et pour l’essence. […] Sur ce premier point, je fais observer d’abord que, parmi les faits cités, il en est qui n’ont absolument rien de particulier : « Montesquieu, dit-on, jetait les bases de l’Esprit des lois au fond d’une chaise de poste. » Qu’y a-t-il là d’extraordinaire ? […] J’ajoute que, sans être de son avis, sur le fond de la question, je crois qu’il a rencontré, chemin faisant, beaucoup de vérités particulières, qui sont plus instructives et plus intéressantes que la thèse chimérique qu’il prétend établir.
Il y a sans doute une certaine naïveté dans la forme ; mais il a parfaitement raison ; je dirai de même, et avec autant d’ingénuité, que c’est surtout dans l’exceptionnel qu’il faut un fond de vérité générale qui nous persuade que, si anormal qu’il soit, il est vrai encore, et qui, par là, lui rende en quelque sorte son autorité sur nous et par suite son intérêt. […] Dans les livres de philosophie, on va chercher des idées générales, dans les romans réalistes des observations, dans les romans idéalistes de beaux sentiments, dans les poètes tout cela et de plus des inventions de rythme, des trouvailles de mélodie, d’harmonie, toute une technique, qui ici, a autant d’importance que le fond ; et de cette technique on ne jouit, à cette technique on ne se plaît, à cette technique on ne se joue amoureusement, que si soi-même on s’en est mêlé, que si on s’y est essayé, que si l’on en a mesuré les difficultés, que si l’on y a atteint soi-même à quelques petits succès relatifs ; comme il n’y a que les musiciens qui comprennent la musique, et les autres, quand ils croient y entendre quelque chose, sont des snobs, il n’y a que les hommes qui ont été un peu versificateurs qui comprennent les poètes. […] Et enfin on s’aperçoit assez souvent, surtout chez les femmes, qu’un très grand goût de lectures romanesques n’est qu’une surface et qu’en leur fond on les trouvera très réalistes et très pratiques ; je dis assez souvent.
Fervaques et Bachaumont ont voulu, pour plus d’intérêt aux yeux du public, donner à leur livre une forme romanesque ; mais, pour eux, au fond, la grande affaire était de peindre la société des dernières années de l’Empire. […] Arsène Houssaye aurait appris une foule de choses à qui n’allait point à Mabille ou chez Μ. le duc de Persigny, mais son coup d’œil et son coup de pinceau n’entraient pas jusqu’à la grande nature humaine, qui est au fond et même le fond de toute société, si civilisée, si corrompue, si chinoise qu’une société puisse être.
Les heures de la nuit s’écoulaient, et je ne m’en apercevais pas ; je suivais avec anxiété ma pensée, qui de couche en couche descendait vers le fond de ma conscience, et, dissipant l’une après l’autre toutes les illusions qui m’en avaient jusque-là dérobé la vue, m’en rendait de moment en moment les détours plus visibles ! […] Je sus alors qu’au fond de moi-même il n’y avait plus rien qui fût debout. […] Il était si possédé de sa passion, qu’il l’apercevait en tout le monde et l’imposait au genre humain ; le fond de l’homme, à ses yeux, est la connaissance de la vérité morale.
Nous tâcherons d’en retracer la scène, les accidents principaux, et d’en ranimer quelques acteurs du fond de ces vastes cimetières appelés journaux, où ils gisent presque sans nom. […] Avec un esprit si supérieur, n’allez-vous pas quelquefois au fond de tout, c’est-à-dire jusqu’à la peine ? […] Mais l’un dans sa plaine, du fond de son château assez mince, en vue de ses jardins taillés et peu ombragés, détruit et raille. […] Un trait essentiel de la vaste hospitalité de Coppet, c’était un fond d’ordre au milieu de tant de variété et de diversion ; on sentait toute l’aisance de la richesse sans rien de ces profusions qui minent trop souvent et dégradent de près de brillantes existences. […] Pur écrivain de société, il ne va au fond de rien, et quand il a une plaisanterie, il la délaie ; ce qui ôte aussi de la gentillesse. — Mme de Staël, qui, du reste, gardait si peu de ressentiment, en voulut, par exception, à M. de Feletz.
On étoit si peu accoutumé alors à la bonne critique, que son Cymbalum Mundi fut regardé comme une Production étonnante ; dans le fond, ce n’est autre chose qu’un Recueil de Dialogues satiriques qui n’offrent rien de juste & de piquant.
Ce prétendu Poëte n’étoit au fond qu’un Rimeur, dont les Vers n’ont guere été connus que de lui seul & de l’Imprimeur, qui fut forcé de les lire avant de les mettre sous presse.
C'est servir essentiellement les Lettres, que de contribuer à leur accroissement par les bonnes Productions étrangeres ; on n'est pas toujours aussi heureux, quand on n'y contribue que de son propre fond.
Un jeune rossignol chante au fond de mon cœur. […] Il subissait l’influence des romantiques, et il était au fond le moins romantique des hommes. […] Il est si enfant, qu’il est capable de trouver amusant, au fond, de gagner son souper en filant. […] Mais je vous écris cet écrit du fond du système cellulaire. […] Et elle a délaissé Musset, qu’elle trouvait aussi démodé par le fond que par la forme.
Voilà pour les assassins de mon roman dont, au fond, j’ai voulu faire quelque chose comme une réponse aux romans russes. […] Au fond, je ne suis guère plus un homme qu’elles ne sont des femmes. […] Non en public, parbleu, pas à haute voix, mais au fond, dans les aveux, qu’on se chuchote dans la cave de sa conscience. […] Je signale aux musiciens une délicieuse cantilène que le prisonnier entend au loin, du fond de son cachot. […] Ils plongeaient leurs regards dans la vaste cour au fond de laquelle s’élevait le monument.
Ici, forme et fond, pensée et langue, tout est à lui. […] Au fond, Alberoni n’est pas un esprit souple. […] Mais, de plus, il a un fond de nature fière, qui rejette parfois le bruit et la fanfaronnade. […] Et puis, que sont-ils au fond ? […] Hommes du monde, comment songeraient-ils à regarder ce qu’il y a au fond de la vie du monde ?
Cet intérêt consistera dans l’étrangeté même des mœurs qui sont le fond de leurs ouvrages. […] Quelles bonnes après-midi, seuls, à l’ombre, dans le fond du jardin ! […] gémit-elle, du fond de ses chutes, après l’innocence perdue ? […] Baudelaire est au fond de l’ornière sur laquelle penche M. […] Le pis est, pour la forme comme pour le fond, que le poète ne paraît pas sincère ; et quel intérêt peut offrir ce vice à froid ?
Robert Dreyfus montre avec esprit qu’au fond M. […] Mais individualiste, au fond, ce féodal l’a toujours été. […] Cette sagesse était le fond de la morale grecque. […] Il y a un fond de bon sens dans ces théories. […] En réalité, si l’on va au fond des choses, M.
Cette querelle est au fond ce qu’il y a de plus faux et de plus injuste. […] Au fond l’autorité de Louis XIV et la sienne étaient extrêmement bornées par les mœurs et par les institutions. […] Racine, qui n’avait point fait de satires, et qui depuis tant d’années avait quitté le théâtre, était cependant le plus détesté ; il était dévot, janséniste, courtisan, et beaucoup plus malin que Boileau, qui, au fond, était doux, franc et bon homme. […] Quelques années auparavant, Quinault avait déjà donné l’Amant indiscret, pièce qui eut beaucoup de succès, et qui est au fond la même chose que l’Étourdi de Molière. […] Ce fond est mis en œuvre avec la gaîté libre et franche, l’esprit naturel qui était à la mode dans ce temps-là.
Ce Religieux a composé une Vie du Maréchal Fabert, où la même plume se montre avec les mêmes défauts, ainsi que dans son Histoire des Loix & des Tribunaux, très-capable d’intéresser par le fond des choses, mais dégoûtante par la pesanteur de l’élocution.
On a de lui un Recueil de Mémoires & de Plaidoyers, dont l’éloquence feroit plus à l’abri des reproches, si trop de négligence n’en affoiblissoit le style, si le fond des choses annonçoit plus d’examen & de réflexions, & si la maniere de les rendre étoit toujours conforme à la gravité qu’exigent ces sortes d’Ecrits.
Ses Amusemens philosophiques offrent une variété de sujets qui plairoit davantage, par les vûes excellentes qui y étincellent de temps en temps, pour peu que le style en fût plus naturel, & dégagé d’un entortillage que l’Auteur a peut-être pris pour de la force, mais qui n’est, dans le fond, qu’un effort pénible d’imagination, qui conduit à l’obscurité.
Il faut que les fleurs papillotent avec le fond qui, s’il est blanc surtout, forme comme une multitude de petites lumières éparses.
Le manteau royal qui couvre sa poitrine et ses épaules, descendant entre le fond du tableau et ses jambes, qu’on voit depuis le milieu de la cuisse, achève de détacher ces parties de la toile, et celles-ci entraînent les autres.
. — Pendant tout le dix-septième siècle, cette théorie subsiste encore au fond de toutes les âmes sous forme d’habitude fixe et de respect inné ; on ne la soumet pas à l’examen. […] Mais voici que les rôles s’intervertissent ; du premier rang, la tradition descend au second, et du second rang, la raison monte au premier. — D’un côté la religion et la monarchie, par leurs excès et leurs méfaits sous Louis XIV, par leur relâchement et leur insuffisance sous Louis XV, démolissent pièce à pièce le fond de vénération héréditaire et d’obéissance filiale qui leur servait de base et qui les soutenait dans une région supérieure, au-dessus de toute contestation et de tout examen ; c’est pourquoi, insensiblement, l’autorité de la tradition décroît et disparaît. De l’autre côté la science, par ses découvertes grandioses et multipliées, construit pièce à pièce le fond de confiance et de déférence universelles qui, de l’état de curiosité intéressante, l’élève au rang de pouvoir public ; ainsi, par degrés, l’autorité de la raison grandit et prend toute la place. — Il arrive un moment où, la seconde autorité ayant dépossédé la première, les idées mères que la tradition se réservait tombent sous les prises de la raison. […] Ce qu’on peut dire de mieux en faveur « d’une nation policée394 », c’est que ses lois, coutumes et pratiques se composent « pour moitié d’abus, et pour « moitié d’usages tolérables » Mais sous ces législations positives qui toutes se contredisent entre elles et dont chacune se contredit elle-même, il est une loi naturelle sous-entendue dans les codes, appliquée dans les mœurs, écrite dans les cœurs. « Montrez-moi un pays où il soit honnête de me ravir le fruit de mon travail, de violer sa promesse, de mentir pour nuire, de calomnier, d’assassiner, d’empoisonner, d’être ingrat envers son bienfaiteur, de battre son père et sa mère quand ils vous présentent à manger. » — « Ce qui est juste ou injuste paraît tel à l’univers entier », et, dans la pire société, toujours la force se met à quelques égards au service du droit, de même que, dans la pire religion, toujours le dogme extravagant proclame en quelque façon un architecte suprême Ainsi les religions et les sociétés, dissoutes par l’examen, laissent apercevoir au fond du creuset, les unes un résidu de vérité, les autres un résidu de justice, reliquat petit, mais précieux, sorte de lingot d’or que la tradition conserve, que la raison épure, et qui, peu à peu, dégagé de ses alliages, élaboré, employé à tous les usages, doit fournir seul toute la substance de la religion et tous les fils de la société. […] » — On reconnaît, à travers la théorie, l’accent personnel, la rancune du plébéien pauvre, aigri, qui entrant dans le monde, a trouvé les places prises et n’a pas su se faire la sienne, qui marque dans ses confessions le jour à partir duquel il a cessé de sentir la faim, qui, faute de mieux, vit en concubinage avec une servante et met ses cinq enfants à l’hôpital, tour à tour valet, commis, bohême, précepteur, copiste, toujours aux aguets et aux expédients pour maintenir son indépendance, révolté par le contraste de la condition qu’il subit et de l’âme qu’il se sent, n’échappant à l’envie que par le dénigrement, et gardant au fond de son cœur une amertume ancienne « contre les riches et les heureux du monde, comme s’ils l’eussent été à ses dépens et que leur prétendu bonheur eût été usurpé sur le sien421 » Non seulement la propriété est injuste par son origine, mais encore, par une seconde injustice, elle attire à soi la puissance, et sa malfaisance grandit comme un chancre sous la partialité de la loi. « Tous les avantages de la société422 ne sont-ils pas pour les puissants et pour les riches ?
De tous temps, il y a eu des esprits oisifs et rêveurs qui ont prétendu ainsi refaire de fond en comble le monde religieux, politique ou social à leur image. […] XXIX Arrêtons-nous, car cet abîme des utopies antisociales n’a pas de fond. […] XXX Un livre où le traducteur cite ces pages, qui font rougir la pudeur et refluer tout instinct de famille jusqu’au fond du cœur scandalisé : « Partout où il arrivera que les femmes soient communes, les enfants communs, les biens de toutes espèces communs, et où l’on aura retranché des relations de la vie jusqu’au nom même de propriété… on peut assurer que là est le comble de la vertu… Un tel État, qu’il ait pour habitants les dieux ou des enfants des dieux, est l’asile du bonheur parfait ; il faut en approcher le plus possible ! […] Carthage, société de commerce et de navigation, comme aujourd’hui la Grande-Bretagne, ne pouvait être qu’un gouvernement mixte de marins, de soldats, de sénateurs enrichis, de pauvres acharnés à s’enrichir ; un gouvernement à trois ou quatre pouvoirs contrebalancés par des intérêts ; l’or devait être au fond de toutes ses expéditions comme au fond de toutes ses pensées.
De bonne heure, dès 1641, épuisé de travail, il ressent les atteintes de la maladie qui n’aura pas sur le fond de son œuvre l’influence capitale qu’on prétend parfois, mais qui, du moins, exaspérant sa sensibilité, donnera à son style un frémissement singulier. […] Ne parlant qu’à la raison, il a fondé solidement ses arguments sur des bases éternelles, sur les principes essentiels de la moralité et de l’intelligence humaines, sur notre impérissable sens du vrai et du bien : il a dû pour cela sonder ces questions théologiques qu’il débattait, jusqu’à ce qu’il eût découvert le fond solide des lieux communs où la vie morale de l’homme est nécessairement comprise. […] Ses idées sur la religion, au fond, n’ont rien de nouveau : pas même ses idées morales, politiques, sociales. […] D’autres théories de Pascal sont celles du temps : sa doctrine politique, au fond, se réduit à des opinions assez répandues parmi le tiers état intelligent depuis la fin du xvie siècle, et elle se retrouvera, l’accent seulement étant changé, dans la Politique de Bossuet. […] Toutes les remarques portent, et il n’y en a point qui ne donnent à penser longuement, quand il explique le mécanisme de l’amour-propre, ou qu’il montre l’imagination et les nerfs plus maîtres de nous que notre raison, quand il nous promène à travers le monde cherchant une morale fixe, des lois communes, quand il sonde l’institution sociale, le principe monarchique, pour ne trouver au fond, à l’origine, que la force, et qu’il autorise si superbement le respect traditionnel des lois, de la hiérarchie, de l’hérédité dynastique.
Au fond les romanciers voudraient n’avoir qu’à être des romanciers pour être profonds. […] Au fond c’est partout le même débat. […] C’est uniquement, au fond, parce qu’elle est résolue. […] Mais l’une et l’autre sont conjointes et ont exactement le même procédé) : « Ma seconde maxime était d’être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, … Au fond sa grande maxime de méthode est aussi d’être le plus ferme et le plus résolu en ses pensées qu’il le pourrait. […] Je ne veux point dans cette simple note entrer dans le fond du débat bergsonien.
Il étoit réservé à Racine de faire de l’amour le fond de ses tragédies. […] Tout ce que nous avons dit de la tragédie, on peut le dire également de l’opéra, que Saint-Evremont appelle une sottise, en ajoutant, qu’une sottise chargée de musique, de danses, de machine, de décorations, est une sottise magnifique ; mais toujours sottise ; que c’est un vilain fond sous de beaux dehors. […] Le peu de comique qui s’y trouve est noble, & naît du fond du sujet : il n’y a de comique qu’entre les deux amans Darviane & Rosalie. […] M. de Voltaire, en parlant de la comédie & des comédiens, n’a point traité pleinement le fond de la question ; il s’est étendu sur l’historique. […] On voit qu’il ne s’explique qu’à demi ; qu’il craint d’ajouter à la fermentation qu’il a déjà causée ; & que, dans le fond de l’ame, il ne voudroit de théâtre nulle part.
Et quand Sganarelle réussit à faire rentrer Pancrace et à l’enfermer à l’intérieur de la maison (j’allais dire au fond de la boîte), tout à coup la tête de Pancrace réapparaît par la fenêtre qui s’ouvre, comme si elle faisait sauter un couvercle. […] C’est le jeu du chat qui s’amuse avec la souris, le jeu de l’enfant qui pousse et repousse le diable au fond de sa boite, — mais raffiné, spiritualisé, transporté dans la sphère des sentiments et des idées. […] L’histoire du persécuteur victime de sa persécution, du dupeur dupé, fait le fond de bien des comédies. […] Qu’elle tombe maintenant au fond d’une cuve, son mari refusera de l’en tirer : « cela n’est pas sur son rôlet ». […] Il s’agit toujours, au fond, d’une interversion de rôles, et d’une situation qui se retourne contre celui qui la crée.
On répondra que ces gens s’ennuyaient, que ces mœurs étaient une tradition, qu’un amusement est un accident, qu’au fond le cœur n’était pas vil : « Nanon, la vieille servante de madame de Maintenon, était une demi-fée à qui les princesses se trouvaient heureuses quand elles avaient occasion de parler et d’embrasser, toutes filles de roi qu’elles étaient, et à qui les ministres qui travaillaient chez madame de Maintenon faisaient la révérence bien bas. » L’intendant Voysin, petit roturier, étant devenu ministre, « jusqu’à Monseigneur se piqua de dire qu’il était des amis de madame Voysin, depuis leur connaissance en Flandre. » On verra dans Saint-Simon comment Louvois, pour se maintenir, brûla le Palatinat, comment Barbezieux, pour perdre son rival, ruina nos victoires d’Espagne. […] La soif qui brûlait leur cœur, la furieuse passion qui les prosternait aux genoux du maître, l’âpre aiguillon du désir invincible qui les précipitait dans les extrêmes terreurs et jusqu’au fond des plus basses complaisances, était la vanité insatiable et l’acharnement du rang. […] Il passait sa vie dans les sapes. » Ne voyez-vous pas la bête souterraine, furet furieux, échauffé par le sang qu’il suce, sifflant et jurant au fond des terriers qu’il sonde ? […] Cette crudité de style et cette violence de vérité ne sont que les effets de la passion ; voici la passion pure : Prenez l’affaire la plus mince, une querelle de préséance, une picoterie, une question de pliant et de fauteuil, tout au plus digne de la comtesse d’Escarbagnas : elle s’agrandit, elle devient un monstre, elle prend tout le cœur et l’esprit ; on y voit le suprême bonheur de toute une vie, la joie délicieuse avalée à longs traits et savourée jusqu’au fond de la coupe, le superbe triomphe, digne objet des efforts les plus soutenus, les mieux combinés et les plus grands ; on pense assister à quelque victoire romaine, signalée par l’anéantissement d’un peuple entier, et il s’agit tout simplement d’une mortification infligée à un Parlement et à un président. […] Ajoutez des expressions vieillies, populaires, de circonstance ou de mode ; le vocabulaire fouillé jusqu’au fond, les mots pris partout, pourvu qu’ils suffisent à l’émotion présente, et par-dessus tout une opulence d’images passionnées digne d’un poète.
Laujon, c’est que le sentiment y consiste moins dans une affectation de paroles doucereuses, que dans un fond de chaleur & de sensibilité qui anime l’expression.
Le style est aussi médiocre que le fond des pensées est commun.
Il est vrai que, de l’exercice de cette liberté même, et de ce fond d’individualisme, une autre idée se dégage, que l’on peut appeler l’idée maîtresse de la Renaissance, et une idée dont les étrangers eux-mêmes conviennent que François Rabelais a été la vivante incarnation : c’est l’idée de la bonté ou de la divinité de la Nature. […] Voilà pour le fond. […] Estienne Pasquier, Recherches de la France, livre VII, chap. 8, 9 et 10], la solidité, la gravité, la dignité du fond. […] ii], — deviennent comme « indifférents au contenu », dont la forme seule est encore capable d’intéresser leurs sens, c’est précisément « au contenu » ou au fond des choses que nos écrivains s’attachent ; et ce qu’ils essaient d’en exprimer, c’est ce qu’ils voient ou ce qu’ils croient voir en elles de plus permanent et de plus universel. […] Les Sources du Roman. — Le fond mythique ou mythologique [Cf.
s’écria au fond du Parterre le véritable Auteur.
Les Symbolistes ne sont symbolistes que dans leur forme, non dans le fond, dans le sujet de leurs œuvres. […] Cette clarté est si fine, si légère, si ténue qu’elle fond parfois tous les tons dans une sorte de buée lunaire qui fait songer aux féeries anglaises. […] IV. — Les questions de fond. […] Au fond cette question, ainsi que la question latine, a été mal posée. […] Celui-ci s’est particulièrement occupé des questions de forme ; celui-là a surtout écrit sur le fond même du lyrisme actuel.
Ce n’est pas que celui du Cardinal du Perron ne soit analogue au genre de travaux qui ont exercé sa plume ; mais aujourd’hui que l’expression est ce qui flatte par excellence, & aveugle si aisément sur le fond des choses, ses Ecrits auroient peine à trouver des Lecteurs parmi nos Amateurs de l’élégance.
Roland de la porte un crucifix de bronze, sur un fond de velours bleu imitant le relief. tableau de 2 pieds de haut, sur un pied un tiers de large.
Je n’ai garde, à ce propos, de vouloir toucher le fond de la question. […] Mais, au fond, n’est-ce pas la même chose qu’ils appellent de noms différents ? […] Renan, rien ne paraît sans doute plus clair, mais, au fond et en réalité, je pense que rien ne l’est moins. […] Mais Strauss, au fond, avait raison. […] Il ne triomphera point des lois de sa nature, et sa nature en son fond ne cessera pas d’être identique à elle-même.
Le fond de cet ouvrage est certainement composé par un de ces Polonais qui résident à Paris. […] Le collectivisme c’est le despotisme ; et le fond de Montesquieu, c’est l’horreur du despotisme sous quelque forme qu’il se présente. […] Quelle est donc l’espèce de philosophie qui fait dire des choses que le sens commun réprouve du fond de la Chine jusqu’au Canada ? […] Frédéric de Prusse lui fit des compliments et des critiques de détail ; mais ne lui répondit rien sur le fond, du moins à cette époque. […] Mais, en son fond, il n’était rien moins qu’une religion qui niait, qui proscrivait, qui accusait d’imposture toutes les autres.
C’est, le cri qui nous parvient du fond des âges les plus reculés. […] Elle se détache sur un fond d’idées religieuses et morales extrêmement curieux. […] Quant à l’énorme Lucifer, Dante l’a incrusté dans la glace jusqu’à mi-corps, au fin fond de l’Enfer. […] Au fond de l’ancienne Cour de Langres, ses deux ailes dominaient le jardin des Pères. […] Son livre perd ce riche fond d’histoire qui donnait tant de valeur à son premier ouvrage.
Ce grand tableau qui occupe et éclaire toute la paroi du fond, c’est Corinne au cap Misène : ainsi le souvenir d’une amitié glorieuse remplit, illumine toute une vie. […] Le fond de son dessin est d’ordinaire vaste et distinct, les bois, la mer retentissante, la simplicité lumineuse des horizons ; et c’est par là qu’on le retrouve surtout homérique et sophocléen. […] Mais cela tourne bientôt à la gravité solitaire et à la mélancolique grandeur qui est le fond de cette nature de René : « Vingt fois depuis cette époque, dit-il, j’ai fait la même observation, vingt fois des sociétés se sont formées et dissoutes autour de moi. […] Ballanche : « Tout se passe au fond de notre cœur, et c’est notre cœur seul qui donne à tout l’existence et la réalité. » Pendant qu’il joue au bord de la mer à Saint-Malo, le chevalier de Chateaubriand a pour ami d’enfance un compagnon espiègle, hardi et provocateur, qui exerce un grand empire sur lui, et à qui il attribue, comme à une étoile jumelle, une influence mystérieuse et superstitieuse sur sa destinée.
Que d’années d’étude ou de loisir durant lesquelles il dut se borner à lire avec douceur et réflexion, allant au fond des choses et attendant ! […] Il devait trouver au fond de son âme que c’était un peu trop de pur bon sens, et, sauf le vers qui relève, aussi peu rare que bien des lignes de Nicole. […] Mais non… ; La Bruyère en est encore pleinement, de son siècle incomparable, en ce qu’au milieu de tout ce travail contenu de nouveauté et de rajeunissement, il ne manque jamais, au fond, d’un certain goût Simple. […] Sous tant de formes gentilles, sémillantes ou solennelles, allez au fond : la nécessité de remplir des feuilles d’impression, de pousser à la colonne ou au volume sans faire semblant, est là.
Eh bien, ce livre, mauvais de forme, même de fond, a servi de texte à un excellent livre. […] Je savais bien au fond qu’on ne ressuscite ni peuple, ni nationalité, ni religion sur la terre au gré du caprice des imaginations d’orateurs ou de journalistes en quête de popularité. […] Je prévoyais que la Grèce ressuscitée, non par son génie propre, mais par un roi allemand, ne contenterait ni les Grecs ni les Turcs ; la question se réduisait donc, au fond, à savoir si nous préparerions aux Russes l’empire de la Méditerranée ; j’aimais mieux pour la France et pour l’Europe équilibrée les Turcs pour voisins que les Russes. […] Comme je tournais le fond du petit golfe de Thérapia, je rencontrai Athanase Christopoulos, le poète si célèbre déjà par ses chants anacréontiques.
Depuis les Contes épiques aux larges envols ; depuis le mystérieux et métaphysique Hespérus ; depuis les boréales splendeurs et les saignantes neiges du Soleil de minuit ; depuis Pagode, évoquant l’immémoriale énigme des farouches divinités de l’Inde, accroupies parmi les flammes, au fond des temples et tout embrasées d’or, où les strophes ont des sonorités de gong et des rythmes inquiétants de danses sacrées ; depuis les rires ailés, les mélancoliques sourires et les grâces attendries de l’Intermède ; depuis les Soirs moroses, où sont pleurés, avec quelle magnifique et douloureuse tristesse, les lassitudes, les souffrances, les effrois de l’amour et du doute, jusqu’aux modernes paysages dans lesquels la Grande Maguet dresse sa terrible silhouette de sorcière sublime, M. […] Lorsque, de leur propre poids, les Mères ennemies seront tombées au fond de l’oubli, le Docteur Blanc surnagera. […] C’est à l’humble auteur de Lidoire que l’auteur de Panteleïa , des Mères ennemies et de tant d’autres chefs-d’œuvre absolus en leur perfection a daigné confier la préface du très beau livre que voici, et si je m’étonne modérément, à ce témoignage nouveau d’une amitié capable de tout, je sens défaillir au fond de moi, de stupéfaction et d’orgueil, le rhétoricien de jadis. […] Je me l’imaginais claustré, ainsi qu’un simple Fils du Ciel, au fond d’un farouche lyrisme, où il vivait, muet solitaire, refusé aux regards des profanes ; — car je ne doutais pas qu’il se tînt à l’écart de la conversation des hommes, faite, selon moi, pour écœurer de nausées son absolutisme hautain de chantre éternellement visité par la Muse.
Le tour de cette apologie peut sentir l’affection ; mais le fond n’en fait pas tort à l’intégrité de jugement dont Balzac loue Descartes. […] C’est au fond la seule morale qu’il voulait qu’on tirât de toutes les pages de son livre. […] Le fond de ces lettres n’étant guère que la galanterie, quand elles sont à l’adresse des femmes, ou la flatterie, quand Voiture écrit à des hommes, la lecture en est à peine supportable. Il faut du courage pour aller chercher quelques tours heureux et neufs, qui manquaient à notre langue et y sont demeurés, dans cette multitude de lettres « toutes pures d’amour, pleines de feux, de flèches et de cœurs navrés », dont l’auteur, selon Mlle de Bourbon, une des plus agréables précieuses de la cour, « devrait être conservé dans du sucre. » Voiture, doué d’un esprit vif et ingénieux, très goûté des princes et des gens de la cour, agréable au grand Condé et au comte duc d’Olivarès, chargé de missions diplomatiques, ayant sur Balzac, qui rêvait, dans son orgueilleuse solitude, des cours et des princes imaginaires, l’avantage de voir de très près la cour et les princes de son époque, Voiture aurait pu employer sa finesse d’esprit à pénétrer le fond de tant d’intrigues politiques, et sa plume à en écrire gravement.
Sensibilité vive, mais passagère et sans vapeurs ; raison nourrie sans être profonde, n’enfonçant guère dans les choses, mais parfois, et de la première vue, en découvrant le fond ; gaieté, sans rien d’éventé ; une douce mélancolie qui se forme et se dissipe au moment où elle s’exprime ; pas de vieillesse, sans la prétention de ne pas vieillir ; beaucoup de mobilité, avec le lest d’un grand sens qui écarte de la conduite l’imagination et les caprices ; du goût pour les gens en disgrâce, mais sans rancune contre les puissants ; une pointe d’opposition, comme chez tous les frondeurs pardonnés qui n’osaient ni se plaindre ni regretter, et qui se ménageaient pour un retour de fortune ; le cœur de la meilleure mère qui fut jamais, quoi qu’on en ait dit, capable d’amitiés persévérantes, et qui craignit l’amour plutôt qu’elle ne l’ignora ; tels sont les principaux traits de ce caractère, où le solide se fait sentir sous l’aimable, et où l’aimable n’est jamais banal. […] De même que Bossuet trouvait dans sa croyance passionnée à la tradition de l’Église, la sagacité historique qui en aperçoit l’enchaînement sous la mobilité et sous les contradictions des grands corps qui la perpétuent, le sens du moraliste qui découvre au fond des cœurs les causes de la longue obéissance des peuples, l’intelligence qui comprend les grands orthodoxes, et je ne sais quelle amitié, à travers les siècles, qui fait de lui leur frère d’armes dans leurs luttes théologiques ; de même la prévention de Saint-Simon pour une monarchie absolue appuyée sur la noblesse, lui inspira une pénétration impitoyable pour découvrir les vices de la monarchie absolue remplaçant par des roturiers la noblesse disgraciée. […] La pensée ne leur arrive pas d’abord dans sa plénitude ; un premier travail la tire en quelque sorte du fond de leur esprit, et la leur montre, incertaine encore, dans une sorte de demi-jour. […] Grands seigneurs tous les deux, et fort entêtés de leurs titres, l’orgueil de la naissance est au fond de leur opposition.
Une véritable œuvre d’art dépend jusqu’à un certain point de son milieu : les Grecs le savaient bien, et Wagner l’a compris, en choisissant pour son théâtre ce coin retiré des montagnes bavaroises qui fait penser à un fond de tableau de Dürer : la promenade sous les vieux arbres du parc évoque déjà le moyen-âge, et l’on sent passer je ne sais quels souffles mystiques dans le paysage que domine la plate-forme de l’édifice : une étendue bosselée dont le vert est piqué des taches plus foncées des bois de sapins… En sorte que l’âme est toute prête aux accords religieux qui accompagnent la marche des chevaliers du Graal, et toute prête aussi à pénétrer le sens profond que lui offre la légende du « Pur-Simple, sachant par compassion… » J’ai entendu l’œuvre de Wagner un peu partout : à Cologne, la vieille ville amie, à Munich, à Berlin, à Bayreuth, et dans ce froid théâtre de Covent Garden qui devrait être à jamais réservé aux exhibitions mondaines. […] Dans la salle vaguement aperçue, tout à coup l’obscurité tombe, et un grand silence ; alors, en la nuit des yeux et des oreilles et de l’esprit, en la nuit vibrante des quinze cents âmes stupéfiées, un son naît, une résonnance voilée, une sonorité atténuée, emmêlée, dispersée, un mystique résonnement, — inlocalisable, — une intimement chaude mélodie, qui monte, qui s’enfle, et qui dans l’air invisible flotte, portant la pré-sensation des futurs tressaillements du Drame. — Ainsi le Drame se lève : — un rideau s’entrouvre, et, dans le fond, — saillant d’un cadre lointain, noir, obscur, vague, et indistinct, — un paysage apparaît, que nous attendions, et les hommes y sont, dont la vie, en nous inconsciemment vécue déjà, se va en nous revivre évidemment ; — tandis que, parmi l’angoisse des vivantes passions, des désespoirs, des joies, et des extases qui se poussent et s’appellent, parmi l’inéluctable empoignement des très réelles émotions, peu à peu nous descend, insensiblement et nécessairement, l’Explication, l’Idée, la Loi, le prodigieux troublement de l’Unité dernière, comprise. […] Dans l’ombre, on aperçoit le fleuve, au fond, et les rochers. […] Aussitôt, l’incendie s’élève, crépitant, et le feu remplit tout le fond.
Je ne le connais pas d’ailleurs ; mais s’il fallait deviner son caractère d’après sa petite comédie, je parierais qu’il est petit-maître, bon enfant au fond, mais vain, pétri de petits airs, de petites manières, ignorant et confiant à proportion ; en un mot, de cette pâte mêlée dont il résulte des enfants de vingt à vingt-cinq ans assez déplaisants, mais qui mûrissent cependant, et deviennent, à l’âge de trente à quarante ans, des hommes de mérite. […] Le fond en était pris à une ancienne pièce d’un auteur obscur, Belin. […] C’est par rapport au très grand monde seulement que Chamfort a pu dire : « Il paraît impossible que, dans l’état actuel de la société, il y ait un seul homme qui puisse montrer le fond de son âme et les détails de son caractère, et surtout de ses faiblesses, à son meilleur ami. » C’est ce grand monde uniquement qu’il avait en vue quand il disait : « La meilleure philosophie relativement au monde est d’allier, à son égard, le sarcasme de la gaieté avec l’indulgence du mépris. » C’est pour avoir trop vécu sur ce théâtre de lutte inégale, de ruse et de vanité, qu’il a pu dire son mot fameux : « J’ai été amené là par degrés : en vivant et en voyant les hommes, il faut que le cœur se brise ou se bronze. » J’ajouterai, pour infirmer l’autorité de certaines maximes de Chamfort et pour en dénoncer le côté faux, qu’elles viennent évidemment d’un homme qui n’a jamais eu de famille, qui n’a pas été attendri par elle ni en remontant ni en descendant, qui n’a pas eu de père et qui, à son tour, n’a pas voulu l’être. […] je crains qu’il n’y ait toujours un peu d’arsenic au fond.
. — « Le Parthénon, le Parthénon, répète-t-il deux ou trois fois, ça me remplit de l’horreur sacrée du lucus. » Et le voilà, prenant feu sur le beau antique, comme un dévot à propos de sa foi, et il nous conte en riant, mais avec une sorte de peur au fond de lui, la peur d’un païen contemporain des Éginètes, il nous conte l’histoire de ce savant allemand Ottfried Muller, qui avait nié la divinité solaire d’Apollon, et qui fut tué d’un coup de soleil. […] Style haché, coupé, tronçonné, où la trame et la liaison de la phrase ne sont plus, avec des idées jetées comme des couleurs sur la palette, et quelquefois une sorte d’empâtement au pouce… Mais plus haut, et au fond, une terrible menace que ce dernier livre du grand poète, et un peu l’ouverture de la grande Ruine qui sera demain. […] Chez Saint-Victor, 49, rue de Grenelle Saint-Germain, au fond d’une grande cour, un petit salon aux murs tout couverts de dessins de Raphaël et des grands maîtres italiens, fac-similés par Leroy. […] … Oui, la religion catholique, au fond c’est une fameuse mythologie !
Il me revenait aussi dans les yeux un original singulier, un vieil oncle de ma tante, travaillant dans le fond d’une écurie, à confectionner une voiture à trois roues, qui devait aller toute seule. […] * * * Vers le 26 mai Dans le passage galopant de tous ces landaus, de toutes ces calèches, de toutes ces victorias, dans tout ce luxe roulant, et jetant avec fracas, parmi la verdure, les couleurs voyantes de la mode de cette année, je suis frappé par la vue, au fond d’une de ces voitures, du rigide et noir costume d’une Sœur, c’est un rappel de la mort dans cette joie et cet éblouissement. […] Plus souvent encore, c’étaient des terreurs, des fuites de corps, des blottissements sous les draps, où il se cachait comme d’une apparition obstinément installée dans le fond de ses rideaux, et contre laquelle s’animait l’incohérence de sa parole : apparition qu’il désignait d’un doigt effrayé, et à laquelle il cria une fois très distinctement : « Va-t’en ! […] » Alors on l’a étendu au fond de la bière, sur un lit de poussière odoriférante, pendant qu’un de ces hommes disait : « Si ça fait mal à ce monsieur, il faut qu’il s’en aille !
Ce qui constitue le fond même du génie créateur, cette faculté de sortir de soi, de se dédoubler, de se dépersonnaliser, manifestation la plus haute de la sociabilité, est aussi ce qui fait le danger du génie. […] Nous ne voulons pas dire que la formation du génie n’obéisse pas au fond à des lois scientifiques parfaitement fixes ; il n’y a rien sans doute dans le génie qui ne puisse s’expliquer par la génération, par l’hérédité, enfin par l’éducation et le milieu, à moins qu’on n’admette l’hypothèse scientifiquement étrange du libre arbitre dans le génie. […] En outre, le propre du génie est d’ajouter au fond même, à l’ensemble d’idées, s’il s’agit du penseur, à l’ensemble de sentiments et d’images, s’il s’agit de l’artiste ; et l’artiste est un penseur à sa manière30. […] Hennequin n’ignore point qu’à part les artistes et les écrivains, la plupart des hommes n’aiment pas, aux moments de loisir, à se plonger dans des préoccupations analogues à celles qui constituent le fond de leur activité habituelle.
Encore, La Fontaine a pris la fable comme son gibier, pour parler ainsi que Montaigne, parce qu’il a senti instinctivement, subconsciemment peut-être, mais enfin parce qu’il a senti qu’il avait un grand amour de la nature, que le fond même de sa nature à lui était l’amour des champs et des bois ; il nous l’a dit lui-même dans la citation que j’ai faite dernièrement : Je n’ai jamais chanté que l’ombrage des bois, Le vert tapis des prés et l’argent des fontaines… Son amour, son affection, le fond même de ses tendances étaient là. […] Il y a les fables qui sont des contes, et quoique je vous en aie parlé trop brièvement à mon gré, je n’en reparlerai pas aujourd’hui ; — il y a les fables que j’appellerai zoologiques, en vous demandant pardon du pédantisme du terme, c’est-à-dire qu’il y a des fables où figurent des animaux et seulement des animaux il y a, en troisième lieu, les fables que j’appellerai d’un mot encore plus pédantesque, mais il n’y en a pas d’autre, ce me semble, les fables naturistes, c’est-à-dire les fables où l’anecdote n’est qu’un prétexte à une description ou à une narration de la nature, les fables où le fond du petit poème est un aspect ou plusieurs aspects successifs de la nature ; — enfin, il y a des fables qui ne sont plus du tout des fables et qui ne sont que des discours philosophiques ou moraux ; le mot discours peut vous paraître un peu trop fort, un peu trop solennel, encore que La Fontaine l’ait employé lui-même, je dirai : il y a des fables qui sont des causeries philosophiques et morales et qui ne sont presque pas autre chose. […] Il y a un bien grand mot de Spencer, un peu impertinent, mais juste au fond : « Lorsque je verrai une femme, pour défendre son petit, s’élancer, ongles en avant, contre un éléphant, alors je dirai que la femme est aussi courageuse que la poule. » Vous me direz : « Mais vous ajoutez à La Fontaine, qui a peu parlé du dévouement à l’espèce chez les animaux, qui n’a presque pas parlé de leur patience, qui n’a parlé que de leur bonté, de leur solidarité, de leur stoïcisme devant la mort. » Il est vrai, j’en ajoute pour vous montrer ce que La Fontaine a produit, en quelque sorte, ce dont il a été l’initiateur.
D’autre part, nous sommes devenus trop individuels, trop ce qu’était Sainte-Beuve, pour nous préoccuper beaucoup des manières de voir et de sentir de l’antiquité, si loin de nous par le fond et la forme des choses, et encore plus loin par les choses que par les années ! […] Ce qu’il aurait fallu et ce qu’il eût mieux fait que personne s’il l’avait soupçonné, c’était de nous révéler le génie-femme qui palpitait au fond de Virgile, de nous en donner l’anatomie, et par là de nous expliquer et de nous rendre tangible ce phénomène de la beauté d’un poète qui ne ressemble pas à Homère, qui est différent, mais aussi beau. […] Les Lettres à la Princesse devaient être ce qu’elles sont, insignifiantes de fond et, de forme, pénibles. […] Je n’avais pas à entrer dans l’examen du fond du livre, des affirmations ou des insinuations qu’il contient.
Moraliste vaincu par le rococo, qui parle de Dieu et de l’ordre, en regardant le médaillon de madame de Pompadour et en trouvant Louis XV diablement heureux, il résume cependant, un peu trop comiquement pour un écrivain qui depuis trente ans s’efforce d’être grave, la pensée qui est le fond de la lâcheté humaine : Si on pouvait se sauver en se damnant, je serais canonisé demain ! […] Mais ce que l’on comprend très bien, venant de ceux-là qui ont salué l’aurore d’un pouvoir nouveau dans le déclin de cette royauté des Bourbons qui éteignit, on sait comment, le soleil de son Louis XIV, le comprend-on au même degré venant de ceux qui ont gardé au fond de leur âme l’amour espérant ou désespéré de cette malheureuse royauté, coupable et perdue ? […] Il fallait qu’elle cumulât les supériorités de tous les genres, et que la femme politique, se trouvant au fond de l’odalisque, emportât le cœur de l’historien ! […] Eut-elle l’importance et l’influence qu’il prétend, et dans cette alcôve de maîtresse qu’il a voulu entrouvrir et qu’il eût été mieux de tenir fermée, pouvait-on réellement trouver cette femme que M. de Maistre voit au fond de toute affaire, et dont il a dit : « On ne l’y voit pas toujours, mais regardez-y.
Aux yeux de qui sait reconnaître le fond et la forme d’un livre qui n’est que les variations d’un autre, exécutées avec plus ou moins de talent, l’ouvrage en dernier publié de Michelet a été bien plus inspiré par le souvenir d’un succès que par une idée nouvelle ou une vigoureuse fécondation d’une idée ancienne. […] Le grand artiste à tête de feu qui nous fascinait du fond du mensonge, est entré dans la peau rude de ce Franc-Comtois grossier. […] Je ne sais rien de plus misérable que ce livre de Michelet, qui n’est, au fond, qu’une flatterie à ce qu’on appelle le lion populaire, — une flatterie comme les plus plats laquais n’en ont pas fait à la royauté. […] Comme cela ne lui va pas non plus, de vanter la joie, la grosse joie du bonhomme Luther, qui était, au fond, un sale homme ; de mettre Rabelais — ma foi !