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763. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

C’est un âge en tout assez fâcheux pour le poëte entré dans la postérité (s’il n’est pas décidément du petit nombre des seuls grands et des immortels) que de devenir assez ancien déjà pour être hors de mode et paraître suranné d’élégance, et de n’être pas assez vieux toutefois pour qu’on l’aille rechercher à titre de curiosité antique ou de rareté refleurie. […] Gessner, le libraire-imprimeur de Zurich, devint une des idoles de la jeunesse poétique, comme cet autre imprimeur Richardson pour sa Clarisse. […] Le genre idyllique, du moment qu’il se circonscrit, qu’il s’isole et se définit en lui-même, devient à l’instant quelque chose de bien moins élevé et de moins fécond. […] Celle des deux patries qu’il retrouvait devenait vite son exil ; le mal du pays en lui ne cessait pas. […] Passant à la Guadeloupe quelques années après la mort de Léonard, une jeune muse, qui n’est autre que madame Valmore, semble avoir recueilli dans l’air quelques notes, devenues plus brûlantes, de son souffle mélodieux.

764. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre IV. Poésie lyrique »

Mais la chanson n’est pas devenue une ode : ni le sentiment de la nature et la communication sympathique avec la vie universelle, ni la profonde et frémissante intuition des conditions éternelles de l’humaine souffrance, ni enfin l’intime intensité de la passion, et l’absorption de tout l’être en une affection, ne venaient élargir le couplet de danse en strophe lyrique. […] Dans leur loisir, l’amour devenait une grande affaire, et pour plaire aux femmes, ils se polissaient, s’humanisaient, dépouillaient l’ignorance et la brutalité féodales. […] Telle qu’elle devint trop vile, avec sa technique compliquée et sa froide insincérité, avec l’insuffisance esthétique de son élégance abstraite et de sa banale distinction, que réparait la nature d’une langue chaude et sonore, la poésie provençale n’en avait pas moins un grand prix : c’était la première fois, depuis les Romains, que la poésie était un art, que le poète concevait un idéal de perfection formelle, et se faisait une loi de la réaliser en son œuvre. […] Avec Aliénor d’Aquitaine, qui fut mariée successivement aux rois de France et d’Angleterre, les troubadours et leur art envahirent les provinces de langue française : quand les deux filles d’Aliénor et de Louis VII eurent épousé les comtes de Champagne et de Blois, Reims et Blois, avec Paris, devinrent des centres de poésie courtoise. […] Elle n’avait guère vécu que d’une vie factice, n’ayant pas eu la bonne fortune de rencontrer un de ces esprits en qui elle se fût transformée, de façon à devenir une forme nécessaire du génie national.

765. (1900) L’état actuel de la critique littéraire française (article de La Nouvelle Revue) pp. 349-362

Il est évident que les bonnes et dignes feuilles solennelles d’autrefois sont mortes, et que le reportage et l’afflux d’informations télégraphiques poussent tous les journaux à devenir des feuilles d’annonces et de nouvelles rapides, en sorte que les choses propres à faire penser lentement doivent en être exclues : il y a là de quoi décourager les esprits critiques soucieux de dignité, de quoi aussi encourager les directeurs à les renvoyer aux revues mensuelles. […] La critique, comprise comme une lutte de comptes rendus et de volumes édités, est une fastidieuse dépense de jugements bâclés ; la partie n’est pas égale, et la meilleure critique, c’est l’étalage des libraires : le public n’a qu’à se risquer, le malheur est qu’on l’a habitué à ne se risquer que sur le conseil préalable des critiques. « C’est à devenir fou ! […] Que deviendrait, dans une telle situation, le rôle véritable d’une critique, et que pourrait-elle être ? […] L’homme né pour comprendre les rapports des idées peut rester un simple lettré, s’il se borne là : mais, s’il veut, il est capable de devenir un véritable bienfaiteur social. […] Faguet est, de nos critiques, le plus digne de devenir un essayiste de haute pensée, de conseil fort, de vision généreuse et large.

766. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

Sa plainte s’enfle à mesure, devient révolte chez Vigny, désespoir chez Musset, colère chez Baudelaire et aboutira, avec Léon Bloy, à une sorte de frénésie imprécatoire, j’allais écrire à une véritable attaque de delirium tremens. […] Depuis qu’elle est devenue romaine, l’Église s’est employée à immobiliser les esprits au lieu de les conduire à la découverte. […] On sait que le duc d’Orléans, devenu régent, et sa fille, la duchesse de Berry, qui se donnaient comme esprits forts, s’entouraient de sorciers et de nécromants, consultaient les tarots et ne reculaient pas d’aller se perdre la nuit dans les carrières de Montrouge pour évoquer Satan. […] Issu d’une vieille famille noble, d’origine germanique, introduite en Italie à la suite de Charlemagne et devenue française à l’époque du premier empire, il portait en lui une longue hérédité d’agitations, de fièvres, de rêves éthérés et de sang lourd. […] « L’œuvre capitale de l’initiation, dit Guaita, se résume dans l’Art de devenir artificiellement un génie. » On peut, par elle, forcer l’inspiration et communiquer à son gré avec le grand Inconnu.

767. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre II : L’intelligence »

Vulpian, en France, en Allemagne, avant eux, Herbart et Müller168, ramener tous nos actes psychologiques à des modes divers d’association entre nos idées, sentiments, sensations, désirs, on ne peut s’empêcher de croire que cette loi d’association est destinée à devenir prépondérante dans la psychologie expérimentale, à rester, pour quelque temps au moins, le dernier mode d’explication des phénomènes psychiques, elle jouerait ainsi, dans le monde des idées, un rôle analogue à celui de l’attraction dans le monde de la matière. […] C’est que des impressions qui se sont toujours accompagnées, deviennent comme inséparables. […] C’est dans les hémisphères cérébraux que la cohésion des actes associés se produit : deux courants de force nerveuse font jouer deux muscles l’un après l’autre ; ces courants, affluant ensemble au cerveau, forment une fusion partielle, qui, avec le temps, devient une fusion totale : — Ce qui est encore plus curieux que cette fusion des mouvements réels, c’est la fusion des simples idées de mouvements. […] Ceci explique pourquoi l’idée d’un mouvement, quand elle devient très vive, entraîne le mouvement spontanément, d’elle-même, sans intervention de notre volonté, le courant nerveux excité étant aussi intense que dans le cas d’une impression réelle venant du dehors. […] Bain, est une parole ou un acte contenu ». « La tendance d’une idée de l’esprit à devenir une réalité, est une des forces qui régissent notre constitution ; c’est une source distincte d’impulsions actives….

768. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Madame Récamier. » pp. 121-137

Quelques-uns à peine survivent, dispersés et inconsolés aujourd’hui ; et ceux qui n’ont fait que traverser un moment ce monde d’élite, ont le droit et presque le devoir d’en parler comme d’une chose qui intéresse désormais chacun et qui est devenue de l’histoire. […] Elle fut mariée à Paris dans sa seizième année (le 24 avril 1793) à Jacques-Rose Récamier, riche banquier ou qui tarda peu à le devenir. […] C’est par de telles influences que la société devient société autant que possible, et qu’elle acquiert tout son liant et toute sa grâce. […] Fox, elle dit un mot à chacun, elle présenta chaque personne à l’autre avec une louange appropriée ; et à l’instant la conversation devint générale, le lien naturel fut trouvé. […] Cousin sur Madame de Sablé, 1854, fin du chapitre ier , p. 63 : « Elle avait, dit-il de Mme de Sablé, de la raison, une grande expérience, un tact exquis, une humeur agréable. — Quand je me la représente telle que je la conçois d’après ses écrits, ses lettres, sa vie, ses amitiés, à moitié dans la solitude, à moitié dans le monde, sans fortune et très en crédit, une ancienne jolie femme à demi retirée dans un couvent et devenue une puissance littéraire, je crois voir, de nos jours, Mme Récamier à l’Abbaye-aux-Bois. »

769. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Saint Anselme, par M. de Rémusat. » pp. 362-377

Anselme, devenu bientôt le premier disciple de ce maître, passait les jours et les nuits à s’instruire et à instruire les autres sur toutes les questions qui lui étaient faites. […] Son ancien désir se réveilla donc en lui et devint une volonté. […] Il demeura au Bec trente-trois ans, y étant devenu prieur trois ans après son entrée, puis abbé durant quinze années encore (1078-1093) ; ce fut le temps le plus heureux, le plus égal et le plus regretté de sa vie, d’ailleurs si remplie. […] Il me serait assez difficile de l’exposer dans les termes même où il le produit ; qu’il me suffise d’en donner l’idée, tel que plus tard on le retrouve chez Descartes ou chez Fénelon : c’est que par cela même que l’esprit humain peut concevoir l’idée d’un Être infini, parfait, et au-dessus duquel il n’en est aucun autre, il devient nécessaire, par là même, que cet Être parfait et infini existe. […] Homme d’Église avant tout, et peu fait au spectacle de violence et de désordre que donnait la vie des princes et des guerriers, attendons-nous à le voir soutenir avec fidélité, même avec obstination, mais sans ambition et sans calcul, la cause de la puissance spirituelle, ne sachant transiger ni sur le péché dont il deviendrait complice en le tolérant, ni sur la foi qu’il croit engagée dans les questions d’intérêt ecclésiastique.

770. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence de la chaire. » pp. 205-232

Mais aujourd’hui qu’on voit la débauche s’allier avec une sorte de décence, aujourd’hui que le vice est devenu ingénieux, il a fallu, selon une réflexion judicieuse, le devenir avec lui, pour le combattre  ; employer les secours de l’éloquence humaine, pour le rendre plus odieux ; convaincre enfin l’esprit & aller au cœur, par tous ces grands mouvemens qui ébranlent l’ame & la tournent au bien & à la vertu. […] Un sermon devient la matière de plusieurs. […] Cette façon de penser, devenue générale, ne seroit point humiliante ; elle auroit même de quoi flatter le déclamateur ; il s’attireroit des louanges à proportion de son talent pour débiter. […] Une abbesse, étant devenue grosse, au scandale de ses inférieures & de l’évêque, eut recours à Marie, qui chargea deux anges de prendre l’enfant, & de le cacher, de façon que, lorsqu’on voulut la convaincre de sa faute, elle passa pour une sainte calomniée.

771. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

La nuit du moyen âge ne saurait s’étendre maintenant sur le genre humain, parce que notre marche est devenue trop rapide. […] Si, d’une part, notre littérature du siècle de Louis XIV est devenue européenne, et a cessé d’être exclusivement la nôtre, nous cherchons, d’une autre part, une littérature nouvelle, qui soit classique aussi, mais classique dans l’ordre de choses qui va naître. […] Je suis persuadé que cette sorte d’éloquence aura plus d’éclat, plus de mouvement, plus de puissance, que n’en a jamais eu l’éloquence analogue, chez les Grecs, chez les Romains, chez les Anglais : il y a, dans la contexture et le génie de la langue française, une raison invincible, une logique nécessaire, une clarté constitutive, un sentiment de goût et de convenance, qui apportent peut-être quelques obstacles à la passion désordonnée, mais qui contiennent l’enthousiasme sur les limites où il deviendrait vertige, et qui doivent être très favorables à la discussion calme, solennelle, animée. […] Espérons que notre belle France finira par devenir sa noble patrie. […] Ce n’est point assez qu’un petit nombre de savants s’enfoncent dans les profondeurs du sanscrit, toutes nouvelles pour nous, il faut que la génération contemporaine soit devenue, par l’éducation, habile à comprendre les investigateurs de l’ère qui va s’ouvrir ; car l’homme ne sait bien que ce qu’il peut communiquer aux autres : tant on rencontre à chaque pas le sentiment social, et le besoin de ce sentiment.

772. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Les conditions utiles à une fortune politique le deviennent à une fortune littéraire. […] Elle devient souple, agréable, légère. […] Mais leur poésie est devenue le cœur humain lui-même. […] La poésie devint descriptive et analytique. […] Évade-toi du Devenir ! 

773. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — J. — article » pp. 517-518

« Né, dit-il, avec un esprit vif, élevé, entreprenant, une conception facile, une mémoire sûre, un génie subtil & délié, beaucoup de facilité à s’exprimer, un cœur faux & dissimulé, une ambition sans bornes, il se donna tout entier à l’étude, en sorte qu’il devint bon Grammairien, meilleur Rhétoricien, excellent Humaniste. […] que sont devenus ces Grands Hommes ?

774. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 120-121

Cet Ouvrage est devenu classique. […] C'est ainsi qu'il est permis aux Modernes de s'enrichir des dépouilles des Anciens ; ce sont des richesses étrangeres qu'ils transplantent pour l'utilité publique ; & l'on a droit de devenir Législateur, quand on a pour garans les Oracles du vrai goût & de la saine raison.

775. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

quand l’armée, habituée depuis six ans à un avancement sans exemple, voit de toutes parts des sous-lieutenants devenus rois, et des officiers très-ordinaires devenus généraux en six ans ! […] Puisqu’on me signale à l’armée comme un imbécile, il n’est guère probable qu’on me fasse figurer sur ce tableau, et alors ma perte devient inévitable : je ne pourrais jamais supporter cette exclusion. […] Dresde devint l’objectif au lieu de Leipsick. […] Ces refus auxquels se heurtait Jomini auprès des généraux autrichiens devenaient journaliers. […] Les cinquante-cinq années qui lui restent encore à vivre lui deviendront de moins en moins pénibles.

776. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

La malheureuse fin d’un engagement trop tendre me conduisit enfin au tombeau : c’est le nom que je donne à l’Ordre respectable où j’allai m’ensevelir, et où je demeurai quelque temps si bien mort, que mes parents et mes amis ignorèrent ce que j’étois devenu. » Cet Ordre respectable dont il parle, et dans lequel il entra à l’âge de vingt-quatre ans environ, est celui des Bénédictins de la congrégation de Saint-Maur ; il y resta cinq ou six ans dans les pratiques religieuses et dans l’assiduité de l’étude ; nous le verrons plus tard en sortir. […] Par l’effet d’une intrigue qu’il avait ignorée jusqu’au dernier moment, le bref ne fut pas fulminé, et sa position de déserteur devint tellement fausse qu’il n’y vit d’autre issue qu’une fuite en Hollande. […] Les conseils du Mentor à son élève, son souci continuel et respectueux pour la gloire de cet aimable marquis ; ce qu’il lui recommande et lui permet de lecture, le Télémaque, la Princesse de Clèves ; pourquoi il lui défend la langue espagnole ; son soin que chez un homme de cette qualité, destiné aux grandes affaires du monde, l’étude ne devienne pas une passion comme chez un suppôt d’université ; les éclaircissements qu’il lui donne sur les inclinations des sexes et les bizarreries du cœur, tous ces détails ont dans le roman une saveur inexprimable qui, pour le sentiment des mœurs et du ton d’alors, fait plus, et à moins de frais, que ne pourraient nos flots de couleur locale. […] Quant à ces fils d’Amulem, à ces neveux de M. de Renoncour, il se trouve que le plus charmant des deux est une nièce qu’on avait déguisée de la sorte pour la sûreté du voyage ; mais le marquis, si triste de la mort de sa Diana, n’a pas pris garde à ce piége innocent, et, à force d’aimer son jeune ami Mémiscès, il devient, sans le savoir, infidèle à la mémoire de ce qu’il a tant pleuré. […] Le travail d’écrire lui était devenu si familier que ce n’en était plus un pour lui : il pouvait à la fois laisser courir sa plume et suivre une conversation.

777. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Ce grand et magnifique édifice de vérités nouvelles ressemble à une tour dont le premier étage, subitement achevé, devient tout d’un coup accessible au public. […] Un jour, à l’Académie, Gresset, dans un discours, en osa lâcher cinq ou six359 : il s’agissait, je crois, de voitures et de coiffures ; des murmures éclatèrent ; pendant sa longue retraite, il était devenu provincial et avait perdu le ton  Par degrés, on en vient à ne plus composer le discours que « d’expressions générales ». […] Regardez dans Homère, puis dans Fénelon, l’île de Calypso : l’île rocheuse, sauvage, où nichent les mouettes et les autres oiseaux de mer aux longues ailes », devient dans la belle prose française un parc quelconque arrangé « pour le plaisir des yeux ». […] Il était étroit, il va devenir plus étroit. […] Tout ce qui concerne la province et la campagne, la bourgeoisie et la boutique377, l’armée et le soldat, le clergé et les couvents, la justice et la police, le négoce et le ménage, reste vague ou devient faux ; pour y démêler quelque chose, il me faut recourir à ce merveilleux Voltaire qui, lorsqu’il a mis bas le grand habit classique, a ses coudées franches et dit tout.

778. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

Quand il faisait un séjour de quelque temps à sa maison de Careggi, il se faisait ordinairement accompagner par Ficino, dont il était devenu le disciple dans l’étude de la philosophie platonicienne, après avoir été son protecteur. […] Le magnifique palais Pitti, qui ne garda que son nom, ne put être achevé alors et devint plus tard le palais des Médicis. […] Son esprit l’élevait au-dessus de son sexe, mais sans lui donner la plus légère apparence de vanité ou de présomption ; et elle s’était garantie d’un défaut trop commun parmi les femmes, qui, lorsqu’elles se croient de l’esprit et de la pénétration, deviennent pour la plupart insupportables. […] Tout ce que Laurent entreprenait de protéger devenait l’admiration de Florence, et, par suite, de toute l’Italie. Il était devenu en quelque sorte l’arbitre du bon ton ; et ceux qui avaient les mêmes goûts et les mêmes opinions que lui, étaient sûrs d’avoir part à la gloire et aux applaudissements publics qui semblaient s’attacher à toutes les actions de sa vie.

779. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre X. La littérature et la vie de famille » pp. 251-271

Cela était poussé si loin qu’on cessait d’être le chevalier en titre d’une dame, par cela seul qu’on devenait son mari. […] Mais enfin, quand la mode en sera passée, faudra-t-il que le monde, devenu un immense monastère, soit réduit au célibat à perpétuité ? […] Les héros les plus héroïques deviennent, comme Cinna, des modèles achevés de faiblesse amoureuse ; ils font même volontiers parade de leur servitude. […] L’antique sévérité, où il y avait à la fois de la rudesse et de la morgue, s’est quelque peu relâchée ; les parents sont devenus plus jaloux d’affection que de vénération ; en un mot, dans la famille comme dans la société, le principe d’autorité commence à perdre de sa force. […] L’enfant, peu à peu, est devenu le petit roi de notre société.

780. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Ne nous laissons point imposer par une certaine rigueur de système et par une certaine emphase de talent : je trouve en lui l’écolier d’abord, et puis aussitôt le tigre ; dans l’intervalle il n’avait pas eu le temps de devenir homme. […] Arrachez mon cœur et mangez-le ; vous deviendrez ce que vous n’êtes point : grands… Ô Dieu ! […] Du moment qu’ils ne se heurtaient pas et que l’un devenait le séide de l’autre, ils se complétaient par leurs talents et leurs aptitudes diverses à la tyrannie et au crime. […] C’est un talent qui deviendrait bien vite monotone, et qui n’a toute sa valeur qu’en raison des reflets sanglants qui s’y mêlaient. […] est devenu pour plusieurs une émulation et un culte.

781. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Résumé et conclusion »

Et quand cette distance devient nulle, c’est-à-dire quand le corps à percevoir est notre propre corps, c’est une action réelle, et non plus virtuelle, que la perception dessine. […] Tantôt, en effet, par une reconnaissance toute passive, plutôt jouée que pensée, le corps fait correspondre à une perception renouvelée une démarche devenue automatique : tout s’explique alors par les appareils moteurs que l’habitude a montés dans le corps, et des lésions de la mémoire pourront résulter de la destruction de ces mécanismes. […] Nous partons d’un « état virtuel », que nous conduisons peu à peu, à travers une série de plans de conscience différents, jusqu’au terme où il se matérialise dans une perception actuelle, c’est-à-dire jusqu’au point où il devient un état présent et agissant, c’est. à-dire enfin jusqu’à ce plan extrême de notre conscience où se dessine notre corps. […] Alors, comme le souvenir pur ne peut évidemment être que quelque chose de ce genre (puisqu’il ne correspond pas à une réalité présente et pressante), souvenir et perception deviennent des états de même nature, entre lesquels on ne peut plus trouver qu’une différence d’intensité. […] Comment ce mouvement abstrait, qui devient immobilité quand on change de point de repère, pourrait-il fonder des changements réels, c’est-à-dire sentis ?

782. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1889 » pp. 3-111

Voici le titre du livre que j’ai trouvé à faire, si je devenais aveugle : une crainte qui me hante. […] priez Dieu pour vous, que nous rencontrions l’ennemi loin d’ici, parce que le soldat qui s’est battu, devient une bête féroce pendant trois jours… et moi-même je n’en suis pas le maître !  […] Un ecclésiastique que j’ai devant moi, à la danse du ventre, se met à regarder de côté, toutes les fois, que le ventre de l’almée soubresaute voluptueusement, devient trop suggestif. […] Tout a bien augmenté dans la vie, et c’est devenu bien cher l’art de se tuer. […] J’ai le pressentiment que ce Burguet deviendra un grand acteur du théâtre moderne.

783. (1939) Réflexions sur la critique (2e éd.) pp. 7-263

À ce point de vue, ces deux volumes deviennent intéressants. […] Quand ses images ne prennent pas place dans un ordre, c’est de l’or qui devient charbon. […] Sorti de toute autre école, Flaubert fût pareillement devenu ce qu’il était, lui-même. […] La Comédie Humaine c’est, comme l’a vu Curtius, Faust devenu Légion. […] Dans un monde d’accord avec lui-même, les individus deviendraient un scandale, une infirmité de l’être.

784. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Littré. »

Après quelque emploi en province, il fut appelé à Paris, où il devint chef de bureau à l’administration centrale. […] Daru, il se mit à la médecine, et cette étude devint désormais la principale branche à laquelle il se rattacha (vers 1821, 1822). […] A partir de ce moment, la publication d’Hippocrate devint l’œuvre capitale de M.  […] Jamais l’on n’a tant parlé de Nysten que depuis que ce nom est devenu un caillou pour lapider M.  […] Diez avait fort tiré parti et signalé déjà l’importance, est devenu aux mains de M. 

785. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Celles qui avaient pleuré toutes jeunes filles à Bérénice n’étaient pas encore devenues des femmes de plus de trente ans et qui peuvent tout dire, que déjà Racine était hors du courant, revenu et rangé vers Port Royal. […] La princesse palatine, Elisabeth, avait donné l’exemple, la première, de ces nobles et sérieux attachements à un maître de génie envers qui l’amitié devient un culte. […] Enfin, son ami (Foncemagne) me dit qu’il devenait sublime et qu’il allait être entre les mains d’un grand faiseur. […] Si elle n’est pas agréable à son mari, elle lui devient utile, et c’est quelque chose. […] À 79 ans, on devient détachée des vanités de ce monde.

786. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

Que serait devenu Léopold Robert s’il était resté un élève froid et compassé de David dans une école des beaux-arts à Paris ? […] Paturle vient de mourir ; que deviendra ce précieux héritage ?). […] Sans l’admiration, que deviendraient les chefs-d’œuvre ? […] Il remboursait ses protecteurs de Neuchâtel ; il soutenait son humble famille de la Chaux-de-Fonds ; il appelait à Rome, auprès de lui, son jeune frère Aurèle Robert, devenu son élève, son émule et son graveur. Il était ou il semblait heureux, mais déjà le bonheur était devenu pour lui impossible.

787. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier. — Correspondance de Chateaubriand (3e partie) » pp. 161-240

Si vous ne me restiez pas, que deviendrais-je ? […] Je suis trop malheureux ici sans vous. » À mesure que l’ennui, sa maladie obstinée, le gagne, ses lettres deviennent plus tendres. […] Ma retraite des affaires pour toujours est devenue dans ma tête une idée fixe ; je la porte dans le monde et à la promenade. […] Cette maturité du cœur est très sensible dans M. de Chateaubriand ; sa poésie en mûrissant devint sentiment. […] La rhétorique tombait devant l’âge : on ne déclame plus devant Dieu ; il sentait l’approche de la vérité suprême, le néant de nos ambitions et de nos vanités ; il devenait plus sincère et plus naturel en cessant de poser et de phraser pour le monde.

788. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

Veux-tu donc devenir une savante ? […] et qui pourra bien un jour devenir député, parce qu’il est riche, l’homme parfait ! […] … « “Maman va dire : ‘Allons, Honoré va devenir joueur !’ […] Essayer de devenir libre à coups de romans, et quels romans ! […] Le coup d’État était devenu inévitable, le pouvoir parlementaire s’était suicidé !

789. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

Donc il me déplaisait déjà, quand il m’est devenu odieux, en disant d’une fausse peinture de Rubens qu’il a chez lui : « C’est si honnête !  […] Cette maison vraiment nous tenait au cœur, nous en étions devenus amoureux, pris par le grand je ne sais quoi, qui attache à une femme plus qu’à toutes les autres, et vous la fait paraître unique. Et ce vrai bonheur d’hier est devenu un vrai chagrin d’aujourd’hui. […] Deviendrions-nous champêtres ? […] * * * — L’Histoire, à l’heure qu’il est, devient de plus en plus l’histoire naturelle de la monarchie.

790. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1887 » pp. 165-228

Et Francis croit, que d’ici à très peu de temps, l’armée doit devenir le corps influent de l’État, et avoir la haute main dans le gouvernement. […] Les petites filles pervertissent les petits garçons, les portent à l’onanisme, qu’ils pratiquent devenus plus grands, et beaucoup se trouvent impuissants à l’époque de leur mariage. […] Dans cette toquade de combativité qui a pris Drumont, il devient un personnage tout à fait original. […] Et encore dans cette description, l’épithète glauque, appliquée à l’eau, cette vieille épithète si employée, devenue si commune, le fait s’écrier : « Est-ce assez précieux !  […] Savez-vous comment il devint artiste, l’homme qui forgeait des fers à cheval ?

791. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

C’est Scapin qui est devenu « Fourbum imperator ». […] Le compère devient agressif ! […] Moi je vous peins tel que vous êtes et tel que vous êtes en train de devenir. […] Et, comme il arrive toujours, votre sottise devenue manie vous rend méchant où au moins dur. […] Je vous dis seulement : prenez garde de le devenir !

792. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

les choses les plus nobles peuvent devenir des moyens de caricature, et les paroles politiques d’un chef d’empire des pétards de rapin). […] Il y a évidemment un ton particulier attribué à une partie quelconque du tableau qui devient clef et qui gouverne les autres. […] Je crois lui rendre un grand service en lui indiquant, si elle veut devenir plus agaçante encore, le petit livre de M.  […] Depuis combien de temps, en ce cas, faut-il supposer que le vivant est devenu cadavre ? […] Le terrain devient, dans une composition de ce genre comme dans la réalité, plus important que les hommes.

793. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Mais la vérité où l’on aboutit ainsi devient toute relative à notre faculté d’agir. […] En revanche, la théorie de la connaissance devient une entreprise infiniment difficile, et qui passe les forces de la pure intelligence. […] Une fois déraciné ce préjugé, l’idée de création devient plus claire, car elle se confond avec celle d’accroissement. […] Mais choses et états ne sont que des vues prises par notre esprit sur le devenir. […] L’ensemble du monde organisé devient comme l’humus sur lequel devait pousser ou l’homme lui-même ou un être qui, moralement, lui ressemblât.

794. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 222-224

Toute Secte qui est foible, réclame la tolérance, & devient intolérante quand elle a pris le dessus. C’est la Chienne de la Fable, qui demande en suppliante un logement pour mettre bas ses petits, & chasse le propriétaire, dès que ses petits sont devenus assez forts pour soutenir son usurpation.

795. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 407-409

Le prestige de sa plume est tel, que ses tableaux deviennent des originaux qui attachent l’esprit & ravissent l’imagination, lors même qu’ils ne sont pas d’accord avec la vérité. […] Si le mauvais goût, qui va toujours en croissant, devient assez général pour ramener la barbarie parmi nous, ses Ouvrages subsisteront dans la Postérité, pour déposer contre son Siecle, & on le regardera comme ces monumens rares, élevés dans des temps de décadence, qui néanmoins sont les restes précieux & les images augustes des temps de perfection qui les avoient précédés.

796. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 200-202

On le traduisit en François du temps de Balzac & de Voiture, & l’on en trouva la pensée si jolie, que, depuis ce temps, le Soleil est devenu l’objet éternel des comparaisons galantes. […] Coiffé d’un froc bien raffiné, Et revêtu d’un Doyenné Qui lui rapporte de quoi frire, Frere René devient Messire ; Il vit comme un déterminé.

797. (1925) Feux tournants. Nouveaux portraits contemporains

Sur chacun des mots dont il devient le familier il établit une fiche. […] Il était devenu petit parlementaire comme on était page autrefois. […] Ses professeurs avaient convenu qu’il devînt lui aussi professeur. […] Elle devient La Revue Européenne à partir de 1923. […] Émile-Paul, 1923 ; devenu le chapitre 6 du roman.

798. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre III. La Déformation de l’Idéal classique (1720-1801) » pp. 278-387

Délivrés ou débarrassés des protestants, du jansénisme, et de Louis XIV, les « Libertins » ne cessent de gagner du terrain et deviennent les guides et les maîtres de l’opinion. […] Puisque en effet ce sont bien Locke et Bacon qui vont devenir désormais les « maîtres à penser » de la génération nouvelle, et puisqu’ils ne le sont pas devenus plus tôt, c’est sans doute que l’influence anglaise n’a pas agi par infiltration, pour ainsi parler, comme autrefois l’influence espagnole, mais par substitution d’un nouvel idéal à l’ancien. […] De « psychologique et de moral » devenu d’abord « social » ; et de social « scientifique » ; l’objet de la littérature, sous l’influence de Bacon et de Locke, va désormais devenir purement pratique. […] « On devient stupide, dès qu’on cesse d’être passionné », écrit Helvétius [Cf.  […] Les gens de lettres sont devenus les soutiens du pouvoir.

799. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Déisme et panthéisme sont devenus les deux pôles de la théologie. […] Il écrit pour les sages, qui, en l’écoutant, finiraient toujours par devenir des saints. […] Son nom est devenu presque populaire. […] Lemaître était devenu renanien. […] Lemaître devint le disciple de M. 

800. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

Sa mémoire devient une chose sainte, il est défendu d’y toucher. Stésichore, l’ayant outragée dans un poème, devint subitement aveugle. […] Le suicide devient une mode à Rome, comme il l’est encore au Japon. […] Une noire méchanceté devint le fond de son caractère. […] La Mort devint la déité de ce monde de sang et de larmes.

801. (1911) Études pp. 9-261

Les formes autour de moi deviennent fantastiques ; je ne les reconnais plus. […] C’est pourquoi elle devient si directement poignante. […] Jamais elle ne devient pompeuse. […] L’écartement de son âme devenue démesurée le déchire. […] Elle devient une sorte de culte du mal, une attitude appliquée, le satanisme.

802. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

Il est devenu mystique, dites-vous. […] Est-ce dans un intérêt pratique que l’on devient mystique ? […] Le platonisme n’est-il pas devenu une foi chez les alexandrins ? […] La stérilité d’un tel principe étant ainsi devenue évidente, M.  […] Renan se réduit à l’idée de la mobilité universelle et du perpétuel devenir.

803. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

moi seul je combattrai, je tomberai seul ; et fasse le ciel que pour les cœurs italiens mon sang devienne flamme ! […] Voilà qu’ils se sont évanouis en un instant, et le monde est figuré sur une carte étroite ; voilà que tout devient semblable, et la découverte ne fait qu’accroître le néant. […] Il ne put s’éloigner du gîte natal, qui lui devenait insupportable, sans que les ressources domestiques lui fussent parcimonieusement marchandées, ou même totalement refusées à la fin. […] Qu’est devenu le bruit des peuples d’autrefois, Des antiques Romains et des citoyens-rois ? […] Pères sont devenus, par un tour de main de l’imprimeur allemand, 55 Pères, et dès lors les plus modestes ont répété que Leopardi avait recueilli les fragments de cinquante Pères de l’Église.

804. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

À la fin d’une lettre à Boileau, il fait cet aveu : « Plus je vois décroître le nombre de mes amis, plus je deviens sensible au peu qui m’en reste. […] Elle devenait une « épistolière », c’est-à-dire une chroniqueuse. […] Cet homme d’une si intransigeante audace de pensée était devenu énergiquement « conservateur ». […] Ainsi, depuis quelques années surtout, nous avons vu Coppée devenir insensiblement le Béranger de la troisième République. […] Bourget tournait au piétisme, devenait un romancier purement anglo-saxon, M. 

805. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

d’un préfet français à Rome devenue seconde ville de France ? […] La maison de Savoie, cette protégée séculaire de l’Autriche, de la Russie, de la France, devient par nécessité de situation la protégée de l’Angleterre. […] La maison de Savoie, devenue conquérante de toute l’Italie pour un jour, n’aura donc de solidité ni contre l’Autriche, qu’une monarchie piémontaise provoquera sans cesse à l’hostilité, ni contre la France, qu’une monarchie piémontaise alarmera sans cesse sur sa sûreté, ni contre l’Europe catholique, qu’une monarchie piémontaise désaffectionnera à jamais d’une maison de Savoie, maîtresse des États romains. […] Un maître devient facilement un tyran. […] Supposez le Piémont vaincu dans une seule bataille, que devient l’Italie annexée à une seule épée ?

806. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Avec les romantiques, l’intérêt passe des faits aux mœurs, à la couleur : de récit apocryphe le roman historique devient ou prétend devenir peinture exacte, évocation : c’est l’éveil du sens historique. […] Un mérite de George Sand, et qui tient à sa facilité même, c’est qu’elle n’emprisonne pas ses caractères dans des formules : elle les laisse ondoyants, inachevés, capables de se compléter et de se compliquer ; en sorte que, par la négligence de sa composition, elle imite plus exactement le perpétuel devenir de la vie. […] Cette imagination, périlleuse dans la réalité, devint une grande qualité littéraire pour représenter par le roman une société où les affaires et l’argent tenaient tant de place. […] Car cette apparente confusion repose sur une fine observation : ces passions brutales ou forcenées dont il nous étale les effets dans l’Italie du xvie  siècle, c’est bien de l’énergie, non pas de l’énergie volontaire, si l’on veut, mais de l’énergie apte à devenir énergie volontaire. […] Henri Beyle, né en 1783 à Grenoble, va en Italie en 1800 comme attaché à l’intendance, puis devient sous-officier et sous-lieutenant au 6e dragons.

807. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

Il nous regarda longtemps, cherchant qui nous pouvions être, puis s’écria : « Nom de D… je ne vous reconnaissais pas, oui, je deviens aveugle !  […] La figure de cire pourra devenir, dans les républiques futures, le grand art populaire. […] Il semblait vraiment ordonnancé pour les jeux d’enfants, cet ancien couvent devenu un château bourgeois, et ce jardin tout coupé de bosquets et de méandres de rivière. […] Qu’est devenu le théâtre, et les acteurs et les actrices ? […] Passy, qui avait la chambre à côté de lui, se demande si son père est devenu fou, et ce qu’il a à parler ainsi, tout haut et tout seul, de minuit à cinq heures du matin.

808. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

Ce mémoire, qui n’a pas été mis en vente, mais qui a été donné et distribué en toute bonne grâce, est devenu comme le signal de ce mouvement de retour au xviie  siècle qui n’a fait que s’accroître et se développer depuis. […] Viendront ensuite les œuvres politiques proprement dites, notamment la Chronique des cinquante jours, qui est devenue comme une partie intégrante de l’histoire de la Révolution. […] Au milieu de ce qu’on regardait comme mon délire, je devins de quelque intérêt pour des gens aimant le bien ; j’en fus aimé et estimé. […] Il obéit pourtant à son père et devint avocat, mais en se réservant de sortir du barreau dès qu’il le pourrait. […] Malgré ses succès dans cette magistrature, elle n’était encore pour Roederer qu’un premier pas, et son ambition (l’Ancien Régime subsistant) eût été de devenir maître des requêtes, puis intendant de province : car c’était du rang des intendants que sortait et s’élevait le plus souvent le contrôleur général.

809. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

C’est la malédiction première, mais désormais adoucie en miséricorde, et devenue le gage clément de jours meilleurs et de nuits sans gémissements. […] Ici le cœur peut donner une utile leçon à la tête, et la Science devenir plus sage sans ses livres. […] Deux ans environ après la publication de La Tâche, il quitta sa résidence d’Olney, qui lui était devenue moins agréable. […] Un assaut de la même maladie qui ne faisait que sommeiller, en quelque sorte, aux heures riantes, le reprit en 1787 ; il en sortit encore ; mais l’abattement et la mélancolie devinrent son état habituel et constant depuis 1793. […] Tes esprits ont un cours moins rapide ; je te vois chaque jour devenir plus faible ; c’est ma détresse qui t’a ainsi réduite si bas, ma Marie !

810. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Journal et mémoires du marquis d’Argenson, publiés d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Louvre pour la Société de l’histoire de France, par M. Rathery » pp. 238-259

Parlant d’un intendant de mérite, mais dur et violent, qui était devenu inapplicable, il le juge, en faisant quelque retour sur lui-même : L’intendant d’Aube vient d’être révoqué, ou plutôt s’est fait révoquer lui-même, et exprès. […] Fier des dites vertus qui sont rares, il est grand travailleur, habile à se faire servir, et esprit systématique ; il ne lui faudrait proprement ni supérieurs, ni inférieurs ; dès qu’il a affaire avec des hommes, le voilà devenu insociable en affaires ; il ne se prête à aucune des misères du temps. […] Chauvelin, qui l’avait pris en goût, de devenir bientôt ministre. […] Le ministre (quand il le deviendra plus tard) sera toujours compliqué, en lui, de l’académicien, du théoricien. […] Dans le grand nombre d’idées et de projets d’amélioration qu’il a agités, le temps a fait son triage, et il en est vraiment qui, par un singulier tour de roue de la Fortune, semblent devenus des à-propos.

811. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier (suite et fin.) »

L’aristocratie est aussi une partie de ce gouvernement, car c’est un certain nombre de familles qui compose la Chambre haute ; mais elle ne blesse pas, parce que la Chambre des communes est remplie des frères de ces lords, et qu’il n’y a pas un des membres de la Chambre basse qui ne puisse aspirer à devenir lord, si les services qu’il a rendus à l’État le méritent. […] Ne vous étonnez pas qu’elle aimât Montaigne, et qu’elle sentît comme lui, dans la vue de l’incertitude universelle : « On nous a jetés dans ce inonde on ne sait pourquoi, et il faut finir son temps pour devenir je ne sais quoi. — C’est mon bréviaire, ajoutait-elle, que ce Montaigne, ma consolation, et la patrie de mon âme et de mon esprit !  […] Je suis seule dans ce monde, qui est devenu un désert pour moi. […] Je ne sais que devenir ; toutes les occupations me sont odieuses ; j’aimais tant la lecture ! […] Telle qu’elle était devenue et que l’expérience l’avait faite, c’était une personne toute pratique, sachant jouir des dédommagements à sa portée et consentir graduellement aux diminutions nécessaires.

812. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Lettres inédites de Michel de Montaigne, et de quelques autres personnages du XVIe siècle »

Il ne devenait un autre personnage que pour un temps et un passage assez courts. […] il est trop tard pour se changer, quand on a passé la plus grande partie de sa vie ; « il n’est plus temps de devenir autre. » De propos en propos, il oublie un peu son point de départ, et il en vient, selon sa coutume, à se développer à nous et à se dévider tout entier. […] Bordeaux, capitale de la province, et dont le roi de Navarre était gouverneur titulaire, devenait naturellement le point de mire des plus ardents ligueurs. […] Pour des catholiques purement politiques tels que le maréchal de Matignon et Montaigne, la position devenait délicate et difficile. […] Il y a un beau mot de Mirabeau : « Tout homme de courage devient un homme public le jour des fléaux. » Montaigne, homme public, n’a pas fait ni senti qu’il devait faire ce qu’eût fait un Mirabeau et d’autres, qui, dans l’habitude, valaient moins que lui.

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