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433. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Dargaud »

La critique écrit le mot du poète : les plaisirs perdus sont les mieux sentis. Elle récrit avec plus de regret encore : car les plaisirs manqués sont les plus tristes d’entre tous les plaisirs perdus.

434. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

. — J’aime à me battre, disait plus tard un Scandinave, et j’ai plaisir à boire de la bière. […] Ajoutez qu’elle est bien imprimée, d’un joli format, et qu’on a le plaisir des yeux avec le plaisir de l’esprit. […] Aucun n’a le droit d’imposer à autrui son plaisir et sa nature ; aucun n’a le droit d’emprunter à autrui sa nature et son plaisir. […] Vous êtes choqué d’abord ; puis l’habitude vient, bientôt la sympathie et le plaisir. […] Quel plaisir aurez-vous quand je serai devenu le plus grand paysan du monde ? 

435. (1933) De mon temps…

Pierre de Nolhac, à qui j’eus le plaisir, quelques années après, d’apporter mon suffrage. […] A ces plaisirs auxquels il n’était nullement insensible, Mallarmé ajoutait le surcroît délicieux de ses propos. […] Sans Elémir Bourges et son Crépuscule des dieux, je n’aurais peut-être pas écrit la Double Maîtresse et le Bon Plaisir. […] On eût dit qu’il avait vécu leurs vies, partagé leurs plaisirs et leurs dangers, sué leur sueur sous l’armure, qu’il avait été l’un d’eux, qu’il avait été eux. […] C’était un grand plaisir de l’entendre parler de l’art du dix-huitième siècle et de l’art japonais.

436. (1925) Proses datées

Il m’a invité à dîner, ce qui me prive du plaisir de vous accompagner. […] Cette forêt était avec le fleuve le grand plaisir des villégiatures annuelles de Mallarmé. […] le beau plaisir que d’entendre converser un Mallarmé et un Bourges. […] Goût de la vengeance, plaisir naturel de la démolition. […] C’est un luxe trop coûteux pour le plaisir qu’y pourraient prendre ceux qui sont en situation de se le procurer.

437. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

Les « nouvelles couches » se ruaient au pouvoir et au plaisir. […] Mais je sens que c’est là un plaisir inquiet, un émoi dangereux. […] Il prit quelque plaisir à entrer dans les petites cases bâties par M.  […] Bonvalot a remonté, pour son plaisir, la série de siècles qui les sépare. […] Renan prendrait plaisir à feuilleter ce prodigieux album.

438. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Quant à nous, qui aimons Molière, laissons-nous aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par les entrailles, et ne cherchons point de raisonnements pour nous empêcher d’avoir du plaisir . […] Aucun préjugé ne la roidit contre le plaisir d’être touchée, amusée ou ravie. […] Elle apprécie trop ce plaisir-là pour remettre jamais sous le joug la liberté de son goût. […] Ne cherchez pas de raisonnements pour vous empêcher d’avoir du plaisir, et quand vous lisez une comédie, regardez seulement si les choses vous touchent. […] « Je conjure mes critiques d’avoir assez bonne opinion d’eux-mêmes pour ne pas croire qu’une pièce qui les touche, et qui leur donne du plaisir, puisse être absolument contre les règles. » (Préface de Bérénice.)

439. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

S’agît-il d’autrui, nous y prenons un double plaisir, celui de n’être pas dans le cas signalé par le prédicateur, et celui d’y voir les autres. […] On oublia Bourdaloue pour Massillon, qui le remplaça bientôt dans cette chaire à peine vide un moment, où se renouvelaient pour les besoins religieux de Louis XIV les grands orateurs, de même que les grands poètes s’étaient succédé pour ses plaisirs, les grands généraux et les hommes d’Etat pour ses affaires. […] L’imagination n’y vient pas distraire la conscience, et le plaisir de voir des singularités n’y trouble pas la résolution de faire le bien. […] Après la mort de Louis XIV, parlant à une cour occupée d’intrigues et de plaisirs, charmée des premières hardiesses de cette philosophie qui devait lui être si meurtrière, il crut qu’il fallait rendre le sermon agréable pour rendre la religion efficace. […] Sa théorie des passions, c’est un peu la morale du plaisir, ou du bonheur, comme Voltaire appelait honnêtement le plaisir, professée par un homme meilleur que ce qu’il enseigne.

440. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

et comme, avec mystère L’attente du plaisir et le moment venu Font sous son collier d’or frissonner son sein nu ! […] ……………………………… La pensée D’un homme est de plaisirs et d’oublis traversée ; Une femme ne vit et ne meurt que d’amour ; Elle songe une année à quoi lui pense un jour ! […] Portia, dès le berceau, d’amour environnée, Avait vécu comtesse ainsi qu’elle était née, Jeune, passant sa vie au milieu des plaisirs. […] Cette tristesse du lendemain, qui est l’expiation des voluptueux après le plaisir, se fait sentir à son âme. […] Tu t’es laissé prendre par les yeux aux apparences séduisantes du plaisir, au lieu de rechercher les saintes fidélités du sentiment ; qui est-ce qui en a souffert, si ce n’est ton cœur ?

441. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Ses lèvres en avaient contracté un pli : c’était la réticence de la bonté qui médite un plaisir à faire ou une amabilité à dire. […] La sérénité du jour de fête entrant par la fenêtre grillée de la classe, le chant des oiseaux sous la charmille, l’espoir d’aller bientôt nous-mêmes respirer librement dans ces allées l’air du printemps, nous prédisposaient au plaisir. […] D’abord ils frappent l’écho des brillants éclats du plaisir : le désordre est dans ses chants ; il saute du grave à l’aigu, du doux au fort ; il fait des poses ; il est lent, il est vif : c’est un cœur que la joie enivre, un cœur qui palpite sous le poids de l’amour. […] L’oiseau qui a perdu ses petits chante encore ; c’est encore l’air du temps du bonheur qu’il redit, car il n’en sait qu’un ; mais, par un coup de son art, le musicien n’a fait que changer la clef, et la cantate du plaisir est devenue la complainte de la douleur. […] Nous remerciâmes le maître de nous avoir fait anticiper ainsi sur le plaisir que nous nous promettions, en sortant, à la fin de l’année d’études, de lire à satiété ces volumes.

442. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

Pour donner une forte idée des plaisirs véritables dont jouissent les bienheureux, l’orateur se dit ainsi qu’à ses auditeurs : « Philosophons un peu avant toutes choses sur la nature des joies du monde. » Et il va tâcher de faire sentir par ce qui manque à nos joies ce qui doit entrer dans celles d’une condition meilleure : « Car c’est une erreur de croire qu’il faille indifféremment recevoir la joie de quelque côté qu’elle naisse, quelque main qui nous la présente. […] Ainsi, prêchant devant la reine mère en 1658 ou 1659 le Panégyrique de sainte Thérèse, Bossuet, excité peut-être par les recherches de style de la sainte espagnole, et développant à plaisir un passage de Tertullien qui dit que Jésus, avant de mourir, voulut se rassasier par la volupté de la patience, ne craindra pas d’ajouter : Ne diriez-vous pas, chrétiens, que, selon le sentiment de ce Père, toute la vie du Sauveur était un festin dont tous les mets étaient des tourments ? […] Prenons maintenant tout autre sermon prêché depuis à la Cour, celui Sur l’ambition (1666), Sur l’honneur (1666), Sur l’amour des plaisirs (1662), des beautés du même ordre éclatent partout. […] Ce lieu commun éloquent se retrouve à la fois dans le troisième sermon Sur la Toussaint dont j’ai parlé, dans le Sermon sur l’amour des plaisirs, et dans celui Sur l’ambition avec quelque variante : Ô homme, ne te trompe pas, l’avenir a des événements trop bizarres, et les pertes et les ruines entrent par trop d’endroits dans la fortune des hommes, pour pouvoir être arrêtées de toutes parts.

443. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — II » pp. 18-35

La partie littéraire, sans y tenir plus de place qu’elle n’en avait réellement à cette Cour et dans ce monde de magnificence et de plaisirs, n’y est jamais oubliée. […] À propos de cette nouvelle comédie du Jaloux, qu’on joua à Marly le 28 janvier 1688 : « Le roi la trouva fort jolie ; mais il a ordonné qu’on y changeât quelque chose sur les duels, et quelque autre chose qui lui parut trop libre. » Louis XIV goûte moins une autre pièce de Baron qui se jouait également à Marly en même temps qu’on y dansait le ballet : « Le roi le vit (le ballet) de la chambre de Joyeux ; mais il n’y demeura pas toujours, parce qu’il ne trouva pas la comédie trop à son gré ; c’était L’Homme à bonnes fortunes. » En revanche, Louis XIV assistera peut-être trente fois à Esther, et toujours avec plaisir. […] Quinze jours après, pendant un voyage à Chambord et sur la route, jeudi 6 septembre : On dîna au bois de Fougère, et l’on vint coucher à Châteaudun. — Le roi apprit qu’il y avait eu plus de cinquante mille huguenots convertis dans la généralité de Bordeaux, et nous dit cette bonne nouvelle-là avec grand plaisir, espérant même que beaucoup d’autres gens suivront un si bon exemple. […] On fait revenir les enfants à Paris, et ils seront élevés dans notre religion. » — « Samedi 26. — Le roi monta en calèche au sortir de la messe, et alla avec les dames voir voler ses oiseaux. » Ce vol des oiseaux, disons-le en passant, était une grande affaire et un des plaisirs ordinaires du roi.

444. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Une monarchie en décadence, déboires de la cour d’Espagne sous le règne de Charles II, Par le marquis de Villars »

La pauvre petite reine, qui est fort jolie, n’a d’autre plaisir, quand elle ne voit pas Mme de Villars seule pour lui parler de la France, que de manger beaucoup, ce qui fait qu’elle engraisse à vue d’œil : « La reine d’Espagne, bien loin d’être dans un état pitoyable, comme on le publie en France, est engraissée au point que, pour peu qu’elle augmente, son visage sera rond. […] Il est bien plus large et bien plus long que le Pont-Neuf de Paris : et l’on ne peut s’empêcher de savoir bon gré à celui qui conseilla à ce prince de vendre ce pont ou d’acheter une rivière… » Ce Mançanarès tout poudreux est revenu fort à propos en idée au savant et délicat Boissonade dans je ne sais plus quel commentaire, pour lui servir à justifier une expression pareille qu’on rencontre chez les auteurs anciens et qui semblait invraisemblable ; ainsi, le pulverulenta flumina de Stace est vrai au pied de la lettre. — Un jour qu’un spirituel voyageur français (Dumas fils) était à Madrid, et que, mourant de soif, on lui apporta un verre d’eau, c’est-à-dire ce qu’on a de plus rare : « Allez porter cela au Mançanarès, dit-il, ça pourra lui faire plaisir. […] Vous aurez peine à imaginer qu’une jeune princesse, née en France, et élevée au Palais-Royal, puisse compter cela pour un plaisir ; je fais ce que je puis pour le lui faire valoir plus que je ne le compte moi-même. […] Il soutenait à la marquise de Villars qu’il n’y avait qu’un ambassadeur de France qui put présentement trouver quelque plaisir dans cette Cour, à voir le méchant état où elle était.

445. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

Avant d’en venir à Gœthe jugeant la France et les Français, donnons-nous le plaisir de le considérer encore par quelques aspects qui lui sont propres. […] J’ai eu le plaisir de dîner plusieurs fois avec lui en petit comité, et je l’ai entendu parler plusieurs heures de suite avec une présence d’esprit prodigieuse : tantôt avec finesse et originalité, tantôt avec une éloquence et une chaleur de jeune homme. […] Ce qui vous fera plaisir, c’est qu’il croit à l’amour du Tasse et à celui de la princesse ; mais toujours à distance, toujours romanesque et sans ces absurdes propositions d’épouser qu’on trouve chez nous dans un drame récent… » N’oublions pas que la lettre est adressée à Mme Récamier, favorable à tous les beaux cas d’amour et de délicate passion. […] La traduction de son Faust par l’aimable et gentil Gérard de Nerval lui avait fait un vrai plaisir, et il la louait comme très bien réussie : « En allemand, disait-il, je ne peux plus lire le Faust, mais dans cette traduction française, chaque trait me frappe comme s’il était tout nouveau pour moi. » Il vérifiait ainsi ce qu’il avait dit autrefois dans une poésie charmante : Emblème.

446. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise par M. Taine. »

Une grande et solide partie des jours ne s’est point passée pour eux, comme pour ceux des générations antérieures, dans les regrets stériles, dans les vagues désirs de l’attente, dans les mélancolies et les langueurs qui suivent le plaisir. […] Taine, quand on a le plaisir de le connaître personnellement après l’avoir lu, a un charme à lui, particulier, qui le distingue entre ces jeunes stoïciens de l’étude et de la pensée : à toutes ses maturités précoces, il a su joindre une vraie candeur de cœur, une certaine innocence morale conservée. […] Je demande donc qu’il me soit permis de le faire dans ce cas particulier, qui est un des plus agréables de sa manière, et à poser avec précision ma limite, puisque je me trouve y avoir dès longtemps pensé à part moi et pour mon seul plaisir. […] De cent lieues en cent lieues le terrain change : ici, des montagnes brisées et toute la poésie de la nature sauvage ; plus loin, de longues colonnades d’arbres puissants qui enfoncent leur pied dans l’eau violente ; là-bas, de grandes plaines régulières et de nobles horizons disposés comme pour le plaisir des yeux ; ici la fourmilière bruyante des villes pressées, avec la beauté du travail fructueux et des arts utiles.

447. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. PROSPER MÉRIMÉE (Essai sur la Guerre sociale. — Colomba.) » pp. 470-492

« L’histoire se tait, dit-il sur l’origine du vainqueur de Cæsar ; mais, d’après la conformité des noms, j’éprouve quelque plaisir à supposer que ce Marius Egnatius était un fils du préteur de Téanum, battu de verges trente ans auparavant sous les yeux de ses concitoyens. […] Déterminés à périr, deux amis se battaient l’un contre l’autre ; acteurs et spectateurs à la fois, c’était un dernier plaisir qu’ils se donnaient. […] Prétendre expliquer à chacun pourquoi il y a pris plaisir, c’est trancher du docteur en agrément. […] C’est alors qu’il y a plaisir à se laisser aller et à tenter l’aventure.

448. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

Ainsi la monarchie de Louis XIV, d’abord admirée pour l’apparente et fastueuse régularité qu’y afficha le monarque et que célébra Voltaire, puis trahie dans son infirmité réelle par les Mémoires de Dangeau, de la princesse Palatine, et rapetissée à dessein par Lemontey, nous reparaît chez Saint-Simon vaste, encombrée et flottante, dans une confusion qui n’est pas sans grandeur et sans beauté, avec tous les rouages de plus en plus inutiles de l’antique constitution abolie, avec tout ce que l’habitude conserve de formes et de mouvements, même après que l’esprit et le sens des choses ont disparu ; déjà sujette au bon plaisir despotique, mais mal disciplinée encore à l’étiquette suprême qui finira par triompher. […] Tandis qu’il adressait à genoux, aux Iris, aux Climènes et aux déesses, de respectueux soupirs, et qu’il pratiquait de son mieux ce qu’il avait cru lire dans Platon, il cherchait ailleurs et plus bas des plaisirs moins mystiques qui l’aidaient à prendre son martyre en patience. […] Mais, dès 1684, nous avons de lui un admirable Discours en vers, qu’il lut le jour de sa réception à l’Académie française, et dans lequel, s’adressant à sa bienfaitrice, il lui expose avec candeur l’état de son âme : Des solides plaisirs je n’ai suivi que l’ombre, J’ai toujours abusé du plus cher de nos biens : Les pensers amusants, les vagues entretiens, Vains enfants du loisir, délices chimériques, Les romans et le jeu, peste des républiques, Par qui sont dévoyés les esprits les plus droits, Ridicule fureur qui se moque des lois, Cent autres passions des sages condamnées, Ont pris comme à l’envi la fleur de mes années. […] Si on veut avoir quelque plaisir de la lecture de cet ouvrage, il faut que chacun fasse corriger ces fautes à la main dans son exemplaire, ainsi qu’elles sont marquées par chaque errata, aussi bien pour les deux premières parties que pour les dernières. » Que conclure de toutes ces preuves ?

449. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Je leur dis alors que, mon discours leur ayant fait quelque plaisir, il auroit fait plaisir à toute la terre, si elle avoit pu m’entendre ; qu’il me sembloit qu’il ne seroit pas mal à propos que l’Académie ouvrît ses portes aux jours de réception, et qu’elle se fît voir dans ces sortes de cérémonies lorsqu’elle est parée… Ce que je dis parut raisonnable, et d’ailleurs la plupart s’imaginèrent que cette pensée m’avoit été inspirée par M.  […] On lui rend aujourd’hui plus de justice qu’il n’en rendait : il eut des talents divers dont la réunion n’est jamais commune ; jeune, il contribua pour sa bonne part aux gracieux plaisirs de son temps ; plus tard, s’armant d’une plume habile en prose, il fut utile à une cause sensée, et il reste après tout l’homme le plus distingué de son groupe littéraire et politique. […] On avait plaisir, en l’écoutant, à retrouver le vieil ami de Chateaubriand et de Fontanes, celui à qui M. 

450. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Il m’arrivera aussi de faire quelques sacrifices, soit par affection naturelle, soit pour acheter un plaisir au prix d’un plaisir moindre. […] Si j’aime mieux rester à sec sur le rivage que prendre le plaisir de plonger pour repêcher un enfant qui m’est indifférent, rien ne peut faire — à ne considérer en moi que moi — qu’il soit raisonnable de risquer ma vie ou même de compromettre ma digestion pour tenter un sauvetage. […] Ainsi abandonnons-nous un plaisir à un ami, même, par politesse, à un indifférent, et parfois à un adversaire déclaré, sans autre compensation que la joie de celui qui en profite à notre place.

451. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

Les lecteurs, qui liront désormais Commynes avec plus de plaisir et de facilité, y mêleront un sentiment d’estime pour l’excellent éditeur. […] Commynes en conclut que s’estimer jusque-là, ce serait, pour un homme qui eût raison naturelle, se méprendre et empiéter à l’égard de Dieu, qui se réserve de montrer « que les batailles sont en sa main, et qu’il dispose de la victoire à son plaisir ». […] Il disait avec une grâce parfaite, car son propos se retrouvait charmant dès qu’il le voulait : « Ma langue m’a porté grand dommage, aussi m’a-t-elle fait beaucoup de plaisir : c’est raison que je paie l’amende. » Si l’on ne se tenait sur ses gardes en lisant Commynes, on se prendrait par instants, non seulement à excuser et à goûter Louis XI, mais à l’aimer pour tant de bonne grâce et de finesse. […] On reconnaît là l’homme qui a couché de longues années, comme chambellan, dans leur chambre, qui a assisté à leurs insomnies et à leurs mauvais songes, et qui, depuis la fleur de leur âge jusqu’à leur mort, n’a pas surpris dans ces destinées si enviées un seul bon jour : Ne lui eût-il pas mieux valu, dit-il de Louis XI, à lui et à tous autres princes, et hommes de moyen état qui ont vécu sous ces grands et vivront sous ceux qui règnent, élire le moyen chemin… : c’est à savoir moins se soucier et moins se travailler, et entreprendre moins de choses ; plus craindre à offenser Dieu et à persécuter le peuple et leurs voisins par tant de voies cruelles, et prendre des aises et plaisirs honnêtes ?

452. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « La reine Marguerite. Ses mémoires et ses lettres. » pp. 182-200

Il lui tient un discours qu’elle rapporte au long, avec une sorte de complaisance : Ma sœur, la nourriture que nous avons prise ensemble ne nous oblige moins à nous aimer que la proximité… Nous avons été jusques ici naturellement guidés et cela sans aucun dessein et sans que telle union nous apportât aucune utilité que le seul plaisir que nous avions de converser ensemble. […] Dans ses dernières années, pendant ses dîners et ses soupers, elle avait ordinairement quatre savants hommes près d’elle, auxquels elle proposait, au commencement du repas, quelque thèse plus ou moins sublime ou subtile, et, quand chacun avait parlé pour ou contre et avait épuisé ses raisons, elle intervenait et les remettait aux prises, provoquant et s’attirant à plaisir leur contradiction même. […] On a, chemin faisant, de jolis tableaux flamands qu’elle rend à ravir : à Mons, par exemple, à ce festin de gala où la belle comtesse de Lalain (née Marguerite de Ligne), dont la beauté et le riche costume sont décrits si particulièrement, se fait apporter son enfant au maillot et lui donne à téter devant toute la compagnie, « ce qui eût été tenu à incivilité à quelque autre, dit Marguerite ; mais elle le faisait avec tant de grâce et de naïveté, comme toutes ses actions en étaient accompagnées, qu’elle en reçut autant de louanges que la compagnie de plaisir ». […] Ayant obtenu, après des persécutions et des difficultés, de rejoindre son mari en Gascogne (1578), elle y resta trois ans et demi, y jouissant de sa liberté et la lui laissant ; elle comptait ces journées de Nérac, entremêlées, même à travers les guerres recommençantes, de bals, de promenades et « de toutes sortes de plaisirs honnêtes », pour une époque de bonheur.

453. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Nisard me paraît avoir jugés avec une parfaite justesse : c’est Voltaire et Buffon ; on lira avec plaisir et instruction les chapitres qu’il leur a consacrés, mais il est difficile de ne pas faire d’assez nombreuses réserves quant aux deux autres. […] Si l’on peut trouver que Montesquieu obéit trop aux préjugés antiques en considérant la frugalité comme nécessaire aux démocraties, il lui faut accorder qu’une certaine mesure dans la jouissance, une certaine sobriété est la garantie de la liberté, et que là où l’on voit un amour désordonné des plaisirs des sens, la patrie et la loi courent bien risque de ne plus être que des objets de peu de prix. […] Cela posé, il faudrait convenir que Rousseau avait le goût et l’instinct de quelque chose de meilleur que ce qui suffisait à son siècle : ni le plaisir seul ni les convenances, ne satisfaisaient cette âme gâtée mais généreuse. […] Le xviiie  siècle n’a aimé passionnément que deux choses, le plaisir et l’humanité.

454. (1893) Impressions de théâtre. Septième série

On cite toujours les mêmes, et ça fait toujours plaisir. […] Nous célébrons les Plaisirs de l’Amour et de l’Egalité. […] Ô fraîcheur du plaisir ! […] Ce sera un austère plaisir, et qu’elle payera cher. […] Cela ferait trop de plaisir à Hubert et à sa maîtresse.

455. (1874) Premiers lundis. Tome I « Anacréon : Odes, traduites en vers française avec le texte en regard, par H. Veisser-Descombres »

A ses côtés est une lyre, dont il joue par instants, pour accompagner ses chants d’insouciance et de plaisir. […] Polycrate mort, il est appelé à Athènes par les fils de Pisistrate ; et quand Hipparque tombe sous les coups d’Harmodius et d’Aristogiton, quand se prépare la délivrance d’Athènes, Anacréon, qui ne croit pas apparemment que les myrtes fleurissent pour cacher des poignards, ni que le plaisir soit le doux enfant de la liberté, s’en retourne bien vite à Téos, d’où il s’enfuit encore à la vue de l’Ionie soulevée contre Darius.

456. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

« Il y a plaisir » disait-il, « à entendre cet homme-là, c’est la raison incarnée. […] Dans son Épître à M. de Lamoignon sur les plaisirs de la campagne, Boileau commence par dire qu’il habite en ce moment un petit village ou plutôt un hameau, et il met en note : « Hautile, petite seigneurie près de La Roche-Guyon, appartenante à mon neveu l’illustre M.  […] Juste Olivier, et nous nous sommes donné le plaisir de dire pendant deux ou trois ans des choses justes et vraies sur le courant des productions et des faits littéraires. […] Sorbière avait parlé d’elle tout autrement en effet ; c’est Pellisson, à qui le livre était dédié, qui, s’apercevant qu’à l’article Scarron il y avait des choses qui n’auraient pas fait plaisir à la dame, alors régnante, se conduisit en vrai courtisan, fit réformer toute l’édition, qui était déjà tirée, et mettre un carton où se trouvent aujourd’hui les belles louanges qui passent sur le compte de Sorbière. […] Marais le réfute par lettre, discute pied à pied avec lui et conclut juste en disant (juin 1725) : « Je sais bien ce qui arrivera de cette grande lettre (de l’abbé) de 600 pages : il y aura peut-être 600 fautes corrigées ou plus, et ce sera 600 endroits qu’on relira avec grand plaisir, parce que ces fautes de fait seront environnées de traits éloquents, vifs, agréables, et qui feront toujours admirer l’esprit et la pénétration de l’auteur critiqué.

457. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Il prend plaisir à voir les petites Furies qui se logent dans les écrits des théologiens, dans les attaques de M. […] Plus loin, il exprime son grand plaisir de lire le Comte de Gabalis, quoique, au reste, plusieurs endroits profanes fassent beaucoup de peine aux consciences tendres. […] Bayle ne dit ni oui ni non ; mais il note leur scrupule, de même qu’il exprime son plaisir. Cette indifférence du fond, il faut bien le dire, cette tolérance prompte, facile, aiguisée de plaisir, est une des conditions essentielles du génie critique, dont le propre, quand il est complet, consiste à courir au premier signe sur le terrain d’un chacun, à s’y trouver à l’aise, à s’y jouer en maître et à connaître de toutes choses. […] On lit dans la préface du Dictionnaire critique : « Divertissements, parties de plaisir, jeux, collations, voyages à la campagne, visites et telles autres récréations nécessaires à quantité de gens d’étude, à ce qu’ils disent, ne sont pas mon fait ; je n’y perds point de temps. » Il était donc utile à Bayle de ne point aimer la campagne ; il lui était utile même d’avoir cette santé frêle, ennemie de la bonne chère, ne sollicitant jamais aux distractions.

458. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

Ce sont donc deux genres éminemment scientifiques, des instruments d’abstraction et de généralisation : ils donnent les résultats de cette étude de l’homme qui est l’affaire de tout le siècle, avec une exacte précision, en éliminant tout ce qui est invention d’artiste, fantaisie, roman, effet sensible ou pittoresque pour le plaisir. […] Mais il est à noter qu’il n’affadit pas son personnage : il lui arrive de se noircir à plaisir : il ne lui déplaît pas de montrer combien son âme est supérieure aux préjugés, aux vertus des âmes médiocres. […] Il est franchement incrédule, plus assuré d’avoir un estomac qu’une âme, et partant plus disposé à faire le plaisir de l’un que le salut de l’autre, gourmand par principe philosophique, et parmi les misères de la vie, comptant, pour bonnes raisons de vivre, le vin, les truffes, les huîtres : il s’assurait aussi d’avoir un esprit, et, avec l’amour, surtout après l’amour, il tint l’amitié pour essentielle au bonheur de la vie. […] » par le chevalier de Méré, par le voyageur Bernier qui disait si bravement que l’abstinence des plaisirs lui paraissait un grand péché, plus tôt encore, par les amis et patrons de Théophile, les Montmorency et les Liancourt, par les philosophes nourris de Lucrèce et de Sénèque, on trace un grand courant de scepticisme ou de négation qui, sous les dehors chrétiens du grand siècle, relie Montaigne à Voltaire, et l’on sait à quelles sources rattacher l’esprit des œuvres de La Fontaine et de Molière. […] Elle a ainsi des impressions, des plaisirs d’artiste.

459. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Au sortir du collège, c’est un grand garçon maigre, dégingandé, à la physionomie vive, aux yeux pétillants d’esprit et de malice, dévoré du désir de jouir et du désir de parvenir, enfiévré de vanité, d’ambition, d’amour du luxe et du plaisir, enragé d’être un bourgeois, et se promettant bien de ne pas languir dans une étude et sur la procédure. […] Une religion qui gêne la nature, qui attache du péché au désir et au plaisir, lui fait l’effet d’un monstrueux non-sens. Voilà comment le catholicisme des Jésuites si confortable, si élégant, si complaisant aux raffinements, aux plaisirs, parfois aux faiblesses de l’esprit mondain, l’effarouche moins que le jansénisme, cette religion des hautes intelligences, si profonde en ses obscurités pour une raison non prévenue, mais si ascétique, si irréconciliable à toutes les délicatesses, à tous les péchés mignons de la vie riche et voluptueuse. […] Enfin il a des besoins d’esprit, qui lui font mettre les plaisirs sociaux et littéraires parmi les nécessités premières de la vie. […] Il s’indignera qu’on ne respecte pas les agents et les producteurs des plaisirs : l’excommunication des comédiens, les préjugés mondains sur leur profession seront pour lui des monstruosités.  

460. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

Il serait de mauvais ton de se demander un instant si c’est vrai ; on l’accepte comme on accepte telle forme d’habits ou de chapeaux ; on se fait à plaisir superstitieux, parce qu’on est sceptique, que dis-je, léger et frivole. […] Qui n’a senti, à certains moments de calme, que les doutes qu’on élève sur la moralité humaine ne sont que façons de s’agacer soi-même, de chercher au-delà de la raison ce qui est en deçà et de se placer dans une fausse hypo-thèse, pour le plaisir de se torturer ? […] Il y a des natures qui aiment à se torturer à plaisir et à se proposer l’insoluble. […] Chercher au-delà et douter des bases de la nature humaine, c’est s’agacer à dessein, c’est s’irriter la fibre sensible pour le plaisir équivoque qu’on trouve à se gratter. […] Quelque Werther qu’on puisse être, il y a tant de plaisir à décrire tout cela que la vie en redevient colorée !

461. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Selon que le sentiment du devoir opposé au sentiment du plaisir sera le plus fort ou le plus faible en raison d’une hérédité, d’une éducation et de circonstances inconnues et complexes, il l’emportera ou cédera le pas. […] À vrai dire, dans cette hypothèse qui distingue d’une façon absolue le bien de l’agréable, il semble que la plupart des hommes souhaiteront que l’inclination vers le plaisir soit chez eux la plus forte et l’emporte sur l’autre : le sentiment du devoir risquera de devenir à leurs yeux le mauvais principe. Mais cela ne fera pas qu’ils soient libres de rien changer à leur disposition intérieure ; ce vain désir n’empêchera pas les uns d’être condamnés à se satisfaire, quelque conséquence sociale qui puisse d’ailleurs en résulter pour eux ; il n’empêchera non plus les autres d’être condamnés à se contraindre, à s’interdire toute joie, en raison de la suprématie dans leur organisme du sentiment du devoir, qui ne cessera de les tenir en laisse à l’écart des plaisirs où ils aspirent. […] Le vœu du Génie de l’Espèce ne serait donc pas rempli s’il n’usait de ruse : il lui faut enrôler l’individu au service de ses intérêts par l’attrait d’un plaisir immédiat et très puissant qui fait prendre à celui-ci pour un avantage personnel l’acte par lequel il va combler le vœu de l’espèce et se charger lui-même de liens. […] L’homme est ainsi constitué, c’est là un fait d’observation banale, qu’il se blase tôt sur ses plaisirs.

462. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1859 » pp. 265-300

C’est bien lui, un esprit qui ne prend plus aucune jouissance par la guenille matérielle, et qui n’a, en ce moment, de plaisir, de récréation à son terrible labeur, que lorsqu’il a la conversation d’un de ces gens qu’il appelle les riches, les êtres pleins de faits, comme Guys, Aussandon, etc., ces originaux complexes qui sont un résumé et un assemblage d’un tas de choses, ces hommes au langage concret, dont la vie, selon la phrase du dessinateur, « se passe à être un objet d’étude et de jouissance pour l’intelligence de ceux qui boivent avec eux, et cela sans qu’il reste rien de cela dans une œuvre écrite ou peinte ». […] Pour retrouver, il faut inventer du vraisemblable… Et il se met à regarder avec le plaisir exubérant d’un enfant qui contemple une boutique de joujoux, et il s’amuse une grande heure à voir nos cartons, nos livres, nos petits musées. […] Dans le bas du tableau, un négrillon du Véronèse tend une corbeille de fleurs à celle que le Régent appelait mon petit corbeau noir, à la frêle jeune femme aux nerfs d’acier pour le plaisir et l’orgie. […] Il s’exhalait dans cette exclamation expirante du plaisir, dans ce mot ailé et palpitant, mourant sur le bord des lèvres : Ψυχή. « Mon âme. » Novembre Une belle indifférence de l’argent qui nous peint d’après nature. […] Et nous passons toute la soirée, à regarder le roi Louis XV passer la revue de sa maison militaire, son livret à la main, et les soldats microscopiques et les curieux refoulés à coups de crosse de fusil, et les chambrières montées sur le haut des carrosses, et dont un coup de vent fait envoler les jupes. — Notre plaisir mêlé d’un petit remords, d’avoir pu si peu donner d’argent, pour un si beau dessin, à de si pauvres gens !

463. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

Si après l’avoir lue, ils persistent dans leur accusation, c’est qu’ils prendront plaisir à nier l’évidence. […] En général, l’amour est pour lui plutôt un plaisir qu’une passion. […] Nous ne chercherons pas le plaisir à l’exclusion de l’enseignement ; M.  […] Combien de fois ne cède-t-il pas au puéril plaisir de multiplier les rapprochements imprévus ! […] Las de tous les plaisirs que la richesse peut donner, il croit avoir épuisé la vie.

464. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

Non-seulement nous aimons l’instrument que nous manions avec plaisir, avec facilité ; mais bientôt, le comparant à d’autres, nous lui vouons quelque chose de plus, si surtout, à sa supériorité, il joint de longs services. […] Si l’on aime les lieux où l’on a goûté le bonheur ; si les arbres, le verger, les bois, si les plus humbles objets qui furent témoins de nos heureuses années ne se revoient pas sans une tendre émotion, pourquoi refuserais-je ma connaissance à ce bâton qui, non-seulement fut le témoin, mais aussi l’instrument de mes plaisirs ? « Et puis quels plaisirs ! […] Et combien est-il de plaisirs que vingt ans n’aient pas décolorés, détruits ? […] Topffer qu’ayant une fois atteint à l’art, il lui faut tâcher désormais de s’y tenir ; que l’inconvénient et la pente pour tout artiste, en avançant, est de se lâcher, surtout quand on manque d’une scène, d’un public sans cesse éveillé et jaloux ; qu’il n’est déjà plus dans ce cas lui-même, et que, sans trop retrancher à ses plaisirs, il doit songer pourtant qu’il a contribué aux nôtres, et que l’œil est sur lui ?

465. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIe entretien. Molière et Shakespeare »

Pour trouver nous-même plus de plaisir au retour de la société, nous resterons seul jusqu’au souper : d’ici là, que Dieu soit avec vous ! […] J’aurai plus de plaisir à te voir hors de cette salle que lui dedans. […] Je bois aux plaisirs de toute la table, et à notre cher ami Banquo, qui nous manque ici. […] Vous avez fait fuir la gaieté, détruit tout le plaisir de cette réunion par un désordre qui a excité le plus grand étonnement. […] Venez, mes sœurs, égayons ses esprits, et faisons-lui connaître nos plus doux plaisirs.

466. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre troisième. La volonté libre »

Qu’il y ait des faits psychiques impossibles à définir et d’autant plus clairs qu’ils brillent de leur clarté propre, c’est chose incontestable : tel est le fait de la pensée, tel est le fait du plaisir ou de la douleur ; tel est même le fait du vouloir, au sens le plus général du mot, comme réaction ou appétition provoquée par le plaisir ou la douleur. […] Ils constituent une réaction de l’être vivant par rapport à ces objets, et aucune explication en termes d’objets ne rendra jamais compte de la réaction subjective qui est au fond du plaisir ou de la souffrance, surtout au fond du désir, sans lequel il n’y aurait ni plaisir ni souffrance. […] Et on ne pourrait rien prévoir à son sujet, pas même le plaisir que causera la vue de l’objet aimé, parce que « une cause interne profonde donne son effet une fois, et ne le produira jamais plus » ? Si nouveauté, hétérogénéité, originalité étaient synonymes de liberté, il faudrait dire alors que nous sommes libres non pas seulement dans nos résolutions et actions, mais aussi dans nos sentiments profonds, dans nos plaisirs et nos douleurs les plus intenses, qui intéressent notre être tout entier, qui le font vibrer en toutes ses parties et aboutissent à un cri de joie ou de douleur sans précédents en nous. […] Ce sont d’abord les idées relatives à quelque sensation ou sentiment, surtout agréable, puis les idées relatives à notre puissance personnelle, laquelle nous cause d’ailleurs un sentiment de plaisir et de satisfaction intime.

467. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

Une pareille disposition d’esprit conduit l’homme à prendre la vie comme une partie de plaisir. […] Peu à peu, sous l’ascendant de la sensualité primitive, l’État s’est réduit à une entreprise de spectacles, chargée de fournir des plaisirs poétiques à des gens de goût. […] Tous s’élancent du premier coup aux plus hautes conclusions ; c’est un plaisir que d’avoir des vues d’ensemble ; ils en jouissent et ne songent que médiocrement à construire une bonne route solide ; leurs preuves se réduisent le plus souvent à des vraisemblances. […] Ils arrivent à la magnificence par l’économie, et pourvoient à leurs plaisirs comme à leurs affaires avec une perfection que nos profusions d’argent n’atteignent pas. […] Ainsi la vie privée tout entière, par ses cérémonies comme par ses plaisirs, contribuait à faire de l’homme, mais dans le plus beau sens du mot et avec une dignité parfaite, ce que nous appeIons un chanteur, un figurant, un modèle et un acteur.

468. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

J’ai remarqué avec plaisir qu’on accordait beaucoup plus de liberté et la permission de la nuit aux hommes mariés. […] Elles savent le plaisir qu’elles me font en me communiquant les dernières créations de leur argot. […] Mais pourquoi le poète a-t-il pris plaisir à déchirer jusqu’au cœur de l’art ? […] Quand plus tard elle arrive à Paris, entrée dans l’armée du plaisir, elle ne recule devant aucune besogne. […] Il a terminé sa nouvelle pour le Mercure de France et il nous verra certainement avec plaisir.

469. (1887) Essais sur l’école romantique

— Dites-lui : « Un volume de M. de Vigny a paru ce matin. — Je cours le lire. » Et le voici feuilletant le recueil, sans préjugé ni parti pris, si ce n’est qu’il se sent tout porté pour ce nom-là, et qu’il se promet du plaisir aux vers d’un jeune poète. […] S’il paraissait souvent de pareils recueils, le critique se trouverait trop heureux de son rôle, n’ayant plus désormais qu’à entretenir le public de ses plaisirs et à témoigner sa reconnaissance au poète. […] Voilà tous nos projets, nos plaisirs, notre bruit ! […] Ce n’est ni assez plaisant pour qu’on rie, ni assez sérieux pour qu’on s’attriste ; on ne se donne la peine ni de blâmer ni de critiquer ; on est assistant, mais point juge ; on s’acquitte d’un devoir littéraire ; on subit son plaisir. […] Dans d’autres littératures, on peut être un écrivain notable en se laissant aller librement et paresseusement à l’imagination, cette muse si commode, qui réduit l’art d’écrire au plaisir indolent de rêver tout haut.

470. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre II. Le Roman (suite). Thackeray. »

À peine y a-t-il un de mes lecteurs qui n’ait administré du plaisir sous cette forme à ses femmes, et ne les ait régalées du contentement de lui pardonner !  […] Il aime à se représenter des sentiments, à sentir leurs attaches, leurs précédents, leurs suites, et il se donne ce plaisir. […] Un vrai peintre regarde avec plaisir un bras bien attaché et des muscles vigoureux, quand même ils seraient employés à assommer un homme. […] Il détaille ses gestes avec autant de plaisir et de vérité que s’il eût été femme de chambre. […] L’accent de sa voix, si communes que fussent ses paroles, lui donnait un plaisir qui montait presque jusqu’à l’angoisse.

471. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

Quelque ignorant ou malheureux que soit un peuple, il chante même ses malheurs ; & c’est à l’aide de la Poësie qu’il charme ses ennuis, calme ses inquiétudes, oublie sa misère, célèbre ses plaisirs, & rend hommage à la Divinité. […] Les Lettres, sous le règne de Louis XIV, parvinrent au plus haut degré de splendeur, & la nature parut prendre plaisir à s’épuiser, pour rendre le siècle de ce Monarque un des plus célèbres de l’Histoire. […] Mais, ce qu’il y a de plus admirable, c’est que la nature, en prenant plaisir à multiplier le nombre des grands hommes, sembloit ne leur dispenser que le génie propre à chaque Art dans lequel ils devoient exceller. […] Elle se faisoit un jeu de la lecture des meilleurs Auteurs de l’Antiquité Grecque & Latine ; elle s’en nourrissoit, & l’on voyoit avec plaisir l’esprit se développer, le jugement se former, le goût devenir pur & solide. […] Il n’envisagea dans son Art, que la gloire de plaire au sexe le plus sensible, & le plaisir de faire couler ses pleurs au récit tendre & passionné des sentimens qu’il inspire.

472. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Jean Lahor (Henri Cazalis). »

Il n’y a que le Tout qui soit parfait et qui n’ait rien au-dessus de lui : il n’y a donc que le Tout qui puisse avoir plaisir à être éternel. […] De ton âme l’ennui mortel faisait sa proie, Etant le châtiment de l’incessant désir ; Du fier renoncement de ton âme à la joie Goûte la joie austère et le sombre plaisir… Je n’ai voulu que dégager, tant bien que mal, le fond et la substance même des vers de M. 

473. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre III » pp. 30-37

On devait se plaire à la peinture d’amours dégagés d’un érotisme grossier, accueillir même l’exagération des plaisirs attachés à des communications purement intellectuelles et morales. […] Rien n’est bon, rien n’est innocent, rien n’est sans danger dans l’ennemi vaincu ; ni ses doctrines, ni ses habitudes morales, ni ses plaisirs intellectuels.

474. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

C’est devenu un fort lieu commun, mais ça fait toujours plaisir à constater. […] Brunetière fût devenu réellement incapable de « lire pour son plaisir ». […] Consentant au plaisir, nous consentons à l’erreur. […] Pour lui faire plaisir, il a donné à Lautrec, frère de Françoise, le gouvernement de Milan. […] Ambroise Thomas d’avoir abrégé mon plaisir.

475. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Il néglige trop ses devoirs, il aime trop le plaisir, il donne trop de bals, il se mêle trop aux fêtes du monde. […] Ô plaisir effrayant ! […] tu donnes à tes amants des plaisirs toujours nouveaux. […] Céleste mélancolie, que sont près de toi les profanes plaisirs du vulgaire ! […] Dans les plaisirs du corps on retrouve ceux de l’âme, et dans les plaisirs de l’âme on retrouve ceux du corps.

476. (1891) Impressions de théâtre. Cinquième série

Qu’il boive donc, si cela lui fait plaisir, et qu’il s’en donne avec les servantes ! […] Pour le plaisir, et parce qu’il sent en lui une force invincible qui le pousse. […] J’attendais de vous du plaisir ; je ne sais si vous en attendiez de moi (pourquoi pas ?  […] Le public revoit toujours avec plaisir ce petit drame consolant. […] Ça me fera plaisir tout de même.

477. (1890) Dramaturges et romanciers

Il n’a fait qu’y passer, de manière à en savourer les plaisirs, car la pauvreté au début a ses plaisirs comme la fortune. […] Feuillet, et j’éprouve un véritable plaisir à le révéler. […] Tel est à peu près le plaisir qui ressort du récit de l’enfance de Sibylle. […] Quant à l’individu, quelle raison, a-t-il de s’y contraindre et d’y mettre un frein à son amour du plaisir ? […] Le spectateur vient au théâtre pour son plaisir ; mais le plaisir est chose complexe et qui comporte bien des variétés.

478. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Il ne s’en affligea pas outre mesure, et si sa jeunesse et sa maturité ne furent pas d’un Don Juan, du moins ne furent-elles pas sevrées de plaisirs. […] Il ne s’occupe guère non plus de littérature, et je le regrette, à cause du plaisir que j’aurais à observer ses avatars. […] Lui qui ose nier que le mot progrès ait un sens, il en prête un au mot décadence et trouve un singulier plaisir à insister sur les symptômes de décadence qu’il note autour de lui. […] Un philosophe qui met en scène des courtisanes et des hommes de plaisir, qui invente le Demi-monde, l’Ami des femmes, et M.  […] Brunetière est un esprit rigoureux, et il y a toujours un plaisir malicieux à découvrir chez un homme de sa trempe des faiblesses communes.

479. (1774) Correspondance générale

Il est certain, je crois, que toutes les fois que le plaisir réfléchi se joindra au plaisir de la sensation, je dois être plus vivement affecté que si je n’éprouvais que l’un ou l’autre. […] Ils écoutent l’un et l’autre avec plaisir ou dédain, et demeurent ce qu’ils sont. […] Car il est impossible qu’on n’ait pas grand plaisir à écrire ce qu’on en a tant à lire. […] Tout cela me fait grand plaisir. […] Il faut convenir qu’il y a des plaisirs bien doux, et qui sont à bon prix.

480. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

Si nous voulons savoir jusqu’où peut aller le plaisir de rêver, il nous suffira de relire J. […] L’imitation musicale est possible, nous y prenons plaisir et nous sommes libres. […] Il s’en servira aussi par jeu, pour le plaisir d’élargir ses représentations, défaire surgir par couples des images de la nature entière. […] D’où vient le plaisir particulier que nous éprouvons à lire ou entendre des vers ? […] Le plaisir essentiel que peut donner le vers est donc celui que peut donner le rythme.

481. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

Un homme ou un animal incapable, par hypothèse, d’éprouver du plaisir ou de la peine, serait incapable d’attention. […] A vrai dire, chez tout homme sain, il y a presque toujours une idée dominante qui règle sa conduite : le plaisir, l’argent, l’ambition, le salut de son âme. […] Là où l’homme normal, à inclinations normales, trouvera le plaisir, l’homme anormal, à inclinations anormales, rencontre la peine, et inversement. Le plaisir et la peine suivent la tendance comme l’ombre suit le corps. […] Tant qu’il n’a pas atteint son but, il engendre la douleur ; Quand il l’a saisi, il y a plaisir.

482. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

Vous m’avez remis devant les yeux l’image d’un monde que j’avais presque oublié, et je me suis intéressé aux plaisirs et aux chagrins que vous avez exprimés dans vos ouvrages. […] C’était, on le conçoit, une partie de plaisir et un régal unique pour ce beau monde de Paris, que cette expédition et ces quartiers d’hiver au cœur d’une province réputée des plus sauvages, cette série de grands crimes, ces exécutions exemplaires auxquelles on n’était pas accoutumé de si près, et entremêlées de dîners, de bals et d’un véritable gala perpétuel. […] Il caresse volontiers son idée jusqu’au bout et concerte son expression ; il pousse et redouble à plaisir son antithèse. […] Une des idées les plus singulières qu’ont eues les contradicteurs des Grands Jours, lors de la première publication, ç’a été de supposer que je ne sais quel philosophe du xviiie  siècle y avait intercalé à plaisir des passages ou des historiettes malignes pour faire tort à la religion et à la noblesse, et pour décrier l’ancien régime. […] Parmi les lettres de la dernière époque de sa vie, j’en trouve une de janvier 1705 adressée à Mme de Caumartin la douairière, c’est-à-dire à celle même qui, quarante ans auparavant, dans la fleur de sa jeunesse, présidait si agréablement aux plaisirs et à la société des Grands Jours.

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