Ces œuvres sont essentiellement des ensembles de moyens d’action sur les sens, propres à susciter des émotions d’un certain ordre. […] Sans vouloir nous étendre sur un problème qui ne fait pas partie intégrante de ce travail, nous croyons qu’il faudra à l’avenir distinguer dans l’émotion ordinaire (non plus esthétique) : d’une part, l’excitation, l’exaltation neutre qui la constitue, qui est son caractère propre et constant : de l’autre, un phénomène cérébral additionnel, qui est l’éveil d’un certain nombre d’images de plaisir ou de douleur, venant s’associer au forni originel, le colorer ou le timbrer pour ainsi dire, et produire la peine ou la joie proprement dites, quand elles comprennent le moi comme sujet souffrant et joyeux. […] Les modes suggestifs, avec l’allusion, l’allégorie, le procédé tachiste, c’est-à-dire extrêmement incomplet et indéfini de certains peintres, la mélodie infinie de Wagner, l’inachevé dans la composition, etc., ont en commun le caractère essentiel d’être des moyens d’expressions peu représentatifs, et contenant un minimum d’images expresses : évidemment, ces moyens, à part le fait même qu’étant esquissés, on peut les compléter selon sa fantaisie, et qu’ils ne risquent guère ainsi de heurter le goût de personne, provoquent dans l’esprit ou dans les sens chargés d’en extraire une image définie, un effort, une excitation, un plaisir de divination et de composition, un ébranlement diffus qui est déjà un commencement d’émotion d’autant plus esthétique qu’elle est absolument dénuée de tout coefficient de peine ou de plaisir. « Comme il faut plus d’énergie, dit Dumont (Théorie scientifique de la sensibilité) pour retrouver un objet sous un signe indirect que sous un signe direct, on fournit à l’entendement occasion d’employer plus de force disponible et par conséquent d’éprouver plus de plaisir. » Le profit que l’on a à employer ce moyen d’expression qui est le propre de la poésie, est malheureusement combattu par la fatigue qu’il cause et les images peu définies, c’est-à-dire peu associables, que l’on en extrait.
Un corridor pour entrée, au rez-de-chaussée, une cuisine, une serre et une basse-cour, plus un petit salon ayant vue sur le chemin sans passants et un assez grand cabinet à peine éclairé ; au premier et au second étage, des chambres, propres, froides, meublées sommairement, repeintes à neuf, avec des linceuls blancs aux fenêtres. […] Ces ondes, ce flux et ce reflux, ce va-et-vient terrible, ce bruit de tous les souffles, ces noirceurs et ces transparences, ces végétations propres au gouffre, cette démagogie des nuées en plein ouragan, ces aigles dans l’écume, ces merveilleux levers, d’astres répercutés dans on ne sait quel mystérieux tumulte par des millions de cimes lumineuses, têtes confuses de l’innombrable, ces grandes foudres errantes qui semblent guetter, ces sanglots énormes, ces monstres entrevus, ces nuits de ténèbres coupées de rugissements, ces furies, ces frénésies, ces tourmentes, ces roches, ces naufrages, ces flottes qui se heurtent, ces tonnerres humains mêlés aux tonnerres divins, ce sang dans l’abîme ; puis ces grâces, ces douceurs, ces fêtes, ces gaies voiles blanches, ces bateaux de pêche, ces chants dans le fracas, ces ports splendides, ces fumées de la terre, ces villes à l’horizon, ce bleu profond de l’eau et du ciel, cette âcreté utile, cette amertume qui fait l’assainissement de l’univers, cet âpre sel sans lequel tout pourrirait ; ces colères et ces apaisements, ce tout dans un, cet inattendu dans l’immuable, ce vaste prodige de la monotonie inépuisablement variée, ce niveau après ce bouleversement, ces enfers et ces paradis de l’immensité éternellement émue, cet infini, cet insondable, tout cela peut être dans un esprit, et alors cet esprit s’appelle génie, et vous avez Eschyle, vous avez Isaïe, vous avez Juvénal, vous avez Dante, vous avez Michel-Ange, vous avez Shakespeare, et c’est la même chose de regarder ces âmes ou de regarder l’Océan. […] La seule objection qu’on puisse lui faire, c’est que Shakspeare se prononce plus aisément que Shakespeare, que l’élision de l’e muet est peut-être utile, et que dans leur intérêt même, et pour accroître leur facilité de circulation, la postérité a sur les noms propres un droit d’euphonie.
J’en ai acquis la certitude par ma propre expérience. […] Ce sont : 1° Les hallucinations individuelles où le conteur rapporte ses propres visions, nées d’un état d’exaltation tel que la terreur de l’obscurité ou même une folie commençante. […] Même dans le conte-fable « Ingratitude », il met en garde l’homme contre l’ingratitude d’un propre congénère de celui-ci.
En voyant aujourd’hui à quel poids spécifique on a réduit l’édition ancienne, on se demande si c’est par respect ou par enthousiasme pour Rivarol, que les éditeurs du présent volume se sont donné les airs de faire un choix dans ses ouvrages, de prendre ceci ou de laisser cela, au nom de leur propre goût à eux, éditeurs, et de leurs préférences, ou si c’est plutôt par mépris bien entendu pour le public, qui n’aime et ne lit que les petits livres, quand il les lit toutefois… Ce qu’il y a de certain, c’est que nous n’avons pas là Rivarol ; c’est que nous n’avons en petit paquet que quelques paillettes de ce Pactole intellectuel, qui passa, en brillant, à travers le xviiie siècle. […] C’est un sceptique, qui sans la politique serait peut-être un athée, un utilitaire de religion, qui met la morale au-dessus de toute religion positive, la morale sans sanction, se payant de ses propres mains ses propres mérites, et se punissant de ces mêmes mains qui n’osent se frapper jamais.
C’est lui qui disait encore : « Tel que l’éclair sort d’une nuée sombre et éclate par sa propre force, éclate du sein de Dieu une Affirmation infinie… » Certes ! […] Je rentrai dans le bercail de la foi et je reconnus volontiers la toute-puissance de l’Être suprême, qui règle seul les destinées du monde et à qui j’ai confié aussi l’administration de mes propres affaires, fort embrouillées alors que je les gérais moi-même. […] Et quand il écrit tant devers divins, qui ont la beauté des plus cruelles amertumes humaines, n’a-t-il pas encore, pour nids, son propre cœur saignant, et la nature radieuse et immortelle, à travers laquelle il va semant les gouttes de sang de ce cœur déchiré ?
Ces simples et fortes notions, que le dix-huitième siècle avait troublées, furent reprises au commencement du dix-neuvième, et posées comme bases d’un système auquel le génie de M. de Bonald donna de sa propre solidité. […] Caligula philologique à faire mourir de rire qui voudrait que l’humanité n’eût qu’une tête pour la lui couper, si cette tête portait un nom propre ! […] Renan n’a pas su aborder par les côtés grands et féconds une question où tout se réduit à savoir si la pensée, l’acte pensant, l’intellectus agens, a sa mappemonde encyclopédique et son piédestal d’équilibre eu dehors de la parole qui la corporise ; absolument la même question que celle de l’âme, obligée au corps et à la terre dans la conquête successive de sa propre possession.
Nisard est un livre ; il se publie de nos jours bien des volumes ; il y a peu de livres ; il y a bien des assemblages faits de pièces et de morceaux, il est très peu de constructions qui s’élèvent selon un plan tracé et sur des fondements qui leur soient propres. […] Le dernier chapitre, consacré aux principaux auteurs du xixe siècle, et qui condense un si grand nombre de jugements en termes frappants et concis, prouverait, une fois de plus, s’il en était besoin, la parfaite sincérité de l’auteur, sa bienveillance unie à ce fonds de sévérité qu’elle corrige bien souvent et qu’elle tempère même jusqu’à la faveur, dès qu’il y entre un peu d’amitié ; son scrupule à ne tirer son impression que de lui, de son propre esprit, et de l’écrivain à qui il a directement affaire, sans s’amuser aux accessoires et aux hors-d’œuvre ; son attention à choisir, à peser chaque mot dans la sentence définitive qu’il produit.
La religion, désertant peu à peu son immense et vague domaine, se replia dans les cérémonies du culte ; la science fit effort, se détacha et subsista d’une vie propre ; la philosophie fonda ses écoles ; l’histoire établit des registres plus ou moins scrupuleux. […] par quelle combinaison toute neuve de sujets et de chants a-t-il trouvé moyen de satisfaire aux convenances morales de l’âge, des rapports privés, à l’attente du pays et à sa propre gloire ?
La critique, en effet, cette espèce de critique surtout, ne crée rien, ne produit rien qui lui soit propre ; elle convie au festin, elle force d’entrer. […] Victor Hugo, ses excursions et voyages dans le pays des fées et dans le monde physique une fois terminés, à reprendre son monde intérieur, invisible, qui s’était creusé silencieusement en lui durant ce temps, et à nous le traduire profond, palpitant, immense, de manière à faire pendant aux deux autres ou plutôt à les réfléchir, à les absorber, à les fondre dans son réservoir animé et dans l’infini de ses propres émotions.
Ce moi supérieur et complet, cette vie réelle et vraiment vivante, ce sentiment au sein duquel la conscience réfléchie, c’est-à-dire la connaissance, n’est qu’un redoublement plus marqué, échappe aux psychologistes qui se laissent prendre sans cesse à leurs propres abstractions. […] Ainsi seulement tout s’explique ; ainsi l’activité matérielle devient sainte au même titre que la pensée, et comme participant au même Dieu sous un aspect différent ; ainsi l’accord règne entre le monde et nous, et dans notre propre individu entre notre intelligence et notre puissance.
Viardot a rendues avec un relief, avec un cachet de style qui porte en lui la garantie de sa propre fidélité, la plus considérable et la plus intéressante est la première intitulée : Tarass Boulba. […] C’est une qualité propre à la race slave, race grande et forte, qui est aux autres races ce que la mer profonde est aux humbles rivières.
Ils ne tolèrent rien de semblable dans leurs propres ouvrages. […] Nulle part on ne sent mieux le charme de cet amour protecteur, qui, dispensant l’être faible de veiller à sa propre destinée, concentre tous ses désirs dans l’estime et la tendresse de son défenseur.
Vos sentiments ne sont pas quelque chose de matériel que je puisse extraire de votre propre cœur, et mettre sous vos yeux pour vous confondre. […] Le Romantique était poli ; il ne voulait pas pousser l’aimable académicien, beaucoup plus âgé que lui ; autrement il aurait ajouté : Pour pouvoir encore lire dans son propre cœur, pour que le voile de l’habitude puisse se déchirer, pour pouvoir se mettre en expérience pour les moments d’illusion parfaite dont nous parlons, il faut encore avoir l’âme susceptible d’impressions vives, il faut n’avoir pas quarante ans.
La forme même de notre civilisation nous impose ce contraste ; nous ne nous sommes développés qu’en nous disciplinant sous un gouvernement distinct du peuple, indépendant, qui absorbait toutes les idées et les forces, subsistait par sa propre énergie et nous donnait l’impulsion, au lieu de la recevoir de nous. […] Ils s’y développent, ils y agissent par leurs propres forces et d’eux-mêmes ; ils n’y sont point contraints par les passions ou les facultés qu’ils y rencontrent : ce sont des hôtes libres ; tout le soin du poëte est de ne point les gêner ; ils se remuent et il les regarde, ils parlent et il les écoute ; il est comme un étranger attentif et curieux devant le monde vivant qui s’est établi chez lui ; il n’y intervient qu’en lui fournissant les matériaux dont il a besoin pour s’achever et en écartant les obstacles qui l’empêcheraient de se former.
Enfin chacun de ces soldats a dans son expérience propre une émotion, une image, une pensée qui n’est qu’à lui et que le mot n’éveillera que pour lui. […] La cause est précisément que les mots, bornés à leur objet propre, ne sollicitent pas l’esprit à penser au-delà de leur sens, ne lui ouvrent point de vue sur des choses inexprimées ; la phrase n’a ni dessous ni profondeurs ; mettant toute sa richesse en dehors et comme en étalage, ne tenant rien en réserve, elle est toisée, prisée d’un coup d’œil : il y manque ces groupes d’images et d’idées, qui, surgissant derrière les mots, saisissent l’esprit et transforment la lecture distraite des yeux en une avide curiosité de toute l’âme.
La littérature se réduit à une sèche collection de faits et de formules, propres à dégoûter les jeunes esprits des œuvres qu’elles expriment. […] Le développement que j’ai attribué au moyen âge et au xixe siècle, la largeur que j’ai cru nécessaire de donner à l’étude des puissantes individualités qui sont l’objet propre de l’histoire littéraire et l’instrument efficace de la culture littéraire, ont grossi ce livre au-delà des dimensions ordinaires.
Il est vraiment, lui, un philosophe, un critique, un observateur et un descripteur sagace de ses propres mouvements. […] Ou peut-être imaginent-ils une parenté sacrilège entre les désirs inapaisés des âmes saintes d’autrefois et l’inassouvissement de leurs propres corps.
Et, comme cela s’est toujours vu, comédiens et comédiennes étaient les premiers à médire d’eux-mêmes sur le théâtre et à faire la satire de leurs propres mœurs. […] Silvia, obligée d’écouter les confidences du capitaine Spavente qui l’entretient de ses nouvelles amours, faisait naturellement entendre les mêmes plaintes que la Lélia des Ingannati : « Pauvre et misérable fille, tu viens d’ouïr de tes propres oreilles, et de la bouche même de cet ingrat, l’amour qu’il te porte.
Oui, à la condition que nous y prenions notre bien propre, la vérité du cœur humain, oh il peut y avoir des découvreurs et des premiers occupants de toutes les nations. […] Bouhours est en littérature un amateur, sorte d’esprit dont le propre est de n’aimer rien simplement.
Impossible de traduire dans notre idiome essentiellement déterminé, où la distinction rigoureuse du sens propre et de la métaphore doit toujours être faite, des habitudes de style dont le caractère essentiel est de prêter à la métaphore, ou pour mieux dire à l’idée, une pleine réalité. […] Tous ces discours portent trop fortement l’empreinte du style propre à Jean pour qu’il soit permis de les croire exacts.
Ils n’entendent, ne comprennent et ne veulent appliquer que la liberté du bien, c’est-à-dire leur propre domination et le gouvernement de la société tout entière par l’Église catholique. […] Pour reprendre sa marche ascendante, il faut qu’elle ose, il faut qu’elle travaille à s’enrichir et à se compléter, il faut qu’elle s’assimile ce qu’il y a de bon dans les écoles adverses, il faut qu’elle ne craigne pas trop une certaine division dans son propre sein, car la diversité des points de vue semble être un des caractères essentiels de l’esprit philosophique ; il faut enfin qu’elle prépare des matériaux à la reconstruction d’une philosophie nouvelle.
De quelque côté qu’on envisage le culte évangélique, on voit qu’il agrandit la pensée, et qu’il est propre à l’expansion des sentiments. […] Les mathématiques, d’ailleurs, loin de prouver l’étendue de l’esprit dans la plupart des hommes qui les emploient, doivent être considérées, au contraire, comme l’appui de leur faiblesse, comme le supplément de leur insuffisante capacité, comme une méthode d’abréviation propre à classer des résultats dans une tête incapable d’y arriver d’elle-même.
Les romains qui emploïoient souvent les termes grecs en parlant de musique, en sçavoient certainement l’étimologie et ce que pouvoit changer dans la signification propre de ces termes un usage autorisé. […] Enfin le terme de modulation avoit parmi les romains, la même signification que carmen : un mot que nous ne sçaurions traduire suivant sa signification précise, parce que n’aïant point la chose, nous n’avons pas le terme propre à la signifier, et qui vouloit dire la mesure et la prononciation notée des vers.
Le peu qui en a échappé aux ravages de la révolution, et qui pourrait se soutenir par sa propre masse, n’échappera point au bélier que les hommes amènent à l’envi au pied de ces hautes murailles. […] Mais y aurait-il quelque inconvénient à garder dans le fond de sa pensée la certitude intime où nous devons être, que sans les libertés qui ont précédé 1789, jamais la France n’aurait pu parvenir à l’émancipation, car le propre de l’esclavage est de ne donner que des sentiments d’esclaves ?
Nos opinions, il faut l’avouer, seraient assez inclinées au protestantisme, à cause de cet esprit d’analyse et de discussion qui porte à tout examiner, à se rendre raison de tout ; à cause enfin de cette confiance à ses propres lumières qui rejette toute doctrine imposée : mais nos mœurs religieuses sont catholiques parce que nous tenons à un culte extérieur, à des signes sensibles de notre croyance. […] L’imprimerie est venue tirer de leur solitude ces pensées oiseuses : nul alors n’a voulu perdre le fruit amer de son propre tourment ; il fallait être Pascal pour se réjouir de sa pensée oubliée.
Tel est l’essentiel reproche qu’on peut faire à cette érudite, qui entasse texte sur texte et noms propres sur noms propres pour ne nous apprendre, en définitive, que ce que nous savions, avant qu’elle prit la peine d’écrire.
temps désespérant et désespéré que celui où l’esprit humain, qui se croit entier, a fini par se mutiler de sa propre main et s’est émasculé de la plus grande de ses facultés, — la faculté religieuse. […] Brucker — le Charles-Quint de son propre esprit qu’il abdiqua — la subit, et n’en souffrit pas.
Ne fallait-il pas que, partie du même point, en lui tournant le dos, la philosophie de Bacon rencontrât, à la fin, et face à face, la philosophie de Descartes, pour se faire l’une à l’autre l’aveu de leur propre néant à toutes deux ? […] Malgré les succès actuels d’une philosophie qui mutile l’homme pour le simplifier, les questions morales, en fin de compte, seront toujours les grandes questions, les questions premières ou dernières, et l’homme se prendra dans ses propres efforts comme dans un filet inextricable toutes les fois qu’il méconnaîtra son âme, et qu’il demandera à une autre cause que son âme l’explication et l’amélioration de sa destinée.
voilà une grandeur de mérite dont, malgré la bonne opinion qu’elles peuvent avoir d’elles, ne se doutent pas les gracieuses personnes qui visent, dans tout pays, à un mariage d’intérêt, et font la traite innocente de leur propre chair, comme si elles avaient des lettres de naturalité américaine dans leur poche ! […] Ces hommes eux-mêmes l’accepteront-ils pour leur propre compte ?
Philippe II, Charles-Quint, resteront toujours, par un côté, plus ou moins obscurs et inintelligibles, si on n’étudie pas l’Espagne elle-même qui les a produits et si on ne la comprend pas, elle, dans le fond intime de sa propre personnalité. […] … Impossible donc de l’expliquer, ce solitaire en contradiction, quand on n’interroge que lui seul, tandis qu’au contraire, en se jetant à l’Espagne comme à un flambeau, en la prenant, cette Espagne du xvie siècle, et en la mettant, avec son esprit ressuscité, bien en face de cet empereur découronné de sa propre main, de cette fière et mélancolique figure de Sacrifié, mais de Sacrifié hautain et volontaire, vous pouvez peut-être trouver le secret de son sacrifice et saisir enfin la vérité !
Prenez, si vous voulez, tous les écrits politiques que notre siècle a vus, toutes les élucubrations quelconques de ces penseurs à répétition qui se donnent pour sonner leur propre pensée, et vous verrez si un seul de ces écrits peut échapper à l’une ou à l’autre de ces deux et fatales origines, ou la théorie de Rousseau ou la théorie de Montesquieu ! […] Dans cet essai de son début, il avait replacé la misère humaine, trop souvent oubliée, dans le fond éblouissant de plus d’une grandeur, et justement risqué sur Voltaire une de ces anecdotes cruelles qui firent peut-être sur son propre esprit, altéré de vérité, l’effet des premières gouttes de sang sur la soif du tigre, qu’elles rendent bientôt inextinguible.
Il le couvre de sa dignité personnelle, — de sa propre autorité morale, — et un prêtre, et un bon prêtre comme l’abbé Maynard, doit en avoir une immense… Il ne se ravale pas et ne ravale pas l’homme dont il a écrit la vie parce qu’il l’admire ; il ne le justifie pas des calomnies (qu’on ne fait d’ailleurs pas cesser en y répondant) ; il dédaigne les accusations des partis, dont tout homme d’action est victime dans ce monde infâme, et qui, pour les fortes épaules, sont toujours faciles à porter. […] On l’y rencontrait gaillard et raillard, ce terrible Marche-à-Terre, et c’était à qui serrerait sa grosse main… Il était de cette race d’hommes, carrés et musculeux, qui ont, sous des formes lourdes, la finesse, la souplesse, le délié propres à la vie que Stendhal avait, sous son air de marchand de vin endimanché, comme lui, Crétineau, sous son air de maquignon.
Poète, historien, romancier, auteur dramatique, et finalement imprimeur pour s’imprimer soi-même, comme il a été son propre majordome et son propre concierge à lui-même dans son baroque château, chinoisement gothique, de Strawberry-Hill, cette espèce d’éléphant en porcelaine dont il fut, jusqu’à son dernier jour, l’orgueilleux cornac.
Robinson intellectuel d’un désert qu’il a fait autour de sa propre pensée, il a voulu créer tout, dans le vide qu’il avait creusé. […] S’il n’ébranla pas en lui les robustes certitudes de sa foi, c’est que le Saint préservait l’homme des doutes du métaphysicien ; mais si le danger ne fut pas pour lui, il est pour d’autre, à cette heure, et dans un siècle ou l’obéissance en toutes choses cherche vainement des saint Anselme qui foulent aux pieds leur propre pensée, lorsqu’il s’agit d’obéir.
… Cette chemise-là, cette chemise du spiritualisme pur que Cousin a déterrée dans un des vieux bahuts de Leibnitz, et qu’il a passée, comme à bien d’autres, à Caro, nous avait, jusqu’à ce dernier moment, paru insuffisante autant que… nécessaire ; car on n’est pas vêtu avec une simple chemise, et le spiritualisme pur et réduit à ses propres notions n’est que cela ! […] Or, ce Triumvirat de la philosophie et de la critique du quart d’heure, il faut bien aussi que moi, comme Caro, je le nomme par ses trois noms propres : c’est Renan, Taine et Vacherot.
Quinet ne craint pas d’y parler, en son propre et privé nom, à son lecteur, comme fait l’Arioste, et il s’y permet, avec un esprit à gros ventre, d’imiter les ondulations ravissantes de ce demi-Dieu de la grâce et de la fantaisie, moitié cygne et moitié serpent ! […] Edgar Quinet, vous l’avez vu déjà, le fait promener à travers le monde, comme Ulysse, Childe-Harold, Don Juan, Don Quichotte, le Cosmopolite, et même son propre Ahasverus.
Ils sont taillés dans un marbre radieux de blancheur idéale, avec une vigueur et une sûreté de main qui indique que l’artiste, ici, est son propre maître, et sans excuse, — comme Lucifer, qui ne tomba que parce qu’il voulut tomber. […] Ceux qui osèrent les écrire ne les écrivaient point pour leur propre compte et en leur nom.
I Ce livre au titre hardi, même téméraire, même inquiétant pour les gens d’une moralité susceptible, n’est pas un roman isolé ayant sa valeur propre et intégrale, — une valeur absolue. […] Il peut avoir son originalité propre et ses mérites particuliers dans le détail, l’expression des passions et le tour d’observation de son œuvre ; il peut être comme observateur et comme écrivain très différent de la manière de Balzac ; mais, de conception, il est timbré de cet homme qui a mis son cachet — sa griffe de lion — sur tous les esprits de notre temps.
Dans le morcellement universel il cherchait son unité propre et butinait partout pour composer l’œuvre originale dont la conception ne le quitta jamais. […] Poitou a relevées dans quelques fragments épars de La Comédie humaine, ne viennent guères que de sa propre manière de regarder, et à ces contradictions, qui sont le résultat d’une faiblesse d’yeux, impuissants à embrasser un ensemble et une perspective, le critique ajouté ses contradictions et ses titubations à lui-même.
Jetée dans le grand moule de ces madones qu’a peintes Raphaël, rien de plus agité cependant que cette puissante jeune fille, troublée par son propre cœur au moment même où elle apporte la paix et la force dans l’amour au cœur défaillant de Christian. […] En vain l’a-t-il fait aussi, comme Christian, victime de l’absence d’éducation morale, cette plaie du siècle, et le ramène-t-il à l’ordre et à la vraie destinée par le sentiment paternel, comme il y a ramené Christian par l’amour ; en vain la scène du verre de champagne accepté, qui l’introduit dans le roman, est-elle charmante et attendrie, ce personnage de Chambornay nuit plus qu’il ne sert au développement du livre, et, avec le talent mâle, sobre et qui se ménage si peu de l’auteur, avec ce talent qui sait revenir si courageusement sur lui-même pour s’opérer de ses propres mains, on est étonné qu’il n’ait pas sacrifié et remplacé cette figure selon nous malvenue à travers toutes les autres qui le sontsi bien.
— Le livre de M. de Custine sur la Russie est plus qu’un livre agréable : au milieu de beaucoup de répétitions, de bel esprit, d’afféterie même et de prétention à étaler ses propres sentiments qu’on ne lui demande pas, l’auteur a observé avec sagacité, avec profondeur ; il dévoile (et c’est la première fois qu’on le fait) les plaies et les lèpres de cette société russe, de cette civilisation plaquée ; il révèle sur le prince, sur les grands, sur tous, d’affreuses vérités : ce livre porte coup (c’est l’opinion de bons juges, non suspects de faveur).
Camille Mauclair, littérairement, a touché à tout, et l’on peut dire qu’il n’est pas de beautés ni d’idées qu’il n’ait goûtées et comprises, ni de façons de sentir et de penser auxquelles il ne se soit prêté pour nous en donner ensuite, soit en des poèmes, soit en des conférences, soit en des essais de métaphysique ou d’esthétique, soit en des études de critique, soit encore en des romans ou en des contes, sa notation propre et toujours intéressante.
C’est ici le livre d’un artiste qui, connaissant toutes les formules, s’est créé lui-même la technique propre à définir son rêve et discutable seulement dans l’emploi qu’il en a fait.
. — Mais à côté de la partie qui, dans l’individu, est façonnée par les influences sociales passées ou présentes, il y a un fond physiologique et psychologique qui lui est propre et qui apparaît comme un résidu irréductible aux influences sociales.
Après cela, il entre dans la définition du goût, il en expose les sources, il développe les moyens propres à le former & à l’entretenir, il découvre les vices qui l’affoiblissent & le corrompent ; & de tous ces articles il forme une chaîne de preuves qui le ramenent à son principe général, l’imitation.
Il joint encore à ses lumieres les sentimens d’un Ecrivain modéré, honnête, très-éloigné de toute prétention dogmatique ; caractere propre à faire sentir évidemment la différence qui subsiste entre l’homme sage & éclairé qui redresse, & le Philosophe fastueux qui égare.
Un vieux Prêtre énergumene, déclamant contre sa Religion, & renversant, par frénésie, des Autels qu’il avoit servis toute sa vie ; de longues tirades contre tous les Cultes ; de fréquentes oraisons à la Divinité ; des personnages tous Déïstes, venant, chacun à leur tour, exhaler leur dépit contre le Sacerdoce & la Religion ; des allusions prétendues ingénieuses, & qui n’ont décélé que de l’audace ou des puérilités ; toutes ces heureuses combinaisons ont été crues propres à répandre dans les esprits ce que le Monde philosophique appelle des lumieres.
Il est vrai qu’il y regne beaucoup de méthode, beaucoup d’érudition, beaucoup de citations, beaucoup d’observations ; mais les Ouvrages didactiques, surtout de cette espece, exigent encore du goût, de la critique, des vûes bien présentées, & principalement une élocution soignée, propre à animer les préceptes que l’Auteur veut faire goûter.
Affranchis-toi, romps tes liens, Quelque légers qu’ils puissent estre, Viens, Ménage, en ce lieu champestre, Où, content de tes propres biens, Tu n’auras que toi pour ton Maistre Non que le Maistre que tu sers Ne soit un homme incomparable, Qu’il n’ait un mérite adorable, Et que la douceur de tes fers Ne soit charmante & désirable.
On y apprend à connoître ce qui constitue le style figuré ; à saisir, dans toutes les expressions, le sens propre & celui que l’imagination y ajoute pour mieux colorier la pensée.