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610. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Saint François de Sales. Son portrait littéraire au tome Ier de l’Histoire de la littérature française à l’étranger par M. Sayous. 1853. » pp. 266-286

Le duc de Savoie (Charles-Emmanuel), politique habile et rusé, lui sut toujours mauvais gré de ces liaisons intimes qu’il avait contractées à la cour de France, et des distinctions singulières dont il avait été l’objet ; il en conçut de la méfiance contre celui qui n’avait pourtant aucune vue d’ambition mondaine, et qui disait en son gracieux langage : « Je suis en visite bien avant parmi nos montagnes, en espérance de me retirer pour l’hiver dans mon petit Annecy où j’ai appris à me plaire, puisque c’est la barque dans laquelle il faut que je vogue pour passer de cette vie à l’autre. » Henri IV, de son côté, ne cessa d’avoir l’œil sur l’évêque de Genève. […] Je remarquerai seulement, pour achever notre vue de saint François de Sales, que Mme de Chantal, ainsi que tous ceux qui ont parlé de lui, n’oublient jamais un certain éclat que l’on voyait reluire sur son visage aux heures de recueillement et de prière, une splendeur radieuse qui, sous la contenance pacifique, trahissait l’émotion profonde du dedans. […] Voici, à une première vue, ce qui m’a semblé : saint François de Sales, jusque dans ses élévations, est moins métaphysicien à proprement parler, et moins raisonneur que saint Anselme ; il est plus actif comme missionnaire, et plus entendu, ce me semble, comme évêque, plus naturellement habile dans ses relations, également délicates, avec les puissants.

611. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre III. L’art et la science »

La poésie écrite et chantée commence son œuvre, déduction magnifique et efficace de la poésie vue. […] On étonnerait fort Solon, fils d’Exécestidas, Zenon le Stoïcien, Antipater, Eudoxe, Lysis de Tarente, Cébès, Ménédème, Platon, Épicure, Aristote et Epiménide, si l’on disait à Solon que Ce n’est pas la lune qui règle l’année ; à Zenon, qu’il n’est point prouvé que l’âme soit divisée en huit parties ; à Antipater, que le ciel n’est point formé de cinq cercles ; à Eudoxe, qu’il n’est pas certain qu’entre les Égyptiens embaumant les morts, les Romains les brûlant et les Pæoniens les jetant dans les étangs, ce soient les Pæoniens qui aient raison ; à Lysis de Tarente, qu’il n’est pas exact que la vue soit une vapeur chaude ; à Cébès, qu’il est faux que le principe des éléments soit le triangle oblong et le triangle isocèle ; à Ménédème, qu’il n’est point vrai que, pour connaître les mauvaises intentions secrètes des hommes, il suffise d’avoir sur la tête un chapeau arcadien portant les douze signes du zodiaque ; à Platon, que l’eau de mer ne guérit pas toutes les maladies ; à Épicure, que la matière est divisible à l’infini ; à Aristote, que le cinquième élément n’a pas de mouvement orbiculaire, par la raison qu’il n’y a pas de cinquième élément ; à Epiménide, qu’on ne détruit pas infailliblement la peste en laissant des brebis noires et blanches aller à l’aventure, et en sacrifiant aux dieux inconnus cachés dans les endroits où elles s’arrêtent. […] Il n’y a de phénomènes vus que du point culminant ; et, vue du point culminant, la poésie est immanente.

612. (1900) La province dans le roman pp. 113-140

— Êtes-vous heureux, diront-ils ; vous avez la paix, une vue délicieuse, des excursions, une liberté, une vie à bon marché ! […] Je pourrais prendre l’un après l’autre les différents rôles classiques du provincial : le petit marchand des villes, le gros marchand enrichi, le châtelain ignorant et vaniteux, le châtelain pauvre, le châtelain grand seigneur, les femmes surtout qui se ressemblent presque toutes dans les romans dits provinciaux, mal habillées, sentimentales, courtes d’intelligence, de dévotion étroite, intimidées et hypnotisées à la seule vue d’une Parisienne ; je pourrais prendre ces personnages et montrer que, sauf de bien légères nuances, ils n’ont pas changé en passant de livre en livre, qu’ils sont au fond les mêmes et comme immuables dans la littérature depuis trois siècles. […] Ils pensent encore que le calme, la possession plus complète de soi-même, la vue prochaine et facile des campagnes véritables, non enjolivées, et non bâties, ne sont pas des compensations sans valeur à l’éloignement des théâtres et des sources immédiates de l’information politique ou mondaine.

613. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre IV. L’unification des sociétés »

Les guerres coloniales ne sont-elles pas faites en vue d’intérêts industriels avoués ? […] Il y a des groupements dans lesquels l’individu entre avec sa liberté, auxquels il n’aliène, par un contrat déterminé, en vue d’une certaine fin par lui acceptée, qu’une portion de son activité personnelle : ce sont ceux-là qu’un État fortement unifié par le militarisme supprime ou entrave. […] Vue générale sur l’Histoire politique de l’Europe, p. 51.

614. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre X : M. Jouffroy psychologue »

Avant eux, on l’avait étudiée en accessoire, la consultant par occasion, par intérêt, en vue d’un objet étranger, pour y chercher les preuves d’une opinion logique ou métaphysique, légèrement, irrégulièrement, sans préparation, sans découvertes, sans attention et sans fruit. […] Ils savaient que la chaleur fond le plomb, et qu’une pierre abandonnée à elle-même tombe vers la terre ; nous savons que toute résolution est précédée par la vue d’un motif, que tout souvenir est précédé et suscité par une idée associée, que l’attention rend le souvenir plus sûr et plus prompt. […] Jouffroy classe tous les genres de plaisir désintéressé, les distinguant selon qu’ils sont produits par « l’association des idées, la nouveauté, l’habitude, l’expression, l’idéal, l’invisible72 », par la présence de l’unité et de la variété, par la vue d’un rapport d’ordre et de convenance, par la sympathie ; il montre les règles, les dépendances, les variations, les ressemblances, les différences de ces plaisirs, avec une abondance, un détail, une netteté, un soin que je n’ai vus dans aucun livre.

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