Déjà en 1752749, autour de Paris, on en voit « des rassemblements de cinquante à soixante, tous armés en guerre, se comportant comme à un fourrage bien ordonné, infanterie au centre et cavalerie aux ailes… Ils habitent les forêts, ils y ont fait une enceinte retranchée et gardée, et payent exactement ce qu’ils prennent pour vivre ». […] Mais leur effet d’ensemble est plus pernicieux encore ; car, de tant de travailleurs qu’elles ruinent, elles font des mendiants qui ne veulent plus travailler, des fainéants dangereux qui vont quêtant ou extorquant leur pain chez des paysans qui n’en ont pas trop peur pour eux-mêmes. « Les vagabonds, dit Letrosne759, sont pour la campagne le fléau le plus terrible ; ce sont des troupes ennemies qui, répandues sur le territoire, y vivent à discrétion et y lèvent des contributions véritables… Ils rôdent continuellement dans les campagnes, ils examinent les approches des maisons et s’informent des personnes qui les habitent et des facultés du maître Malheur à ceux qui ont la réputation d’avoir quelque argent ! […] En Normandie, d’après les déclarations des curés, « sur 900 paroissiens de Saint-Malo, les trois quarts peuvent vivre, le reste est malheureux » « Sur 1 500 habitants de Saint-Patrice, 400 sont à l’aumône ; sur 500 habitants de Saint-Laurent, les trois quarts sont à l’aumône. » À Marbœuf, dit le cahier, « sur 500 personnes qui habitent notre paroisse, 100 sont réduites à la mendicité, et en outre nous voyons venir des paroisses voisines 30 ou 40 pauvres par jour768 ». […] Les grands conspirent et se révoltent ; les bourgeois se plaignent et vivent dans le célibat ; les paysans et les artisans se désespèrent et s’en vont ; les portefaix s’ameutent. »
Il a vécu à Londres et à Florence autant qu’à Paris. […] De même encore, il affecte de connaître et d’aimer les derniers raffinements du luxe contemporain ; il s’en voudrait d’avoir ignoré un seul détail de la plus élégante façon de vivre inventée par les derniers civilisés. […] Cela n’empêche pas de vivre comme les autres, de jouir, à l’occasion, du ciel, de l’air pur ou même de la société des hommes et des femmes ; mais, dans les minutes où l’on pense, il n’est guère possible, en dehors d’une foi positive, d’être optimiste : il y a trop de souffrances inutiles et absurdes et, de tous les côtés, une trop épaisse muraille de nuit… M. […] D’abord, cette curiosité d’une espèce particulière, ce désir d’avoir vécu la vie la plus élégante (moralement et physiquement) qui soit connue de son temps, parfois un certain dandysme, quelque chose aussi de la délicatesse un peu étroite d’un goût féminin.
Il a compris son heure mieux que personne ; il a vécu et senti avec l’humanité de son temps ; il a partagé ses espérances, si l’on veut ses erreurs ; il n’a reculé devant aucune responsabilité. Penseur, il ne vécut que pour le vrai. […] Nous vivons dans un temps où il y a des inconvénients à être poli ; on vous prend à la lettre. […] Il prit la meilleure part ; c’est la bonté qui fait vivre.
Au sortir de là, il vécut dans ce Paris d’alors (1733-1743) de la vie de jeune homme, aux expédients, essayant de maint état sans se décider pour aucun, prenant de la besogne de toute main, lisant, étudiant, dévorant avec avidité toute chose, donnant des leçons de mathématiques qu’il apprenait chemin faisant ; se promenant au Luxembourg en été, « en redingote de pluche grise, avec la manchette déchirée et les bas de laine noire recousus par derrière avec du fil blanc » ; entrant chez Mlle Babuti, la jolie libraire du quai des Augustins (qui devint plus tard Mme Greuze), avec cet air vif, ardent et fou qu’il avait alors, et lui disant : « Mademoiselle, les Contes de La Fontaine, s’il vous plaît, un Pétrone… », et le reste. […] Ce faire étonnant, qui est la condition sans laquelle l’idée elle-même, après tout, ne peut vivre, cette exécution à part et supérieure qui est le cachet de tout grand artiste, quand Diderot la rencontre chez l’un d’eux, il est le premier à la sentir et à nous la traduire par des paroles étonnantes aussi, singulières, d’un vocabulaire tout nouveau dont il est comme l’inventeur dans notre langue. […] Bien des années ont passé, et les pastels de La Tour vivent encore ; les esquisses de Diderot vivent également.
La Restauration s’était établie en 1814, et, quels que fussent les regrets légitimes et les douleurs brûlantes de ceux qui soutiraient des revers de nos armes et de l’envahissement de la patrie, on ne peut nier que les choses en étaient venues au point que la Restauration, sans être désirée ni prévue de la France, fut acceptée d’un grand nombre, à cette première heure de 1814, comme un soulagement, il ne s’agissait, pour la faire vivre, que de la bien engager dans sa voie et de la bien diriger. […] Il continua donc de vivre en regardant autour de soi et en s’en amusant. […] Elle vient, le matin même, d’épouser M. de Gerfaut, un honnête homme, un homme sérieux, raisonnable, qui a plus lu que vécu, âgé de quarante ans, qui l’aime, mais sans empressement, sans fureur. […] Il vivra dans la série de nos comiques, comme l’expression fidèle des mœurs et de la société d’un moment ; plus près, je le crois, de Picard que de Carmontelle, et donnant encore mieux l’idée d’un La Bruyère, mais d’un La Bruyère féminin et adouci, lequel, assis dans son fauteuil, se serait amusé, sans tant d’application et de peine, à détendre ses savants portraits, à mettre de côté son chevalet et ses pinceaux, et à laisser courir ses observations faciles en scènes de babil déliées et légères.