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19. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Dans une analyse sincère de ce célèbre Discours de Bossuet, on est aujourd’hui entre deux écueils : ou bien l’on entre absolument dans la vue de l’auteur, on se place à son point de perspective historique surnaturelle, on y abonde avec lui, et l’on choque alors l’esprit de bon sens qui prévaut généralement dans l’histoire et qui a cause gagnée chez la plupart des lecteurs ; ou bien l’on résiste, au nom de ce bon sens, on s’arrête à chaque pas pour relever les hardiesses de crédulité, les intrépidités d’assertion sortant et se succédant d’un air de satisfaction et de triomphe, on se prend à discuter cette série d’explications miraculeuses acceptées sur parole, imposées avec autorité, avec pompe, et l’on se met par là en dehors du plan de l’auteur et des conditions du monument. […] Je ne fatiguerai pas le lecteur à suivre chez lui cette interprétation et cette vue du Messie montré de loin à tous les pas, à tous les degrés et à travers tous les accidents de l’histoire juive : cette vue est capitale chez l’auteur ; il ne peut un seul instant la laisser absente ni s’en distraire. […] De même sur les Macédoniens et sur Alexandre : chez Bossuet, c’est une première et large vue ; l’homme est bien compris dans son ensemble et posé avec son vrai caractère en termes magnifiques ; l’historien orateur est égal à son sujet, à son héros ; ce portrait d’Alexandre est un portrait d’oraison funèbre ; il a le mouvement et comme le souffle oratoire : chez Montesquieu, les raisons de la politique et du génie d’Alexandre sont bien autrement recherchées et déduites ; c’est bien autrement expliqué ; chaque parole frappe comme un résultat, et l’expression est vive, figurée ; le tout gravé en airain : c’est un long bas-relief d’Alexandre. […] Chez Bossuet, c’est une vue d’ensemble et un peu de théorie, un développement ; chez Montesquieu, c’est une marche sur un terrain coupé de replis à chaque pas, et dans chaque repli se lèvent des faits nouveaux. […] Tel est, — tel du moins qu’il s’est dessiné à moi en toute sincérité, — ce noble ouvrage qui restera toujours comme un puissant monument de la vue, de la force surtout, de l’ordonnance et de la méthode propres à Bossuet, en même temps que de son mâle et majestueux talent.

20. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre II. L’analyse interne d’une œuvre littéraire » pp. 32-46

Vous constatez ainsi sans peine que les sensations de la vue prédominent dans son œuvre ; vous pouvez dire que l’écrivain est un visuel. […] Mais la couleur n’est qu’une des qualités que la vue peut saisir dans les objets. […] La vue nous révèle l’étendue. […] C’est par la vue que nous constatons d’ordinaire le mouvement, que l’ouïe et le toucher nous font aussi connaître. […] Ses vues sur la destinée future de l’univers sont-elles claires ou obscures, basses ou élevées, vieilles ou neuves, simples ou complexes ?

21. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

Newton une escapade et une fuite de son lièvre favori qui, un soir, pendant le souper, rompt son treillage, prend sa course à travers la ville, et qu’on ne parvient à rattraper qu’après toute une odyssée aventureuse, on lira une lettre très grave, très élevée, à une de ses nobles cousines qu’il n’avait pas vue depuis des années, qui avait été très belle, et à qui les hautes et sérieuses pensées étaient devenues familières. […] Un jour qu’il était à la fenêtre de la rue, il vit entrer dans un magasin d’en face une femme de sa connaissance et de celle de Mme Unwin, avec une étrangère qui n’était autre qu’une sœur, à elle, nouvellement arrivée dans le pays, et celle-ci avait je ne sais quoi de si attrayant et de si ravissant à la simple vue, que Cowper, tout timide qu’il était, désira aussitôt de la connaître. […] Durant six livres ou chants, il parcourt une série de sujets ou de vues les plus variés, sans une composition précise, mais avec l’unité d’un même esprit et d’un même souffle. […] Que de fois, sur cette éminence que voilà, notre marche s’est ralentie, nous avons fait une pause et nous avons essuyé toute la bouffée du vent sans presque nous en apercevoir, tandis que l’Admiration repaissant sa vue, et toujours insatiable, s’arrêtait sur le paysage ! […] Il y a ici ce qu’on ne rencontre pas toujours chez Cowper, une vue d’ensemble, de la gradation, de la perspective.

22. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. EDGAR QUINET.— Napoléon, poëme. — » pp. 307-326

Quinet qui, jusque-là, voyageur panthéiste et rêveur, s’était un peu abîmé en présence de la nature, transporta dans la vue des temps et de l’histoire sa pensée amie des interprétations et des symboles. […] Le merveilleux se forme très-vite et à vue d’œil, pour ainsi dire, autour de cette statue posée d’hier. […] On cite un matelot de Dunkerque qui, étant sorti pour la pêche en juillet 1830, et revenant après quelques jours, s’écria à la première vue du pavillon tricolore qui avait remplacé le blanc : « Eh ! […] Quinet a donné carrière à ses sympathies de moyen âge, en les relevant et les rachetant par ses vues philosophiques sur l’avenir du monde, sur la guerre dont il voit en Napoléon le dernier grand représentant, et sur la démocratie dont il le considère également comme le héros : « La poésie, dit-il, n’a pas seulement pour but de représenter Napoléon tel qu’il s’est montré aux contemporains. […] Et aussi, Napoléon était plus positif que Béatrix ; et tout en fondant savamment les vues accessoires et idéales avec la réalité, il aurait fallu que le principal du dessin portât sur celle-ci.

23. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

Flourens, l’un des deux secrétaires perpétuels de l’Académie des sciences, a eu l’idée heureuse d’écrire avec quelque détail l’histoire de ses devanciers, non pas leur biographie, mais l’histoire de leurs travaux et de leurs vues. […] Flourens promet de continuer cette série consacrée à populariser les méthodes des savants célèbres, et qui, remontant en arrière par les noms les plus en vue, complète très bien les éloges qu’il est chargé annuellement de faire des modernes académiciens décédés. […] Notre folie, à nous autres, est de croire aussi que toute la nature, sans exception, est destinée à nos usages ; et quand on demande à nos philosophes à quoi sert ce nombre prodigieux d’étoiles fixes, dont une petite partie suffirait pour faire ce qu’elles font toutes, ils vous répondent froidement qu’elles servent à leur réjouir la vue. […] En recherchant moins l’agrément, mais en ne s’attachant pas moins à l’extrême clarté, les Buffon, les Cuvier, les Humboldt eux-mêmes en français, n’ont pas craint de composer quelques portions de leurs écrits en vue des ignorants, et de les publier à l’usage de toutes les classes de lecteurs. […] Si l’on prenait Fontenelle dans ses autres écrits, vers cet âge de trente ans, à cette date où il était à la fois raillé avec justesse et méconnu avec injustice par La Bruyère, on le trouverait déjà tout formé quant aux idées et aux vues.

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