Pendant que toutes les voluptés et toutes les douleurs du monde dansent autour de lui comme des bayadères devant un rajah, son âme reste vide, morne, oisive, inoccupée. […] En ornant nos voluptés nous avons perfectionné nos douleurs. […] L’homme de Dieu en fut pénétré de douleur. […] Savons-nous jamais ce que pourra coûter de deuils et de douleurs à quelque inconnu la parole que nous prononçons aujourd’hui ? […] Mais tout passe, et le torrent de cette douleur s’écoula.
Mais, devant le désespoir de Philoctète, devant ses cris de douleur physique et de douleur morale, devant un entêtement, qu’il blâme du reste, et qu’il ne comprend pas, mais qui, cependant, va entraîner ce pauvre homme dans une mort affreuse, il n’y tient pas ; il ne peut pas persister. […] Il a une grosse déception et une grosse douleur, voilà tout. […] Au fort de ma douleur, tu rappelles ma plainte. […] Mais il a le cœur si bien placé et si haut placé que ce qui domine tout en lui, c’est la douleur de la peine qu’il va faire à Bérénice. […] Il est tout entier avec une douleur qui vient d’un amour dont il n’est point l’objet et qui l’offense.
En juin 1672, quand un soir, la mort de M. de Longueville, celle du chevalier de Marsillac son petit-fils, et la blessure du prince de Marsillac son fils, quand toute cette grêle tomba sur lui, nous dit Mme de Sévigné, il fut admirable à la fois de douleur et de fermeté : « J’ai vu son cœur à découvert, ajoute-t-elle, en cette cruelle aventure ; il est au premier rang de ce que j’ai jamais vu de courage, de mérite, de tendresse et de raison. » A peu de distance de là, elle disait de lui encore qu’il était patriarche et sentait presque aussi bien qu’elle la tendresse maternelle. […] Ce lui étoit une grande douleur de voir qu’elle n’étoit plus maîtresse de cacher ses sentiments, et de les avoir laissés paroître au chevalier de Guise. Elle en avoit aussi beaucoup que M. de Nemours les connût ; mais cette dernière douleur n’étoit pas si entière, et elle étoit mêlée de quelque sorte de douceur. » — Les scènes y sont justes, bien coupées, parlantes, en un ou deux cas seulement invraisemblables, mais sauvées encore par l’à-propos de l’intérêt et un certain air de négligence.
C’était en moi un mélange extraordinaire, jusqu’alors inconnu, de plaisir et de douleur, lorsque je venais à penser que dans un moment cet homme admirable allait nous quitter pour toujours ; on nous voyait tous tantôt sourire, tantôt fondre en larmes. […] « Alors, dit Phédon, il se mit sur son séant, plia sous lui la jambe qu’on venait de dégager des fers, la frotta de la main, et nous dit en la frottant avec une sensation de plaisir : “L’étrange chose, mes amis, que le plaisir et la douleur se tiennent de si près que l’un naisse ainsi de l’autre, quoique l’un soit le contraire de l’autre ! […] Elle gouverne tous les éléments dont on prétend qu’elle est composée, leur résiste pendant presque toute la vie, et les dompte de toutes les manières, réprimant les unes durement et avec douleur, comme dans la gymnastique et la médecine ; réprimant les autres plus doucement, gourmandant ceux-ci, avertissant ceux-là ; parlant au désir, à la colère, à la crainte, comme à des choses d’une nature étrangère : ce qu’Homère nous a représenté dans l’Odyssée, où Ulysse, se frappant la poitrine, gourmande ainsi son cœur : — Souffre ceci, mon cœur ; tu as souffert des choses plus dures. » On voit par cette citation, et par mille autres citations d’Homère dans la bouche de Socrate, que ce philosophe était bien éloigné de l’opinion sophistique de Platon proscrivant les poètes de la République, mais qu’au contraire Socrate regardait Homère comme le poète des sages, et comme le révélateur accompli de toute philosophie, de toute morale et de toute politique dans ses vers, miroir sans tache de l’univers physique, métaphysique et moral de son temps.
Je le voyais souvent entrer seul dans son jardin, fermé aux curieux ; j’étais à portée de contempler ce pèlerinage d’amour et de douleur dont on chuchotait tout bas le motif. […] Il s’imagina, dans sa douleur, et inspiré d’étranges imaginations, de se rapprocher au moins par le regard de la place où elle s’était évanouie de la terre. […] Elle portait sur sa physionomie l’empreinte de la douleur qu’elle pressentait dans mon cœur.
Mais, en revanche, la rude vivacité, déjà mentionnée, de son être humain, apparaît encore ici, et nous le montre impatient, — avec tout le sentiment d’une douleur intime, — de l’enclave où les formes, comme toutes les autres chaînes de la convention, retenaient son génie. […] Toute la Douleur de l’Être vient se briser devant cet extraordinaire Contentement, qui la reprend, et se joue avec elle. […] — à toi, Non-sage, — je le nomme en l’oreille, — pour que, insoucieuse, éternellement, tu dormes. — La Fin des Dieux — d’angoisse ne me tourmente pas, — depuis que mon Désir la veut… — Ce que, dans l’âpre douleur de la discorde, — désespérant, jadis, j’ai décidé, — joyeux et jouissant, — aujourd’hui, librement, je l’ordonne : — en un furieux dégoût, j’ai voué — l’univers à l’envieux Nibelung ; — au très gai Waelsung — je retourne, maintenant, mon héritage. — Lui, élu par moi, — mais par moi non connu, — très hardi garçon, — dénué de mon conseil, — il a pris l’anneau du Nibelung : — exempt d’envie, — radieux d’amour, — il ne subit pas, le Noble, — la malédiction d’Albérich ; — car étrangère lui reste la crainte. — Celle que tu m’as enfantée, — Brünnhilde, — sera éveillée par lui, pour lui, le gracieux Héros : — veillante, elle accomplira, — ta Sachante enfant, — l’acte de l’Universelle Libération… — Donc, dors, à présent, toi, — ferme ton œil ; — rêvante, vois ma Fin !
oh, la nuance… elle est morte à l’heure qu’il est en France… Et la nuance, c’était toute la France, toute sa distinction… le don rare, en un mot, qu’elle seule avait parmi toutes les nations. » Jeudi 19 juin Je trouve, ce soir, Daudet en ses contractions de visage et ses remuements de jambes, disant qu’il a en plein ses douleurs. […] — Oui, toujours… c’est vraiment atroce la continuité de la douleur, et la perspective de cette continuité… autrefois, le lit c’était une espérance… maintenant c’est redoutable de surprises… j’ai besoin de me relever, il faut que je marche pour user ma douleur… Je souffre, voyez-vous, tout ce qu’il est possible de souffrir… tenez parfois, dans le pied, c’est comme si un train de chemin de fer me passait dessus… Ah !
Baudelaire en convient implicitement lui-même par cette appréciation juste et profonde du talent de son auteur : « Aucun homme n’a raconté avec plus de magie les exceptions de la vie humaine et de la nature ; — les ardeurs de curiosité de la convalescence ; — les fins de saisons chargées de splendeurs énervantes, les temps chauds, humides et brumeux, où le vent du sud amollit et détend les nerfs comme les cordes d’un instrument, où les yeux se remplissent de larmes qui ne viennent pas du cœur ; — l’hallucination… l’absurde s’installant dans l’intelligence et la gouvernant avec une épouvantable logique ; — l’hystérie usurpant la place de la volonté, la contradiction établie entre les nerfs et l’esprit, et l’homme désaccordé au point d’exprimer la douleur par le rire. » Si on fait le compte de ces puissances, on se demande où, dans tout cela, se trouve la place de l’âme humaine. […] Positivement, le lecteur assiste à l’opération du chirurgien ; positivement, il entend crier l’acier de l’instrument et sent les douleurs. […] La phtisie qui avait tué son père et sa mère tua sa femme, et dut lui causer une douleur plus cruelle qu’à personne… Edgar Poe, ce spiritualiste, de cœur autant que d’esprit, ce passionné, mais d’amour chaste, avait réellement le génie de l’amour conjugal.
Il se pose trop en homme qui a eu une belle douleur, et qui semble dire : « Faites-la-moi oublier, ce sera pour vous une gloire. » Mais c’est ainsi que sont faits les cœurs humains, et une délicate fidélité, ou même un délicat oubli, un ensevelissement profond et respecté, n’est le propre que de bien peu. […] Après des années d’un fidèle attachement, il eut encore la douleur de la perdre, et, à soixante-douze ans, il put se dire une dernière fois avec amertume : Je n’ai plus personne qui m’aime par préférence à tout ce qu’il y a dans le monde et que j’aime de même, à qui je puisse dire tout ce que je pense et les jugements que je fais des personnes et des choses qui se présentent à mes yeux et à mon esprit ; je perds une amie avec qui je passais ma vie.
Quelquefois on va plus loin avec la douleur et par la douleur, mais la beauté est plus tranquille.
Il mourut cinq ans après, en 1099, et de colère et de douleur sur un échec éprouvé par son armée dans une expédition contre la ville de Xativa. […] On meurt de douleur et de honte si l’on n’a pas reçu la seule satisfaction appropriée.
la plainte du pays ; la douleur morne, l’espoir opiniâtre de la vieille armée ; l’espoir plus léger, l’impatience et les moqueries de la jeunesse ; la tristesse dans le plaisir ; de l’esprit tour à tour piquant, coloré, attendri, comme il ne s’en trouve que là depuis Voltaire ; de suaves et gracieuses enveloppes d’une pureté d’art antique, et qui par moments rappellent, ainsi qu’on l’a remarqué avec goût, Simonide, Asclépiade et les érotiques de l’Anthologie. […] Or, des douleurs de la France épuisée, De sa chère aigle aux mains des rois brisée, Des morts d’hier, des mânes d’autrefois.
Ainsi, plus tard dans le conte du Rendez-vous, M. de Balzac nous peindra Julie d’Aiglemont au retour de cette soirée brillante où elle a reconquis à force de coquetterie et de triomphe la fantaisie passagère de son mari ; il nous la peindra cédant une dernière fois par bonté et par calcul à l’égoïste faveur dont M. d’Aiglemont l’honore ; puis tout aussitôt, dès qu’elle se retrouve à elle, nous la voyons sombre, sur son séant, dans le lit conjugal, près du mari endormi, rougissant et pleurant comme d’un crime de cette espèce de profanation calculée à laquelle elle s’est soumise : il y a là une page admirable de vérité et de douleur. […] Marié jeune, devenu père d’une nombreuse famille, l’alchimiste, qui ne se désigne lui-même que comme l’infortuné Ci…, dissipe la dot de sa femme, voit mourir de misère et de chagrin tous ses enfants ; mais il prend à toutes ces douleurs qui l’entourent une part de sympathie bien autrement active et humaine que Claës ; ce sentiment de bienveillance pour les hommes et de compassion pour les siens, qui se mêle à une si opiniâtre recherche, est un trait naturel que le romancier n’a pas assez deviné ni ménagé.
Sa mort causa la plus vive douleur à ses adorateurs ; et comme on la portait au tombeau, le visage découvert, ceux qui l’avaient connue pendant sa vie s’empressaient d’attacher leurs derniers regards sur l’objet de leur adoration, et accompagnaient ses funérailles de leurs larmes15. […] Ces rares perfections me captivèrent au point, que bientôt il n’y eut pas une puissance ou une faculté de mon corps ou de mon âme qui ne fût asservie sans retour ; et je ne pouvais m’empêcher de considérer la dame dont la mort avait causé tant de douleurs et de regrets comme l’étoile de Vénus, dont l’éclat du soleil éclipse et fait disparaître entièrement les rayons. » Telle est la description que Laurent nous a laissée de l’objet de sa passion, dans le commentaire qu’il a fait sur le premier sonnet qu’il écrivit à sa louange16 ; et à moins que l’on n’en mette une grande partie sur le compte de l’amour, toujours partial dans ses jugements, il faut avouer qu’il y a eu bien peu de poëtes assez heureux pour trouver un objet aussi propre à exciter leur enthousiasme, et à justifier les transports de leur admiration.
Il lui arrive de confondre avec le mal un bien laborieux, mélangé, confus, d’où le mieux doit sortir, à peu près comme quelqu’un qui prendrait pour un mal les douleurs de l’enfantement. […] La pensée qui lui fait prendre la plume est de railler des abus ; mais s’il s’en présente un par trop criant qui le prenne aux nerfs, il éclate, et l’on entend le cri de la douleur vraie parmi des moqueries.
On ne sait pas ce qui peut arriver à jouer ainsi avec le feu. » C’est l’époque où se dénouent sans douleur les liaisons éphémères. […] Baudelaire aussi avait espéré endormir sa douleur sur « les lits hasardeux ».
« La preuve de l’effet qu’a fait cette brochure, ajoutait-il avec insistance, est dans la douleur des auteurs offensés, de la part de qui j’ai reçu dix fois plus de plaintes que je n’en ai reçu contre eux des gens de bien. » Les gens de bien, c’est-à-dire les gens du bord de la reine et du Dauphin ; et, en effet, ils s’intitulaient eux-mêmes de la sorte ; mais j’ai regret, ici, je l’avoue, de voir Malesherbes essayer de leur donner le change, en leur accordant ce nom qui n’avait pas tout à fait pour lui le même sens. […] Ne croyez pas, monsieur, que l’éloge le mieux fait et le mieux écrit en impose au public s’il n’a déjà prononcé avant l’auteur… Je ne vous ai pas fait cette objection à l’occasion de mon neveu (mort aussi depuis peu de temps), parce que le public avait bien voulu partager notre douleur, et d’ailleurs parce qu’un avocat général est un homme public ; qu’il est exposé comme un auteur à la critique, et que, par cette raison, il est susceptible d’éloges.
Mais quand Louis XIV en personne traverse la Bourgogne à la tête de son armée, dans l’hiver de 1668, quand on va faire la conquête de la Franche-Comté sous les yeux de Bussy et à sa porte, il n’y tient plus, il laisse s’exhaler sa douleur ; « Je suis presque au désespoir, s’écrie-t-il, quand je songe que j’aurai vécu dans un règne plein de merveilles, auxquelles le moindre soldat des gardes aura plus de part que moi. » Louis XIV était implacable et glacé ; il remettait Bussy de campagne en campagne : « Pas encore pour celle-ci, nous verrons pour une autre », répondait-il aux sollicitations perpétuelles qui lui venaient de la part du pauvre disgracié ; et les années s’écoulaient, et Bussy, toujours déçu, espérait toujours. […] Vous pouvez juger, mes enfants, quelle fut ma douleur en cette rencontre ; elle fut telle, que je m’absentai cinq ans de la Cour, ne pouvant supporter les froideurs d’un maître dont le bon accueil avait encore augmenté ma tendresse… Telle était la condition et l’âme du courtisan du temps de Bussy, du temps de Sosie dans l’Amphitryon de Molière.
Telle est précisément la nature de la douleur, effort actuel de la partie lésée pour remettre les choses en place, effort local, isolé, et par là même condamné à l’insuccès dans un organisme qui n’est plus apte qu’aux effets d’ensemble. La douleur est donc à l’endroit où elle se produit, comme l’objet est à la place où il est perçu.
Je vous rends mille grâces de vos nouvelles ; le marquis17 a vu avec douleur le théâtre fermé, et sur cela il prend la résolution d’aller à son régiment ; ma chaise de poste, qui le mènera à Paris samedi, vous ramènera ici dimanche.
Comme ceux qui sentent en eux un aiguillon secret de douleur et qui ont la vie rapide, l’abbé de Pons se prenait plus activement qu’un autre aux choses du jour, à la circonstance qui passe, et s’y jetait avec une vivacité et un feu qui faisaient de lui un excellent journaliste : ce n’est pas une raison pour nous de le mépriser.
Là où il devrait être navré de douleurs, abîmé de chagrin, dans les situations les plus faites pour l’affliger (perte d’ami, de maîtresse, etc., etc.), il y a toujours en lui un certain endroit chatouilleux d’amour-propre où vous n’avez qu’à le gratter pour le faire sourire.
« Elle n’est pas venue, dit-il : elle viendra. » Espérons-le avec lui : il est de ceux qui ont le plus droit de la promettre ; car il la sert, il en hâte le triomphe ; et certes, lorsqu’à la lecture de son livre nous voyons ce que nos pères ont souffert pour elle, et que nous sentons en nos cœurs ce que nous serions prêts à souffrir nous-mêmes, quand il nous semble qu’à travers les larmes, le sang et d’innombrables douleurs, tout a été préparé par une providence attentive pour son mystérieux enfantement, nous ne pouvons imaginer que tant de mal ait été dépensé en pure perte, que tant de souffrances aient été vainement offertes en sacrifice ; et dût-il nous en rester encore quelque part à subir, nous croyons plus fermement que jamais au salut de la France.
« Faisons en sorte, mon amie, que notre vie soit sans mensonge ; plus je vous estimerai, plus vous me serez chère ; plus je vous montrerai de vertus, plus vous m’aimerez… J’ai élevé dans mon cœur une statue que je ne voudrais jamais briser ; quelle douleur si je me rendais coupable d’une action qui m’avilît à ses yeux !
Les conseils que Jefferson adressa en toute occasion aux jeunes gens qui le consultaient sur leurs études et sur leur vie, respirent l’indulgence, le respect d’autrui, la saine pratique, « Il préférait, comme Condorcet l’a dit encore de Franklin, il préférait le bien qu’on obtient de la raison à celui qu’on attend de l’enthousiasme, parce qu’il se fait mieux, arrive plus sûrement et dure plus longtemps. » Jefferson ne proscrivait pas néanmoins les élans de l’âme ; il voulait que l’homme embrassât les délices des affections, même au risque des douleurs.
C’est la mesure de cette nécessité, de l’effort qu’on fait pour s’y soustraire, de la douleur qu’on éprouve en s’y soumettant, qui devient la mesure du caractère moral de l’homme, qui, plutôt que de s’y soumettre, consent à s’immoler lui-même (en n’immolant toutefois que lui-même et non ceux dont le sort lui est confié), et s’élève par-là au plus haut degré de vertu auquel l’humanité puisse atteindre.
Le Poussin a pu se servir de l’idée du peintre grec qui avoit représenté Agamemnon la tête voilée au sacrifice d’Iphigenie, pour mieux donner à comprendre l’excès de la douleur du pere de la victime.
La mère a enfanté avec douleur, ses enfants doivent vivre de leur vie propre.
Le mal n’est point — comme le dit ce prudent de Lescure un peu à la légère — d’être un satirique, d’avoir suivi cette vocation terrible qui ne rapporte que des douleurs à ceux qui l’ont, d’avoir touché à cette arme « sur laquelle on mêle son sang à celui de la victime », mais d’avoir été un satirique à froid, sans sincérité profonde, esclave des autres, et ne s’appartenant pas, à soi !
De cette masse de flèches qui ont si bien sifflé dans le temps, et percé, — semblait-il, — et fait tant pousser, aux uns des cris de joie, et aux autres des cris de douleur, on a choisi celles-ci et on en a composé comme un carquois en ces deux volumes ; et c’est ce carquois, jugé si formidable, que nous venons à l’instant de peser, et qui, le croira-t-on ?
Non, « elle est sur les champs de bataille, couverts de frères blessés qui se sont égorgés entre eux… Elle est dans des bouges infects où l’homme meurt de douleur, de honte et de misère… elle est sur ces calvaires impies où l’homme condamne à mort son frère… Elle est dans les ateliers où l’on travaille… dans les lupanars où la fille du peuple vend sa chair (bien portante) jusqu’à ce qu’on la jette pourrie à l’hôpital.
Son secret mourait à sa bouche… Avant d’à jamais t’assoupir, Douleur déjà vieille et finie, Que de maux il fallut subir !
— et il croit aux privilèges de leurs douleurs.
Antoinette, la spirituelle, la raisonnable, la vertueuse Antoinette, s’éprend d’un adolescent de l’âge de sa fille, qui commence, à son tour, la vie, et c’est cet amour tardif, ce contresens du cœur et de la destinée, ces curiosités d’Eve condamnée à mourir, les espoirs fous qui unissent par une douleur folle, les pudeurs qui deviennent des hontes de toute cette passion forcenée et vulgaire, que M.
« Un calme puissant pénètre tous les membres, et ne laisse aux malheureux nul sentiment de douleur.
Des ferments de douleur sont toujours des ferments de haine. […] c’est notre société, c’est toute société peut-être, c’est la nature elle-même, au cœur de laquelle se cache un principe inguérissable de péché, de douleur et de mort. […] Cela excède la portée de la douleur. […] … » C’est ici l’impression suprême, presque morbide, à laquelle se rattachent des jouissances et des douleurs connues des seuls initiés. […] Tout ce qu’il a en lui d’existence sert d’occasion à des douleurs.
Et notre douleur, aussi, est le volontaire effet de notre Âme. […] Bientôt s’épandent les nuances, les émotions deviennent plus subtiles, à chaque moment correspondent des joies, des douleurs spéciales. […] Maintenant l’âme ne cherchera plus d’autres jeux : elle se jouera délicieusement de sa douleur, elle redira mille fois la divine réponse. […] Le plaisir, la douleur abstraits n’existent point : il y a seulement des idées joyeuses ou pénibles. […] que vaines seraient les douleurs !
La douleur et la colère du roi furent partagées par son armée, puis, bientôt, par la nation tout entière. […] En effet, les habitants de ce « paradis » ne vieillissent pas et ne savent ce qu’est la douleur ; « chacun est servi de nourriture à l’appétit de son cœur ; ils ont des richesses en abondance, des plaisirs à souhait ; ils ne souffrent ni du froid ni du chaud ; enfin toutes les délices mondaines y sont telles que cœur ne saurait les imaginer ni langue les dire ». […] » Il repartit de là En trouble et en douleur : « Ah ! […] Pierre Alphonse emploie ce conte à mettre en lumière une morale qui s’en dégage plus naturellement que celle du Barlaam et Joasaph. « Ne désire pas ce qui, appartient aux autres et ne te chagrine pas pour les choses que tu as perdues, parce que la douleur ne les fait pas recouvrer. » C’est cet enseignement qu’on en a généralement tiré. […] Pourquoi un prélat n’aurait-il pas cité au roi, pour le tirer de sa douleur, un « exemple » que le célèbre prédicateur Jacques de Vitri, et beaucoup d’autres après lui, ont inséré dans leurs sermons pour porter les âmes à la piété ?
L’époux outragé va cacher sa douleur et ses déceptions en province. […] Intérieurement il loua l’ordre de cette épouse admirable, qui avait tout prévu, même la mort, et il rentra chez lui, le cœur plein d’appréhension, encore plus que de douleur. […] Devant cette douleur muette et maîtresse d’elle-même, devant se souvenir silencieux accordé à Simone, à elle peut-être, son cœur se fondit. […] J’ai dit que ce n’était point un livre, j’ajoute que c’est un véritable cri de douleur que comprendront surtout ceux qui ont subi le deuil le plus cruel et le plus terrifiant que la nature ait infligé à l’homme. […] Ce n’est là, dira-t-on, qu’une douleur que bien d’autres ont ressentie, mais la nature la reproduit avec tant de variétés dans sa cruauté qu’elle semblera toujours nouvelle.
C’était comme si je fusse tombé dans un sombre abîme où tout se taisait autour de moi, où l’on n’entendait plus que le long et continuel gémissement d’une douleur sans fin, et que tout à coup, d’une seule secousse, une puissante main d’ami m’eût ramené à la lumière du bon Dieu. […] Il se souvint qu’un jour, à table, dans les fumées du vin, le vieillard s’était mis à rire tout à coup et à parler de ses conquêtes, en prenant un air modeste et en clignant ses yeux privés de lumière ; il se souvint de Barbe, et ses traits se crispèrent comme chez un homme saisi d’une subite douleur. […] Lise prend une résolution sinistre, Lavretzky renonce à elle et va expirer de douleur dans la maison de Wassilianoskoi. […] Celui-ci passa ensuite au salon, et il y resta longtemps : dans cette pièce où il avait si souvent vu Lise, l’image de la jeune fille se présentait plus vivement encore à son souvenir ; il lui semblait sentir autour de lui les traces de sa présence ; sa douleur l’oppressait et l’accablait ; cette douleur n’avait rien du calme qu’inspire la mort.
Ce n’est pas pour bénir et pour pardonner qu’il ouvre les bras, ce corps blafard aux ombres noires, dont tous les muscles sont tendus par la douleur. […] Mais l’inceste est bientôt découvert ; la femme du savant meurt de douleur et c’est entre le deuil de sa maîtresse et celui de sa femme que l’égaré commence à retrouver son chemin sous la lueur d’un rayon de la raison qui lui revient. […] Elle essaya de se consoler en lisant Sénèque ; inutile de dire que le remède fut inefficace ; chaque jour ramenait pour elle une douleur plus vive. […] vous adorez votre chère petite douleur, vous l’entretenez, vous la choyez, vous la nourrissez ! […] Jules Bois : La Douleur d’aimer, en dira plus que je ne saurais le faire à cet égard.
44 Ses prévôts y seraient pour régler la cérémonie et pour ranger l’assistance. » Car il faut que tout, même les choses mortuaires, soient en bel ordre, et dans une telle cour, une douleur non compassée messiérait. « Jugez si chacun s’y trouva. » Le prince sanglota et les courtisans se mouchèrent, chacun avec son geste propre, « en son patois », chacun tâchant de prendre la note du monarque. […] Les plus fins d’entre eux ou les plus considérables s’inquiétaient déjà de la santé du roi ; ils se savaient bon gré de conserver tant de jugement parmi ce trouble, et n’en laissaient pas douter par la fréquence de leurs répétitions. — D’autres vraiment affligés ou de cabale frappée pleuraient amèrement ou se contenaient avec un effort aussi aisé à remarquer que les sanglots… Parmi ces diverses sortes d’affligés, peu ou point de propos ; de conversation, nulle ; quelque exclamation parfois répondue par une douleur voisine, un mot en un quart d’heure, des yeux sombres ou hagards, les mouvements des mains moins rares qu’involontaires, immobilité du reste presque entière. […] Nous le voyons porter toutes les misères et toutes les grandeurs du règne, et les bras roidis de fatigue, le front contracté par la douleur, se traîner vers son unique repos, la mort. […] Enfin n’en pouvant plus d’effort et de douleur.
Nous nous avançâmes tous, prêts à nous élancer sur les gardes au signal convenu ; mais je vis avec douleur M. de Cinq-Mars jeter son chapeau loin de lui d’un air de dédain. […] « Certes, on trouverait des choses bien sages à dire à Roméo sur la tombe de Juliette, mais le malheur est que personne n’oserait ouvrir la bouche pour les prononcer devant une telle douleur. […] Il se décide vite, marche droit à la flamme, et tente courageusement de se frayer une route à travers les charbons ; mais la douleur est excessive, il se retire. […] Nous le donnons ici tout entier comme un chef-d’œuvre de la douleur, le voici : ACTE TROISIEME.
La Mort du Loup est un cri de douleur autrement fier et viril que les lamentations élégiaques acclamées par la foule contemporaine, et la Colère de Samson est une pièce sans égale dans l’œuvre du poète. […] Il en sort des malédictions et des plaintes, des chants extatiques, des blasphèmes, des cris d’angoisse et de douleur. […] Le livre des Contemplations, d’autre part, grave, spirituel, philosophique, rêveur, d’une inspiration complexe, mêle les voix sans nombre de la nature aux douleurs et aux joies humaines ; car, si Victor Hugo sait faire vibrer toutes les cordes de l’âme, il sait, par surcroît, voir et entendre, ce qui est plus rare qu’on ne pense. […] Dans le cours de sa longue vie, traversée pourtant d’ardentes luttes littéraires et politiques et de grandes douleurs, et surtout dans sa vieillesse vénérable, apaisée et souriante, Victor Hugo a reçu la récompense due au plus éclatant génie lyrique qu’il ait été donné aux hommes d’applaudir.
Mais vous ne pouvez demeurer ici, je le vois avec douleur ; du reste, espérons que Dieu, qui vous a protégé au milieu de tant de batailles, vous protégera encore une fois » — Ces paroles dites, elle embrassa son fils avec une violente émotion.
Ce Trenmor signifie simplement qu’on se guérit à la longue des vices et des douleurs, si toutefois on est assez fort et assez, heureux pour s’en guérir.
Les peuples du Nord sont moins occupés des plaisirs que de la douleur ; et leur imagination n’en est que plus féconde.
Enfin, un homme avait vu toutes les prospérités de la terre se réunir sur sa tête, la destinée humaine semblait s’être agrandie pour lui, et avoir emprunté quelque chose des rêves de l’imagination ; roi de vingt-cinq millions d’hommes, tous leurs moyens de bonheur étaient réunis dans ses mains pour valoir à lui seul la jouissance de les dispenser de nouveau ; né dans cette éclatante situation, son âme s’était formée pour la félicité, et le hasard qui, depuis tant de siècles, avait pris en faveur de sa race un caractère d’immutabilité, n’offrait à sa pensée aucune chance de revers, n’avait pas même exercé sa réflexion sur la possibilité de la douleur ; étranger au sentiment du remord, puisque dans sa conscience il se croyait vertueux, il n’avait éprouvé que des impressions paisibles.
S’il vous est arrivé jamais de concevoir l’idée d’un enfantillage, d’une équipée, d’une folie, pure fantaisie de l’esprit inquiet et désœuvré, et de passer à l’exécution sans autre raison que l’idée conçue, sans entraînement, sans plaisir, mais fatalement, sans pouvoir résister ; — si vous avez repoussé parfois de toutes les forces de votre volonté une tentation vive, si vous en avez triomphé, et si vous avez succombé à l’instant précis où la tentation semblait s’évanouir de l’âme, où l’apaisement des désirs tumultueux se faisait, où la volonté, sans ennemi, désarmait ; — si vous avez cru, après une émotion vive, ou un acte important, être transformé, régénéré, naître à une vie nouvelle, et si vous vous êtes attristé bientôt de vous sentir le même et de continuer l’ancienne vie ; — si par un mouvement de générosité spontanée ou d’affection vous avez pardonné une offense, et si vous avez par orgueil persisté dans le pardon en vous efforçant de l’exercer comme une vengeance ; — si vous avez pu remarquer que les bonnes actions dont on vous louait n’avaient pas toujours de très louables motifs, que la médiocrité continue dans le bien est moins aisée que la perfection d’un moment, et qu’un grand sacrifice s’accomplit mieux par orgueil qu’un petit devoir par conscience, qu’il coûte moins de donner que de rendre, qu’on aime mieux ses obligés que ses bienfaiteurs, et ses protégés que ses protecteurs ; — si vous avez trouvé que dans toute amitié il y a celle qui aime et celle qui est aimée, et que la réciprocité parfaite est rare, que beaucoup d’amitiés ont de tout autres causes que l’amitié, et sont des ligues d’intérêts, de vanité, d’antipathie, de coquetterie ; que les ressemblances d’humeur facilitent la camaraderie, et les différences l’intimité ; — si vous avez senti qu’un grand désir n’est guère satisfait sans désenchantement, et que le plaisir possédé n’atteint jamais le plaisir rêvé ; — si vous avez parfois, dans les plus vives émotions, au milieu des plus sincères douleurs, senti le plaisir d’être un personnage et de soutenir tous les regards du public ; — si vous avez parfois brouillé votre existence pour la conformer à un rêve, si vous avez souffert d’avoir voulu jouer dans la réalité le personnage que vous désiriez être, si vous avez voulu dramatiser vos affections, et mettre dans la paisible égalité de votre cœur les agitations des livres, si vous avez agrandi votre geste, mouillé votre voix, concerté vos attitudes, débité des phrases livresques, faussé votre sentiment, votre volonté, vos actes par l’imitation d’un idéal étranger et déraisonnable ; — si enfin vous avez pu noter que vous étiez parfois content de vous, indulgent aux autres, affectueux, gai, ou rude, sévère, jaloux, colère, mélancolique, sans savoir pourquoi, sans autre cause que l’état du temps et la hauteur du baromètre ; — si tout cela, et que d’autres choses encore !
Le cou long, charnu, démesuré, est d’un lutteur, et, en effet, le poète de Rolla avait été doué de la vigueur héroïque, pour que la Passion et la Douleur, ses vraies amantes implacablement chéries, eussent de quoi s’acharner sur leur proie.